Brevets

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Référence: Sirtex Medical Limited (Re), 2021 CACB 54

Décision du commissaire no 1607

Commissioner’s Decision #1607

Date : 2021-12-29

SUJET :

F00

F20

O00

 

Nouveauté

Nouveauté – éléments annulant la nouveauté

Évidence

 

TOPIC:

F00

F20

O00

 

Novelty

Novelty – Matters Negating Novelty

Obviousness

 

 

 

 

 

 

 


Demande no 2 426 602


Application No.: 2,426,602


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets [DORS/96‑423] dans leur version antérieure au 30 octobre 2019, la demande de brevet numéro 2 426 602 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets [DORS/2019-251]. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, le commissaire annule le refus de la demande et accepte cette dernière.

Agent du Demandeur :

MARKS & CLERK

33, rue Yonge, bureau 300

Toronto (Ontario) M5E 1G4


 

Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet refusée numéro 2 426 602, qui s’intitule « Radionucléide à base de polymère contenant une matière particulaire » et qui est la propriété de Sirtex Medical Limited (le Demandeur).

[2] La Commission d’appel des brevets (la Commission) a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets [DORS/2019-251] (les Règles sur les brevets). Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons que le commissaire aux brevets accepte la demande.

Contexte

La demande

[3] La demande a une date de dépôt du 25 octobre 2001, une date de revendication du 25 octobre 2000 et est devenue accessible au public le 2 mai 2002.

[4] La demande porte sur une matière particulaire implantable comprenant de l’yttrium 90 pour la radiothérapie interne ciblée contre le cancer. Plus précisément, il s’agit de microsphères à base de polymères (ci-après les « microsphères SIR‑spheres ») comprenant un sel de phosphate insoluble d’yttrium 90 qui est incorporé de façon stable dans la matrice polymère pour l’empêcher de se détacher et d’irradier de manière inappropriée d’autres tissus.

[5] Les revendications à l’étude sont les revendications 1 à 23 au dossier, datées du 19 janvier 2016 (les revendications au dossier).

Historique de la poursuite de la demande

[6] Le 19 février 2019, une décision finale (DF) refusant les revendications au dossier a été rendue en vertu du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets [DORS/96‑423], dans leur version antérieure au 30 octobre 2019. Selon la DF, les revendications 1 à 14 et 16 à 23 sont dépourvues de nouveauté, contrairement à l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets, et les revendications 1 à 23 sont en outre évidentes, contrairement à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[7] Le 13 août 2019, une réponse à la DF (RDF) a été déposée par le Demandeur. Dans la RDF, le Demandeur a présenté un ensemble de revendications 1 à 4 (revendications proposées) et a soutenu que le document principal cité comme art antérieur pour manque de nouveauté et d’évidence n’était pas [traduction] « accessible au public au Canada ou ailleurs » comme l’exigent l’alinéa 28.2(1)b) et l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Il soutenait en outre dans la RDF que les autres documents cités ne fournissent pas une divulgation antérieure et un caractère réalisable de l’objet des revendications proposées ni ne le rendent évident.

[8] L’examinateur n’a pas été convaincu que la demande était conforme à l’alinéa 28.2(1)b) et à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. La demande a donc été transmise à la Commission, ainsi qu’un résumé des motifs (RM), pour examen. Le 4 décembre 2019, la Commission a transmis une copie du RM au Demandeur. Dans une réponse en date du 12 février 2020, le Demandeur a indiqué qu’il souhaitait toujours que la Commission procède à la révision de sa demande.

[9] Ce Comité (le Comité) a été constitué dans le but de réviser la demande refusée et de présenter une recommandation au commissaire quant à la décision à rendre. Nos conclusions sont énoncées ci-dessous.

Questions

[10] Il y a deux questions à examiner dans le cadre de la présente révision :

  • celle de savoir si les revendications 1 à 14 et 16 à 23 au dossier définissent un objet qui est dépourvu de nouveauté, contrairement au paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets;
  • celle de savoir si les revendications 1 à 23 au dossier auraient été évidentes, contrairement à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

Principes juridiques et pratique du Bureau

Interprétation téléologique

[11] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 et à Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, l’interprétation téléologique est faite du point de vue d’une personne versée dans l’art compte tenu des connaissances générales courantes (CGC) pertinentes, à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins. En plus d’interpréter la signification des termes d’une revendication, l’interprétation téléologique fait la distinction entre les éléments essentiels de la revendication et les éléments non essentiels. La question de savoir si un élément est essentiel dépend de l’intention exprimée dans la revendication ou déduite de celle-ci et de la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une variante a un effet matériel sur le fonctionnement de l’invention.

