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Référence : Zakharian (Re), 2022 CACB 20

Décision du commissaire no1627

Commissioner’s Decision #1627

Date : 2022-10-13

SUJET :

J00

G00

O00

Signification de la technique

Utilité

Évidence

 

C00

Caractère adéquat ou inadéquat de la description

TOPIC:

J00

G00

O00

Meaning of Art

Utility

Obviousness

 

C00

Adequacy or Deficiency of Description

Demande no 2 649 078

Application No.: 2,649,078


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96‑423) dans leur version antérieure au 30 octobre 2019, la demande de brevet numéro 2 649 078 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). La recommandation de la Commission d’appel des brevets et la décision du commissaire sont de rejeter la demande.

Demandeur :

MANVEL ZAKHARIAN

3812, rue Marquette

Laval (Québec) H7P 1S4


 

Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 649 078, qui est intitulée « Méthode de vérification de l’existence d’au moins un composant inconnu dans le corps d’une personne, d’un animal ou d’un poisson » et qui appartient à Manvel Zakharian. La Commission d’appel des brevets (la Commission) a procédé à une révision de la demande conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). La Commission recommande au commissaire des brevets de rejeter la demande pour les motifs énoncés ci-dessous.

Contexte

La demande

[2] La demande a été déposée le 7 janvier 2009 et concerne principalement une méthode de vérification de l’existence d’au moins une forme inconnue de libération d’énergie lorsque le corps d’une personne, d’un animal ou d’un poisson passe de l’état vivant à l’état mort. Il y a cinq revendications au dossier, qui ont été reçues au Bureau des brevets le 7 janvier 2009.

Historique de la poursuite

[3] Le 8 mars 2018, l’examinateur a rendu une décision finale en vertu du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets (DORS/96-423), dans leur version antérieure au 30 octobre 2019. La décision finale a conclu que la demande visait un objet qui n’est pas brevetable parce qu’il ne répond pas à la définition d’invention qui figure à l’article 2 de la Loi sur les brevets en raison de la nature de l’objet et d’une absence d’utilité. La décision finale a également conclu que la description était insuffisante et non conforme à l’alinéa 27(3)d) de la Loi sur les brevets.

[4] M. Zakharian a déposé une réponse à la décision finale le 3 juillet 2018.

[5] L’examinateur n’a pas été convaincu par les arguments de la réponse à la décision finale et a maintenu que la demande était irrégulière. Par conséquent, la demande a été transmise à la Commission aux fins de révision le 23 octobre 2019, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs.

[6] Dans une lettre en date du 24 octobre 2019, la Commission a transmis une copie du résumé des motifs au Demandeur et a demandé qu’il confirme s’il voulait toujours que la demande soit révisée. M. Zakharian a déposé une réponse au résumé des motifs le 29 octobre 2019.

[7] Le Comité a révisé la demande au nom de la Commission en vertu de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Dans une lettre de révision préliminaire datée du 13 mai 2022, nous avons analysé les questions en ce qui a trait à la demande en instance. Nous avons également invité M. Zakharian à présenter des observations orales ou écrites.

[8] La lettre de révision préliminaire abordait également les multiples demandes d’appel présentées par M. Zakharian au moyen de lettres envoyées à la Commission le 10 mai 2017 et le 3 juillet 2018, ainsi que d’une lettre reçue le 19 avril 2021, qui présentait de nouveau la correspondance antérieure du 10 mai 2017. Comme il est indiqué dans la lettre de révision préliminaire, le Demandeur n’a pas le droit d’interjeter appel pendant le processus de révision. Le commissaire doit examiner une demande refusée conformément à l’alinéa 86(7)c) des Règles sur les brevets. La décision finale refuse la demande de brevet. Une révision de la demande rejetée par le commissaire n’est effectuée qu’après que l’examinateur ait émis un résumé des motifs qui contient l’analyse de la réponse d’un demandeur à la décision finale (voir aussi la section 26.07 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (OPIC), révisé en septembre 2017 [RPBB]).

[9] M. Zakharian a déposé des réponses à la lettre de révision préliminaire les 12, 20 et 22 juin 2022, et a refusé de déposer des modifications proposées ou qu’une audience soit tenue.

