Référence : Creditex Group, Inc (Re), 2024 CACB 8
Décision du commissaire no 1667
Commissioner’s Decision #1667
Date : 2024-04-26
SUJET :
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J00
J10
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Signification de la technique
Programmes d’ordinateur
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TOPIC:
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J00
J10
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Meaning of Art
Computer Programs
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Demande no 2 678 924
Application No. 2678924
BUREAU CANADIEN DES BREVETS
DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS
Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96–423) dans leur version antérieure au 30 octobre 2019, la demande de brevet numéro 2 678 924 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019–251). Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, le commissaire rejette la demande, à moins que les modifications nécessaires soient apportées.
Agent du Demandeur :
Borden Ladner Gervais LLP
Bay Adelaide Centre, tour est
22, rue Adélaïde ouest
Toronto (Ontario) M5H 4E3
Introduction
[1] La présente recommandation porte sur la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 678 924, qui est intitulée « SYSTÈME ET PROCÉDÉ DE CONFIRMATION DE TRANSACTIONS HORS BOURSE » et qui appartient à CREDITEX GROUP, INC. (le « Demandeur »). La Commission d’appel des brevets a procédé à une révision de la demande conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019–251) (les « Règles sur les brevets »).
[2] Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, la Commission d’appel des brevets recommande que le commissaire aux brevets rejette la demande au motif que les revendications au dossier visent un objet non brevetable, en contravention à l’article 2 et au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, à moins que les modifications nécessaires soient apportées.
Contexte
La demande
[3] La demande porte sur des procédés et des plateformes qui offrent des services de confirmation et de messagerie post-transaction pour l’échange de produits dérivés de crédit. Ce service permet aux parties de confirmer les échanges de produits dérivés de crédit auprès de leurs contreparties avant le traitement. Le dossier de la demande comporte 21 revendications, reçues au Bureau des brevets le 3 octobre 2018.
Historique de la poursuite
[4] La demande a été déposée sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets, et sa date de dépôt au Canada est le 5 mars 2008. Elle est devenue accessible au public le 18 septembre 2008.
[5] Le 24 avril 2019, une Décision finale a été rédigée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96–423), dans leur version antérieure au 30 octobre 2019. Selon la Décision finale, la demande est irrégulière pour l’unique motif que toutes les revendications englobent un objet non brevetable qui ne correspond pas à la définition d’invention telle que fournie à l’article 2 de la Loi sur les brevets.
[6] Le Demandeur a fourni l’ensemble 1 de revendications proposées et des arguments en faveur de la brevetabilité dans une réponse à la Décision finale datée du 24 octobre 2019.
[7] L’examinateur a tout de même continué à considérer que la demande n’était pas conforme à la Loi sur les brevets. Par conséquent, en vertu du paragraphe 199(3) des Règles sur les brevets, la demande a été transmise à la Commission d’appel des brevets aux fins de révision, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs. Le résumé des motifs indiquait que les revendications au dossier étaient toujours irrégulières pour motif d’objet non brevetable et que les arguments et l’ensemble 1 de revendications proposées ne corrigeaient pas l’irrégularité. La Commission d’appel des brevets a transmis une copie du résumé des motifs au Demandeur dans une lettre datée du 17 janvier 2020. Le Demandeur a confirmé qu’il était toujours intéressé par la révision dans une lettre datée du 15 avril 2020.
[8] La Commission d’appel des brevets m’a chargé de réviser la demande et de présenter une recommandation quant à sa décision.
[9] Dans une lettre de révision préliminaire envoyée le 20 mai 2022, j’ai exposé mon analyse de la question de l’objet brevetable à l’égard des revendications au dossier et de l’ensemble 1 de revendications proposées. Le refus par l’examinateur avait été guidé par une pratique antérieure du Bureau des brevets en matière d’évaluation de l’objet brevetable, subséquemment remplacée par « Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets » (OPIC, novembre 2020) [EP2020–04]. Cette plus récente pratique se concentre sur les éléments de la revendication qui constituent l’« invention réelle ». Mon analyse a appliqué les principes d’EP2020–04. J’ai considéré de façon préliminaire que la demande manque d’objet brevetable.
