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Référence : She (Re), 2023 CACB 9

Décision du commissaire no1642

Commissioner’s Decision #1642

Date : 2023-03-13

SUJET :

G00

Utilité

TOPIC:

G00

Utility

Demande no 2 950 696

Application No : 2,950,696

 


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 199(1) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251), la demande de brevet numéro 2 950 696, a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 86(7)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission d’appel des brevets et la décision du commissaire sont de rejeter la demande.

Demandeur :

XIAO-DONG SHE

16 ½, avenue Marier,

bureau 1

Ottawa (Ontario) K1L 5S5


Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 950 696 intitulée « Installation de puissance d’entraînement à mouvement perpétuel » et appartenant à Xiao-Dong She (le « Demandeur »). Un comité de la Commission d’appel des brevets (« nous ») a examiné la demande en vertu de l’alinéa 86(7)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). Nous recommandons au commissaire des brevets de refuser la demande pour les motifs énoncés ci-dessous.

Contexte

La demande

[2] La demande, déposée le 5 décembre 2016, concerne en général la génération d’électricité pour un train à mouvement perpétuel. Il y a dix revendications au dossier qui ont été reçues au Bureau des brevets le 18 décembre 2019.

Historique de la poursuite

[3] Le 10 février 2021, l’examinateur a rendu une décision finale conformément au paragraphe 86(5) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). La décision finale a conclu que l’invention revendiquée manquait d’utilité, en contravention à la définition d’invention fournie à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[4] Le demandeur a soumis une réponse à la décision finale, reçue le 10 juin 2021.

[5] L’examinateur n’a pas été convaincu par les arguments du demandeur dans la réponse à la décision finale. Par conséquent, la demande a été transmise à la Commission d’appel des brevets aux fins de révision le 25 novembre 2021, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs.

[6] Nous avons révisé la demande au nom de la Commission en vertu de l’alinéa 87(7)c) des Règles sur les brevets. Dans une lettre de révision préliminaire (« lettre de RP ») en date du 2 décembre 2022, nous avons analysé la question de l’utilité à l’égard du mémoire descriptif au dossier. Nous avons également invité le demandeur à présenter des observations orales ou écrites.

[7] Le demandeur a fourni une réponse écrite à la lettre de RP, reçue le 3 janvier 2023, ainsi que des revendications proposées, reçues le 12 janvier 2023. Le demandeur a participé à une audience tenue par audioconférence le 13 janvier 2023.

Questions

[8] La seule question à aborder dans cette révision est celle cernée dans la décision finale :

  • Les revendications 1 à 10 au dossier visent-elles un objet qui a de l’utilité et qui est conforme à la définition d’invention fournie à l’article 2 de la Loi sur les brevets?

[9] Nous examinons également les revendications proposées.

Tous les éléments revendiqués sont présumés être essentiels

[10] Le point de départ de l’analyse est l’interprétation téléologique des revendications.

[11] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 et Whirlpool corp. c. Camco Inc, 2000 CSC 67, l’interprétation téléologique est faite du point de vue de la personne versée dans l’art compte tenu des connaissances générales courantes pertinentes, à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins. En plus d’interpréter le sens des termes d’une revendication, l’interprétation téléologique distingue les éléments essentiels de la revendication des éléments non essentiels. La question de savoir si un élément est essentiel dépend de l’intention exprimée dans la revendication ou déduite de celle-ci et de la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une variante a une incidence matérielle sur le fonctionnement de l’invention.

[12] L’interprétation téléologique commence par la définition de la personne versée dans l’art et de ses connaissances générales courantes.

[13] Notre perspective de la personne versée dans l’art et des connaissances générales courantes est telle que celles que nous avons décrites dans la lettre de RP :

[traduction]

Selon notre opinion préliminaire, la personne versée dans l’art et un ingénieur ou une équipe d’ingénieurs possédant de l’expertise dans la conception de trains électriques, de batteries et de générateurs. Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art comprendraient l’ingénierie électrique, plus particulièrement la technologie de machines électriques et de batteries, l’ingénierie mécanique, plus particulièrement les systèmes ferroviaires et les locomotives, les générateurs, les moteurs à vapeur et à diesel et les transmissions, ainsi que les principes physiques fondamentaux, y compris les lois de la thermodynamique.

