Brevets

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Référence : Intercontinental Exchange Holdings Inc (Re), 2020 CACB 27

Décision du commissaire no 1547

Commissioner’s Decision #1547

Date : 22-06-2020

SUJETS :

J00

Signification de la technique

 

J10

Programmes d’ordinateur

TOPIC:

J00

Meaning of Art

 

J10

Computer Programs

Demande n2 791 397

Application No. : 2,791,397


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96-423) dans leur version antérieure au 30 octobre 2019 (les « les anciennes règles »), la demande de brevet numéro 2 791 397 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). La recommandation de la Commission d’appel des brevets et la décision de la commissaire sont de rejeter la demande.

Agent du demandeur :

BORDEN LADNER GERVAIS LLP

Bay Adelaide Centre, tour Est

22, rue Adelaide-Ouest

Toronto (Ontario) M5H 4E3


Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien numéro 2 791 397 (la « présente demande »), qui est intitulée « Moteur de courbe » et qui est inscrite au nom de Intercontinental Exchange Holdings, Inc (le « demandeur »). La Commission d’appel des brevets (la « Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, la Commission recommande à la commissaire aux brevets de rejeter la demande.

Contexte

La demande

[2] La présente demande a une date de dépôt du 4 octobre 2012. Elle est devenue accessible au public le 4 avril 2013.

[3] La présente demande concerne en général l’établissement du prix d’instruments financiers. La demande comporte 30 revendications en date de la décision finale (« DF »). Le Bureau des brevets les a reçues le 19 août 2016.

Historique de la poursuite de la demande

[4] Le 2 mai 2017, une DF a été rédigée en vertu du paragraphe 30(4) des anciennes Règles sur les brevets. La DF indiquait que la présente demande est irrégulière au motif que toutes les revendications au dossier visent un objet qui ne correspond pas à la définition d’invention et, par conséquent, ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[5] Dans une réponse à la DF (« R-DF ») en date du 1er novembre 2017, le demandeur a présenté des arguments en faveur de la brevetabilité des revendications au dossier et également présenté un ensemble de revendications proposées 1 à 30 (l’« ensemble 1 de revendications proposées »).

[6] L’examinateur ayant encore jugé que la demande n’était pas conforme à la Loi sur les brevets en vertu de l’alinéa 30(6)c) des anciennes Règles sur les brevets, la demande a été transmise à la Commission pour révision le 8 mars 2018, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs (« RM »). Le RM indique la position selon laquelle le mémoire descriptif au dossier était toujours considéré comme irrégulier.

[7] Dans une lettre en date du 13 mars 2018, la Commission a transmis une copie du RM au demandeur et a demandé à ce dernier de confirmer s’il souhaitait toujours que sa demande soit révisée ou s’il préférait la retirer.

[8] Dans une lettre en date du 7 mai 2018, le demandeur a confirmé qu’il souhaitait la poursuite de la révision.

[9] Un comité de la Commission (le « Comité ») formé des membres soussignés a révisé la présente demande en vertu de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets.

[10] Dans une lettre de révision préliminaire (la « lettre de RP ») en date du 6 février 2020, le Comité a exposé son analyse préliminaire des questions au regard des revendications au dossier. Nous avons également donné au demandeur une occasion de présenter d’autres observations orales ou écrites.

[11] Le demandeur a fourni une réponse écrite à la lettre de RP (la « R-RP »), accompagnée d’un ensemble de 30 revendications proposées (l’« ensemble 2 de revendications proposées ») le 3 avril 2020.

[12] Une audience a eu lieu par audioconférence le 16 avril 2020.

Question

[13] L’unique question visée par la présente révision est celle de savoir si les revendications au dossier définissent un objet qui correspond à la définition d’invention figurant à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Dans l’éventualité que nous jugions que les revendications sont irrégulières, nous tiendrons également compte de l’ensemble 2 de revendications proposées.

