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Référence : Biocon Limited, 2023 CACB 20

Décision du commissaire no 1653

Commissioner’s Decision #1653

Date : 2023-07-17

SUJET :

B00

O00

Caractère ambigu ou indéfini

Évidence

 

TOPIC :

 

B00

O00

 

 

Ambiguity or indefiniteness

Évidence

Demande no 2 947 354

Application No. : 2,947,354


 


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 199(1) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 947 354 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 86(7)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, le commissaire rejette la demande, à moins que des modifications nécessaires soient apportées.

Agent du demandeur :

Kirby Eades Gale Baker

 

55 rue Murray, bureau 300

Ottawa (Ontario) K1N 5M3

Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadienne refusée numéro 2 947 354, qui est intitulée « Protéines de fusion ciblées/immunomodulatrices et leurs procédés de fabrication ». Biocon Limited est l’unique demandeur. Un comité de la Commission d’appel des brevets a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 86(7)c) des Règles sur les brevets.

[2] Ainsi qu’il est expliqué de façon plus détaillée ci-dessous, nous recommandons que le commissaire aux brevets informe le demandeur au moyen d’un avis en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets que certaines modifications aux revendications sont nécessaires afin que la demande soit acceptable.

Contexte

La demande

[3] La présente demande est une demande divisionnaire de la demande originale numéro 2 871 706 qui a été déposée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) et a une date de dépôt au Canada du 13 mars 2013. La demande originale a été rendue accessible au public le 7 novembre 2013.

[4] La demande refusée concerne des protéines chimériques de fusion à être utilisées dans le traitement du cancer. Les protéines de fusion chimériques comprennent une partie de ciblage pour cibler une cellule cancéreuse et une partie immunomodulatrice qui contrebalance la tolérance immunitaire. En particulier, les revendications visent une protéine de fusion chimérique formée d’un anticorps anti-HER2/Neu en tant que partie de ciblage pour cibler les cellules cancéreuses exprimant le récepteur HER2, et d’un récepteur bêta II du facteur de croissance transformant (TGF-bRII) en tant que partie immunomodulatrice, qui se lie au TGF-b pour empêcher la prolifération des cellules cancéreuses.

[5] La demande comporte 14 revendications au dossier, qui ont été reçues au Bureau des brevets le 8 juillet 2019.

Historique de la poursuite

[6] Le 16 avril 2021, une décision finale a été rédigée conformément au paragraphe 86(5) des Règles sur les brevets. La décision finale stipule que l’objet des revendications 1 à 14 au dossier est évident, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, et que les revendications 1 à 3 au dossier sont également indéfinies, en contravention du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[7] La réponse à la décision finale datée du 12 août 2021 conteste l’évaluation de l’évidence et comprend en outre un ensemble de revendications modifiées, contenant les revendications 1 à 11 proposées, qui, comme elle le soutient, sont acceptables.

[8] Le 11 mars 2022, la demande a été acheminée à la Commission d’appel des brevets aux fins de révision en vertu de l’alinéa 86(7)c) des Règles sur les brevets, ainsi qu’un résumé des motifs expliquant que le refus est maintenu puisque les arguments du demandeur présentés en réponse à la décision finale ne sont pas convaincants que les modifications proposées présentées en réponse à la décision finale ne corrigeaient pas l’ensemble des irrégularités indiquées dans la décision finale.

[9] Dans une lettre datée du 22 septembre 2022, la Commission d’appel des brevets a transmis une copie du résumé des motifs au demandeur et a demandé qu’il confirme s’il voulait toujours que la demande soit révisée.

[10] Dans une lettre datée du 21 décembre 2022, le demandeur a confirmé qu’il souhaitait qu’on procède à la révision.

[11] Le comité en l’espèce a été constitué dans le but de procéder à la révision de la demande refusée en vertu de l’alinéa 86(7)c) des Règles sur les brevets. Le 7 juin 2023, le comité a envoyé une lettre de révision préliminaire expliquant notre analyse préliminaire et notre opinion selon laquelle l’objet des revendications 1 à 3 au dossier est évident et indéfini, en contravention de l’article 28.3 et du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, respectivement. La lettre de révision préliminaire exprime également l’opinion préliminaire selon laquelle l’objet de la revendication 1 proposée est évident et indéfini. La lettre de révision préliminaire a également donné au demandeur la possibilité de présenter des observations orales ou écrites.

[12] Le 20 juin 2023, le demandeur a refusé la possibilité d’une audience et a également indiqué qu’il n’y aurait pas d’autres observations écrites.

Questions

[13] Compte tenu de ce qui précède, les questions suivantes sont examinées dans le cadre de la présente révision :

  • Les revendications au dossier sont-elles évidentes, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets?

  • Les revendications 1 à 3 au dossier sont-elles indéfinies, en contravention du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets?

[14] En plus des revendications au dossier, les revendications proposées ont également été étudiées.

Interprétation téléologique

Contexte juridique

[15] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust] et à Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67 [Whirlpool], une interprétation téléologique des revendications est faite du point de vue d’une personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes (CGC) pertinentes à la lumière du mémoire descriptif et des dessins. En plus d’interpréter le sens des termes d’une revendication, l’interprétation téléologique distingue les éléments essentiels de la revendication des éléments non essentiels. La question de savoir si un élément est essentiel dépend de l’intention exprimée dans la revendication ou déduite de celle-ci et de la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une variante a une incidence matérielle sur le fonctionnement de l’invention.

