Brevets

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Référence : Amgen Research (Munich) GmbH (Re), 2021 CACB 2

Décision du commissaire no 1555

Commissioner’s Decision #1555

Date : 2021-01-06

SUJET :

J80

Aptitudes professionnelles ou artistiques

 

K11

Traitement

 

B00

Caractère ambigu ou indéfini

TOPIC:

J80

Professional or Artistic Skill

 

K11

Treatment

 

B00

Ambiguity or Indefiniteness

Demande no : 2 633 594

Application No.: 2,633,594


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96-423), dans leur version antérieure au 30 octobre 2019 (les « anciennes Règles sur les brevets »), la demande de brevet numéro 2 633 594 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire entend refuser la demande si les modifications nécessaires ne sont pas apportées.

Agent du demandeur :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

160, rue Elgin, bureau 2600

Ottawa (Ontario) K1P 1C3


Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 633 594, qui est intitulée « MOYENS ET PROCÉDÉS POUR LE TRAITEMENT DE MALADIES TUMORALES » et qui appartient à Amgen Research (Munich) GmbH (le « Demandeur »). La Commission d’appel des brevets (la « Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets.

[2] Comme il est indiqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons à la commissaire aux brevets d’aviser le Demandeur que des modifications spécifiques aux revendications sont jugées nécessaires en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets pour assurer la conformité à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets et que la demande de brevet sera acceptée si ces modifications sont apportées.

Contexte

La demande

[3] La demande a été déposée sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets, et la date de dépôt au Canada est le 29 novembre 2006. Elle est devenue accessible au public le 21 juin 2007.

[4] La demande concerne l’utilisation d’un hybride d’anticorps (CD19 et CD3) à chaîne unique bispécifique pour le traitement ou l’amélioration d’un lymphome non hodgkinien d’immunotype B (B NHL) ou d’une leucémie d’immunotype B peu évolutif ou agressif. La description divulgue que l’administration de l’anticorps par perfusion continue sur une plus longue période était thérapeutique et bien tolérée, sans que soit observé d’effets secondaires indésirables importants.

[5] La demande comporte 19 revendications au dossier, qui ont été reçues au Bureau des brevets le 21 mars 2017.

Historique de la poursuite de la demande

[6] Le 13 décembre 2017, une décision finale (DF) a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des anciennes Règles sur les brevets. La DF indiquait que la présente demande était irrégulière aux motifs que :

  • les revendications 1 à 19 (toutes les revendications au dossier) englobent une méthode de traitement médical et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets;

  • les revendications 1, 6, 17 et 18 sont imprécises et ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[7] Dans une réponse à la DF (RDF) datée du 13 juin 2018, le Demandeur a proposé un ensemble modifié de 19 revendications (les « revendications proposées ») et a présenté des arguments concernant l’irrégularité liée à l’objet prévu par la Loi qui a été soulevée dans la DF.

[8] Étant donné que l’examinateur a encore jugé que la demande n’était pas conforme à la Loi sur les brevets, conformément à l’alinéa 30(6)c) des anciennes Règles sur les brevets, la demande a été transmise à la Commission pour révision, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs (RM). Le RM indiquait que les revendications proposées avaient été jugées comme corrigeant les irrégularités liées au caractère indéfini, mais qu’elles n’avaient pas été jugées comme corrigeant l’irrégularité liée à l’objet non prévu par la Loi.

[9] Dans une lettre datée du 13 septembre 2018, la Commission a transmis au Demandeur une copie du RM et lui a demandé de confirmer qu’il souhaitait toujours que la demande soit révisée.

[10] Dans une lettre datée du 22 novembre 2018, le Demandeur a confirmé qu’il souhaitait qu’on procède à la révision.

