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Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 742 315 (la demande en instance), intitulée « PROCÉDÉ ET APPAREIL DESTINÉS À UNE DÉCOMPOSITION CONFIGURABLE INDÉPENDANTE D’UN MODÈLE D’UNE MÉTRIQUE COMMERCIALE » et qui appartient à Acoustic L.P. (le demandeur). La Commission d’appel des brevets (la Commission) a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, la Commission recommande que le commissaire aux brevets rejette la demande.

CONTEXTE

La demande

[2] La demande, fondée sur une demande déposée antérieurement en vertu du Traité de coopération en matière de brevets, est réputée avoir été déposée au Canada le 30 octobre 2009. Elle est devenue accessible au public le 6 mai 2010.

[3] L’application concerne généralement l’analyse de données multidimensionnelles et plus particulièrement la détermination de l’effet des activités de commercialisation sur une métrique commerciale. La demande comporte 20 revendications au dossier, qui ont été reçues au Bureau des brevets le 8 juin 2017.

Historique de la poursuite de la demande

[4] Le 19 mars 2018, une décision finale (DF) a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets, dans leur version antérieure au 30 octobre 2019. La DF a indiqué que la présente demande est irrégulière, car toutes les revendications au dossier visent un objet qui ne correspond pas à la définition d’invention et que, par conséquent, elles ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[5] Dans une réponse à la DF (RDF) du 27 août 2018, le demandeur a présenté des arguments en faveur de la brevetabilité des revendications au dossier, ainsi qu’un ensemble de revendications proposées (les revendications proposées).

[6] L’examinateur ayant jugé que la demande n’était toujours pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets, dans leur version antérieure au 30 octobre 2019, la demande a été transmise à la Commission pour révision le 20 février 2019, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs. Le résumé des motifs expose la position selon laquelle les revendications au dossier étaient toujours considérées comme irrégulières, et les revendications proposées ne remédieraient tout de même pas à l’irrégularité de l’objet principal.

[7] Dans une lettre en date du 20 février 2019, la Commission a transmis au demandeur une copie du résumé des motifs et lui a demandé de confirmer qu’il souhaitait toujours procéder avec la révision de la demande.

[8] Dans une lettre en date du 7 mars 2019, le demandeur a confirmé qu’il souhaitait qu’on procède à la révision.

[9] J’ai révisé la demande au nom de la Commission en vertu de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Dans une lettre de révision préliminaire (lettre de RP) en date du 15 juin 2021, j’ai exposé mon analyse préliminaire des questions au regard des revendications au dossier et des revendications proposées. J’ai également donné au demandeur une occasion de présenter d’autres observations orales ou écrites.

[10] Dans une lettre en date du 12 août 2021, le demandeur a refusé la possibilité d’une audience et a indiqué qu’il n’y aurait pas d’autres observations écrites.

QUESTIONS

[11] Les seules questions à examiner dans le cadre de la présente révision sont de savoir si les revendications au dossier visent un objet qui répond à la définition de l’invention qui figure à l’article 2 de la Loi sur les brevets et si les revendications visent un objet brevetable conformément au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

[12] J’examine également les revendications proposées.

PRINCIPES JURIDIQUES ET PRATIQUE DU BUREAU

Interprétation téléologique

[13] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 et à Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, l’interprétation téléologique est faite du point de vue d’une personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes (CGC) pertinentes, à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins. En plus d’interpréter le sens des termes d’une revendication, l’interprétation téléologique distingue les éléments essentiels de la revendication des éléments non essentiels. La question de savoir si un élément est essentiel dépend à la fois de l’intention exprimée dans la revendication ou déduite de celle-ci et de la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une variante ait un effet matériel sur le fonctionnement de l’invention.

[14] « Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets » (OPIC, novembre 2020) [EP2020-04] discute également de l’application de ces principes, soulignant que tous les éléments énoncés dans une revendication sont présumés essentiels à moins qu’il n’en soit établi autrement ou qu’une telle présomption soit contraire au libellé de la revendication.

Objet brevetable

[15] La définition d’invention est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[16] Le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets prévoit également que :

Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.

[17] L’EP2020-04 précise la pratique d’examen en ce qui concerne l’interprétation par le Bureau des brevets des principes juridiques applicables dans la détermination à savoir si le sujet défini par une revendication est un objet brevetable :

Afin d’être un objet brevetable et de ne pas être interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, l’objet défini par une revendication doit être limité à ou moins vaste que l’invention en question qui est dotée d’une existence physique ou est une manifestation d’un effet ou changement physique discernable et qui a trait à un domaine de réalisations manuelles ou industrielles, ce qui signifie des procédés comportant ou visant des sciences appliquées et industrielles, afin de distinguer, en particulier, des beaux-arts ou des œuvres d’art qui ne sont originales que dans un sens artistique ou esthétique.

Cela fait référence, en partie, à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Amazon.com, Inc., 2011 CAF 328, aux paragraphes 42 et 66 à 69.