[16] Dans l’exécution de la détermination des éléments essentiels et non essentiels, tous les éléments établis dans une revendication sont présumés être essentiels, à moins qu’il n’en soit établi autrement ou lorsqu’une telle présomption est contraire au libellé des revendications.

Analyse

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes

[17] La lettre de révision préliminaire, aux pages 4 à 8, indique ce qui suit à l’égard de l’identité de la personne versée dans l’art et de ses connaissances générales courantes escomptées :

[traduction]

À la page 3, la décision finale identifie la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes :

La personne versée dans l’art est une équipe composée d’un biochimiste, d’un biologiste moléculaire et d’un oncologue.

[…]

Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art comprennent la structure des anticorps, y compris celle de la région constante et des régions variables, la connaissance des types d’anticorps (p. ex. monoclonaux et polyclonaux) et des fragments de combinaison à l’antigène qui en découlent, le lien entre l’expression du récepteur HER2/Neu et le cancer, les anticorps monoclonaux connus qui se lient spécifiquement à l’anti-HER2/Neu (p. ex. Herceptin), l’activité du TGbRII en tant qu’immunomodulateur, ainsi que la construction et l’utilisation de protéines de fusion comportant une partie thérapeutique ciblée sur les cellules cancéreuses exprimant un antigène de surface spécifique en fusionnant ladite partie thérapeutique à un anticorps monoclonal.

La réponse à la décision finale, à la page 13, conteste ces deux caractéristiques et soutient que la caractérisation de la personne versée dans l’art en tant qu’équipe de professionnels de haut niveau dépasse la définition établie dans Beloit Canada Ltd c. Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF) [Beloit]. Cette caractérisation erronée de la personne versée dans l’art a mené à une combinaison déraisonnable et irréaliste de compétences et d’attributs de haut niveau qui ont été identifiés comme des connaissances générales courantes.

La réponse à la décision finale ne propose aucune autre identification de la personne versée dans l’art ou des connaissances générales courantes pertinentes.

En ce qui concerne la personne versée dans l’art, nous notons qu’après Beloit, plusieurs décisions judiciaires ont fourni un contexte supplémentaire en ce qui concerne l’identification. Par exemple, la Cour suprême du Canada a expliqué que même si la personne versée dans l’art est réputée ne posséder aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination, un mémoire descriptif de brevet s’adresse aux « aux personnes suffisamment versées dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention » : Whirlpool, au paragraphe 53. En outre, « dans le cas de brevets de nature hautement technique et scientifique, cette personne peut être quelqu’un qui possède un niveau élevé de connaissances scientifiques spécialisées et d’expertise dans le domaine spécifique des sciences dont relève le brevet » : Consolboard c. MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la page 525.

En outre, la personne versée dans l’art peut représenter un ensemble de scientifiques – des personnes hautement qualifiées et formées qui effectuent de la recherche scientifique pour faire progresser les connaissances dans un domaine d’intérêt – et des chercheurs : Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc [1995] 60 CPR (3d) 58, à la page 79

Le technicien fictif compétent peut être un ensemble de scientifiques, de chercheurs et de techniciens qui apportent leur expertise combinée pour s’attaquer au problème à l’étude : « Cela est particulièrement vrai lorsque l’invention se rapporte à une science ou à un art qui vise plusieurs disciplines scientifiques » (le juge Wetston dans l’affaire Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. non publiée, 21 septembre 1994, C.F. 1re inst., à la page 5 [maintenant publiée à 57 C.P.R. (3d) 488, à la p. 494, 82 F.T.R. 211]).

Compte tenu des considérations ci-dessus et après avoir examiné le mémoire descriptif dans son ensemble, nous sommes en désaccord avec les observations contenues dans la réponse à la décision finale selon lesquelles la caractérisation de la personne versée dans l’art présentée dans la décision finale n’est pas raisonnable. Par exemple, le paragraphe 2 de la présente description identifie le domaine technique de l’invention comme étant lié de façon générale « au domaine de production de protéines de fusion à utiliser dans la thérapie contre le cancer, et plus particulièrement aux séquences de nucléotides codant les protéines de fusion, où la fusion ou les polypeptides chimériques comprennent au moins une partie de ciblage et au moins une partie immunomodulatrice qui contrebalance la tolérance immunitaire des cellules cancéreuses ». En outre, l’objet des revendications au dossier concerne l’utilisation et la préparation d’une protéine de fusion chimérique dans laquelle la partie ciblage est un anticorps anti-HER2/Neu et la partie immunomodulatrice est le récepteur TGF-bRII.

Compte tenu du domaine technique auquel se rapporte la présente demande de brevet et de l’objet des revendications au dossier, nous estimons que la caractérisation de la personne versée dans l’art en tant qu’équipe comprenant un biochimiste, un biologiste moléculaire et un oncologue est raisonnable. Nous ajouterons que, selon notre opinion préliminaire, cette équipe connaît bien les concepts immunologiques et biologiques liés à la production d’anticorps thérapeutiques et à leur utilisation dans le traitement des cancers associés à la surexpression du récepteur HER2/Neu.

En ce qui concerne l’identification des connaissances générales courantes, nous émettons l’opinion préliminaire selon laquelle même si elles ont été fournies dans le contexte de l’analyse de l’évidence, les renseignements susmentionnés étaient également des connaissances générales courantes pertinentes à la date de publication de la présente demande.