[11] Le présent comité (le « Comité ») a été constitué dans le but de procéder à la révision de la présente demande en vertu de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Le Comité a envoyé une lettre de révision préliminaire (lettre de RP) datée du 7 août 2020, dans laquelle il énonçait son opinion préliminaire selon laquelle les revendications au dossier n’englobent pas une méthode de traitement médical et sont conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets, et que les revendications 1, 6, 17 et 18 sont indéfinies et ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets. De plus, nous avons exprimé l’opinion que les revendications proposées constituent une modification nécessaire, conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets. La lettre de RP a également donné au Demandeur une occasion de présenter des observations orales ou écrites.

[12] Le Demandeur a répondu à la lettre de RP le 4 septembre 2020 (RRP) en présentant des observations écrites, ainsi que le même ensemble de revendications proposées qui avait été présenté avec la RDF. Dans une lettre subséquente datée du 18 septembre 2020, le Demandeur a indiqué qu’une audience n’était pas nécessaire.

Questions

[13] Compte tenu de ce qui précède, les questions suivantes sont examinées dans le cadre de la présente révision :

  • si les revendications 1 à 19 au dossier englobent ou non une méthode de traitement médical et ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets;

  • si les revendications 1, 6, 17 et 18 au dossier sont imprécises et ne sont donc pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[14] Après avoir examiné les revendications au dossier, nous examinerons les revendications proposées.

Principes juridiques et pratiques du Bureau des brevets

Interprétation téléologique

[15] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont identifiés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g), et au paragraphe 52). Cette étape est réalisée du point de vue d’une personne versée dans l’art à la lumière des connaissances générales courantes (CGC) pertinentes.

Objet prévu par la Loi et méthodes de traitement médical

[16] La définition d’« invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[17] Il est bien établi que les méthodes de traitement médical et la chirurgie ne sont pas des objets prévus par la Loi et sont exclus de la définition d’« invention » au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets (voir Tennessee Eastman Co. Et coll. c. Commissaire des brevets (1970), 62 CPR 117 (C de l’É), conf. par [1974] RCS 111).

[18] Cependant, les revendications d’« utilisation » médicale ont été considérées comme visant un objet brevetable (voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 [AZT]). Dans l’arrêt AZT, la Cour suprême a laissé entendre que la situation pouvait se complexifier dans un cas où une revendication, pourtant formulée sous la forme d’une utilisation médicale, constitue néanmoins une tentative de « circonscrire » un secteur de traitement médical en indiquant « comment et quand » (par exemple, en précisant une gamme posologique ou un schéma de traitement) une composition pharmaceutique doit être utilisée. Dans cet arrêt, la Cour suprême s’est penchée sur une revendication visant une composition pharmaceutique comprenant un composé existant (l’AZT) destinée à une utilisation nouvelle dans le traitement du SIDA et a conclu que le breveté n’avait pas tenté de circonscrire une méthode de traitement médical :

Le brevet pour l’AZT ne cherche pas à « circonscrire » un secteur de traitement médical. Il vise à obtenir le droit exclusif de commercialiser l’AZT. La question de savoir comment et quand, s’il y a lieu, employer l’AZT est laissée à la compétence et au jugement des membres de la profession médicale. [par. 50]

[19] Un certain nombre de décisions de tribunaux inférieurs ont examiné la question de la validité des revendications d’utilisation médicale qui indiquent « comment et quand » un médicament est utilisé (Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2006 CF 527 (Axcan); Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510; Janssen Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2010 CF 1123; AbbVie Biotechnology Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1251 (AbbVie)). Après avoir examiné les décisions antérieures, la Cour fédérale, dans AbbVie, a conclu la jurisprudence est cohérente; la jurisprudence de la Cour fédérale a énoncé le principe suivant :

[U]ne revendication visant l’exercice de la compétence ou du jugement professionnel n’est pas brevetable. Toutefois, une revendication qui ne limite pas l’exercice de la compétence ou du jugement professionnel, n’empiète pas sur eux ni ne les fait par ailleurs intervenir – notamment une revendication portant sur une dose fixe ou une fréquence d’administration ou un intervalle posologique précis – n’est pas un objet interdit lorsqu’il n’y a aucun élément de preuve contredisant la posologie revendiquée. [par. 114]