Questions

[10] Dans la réponse à la décision finale datée du 2 juillet 2018 (à la page 1) et la réponse au résumé des motifs daté du 29 octobre 2019 (à la page 2), M. Zakharian a remis en question la mention de l’absence d’unité dans les rapports de recherche de l’examinateur. Comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, le [traduction] « manque d’unité » est simplement l’un des motifs possibles qui expliqueraient pourquoi une recherche de l’antériorité a été reportée. Ce motif fait partie du modèle des rapports de recherche. Aucune question d’unité n’a été soulevée par la demande en instance.

[11] Lors de notre révision préliminaire de la demande, nous avons relevé deux autres questions en plus de celles qui sont mentionnées dans la décision finale. Conformément au paragraphe 86(9) des Règles sur les brevets, chaque fois que le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu’une demande n’est pas conforme à la Loi sur les brevets ou aux Règles sur les brevets en raison d’une irrégularité qui n’est pas indiquée dans la décision finale, le demandeur est également informé de cette irrégularité et est invité à présenter des arguments. Nous l’avons fait dans la lettre de révision préliminaire.

[12] Les questions à trancher dans le cadre de la présente révision sont les suivantes :

  • Les revendications visent-elles un objet qui correspond à la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets?

  • Les revendications sont-elles conformes au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, qui interdit les inventions visant des principes scientifiques ou des conceptions théoriques?

  • Les revendications ont-elles une utilité, tel qu’exigé pour qu’une invention soit conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets?

  • La description décrit-elle d’une façon exacte et complète l’invention, son fonctionnement ou son utilisation, et est-elle conforme à l’alinéa 27(3)d) de la Loi sur les brevets?

  • Les revendications sont-elles non évidentes et conformes à l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets?

Interprétation téléologique

[13] Le point de départ de l’analyse des questions relatives à l’objet et à l’évidence est l’interprétation téléologique des revendications.

[14] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, et à Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, l’interprétation téléologique est faite du point de vue d’une personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes pertinentes, en tenant compte de l’ensemble de la divulgation, y compris la description.

[15] L’interprétation téléologique commence par la définition de la personne versée dans l’art et de ses connaissances générales courantes.

[16] La décision finale a défini la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes comme suit :

[traduction]

La personne versée dans l’art et ses connaissances aident à mieux comprendre le problème et la solution enseignés par la demande en instance. La personne versée dans l’art, qui peut être une équipe de personnes, comprendrait : un professionnel de la santé, un psychologue, un neurologue, un spécialiste des sciences sociales, un chercheur médical et en santé, un physicien et un mathématicien.

[…]

L’équipe de personnes versées dans l’art possède des compétences et une expérience dans les domaines suivants : santé publique, médecine, psychologie, neurologie, biologie, chimie, sciences sociales, physique et mathématiques.

[17] Nous sommes d’accord avec la définition énoncée de la décision finale. À notre avis, comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, les connaissances générales courantes de l’équipe comprendraient également, en particulier :

  • la conception d’expériences;

  • les principes thermodynamiques, en particulier la conservation de l’énergie dans un système isolé;

  • les méthodes expérimentales et analytiques pour déterminer les quantités d’énergie, comme par calorimétrie, et déterminer les énergies latentes dans un système;

  • la détermination de l’état de mortalité des organismes.

[18] Dans la réponse à la lettre de révision préliminaire, M. Zakharian n’a pas contesté notre avis quant à la personne versée dans l’art ou aux connaissances générales courantes.

[19] La revendication 1 est représentative et se lit comme suit :

[traduction]

Méthode de vérification de l’existence d’au moins un composant inconnu dans le corps d’une personne, d’un animal ou d’un poisson comprenant les étapes suivantes :

– évaluer la valeur de l’énergie W1 d’au moins un corps d’une personne, d’un animal ou d’un poisson en vie;

– évaluer la valeur des pertes d’énergie W2 dudit corps durant le processus de la mort de ladite personne, dudit animal ou dudit poisson;

– évaluer la valeur de l’énergie W3 dudit corps mort;

– considérant le résultat W1 – (W2 + W3) > 0 comme une preuve de l’existence d’au moins un composant inconnu dans ledit corps et comme une preuve de l’existence d’au moins une forme inconnue de libération d’énergie lorsque ledit corps passe de l’état vivant à l’état mort.