Il est bien établi que les connaissances générales courantes sont limitées aux connaissances généralement connues des personnes du domaine de l’art ou de la science auxquelles se rapporte un brevet : Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, au par. 37 [Sanofi]; Free World Trust, au paragraphe 31. Par conséquent, les connaissances générales courantes concernent le sous-ensemble des brevets, des articles de journaux et des renseignements techniques, qui est généralement reconnu par des personnes versées dans l’art comme faisant partie des connaissances générales courantes dans le domaine auquel se rapporte un brevet.

Les ouvrages de référence établis (tels que les manuels, les articles de revue et les recueils, etc.) ou l’aspect courant démontré de certaines connaissances dans un certain nombre de divulgations dans le domaine sont pertinents à l’enquête : voir le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB) à la section12.02.02c, révisée en octobre 2019.

Comme il est expliqué au paragraphe 100 de la description, la pratique de l’invention utilisera « des techniques conventionnelles d’immunologie, de biologie moléculaire, de microbiologie, de biologie cellulaire et d’ADN recombinant, qui font partie de l’art ». Par conséquent, compte tenu du domaine technique auquel se rapporte la présente demande de brevet et de l’objet des revendications au dossier, nous considérons que les renseignements concernant les anticorps, le récepteur HER2, le récepteur TGFbRII et les protéines de fusion tels qu’ils sont énoncés dans la décision finale auraient été généralement connus par la personne versée dans l’art définie ci-dessus, qui est « suffisamment versée[…] dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention » : Whirlpool, au par. 53.

En ce qui concerne la connaissance de la structure des anticorps, nous notons que le Résumé des motifs présente deux références pour démontrer qu’il était de notoriété générale courante que la production recombinante d’anticorps dans les cellules ovariennes de hamster chinois entraîne une hétérogénéité de charge en raison de l’élimination partielle des résidus de lysine carboxyles terminaux de la chaîne lourde : Harris, R.J., « Processing of C-terminal lysine and arginine residues of proteins isolated from mammalian cell culture », Journal of Chromatography A, 705, pages 129 à 134(1995), et Perkins, M. et al., « Determination of the origin of charge heterogeneity in a murine monoclonal antibody », Pharmaceutical Research, vol. 17, no 9, pages 1 110 à 1 117 (2000).

Après avoir examiné ces deux références, nous sommes d’accord avec le fait que la perte de lysine carboxyle terminale sur une ou sur les deux chaînes lourdes d’anticorps est l’une des variantes structurelles les plus courantes observées dans la production en culture cellulaire. En outre, la conception des microvariants, y compris la suppression des résidus de lysine carboxyles terminaux (pour réduire le nombre de variantes de charge) afin d’améliorer l’homogénéité, était également bien connue, comme en témoignent les articles suivants : Beck, A. et al., « Strategies and challenges for the next generation of thérapeutique anticorps », Nature Reviews Immunology, vol. 10, pages 345 à 352 (2010) [Beck et al.], et Harris, R.J., « Heterogeneity of recombinant anticorps : structure de liaison à fonction » dans Mire-Sluis A.R., 122 éd., State of the Art Analytical Methods for the Characterization of Biological Products and Assessment of Comparability (Bâle, Suisse : Karger, 2005), pages 117 à 127 [Harris]. En ce qui a trait à la conception d’un anticorps variant avec une suppression de la lysine carboxyle terminale à chaîne lourde, Harris explique à la page 120 que « la présence ou l’absence de résidus de lysine de la chaîne lourde n’a aucun effet sur la liaison aux antigènes et n’est pas susceptible d’influencer les fonctions effectrices de Fc, la clairance ou toute autre propriété biologique. Selon notre avis préliminaire, les enseignements ci-dessus sont représentatifs de ce que la personne versée dans l’art définie ci-dessus connaîtrait ou croirait généralement en ce qui concerne les résidus de lysine carboxyles terminaux dans le contexte de la production d’anticorps thérapeutiques.

En ce qui concerne la production de protéines de fusion utilisant les cellules ovariennes de hamster chinois comme système d’expression, nous notons que le Résumé des motifs affirme que l’utilisation de ces cellules pour produire des protéines et des anticorps de fusion est bien connue dans l’art. Nous sommes d’accord avec le fait que les cellules ovariennes de hamster chinois sont l’un des systèmes d’expression de mammifères les plus courants utilisés pour la production de protéines recombinantes et d’anticorps thérapeutiques, comme en témoigne l’article suivant : Zhu, J., « Mammalian cell protéine expression for biopharmaceutical production », Biotechnology Advances, vol. 30, pages 1158 à 1170 (2011), disponible en ligne [Zhu]. En outre, Zhu explique que l’optimisation de l’expression des protéines dans ces cellules peut impliquer l’optimisation du codon, ce qui contrôle l’accumulation de lactate et les changements de température : voir pages 1162 à 1163. Selon notre avis préliminaire, les enseignements ci-dessus sont représentatifs de ce que la personne versée dans l’art définie ci-dessus connaîtrait ou croirait généralement en ce qui concerne l’optimisation de l’expression d’anticorps thérapeutiques dans les cellules ovariennes de hamster chinois.

[18] En l’absence d’observations de la part du demandeur, nous adoptons la définition ci-dessus de la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes aux fins de notre analyse finale.