[20] À la suite d’AbbVie, le Bureau a précisé son approche pour déterminer si une revendication d’utilisation médicale est un objet prévu par la Loi dans l’avis sur les brevets suivant : Pratique d’examen révisée concernant les utilisations médicales (PN 2015-01). Selon PN 2015-01, pour trancher la question de savoir si l’objet d’une revendication est prévu par la Loi, il faut se demander si un élément essentiel empêche, entrave ou requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. Si la réponse est « oui », nous devons conclure que l’utilisation revendiquée comporte une méthode de traitement médical qui n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Notamment, PN 2015-01 reconnaît également qu’il peut y avoir des cas où des éléments essentiels servent à renseigner un professionnel de la santé sur « comment » traiter un patient, mais ne sont pas considérés comme empêchant, entravant ou requérant l’exercice des compétences professionnelles.

Caractère indéfini

[21] Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets exige que les revendications définissent en termes précis et explicites l’objet :

Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

[22] Dans Minerals Separation North American Corp c. Noranda Mines Ltd, [1947] RC E. 306, à la p. 352, 12 CPR 99, la Cour a souligné l’obligation pour un demandeur de définir clairement dans les revendications la portée du monopole recherché et l’exigence que les termes utilisés dans les revendications soient clairs et précis :

[traduction]

En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risques.

Analyse des revendications au dossier

Interprétation téléologique

Les revendications au dossier

[23] Il y a 19 revendications au dossier. Les revendications 1 à 3 sont les seules revendications indépendantes :

[traduction]

1. Hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique pour utilisation dans une méthode de prévention, traitement ou amélioration d’un lymphome non hodgkinien d’immunotype B (B NHL) ou d’une leucémie d’immunotype B peu évolutif ou agressif, ledit hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique étant pour administration à un sujet en ayant besoin, ledit hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique comprenant des domaines de liaison spécifiques à CD3 humain et CD19 humain, dans lesquels les régions à chaîne lourde variables correspondantes (VH) et les régions à chaîne légère variables correspondantes (VL) sont agencées, de la terminaison N à la terminaison C, dans l’ordre

VL(CD19)-VH(CD19)-VH(CD3)-VL(CD3),

VH(CD19)-VL(CD19)-VH(CD3)-VL(CD3),

VH(CD3)-VL(CD3)-VH(CD19)-VL(CD19), ou

VH(CD3)-VL(CD3)-VL(CD19)-VH(CD19),

dans lequel l’hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique est pour administration pendant au moins 1 semaine en une dose quotidienne de 10 µg à 80 µg par mètre carré d’aire corporelle du patient et dans lequel la dose quotidienne est pour administration sur au moins 6 h.

2. Utilisation d’un hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique pour la préparation d’une composition pharmaceutique pour la prévention, le traitement ou l’amélioration d’un lymphome non hodgkinien d’immunotype B (B NHL) ou d’une leucémie d’immunotype B peu évolutif ou agressif, ledit hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique comprenant des domaines de liaison spécifiques à CD3 humain et CD19 humain, dans lesquels les régions à chaîne lourde variables correspondantes (VH) et les régions à chaîne légère variables correspondantes (VL) sont agencées, de la terminaison N à la terminaison C, dans l’ordre

VL(CD19)-VH(CD19)-VH(CD3)-VL(CD3),

VH(CD19)-VL(CD19)-VH(CD3)-VL(CD3),

VH(CD3)-VL(CD3)-VH(CD19)-VL(CD19), ou

VH(CD3)-VL(CD3)-VL(CD19)-VH(CD19),

dans lequel ledit hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique est pour administration pendant au moins 1 semaine en une dose quotidienne de 10 µg à 80 µg par mètre carré d’aire corporelle du patient et dans lequel ladite dose quotidienne est pour administration sur au moins 6 h.