[20] Compte tenu de l’ensemble du mémoire descriptif, la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication 1 n’emploie aucun langage indiquant qu’un des éléments est optionnel ou une liste d’éléments de rechange, autres que la sélection du corps d’une personne, d’un animal ou d’un poisson. Par conséquent, à notre avis, tous les éléments cités dans la revendication, y compris le corps d’une personne, d’un animal ou d’un poisson, sont essentiels. De même, tous les éléments des revendications 2 à 5 sont essentiels, y compris le corps d’une personne, d’un animal ou d’un poisson, ou encore le corps d’un bébé, d’un nourrisson ou d’un enfant cité à la revendication 3.

Les revendications visent-elles un objet brevetable?

[21] À notre avis, l’invention ne vise pas un objet brevetable pour les motifs suivants.

[22] Le terme « invention » est défini à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[23] Le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets prévoit également ce qui suit :

Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.

[24] Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Amazon.com, 2011 CAF 328 au paragraphe 66, « il est implicite dans la définition d’“invention” qu’un objet brevetable doit être une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou changement discernable ».

[25] Comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, à notre avis, la personne versée dans l’art considérerait la revendication 1 comme une méthode de vérification d’une théorie scientifique. Le résultat final de la méthode est le sens intellectuel qu’on attribue à une quantité mesurée. Un sens intellectuel n’est pas un effet ou un changement discernable.

[26] De plus, la méthode revendiquée n’est pas une « réalisation » correspondant à une réalisation manuelle ou industrielle parce que le résultat n’est pas utile pour le public de façon commerciale. Dans Shell Oil Co c. Commissaire aux brevets, [1982] 2 RCS 536, la Cour suprême a noté à la page 554, en renvoyant à l’affaire antérieure Tennessee Eastman Co c. Commissaire aux brevets (1970), 62 CPR 117 (C de l’É), confirmée par [1974] RCS 11, que l’expression « réalisation » en ce qui a trait à un objet brevetable s’appliquait « […] aux méthodes nouvelles et innovatrices qui servent à appliquer des connaissances ou des compétences pourvu qu’elles produisent des effets ou des résultats utiles pour le public de façon commerciale » (le soulignement est de nous).

[27] La description indique, à la page 4, que la méthode peut réduire la dépression ou avoir d’autres effets bénéfiques; toutefois, ces effets sont un état d’esprit et ne peuvent être considérés comme des résultats concrets d’une réalisation manuelle ou industrielle qui découle invariablement de la méthode. Une peinture ou un essai philosophique pourrait également avoir un effet bénéfique sur l’état d’esprit du spectateur; toutefois, ces résultats ne sont pas considérés comme des résultats concrets d’une réalisation manuelle et industrielle.

[28] Dans la réponse à la décision finale du 2 juillet 2018, M. Zakharian a fait valoir (à la page 6) que [traduction] « [l]a méthode accroît la capacité de la science à acquérir une compréhension exacte et profonde d’une personne, et qu’elle stimulera les nouvelles orientations pour les recherches dans le domaine des soins de santé ».

[29] À notre avis, même si de nouvelles avancées dans le domaine des soins de santé peuvent être brevetables, une découverte scientifique qui ne fait que suggérer une orientation pour de futures recherches sans produire de résultat concret en soi n’est pas un résultat utile de façon commerciale.

[30] Le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets interdit les inventions qui ne visent que de simples conceptions théoriques. Les revendications visent à vérifier ou à réfuter une conception, soit qu’il y a une énergie inconnue associée à la vie, qui est perdue au moment de la mort. À notre avis, l’interdiction du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets comprend les revendications visant à vérifier une conception.

[31] Dans la réponse à la lettre de révision préliminaire, M. Zakharian a fait valoir que l’invention n’est pas une hypothèse, une théorie ou une conception, mais qu’elle se rapporte aux lois fondamentales de la nature. À notre avis, même en supposant, aux fins de la discussion, que l’invention est une découverte d’une loi de la nature, elle serait exclue en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

[32] Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que les revendications 1 à 5 ne visent pas un objet lié au domaine des réalisations manuelles et industrielles et ne sont donc pas conformes à la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets, et que l’objet des revendications est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

Y a-t-il une prédiction valable de l’utilité?

[33] À notre avis, l’invention revendiquée ne présente aucune prédiction valable de l’utilité.