[12] L’avis « Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets » (OPIC, novembre 2020) [PN2020-04] aborde également l’application de ces principes, soulignant que tous les éléments établis dans une revendication sont présumés essentiels à moins qu’il n’en soit établi autrement ou que ce soit contraire au libellé employé dans la revendication.

Antériorité

[13] Le paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets exige que l’objet revendiqué soit nouveau :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

 

  • a)soit plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

  • b)avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

[…]

[14] Le fait de devenir « accessible » signifie que le public a eu la possibilité d’obtenir l’information relative à l’invention. Il n’est pas exigé que quelqu’un se soit effectivement prévalu de cette possibilité : Wenzel Downhole Tools Ltd c. National‑Oilwell Canada Ltd, 2012 CAF 333, au par. 68 [Wenzel Downhole].

[15] Lorsque la possibilité pour le public d’obtenir l’information est établie, la Cour applique le critère juridique d’antériorité consacré par la jurisprudence Sanofi, c’est-à-dire la divulgation intégrale de tous les éléments essentiels de l’invention et la capacité de la réaliser : Wenzel Downhole, au par. 68, citant Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi].

Le « public » et la divulgation écrite de l’information dans un document

[16] Pour être considéré comme une « publication », un document doit être généralement accessible, sans aucune restriction, au public : Xerox du Canada Ltée c. IBM Canada Ltée [1977] 33 CPR (2e) 24 (CF 1re inst), à la page 85 [Xerox].

[17] Pour être considéré comme membre du « public », le ou les récipiendaires du document ne doivent avoir aucun lien spécial avec l’auteur de la publication : Johnson & Johnson Inc c. Boston Scientifique Ltd, 2008 CF 552, aux par. 321 à 323 [Johnson & Johnson], citant Xerox, à la page 85 et Owens-Illinois Inc c. Koehring Waterous Ltd [1978] 40 CPR (2e) 72 (CF 1re inst), à la page 89. Les paramètres d’une « relation spéciale » ne sont pas entièrement développés dans la jurisprudence, même si une relation qui « s’apparente à une coentreprise » peut être un exemple : Johnson & Johnson, au par. 323, en référence à Xerox.

Le « public » et la divulgation par l’utilisation antérieure ou la vente d’un produit

[18] Pour une divulgation au moyen de l’utilisation antérieure d’un produit, le mot « public » a été défini comme étant « une personne qui utilise sans contrainte en droit et en equity l’information », « sans obstacle contraignant » (Bayer Inc c. Apotex Inc, 2016 CF 1013, au par. 144 [Bayer]; Canwell Enviro-Industries Ltd c. Baker Petrolite Corp, 2002 CAF 158, au par. 42 [Baker Petrolite]; Lux Traffic Controls Ltd v. Pike Signals Ltd [1993] RPC 107 (Eng Pat Ct), à la page 133).

[19] À titre d’exception, en droit canadien, il est établi depuis longtemps qu’une utilisation expérimentale ne constitue pas une utilisation publique : Bayer, au par. 157, citant Gibney v. Ford Motor Co of Canada Ltd [1967], 52 CPR 140 (C de l’É), aux pages 157 à 160 [Gibney]. Un inventeur pouvait utiliser toute méthode d’essai disponible, à condition que l’expérimentation soit raisonnable et nécessaire, et réalisée de bonne foi en vue de perfectionner l’invention ou de tester son bien-fondé : Bayer, au par. 157, citant Gibney. L’exception de l’utilisation expérimentale s’applique notamment lorsque, par nécessité, l’expérience doit être effectuée au sein du public : Bayer, au par. 159.

