Brevets

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Référence : Genentech, Inc. (Re), 2021 CACB 20

Décision du commissaire no 1573

Commissioner’s Decision #1573

Date : 2021-05-04

SUJET :

J40

Processus psychologique

TOPIC:

J40

Mental Steps

 

 

 

 

 

 

Demande no 2 569 520

Application No. : 2,569,520


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96-423), dans leur version antérieure au 30 octobre 2019 (les « anciennes Règles sur les brevets »), la demande de brevet numéro 2 569 520 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, le commissaire annule le refus de la demande et accepte cette dernière.

Agent du demandeur :

Smart & Biggar

2300-1055, rue Georgia-Ouest

Vancouver (Colombie-Britannique) V6E 3P3

Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadienne refusée numéro 2 569 520, qui est intitulée « Mutations de KRAS destinées à identifier des tumeurs colorectales réagissant au Cetuximab ou au Panitumumab » et qui est inscrite au nom de Genentech, Inc. (le Demandeur). La Commission d’appel des brevets (la Commission) a procédé à une révision de la demande refusée, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets.

[2] Comme il est indiqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons que la commissaire des brevets annule le refus et accepte la demande.

Contexte

La demande

[3] La demande a été déposée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets, et la date de dépôt au Canada est le 2 juin 2005. Elle est devenue accessible au public pour consultation le 15 décembre 2005.

[4] La demande refusée porte sur des méthodes de diagnostic pour identifier les tumeurs colorectales qui répondront au traitement au cetuximab ou au panitumumab. Les tumeurs colorectales sont susceptibles au traitement fondé sur la présence de protéines KRAS de type sauvage.

[5] La demande comporte 7 revendications au dossier, qui ont été reçues au Bureau des brevets le 17 janvier 2017.

Historique de la poursuite de la demande

[6] Le 14 août 2017, une décision finale (DF) a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des anciennes Règles sur les brevets. La DF indique que les éléments essentiels des revendications 1 à 7 (toutes les revendications au dossier) se limitent à des conclusions intellectuelles désincarnées qui ne correspondent pas à une catégorie d’invention définie à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[7] Dans une réponse à la DF (RDF) en date du 14 février 2019, le Demandeur a proposé un ensemble contenant 33 revendications. Notamment, les revendications 1 à 7 proposées demeurent inchangées et le Demandeur continue d’affirmer pourquoi, selon lui, ces revendications sont conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[8] L’examinateur n’a pas été convaincu par les arguments du Demandeur concernant les revendications au dossier et donc, en vertu de l’alinéa 30(6)c) des anciennes règles, la demande a été transmise à la Commission aux fins de révision accompagnée du résumé des motifs (RM) de l’examinateur. Le RM indiquait également que, en plus de porter sur un objet non brevetable, les revendications proposées 8 à 16 étaient irrégulières pour d’autres motifs et qu’il y avait un problème relatif à l’unité avec les revendications 17 à 33. Le 1er avril 2019, la Commission a acheminé une copie du RM au Demandeur. Dans une réponse en date du 1er août 2019, le Demandeur a indiqué qu’il souhaitait toujours que la Commission procède à la révision de sa demande.

[9] Le présent Comité (le Comité) a été constitué dans le but de réviser la demande refusée et de présenter une recommandation au commissaire quant à la décision à rendre. Nos conclusions sont énoncées ci-dessous.

[10] Subséquemment au RM de l’examinateur, le Comité remarque que, en raison de la décision de la Cour fédérale dans Yves Choueifaty c. Procureur général du Canada, 2020 CF 837, le Bureau des brevets a publié un avis sur les brevets et des lignes directrices révisées au sujet de l’interprétation téléologique et de l’évaluation de l’objet brevetable : « Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets » (OPIC, novembre 2020) [PN2020-04]. Notamment, cette directive remplace l’approche appliquée dans la DF, comme le prévoit la section 12.02 (juin 2015) du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (OPIC) et dans l’avis sur les brevets « Pratique d’examen concernant les méthodes de diagnostic médical – PN 2015-02 » (juin 2015).