3. Trousse pour utilisation dans la prévention, le traitement ou l’amélioration d’un lymphome non hodgkinien d’immunotype B (B NHL) ou d’une leucémie d’immunotype B peu évolutif ou agressif chez l’humain, en fonction d’un schéma posologique d’au moins une semaine comprenant l’administration d’un hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique comprenant des domaines de liaison spécifiques à CD3 humain et CD19 humain, dans lesquels les régions à chaîne lourde variables correspondantes (VH) et les régions à chaîne légère variables correspondantes (VL) sont agencées, de la terminaison N à la terminaison C, dans l’ordre

VL(CD19)-VH(CD19)-VH(CD3)-VL(CD3),

VH(CD19)-VL(CD19)-VH(CD3)-VL(CD3),

VH(CD3)-VL(CD3)-VH(CD19)-VL(CD19), ou

VH(CD3)-VL(CD3)-VL(CD19)-VH(CD19),

dans lequel ledit hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique est pour administration pendant au moins 1 semaine en une dose quotidienne de 10 µg à 80 µg par mètre carré d’aire corporelle du patient et dans lequel la dose quotidienne est pour administration sur au moins 6 h, et dans lequel ladite trousse contient les composants suivants :

au moins 7 doses quotidiennes individuelles de 140 µg à 320 µg dudit hybride d’anticorps à chaîne unique bispécifique actif pharmaceutique; et

un moyen pour avoir les composants agencés de manière à faciliter le respect du schéma posologique.

[24] Dans la RRP, le Demandeur n’a pas contesté le fait que, dans sa lettre de RP, le Comité a jugé les revendications 1 à 3 comme étant représentative des revendications au dossier aux fins de notre analyse. De même, le Demandeur n’a pas contesté notre caractérisation des revendications dépendantes 4 à 19 comme définissant d’autres limites en ce qui concerne : l’intervalle de temps entre l’administration des doses quotidiennes (revendications 4 à 6), l’hybride d’anticorps bispécifique (revendications 7 à 15), la durée totale du schéma de traitement (revendication 16), l’utilisation d’un agent pharmaceutique additionnel (revendication 17), le sujet à traiter (revendication 18) et l’administration d’une dose initiale avant le début du schéma de traitement (revendication 19).

La personne versée dans l’art et les CGC pertinentes

[25] Dans la RRP, le Demandeur n’a pas contesté ni commenté l’accord du Comité concernant la définition de la personne qualifiée et de ses CGC pertinentes dans la DF, tel qu’énoncé à la page 5 de notre lettre de RP. Par conséquent, nous adoptons ces définitions dans le cadre du présent examen.

[traduction]

Compte tenu des énoncés dans la description qui renvoie aux « interventions immunologiques et médicales » (page 1, premier paragraphe) et au « médecin traitant » (page 13, deuxième paragraphe), la personne versée dans l’art visée par la demande peut être définie comme l’équipe d’un clinicien et d’un immunologue.

La personne versée dans l’art posséderait les CGC suivantes : connaissance des traitements par anticorps, du syndrome de libération des cytokines ou des effets de la première dose, et de la conception d’essais cliniques pour déterminer la sécurité et l’efficacité des agents thérapeutiques.

Signification des termes

[26] À la page 2, la RRP indiquait son désaccord avec l’interprétation de la revendication énoncée dans la lettre de RP. Cependant, la RRP n’a ni abordé ni commenté explicitement la signification des termes employés dans les revendications, et n’a pas non plus proposé d’autres interprétations des revendications au dossier. Par conséquent, compte tenu de l’analyse énoncée dans la lettre de RP (à la page 8), nous adoptons l’interprétation des termes suivants employés dans les revendications 1 et 2 :

[traduction]

La revendication indépendante 1 fait référence à « un produit destiné à être utilisé dans une méthode ». Comme il est expliqué à la page 4 de la DF, la revendication telle qu’elle est formulée a été jugée indéfinie : « Il n’est pas clair si l’utilisation d’un produit ou l’utilisation d’une méthode est revendiquée ».

[…]

[N]ous sommes d’avis que la personne versée dans l’art considérerait cela comme un produit destiné à être utilisé. Il n’y a pas d’étapes actives définies dans la revendication, qui sont la marque distinctive d’un procédé – ou d’une méthode –, comme il est indiqué au paragraphe 16.10.01 du RPBB [Recueil des pratiques du Bureau des brevets] : « Par “méthode”, on entend un ensemble d’étapes à suivre en elles-mêmes ou à suivre en conjonction avec un procédé dans le but d’obtenir un résultat désiré ».