[20] En ce qui concerne les moyens utilisés par un inventeur pour tester son invention, la Cour dans Gibney a dit ce qui suit à l’égard d’un petit inventeur privé par rapport à une grande société (à la page 160) :

[traduction]

En effet, le petit inventeur, à mon avis, a droit à une invention tout comme la grande société et, qu’il soit ou non un inventeur dévoué ou professionnel, il devrait toujours avoir droit à ce qu’il invente. Il n’aura pas tous les avantages d’un laboratoire ou d’un terrain d’essai et l’aide d’un grand nombre d’employés, mais cela ne devrait pas le placer dans une position différente de ceux qui ont de tels avantages et il devrait être en mesure d’utiliser tous les moyens d’essai dont il dispose.

[21] Les essais réglementaires effectués uniquement ou en partie pour confirmer la sécurité et l’efficacité d’un produit proposé avant qu’il ne soit offert en vente au public sont de nature intrinsèquement expérimentale et sont assujettis à l’exception de l’utilisation expérimentale pour antériorité découlant d’une utilisation antérieure : Bayer, au par. 162.

Analyse

Interprétation téléologique

La personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes

[22] La DF (page 3) a qualifié la personne versée dans l’art et ses CGC ainsi :

[traduction]

Compte tenu de la description, la personne versée dans l’art qui est visée par la demande peut au moins être qualifiée de scientifique spécialisé dans la chimie des radiations, la synthèse des microsphères, y compris les étapes de lavage avec des solutions tampons appropriées, et les traitements du cancer.

 

La personne versée dans l’art posséderait les CGC suivantes : synthèse de polymères, chimie des radiations et traitement du cancer.

[23] Le Demandeur ne conteste pas ces définitions et n’a pas non plus fait de commentaires à leur sujet dans la RDF.

[24] Bien que cette qualification de la personne versée dans l’art en tant qu’équipe soit raisonnable, nous sommes d’avis que les CGC se rapportent généralement à certains domaines sans tenir compte de connaissances particulières. Conformément aux enseignements de base fournis aux pages 1 à 4 de la description du Demandeur, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art connaît les solutions de rechange à la radiothérapie externe couramment connues à la date de la revendication, y compris la curiethérapie à l’aide de microsphères de verre, de céramique et polymériques englobant l’un des radionucléides associés au traitement du cancer. La personne versée dans l’art est aussi au courant du risque connu et potentiellement mortel d’avoir une fuite de radionucléides de la microsphère qui irradie les tissus non visés.

Les éléments essentiels

[25] Il y a 23 revendications au dossier, y compris les revendications indépendantes 1, 9, 10, 11, 16 à 19 et 22. Les revendications indépendantes visent les microsphères SIR-spheres qui comprennent une résine échangeuse d’ions et de l’yttrium-90 précipité comme un sel de phosphate insoluble (revendications 1, 9, 16, 17, 22), aux procédés de production (revendications 10, 11) et à leur utilisation en radiothérapie et en traitement du cancer (revendications 18 et 19). La revendication indépendante 1 est reproduite ci-dessous :

[traduction]

1. Une matière particulaire ayant des particules d’un diamètre compris entre 5 et 200 micromètres, comportant un radionucléide incorporé de façon stable dans une matrice polymérique de résine échangeuse d’ions, précipitant le radionucléide comme sel de phosphate insoluble, où le radionucléide est l’yttrium-90 et où le radionucléide est incorporé de telle sorte qu’il y a moins de 0,4 % radionucléide délié ou non précipité.

[26] Les revendications dépendantes définissent en outre la composition de la matrice polymérique de résine échangeuse d’ions (revendications 2 à 8); les réactifs utilisés pour préparer les microsphères SIR-spheres (revendications 12 à 15); et les types de cancer qu’ils visent à traiter (revendications 20, 21 et 23).

[27] Comme il est énoncé ci-dessus, l’énoncé PN2020-04 indique que tous les éléments établis dans une revendication sont présumés être un élément essentiel, à moins qu’il n’en soit établi autrement ou que ce soit contraire au libellé employé dans la revendication. À notre avis, la personne versée dans l’art qui lit les revendications 1 à 23 dans le contexte du mémoire descriptif dans son ensemble et ayant les CGC comprendrait qu’aucun libellé utilisé dans les revendications n’indique que l’un quelconque des éléments est facultatif, préféré ou qu’il a été conçu autrement comme non essentiel. Nous estimons donc que tous les éléments des revendications 1 à 23 sont essentiels.