 

Les revendications au dossier

[19] Il y a 14 revendications au dossier. Les revendications indépendantes 1 et 4 sont considérées comme représentatives des revendications indépendantes et se lisent comme suit :

[traduction]

  1. Une protéine de fusion chimérique comprenant au moins une partie de ciblage pour cibler une cellule cancéreuse et au moins une partie immunomodulatrice qui contrebalance la tolérance immunitaire, où la partie de ciblage et la partie immunomodulatrice sont liées par un espaceur d’acides aminés d’une longueur suffisante de résidus d’acides aminés afin que les deux parties puissent se lier avec succès à leurs cibles individuelles, où la portion immunomodulatrice est le récepteur bêta II du facteur de croissance transformant (TGFbRII) composé de la séquence d’acides aminés SEQ ID NO : 4; où l’espaceur d’acides aminés est composé de SEQ ID NO : 3; et où la partie de ciblage est un anticorps anti-HER2/Neu composé d’une chaîne lourde SEQ ID NO : 1 et d’une chaîne légère SEQ ID NO : 2, où SEQ ID NO : 4 est attaché par l’intermédiaire de l’espaceur d’acides aminés à l’extrémité C-terminale de la chaîne lourde SEQ ID NO : 1 ou de la chaîne légère SEQ ID NO : 2 de l’anticorps Anti-HER2/Neu, où la liaison de la partie immunomodulatrice TGF-bRII au facteur de croissance transformant bêta (TGFb) inhibe la prolifération des cellules cancéreuses.

  1. Une méthode de préparation de la protéine de fusion chimérique selon la revendication 1, la méthode comprenant les étapes suivantes :

préparer un vecteur d’expression comprenant une séquence de nucléotides optimisée en codon codant la protéine de fusion chimérique, où la séquence de nucléotides optimisée en codon comprend une augmentation des séquences CG pour l’expression des cellules ovariennes de hamster chinois (CHO) hôtes;

introduire le vecteur d’expression dans les cellules hôtes CHO capables d’expression transitoire ou continue;

introduire et cultiver les cellules hôtes CHO dans un milieu de fermentation dans des conditions appropriées pour la culture et permettre aux cellules hôtes CHO d’exprimer la protéine de fusion chimérique où le milieu de fermentation comprend un sel de zinc;

purifier la protéine de fusion chimérique exprimée pour fournir une protéine de fusion chimérique purifiée et, éventuellement, vérifier les capacités de liaison bispécifiques de la protéine de fusion chimérique à ses cibles.

[20] La revendication indépendante 2 est semblable à la revendication 1, mais précise en outre que la protéine de fusion chimérique est destinée à être utilisée pour lyser des cellules. De même, la revendication indépendante 3 définit l’utilisation de la protéine de fusion chimérique pour lyser des cellules.

[21] Les revendications dépendantes 5 à 14 définissent d’autres limites concernant le sel de zinc (revendications 5 à 7), la réduction du lactate (revendication 8), la température du milieu de fermentation (revendication 9), le nombre de cellules CHO (revendication 10), la purification de la protéine de fusion chimérique (revendications 11 à 13) et le stockage des protéines de fusion (revendication 14).

[22] En l’absence d’observations de la part du demandeur, nous adoptons la caractérisation précédente des revendications 1 et 4 comme étant représentatives des revendications indépendantes. De même, nous adoptons la caractérisation susmentionnée des revendications dépendantes 5 à 14 comme des revendications qui présentent d’autres limites concernant le sel de zinc, la réduction du lactate (revendication 8), la température du milieu de fermentation, le nombre de cellules CHO, la purification de la protéine de fusion chimérique et le stockage des protéines de fusion.

Éléments essentiels

[23] Comme il est énoncé ci-dessus, tous les éléments présentés dans une revendication sont présumés essentiels, à moins que le contraire soit établi ou qu’une telle présomption aille à l’encontre du libellé de la revendication. De plus, l’élément d’une revendication est essentiel lorsqu’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art que son omission ou son remplacement aurait un effet matériel sur le fonctionnement de l’invention : Free World Trust, au par. 55.

[24] La lettre de révision préliminaire, à la page 9, indique ce qui suit à l’égard des éléments des revendications que la personne versée dans l’art considérerait comme essentiels :

[traduction]

En ce qui a trait au libellé des revendications, notre opinion préliminaire est que la personne versée dans l’art lisant les revendications 1 à 14 dans le contexte du mémoire descriptif dans son ensemble, et tenant compte de ses connaissances générales courantes, comprendrait qu’il n’y a rien dans le libellé des revendications qui indique que l’un des éléments est optionnel, préféré ou autrement destiné à être non essentiel. Par conséquent, notre opinion préliminaire est que la personne versée dans l’art considérerait tous les éléments des revendications comme étant essentiels.

[25] En l’absence d’observations de la part du demandeur, nous adoptons la définition ci-dessus des éléments des revendications selon laquelle ces éléments sont essentiels aux fins de la présente recommandation.

Évidence

Contexte juridique

[26] L’article 28.3 de Loi sur les brevets exige que l’objet d’une revendication ne soit pas évident pour la personne versée dans l’art :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

  • a)qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

  • b)qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

[27] Dans Sanofi, au par. 67, la Cour suprême du Canada indique qu’il est utile, pour évaluer l’évidence, de suivre la démarche en quatre étapes présentée ci-dessous :

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

  • (2)Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

  • (3)Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation;

  • (4)Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituentelles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotentelles quelque inventivité?

Analyse

[28] La lettre de révision préliminaire, aux pages 11 à 16, explique que, selon notre avis préliminaire, les revendications 1 à 3 au dossier définissent un objet qui aurait été évident pour la personne versée dans l’art à la lumière de l’art antérieur cité et des connaissances générales courantes pertinentes, mais que les revendications 4 à 14 au dossier ne sont pas évidentes :

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes ont été définies dans le cadre de l’interprétation téléologique des revendications. Comme il a été expliqué ci-dessus, les renseignements sont considérés comme des connaissances générales courantes à la date de publication et à la date de revendication et sont donc pertinents pour évaluer l’évidence.