La revendication indépendante 2 est une revendication d’utilisation de style « suisse ». Ce type de revendication est généralement formulé de la manière suivante : « utilisation du composé X dans la fabrication d’un médicament pour le traitement d’Y ». Une interprétation littérale pourrait porter à croire que l’utilisation envisagée se limite à la fabrication d’un médicament, mais la formulation permet également d’interpréter la revendication comme se rapportant à une utilisation thérapeutique du composé (voir, par exemple, G.D. Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 437, conf. par 2009 CAF 35; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc, 2008 CF 142; et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, conf. par 2009 CAF 8). Même si l’utilisation mentionnée dans le préambule de la revendication 2 est axée sur la fabrication d’une composition pharmaceutique, la revendication spécifie une utilisation thérapeutique. À notre avis, l’utilisation revendiquée va au-delà de l’utilisation d’un hybride d’anticorps pour préparer une composition pharmaceutique; elle exige en outre que la composition pharmaceutique soit effectivement administrée selon une posologie définie afin de traiter ou d’améliorer un lymphome non hodgkinien d’immunotype B (B NHL) ou une leucémie d’immunotype B peu évolutif ou agressif. Par conséquent, nous considérons que, même si la revendication 2 est formulée selon le format « suisse », elle revendique essentiellement le même objet que la revendication 1.

Éléments essentiels

[27] À la page 9 de la lettre de RP, nous avons exprimé notre accord préliminaire avec la DF concernant l’identification des éléments essentiels. À la page 2 de la RRP, le Demandeur a maintenu son désaccord avec l’interprétation des revendications :

[traduction]

Le Demandeur n’est pas d’accord avec l’interprétation énoncée par l’examinateur ou la Commission.

[28] En l’espèce, il n’est pas nécessaire de s’entendre sur les éléments essentiels aux fins de l’analyse de l’objet prévu par la Loi, de sorte que notre analyse se poursuivra en supposant que tous les éléments de la revendication sont essentiels.

Objet prévu par la Loi et méthodes de traitement médical

[29] Notre analyse préliminaire a été énoncée aux pages 9 à 12 de la lettre de RP comme suit :

[traduction]

Selon la DF et le RM, les revendications au dossier englobent toutes une méthode de traitement médical non brevetable. Comme il est indiqué à la page 3 de la DF, les éléments essentiels comprennent un schéma posologique qui comporte un intervalle. Selon la DF, la détermination de la durée du traitement (au moins une semaine) et le choix de la dose dans l’intervalle de temps indiqué (10 μg à 80 μg) n’ont pas été considérés comme requérant l’exercice des compétences et du jugement d’un médecin. Comme il est expliqué dans la DF (à la page 3) :

Bien que le mémoire descriptif indique que le médecin déterminera le schéma posologique (page 13, deuxième et troisième paragraphes) et assurera la surveillance de la durée (pages 58 à 60), rien n’indique qu’une durée particulière ou une dose fixe ne fonctionnerait pas pour tous les sujets (même si ce n’est pas le mode de réalisation privilégié).

Néanmoins, la DF et le RM ont considéré que le calcul de la dose précise à administrer en fonction de l’aire corporelle en mètre carré d’un patient requière l’exercice des compétences et du jugement d’un médecin. La DF et le RM renvoient tous deux à l’exemple 4 des Exemples d’analyses d’interprétation téléologique des revendications pourtant sur les utilisations médicales aux fins de l’évaluation d’objets prévus par la Loi (mentionné dans PN 2015-01), qui indique ce qui suit :

Même si la dose revendiquée correspond à une valeur précise, par exemple, 14 mg/kg/jour, le médecin doit tout de même déterminer pour chaque patient la dose précise qu’il doit lui administrer.

