Brevets

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Référence : United Parcel Service of America, Inc (Re), 2021 CACB 29

Décision du commissaire no 1582

Commissioner’s Decision #1582

Date : 2021-06-09

SUJET :

B–00

Caractère indéfini

 

J–00

Signification de la technique

 

J–50

Simple plan

 

O–00

Évidence

 

 

 

TOPIC:

B–00

Indefiniteness

 

J–00

Meaning of Art

 

J–50

Mere Plan

 

O–00

Obviousness

Demande n2 572 762

Application No.: 2,572,762


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96-423), dans leur version antérieure au 30 octobre 2019, la demande de brevet no 2 572 762 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). La recommandation de la Commission d’appel des brevets et la décision du commissaire sont de rejeter la demande.

Agent du Demandeur :

ROBIC

20e étage

630, boulevard René-Lévesque-Ouest

Montréal (Québec) H3B 1S6

 


Introduction

[1] Cette recommandation porte sur la révision de la demande de brevet refusée numéro 2 572 762, intitulée « SYSTÈMES ET PROCÉDÉS DE FACTURATION SUR LA BASE D’UN MONTANT D’ENVOI MINIMUM » et inscrite au nom de United Parcel Service of America, Inc (le « Demandeur »). Les irrégularités signalées dans la décision finale (DF) sont que les revendications visent un objet évident et non prévu par la Loi. La Commission d’appel des brevets (la « Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Comme nous l’expliquons ci-dessous, notre recommandation est de rejeter la demande.

Contexte

La demande

[2] La demande de brevet canadien no 2 572 762, fondée sur une demande déposée antérieurement en vertu du Traité de coopération en matière de brevets, est considérée comme ayant une date de dépôt du 7 juillet 2005 et est devenue accessible au public depuis le 16 février 2006.

[3] L’invention porte sur des méthodes pour traiter des factures (comme des factures d’expédition), particulièrement de telles méthodes où, si une facture était pour un montant inférieur à un certain seuil, son émission serait reportée au prochain cycle de facturation ou autrement traitée de manière différente.

Historique de la poursuite

[4] Le 7 novembre 2017, une DF a été publiée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets (DORS/96-423), dans sa version immédiatement antérieure au 30 octobre 2019 (les anciennes règles). La DF indiquait que la demande était irrégulière pour deux motifs : les revendications 1 à 17 (c’est-à-dire toutes les revendications au dossier) englobent un objet qui ne correspond pas à la définition d’invention au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets et elles caractérisent un objet évident, en contravention à larticle 28.3 de la Loi sur les brevets.

[5] Dans sa réponse du 7 mai 2018 à la DF (RDF), le Demandeur présente des arguments pour soutenir l’acceptation, propose un ensemble modifié de 19 revendications (les revendications proposées) et introduit les modifications correspondantes à la description. L’examinateur n’a pas considéré que la modification corrigeait les irrégularités et n’a pas été convaincu par les arguments du Demandeur de retirer le refus.

[6] Par conséquent, conformément au paragraphe 30(6) des anciennes règles, la demande a été transmise à la Commission aux fins de révision au nom du commissaire aux brevets. Le 18 septembre 2018, la Commission a transmis une copie du résumé des motifs de l’examinateur auquel était jointe une lettre confirmant le refus à l’intention du Demandeur.

[7] Un comité a été constitué pour effectuer une révision de la demande; subséquemment à notre révision préliminaire, nous avons envoyé une lettre le 23 février 2021 (la lettre de RP) présentant notre analyse et notre justification pourquoi, selon le dossier devant nous, nous estimons que les revendications au dossier caractérisent un objet qui ne correspond pas à l’article 2 de la Loi sur les brevets (et qui est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets), mais un objet qui est non évident, se conformant ainsi l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Conformément au paragraphe 86(9) des Règles sur les brevets, la lettre de RP a également expliqué pourquoi nous estimons que les revendications 1 à 6, 8, 9, 14, 15 et 17 au dossier sont indéfinies et contreviennent au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets; cette irrégularité a été observée au cours de la révision préliminaire. De plus, la lettre de RP expliquait également pourquoi nous estimions que les revendications proposées 1 à 19 définissent également un objet non brevetable, mais non évident, et que les revendications proposées 1 à 6, 8, 9, 14, 15, 17 et 18 sont indéfinies.