[34] La définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets exige qu’une invention soit utile, c’est-à-dire qu’on doit se demander si elle fonctionnera.

[35] L’utilité doit être établie soit au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable (section 19.01.02 du RPBB (révisé en novembre 2017)).

[36] Dans la réponse à la lettre de révision préliminaire, M. Zakharian a indiqué qu’un examinateur de brevets ne peut pas douter des données sans présenter une expérience pour les réfuter. Nous notons que l’inventeur doit fournir une démonstration expérimentale ou une prédiction valable de l’utilité; il n’incombe pas à l’examinateur de réfuter une découverte alléguée. M. Zakharian a présenté une estimation fondée sur l’énergie calorique, mais aucune vérification expérimentale.

[37] Comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, nous ne voyons aucune preuve que l’expérience a été réellement réalisée. Divers passages de la description mettent l’accent sur ce fait, puisqu’ils discutent d’une réduction future de la pratique de la méthode :

[traduction]

Un groupe de spécialistes, comprenant des biologistes, des chimistes, des médecins et des ingénieurs, sera formé. Ce procédé n’est pas nouveau dans la pratique lorsqu’au moins un groupe de spécialistes a vérifié une prédiction théorique très importante (page 3, lignes 23 et 24).

 

Un fonds pour la vérification de l’expression (l’inégalité) [W1 – (W2 + W3) -: 70] (voir l’expression 1 ci-dessus) peut être collecté auprès des personnes et des organisations (page 3, lignes 36 à 38).

 

L’étape de l’évaluation de la valeur de l’énergie W1 d’au moins un corps humain peut commencer à partir du jour de la conception. L’annonce d’un concours (pour cette étape) serait publiée et le meilleur projet serait choisi. Un groupe de femmes en bonne santé est choisi (sur la base d’un contrat) avant la grossesse de chacune d’elles (page 3, lignes 41 à 44).

[38] Nous devons donc nous pencher sur la prédiction valable.

[39] La doctrine de la prédiction valable permet l’établissement de l’utilité même lorsque cette utilité n’avait pas été vérifiée à la date de dépôt. Toutefois, une demande de brevet doit fournir un « solide enseignement » de l’invention revendiquée plutôt que de « simples spéculations » (Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 [AZT], au par. 69).

[40] L’analyse d’une prédiction valable devrait tenir compte de trois éléments (AZT, au par. 70) :

  • la prédiction doit avoir un fondement factuel;

  • à la date de dépôt de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

  • il doit y avoir divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement.

[41] Comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, la revendication représentative 1 n’a aucun fondement factuel permettant de prédire que l’énergie inconnue existe et peut être mesurée. Il n’y a que quelques spéculations à la page 1, qui sont fondées sur des expériences psychologiques de mort imminente; ces expériences ne sont pas liées à la mesure de l’énergie. Il y a une discussion sur la chaleur latente et les changements de phase à la page 2, mais il n’y a aucun fondement scientifique pour comparer la perte d’énergie au cours d’un changement de phase au changement d’état de la vie à la mort.

[42] Le mémoire descriptif au dossier ne présente pas non plus de raisonnement valable. Selon la description de la consommation d’énergie calorique pendant la grossesse et l’incinération (à la page 4), la forme d’énergie évaluée semble être une énergie chimique. Il n’y a aucun raisonnement ou fondement factuel indiquant que l’énergie inconnue aurait la même forme. De plus, la description de l’évaluation de l’énergie ne tient pas compte d’autres formes d’énergie, comme la chaleur rayonnante et le mouvement.

[43] Dans la réponse à la lettre de révision préliminaire, M. Zakharian a contesté notre avis quant à l’utilité et a indiqué qu’un juge doit rendre une décision fondée sur le [traduction] « droit direct » sans renvoyer à une décision de la Cour suprême non pertinente. Avec égards, nous ne sommes pas d’accord. À notre avis, la doctrine de la prédiction valable établie dans AZT s’applique.

[44] Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, nous concluons que les revendications 1 à 5 n’ont aucune utilité et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Le mémoire descriptif décrit-il d’une façon exacte et complète l’invention?

[45] À notre avis, la description ne divulgue pas de façon adéquate la manière selon laquelle ladite évaluation de l’existence de l’énergie inconnue est effectuée.