[14] Le demandeur n’a pas commenté notre caractérisation de la personne versée dans l’art et des connaissances générales courantes et nous les adoptions pour nos motifs.

[15] La revendication indépendante1 est représentative de l’invention et se lit comme suit :

[traduction]

Une centrale électrique à train en mouvement perpétuel qui est composé d’une batterie à puissance infinie, d’un moteur électrique, d’une locomotive, de 99 wagons couverts, de 99 générateurs à puissance infinie, d’un chargeur, d’une voie ferrée, de lignes électriques suspendues, d’arcs électriques, sa caractéristique étant : la batterie démarre le moteur électrique, ensuite la locomotive tire 99 wagons couverts sur la voie ferrée; en même temps, la chaîne de roues entraîne 99 générateurs pour générer de l’électricité et les générateurs peuvent charger la batterie rapidement et automatiquement; ainsi, la batterie devient une batterie à puissance infinie.

[16] Compte tenu de l’ensemble du mémoire descriptif, la personne versée dans l’art comprendrait qu’il n’y a aucun emploi de libellé dans la revendication 1 qui indiquerait qu’un des éléments de la revendication est facultatif ou qu’il s’agit d’une des solutions de rechange. Par conséquent, à notre avis, tous les éléments cités dans la revendication sont essentiels. Tous les éléments des revendications 2 à 10 sont, dans le même ordre d’idées, essentiels. Nous estimons que la personne versée dans l’art comprendrait que l’objet de la revendication 1 est un train à mouvement perpétuel qui n’a besoin d’aucune source d’énergie externe ou qui s’épuise une fois démarré au moyen de l’utilisation d’une batterie à puissance infinie et de générateurs de puissance infinie. Lors de l’audience, le demandeur a confirmé que la signification prévue est le fonctionnement perpétuel du train sans aucune autre entrée d’énergie une fois démarré.

L’invention revendiquée a-t-elle de l’utilité?

[17] Nous estimons que l’invention revendiquée manque d’utilité subséquemment à l’analyse suivante.

[18] L’utilité est requise par l’article 2 de la Loi sur les brevets [notre soulignement] :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[19] « Utilité » signifie non seulement que l’invention, si elle fonctionne, doit être quelque chose d’utile, mais qu’elle telle que revendiquée. Il ne fait aucun doute qu’un train en mesure de rouler à perpétuité et de générer de l’électricité serait utile s’il fonctionnait. La description souligne à la page 2 les problèmes de la pollution au carbone et de l’augmentation des températures climatiques. La question est de savoir si la centrale électrique à entraînement, telle que revendiquée, fonctionnerait en fait en perpétuité.

[20] Dans AstraZeneca Canada Inc c. Apotex Inc, 2017 CSC 36, au paragraphe 53, la Cour suprême du Canada a indiqué que « [c]e qui constitue une utilité acceptable variera en fonction de l’objet de l’invention cerné à la suite de l’interprétation des revendications » et a présenté l’approche qui devrait être entreprise pour déterminer si un brevet divulgue une invention avec suffisamment d’utilité en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets :

[54] Pour déterminer si un brevet divulgue une invention dont l’utilité est suffisante au sens de l’art. 2, les tribunaux doivent procéder à l’analyse suivante. Ils doivent d’abord cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet. Puis, ils doivent se demander si cet objet est utile – c’estàdire, se demander s’il peut donner un résultat concret.

[55] La Loi ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle ne prévoit pas non plus que chaque utilisation potentielle doit être réalisée — une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante, et l’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt : AZT, par. 56.

L’utilité n’a pas été démontrée

[21] L’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt. L’utilité ne peut pas être étayée par les éléments de preuve et les connaissances qui ne sont devenues disponibles qu’après cette date (voir Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 [AZT], au para 56, cité dans le passage ci-dessus).