Principes juridiques et pratique du bureau

Interprétation téléologique

[14] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont identifiés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52). Tel qu’il est indiqué à la section 12.02 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (OPIC) révisée en juin 2015 [RPBB], la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art (la « PVA ») et ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution préconisée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

[15] Dans la R-DF et la R-RP, le demandeur affirme que la pratique employée par le Bureau des brevets pour l’interprétation téléologique n’est pas conforme aux principes de Free World Trust et que l’intention de l’inventeur qu’un élément soit essentiel détermine son caractère essentiel. Nous remarquons, comme nous l’avons fait dans la lettre de RP, que dans Canada (Procureur général) c Amazon.com, inc., 2011 CAF 328 [Amazon.com], au paragraphe 44, la cour a affirmé que l’examinateur doit être « attentif à la possibilité qu’une revendication du brevet puisse être exprimée dans un langage qui soit trompeur, de manière délibérée ou par inadvertance ». On peut déduire de cette déclaration que l’intention de l’inventeur ne peut pas être l’unique principe pour déterminer le caractère essentiel, puisque cela entraînera de facto une interprétation littérale des revendications.

[16] Dans la R-RP, le demandeur affirme également que l’intention de l’inventeur concernant les éléments essentiels peut non seulement être déterminée au moyen du mémoire descriptif, mais également de la correspondance avec le Bureau des brevets, selon le paragraphe 53.1(1) de la Loi sur les brevets.

[17] Nous remarquons que le paragraphe 53.1(1) de la Loi sur les brevets s’applique aux actions ou aux procédures qui concernent les brevets délivrés, comme les procédures de contrefaçon ou d’invalidité, et pas l’interprétation des revendications de demandes de brevets au cours de la poursuite. De plus, l’intention de l’article 53.1 de la Loi sur les brevets est différente. « Le problème que l’article 53.1 visait à résoudre est qu’auparavant, l’on permettait au titulaire du brevet de “soutenir une interprétation de revendication qui tente de reprendre le terrain qui a été cédé au cours de la poursuite de demande de brevet pour éviter l’antériorité”. » (voir Bauer Hockey Ltd. c Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2020 CF 624, au paragraphe 64).

Objet prévu par la Loi

[18] La définition d’invention est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[19] L’énoncé de pratique intitulé « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » PN2013-03 (OPIC, mars 2013) [PN2013-03] précise l’approche du Bureau des brevets pour décider si une invention liée à un ordinateur est un objet prévu par la Loi.

[20] Tel qu’il est indiqué dans PN2013-03, lorsqu’il appert qu’un ordinateur constitue un élément essentiel d’une revendication interprétée, l’objet revendiqué sera généralement prévu par la Loi. En revanche, lorsque l’on détermine que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent à un objet exclu de la définition d’invention (p. ex., les beaux-arts, de simples idées, plans ou règles), l’objet revendiqué ne sera pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Analyse

La PVA et les CGC pertinentes

[21] Dans la lettre de RP, le Comité a adopté la définition de la PVA de la DF :

[TRADUCTION]

[…] la personne versée dans l’art, ou l’équipe de personnes versées dans l’art, inclurait des négociateurs d’instruments financiers en collaboration avec du personnel de la technologie de l’information compétent avec les systèmes informatisés pour négocier des instruments financiers.

[22] Lors de l’audience, le demandeur a souligné que la PVA devrait inclure un scientifique de données et dans la R-RP le demandeur indique ce qui suit :

[TRADUCTION]

L’opinion préliminaire du Comité est que la personne versée dans l’art comprend un analyste d’instruments financiers en collaboration avec du personnel de la technologie de l’information. L’appelant est d’accord avec cette définition de PVA, tant que « personnel de la technologie de l’information » renvoie à quelqu’un avec une compréhension experte (diplôme en science avancée) des sciences des ordinateurs, des réseaux et des données, y compris le développement d’optimisations mises en œuvre par ordinateur. Il n’est pas exact de caractériser la PVA comme simplement un analyste financier recevant un certain soutien d’un personnel de la TI qui possède des connaissances générales des ordinateurs. Cela serait insuffisant.

[23] Le Comité juge que la clarification du demandeur est raisonnable et adopte aux présentes cette définition plus précise de la PVA comme incluant un scientifique de données.