[8] Deux courriels du 9 mars 2021 et du 30 mars 2021 indiquaient que le Demandeur ne voulait pas poursuivre le processus de révision, et plutôt abandonner la demande.

[9] Puisqu’aucune observation écrite n’a été envoyée et que le Demandeur ne voulait pas la tenue d’une audience, nous avons entrepris notre révision finale en fonction du dossier écrit. Étant donné que rien n’a changé dans le dossier écrit depuis l’envoi de la lettre de RP, nous avons maintenu ses raisons et conclusions.

Questions

[10] La présente révision porte sur les questions de savoir si les revendications au dossier :

  • englobent un objet qui ne correspond pas à la définition d’invention de l’article 2 de la Loi sur les brevets et qui est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets;

  • visent un objet qui aurait été évident, ce qui contrevient à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets;

  • sont indéfinies, ce qui contrevient au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[11] La révision aborde ensuite la question de savoir si les revendications proposées constituent les modifications nécessaires en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

Principes juridiques et pratique du Bureau des brevets

Interprétation téléologique

[12] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 et à Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, l’interprétation téléologique est faite du point de vue d’une personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes (CGC) pertinentes, à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins. En plus d’interpréter le sens des termes d’une revendication, l’interprétation téléologique distingue les éléments essentiels de la revendication des éléments non essentiels. La question de savoir si un élément est essentiel dépend de l’intention exprimée dans la revendication ou déduite de celle-ci et de la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une variante a un effet matériel sur le fonctionnement de l’invention.

[13] L’avis « Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets » (OPIC, novembre 2020) [PN2020-04] aborde également l’application de ces principes, soulignant que tous les éléments énoncés dans une revendication sont présumés essentiels à moins qu’il n’en soit établi autrement ou qu’une telle présomption soit contraire au libellé de la revendication.

Objet brevetable

[14] La définition d’invention est établie à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[15] Le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets stipule également que :

Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.

[16] Dans Canada (Procureur général) c. Amazon.com, Inc, 2011 CAF 328, aux par. 61 à 63 et 69 [Amazon.com], la Cour d’appel fédérale a expliqué que simplement réaliser une pratique commerciale abstraite en la programmant dans un ordinateur n’en fait pas un objet brevetable.

[17] L’énoncé PN2020-04 décrit l’approche du Bureau des brevets pour déterminer si une revendication est un objet brevetable :

Afin d’être un objet brevetable et de ne pas être interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, l’objet défini par une revendication doit être limité à ou moins vaste que l’invention en question qui est dotée d’une existence ou une manifestation d’un effet ou changement physique discernable et qui a trait à un domaine de réalisations manuelles ou industrielles, ce qui signifie des procédés comportant ou visant des sciences appliquées et industrielles, afin de distinguer, en particulier, des beaux-arts ou des œuvres d’art qui ne sont originales que dans un sens artistique ou esthétique.

[18] L’énoncé PN2020-04 décrit de façon plus approfondie l’approche du Bureau des brevets pour décider si une invention liée à un ordinateur vise un objet brevetable. Par exemple, le simple fait qu’un ordinateur figure parmi les éléments essentiels de l’invention revendiquée ne signifie pas nécessairement que l’invention revendiquée vise un objet brevetable. Un algorithme lui-même est un objet abstrait et non brevetable. Un ordinateur programmé pour traiter simplement l’algorithme d’une manière bien connue sans résoudre aucun problème dans le fonctionnement de l’ordinateur ne rendra pas ce dernier un objet brevetable, parce que l’ordinateur et l’algorithme ne font pas partie d’une seule invention réelle qui résout un problème lié aux réalisations manuelles ou industrielles. D’autre part, si le traitement de l’algorithme sur l’ordinateur améliore la fonctionnalité de l’ordinateur, l’ordinateur et l’algorithme formeraient donc ensemble une seule invention réelle qui résout un problème lié aux réalisations manuelles ou industrielles et l’objet défini par la revendication serait un objet brevetable.

Évidence

[19] L’article 28.3 de la Loi sur les brevets exige que l’objet revendiqué ne soit pas évident :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

[20] Dans Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, au par. 67, la Cour suprême du Canada a déclaré que lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets suivante :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

Caractère indéfini

[21] Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets exige que les revendications définissent distinctement et en en termes explicites l’objet :

Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

Analyse

Interprétation téléologique

La personne versée dans l’art et les CGC pertinentes

[22] La lettre de RP a cité deux références, lesquelles avaient été citées dans la DF, démontrant les CGC par leurs descriptions du contexte :

  • D2 :US 2001/005636227 décembre 2001Hanagan et coll.