[22] Lorsque l’utilité d’une invention doit être établie au moyen d’une démonstration, la démonstration doit avoir eu lieu à la date de dépôt, mais n’a pas nécessairement à être incluse dans la description (voir Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 1016, aux paragraphes 138 à 142). Les données démontrant l’utilité à la date dépôt peuvent être fournie par le demandeur après la date de dépôt par voie d’un affidavit.

[23] L’exigence de démontrer l’utilité ou de s’assurer qu’elle est l’objet d’une prédiction valable est établie en plus de détails à la section 19.01.02 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB), révisée en novembre 2017 (OPIC).

[24] Comme nous l’avons écrit dans la lettre de RP, la demande ne décrit aucune démonstration du train à mouvement perpétuel ou des batteries et générateurs à puissance infinie. La réponse du demandeur à la décision finale décrit, au début de la page 3, une expérience où une lourde voiture est poussée sur le côté du chemin. Cela ne démontre pas un train avec des roues branchées à des générateurs, générant de l’électricité pour charger des batteries en vue d’entraîner un moteur électrique à perpétuité. Le demandeur n’a introduit aucune démonstration de l’utilité dans la réponse à la lettre de RP ou lors de l’audience.

L’utilité ne fait pas l’objet d’une prévision valable

[25] Puisque le demandeur n’a pas démontré le train à mouvement perpétuel à la date de dépôt, nous nous penchons donc sur la prévision valable, l’autre moyen pour établir si une invention fonctionnera telle que revendiquée.

[26] Le principe de la prévision valable prévoit l’établissement de l’utilité alléguée, même lorsque cette utilité n’a pas été pleinement vérifiée à la date de dépôt. Cependant, une demande de brevet doit fournir un « enseignement valable » quant à la façon dont l’invention revendiquée fonctionne, plutôt que de la « simple spéculation » (AZT, au paragraphe 69).

[27] La question de savoir si une prédiction est valable est une question de fait (AZT, au paragraphe 71). L’évaluation d’une prédiction valable devrait être fondée sur trois éléments (ATZ, au paragraphe 70) :

  • la prédiction doit avoir un fondement factuel;

  • à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

  • il doit y avoir divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement.

[28] Ces éléments sont évalués du point de vue de la personne versée dans l’art à qui s’adresse la demande de brevet, tenant compte de ses connaissances générales courantes. De plus, à l’exception des connaissances générales courantes, le fondement factuel et le raisonnement doivent être inclus dans la demande de brevet (voir Bell Helicopter Textron Canada Ltd c. Eurocopter SAS, 2013 CAF 219, aux paragraphes 152 et 153).

[29] Comme nous l’avons écrit dans la lettre de RP, nous estimons que les revendications exigent que le train fonctionne à perpétuité, alimenté par l’électricité fournie par les générateurs entraînés par les roues sur les wagons couverts. Nous ne trouvons aucun fondement factuel pour ces prédictions au‑delà de l’implication que, puisqu’il y a 99 wagons couverts, il y a de nombreux générateurs, alimentant présumément une grande quantité d’électricité.

[30] Comme nous l’avons écrit dans la lettre de RP, la personne versée dans l’art, connaissant les principes thermodynamiques et les machines électriques, saurait que lorsqu’un générateur convertit l’énergie cinétique en énergie électrique, et lorsqu’une batterie stocke de l’énergie chimique, il y a une perte nette d’énergie puisqu’une partie de l’énergie est perdue sous la forme de chaleur et de son. La personne versée dans l’art connaîtrait également les machines électriques et saurait que, lorsqu’un générateur tourne, le courant qui est transféré du générateur à une charge crée un champ magnétique qui exerce un couple dans la direction opposée de la rotation (force de freinage magnétique). À titre d’exemple, la personne versée dans l’art se tournerait vers les voitures électriques. De telles voitures contiennent des générateurs pour charger la batterie au cours du freinage. La génération de l’électricité à partir du mouvement des roues entraîne une force de freinage magnétique appliquée aux roues dans la direction inverse de rotation, ralentissant la voiture. De telles voitures nécessitent un chargement externe, puisque l’électricité générée au cours du freinage n’est pas suffisante pour fournir l’électricité nécessaire pour conduire la voiture à perpétuité. La personne versée dans l’art réaliserait que l’ajout de 99 générateurs augmenterait la force de freinage magnétique et la friction et ne multiplierait pas la capacité de générer de l’électricité en continu.