Antériorité

[28] Aux pages 1 à 3, la DF stipule que le document D7 suivant a divulgué l’objet revendiqué avant la date de la revendication, contrairement à l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets :

[traduction]

D7 : Self, G.W., « Yttrium-90 microspheres Project – Experimental Procedure and Equipment », Département de chirurgie, Hôpital St. Vincent, 1983

[…]

Le document D7 divulgue une méthode de préparation des microsphères d’yttrium 90.

[…]

Le document D7 fournit une technique utilisée à partir de 1984 pour faire un yttrium 90 stable contenant des microsphères pour la curiethérapie sélective. La stabilité est obtenue en précipitant le radionucléide comme sel de phosphate insoluble. L’argument du Demandeur selon lequel ce document n’était pas accessible au public n’est pas convaincant. Rien n’indique que le document D7, un livret d’instruction destiné au personnel du Département de chirurgie de l’hôpital St. Vincent, ait été conçu pour être confidentiel. Selon Canwell Enviro-Ind c. Baker Petrolite, (2002) 299 N.R. 247 (CAF) [42], le fait que la disponibilité d’un document au sein d’une institution publique constitue une divulgation publique aux fins du paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets est une question de droit :

 

[…] si l’information […] a été communiquée à un seul membre du public sans obstacle contraignant, cela suffira pour la rendre accessible au public. […]

De plus, il est bien reconnu en droit qu’il n’est pas nécessaire de prouver qu’une personne a effectivement pris connaissance de la divulgation, pourvu que celle-ci ait été rendue publique. Ainsi, une description antérieure contenue dans un ouvrage aura pour effet d’invalider un brevet si l’ouvrage en question se trouve sur une étagère d’une bibliothèque ouverte au public, indépendamment du fait que personne ne l’a lu et que celui-ci se trouve dans un coin sombre et poussiéreux de la bibliothèque. Si l’ouvrage était accessible au public, celui-ci aura le droit d’utiliser les renseignements qu’il contient pour réaliser l’invention sans devoir faire face à un obstacle découlant d’un monopole […] (souligné dans l’original).

 

Le document D7 est un livret d’instructions destiné au personnel de l’hôpital. En l’absence d’accord de non-divulgation avec l’auteur, ou d’autres indications selon lesquelles le document lui-même était confidentiel, il doit être considéré comme une divulgation publique.

[29] Comme il est indiqué dans le passage ci-dessus, le Demandeur a contesté que ce document était accessible au public dans sa lettre précédente du 19 janvier 2016, dans laquelle il a dit ce qui suit (pages 4 à 5) :

[traduction]

En raison du fait que le document D7 est un manuel d’instructions pour les chercheurs travaillant au sein d’un établissement de recherche, le Demandeur fait respectueusement valoir qu’il y avait une exigence implicite de confidentialité liée à ce document, associée aux rôles des diverses personnes non nommées concernées.

[…]

Le document était lié à un groupe particulier de chercheurs participant à des essais cliniques de patients atteints de cancer. Comme on peut le constater dans les autres publications citées par l’examinateur, ces documents sont muets quant aux méthodes de préparation des microsphères. Par conséquent, le Demandeur soutient respectueusement que les renseignements présentés dans le document D7 étaient confidentiels et n’étaient pas accessibles au public. Par conséquent, le document D7 ne peut être cité aux fins de l’alinéa 28.2(1)b) ou de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets en ce qui a trait à la nouveauté ou à l’évidence (non souligné dans l’original).

[30] Il ressort clairement de ce qui précède que la disponibilité du document D7 au public est essentielle à la question de l’antériorité. Avant que le critère juridique de divulgation et du caractère réalisable de Sanofi puisse être appliqué, il doit être établi que le public a eu la possibilité d’obtenir l’information relative à l’invention : Wenzel Downhole, au par. 68.

[31] À titre préliminaire, nous sommes d’avis que la DF a surestimé le droit exprimé dans Baker Petrolite dans la déclaration suivante en appliquant l’examen par la Cour d’un livre publié à tout « document » et en faisant correspondre une bibliothèque ouverte au public à toute « institution publique » :

[traduction]

[…] le fait que la disponibilité d’un document au sein d’une institution publique constitue une divulgation publique aux fins du paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets est une question de droit : (non souligné dans l’original)

[32] L’objectif d’une bibliothèque publique est d’abriter l’information et de la rendre largement accessible au public, dans le contexte de la discussion de la Cour dans Baker Petrolite. Nous sommes en outre d’avis que le fait que tout document dans une institution publique constitue une divulgation publique, indépendamment de l’existence d’un lien spécial entre l’auteur et ceux qui ont accès au document, est une question de droit.