  • D3 :WO 02/192117 mars 2002Williams et coll.

[23] La DF a caractérisé la personne versée dans l’art comme une équipe formée d’un analyste d’entreprise et d’un spécialiste en technologie de l’information (TI) et a caractérisé les CGC en conséquence.

[24] Le Demandeur n’était pas d’accord dans la RDF, caractérisant la personne versée dans l’art comme uniquement un analyste d’entreprise qui aurait peu ou pas de connaissances en TI. Le Demandeur a observé qu’il faut faire preuve de prudence lorsque l’on caractérise une personne versée dans l’art comme une équipe multidisciplinaire, puisque l’invention peut exister dans la collaboration elle-même entre les membres d’équipe de différentes disciplines. Par conséquent, affirme le Demandeur, une personne versée dans l’art doit être caractérisée comme une équipe seulement dans des situations limitées et, même alors, les CGC de chaque personne doivent être imputées aux CGC de l’équipe séparément de celles des autres personnes : les CGC de l’équipe n’incluent pas l’application des aptitudes ou des connaissances d’une personne à celles des autres.

[25] Par conséquent, affirme le Demandeur, même si la personne versée dans l’art était caractérisée comme une équipe incluant un analyste de la TI en plus de l’analyste d’entreprise, l’analyste de la TI aurait peu ou pas de connaissances dans les processus d’entreprise. Une telle équipe ne posséderait aucune CGC concernant la façon d’appliquer les aptitudes ordinaires d’un analyste à celles de l’autre.

[26] Comme il a été expliqué dans la lettre de RP, la personne versée dans l’art est le destinataire d’une demande de brevet et doit être en mesure de mettre en pratique l’invention divulguée et revendiquée, voir le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (OPIC) aux sections 12.02.02b et 14.02.02, révisées en juin 2015 et en octobre 2019. Donc, dans ce cas-ci, compte tenu du domaine de l’invention, la description de l’invention et de l’objet des revendications, la personne versée dans l’art ou l’équipe doit posséder des aptitudes concernant à la fois le traitement des factures et les systèmes d’ordinateur.

[27] De plus, les CGC de cette personne versée dans l’art ou de l’équipe comprennent également l’application de ces aptitudes à l’une et à l’autre des personnes de l’équipe ou la collaboration entre les membres d’équipe avec chacun d’eux ayant des aptitudes différentes. La description (pages 1 et 4) indique que l’utilisation des systèmes d’ordinateur pour traiter les renseignements des comptes débiteurs et préparer des factures est bien connue. La description présente de plus un exemple d’un tel système d’ordinateur typique. Ainsi, une équipe de spécialistes d’entreprises et des TI s’appuyant les uns et les autres ou collaborant entre eux représente des équipes du monde réel.

[28] Par conséquent, la lettre de RP a caractérisé la personne versée dans l’art comme une équipe formée d’un ou plusieurs professionnels d’entreprise expérimentés dans le traitement de renseignements de comptes débiteurs et la préparation de factures, ainsi que des programmeurs et d’autres technologues expérimentés dans le développement et l’approvisionnement des logiciels, des outils et de l’infrastructure habituellement utilisés pour appuyer de tels professionnels.

[29] Selon la caractérisation de la personne versée dans l’art ci-dessus, et appuyé par ce que la présente demande divulgue (pages 1, 2 et 4 à 6; figure 1), le document D2 (paragraphes 5 à 51) et le document D3 (pages 1 et 2) décrivent comme étant généralement connu ou normalement fait dans le domaine, la lettre de RP a caractérisé les CGC pertinentes comme incluant :

  • la reconnaissance des coûts subis dans le traitement des renseignements de comptes débiteurs ainsi que la préparation et le traitement des factures;

  • la pratique d’entreprise de parfois renoncer à un montant dû lorsque ce montant est inférieur au coût qui serait subi pour préparer et traiter une facture pour ce montant;

  • l’utilisation de systèmes d’ordinateur pour le traitement des renseignements de comptes débiteurs ainsi que la préparation et le traitement des factures;

  • la connaissance des architectures de réseautique standards, l’ajustement des logiciels pour répondre aux besoins de facturation particuliers, la programmation et la gestion de bases de données, ainsi que le matériel informatique commun;

  • l’impression et l’envoi par la poste de factures, ainsi que la transmission électronique de factures.