[46] Les tribunaux ont indiqué que la détermination du caractère suffisant de la divulgation porte principalement sur deux questions : quelle est l’invention et comment fonctionne-t-elle? (Consolboard Inc c. MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la p. 526.) En ce qui concerne chaque question, la description doit être exacte et complète afin que, une fois la période du monopole terminée, le public, n’ayant que le mémoire descriptif, puisse utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur à la date de dépôt, sans avoir à faire preuve d’ingéniosité ou à entreprendre une expérimentation indue.

[47] La décision finale indiquait ce qui suit :

[traduction]

Le mémoire descriptif n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)d) de la Loi sur les brevets parce que la description n’énonce pas clairement les diverses étapes et l’ordre nécessaire du processus en des termes suffisamment complets, clairs, concis et exacts pour permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention.

[48] Dans la réponse à la décision finale du 2 juillet 2018 (à la page 8), M. Zakharian a répondu en citant des passages de la description sur la chaleur latente et en reprenant l’équation revendiquée. M. Zakharian a également fourni un dessin qui a été utilisé dans le cadre du traitement de la demande de brevet correspondante aux États-Unis. Nous notons que le dessin ne fait pas partie de demande canadienne en instance et ne peut pas être ajouté au mémoire descriptif à ce stade, puisqu’il constituerait un nouvel élément s’il n’est pas une connaissance générale courante (voir la section 20.01 du RPBB (révisé en octobre 2019)).

[49] À notre avis, et comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, il y a une irrégularité liée au caractère réalisable dans le mémoire descriptif. Seule l’étape de l’évaluation de l’énergie W3 par l’incinération est décrite. Il n’y a aucune directive concernant la façon d’évaluer W1 et W2, sauf une mention de l’apport calorique et de l’activité durant la grossesse. Aucune directive n’est fournie concernant la façon de surveiller quantitativement ces éléments et le niveau de précision qui pourrait être nécessaire pour tenir compte de l’ensemble de l’apport calorique et de toutes les dépenses énergétiques. Il n’y a aucune directive concernant la façon d’évaluer l’énergie sous des formes autres que la chaleur, comme les rayonnements électromagnétiques, le nucléaire, l’énergie potentielle et le mouvement.

[50] Dans la réponse à la lettre de révision préliminaire, M. Zakharian a reconnu que l’énergie inconnue pourrait ne pas avoir la même forme que l’énergie thermique.

[51] Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, nous concluons que le mémoire descriptif ne permettrait pas à la personne versée dans l’art de mener à bien l’expérience. Le mémoire descriptif n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)d) de la Loi sur les brevets.

L’invention revendiquée est-elle non évidente?

[52] À notre avis, comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, la méthode revendiquée est évidente.

[53] L’article 28.3 de la Loi sur les brevets exige que l’objet revendiqué ne soit pas évident :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

[54] Dans Apotex Inc c. Sanofi–Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, au par. 67, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il est utile, lorsqu’il s’agit d’évaluer l’évidence, de suivre la démarche en quatre étapes reproduite ci-dessous :

(1)a) Identifier la « personne versée dans l’art »[;]

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention telle que revendiquée, ces différences constituentelles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotentelles quelque inventivité?

Identifier la personne versée dans l’art et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes

[55] Nous les avons identifiées ci-dessus, dans la section « Interprétation téléologique ».

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

[56] À notre avis, le concept inventif de la revendication représentative 1 est exprimé par le libellé de la revendication elle-même.

Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

[57] Comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, les expériences pratiques fondées sur la première loi de la thermodynamique sont bien connues dans l’art, y compris celles où il y a une perte d’énergie dans un système. Cela comprend la mesure ou le calcul de l’énergie d’un système dans différents états, et la mesure ou le calcul de tout gain ou perte d’énergie.

[58] Nous avons introduit la référence suivante dans la lettre de révision préliminaire :

D1 George E. Meyer, « Thermodynamics of Living Systems: A Basic Course for Biological Engineering » (2003), Proceedings of the 2003 Annual Conference & Exposition, American Society for Engineering Education.

[59] L’application de la première loi de la thermodynamique à des organismes vivants était connue avant cette demande (D1).