Question

[11] L’unique question qui sera évaluée par cette révision est de savoir si les revendications 1 à 7 au dossier définissent un objet brevetable qui correspond à la définition d’« invention » de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Principes juridiques et pratiques du Bureau des brevets

Interprétation téléologique

[12] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 et Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, l’interprétation téléologique est menée à partir du point de vue de la personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes (CGC) pertinentes, tenant compte de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins. En plus d’interpréter la signification des termes d’une revendication, l’interprétation téléologique fait la distinction entre les éléments essentiels de la revendication et les éléments non essentiels. La question de savoir si un élément est essentiel dépend de l’intention exprimée dans la revendication ou déduite de celle-ci et de la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une variante a un effet matériel sur le fonctionnement de l’invention.

[13] L’énoncé PN2020-04 discute également de l’application de ces principes, soulignant que tous les éléments présentés dans une revendication sont présumés essentiels, à moins que le contraire soit établi ou qu’une telle supposition aille à l’encontre du libellé de la revendication.

Objet brevetable et méthodes de diagnostic

[14] La définition d’invention est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[15] Le paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets stipule également que :

Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.

[16] L’énoncé PN2020-04 décrit l’approche du Bureau des brevets pour déterminer si une revendication est un objet brevetable :

Afin d’être un objet brevetable et de ne pas être interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, l’objet défini par une revendication doit être limité à ou moins vaste que l’invention en question qui est dotée d’une existence physique ou est une manifestation d’un effet ou changement physique discernable et qui a trait à un domaine de réalisations manuelles ou industrielles, ce qui signifie des procédés comportant ou visant des sciences appliquées et industrielles, afin de distinguer, en particulier, des beaux‑arts ou des œuvres d’art qui ne sont originales que dans un sens artistique ou esthétique.

[17] En faisant particulièrement référence à l’évaluation de l’objet brevetable concernant les revendications fondées sur des méthodes de diagnostic, l’énoncé PN2020-04 indique que :

Une revendication visant une méthode de diagnostic médical comprend souvent un élément qui établit la corrélation entre un analyte précis ou le résultat d’un test médical et une maladie. Une corrélation, à elle seule, serait généralement considérée comme une idée abstraite ou désincarnée. Dans de nombreux cas, une revendication relative à une méthode de diagnostic médical comprend également une étape physique ou plus qui comprend la réalisation d’un test médical ou la détermination de la présence ou de la quantité de l’analyte dans un échantillon. De telles étapes peuvent comprendre, par exemple, des moyens pour l’identification, la détection, la mesure, etc. de la présence ou de la quantité d’un analyte.

Une idée abstraite qui est un élément d’une revendication qui collabore avec d’autres éléments de la revendication devient partie intégrante d’une combinaison d’éléments qui composent une seule invention réelle. Dans de tels cas, tous les éléments de la combinaison sont considérés comme l’ensemble et peuvent constituer un objet brevetable si l’invention réelle a soit une existence physique ou soit manifeste un effet ou un changement physique discernable.

Ainsi, une revendication fondée sur une méthode de diagnostic qui définit une combinaison d’éléments qui collaborent de façon à former une seule invention réelle qui comprend des moyens physiques d’essai ou d’identification, de détection, de mesure, etc., la présence ou la quantité d’un analyte dans un échantillon serait considérée comme un objet brevetable et ne serait pas interdite en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

Analyse

Interprétation téléologique

Les revendications au dossier

[18] Les revendications 1 et 3 sont les seules revendications indépendantes au dossier :

[traduction]

1. Une méthode pour identifier une tumeur colorectale chez un patient humain qui répond au traitement au cetuximab ou au panitumumab, composée i) de la détermination expérimentale de la présence de protéines ou de gènes KRAS de type sauvage dans un échantillon de ladite tumeur, où la présence de protéines ou de gènes KRAS de type sauvage indique que la tumeur répondra au traitement au cetuximab ou au panitumumab; ou ii) de la détermination de la présence d’une protéine ou d’un gène KRAS muté dans un échantillon de ladite tumeur, où l’absence de protéine ou de gène KRAS muté indique que la tumeur répondra au traitement au cetuximab ou au panitumumab et où ladite protéine KRAS mutée comprend, ou ledit gène KRAS muté encode, au moins l’une des mutations suivantes : G12C, G12A, G12D, G12R, G12S, G12V, G113C et G13D.