[24] Dans la lettre de RP, le Comité a considéré que la PVA aurait les CGC suivantes :

[TRADUCTION]

  • les techniques relatives au matériel informatique général et à la programmation d’ordinateurs générale;
  • les interfaces graphiques;
  • les bases de données;
  • la réseautique informatique, y compris la communication de données, les appareils clients et les serveurs, les réseaux avec et sans fils et Internet;
  • l’établissement des prix d’instruments financiers en fonction d’un modèle de prix qui tient compte de chaque microstructure du marché de façon indépendante (la présente description au paragraphe 0002);
  • les algorithmes et les modèles d’optimisation mathématique conventionnels et leur mise en œuvre dans un système informatique;
  • la collecte de données concernant les marchés financiers de diverses sources.

[25] Dans la R-RP, le demandeur n’était pas en désaccord avec cette définition des CGC. Dans la R-RP et lors de l’audience, le demandeur a affirmé que l’expertise technique requise de la PVA selon la définition plus précise ci-dessus et les connaissances techniques relatives aux ordinateurs et aux réseaux énumérées dans les CGC démontraient la nature technique de l’objet de l’invention. Comme l’a écrit le demandeur dans la R-RP :

[TRADUCTION]

Puisqu’un professionnel de la TI est nécessaire, cela signifie que l’invention requiert certains éléments et aspects techniques. La présence du professionnel de la TI prouve la nature technique (informatisée) de l’invention (abordée dans les autres points ci‑dessous). En effet, si l’invention n’était pas technique, il n’y aurait aucun besoin d’un professionnel de la TI.

[…]

L’appelant remarque que chaque élément ci-dessus est un facteur informatique technique. Par conséquent, la connaissance de ceux-ci requiert la compétence technique d’une PVA qui possède les compétences d’un professionnel de la TI et d’un analyste des instruments financiers. Cela démontre également la nature technique de l’invention.

[26] Selon la pratique du Bureau, la PVA et les CGC sont des définitions à l’intention du public lisant le mémoire descriptif afin qu’il puisse comprendre le problème et la solution abordés par l’invention, toutefois il n’est pas possible de tirer des conclusions concernant la nature de l’invention exclusivement à partir de la PVA et des CGC. Faire cela irait à l’encontre des principes d’interprétation des revendications dans Free World Trust où les revendications sont interprétées de manière téléologique du point de vue d’une telle personne pour déterminer les éléments essentiels.

Problème et solution

[27] Dans la lettre de RP, nous avons défini le problème et la solution comme suit :

[TRADUCTION]

Notre opinion préliminaire est que la PVA, lisant le mémoire descriptif dans son ensemble et possédant les CGC indiquées ci-dessus, estimerait que le problème principal abordé par l’invention revendiquée est que les modèles de prix de l’art antérieur ne tiennent pas compte de l’effet que les instruments financiers dans une microstructure donnée pourraient avoir sur les prix d’instruments appartenant à d’autres microstructures et vice versa. La solution revendiquée est de bâtir un réseau complexe financier virtuel formé d’un ou plusieurs marchés financiers interreliés, intégrer les données sur les aspects du marché à au moins l’un des marchés financiers avec des données sur les prix afin de déterminer les renseignements de prix intégrés, puis utiliser les renseignements de prix intégrés pour établir une fonction objectif qui, lorsque résolue au moyen d’un modèle d’optimisation, détermine un prix minimum du marché pour chaque instrument financier dans un ou plusieurs marchés financiers (présente description, paragraphe 0004).

[28] Dans la R-RP, le demandeur a contesté le problème à résoudre :

[TRADUCTION]

L’appelant affirme qu’au moins une partie du problème prévu par l’inventeur en est un de résoudre un manque d’infrastructure qui empêche les systèmes existants de relier des microstructures de marché ordinairement indépendantes ou de communiquer avec et parmi elles afin de capturer le type de renseignements nécessaires pour établir de manière précise le prix des instruments. Ce manque d’infrastructure est précisément ce qui empêche les systèmes existants de tenir compte des effets que les instruments dans une microstructure peuvent avoir sur les instruments dans d’autres microstructures et vice versa.