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

La décision finale, identifie, à la page 3, une seule idée originale pour les revendications au dossier :

[traduction]

L’idée originale des revendications en cause concerne une protéine de fusion dans laquelle le récepteur TGFbRII composé de SEQ ID NO : 4 est attaché par l’espaceur d’acides aminés constitué de SEQ ID NO : 3 à l’extrémité C-terminale de la chaîne lourde constituée de SEQ ID NO : 1 ou l’extréminté C-terminale de la chaîne légère consistant en SEQ ID NO : 2 d’un anticorps anti-HER2/Neu et dans lequel la protéine de fusion empêche la prolifération des cellules cancéreuses.

La réponse à la décision finale ne remet pas en question cette caractérisation et ne fait aucun commentaire à ce sujet.

Comme il est indiqué ci-dessus, notre opinion préliminaire est que la personne versée dans l’art considérerait tous les éléments des revendications comme étant essentiels et qu’ils devraient donc être reflétés dans les idées originales des revendications. Par conséquent, aux fins de cette évaluation, nous tenons compte de tous les éléments essentiels des revendications. Notre opinion préliminaire est que la combinaison des éléments essentiels des revendications indépendantes 1 à 4 représente également leurs idées originales.

Notre opinion préliminaire est également que les éléments des revendications dépendantes relatives au sel de zinc, à la réduction du lactate, à la température du milieu de fermentation, au nombre de cellules CHO, à la purification de la protéine de fusion chimérique et au stockage des protéines de fusion, comme indiqué ci-dessus, font partie des idées originales respectives des revendications dépendantes 5 à 14.

Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation

La décision finale cite le document suivant comme art pertinent :

D1 : WO 2011/109789 A2 Bedi et Ravi Le 9 septembre 2011

Le D1 divulgue des protéines de fusion chimériques qui seront utilisées dans le traitement du cancer. Les protéines de fusion chimériques comprennent une partie de ciblage pour cibler une cellule cancéreuse qui est liée par un espaceur d’acides aminés à une partie immunomodulatrice qui contrebalance la tolérance immunitaire. Le document divulgue spécifiquement une protéine de fusion chimérique formée d’un anticorps anti-HER2/Neu en tant que partie de ciblage pour cibler les cellules cancéreuses exprimant le récepteur HER2 et le domaine extracellulaire du récepteur bêta II du facteur de croissance transformant (TGF- bRII) en tant que partie immunomodulatrice, qui se lie au TGF-b pour empêcher la prolifération des cellules cancéreuses. Le domaine extracellulaire du récepteur TGF- bRII peut être fusionné soit au carboxyle terminal de la région Fc de la chaîne lourde d’anticorps anti-HER2/Neu, soit à la chaîne légère : voir le paragraphe 182. La figure 2 du D1 présente une incarnation d’une protéine de fusion chimérique comprenant une chaîne lourde d’anticorps anti-HER2/Neu liée par l’intermédiaire d’un espaceur d’acides aminés au domaine extracellulaire du récepteur TGF- bRII composé de SEQ ID NO : 1 et une chaîne légère d’antigène anti-HER2/Neu composée de SEQ ID NO : 70.

Notre opinion préliminaire est que la principale différence entre les idées originales des revendications au dossier et du D1 réside dans la séquence précise de la protéine de fusion chimérique comprenant la chaîne lourde d’anticorps anti-HER2/Neu et le domaine extracellulaire du récepteur TGFb-RII. Dans le D1, la séquence d’acides aminés de la chaîne lourde de l’anticorps anti-HER2/Neu contient une lysine carboxyle terminale, cependant, dans les revendications au dossier, cette lysine carboxyle terminale est absente.

Les différences supplémentaires par rapport aux revendications 4 à 14 au dossier comprennent le système d’expression utilisé pour la production de la protéine de fusion chimérique, la conception du vecteur d’expression, les conditions de culture et les conditions de purification et de stockage de la protéine de fusion chimérique.

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituentelles des étapes évidentes pour la personne versée dans lart ou dénotentelles quelque inventivité?

Bien que la Cour, dans Sanofi, prévoit une approche en quatre étapes pour trancher la question de l’évidence, il est important de se souvenir que l’analyse de l’évidence concerne la question de savoir si rapprocher la différence entre l’art antérieur et un second point constitue des étapes qui nécessitent un degré quelconque d’inventivité : Société BristolMyers Squibb Canada c. Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76, au par. 65.

Il pourrait être utile de garder à l’esprit que l’analyse de l’évidence vise à vérifier si la personne versée dans l’art peut rapprocher deux points dans le perfectionnement de la technique en se fondant uniquement sur ses connaissances générales courantes. Si tel est le cas, il y a évidence. Le premier de ces points concerne l’état de la technique à la date pertinente. Dans la jurisprudence, les mentions de l’« idée originale », du « concept inventif », de la « solution enseignée par le brevet », de « ce qui est revendiqué » ou simplement de « l’invention » tentent de définir le second point.

En l’espèce, notre opinion préliminaire est qu’il faut se demander s’il était nécessaire que la personne versée dans l’art ait un degré quelconque d’invention, à la lumière du D1 et des connaissances générales courantes pertinentes, pour utiliser une protéine de fusion chimérique comprenant un anticorps anti-HER2/Neu et le domaine extracellulaire du récepteur TGFb-RII, où la lysine carboxyle terminale de la chaîne lourde est absente, pour lyser les cellules cancéreuses qui expriment le récepteur HER2/Neu et empêcher la prolifération de ces cellules. Il faut aussi se demander s’il était nécessaire que la personne versée dans l’art ait un degré quelconque d’invention, à la lumière du D1 et des connaissances générales courantes pertinentes, afin d’utiliser un système d’expression comprenant des sels de zinc pour réduire l’accumulation de lactate pendant la culture.