[10] Avec la diffusion de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., 2023 CAF 168 [Benjamin Moore], afin de m’assurer que le Demandeur a reçu l’avis complet des questions à aborder, ainsi que la possibilité de fournir une réponse, j’ai réexaminé la demande et mis à jour la révision préliminaire à la lumière des commentaires de la Cour dans Benjamin Moore. Le 5 janvier 2024, j’ai envoyé au Demandeur une lettre de révision préliminaire supplémentaire ayant priorité sur la précédente. Mon avis préliminaire supplémentaire était que la demande manquait d’objet brevetable.
[11] J’ai offert au Demandeur la possibilité de répondre à la lettre de révision préliminaire supplémentaire et de participer à une audience. Le Demandeur a soumis une réponse, y compris l’ensemble 2 de revendications proposées, le 8 février 2024. Nous avons tenu une audience par téléconférence le 16 février 2024.
[12] L’audience a essentiellement porté sur la question de savoir si l’invention fournissait un gain d’efficacité au fonctionnement du système informatique utilisé pour la mise en œuvre de la plateforme d’échange. Puisqu’il semblait probable que d’autres revendications modifiées puissent corriger l’irrégularité, le Demandeur s’est vu offrir une possibilité de faire une autre soumission d’arguments et de revendications proposées après l’audience. Le Demandeur a soumis d’autres arguments en faveur de la brevetabilité ainsi que l’ensemble 3 de revendications proposées le 1er mars 2024.
[13] J’ai subséquemment consulté le Demandeur au sujet de certains détails du libellé de la revendication, et ce au moyen d’appels téléphoniques effectués le 19 mars 2024 et le 21 mars 2024. Le Demandeur a soumis un ensemble final de 19 revendications proposées (« l’ensemble 4 de revendications proposées ») le 21 mars 2024.
[14] J’ai achevé la révision de la demande en instance et de l’ensemble 4 de revendications proposées et fourni une recommandation ci-dessous.
Questions
[15] J’étudie la question de l’objet brevetable conformément à l’EP2020–04, ainsi qu’aux autres directives fournies dans Benjamin Moore. En lien avec la même préoccupation concernant l’objet brevetable, et conformément au paragraphe 86(9) des Règles sur les brevets, j’étudie également la question de savoir si les revendications au dossier sont conformes au paragraphe 27(8) de la Loi sur la Loi sur les brevets.
[16] J’étudie également l’ensemble de revendications 4 afin de déterminer s’il constitue des modifications nécessaires en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.
Interprétation des revendications
Principes juridiques et pratique du Bureau
[17] L’interprétation téléologique précède toute évaluation de la validité (Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, au par. 19 [Free World Trust]).
[18] Conformément à Free World Trust et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, l’interprétation téléologique est menée à partir du point de vue de la personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes pertinentes, tenant compte de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins. En plus d’interpréter le sens des termes d’une revendication, l’interprétation téléologique distingue les éléments essentiels de la revendication des éléments non essentiels. La question de savoir si un élément est essentiel dépend de l’intention exprimée dans la revendication, ou inférée de celle-ci, et de la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une variante a un effet matériel sur le fonctionnement de l’invention.
[19] L’énoncé de pratique EP2020–04 note que tous les éléments dans une revendication sont présumés essentiels, à moins qu’une telle présomption soit contraire au libellé de la revendication ou qu’il n’en soit établi autrement (voir également Free World Trust, au par. 57, Distrimedic Inc. c. Dispill Inc., 2013 CF 1043, au par. 201).
La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes
[20] L’interprétation téléologique commence par la définition de la personne versée dans l’art théorique et de ses connaissances générales courantes. La Décision finale les a définies comme suit :
[traduction]
La personne versée dans l’art, laquelle peut être une équipe de personnes, l’est dans le domaine des marchés de produits dérivés de crédit et possède des aptitudes en évaluation du crédit. La personne versée dans l’art connaît le processus d’échange de contrats dérivés de crédit, les outils pour effectuer les échanges de produits dérivés et la mise en œuvre de l’échange sur les appareils informatiques (logiciels et matériel) avec des connexions réseau pour fournir des services de confirmation et de messagerie post-transaction (description originale, par. 0003 à 0005, 0056 et 0070 à 0072; figures 1 et 2).