[33] De plus, à notre avis, il y a eu une fusion dans la DF entre le critère de l’antériorité par un document antérieur et le critère de l’antériorité par une utilisation publique préalable d’un produit. La DF a considéré le document D7 comme un document d’antériorité tout en appliquant les principes de Baker Petrolite qui sont propres à l’antériorité par une utilisation antérieure.

[34] Par souci d’exhaustivité, nous examinerons le document D7 à l’aide des deux critères, d’abord comme document antérieur révélant le produit et, ensuite, comme preuve d’une utilisation publique antérieure du produit.

Document D7

[35] Le document D7 a été reçu par le Bureau des brevets dans le cadre d’une protestation et a été ajouté au dossier de demande le 6 juillet 2009.

[36] La DF à la page 2 qualifie le document de livret d’instructions destiné au personnel du département de chirurgie de l’hôpital St. Vincent. La page de couverture du document D7 contient le titre du document et les renseignements suivants :

[traduction]

Gregory W. Self,

Département de chirurgie,

Hôpital St. Vincent

Fitzroy, Vic. 3065.

1983-1984.

[37] La page suivante est une déclaration manuscrite selon laquelle [traduction] « ces notes indiquent en détail les principaux aspects des techniques que j’ai utilisées en 1983-1984 » et selon laquelle les notes lui paraissaient satisfaisantes et correctes à cette date, qu’il a signée et datée du 31 janvier 1984.

[38] À l’intérieur du document, les pages 1 à 4 décrivent de façon informelle l’information logistique relative à la planification, au coût, à l’endroit où trouver de l’yttrium 89 à l’hôpital et la personne avec qui communiquer à la Commission australienne de l’énergie atomique afin de le convertir en yttrium 90 radioactif. Les personnes à contacter sont nommées et, dans un cas, le numéro de téléphone d’une personne est fourni. Le reste du document utilise également un ton informel où l’auteur se réfère à lui-même à la première personne et décrit comment son travail dans la préparation de microsphères de l’yttrium 90 radioactif est effectué.

[39] À notre avis, le document D7 a les caractéristiques d’un document interne. Selon les renseignements qui précèdent, il n’existe aucune preuve que le document D7 était une [traduction] « publication » en ce sens qu’il aurait été publié dans un journal scientifique ou comme un livre avec un éditeur nommé et une date de publication vérifiable. De plus, il n’existe aucune preuve d’une date à laquelle le document est devenu accessible à partir d’une bibliothèque, du site Web d’un éditeur ou de toute autre base de données accessible au public.

Le document D7 était-il une « publication » d’une divulgation écrite de renseignements qui est devenue généralement accessible, sans aucune restriction, au public?

[40] La DF ne prétend pas que le document D7 était un document publié qui avait été largement rendu accessible au grand public. Au contraire, selon la DF, le document D7 a été rendu accessible au personnel du département de chirurgie de l’hôpital St. Vincent et, en l’absence d’un accord de confidentialité ou de non‑divulgation entre les membres du personnel et l’auteur, ces personnes devraient être considérées comme des membres du public.

[41] La question de savoir si un document constitue ou non une publication de renseignements à l’intention du public permet de déterminer si les personnes ou les groupes ayant accès au document avaient un lien spécial avec l’auteur : Xerox, à la page 85; Johnson & Johnson, aux par. 321 à 323.

[42] Dans la lettre du 19 janvier 2016, le Demandeur a contesté le fait que tout le personnel avait accès au document D7, indiquant à la page 5 que le document était lié à un groupe particulier de chercheurs non nommés qui participaient aux essais cliniques de patients atteints de cancer. Le Demandeur n’a pas contesté que le document était disponible à l’hôpital St. Vincent en 1984.

[43] La DF ne désigne aucune personne ni aucun groupe particulier au sein du département de chirurgie avec lequel le document D7 a été partagé. De plus, il n’y a aucune preuve précise au dossier qui confirme que le document D7 était accessible à une personne ou à un groupe particulier, et cela ne peut être dégagé du document lui-même. Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer le lien entre des personnes ou des groupes particuliers et l’auteur.