Comme expliqué ci-dessus, la personne versée dans l’art aurait connu, à la lumière du D1, la séquence d’une protéine de fusion chimérique comprenant un anticorps anti-HER2/Neu et le domaine extracellulaire du récepteur TGFb-RII. L’anticorps anti-HER2/Neu agit comme la partie de ciblage qui lie spécifiquement le récepteur HER2/Neu tandis que le domaine extracellulaire du récepteur TGFb -RII agit comme la partie immunomodulatrice et inhibe l’activité ou la fonction du récepteur TGFb pour contrer la tolérance immunitaire induite par la tumeur.

En outre, la perte de lysine carboxyle terminale sur une ou sur les deux chaînes lourdes d’anticorps est l’une des variantes structurelles les plus courantes observées dans la production en culture cellulaire, y compris les cellules ovariennes de hamster chinois, ce qui entraîne une hétérogénéité de charge. En fait, la conception des microvariants, y compris la suppression des résidus de lysine carboxyles terminaux (pour réduire le nombre de variantes de charge) afin d’améliorer l’homogénéité, était également bien connue : voir Beck, A. et al., et Harris. À notre avis préliminaire, la personne versée dans l’art aurait été motivée à supprimer le résidu carboxyle terminal de la chaîne lourde de l’anticorps anti-HER2/Neu afin d’améliorer l’homogénéité.

En outre, la production de ces variantes pourrait être facilement réalisée à l’aide des « des techniques conventionnelles d’immunologie, de biologie moléculaire, de microbiologie, de biologie cellulaire et d’ADN recombinant, qui font partie de l’art » : voir le mémoire descriptif, au para 100. En effet, il n’y aurait qu’à apporter une seule modification d’acide aminé, soit la suppression de la lysine carboxyle terminale de la chaîne lourde de l’anticorps anti-HER2/Neu, aux séquences fournies dans le D1, pour arriver à la séquence précise présentée dans les revendications au dossier.

En outre, étant donné le rôle de l’anticorps anti-HER2/Neu comme partie de ciblage, nous estimons à titre préliminaire que la personne versée dans l’art, compte tenu des connaissances générales courantes mentionnées ci-dessus, aurait pu s’attendre à ce que la suppression de la lysine carboxyle terminale de la chaîne lourde n’ait aucune incidence sur la capacité d’un variant de l’anticorps anti-HER2/Neu à se lier au récepteur HER2/Neu : voir Harris.

La protéine de fusion chimérique revendiquée a une structure différente de la protéine de fusion divulguée dans le D1, certes, mais la seule différence d’acide aminé ne semble pas être associée à un effet précédemment inconnu ou inattendu. À cet égard, nous notons que les exemples à l’appui dans la présente description se limitent à l’expression et à la caractérisation d’une protéine de fusion chimérique comprenant un anticorps anti-HER2/Neu et le domaine extracellulaire du récepteur TGFb -RII où la lysine carboxyle terminale à chaîne lourde est présente : voir l’exemple 1, NO SEQ ID : 12 et 13, figure 40. Il n’y a pas d’expression ou de caractérisation d’une protéine de fusion chimérique correspondante où la lysine carboxyle terminale de la chaîne lourde a été supprimée.

À la lumière de ce qui précède, notre opinion préliminaire est que la personne versée dans l’art n’aurait pas eu besoin d’avoir un degré quelconque d’invention pour utiliser une protéine de fusion chimérique comprenant un anticorps anti-HER2/Neu et le domaine extracellulaire du récepteur TGFb-RII, où la lysine carboxyle terminale de la chaîne lourde est absente, pour lyser les cellules cancéreuses qui expriment le récepteur HER2/Neu et empêcher la prolifération de ces cellules. Par conséquent, nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que l’objet des revendications 1 à 3 est évident compte tenu du D1 et à la lumière des connaissances générales courantes.

En outre, compte tenu de nos constatations préliminaires selon lesquelles la personne versée dans l’art aurait su qu’il était souhaitable, dans le contexte de la production d’anticorps thérapeutiques, de retirer la lysine carboxyle terminale de la chaîne lourde de l’anticorps anti-HER2/Neu afin d’améliorer l’homogénéité de la charge, il n’est pas nécessaire de mener une analyse de l’essai allant de soi à ce stade du processus de révision.

En ce qui concerne la production d’une protéine de fusion chimérique, le D1 dit simplement que [traduction] « les protéines de fusion de l’invention peuvent être produites à l’aide d’une cellule hôte bien connue dans l’art ». Par conséquent, même si les cellules ovariennes de hamster chinois ne sont pas explicitement divulguées dans le D1, elles sont l’un des systèmes d’expression de mammifères les plus courants utilisés pour la production de protéines recombinantes et d’anticorps thérapeutiques. Par conséquent, nous sommes d’avis préliminaire que la personne versée dans l’art lisant le D1 considérerait les cellules ovariennes de hamster chinois comme un exemple de « cellule hôte bien connue dans l’art » pour la production de protéines de fusion. En outre, comme il a été indiqué plus tôt, il relevait également des connaissances générales communes que l’optimisation de l’expression des protéines dans ces cellules peut impliquer l’optimisation du codon, ce qui contrôle l’accumulation de lactate et les changements de température : voir Zhu, aux pages 1162 à 1163.