La personne versée dans l’art possède des aptitudes en évaluation du crédit, comprend l’échange de contrats dérivés de crédit et le processus de novation (description originale, par. 0003 à 0005) qui peuvent être utilisés pour réduire les risques opérationnels et les coûts associés à l’échange d’instruments financiers. La plateforme d’échange qui fournit le système de confirmation post-transaction et de messagerie électronique utilisée pour le traitement après transaction des détails des échanges est également considérée comme un élément des connaissances générales courantes pour la personne versée dans l’art. La plateforme peut inclure les interfaces utilisateur et le système de serveur, lequel met en œuvre la fonctionnalité de la plateforme et qui transmet et accepte les données pour l’utilisation des systèmes (description originale, par. 0056).
Les appareils informatiques généraux utilisés dans la réalisation de la présente invention, avec des réseaux de connexion bien connus, lesquels représentent la technologie standard, font partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Cela est renforcé par le manque de détail concernant la mise en œuvre dans la présente description (description originale, par. 0056 à 0061 et 0076).
[21] Le Demandeur n’a contesté ces définitions dans aucune des soumissions subséquentes, encore moins lors de l’audience. Je les adopte pour cette analyse.
Éléments essentiels
[22] La revendication 1 au dossier est représentative :
[traduction]
Un procédé de confirmation post-transactionnel mis en œuvre par ordinateur pour confirmer les détails associés aux échanges de produits dérivés de crédit comprenant :
la réception, par une plateforme de traitement électronique, directement d’un système de capture d’échanges d’une première partie, les détails des échanges comprenant un échange de produits dérivés de crédit convenu entre la première partie et une deuxième partie à l’extérieur de la plateforme de traitement électronique, ladite plateforme de traitement électronique comprenant un système de connectivité et de messagerie électronique qui est indépendant et en amont par rapport à un système de traitement d’échanges en aval, ladite connectivité comprenant des liens système-système entre ladite plateforme de traitement électronique et chacun du système de capture d’échanges de la première partie et d’un système de capture d’échanges de la deuxième partie;
l’acheminement automatique et la transmission en temps réel, par les liens système-système, des détails de l’échange au système de capture d’échange de la deuxième partie;
la réception, par la plateforme de traitement électronique, directement du système de capture d’échanges de la deuxième partie par les liens système-système, une confirmation ou un rejet des détails de l’échange, ladite confirmation indiquant que les détails de l’échange transmis représentent l’échange convenu et ledit rejet indiquant que les détails de l’échange transmis contiennent une erreur;
la notification automatique, par la plateforme de traitement électronique au moyen d’un message électronique, du système de capture d’échanges de la première partie de la confirmation ou du rejet;
la création, au moyen de la plateforme de traitement électronique, d’au moins un ticket d’échange comprenant les détails de l’échange seulement lorsque la plateforme de traitement électronique reçoit la confirmation du système de capture d’échanges de la deuxième partie;
la soumission, par la plateforme de traitement électronique, dudit au moins un ticket d’échange à un processus de confirmation d’échanges séparé conformément à l’échange de produits dérivés de crédit, ledit processus de confirmation d’échanges étant réalisé et exécuté par le système de traitement d’échanges en aval.
[23] En appliquant l’EP2020–04, j’estime que tous les éléments énoncés dans la revendication sont essentiels, y compris la plateforme de traitement électronique. La personne versée dans l’art comprendrait qu’il n’y a pas d’utilisation de termes indiquant qu’un des éléments est optionnel. De même, j’estime que tous les éléments indiqués dans les autres revendications sont essentiels.
L’invention réelle vise-t-elle un objet brevetable?
[24] À mon avis, l’invention réelle définie par les revendications au dossier ne vise pas un objet brevetable, pour les raisons suivantes.