Les éléments essentiels

[30] Les revendications indépendantes 1 et 7 au dossier portent sur l’impression sélective de factures, où la revendication 1 est sous la forme d’un système d’ordinateur et la revendication 7 est sous la forme d’un logiciel. La revendication 1 est représentative :

[traduction]

Revendication 1. Un système d’ordinateur pour imprimer sélectivement des factures, formé de :

une base de données stockant un montant seuil de facture prédéterminé indiquant une valeur numérique définie par le processus d’un appareil de communication et une pluralité d’enregistrements où au moins l’un des enregistrements comporte un identificateur de compte qui correspond à un compte, un montant de solde dû, un indicateur historique formé de données historiques, un compteur de suppression des impressions de factures et un indicateur formé de données indicatrices indiquant si le traitement des factures au niveau minimal est permis par l’appareil de communication conjointement avec l’enregistrement;

un processeur de l’appareil de communication connecté sur le plan opérationnel à une imprimante et la base de données, le processeur de l’appareil de communication configuré pour :

récupérer de la base de données au moins un enregistrement de facture de la pluralité d’enregistrements;

déterminer si les données indicatrices précisent que le traitement des factures au niveau minimal, conjointement avec l’enregistrement, est permis, où le traitement des factures au niveau minimal comporte le report de l’émission d’une facture associée au compte;

déterminer si la facture a été précédemment reportée un certain nombre de fois en fonction de l’évaluation des données historiques de l’indicateur historique stocké dans la base de données;

générer la facture associée à l’enregistrement pour le solde dû, en réponse à la détermination qu’un montant d’argent associé au solde dû correspondant au compte est inférieur au montant seuil et, en réponse au processeur de l’appareil de communication déterminant que la génération de la facture a été précédemment reportée par l’appareil de communication le nombre de fois prédéterminé en fonction, en partie, de l’évaluation des données historiques.

[31] Les revendications dépendantes 2 à 6 au dossier décrivent le processeur à la revendication 1 comme étant également programmé pour imprimer les factures papier dans certaines conditions selon certaines règles. Les revendications dépendantes 15 et 17 au dossier récitent d’autres détails concernant les règles pour déterminer s’il faut imprimer ou non une facture.

[32] Les revendications dépendantes 8, 10 et 11 au dossier décrivent le logiciel de la revendication 7 comme incluant d’autres instructions pour faciliter l’impression de factures papier dans certaines conditions selon les règles; les revendications dépendantes 9, 12 à 14 et 16 au dossier récitent d’autres détails portant sur les règles pour déterminer s’il faut imprimer ou non une facture.

[33] Conformément à la pratique à l’époque, la DF a caractérisé les éléments essentiels comme étant l’enregistrement de certaines données concernant le traitement de factures au niveau minimal et au moins un compte et, pour chaque compte, soit reporter la génération de factures ou générer une facture en fonction des données enregistrées et de certaines règles. L’examinateur n’a pas considéré qu’une quelconque technologie informatique était essentielle.

[34] Le Demandeur était en désaccord dans la RDF, affirmant que tous les éléments dans les revendications indépendantes sont essentiels. Sans tous les détails revendiqués concernant lesquelles des conditions mènent soit à un report ou à une génération d’une facture et sans les éléments revendiqués mis en œuvre par ordinateur, une solution complète au problème proposé n’est par fournie.

[35] Comme il a été indiqué dans la lettre de RP, nous ne voyons rien dans le libellé des revendications ou au dossier devant nous qui permet de déterminer que l’un des éléments revendiqués est non essentiel.

Objet brevetable

[36] La DF a déterminé que le problème est l’occurrence du scénario où le coût de générer une facture dépasse le montant dû et que la solution est l’action de reporter la génération de facture jusqu’à une possibilité de facturation subséquente lorsque le montant agrégé dû correspond au coût de générer une facture ou le dépasse. En conséquence, il a été soumis dans la DF que les éléments essentiels des revendications au dossier portent sur un ensemble de règles administratives et de processus intellectuels, abstraits et donc non brevetables.