3. Une méthode pour déterminer si une tumeur colorectale chez un patient humain ne répond pas au traitement au cetuximab ou au panitumumab, composée : de la détermination expérimentale de la présence d’un KRAS ayant une mutation dans un échantillon de ladite tumeur, où ledit gène KRAS muté encode une ou plusieurs des mutations suivantes : G12C, G12A, G12D, G12R, G12S, G12V, G113C et G13D; et où la présence de la mutation du gène KRAS indique que la tumeur ne répond pas au traitement au cetuximab ou au panitumumab.

[19] Les revendications dépendantes 2 et 4 à 7 fournissent d’autres restrictions concernant la mutation particulière et la façon de déterminer la présence d’un gène KRAS de type sauvage ou muté.

La personne versée dans l’art et les CGC pertinentes

[20] La DF, à la page 3, indique ce qui suit à l’égard de la personne versée dans l’art et des CGC :

[traduction]

La description renvoie à « une méthode pour identifier une tumeur chez un patient humain qui est susceptible au traitement par un inhibiteur de l’EGFR » et « déterminer la présence d’une protéine ou d’un gène KRAS de type sauvage dans un échantillon » (voir la page 3, lignes 26 à 32). Par conséquent, la personne versée dans l’art à qui la demande s’adresse peut être caractérisée par une équipe de recherche qui comprend des cliniciens-chercheurs qui travaillent dans le domaine du traitement du cancer et des diagnosticiens qui travaillent dans le domaine de la détection des biomarqueurs du cancer.

Il est bien connu dans les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art la façon de détecter et d’identifier les mutants KRAS ou les types sauvages KRAS dans les gènes et les protéines des tumeurs colorectales (voir D2, D3 et D4). De plus, la description présente plusieurs méthodes connues dans l’art pour détecter les mutations aux pages 14 à 18, y compris la page 14, lignes 8 à 11, indiquant expressément que les « méthodes pour déterminer la présence de mutations K-Ras sont analogues à celles utilisées pour identifier les mutations de l’EGFR décrites en détail aux présentes ».

[21] Le Demandeur n’a pas contesté ou commenté cette qualification et donc nous l’adoptions aux fins de cette révision.

Éléments essentiels

[22] À la lumière des directives révisées établies dans l’énoncé PN2020-04, nous avons entrepris une nouvelle évaluation des éléments essentiels.

[23] Comme il est énoncé ci-dessus, l’énoncé PN2020-04 indique que tous les éléments présentés dans une revendication sont présumés essentiels, à moins que le contraire soit établi ou qu’une telle supposition aille à l’encontre du libellé de la revendication.

[24] En ce qui a trait aux revendications au dossier, la personne versée dans l’art lisant les revendications 1 à 7 comprendrait qu’il n’y a aucun libellé dans les revendications qui indique que l’un des éléments est facultatif, est un mode de réalisation préférentiel ou fait partie d’une liste de variantes, excepté les mutations dans la protéine KRAS qui sont énumérées comme solutions de rechange aux revendications 1 et 3. De plus, il n’y a aucune indication au dossier devant nous que l’un des éléments des revendications est non essentiel. Nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art considérerait tous les éléments des revendications 1 à 7 comme étant essentiels.

Objet brevetable et méthodes de diagnostic

[25] Selon la DF et le RM, les éléments essentiels des méthodes de diagnostic des revendications 1 à 7 se limitent à des conclusions intellectuelles désincarnées. Cependant, cette évaluation est fondée sur des directives qui ont depuis été remplacées. Comme il a été expliqué ci-dessus, la position révisée du Bureau concernant les méthodes de diagnostic considère si l’invention réelle est une combinaison d’éléments qui ont une existence physique ou qui manifestent un effet ou un changement physique discernable.

[26] À la lumière des éléments essentiels révisés indiqués ci-dessus et des directives concernant l’évaluation de l’objet brevetable établie dans l’énoncé PN2020-04, nous établissons ci-dessous une évaluation révisée de l’objet brevetable.