Cependant, l’utilisation de sels de zinc pour contrôler l’accumulation de lactate n’est pas divulguée dans le D1 et ne fait pas partie des connaissances générales courantes décrites ci-dessus. Par conséquent, nous sommes d’avis préliminaire qu’il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art que l’ajout d’un sel de zinc au milieu de fermentation contrôlerait l’accumulation de lactate au cours de la culture. Par conséquent, nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que l’objet de la revendication 4 de la méthode et des revendications dépendantes de celle-ci n’est pas évident.

Conclusion concernant l’évidence

À la lumière de ce qui précède, notre opinion préliminaire est que les revendications 1 à 3 au dossier visent un objet qui aurait été évident pour la personne versée dans l’art, à la date pertinente, compte tenu du D1 et des connaissances générales courantes, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Nous sommes également d’avis préliminaire que les revendications 4 à 14 au dossier visent un objet qui est conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[29] En l’absence d’observations du demandeur, nous adoptons le raisonnement qui précède et concluons que les revendications 1 à 3 au dossier visent un objet qui aurait été évident pour la personne versée dans l’art, à la date pertinente, compte tenu du D1 et des connaissances générales courantes, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Nous concluons également que les revendications 4 à 14 au dossier définissent un objet qui est conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

Caractère indéfini

Contexte juridique

[30] Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets exige que les revendications définissent distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention :

Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

[31] Dans Minerals Separation North American Corp c. Noranda Mines Ltd, [1947] EX CR 306, à la p. 352, 12 CPR 99, la Cour a souligné l’obligation du demandeur de préciser dans les revendications la portée du monopole recherché, ainsi que l’exigence selon laquelle les termes utilisés dans les revendications sont clairs et précis :

[traduction]

En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.

Analyse

[32] La lettre de révision préliminaire, aux pages 16 à 18, explique pourquoi notre opinion préliminaire est que les revendications 1 à 3 au dossier sont indéfinies :

[traduction]

La décision finale, à la page 7, indique que les revendications 1 à 3 sont indéfinies parce qu’on ne sait pas combien de copies de la partie ciblage et de la partie immunomodulatrice sont présentes dans la protéine de fusion et parce que le type de cellules cancéreuses inhibées par la protéine de fusion chimérique n’est pas identifié :

[Mis en évidence dans l’original] Ces revendications font état d’une protéine de fusion comprenant au moins une partie de ciblage et définissent aussi la portion de ciblage comme étant l’anticorps anti-HER2/Neu composé de la chaîne lourde SEQ ID NO : 1 et de la chaîne légère SEQ ID NO : 2, ce qui fait qu’il est difficile de savoir si au moins une partie de ciblage est une copie de l’anticorps anti-HER2/Neu ou peut inclure plusieurs copies dudit anticorps anti-Her2/Neu, ce qui cause un manque de clarté. De façon analogue, ces revendications font état d’au moins une partie immunomodulatrice et définissent davantage la partie immunomodulatrice comme étant le récepteur TGFbRII, ce qui fait qu’il est difficile de savoir si au moins une partie immunomodulatrice est une copie du récepteur TGFbRII ou si elle peut comprendre plusieurs copies dudit récepteur TGFbRII, ce qui cause un manque de clarté. En plus de ce qui précède, la virgule « , » semble superflue dans le contexte du terme « facteur de croissance transformant, récepteur bêta II ».

[…]

Le type de cellules cancéreuses inhibées par la protéine de fusion chimérique n’est pas identifié, causant ainsi un manque de clarté. La protéine de fusion chimérique des revendications susmentionnées n’inhibera que la prolifération (revendications 1 à 3) de cellules cancéreuses exprimant la protéine HER2/Neu ou les lysera (revendication 2). Les cellules cancéreuses qui n’expriment pas la protéine HER2/Neu ne seront pas affectées par ladite protéine de fusion chimérique.

La réponse à la décision finale ne fait aucun commentaire à cet égard et ne conteste pas les opinions ci-dessus; elle soutient plutôt que les revendications proposées « sont sous une forme acceptable ».

Après avoir examiné les revendications 1 à 3, nous sommes d’accord avec la décision finale selon laquelle les revendications 1 à 3 font référence à des protéines de fusion chimériques qui ne sont pas clairement définies. Cependant, nous ne sommes pas d’accord pour dire que la cellule cancéreuse énoncée dans les revendications 1 à 3 doit être définie comme exprimant la protéine HER2/Neu.

Le test pour déterminer la clarté d’une revendication assimile les termes employés dans une revendication à des barrières qui en définissent les frontières. Il considère également que le « public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque ». Nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que la personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de déterminer facilement la portée du monopole défini par les protéines de fusion chimériques des revendications 1 à 3. On ignore combien de copies de la partie ciblage et combien de copies de la partie immunomodulatrice sont censées être présentes dans les protéines de fusion chimériques envisagées.