À la page 2 de la RDF, le Demandeur n’était pas d’accord avec cette évaluation, soutenant ce qui suit :

[L]es calculs nécessaires pour évaluer la dose précise nécessaire pour un patient relèvent des compétences d’un technicien et non d’un médecin, et le Demandeur soutient que les revendications n’empêchent pas, n’entravent pas et ne requièrent pas l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. La détermination de l’aire corporelle d’un patient n’est pas une détermination qui requiert des compétences professionnelles, mais plutôt un test normalisé qui peut être effectué par un technicien ou un médecin compétent ayant le niveau de formation de base à l’aide de l’équipement approprié. Un simple calcul mathématique est nécessaire pour déterminer la bonne dose à administrer en fonction de l’aire corporelle du patient, une fois que cette surface a été déterminée.

Nous notons que l’exemple 4 est fondé sur l’arrêt Axcan et la décision du commissaire DC 1292 (Commission d’appel des brevet et commissaire aux brevets) sur la demande de brevet 2 300 723 d’Allergan (2009) (« Re Allergan »), qui ont été rendues avant AbbVie. Dans Axcan et Re Allergan, les revendications portant sur un intervalle posologique fondé sur le poids d’un patient ont été considérées comme requérant l’exercice des compétences et du jugement d’un médecin, à la lumière de sa connaissance de la physiologie d’un patient, pour déterminer la dose appropriée. À notre avis, les compétences et le jugement dont il a été question dans ces affaires se rapportaient au choix de la dose sûre et efficace pour un patient donné à partir de l’intervalle. De plus, la preuve dans Axcan indiquait que les limites de l’intervalle n’étaient pas vraiment fixées :

C’est au médecin qu’il appartient, d’après sa connaissance du taux du métabolisme de son patient et d’autres facteurs, de fixer la dose quotidienne qui convient à ce dernier. Je ne puis envisager un seul instant qu’Axcan puisse revendiquer l’exclusivité sur la posologie et poursuivre un médecin pour avoir prescrit, dans le cadre du traitement d’une CBP, une dose d’ursodiol inférieure à 13 mg/kg/jour ou supérieure à 15 mg/kg/jour. En fait, le Dr Shaffer, appelé à témoigner par Axcan, a déclaré dans son contre-interrogatoire qu’il lui était arrivé de prescrire des doses d’ursodiol supérieures à celles que prévoit le brevet. [par. 46]

Après Axcan, la Cour fédérale a expliqué de la même façon, dans l’affaire AbbVie, que cela peut aussi se produire dans des revendications portant sur une posologie et un calendrier fixes « lorsqu’il n’y a aucun élément de preuve contredisant la posologie revendiquée », c’est‑à‑dire lorsqu’il faut apporter des ajustements qui obligent un médecin à exercer ses compétences et son jugement.

Compte tenu du contexte présenté ci-dessus, nous sommes d’avis préliminaire que l’exemple 4 ne devrait pas signifier que le calcul d’une dose en soi nécessiterait dans tous les cas l’exercice des compétences et du jugement d’un médecin ou limiterait les pratiques de prescription. Nous considérons que l’exemple 4 concerne les cas où un médecin doit exercer ses compétences et son jugement, notamment en choisissant la dose appropriée pour un patient donné. Dans ces cas, dans la mesure où le calcul de la dose précise dépendrait nécessairement de la dose précise choisie pour le patient, ce calcul pourrait également être considéré comme se rapportant aux compétences et au jugement. La preuve en l’espèce indique que toute dose dans l’intervalle revendiqué serait appropriée pour tous ceux à qui elle est administrée, et que la simple conversion à une dose précise déterminée par l’aire corporelle d’un patient n’exige pas l’exercice de compétences et d’un jugement.