[44] Toutefois, à tout le moins, toute personne travaillant au département de chirurgie de l’hôpital St. Vincent aurait eu un lien avec l’auteur à titre de collègue ou de collaborateur travaillant au sein du même département. Le Dr Self est identifié comme membre du département de chirurgie sur la page couverture du document D7. Le document D6, qui est une thèse de premier cycle écrite sur des recherches effectuées au département de chirurgie de l’hôpital St. Vincent et qui reconnaît la collaboration du Dr Self dans la préface, appuie également cette démarche. Les détails du document D6 sont fournis dans la section suivante.

[45] Compte tenu de ce qui précède, nous ne sommes pas en mesure de conclure que le document D7 était une publication qui a été rendue accessible au public. Selon la preuve dont nous sommes saisis, il s’agissait d’un document interne rendu accessible aux personnes ayant un lien spécial avec l’auteur, ce qui soustrait le document D7 du domaine public : Xerox, page 85.

Le document D7 constitue-t-il la preuve d’une divulgation au moyen d’une utilisation publique antérieure du produit?

[46] Selon la preuve dans le document D7, les microsphères SIR-spheres comprenant une résine échangeuse d’ions et de l’yttrium 90 précipité comme un sel de phosphate insoluble, ont été préparées à l’hôpital St. Vincent dans le cadre du [traduction] « Projet de microsphères yttrium 90 ». Comme nous l’avons mentionné, le Demandeur n’a pas contesté que ce document existait avant la date de la revendication.

[47] Pour l’évaluation de l’antériorité au moyen de l’utilisation antérieure d’un produit par le public, le mot « public » est défini comme étant « une personne qui utilise sans contrainte en droit et en equity l’information », « sans obstacle contraignant » : Bayer, au par. 144; Baker Petrolite, au par. 42.

[48] La DF aux pages 2 et 3 fait ressortir l’absence de preuve selon laquelle les renseignements contenus dans le document D7 étaient confidentiels.

[49] À la page 3 de la RDF, le Demandeur a répondu que les renseignements contenus dans le document D7 étaient considérés comme confidentiels. Le Demandeur a en outre fait valoir dans la lettre du 19 janvier 2016 que la confidentialité concernant le document D7 était implicite puisqu’il s’agissait d’un document destiné aux chercheurs travaillant au sein d’un établissement de recherche (page 4). À la page 5, le Demandeur a en outre soutenu que la confidentialité de ces renseignements est étayée par le fait qu’aucune des autres publications relatives aux microsphères SIR-spheres citées par l’examinateur n’a divulgué sa méthode de préparation.

[50] En ce qui concerne les autres publications citées par l’examinateur, nous estimons que les documents suivants sont particulièrement pertinents pour les microsphères qui ont été préparées au département de chirurgie de l’hôpital St. Vincent :

D6 : Meade, V. M., « The effect of sphere size on distribution of radiation microspheres in experimental hepatic tumors », thèse présentée en exécution partielle des exigences relatives au baccalauréat en sciences avec distinction, Australie, département de physiologie et département de chirurgie, hôpital St. Vincent, université de Melbourne, 1984.

D8 : Gray et coll., « Selective internal radiation (SIR) therapy for treatment of liver metastases: measurement of response rate », vol. 42, no 3, J Oncol chirurgical, 1989, pages 192 à 196.

D9 : Burton et coll., « Selective internal radiation therapy: distribution of radiation in the liver », vol. 25, no 10, Eur J Cancer Clin Oncol, 1989, pages 1487 à 1491.

D10 : Burton et coll., « Selective internal radiation therapy: validation of intraoperative dosimetry », vol. 175, no 1, Therapeutic Rad, 1990, pages 253 à 255.

[51] Les documents D8 à D10 sont des publications du groupe de recherche du Dr Bruce Gray. Fait important, le Dr Gray est le seul inventeur nommé de la présente demande. Ces documents divulguent les résultats d’essais cliniques précoces utilisant les microsphères SIR-spheres revendiquées dans la radiothérapie ciblée pour traiter le cancer. Nous sommes d’accord avec le Demandeur pour dire qu’aucun de ces documents ne divulgue les détails de la composition ou des méthodes de fabrication des microsphères SIR-spheres.