Principes juridiques et pratique du Bureau
[25] Toute invention brevetable doit correspondre à la définition établie à l’article 2 de la Loi sur les brevets, y compris à l’une des catégories définies dans celle-ci :
« invention » toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.
[26] Le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets prévoit également ce qui suit :
Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.
[27] L’EP2020–04 décrit l’approche que doit adopter le Bureau des brevets pour déterminer si une revendication est un objet brevetable :
Afin d’être un objet brevetable et de ne pas être interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, l’objet défini par une revendication doit être limité à ou moins vaste que l’invention en question qui est dotée d’une existence physique ou est une manifestation d’un effet ou changement physique discernable et qui a trait à un domaine de réalisations manuelles ou industrielles, ce qui signifie des procédés comportant ou visant des sciences appliquées et industrielles, afin de distinguer, en particulier, des beaux-arts ou des œuvres d’art qui ne sont originales que dans un sens artistique ou esthétique.
[28] La détermination de l’invention réelle est une question pertinente et nécessaire dans l’évaluation d’un objet brevetable (Canada (Procureur général) c. Amazon.com, Inc, 2011 CAF 328, au par. 42 [Amazon]). Comme il est indiqué dans Benjamin Moore, au par. 68, cette détermination correspond à la déclaration de la Cour dans Schlumberger Canada Ltd c. Le commissaire aux brevets, [1982] 1 CF 845 (CA) [Schlumberger] que l’évaluation d’un objet brevetable comporte la détermination de ce qui a été découvert selon la demande. L’invention réelle est identifiée dans le contexte de la nouvelle découverte ou connaissance et doit en bout de compte satisfaire à « l’exigence du caractère matériel » qui est implicite à la définition « d’invention » (Amazon, aux par. 65 et 66).
[29] Amazon nous dit au par. 44 « qu’une revendication du brevet [peut] être exprimée dans un langage qui [est] trompeur, de manière délibérée ou par inadvertance » et que ce qui peut sembler à première vue être une « réalisation » ou un « procédé » peut en fait être la revendication d’une formule mathématique non brevetable, comme c’était le cas dans Schlumberger.
[30] Cette opinion est exprimée dans le jugement Amazon que la présence d’une application pratique n’est peut-être pas, dans certains cas, suffisante pour satisfaire à l’exigence du caractère matériel, lequel nécessite quelque chose avec une présence physique ou quelque chose qui manifeste un effet ou un changement de nature quelconque (Amazon, aux par. 66 et 69). Pour illustrer ce point, Amazon fait référence à Schlumberger, où les revendications « n’ont pas été déclarées valides en raison du fait qu’elles avaient trait à l’utilisation d’un outil matériel, un ordinateur, pour donner une application pratique à la nouvelle formule mathématique » (Amazon, au par. 69).
[31] Les préoccupations relatives à l’objet brevetable concernant l’utilisation bien connue d’un ordinateur pour traiter un algorithme, illustrées par Schlumberger, sont exprimées dans les facteurs établis dans l’énoncé de pratique EP2020–04 qui peuvent être considérés dans l’examen des inventions mises en œuvre au moyen d’un ordinateur, à savoir :
- le simple fait qu’un ordinateur figure parmi les éléments essentiels de l’invention revendiquée ne signifie pas nécessairement que l’invention revendiquée vise un objet brevetable;
- un algorithme en soi est un objet abstrait non brevetable et interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets;
- un ordinateur programmé pour traiter un algorithme abstrait d’une manière bien connue sans plus ne fera pas de l’algorithme un objet brevetable;
- si le traitement d’un algorithme améliore la fonctionnalité de l’ordinateur, alors l’ordinateur et l’algorithme formeraient ensemble une seule invention réelle qui serait brevetable.