[18] L’EP2020-04 décrit de façon plus approfondie l’approche du Bureau des brevets pour décider si une invention liée à un ordinateur est un objet brevetable. Par exemple, le simple fait qu’un ordinateur figure parmi les éléments essentiels de l’invention revendiquée ne signifie pas nécessairement que l’invention revendiquée est un objet brevetable. Un algorithme lui-même est un objet abstrait et non brevetable. Un ordinateur programmé pour traiter simplement l’algorithme d’une manière bien connue sans résoudre aucun problème dans le fonctionnement de l’ordinateur ne le rendra pas brevetable pour l’objet, parce que l’ordinateur et l’algorithme ne font pas partie d’une seule invention réelle qui résout un problème lié aux réalisations manuelles ou de production. D’autre part, si le traitement de l’algorithme sur l’ordinateur améliore la fonctionnalité de l’ordinateur, l’ordinateur et l’algorithme formeraient donc ensemble une seule invention réelle qui résout un problème lié aux réalisations manuelles ou de production et l’objet défini par la revendication serait un objet brevetable.

[19] Dans Schlumberger Canada Ltd c. Commissioner of Patents, [1982] 1 CF 845 (CA) [Schlumberger], le tribunal a conclu que, même si des ordinateurs étaient nécessaires pour que l’invention soit mise en pratique, l’ordinateur ne faisait pas partie de « ce qui a été découvert » et n’était donc pas pertinent pour déterminer si l’invention revendiquée était un objet brevetable; l’ordinateur n’était qu’utilisé pour faire le type de calculs pour lesquels il avait été inventé.

ANALYSE

Interprétation téléologique

[20] Dans la DF, à la page 2, la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes sont qualifiées comme suit :

[traduction]

Compte tenu des déclarations dans la description, la personne versée dans l’art à qui s’adresse la demande peut être définie comme groupe composé de personnes ayant une expérience dans le domaine des affaires, de l’économie et de l’analyse de marché.

La personne versée dans l’art posséderait les CGC suivantes : modèles de réponse au marché, métriques commerciales mesurables, activités commerciales et promotions.

[21] Dans la RDF, le demandeur n’a pas contesté ces définitions. Comme je l’ai écrit dans la lettre de RP, je les adopte, mais j’ajoute que la personne ou l’équipe compétente comprendrait un programmeur informatique et que leurs connaissances générales courantes comprendraient la manière de programmer des algorithmes mathématiques de traitement des données sur un ordinateur à usage général.

[22] Dans la DF aux pages 2 et 3, l’interprétation téléologique réalisée a donné lieu à un ensemble d’éléments essentiels pour certaines revendications selon une pratique antérieure du Bureau des brevets, maintenant remplacée par l’EP2020-04. J’entreprends à nouveau l’identification des éléments essentiels.

[23] La revendication indépendante 1 est représentative et se lit comme suit :

[traduction]

Une méthode mise en œuvre par ordinateur comprenant :

commander au processeur d’accéder à un modèle de réponse et à une pluralité d’activités, le modèle de réponse et la pluralité d’activités étant utilisés pour calculer une métrique commerciale attendue, dans laquelle chacune de la pluralité d’activités a une valeur de référence et une valeur exécutée;

commander au processeur de calculer une contribution à la métrique commerciale pour chaque activité parmi la pluralité d’activités en utilisant le modèle de réponse basé sur la configuration d’une première activité à l’une des valeurs de référence et exécutées correspondantes et la configuration d’autres activités parmi la pluralité d’activités à un état de valeur opposé à la première activité, dans lequel le calcul de chacune des contributions est indépendant d’un type de modèle de réponse;

commander au processeur de calculer une réponse différentielle en soustrayant le modèle de réponse avec la pluralité d’activités dans la valeur de référence du modèle de réponse avec la pluralité d’activités dans la valeur exécutée; et

commander au processeur de calculer une synergie en soustrayant une somme de chaque contribution à la métrique commerciale de la réponse différentielle.

[24] Selon l’EP2020-04, une interprétation téléologique cherche à déterminer où la personne versée dans l’art aurait compris que le demandeur avait l’intention d’installer des clôtures autour du monopole revendiqué.

[25] Compte tenu de l’ensemble du mémoire descriptif, la personne versée dans l’art comprendrait qu’il n’y a aucun langage indiquant que l’un des éléments de la revendication est facultatif ou fait partie d’une liste d’alternatives. Par conséquent, à mon avis, comme il est exprimé dans la lettre de RP, tous les éléments indiqués dans la revendication 1 sont considérés comme essentiels, y compris le processeur de l’ordinateur.

[26] Les revendications indépendantes 11, 15 et 18, visant un support de stockage lisible par ordinateur, un appareil et un système, respectivement, ont des éléments essentiels semblables à la revendication 1.

[27] Les revendications dépendantes ajoutent des détails sur l’algorithme de calcul et divers paramètres.