[52] Le document D6 est une thèse de premier cycle rédigée par l’un des étudiants du Dr Gray sur les recherches effectuées sous sa supervision à l’hôpital St. Vincent du département de chirurgie. Dans la préface, le Dr Gray (auteur du document D8), le Dr Burton (auteur des documents D9 et D10) et le Dr Self (auteur du document D7) sont reconnus pour leur participation, ce qui soutient que ces personnes ont travaillé ensemble en collaboration à l’hôpital St. Vincent du département de chirurgie.

[53] D’après le dossier dans sa forme actuelle, nous sommes d’accord avec la DF pour dire qu’il n’y a aucune preuve d’entente de confidentialité entre le Dr Gray et ses collaborateurs qui constituerait un obstacle contraignant. Toutefois, nous convenons également qu’une présomption de confidentialité implicite est raisonnable étant donné que ces personnes ont travaillé ensemble au département de chirurgie. L’absence de documents de l’art antérieur divulguant la composition ou les méthodes de fabrication des microsphères SIR-sphere de ces personnes ou de toute autre personne confirme en outre que l’information a été gardée confidentielle. Nous ne sommes donc pas en mesure de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Meade, le Dr Burton ou le Dr Self étaient des personnes libres d’utiliser l’information sans obstacle contraignant.

[54] Toutefois, si cette position était incorrecte, notre autre opinion est que l’utilisation préalable des microsphères SIR-sphere qui s’est produite à l’hôpital St. Vincent aurait été assujettie à l’exception de l’utilisation expérimentale. Il est raisonnable de conclure que les travaux ont été réalisés dans un hôpital par nécessité et aux fins de l’évaluation du bien-fondé des microsphères SIR-sphere. De plus, les travaux liés à la recherche clinique et à la production de données sur les essais cliniques précoces qui étaient raisonnables et nécessaires avant que l’inventeur, le Dr Gray, puisse demander ou obtenir l’approbation de commercialisation et avant que le produit puisse être mis en vente. L’expérimentation clinique effectuée uniquement ou en partie pour confirmer la sécurité et l’efficacité d’un produit proposé est de nature intrinsèquement expérimentale et est assujettie à l’exception de l’utilisation expérimentale pour antériorité découlant d’une utilisation antérieure : Bayer, au par. 162.

Conclusion sur l’antériorité

[55] Étant donné que nous ne sommes pas en mesure d’établir que le public avait accès au document D7 ou qu’il constitue la preuve d’une utilisation publique préalable des microsphères SIR-sphere à l’hôpital St. Vincent, il n’est pas nécessaire d’envisager la divulgation et le caractère réalisable.

[56] Le document D7 ne peut être cité aux fins de la Loi sur les brevets. Par conséquent, nous concluons que les revendications au dossier sont conformes au paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets.

Évidence

[57] À la page 3, la DF soutient que l’objet des revendications au dossier serait évident compte tenu du document D7, seul ou en combinaison avec d’autres documents à l’appui ou les CGC. Aucun des documents justificatifs n’a été cité seul, indépendamment du document D7.

[58] Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, le document D7 ne constitue pas une divulgation publique et ne peut donc pas être cité comme document de l’art antérieur aux fins de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’évaluer l’évidence des revendications au dossier à la lumière du document D7.

[59] Nous concluons donc que les revendications au dossier sont conformes à l’article 28.2(1) de la Loi sur les brevets.

 

Recommandation de la Commission

[60] Compte tenu de ce qui précède, le Comité est d’avis que le refus n’est pas justifié pour le motif des irrégularités indiquées dans l’avis de décision finale et nous avons des motifs raisonnables de croire que la demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Nous recommandons que le Demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 86(10) des Règles sur les brevets, que le refus de la demande soit retiré et que la demande soit jugée acceptable.

Cara Weir

Marcel Brisebois

Philip Brown

Membre

Membre

Membre

 

 

 

Décision du commissaire

[61] Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation. Conformément au paragraphe 86(10) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le Demandeur que le refus de demande en instance est annulé, que la demande en cause est jugée acceptable et que j’ordonnerai qu’un avis d’acceptation soit envoyé en temps voulu.

Virginie Ethier

Sous-commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

ce 29e jour de décembre 2021

 

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