[27] Les revendications représentatives 1 et 3 au dossier, établies ci-dessus, concernent principalement les étapes d’une méthode de diagnostic pour déterminer si une tumeur colorectale répondra au traitement au cetuximab ou au panitumumab ou déterminer si une tumeur colorectale ne répond pas au traitement au cetuximab ou au panitumumab. La description, à la page 13, explique la découverte que certaines mutations KRAS ont une corrélation avec un pronostic faible de chimiothérapie :

[traduction]

Les échantillons de tumeur ont également été analysés pour trouver des mutations dans KRAS (appelé p21a). Les mutations particulières détectées dans l’exon 1 sont : G12C; G12A; G12D; G12R; G12S; G12V; G13C; et G13D qui ont une corrélation avec un pronostic faible de chimiothérapie, ainsi que de chimiothérapie avec traitement au Erlotinib. Par conséquent, l’invention fournit également une méthode pour identifier les patients qui ne répondent pas au traitement avec un inhibiteur de l’EGFR comme Erlotinib ou Erlotinib en combinaison avec la chimiothérapie composée de la détermination de la présence ou de l’absence d’une mutation KRAS, dont la présence de ladite mutation indique qu’un patient ne répondra pas audit traitement.

[28] Dans la RDF, aux pages 5 à 7, le Demandeur affirme que les éléments essentiels ne sont pas limités à des conclusions intellectuelles désincarnées, expliquant que sans le contrôle d’un échantillon de tumeur colorectale pour les mutations récitées dans KRAS, il ne serait pas possible de déterminer si une tumeur colorectale a une probabilité accrue ou non de bénéficier du traitement au cetuximab ou au panitumumab.

[29] Nous sommes d’accord. Nous estimons qu’il est évident à partir du libellé de la revendication et du reste du mémoire descriptif que les éléments d’acquisition de données et d’analyse de données collaborent pour former une seule invention réelle qui permet d’identifier les tumeurs colorectales qui répondront au traitement au cetuximab ou au panitumumab (revendication 1) ou d’identifier les tumeurs colorectales qui ne répondent pas au traitement au cetuximab ou au panitumumab (revendication 3). Puisque les étapes i) de la détermination expérimentale de la présence de protéines ou de gènes KRAS de type sauvage dans un échantillon de ladite tumeur et ii) de la détermination de la présence d’une protéine ou d’un gène KRAS muté dans un échantillon de ladite tumeur sont clairement des étapes physiques, l’invention réelle de la revendication 1 au dossier manifeste un effet ou un changement physique discernable. De même, l’invention réelle à la revendication 3 comprend une étape de détermination expérimentale de la présence d’un gène KRAS ayant une mutation dans un échantillon de ladite tumeur, ce qui satisfait au critère de caractère physique. En incluant l’utilisation d’éléments d’analyse de données et les étapes physiques de l’acquisition des données, nous estimons que les inventions réelles des revendications 1 et 3 au dossier concernent également les réalisations manuelles ou industrielles et ne constituent pas un objet interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

[30] Nous estimons que les revendications dépendantes 2 et 4 à 7, qui renvoient directement ou indirectement aux revendications indépendantes 1 et/ou 3, constituent également des inventions réelles qui manifestent un effet ou changement discernable, qui concernent les réalisations manuelles ou industrielles et qui ne comprennent pas un objet interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

[31] À la lumière de ce qui précède, nous concluons par conséquent que les revendications 1 à 7 au dossier visent un objet brevetable et, par conséquent, sont conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.


[32]  

Recommandation de la Commission

[33] Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le refus n’est pas justifié pour le motif de l’irrégularité indiqué dans l’avis de décision finale et nous avons des motifs raisonnables de croire que la demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Nous recommandons que le Demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 86(10) des Règles sur les brevets, que le refus de la demande est retiré et que la demande est jugée acceptable.

 

 

 

 

Christine Teixeira

Marcel Brisebois

Ryan Jaecques

Membre

Membre

Membre


 

Décision du commissaire

[34] Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation. Conformément au paragraphe 86(10) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le Demandeur que le refus de la demande en cause est annulé, que la demande en cause est jugée acceptable et que j’ordonnerai qu’un avis d’acceptation soit envoyé en temps voulu.

Virginie Ethier

Sous-commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec)

ce 4e jour de mai 2021

 

 

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