[32] Les facteurs ci-dessus et les préoccupations générales concernant l’utilisation bien connue d’un ordinateur pour traiter de nouveaux algorithmes abstraits peuvent être considérés comme comportant des considérations de la nouveauté ou de l’inventivité. Le droit canadien n’interdit pas les considérations de la nouveauté ou de l’inventivité des éléments d’une revendication dans l’évaluation de l’objet brevetable et cela est appuyé dans des situations comme celle de Schlumberger où un outil connu, un ordinateur, est utilisé pour donner à une formule mathématique abstraite une application pratique (Benjamin Moore, aux par. 69 et 70, faisant référence à Amazon). Ces considérations aident dans la détermination de la découverte ou de la nouvelle connaissance, le procédé de son application et l’invention réelle Benjamin Moore, au par. 89) qui sont en bout de compte mesurés par rapport à l’exigence du caractère matériel.
[33] Comme il est noté dans Benjamin Moore, au par. 94 (et pareillement exprimé dans Amazon, au par. 61), l’exigence du caractère matériel ne sera probablement pas comblée sans quelque chose de plus que seulement un instrument bien connu, comme un ordinateur, étant utilisé pour mettre en œuvre un procédé abstrait. Les facteurs indiqués ci-dessus dans l’énoncé de pratique EP2020–04 aident à déterminer si quelque chose de plus est présent.
L’invention réelle est abstraite
[34] L’unanimité règne désormais sur le fait que les éléments informatiques sont essentiels. Le cœur de la question est de savoir si les éléments informatiques forment une seule invention réelle avec l’algorithme de traitement.
[35] À mon avis, l’invention réelle de la revendication 1, qui est la revendication la plus représentative, est l’algorithme concernant les données d’échanges avant rapprochement avant qu’un ticket d’échange soit soumis à un système de traitement d’échanges en aval. Bien qu’un système informatisé soit revendiqué pour faciliter ce rapprochement, il ne fait pas partie de l’invention réelle à moins que l’algorithme entraîne d’une quelconque façon une amélioration de l’efficacité d’un ordinateur (par exemple, la vitesse de traitement, la capacité, l’utilisation de la mémoire). Dans ce cas-ci, l’entrant du système est les données d’échanges et l’extrant est un échange exécuté, quelque chose d’une signification intellectuelle plutôt que physique. Le seul caractère matériel relève du système informatique. Le système informatique dans ce cas-ci est composé d’éléments conventionnels qui ne sont pas améliorés par l’algorithme. La situation est semblable à celle dans Schlumberger puisque les éléments informatisés traitent simplement certaines données conformément à certaines règles comme les ordinateurs sont normalement conçus pour le faire et fournissent des messages comme extrant. Par conséquent, la revendication 1 manque de caractère matériel et n’est pas conforme à la définition d’invention fournie à l’article 2 de la Loi sur les brevets. De plus, l’invention réelle de la revendication 1 constitue seulement un algorithme abstrait interdit par le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. Dans le même ordre d’idées, les autres revendications, lesquelles approfondissent des algorithmes semblables, manquent d’objet brevetable en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets et visent seulement des algorithmes abstraits interdits par le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.
[36] Dans la réponse à la Décision finale, le Demandeur a affirmé que l’invention revendiquée améliore l’efficacité puisque le système de traitement d’échanges en aval n’a pas à traiter les tickets d’échange non appariés. Les données non rapprochées ne lui sont jamais présentées comme ce serait le cas dans les systèmes de l’art antérieur.
[37] Dans la lettre de révision préliminaire supplémentaire, j’ai reconnu l’argument du Demandeur selon lequel l’utilisation plus efficace pourrait être faite du système de traitement d’échanges en aval dans l’éventualité que des données d’échanges qu’il n’aurait autrement pas acceptées peuvent être préalablement rapprochées et être acceptées par celui-ci lorsqu’elles sont finalement présentées. Cependant, cela transfère simplement l’inefficacité des contrôles de rapprochement itératifs à une partie du système depuis le système de traitement en aval. Le système informatique général n’a pas une efficacité améliorée.