[37] Le Demandeur était en désaccord dans la RDF, affirmant qu’une solution complète dans ce contexte doit aborder les importantes considérations pratiques du problème : le problème concerne les factures papier imprimées plutôt que la facturation électronique, les cas distincts de génération de factures papier peuvent être comptés et les économies sont mesurées en termes de temps en personnel, d’utilisation des ressources et de consommation de matériel. Par conséquent, il est affirmé dans la RDF que les éléments mis en œuvre par ordinateur des revendications au dossier sont essentiels et que l’invention revendiquée est un objet prévu par la Loi : il a une existence physique ou manifeste un effet ou changement physique discernable et produit un résultat utile sur le plan commercial.

[38] Comme l’explique la lettre de RP, les revendications indépendantes introduisent leur objet comme étant [traduction] « pour l’impression sélective » de factures papier, mais définit seulement la génération de factures, pas leur impression. Le titre de la description et la section décrivant le domaine de l’invention (page 1) présentent l’invention de manière à ce que le contexte ne se limite pas à la génération de factures papier. La section décrivant le contexte de l’invention (page 1) reconnaît que la transmission de factures ainsi que leur impression et leur expédition par la poste sont connues. Générer et traiter des factures entraîne des coûts, peu importe le mode de communication utilisé. Même si l’utilisation de la transmission électronique évite le besoin d’imprimer une facture et de l’envoyer par la poste, le temps du personnel sera tout de même consommé et les ressources seront tout de même utilisées dans la génération et la communication de la facture, l’enregistrement du montant dû, la réception du paiement et la mise à jour des enregistrements et des renseignements comptables. La solution de l’art antérieur décrite par la demande (page 2), peu importe le mode de communication utilisé, serait fonctionnelle, mais également insatisfaisante pour la raison donnée dans la description. La description (pages 5 à 7 et 14) n’exclut pas les formes électroniques de présentation ou de transmission des factures.

[39] La lettre de RP a malgré tout remarqué que la description (pages 2, 5, 7, 10 et 14) renvoie également aux modes de réalisation qui comportent particulièrement l’impression sélective des factures et que les revendications visent de tels modes de réalisation, même si les revendications indépendantes ne récitent pas explicitement l’étape de l’impression sélective. Par conséquent, la personne versée dans l’art estimerait que les inventions revendiquées se limitent au contexte des factures papier.

[40] La solution proposée par la demande (pages 2 et 4) est appelée traitement des factures au niveau de seuils ou traitement des factures au niveau minimal : si le montant d’une facture est inférieur à un certain seuil et que certains critères sont remplis, la génération de la facture peut être reportée au prochain cycle de facturation. Bien que système d’ordinateur soit habituellement utilisé, la demande ne semble pas préliminairement aborder un problème lié aux ordinateurs ou une amélioration du fonctionnement d’un ordinateur, autant qu’une amélioration d’une procédure administrative de génération de factures. La demande ne mentionne aucun défi lié à la mise en œuvre de la stratégie ou des règles proposées ou dans l’informatisation de l’algorithme par lequel les règles sont incarnées. La demande (pages 5 et 6; figure 1) décrit en général un système d’ordinateur conventionnel, indiquant qu’il est en mesure de mettre en œuvre l’invention.

[41] En conséquence, dans la revendication représentative 1, l’ordinateur programmé pour réaliser l’idée abstraite de sélectivement reporter la génération de factures est simplement un ordinateur programmé pour traiter cet algorithme abstrait ou cet ensemble abstrait de règles administratives d’une manière bien établie, sans résoudre un quelconque problème dans le fonctionnement de l’équipement informatisé. L’ordinateur et l’algorithme ne forment pas une seule invention réelle qui a une existence physique ou qui manifeste un effet ou changement discernable et qui a trait aux réalisations manuelles ou industrielles.

[42] Comme l’explique la lettre de RP, et comme le montre la discussion ci-dessus portant sur Amazon.com et l’énoncé PN2020-04, une telle invention revendiquée est un objet non brevetable et est interdite en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

[43] Nous ne voyons rien dans les éléments essentiels des revendications 2 à 17 au dossier qui influencerait ce raisonnement précédent. Par exemple, bon nombre des revendications dépendantes comprennent des moyens pour imprimer (ou pour [traduction] « faciliter » l’impression) des factures, mais ceux-ci constituent des moyens de production de données génériques, représentant une des fonctionnalités bien établies de l’ordinateur programmé pour réaliser l’idée abstraite. Par conséquent, nous estimons que les revendications 1 à 17 au dossier caractérisent un objet non brevetable, qui ne relève pas de l’article 2 de la Loi sur les brevets et qui est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

Évidence

Identifier la personne versée dans l’art et déterminer les CGC pertinentes

[44] Comme il est indiqué dans la lettre de RP, nous considérons que les caractérisations ci-dessus de la personne versée dans l’art et les CGC pertinentes sont applicables pour évaluer l’évidence.