À notre avis, la présente demande se distingue des faits dans Axcan, Re Allergan et l’exemple 4. Comme l’indique la DF, il n’est pas nécessaire d’exercer des compétences ou un jugement pour déterminer la dose appropriée en fonction de l’aire corporelle. La preuve dans la description est que toute dose dans l’intervalle revendiqué serait sécuritaire et efficace et, selon les exemples, le choix d’une dose dans l’intervalle ne semble pas dépendre de facteurs axés sur le patient. De même, il n’y a aucune preuve qu’un médecin doit exercer ses compétences et son jugement pour déterminer l’aire corporelle d’un patient. Par conséquent, selon notre avis préliminaire, la personne versée dans l’art considérerait qu’aucune compétence ni aucun jugement n’est nécessaire pour calculer la dose quotidienne à administrer en fonction de la posologie et de l’aire corporelle du patient.

En outre, rien n’indique que l’exercice de compétences et d’un jugement par le médecin serait nécessaire pour déterminer la durée de l’administration quotidienne (au moins six heures) ou la durée totale du schéma de traitement (au moins une semaine). De plus, il n’y a aucune preuve qui contredit le schéma posologique énoncé dans la revendication. En effet, la description indique, à la page 17, que l’administration de l’hybride d’anticorps pendant au moins une semaine en doses quotidiennes de 10 μg à 80 μg par mètre carré d’aire corporelle du patient, où ladite dose quotidienne est administrée pendant au moins six heures, permet d’atteindre les effets biologiques désirables, et cela est appuyé par les exemples fournis dans la description.

De plus, une fois que le médecin a déterminé qu’un schéma de traitement particulier visé par la revendication est approprié pour un patient, aucun autre exercice de compétences et d’un jugement n’est attendu ou nécessaire. Toutes les doses de l’intervalle sont sécuritaires et efficaces, et selon la description, aucun ajustement n’est nécessaire avant ou pendant le traitement.

Par conséquent, nous sommes de l’avis préliminaire que les revendications au dossier ne requièrent pas, ne circonscrivent pas, n’empêchent pas et n’entravent pas l’exercice des compétences et du jugement d’un médecin, et ne constituent pas une méthode de traitement médical. Nous sommes donc de l’avis préliminaire que les revendications au dossier visent un objet qui entre dans la définition d’« invention », telle qu’énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[30] Dans la RRP, le Demandeur a exprimé son accord général avec les conclusions préliminaires de la RP, bien que ses commentaires se limitent aux revendications proposées. Notre conclusion est donc que les revendications au dossier ne requièrent pas, ne circonscrivent pas, n’empêchent pas et n’entravent pas l’exercice des compétences et du jugement d’un médecin, et ne constituent pas une méthode de traitement médical. Nous sommes donc d’avis que les revendications au dossier visent un objet qui entre dans la définition d’« invention », telle qu’énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Caractère indéfini des revendications 1, 6, 17 et 18 au dossier

[31] Aux pages 3 et 4, la DF explique que l’objet de la revendication 1 était indéfini parce que [traduction] « [l]a revendication 1 vise un produit destiné à être utilisé dans une méthode. Il n’est pas clair si l’utilisation d’un produit ou l’utilisation d’une méthode est revendiquée. »

[32] À cet égard, la DF a précisé que la préoccupation était que la revendication pouvait être interprétée comme englobant une méthode de traitement médical non prévu par la Loi. Dans la RDF, le Demandeur n’a pas soutenu que la revendication 1 était conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets. En fait, le Demandeur a présenté une nouvelle revendication proposée 1 qui ne contient pas l’expression [traduction] « dans une méthode » comme il était suggéré dans la DF.

[33] Nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art considérerait que l’expression [traduction] « dans une méthode » introduit un manque de clarté parce que, comme il a été mentionné ci-dessus, la revendication ne comporte aucune étape active de la méthode qui soit compatible avec une méthode.

[34] En l’absence de toute étape de la méthode, cela introduit une ambiguïté qui peut être évitée en omettant simplement l’expression [traduction] « dans une méthode », comme le Demandeur l’a fait dans la revendication proposée 1.

[35] À la page 4, la DF a également relevé des irrégularités de clarté mineures dans les revendications 6, 17 et 18. Plus précisément, l’expression [traduction] « trousse pour utilisation selon les revendications 3 à 5 » ne permet pas de déterminer clairement si la revendication 6 dépend de chacune des revendications 3 à 5 individuellement ou ensemble. En outre, dans les revendications 17 et 18, l’expression [traduction] « la composition pharmaceutique » a été considérée comme indéfinie parce qu’elle n’a pas de fondement antérieur dans les revendications 1 ou 3.