[38] Subséquemment à l’audience, il est indiqué dans la soumission du Demandeur du 1er mars que le système de traitement d’échanges en aval peut être un système de tiers existant, comme l’illustre le système DTCC DERIV/Sery, et que l’invention améliore la production par cette partie du système en évitant que les renseignements d’échanges non appariés arrivent à ce système. Cela évite que cette partie du système ait à traiter des contrôles de rapprochement refusés. Par conséquent, l’invention, si elle évite la transmission de renseignements d’échanges non appariés au système en aval, améliorerait l’efficacité du système en aval en termes de production. Cela améliorerait la capacité à un goulot potentiel dans le système sans avoir à restructurer cette partie existant du système.
[39] Je trouve les arguments du Demandeur convaincants à cet égard. Le système de traitement d’échanges en aval est énoncé comme un élément distinct des revendications. Par conséquent, si l’efficacité par cette partie récitée du système est améliorée, l’invention résout un problème d’efficacité informatique physique. Le système informatique en aval ferait partie d’une invention réelle manifestant un effet physique discernable en termes de capacité de traitement, même si l’effet est causé par un algorithme exécuté par les éléments informatisés dans une autre partie du système.
[40] Cependant, il reste toujours un problème. Comme je l’ai noté dans la lettre de révision préliminaire supplémentaire, la revendication 1 fait seulement référence à la production [traduction] d’« au moins un ticket d’échange ». La revendication semble englober une réalisation qui peut entraîner la production d’une seule version du billet d’échange par une partie subséquemment à la confirmation. La deuxième partie, par la confirmation des données d’échanges auprès de la première partie, pourrait toujours envoyer une version erronée du billet d’échange au système en aval, entraînant un échec d’exécution. Dans ce cas, il n’y aurait aucun gain d’efficacité dans l’utilisation du système en aval.
[41] Le Demandeur a abordé cette question avec la soumission de l’ensemble 4 de revendications proposées, discuté ci-dessous.
[42] En résumé, j’estime que les revendications au dossier ne visent pas un objet brevetable et ne sont pas conformes à la définition d’invention fournie à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Les revendications visent un objet exclusivement abstrait interdit par le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.
L’ensemble 4 de revendications proposées corrige-t-il l’irrégularité?
[43] Je juge que l’ensemble 4 de revendications proposées rend la demande acceptable, pour les raisons fournies ci-dessous.
[44] Lors de l’audience, le Demandeur a eu un certain temps pour réévaluer une soumission et un ensemble de revendications qui pourraient corriger les questions en suspens de l’efficacité de l’ordinateur. Le Demandeur a soumis des observations écrites supplémentaires le 1er mars 2024. Les arguments fournis étaient convaincants quant à la façon dont l’invention peut améliorer l’efficacité de la partie de traitement des échanges en aval du système. L’ensemble de revendications proposées a abordé la question restante de l’efficacité améliorée nécessitant la saisie de renseignements d’échanges rapprochés de toutes les parties pour confirmer les échanges.
[45] J’ai discuté de quelques questions mineures relatives au libellé des revendications proposées dans des appels téléphoniques avec le Demandeur le 9 mars 2024 et le 21 mars 2024. Subséquemment à nos discussions, le Demandeur a soumis l’ensemble 4 de revendications proposées, comportant 19 revendications, le 21 mars 2024.