Cependant, à notre avis préliminaire, la personne versée dans l’art comprendrait que la portée des cellules cancéreuses dans les revendications 1 à 3 se limite aux cellules cancéreuses qui expriment la protéine HER2/Neu étant donné que la partie ciblage est un anticorps anti-HER2/Neu. Étant donné que ces revendications présentent d’autres irrégularités en matière de clarté, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, nous sommes d’avis préliminaire que les revendications 1 à 3 ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[33] En l’absence d’observations de la part du demandeur, nous adoptons le raisonnement précédent et concluons que les revendications 1 à 3 au dossier sont indéfinies, en contravention au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

Les revendications proposées ne corrigent pas les irrégularités

[34] Comme il est indiqué ci-dessus, avec la réponse à la décision finale, le demandeur a présenté les revendications proposées 1 à 11. Après avoir examiné les revendications proposées, nous constatons que la revendication 1 au dossier a été modifiée pour corriger les irrégularités de clarté relevées dans la décision finale et que les revendications 2 et 3 au dossier ont été annulées. En outre, la revendication 4 au dossier a été modifiée pour inclure les limites de la revendication 6 au dossier et la revendication 6 au dossier a été annulée.

[35] Selon la page 2 du Résumé des motifs, la revendication 1 proposée a une portée similaire aux revendications 1 à 3 rejetées dans la décision finale et ne permet pas de corriger l’irrégularité liée à l’évidence. En outre, la revendication 1 proposée introduit une nouvelle irrégularité liée au manque de clarté.

[36] La lettre de révision préliminaire, aux pages 18 et 19, explique notre opinion préliminaire selon laquelle la revendication 1 proposée ne corrigerait pas l’irrégularité liée à l’évidence et que la revendication 1 proposée est plus encore indéfinie :

[traduction]

En ce qui concerne l’irrégularité relative à l’évidence relevée ci-dessus pour les revendications 1 à 3 au dossier, puisqu’il n’y a pas de différence significative entre les revendications, notre opinion préliminaire est que la revendication 1 proposée ne serait pas conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets pour les mêmes motifs que ceux indiqués ci-dessus pour les revendications 1 à 3 au dossier.

En ce qui concerne l’irrégularité liée à la clarté dans la revendication 1 proposée, le Résumé des motifs indique à la page 2 les raisons pour lesquelles la revendication 1 proposée est considérée comme indéfinie :

La clause « SEQ ID NO: 4 par une liaison peptidique est fixée à l’espaceur d’acides aminés et une liaison peptidique à l’extrémité C-terminale de la chaîne lourde SEQ ID NO : 1 ou de la chaîne légère SEQ ID NO : 2 de l’anticorps anti-HER2/Neu » est intrinsèquement ambiguë. Un espaceur, par définition, est un connecteur qui intervient entre deux parties, dans ce cas entre la partie SEQ ID NO : 4 et l’extrémité C-terminale de l’une des deux chaînes d’anticorps. Le libellé ci-dessus donne à penser que SEQ ID NO : 4 est attaché directement, par l’intermédiaire de son extréminté N-terminale, à l’extréminté C-terminale de l’une des deux chaînes d’anticorps et, par son extréminté C-terminale, à l’espaceur, ajoutant ainsi l’espaceur à l’extréminté C-terminale des protéines de fusion au lieu de l’insérer entre les deux composantes de celles-ci.

Après avoir examiné la revendication 1 proposée, nous nous entendons à titre préliminaire sur le fait qu’elle est défectueuse pour les mêmes motifs que ceux décrits dans le Résumé des motifs. Telle que formulée, la revendication 1 proposée prévoit que « la partie ciblage et la partie immunomodulatrice sont liées par un espaceur d’acides aminés ». Cependant, la revendication 1 proposée donne aussi à penser que l’espaceur est seulement attaché à la partie immunomodulatrice constituée de la séquence d’acides aminés de SEQ ID NO : 4. Par conséquent, l’emplacement de l’espaceur d’acides aminés dans la protéine de fusion chimérique n’est pas clair et nous estimons à titre préliminaire que la revendication 1 proposée n’est pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

Conclusion concernant les revendications proposées

Nous sommes donc d’avis préliminaire que la revendication 1 proposée n’est pas conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets ou au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets. Par conséquent, notre opinion préliminaire est que les modifications proposées ne satisfont pas aux exigences d’une modification nécessaire en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

[37] En l’absence d’observations de la part du demandeur, nous adoptons le raisonnement précédent et concluons que les modifications proposées ne satisfont pas aux exigences d’une modification nécessaire en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

Conclusions

[38] Nous avons déterminé que les revendications 1 à 3 au dossier sont évidentes, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, et que les revendications 1 à 3 sont de plus indéfinies, en contravention du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[39] Nous avons également conclu que les revendications 4 à 14 au dossier ne sont pas évidentes et sont conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[40] À notre avis, la revendication 1 proposée soumise avec la réponse à la décision finale ne corrigerait pas l’irrégularité liée à l’évidence et est encore indéfinie. Par conséquent, les revendications proposées 1 à 11 ne sont pas considérées comme une modification nécessaire pour se conformer à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, comme l’exige le paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.


 

Recommandation de la Commission

[41] Compte tenu de ce qui précède, le comité recommande que le demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets, que la modification particulière suivante est nécessaire aux fins de conformité avec la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets et que vous avez l’intention de rejeter la demande à moins que cette modification, et seulement cette modification, soit apportée :

  • la suppression des revendications 1 à 3 au dossier;

  • la renumérotation des autres revendications en conséquence.

 

 

 

 

Christine Teixeira

Marcel Brisebois

Maria Mill

Membre

Membre

Membre


 

Décision du commissaire

[42] Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le demandeur que la modification suivante, et qu’uniquement cette modification, doit être apportée conformément à l’alinéa 200 b) des Règles sur les brevets, dans les trois (3) mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends rejeter la demande :

· la suppression des revendications 1 à 3 au dossier;

· la renumérotation des autres revendications en conséquence.

Konstantinos Georgaras

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

ce 17e jour de juillet 2023.

 

 

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