[36] Dans la RDF, le Demandeur n’a pas exprimé son désaccord et a présenté de nouvelles revendications proposées 6, 17 et 18, dans lesquelles les irrégularités relevées sont corrigées.

[37] Après avoir examiné les revendications 6, 17 et 18 au dossier, nous convenons que ces irrégularités rendent les revendications ambiguës.

[38] Par conséquent, nous sommes d’avis que les revendications 1, 6, 17 et 18 au dossier ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

Analyse des revendications proposées

[39] Avec la RDF, le Demandeur a présenté les revendications proposées 1 à 19 qui modifieraient la revendication 1 au dossier en omettant l’expression [traduction] « dans une méthode », ou, dans l’alternative, la revendication 6 au dossier pour faire référence aux revendications dépendantes et les revendications 17 et 18 au dossier pour remplacer l’expression [traduction] « la composition pharmaceutique » par [traduction] « l’hybride d’anticorps bispécifique ». Dans la RRP, le Demandeur n’a pas indiqué être en désaccord avec l’analyse des revendications proposées énoncées dans la RRP. En fait, le Demandeur a indiqué, à la page 1, être d’accord pour remplacer les revendications au dossier par les revendications proposées, et il a soumis de nouveau le même ensemble de revendications proposées qui avait déjà été fourni avec la RDF.

[40] En ce qui concerne les revendications proposées, le RM exprimait l’opinion que les modifications proposées permettraient de corriger les irrégularités liées au caractère indéfini soulevées à l’égard des revendications 1, 6, 17 et 18 au dossier, mais que l’objet des revendications proposées serait quand même considéré comme n’étant pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[41] Nous convenons que les modifications proposées aux anciennes revendications 1, 6, 17 et 18 permettraient de corriger les irrégularités de clarté soulevées dans la DF.

[42] De plus, nous avons déjà exprimé ci-dessus de notre opinion que les revendications analogues au dossier ne requièrent pas, ne circonscrivent pas, n’empêchent pas et n’entravent pas l’exercice des compétences et du jugement d’un médecin. Une fois que le médecin a décidé de prescrire l’hybride d’anticorps conformément à un schéma de traitement pour l’utilisation définie dans les revendications, aucun autre jugement ou compétence n’est nécessaire.

[43] À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que les revendications proposées satisfont aux exigences d’une modification nécessaire en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

Conclusions

[44] Nous concluons que les revendications au dossier n’englobent pas une méthode de traitement médical et sont donc conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Nous concluons également que les revendications 1, 6, 17 et 18 au dossier sont imprécises et ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[45] De plus, nous concluons que les revendications proposées satisfont aux exigences d’une modification nécessaire en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.


 

Recommandation de la Commission

[46] Compte tenu des motifs qui précèdent, nous recommandons que le Demandeur soit informé, conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets, que la suppression des revendications au dossier et l’insertion des revendications proposées 1 à 19, telles qu’elles sont formulées dans la lettre du Demandeur du 13 juin 2018, sont nécessaires pour se conformer à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 

 

 

 

Christine Teixeira

Ryan Jaecques

Cara Weir

Membre

Membre

Membre


 

Décision de la commissaire

[47] Je souscris à la conclusion ainsi qu’à la recommandation de la Commission. Conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le Demandeur que les modifications suivantes, et seulement ces modifications, doivent être apportées conformément à l’alinéa 200b) des Règles sur les brevets dans les trois (3) mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends refuser la demande :

  • la suppression des revendications au dossier;

  • l’insertion des revendications proposées 1 à 19, telles que formulées dans la lettre du Demandeur datée du 13 juin 2018.

Virginie Éthier

Sous-commissaire aux brevets

 

 

Fait à Gatineau (Québec)

ce 6e jour de janvier 2021

 

 

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