[46] Le Demandeur a choisi de supprimer l’une des revendications indépendantes et sa revendication dépendante. Le Demandeur a modifié les autres revendications indépendantes. Le changement clé est d’affirmer positivement que les renseignements d’échanges rapprochés sont fournis au système en aval de chaque partie. La revendication proposée 1 représentative est rédigée en ces termes :
[traduction]
Un procédé de confirmation post-transactionnel mis en œuvre par ordinateur pour confirmer les détails associés aux échanges de produits dérivés de crédit comprenant :
la réception, par une plateforme de traitement électronique, directement d’un système de capture d’échanges d’une première partie, les détails des échanges comprenant un échange de produits dérivés de crédit convenu entre la première partie et une deuxième partie à l’extérieur de la plateforme de traitement électronique, ladite plateforme de traitement électronique comprenant un système de connectivité et de messagerie électronique qui est indépendant et en amont par rapport à un système de traitement d’échanges en aval, ladite connectivité comprenant des liens système-système entre ladite plateforme de traitement électronique et chacun du système de capture d’échanges de la première partie et d’un système de capture d’échanges de la deuxième partie;
l’acheminement automatique et la transmission en temps réel, par les liens système-système, des détails de l’échange au système de capture d’échange de la deuxième partie;
la réception, par la plateforme de traitement électronique, directement du système de capture d’échanges de la deuxième partie par les liens système-système, une confirmation ou un rejet des détails de l’échange, ladite confirmation indiquant que les détails de l’échange transmis représentent l’échange convenu et ledit rejet indiquant que les détails de l’échange transmis contiennent une erreur;
la notification automatique, par la plateforme de traitement électronique au moyen d’un message électronique, du système de capture d’échanges de la première partie de la confirmation ou du rejet;
la création, au moyen de la plateforme de traitement électronique, d’au moins un ticket d’échange pour chacune de la première partie et de la deuxième partie comprenant les détails de l’échange seulement lorsque la plateforme de traitement électronique reçoit la confirmation du système de capture d’échanges de la deuxième partie;
la soumission, par la plateforme de traitement électronique, dudit au moins un ticket d’échange de la première partie et d’au moins un ticket d’échange de la deuxième partie à un processus de confirmation d’échanges séparé conformément à l’échange de produits dérivés de crédit, ledit processus de confirmation d’échanges étant réalisé et exécuté par le système de traitement d’échanges en aval.
[47] Les changements clés à l’égard de la revendication 1 au dossier, reproduits ci-dessus en gras, précisent qu’une copie du ticket d’échange est soumise par chaque partie au système de confirmation des échanges. Le Demandeur a souligné que ces changements sont appuyés par la description au par. 84 et à la figure 3.
[48] Des modifications semblables ont été proposées aux autres revendications indépendantes, y compris les revendications qui énoncent un système de novation comportant plus de deux parties à un échange.
[49] À mon avis, le système revendiqué fournirait une amélioration de l’efficacité à un système de traitement d’échanges en aval en rapprochant préalablement les données de manière à ce que seuls les renseignements d’échanges rapprochés atteignent le système en aval. Le système, tel que revendiqué, fournirait une amélioration physique à l’efficacité informatique du système en aval. Par conséquent, le système informatique ferait partie de l’invention réelle et serait un objet brevetable conformément à l’article 2 et au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.
[50] L’ensemble 4 de revendications proposées comporte les modifications nécessaires pour rendre la demande acceptable, conformément au paragraphe 86(11) de la Loi sur les brevets.
Conclusions
[51] Je conclus que les revendications 1 à 21 au dossier visent un objet non brevetable et ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets et, étant exclusivement abstraites, ne sont pas conformes au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.
[52] Je conclus également que l’ensemble 4 de revendications proposées, comportant 19 revendications soumises le 21 mars 2024, corrigerait l’irrégularité de l’objet non brevetable. J’estime que la substitution de ces revendications constitue des modifications nécessaires pour se conformer à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, comme l’exige le paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.
Recommandation de la Commission
[53] Pour les raisons exposées ci‑dessus, je recommande que le Demandeur soit informé, conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets, que les modifications suivantes sont nécessaires pour assurer la conformité de la demande avec la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets :
- la suppression des revendications au dossier;
- l’insertion des revendications correspondant à l’ensemble 4 de revendications proposées.
Howard Sandler
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Membre
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Décision du commissaire
[54] Je souscris à la conclusion ainsi qu’à la recommandation de la Commission d’appel des brevets. Conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets, j’informe par la présente le Demandeur que les modifications suivantes, et seulement ces modifications, doivent être apportées conformément à l’alinéa 200b) des Règles sur les brevets au plus tard trois (3) mois après la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends rejeter la demande :
- la suppression des revendications au dossier;
- l’insertion des revendications correspondant à l’ensemble 4 de revendications proposées.
Konstantinos Georgaras
Commissaire aux brevets
Fait à Gatineau (Québec)
ce 26e jour d’avril 2024.