Objet brevetable

[28] Étant donné que mon point de vue sur les éléments essentiels diffère de celui de la DF, et à la lumière de la pratique mise à jour du Bureau des brevets, j’entreprends une nouvelle évaluation de l’objet brevetable conformément à l’EP2020-04.

[29] Comme je l’ai décrit plus haut dans la section « Principes juridiques et pratique du bureau », j’évalue pour chaque revendication si l’objet qu’elle définit constitue une seule invention réelle ayant une existence physique ou causant un effet ou un changement physique discernable.

[30] Comme je l’ai écrit dans la lettre de RP :

[traduction]

L’ordinateur ou le processeur est le seul élément essentiel ayant une existence physique. Cependant, la situation en l’espèce est similaire à celle de l’affaire Schlumberger, où la présence d’un ordinateur programmé à usage général n’a pas empêché que l’invention revendiquée soit considérée comme non brevetable. Un ordinateur qui effectue simplement des calculs comme il a été conçu pour le faire n’est pas considéré comme faisant partie d’une seule invention réelle.

Dans toutes les revendications, l’invention réelle semble consister à accéder à un modèle de réponse et à certaines activités (réception de données d’entrée), et à calculer les contributions à une métrique commerciale, à calculer une réponse différentielle et à calculer une synergie. Cela constitue un algorithme abstrait et est un objet interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

[31] À mon avis, toutes les revendications au dossier ne satisfont pas à l’exigence du caractère matériel pour l’objet brevetable conformément à la décision Amazon.com, comme il est mentionné dans l’EP2020-04, et ne sont pas conformes à la définition de l’« invention » qui figure l’article 2 de la Loi sur les brevets. De plus, toutes les revendications visent un objet abstrait interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

REVENDICATIONS PROPOSÉES

Objet brevetable

[32] La revendication proposée 1 est représentative et se lit comme suit :

[traduction]

Une méthode mise en œuvre par ordinateur comprenant : commander au processeur d’accéder à un modèle de réponse et à une pluralité d’activités, le modèle de réponse et la pluralité d’activités étant utilisés pour calculer une métrique commerciale attendue, dans laquelle chacune de la pluralité d’activités a une valeur de référence et une valeur exécutée; calculer, à l’aide d’un processeur, une contribution à la métrique commerciale attendue pour chacune de la pluralité d’activités à l’aide du modèle de réponse sur la base de la définition d’une première activité sur une valeur correspondante parmi la valeur de référence et la valeur exécutée et la définition d’autres activités parmi la pluralité d’activités sur un état de valeur opposé à la première activité, dans lequel le calcul de chaque contribution est indépendant d’un type de modèle de réponse; calculer, à l’aide d’un processeur, une réponse différentielle en soustrayant le modèle de réponse avec la pluralité d’activités dans la valeur de référence du modèle de réponse avec la pluralité d’activités dans la valeur exécutée; et calculer, à l’aide du processeur, une synergie en soustrayant une somme de chaque contribution à la métrique commerciale attendue de la réponse différentielle.

[33] Les revendications proposées indiquent plus clairement qu’il existe un processeur informatique exécutant l’algorithme, mais n’ajoutent aucun élément essentiel. Le fait qu’un ordinateur physique soit positivement décrit dans les revendications n’est pas contesté. Comme je l’ai écrit à propos des revendications au dossier, l’ordinateur mentionné dans les revendications proposées est un élément essentiel, mais n’est pas considéré comme faisant partie de l’invention réelle. L’ordinateur effectue simplement des calculs comme il a été conçu pour le faire, comme dans l’affaire Schlumberger.

[34] À mon avis, les revendications au dossier ne satisfont pas à l’exigence du caractère matériel pour l’objet brevetable conformément à Amazon.com, comme il est mentionné dans l’EP2020-04, et ne sont pas conformes à la définition de l’« invention » qui figure l’article 2 de la Loi sur les brevets. De plus, les revendications visent un objet abstrait interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. Par conséquent, les revendications proposées ne constituent pas des « modifications nécessaires » au sens du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

CONCLUSION ET RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

[35] Pour les raisons indiquées ci-dessus, je recommande au commissaire aux brevets de rejeter la présente demande aux motifs que les revendications au dossier visent un objet non brevetable et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Les revendications sont également interdites en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. Les revendications proposées ne remédient pas à l’irrégularité liée à l’objet principal et ne constituent donc pas des « modifications nécessaires » au sens du paragraphe 86(11) de la Loi sur les brevets.

 

 

Howard Sandler

Membre

 

 

 

 


 

DÉCISION DU COMMISSAIRE

[36] Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande au motif que les revendications au dossier visent un objet non brevetable et qu’elles sont non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets et qu’elles sont interdites au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

[37] En conséquence, conformément à l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. En vertu de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

Virginie Ethier

Sous-commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

ce 23e jour d’ août 2021

 

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