[31] Dans la réponse à la lettre de RP, lors de l’audience, le demandeur a souligné la quantité nombreuse de wagons couverts générateurs. Le demandeur a affirmé que, même si un wagon générateur est seulement efficient à 95 %, 99 de tels wagons auraient une efficience de 95 % × 99, ou une efficience de 9 400 %.

[32] Nous estimons que la personne versée dans l’art reconnaîtrait que l’efficience de chaque wagon ne s’additionne pas. Chaque wagon ajoute plus de friction et de force de freinage magnétique et donc l’efficience globale n’atteindrait pas 100 % ou plus.

[33] Nous estimons que la demande ne fournit ni un fondement valable pour la prédiction de l’utilité ni un raisonnement robuste pour prédire l’utilité. La prédiction du mouvement perpétuel ignore les lois de la physique incluses dans les connaissances générales courantes, y compris la force de freinage magnétique, la friction et la thermodynamique.

[34] Les revendications 2 à 10, lesquelles dépendent de la revendication 1, manquent également d’utilité pour les mêmes raisons. Elles revendiquent également la génération suffisante d’électricité par les générateurs pour alimenter à tout le moins suffisamment d’électricité pour entraîner le train, ce qui serait en contravention aux lois de la thermodynamique incluses dans les connaissances générales courantes.

Conclusion

[35] Nous estimons que la demande ne fournit ni une démonstration ni une prédiction valable de l’utilité de l’invention revendiquée. L’objet revendiqué manque donc d’utilité et n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Les revendications proposées ne corrigent pas l’irrégularité de l’utilité

[36] Dans une présentation reçue le 12 janvier 2021, le demandeur propose de changer seulement la revendication dépendante 4 comme suit :

[traduction]

La centrale électrique à train à mouvement perpétuel, selon la revendication 1, comprend également : des locomotives préparées, dont leurs caractéristiques sont : pour renforcer la force motrice du train, et au total 8 locomotives sont préparées, après chaque groupe de 33 wagons couverts ou de 11 wagons couverts peut être insérée ou ajoutée une locomotive, alors le train sera plus rapide et plus puissant. L’on peut ajouter ou insérer 2 locomotives, et au maximum ajouter ou insérer 8 locomotives, aux 99 wagons couverts et 99 générateurs.

[37] Nous estimons que le changement du ratio entre les wagons couverts et les locomotives ne modifie pas l’analyse. Il n’y a aucune démonstration que cette disposition fonctionnerait et il n’y a aucune prédiction valable. La personne versée dans l’art reconnaîtrait que l’ajout d’autres locomotives réduirait le couple par moteur requis pour démarrer le train, mais nécessiterait le même couple, ou plus en général, qu’une seule locomotive. Par conséquent, le train nécessiterait une quantité correspondante d’électricité et de batteries pour fournir l’énergie générale requise. Les wagons couverts ne généreraient pas une quantité suffisante d’électricité pour remplacer celle requise pour entraîner les moteurs électriques.

[38] Par conséquent, nous concluons que les revendications proposées manquent d’utilité et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Le comité recommande le refus

[39] Nous recommandons au commissaire aux brevets de refuser d’accorder un brevet pour cette demande, puisque l’invention revendiquée manque d’utilité et n’est pas conforme à la définition d’invention fournie à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[40] Les revendications proposées ne remédient pas à l’irrégularité et ne constituent donc pas des « modifications nécessaires » au sens du paragraphe 86(11) de la Loi sur les brevets.

 

 

 

 

Howard Sandler

Membre

Iain Baxter

Membre

Paul Fitzner

Membre

 

 

Décision du commissaire

[41] Je souscris à la recommandation de la Commission de rejeter la demande au motif que :

· l’objet revendiqué manque d’utilité et ne correspond donc pas à la définition d’invention fournie à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[42] En conséquence, conformément à l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande.

[43] Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

Konstantinos Georgaras,

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec)

ce 13e jour de mars 2023

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