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

[45] Ci-dessus, nous avons interprété la revendication 1; nous adoptons les éléments essentiels définis ci-dessus de la revendication 1 afin d’évaluer l’évidence.

Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

[46] Comme il est indiqué dans la lettre de RP, le document D2 est la référence la plus pertinente. Le document D2 (abrégé; paragraphes 33 à 44, 79, 80, 162, 176, 231 à 236 et 259) divulgue un système de services à la clientèle et de facturation modulaire et convergent qui comporte des moyens de maintenir les comptes des clients et de générer des factures ou des reçus de manière cyclique et en réponse à des événements déclencheurs. Le document D2 (paragraphe 232) explique que l’un des événements déclencheurs peut entraîner l’occurrence de l’atteinte d’un certain seuil, mais n’approfondit pas la question. Le document D2 ne discute également pas de manière expresse le concept de traitement des factures au niveau minimal ou le report (ou l’impression) sélectif d’une facture cyclique, et encore moins du suivi du nombre de fois que la génération d’une telle facture a été reportée.

[47] La lettre de RP décrit également le document D2 : ce document (abrégé; pages 1, 9, 17 et 18) divulgue un système de facturation de tiers également en mesure de maintenir les comptes de transactions des clients et d’agréger les transactions d’un client avant de les facturer au compte de facturation du client. Le document D3 (page 18) suggère que les transactions peuvent être agrégées pendant une période prédéterminée ou jusqu’à ce que le total de leurs montants dépasse un seuil prédéterminé. Le document D2 explique également que l’événement déclencheur pour soumettre les transactions agrégées au compte de facturation doit être choisi de manière à ce que l’exploitation du système de facturation de tiers soit rentable, tenant compte de tous frais de traitement exigés par l’autorité associée au compte de facturation du client. Le document D3 divulgue aussi un mode de réalisation où le système peut utiliser des critères prédéterminés pour déterminer s’il faut agréger une transaction avec d’autres ou la facturer directement au compte de facturation; les critères peuvent comprendre un montant de seuil administratif où toute transaction au-dessus du montant est facturée directement. Le document D3 ne divulgue pas explicitement un mode de réalisation où les transactions sont agrégées pendant une période déterminée et la facturation est reportée de nouveau si le montant total agrégé est inférieur à un seuil. De plus, le document D2 ne suggère pas de suivre le nombre de fois que la facturation est reportée.

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention telle que revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[48] Comme il a été expliqué ci-dessus, ni le document D2 ni le document D3 ne suggèrent de suivre le nombre de fois que la génération d’une facture périodique pour un compte a été reportée et d’en générer une, peu importe le montant dû, une fois qu’un nombre maximal de reports a été dépassé. Cela n’est également pas suggéré par les CGC au dossier. En conséquence, nous estimons que ce détail, dans l’arrangement particulier des éléments essentiels de la revendication 1 au dossier, n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art. Comme l’a remarqué la lettre de RP, la revendication 7 et les revendications dépendantes au dossier possèdent également ce détail.

Conclusion concernant l’évidence

[49] Comme il est expliqué dans la lettre de RP, nous considérons que l’objet des revendications au dossier n’aurait pas été évident à la personne versée dans l’art au vu des documents D2 et D3 et des CGC. Par conséquent, ces revendications sont conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

Caractère indéfini

[50] La revendication 1 au dossier définit le système d’ordinateur comme stockant à la fois [traduction] « un indicateur historique formé de données historiques » et « un compteur de suppression des impressions de factures ». La revendication indique subséquemment que le système d’ordinateur détermine [traduction] « si la facture a été précédemment reportée un certain nombre de fois en fonction de l’évaluation des données historiques de l’indicateur historique ». Le compteur de suppression n’est pas mentionné de nouveau par cette revendication, mais la revendication dépendante 2 au dossier indique que le système peut également imprimer une facture (malgré l’indicateur indiquant que le traitement des factures au niveau minimal est permis et que le solde dû est inférieur au montant du seuil) lorsque [traduction] « le compteur de suppression des factures est égal à une valeur maximum du compteur de suppression des factures ».