[60] Les étapes d’évaluation et de mesure de l’énergie inconnue visées à la revendication 1 peuvent être exprimées dans les termes de la première loi de la thermodynamique comme suit :

[traduction]

∆U = Q – W

 

Où ∆U est la différence dans l’énergie interne de l’organisme; où Q est l’énergie ajoutée à l’organisme (les valeurs négatives étant l’énergie perdue); et où W est le travail effectué par l’organisme (qu’on présume être « 0 »).

 

∆U = W3 – W1 = -(W2 + UE) – W

 

UE = W1 – (W2 + W3)

 

Où UE est l’énergie inconnue.

[61] Par conséquent, les seules différences entre les connaissances générales courantes et le concept inventif sont la nature particulière du processus de changement d’état, qui, en l’espèce, est la mort de l’organisme vivant, et la prise en compte d’un résultat non nul comme preuve de l’existence de l’énergie inconnue.

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention telle que revendiquée, ces différences constituentelles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotentelles quelque inventivité?

[62] Le cœur de la question de l’évidence, comme nous l’avons écrit dans la lettre de révision préliminaire, est de savoir si une enquête thermodynamique sur les pertes d’énergie lors du décès d’un organisme, au moyen des méthodes connues de mesure ou de calcul des pertes d’énergie et des énergies latentes, est une avancée inventive dans l’art.

[63] À notre avis, la personne versée dans l’art qui cherche à déterminer s’il y a une perte d’énergie inconnue lors du décès arriverait facilement aux étapes expérimentales définies dans la revendication 1. Le simple choix des conditions expérimentales aux fins d’une expérience de thermodynamique ne peut être considéré comme inventif. La décision de déterminer quel scénario thermodynamique sera à étudier relève entièrement du choix habituel de la personne versée dans l’art. Ce choix à lui seul ne constitue pas une étape inventive.

[64] Considérer un résultat non nul comme une preuve de l’existence de l’énergie inconnue est d’une importance intellectuelle seulement et n’est pas inventif en soi.

[65] Les revendications 1 et 2 sont évidentes au regard du raisonnement ci-dessus.

[66] Les revendications 3 et 4 décrivent plus précisément le type d’organismes à l’étude, mais cette question relève toujours du choix habituel de la personne versée dans l’art. Ce choix ne constitue pas une étape inventive.

[67] La revendication 5 précise de plus que la méthode de détermination de la valeur de W3 est l’incinération du corps mort de l’organisme et la mesure de l’énergie libérée. Cela renvoie à l’utilisation d’un dispositif bien connu dans l’art de la thermodynamique, la bombe calorimétrique. Il s’agit d’une technique courante pour mesurer l’énergie latente et elle n’est pas inventive.

[68] Dans la réponse à notre avis quant à l’évidence, qui est présenté dans la lettre de révision préliminaire, M. Zakharian n’a formulé aucun commentaire au sujet de notre analyse de l’évidence, sauf pour indiquer qu’il a fait une découverte [traduction] « sans avoir d’indice ».

Conclusion quant à l’évidence

[69] Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que les revendications 1 à 5 visent des méthodes évidentes et ne sont pas conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.


 

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

[70] Nous recommandons au commissaire aux brevets de refuser d’accorder un brevet pour la demande en instance au motif que :

  • les revendications au dossier visent un objet qui ne correspond pas à la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets et qui est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets;

  • les revendications au dossier visent un objet qui n’a aucune utilité et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets;

  • la description ne décrit pas d’une façon exacte et complète l’invention, son fonctionnement ou son utilisation, et, par conséquent, n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)d) de la Loi sur les brevets;

  • les revendications au dossier sont évidentes et, par conséquent, non conformes à l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets.

 

 

 

 

Howard Sandler

Membre

Jason Fisher

Membre

Lewis Robart

Membre


 

DÉCISION DU COMMISSAIRE

[71] Je souscris à la recommandation de la Commission de rejeter la demande au motif que :

  • les revendications au dossier visent un objet qui ne correspond pas à la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets et qui est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets;

  • les revendications au dossier visent un objet qui n’a aucune utilité et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets;

  • la description ne décrit pas d’une façon exacte et complète l’invention, son fonctionnement ou son utilisation, et, par conséquent, n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)d) de la Loi sur les brevets;

  • les revendications au dossier sont évidentes et, par conséquent, non conformes à l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets.

[72] En conséquence, conformément à l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande.

[73] Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le Demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

Konstantinos Georgaras

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec)

ce 13e jour d’octobre 2022

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