[51] La description et les dessins (pages 10 à 13, 15; figures 3 à 5) ne suggèrent aucun compteur utilisé pour annuler l’impression, excepté pour un qui fait partie de l’indicateur historique et un qui est associé aux reports précédents. Il ne semble pas y avoir de [traduction] « compteur de suppression » séparé de [traduction] « l’indicateur historique ». Par conséquent, l’inclusion de ces termes dans les revendications 1 et 2 comme des entités séparées semble être redondante et rend les portées de ces revendications (et leurs revendications dépendantes 3 à 6, 15 et 17) vagues. La revendication dépendante 15 au dossier accroît la redondance en introduisant un compteur supplémentaire pour suivre les reports précédents.

[52] La revendication 8 au dossier, laquelle renvoie à la revendication 7 au dossier, souffre d’une irrégularité semblable. La revendication 7 définit un logiciel qui utilise [traduction] « un indicateur historique formé de données historiques » pour [traduction] « déterminer si la facture a été précédemment reportée un nombre prédéterminé de fois », mais la revendication 8 ajoute que le produit programme d’ordinateur utilise également [traduction] « un compteur de l’enregistrement de la facture » indiquant [traduction] « un nombre de fois que le processeur a annulé précédemment l’impression de la facture papier » pour déterminer si l’impression a déjà été annulée un nombre maximal de fois. Les revendications dépendantes 9 et 14 héritent de cette irrégularité.

[53] Par conséquent, comme il est indiqué dans la lettre de RP, nous estimons que les revendications 1 à 6, 8, 9, 14, 15 et 17 au dossier sont indéfinies et ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

Revendications proposées

[54] Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, le Demandeur a proposé un ensemble modifié de 19 revendications avec la RDF. Les modifications consistent d’un changement mineur du libellé du préambule de la revendication 1 et de l’ajout des revendications dépendantes 18 et 19, lesquelles précisent que si une facture doit être transmise par voie électronique, elle est transmise peu importe le montant dû.

[55] La lettre de RP expliquait que la modification proposée au préambule de la revendication 1 n’a aucune incidence sur les éléments essentiels des revendications 1 à 17 (les revendications 7 à 6 et 14 ne sont pas touchées), les caractérisations ci-dessus de la personne versée dans l’art et des CGC ou le libellé des revendications 1, 2, 15 et 17 abordées ci-dessus concernant l’irrégularité du caractère indéfini.

[56] De plus, nous estimons qu’il n’y a aucune différence entre les éléments essentiels des revendications proposées 18 et 19 et ceux des autres revendications qui aurait une incidence sur le raisonnement ci-dessus concernant la question de l’objet brevetable.

[57] En conséquence, notre opinion concernant l’objet brevetable et l’évidence s’applique également aux revendications proposées 1 à 19 et notre opinion concernant le caractère indéfini s’applique également aux revendications proposées 1 à 6, 8, 9, 14, 15, 17 et 18.

[58] Il s’ensuit que les revendications proposées ne sont pas considérées comme une modification nécessaire en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

 

Recommandation de la Commission

[59] À la lumière de ce qui précède, nous recommandons que la demande soit rejetée pour les motifs suivants :

  • les revendications 1 à 17 au dossier caractérisent un objet non brevetable, qui ne relève pas de l’article 2 de la Loi sur les brevets et qui est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets;

  • les revendications 1 à 6, 8, 9, 14, 15 et 17 au dossier sont indéfinies et ne sont donc pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

Leigh Matheson

Paul Bourgeois

Paul Fitzner

Membre

Membre

Membre

 

 

 

 

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE

[60] Je souscris aux conclusions de la Commission et à sa recommandation de rejeter la demande pour les motifs suivants :

  • les revendications au dossier caractérisent un objet non brevetable, qui ne relève pas de l’article 2 de la Loi sur les brevets et qui est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets;

  • les revendications 1 à 6, 8, 9, 14, 15 et 17 au dossier sont indéfinies et ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[61] Par conséquent, je refuse d’accorder un brevet pour cette demande. Aux termes de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le Demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

Virginie Ethier,

Sous-commissaire aux brevets

 

 

 

Fait à Gatineau (Québec)

ce 9e jour de juin 2021

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