[29] Nous estimions que la PVA ne considérerait pas que l’infrastructure de communication est un problème qui doit être résolu. Le contexte de l’invention indique que les modèles de prix qui tiennent compte de chaque marché indépendamment sont bien connus. De tels modèles comporteraient nécessairement la collecte de données sur au moins un marché. Les CGC de la PVA comprennent la connaissance de la réseautique informatique. La PVA ne verrait pas conséquent aucun problème particulier posé par l’utilisation de l’infrastructure de réseau existante pour recueillir des données d’une multitude de marchés plutôt que d’un seul marché. La PVA lisant le mémoire descriptif verrait le problème comme la façon de traiter les données, pas de recueillir les données.

[30] Dans la R-RP, le demandeur affirme de nouveau qu’il y a un problème d’infrastructure qui requiert une solution technique (appelant la lettre de RP la « PPA ») :

[TRADUCTION]

En ignorant une part essentielle de la solution au problème, nommément régler le manque d’infrastructure, la PPA ignore la portée de la protection que recherche l’inventeur. En particulier, le mémoire descriptif indique qu’ajouter des marchés, des paramètres propres aux marchés ou des relations intermarchés à un réseau existant accroît de façon exponentielle la taille et la complexité de ce réseau. (voir la figure 4, paragraphe 56) Par conséquent, il faudrait un expert en TI très compétent (au-delà des connaissances de réseautique générale) pour créer et mettre en œuvre le réseau et l’architecture complexes nécessaires pour tenir compte de ce niveau de complexité. Le demandeur affirme également que cet ensemble d’affirmations pourrait être un cas de révision a posteriori, où l’observateur trouve seulement la solution « évidente » et facile une fois qu’elle lui a été expliquée; cela n’est pas permis dans l’interprétation téléologique des revendications et la détermination des éléments essentiels des revendications.

[31] Afin d’appuyer cet argument, dans la R-RP et lors de l’audience, le demandeur a également pointé vers les paragraphes 0131 à 0133 et la figure 22 comme montrant l’architecture à paliers multiples d’un exemple de système comme étant de nature technique.

[32] Nous estimons que l’ajout de marchés ne pose pas un problème de réseautique particulier au niveau informatique. La description aux paragraphes 137 et 147 renvoie à un large éventail d’appareils informatiques ordinaires pour la mise en œuvre et n’offre aucun détail sur les exigences en matière de technologie, de matériel ou de logiciels de réseautique, indiquant que la PVA ne rencontrerait aucun problème avec la mise en œuvre et n’indiquant aucun problème lié à la vitesse de traitement.

Éléments essentiels

[33] La revendication 1 est représentative de l’invention. La revendication 1 est formulée comme suit :

[TRADUCTION]

Une méthode pour établir le prix des instruments financiers, constituant à :

fournir un système de moteur de courbe comprenant au moins un appareil informatique composé d’un ou plusieurs processeurs exécutant des instructions exécutables par ordinateur stockées en mémoire, lesdites instructions menant un appareil informatique à exécuter les étapes de :

bâtir un réseau complexe financier virtuel formé de deux marchés financiers interreliés ou plus;

recevoir, par l’entremise d’un réseau, des données de marchés actifs d’une ou plusieurs sources de données externes associées aux marchés financiers interreliés ou plus, les données de marchés actifs comprenant les données sur les aspects du marché;

intégrer les données sur l’aspect du marché associées à au moins l’un des marchés financiers interreliés avec les données de prix pour déterminer les renseignements de prix intégrés en fonction des données collectives des marchés actifs;

déterminer une fonction objectif fondée sur les renseignements de prix intégrés;

déterminer un prix minimum du marché pour chaque instrument financier dans les deux marchés financiers interreliés ou plus en résolvant la fonction objective au moyen d’un modèle d’optimisation.

[34] Nous estimons que la PVA comprendrait que les éléments de la revendication 1 essentiels à la mise en œuvre de la solution définie ci-dessus seraient :

  • bâtir un réseau complexe financier virtuel formé de deux marchés financiers interreliés ou plus;
  • recevoir des données de marchés actifs d’une ou plusieurs sources de données externes associées aux marchés financiers interreliés ou plus, les données de marchés actifs comprenant les données sur les aspects du marché;
  • intégrer les données sur l’aspect du marché associées à au moins l’un des marchés financiers interreliés avec les données de prix pour déterminer les renseignements de prix intégrés en fonction des données collectives des marchés actifs;
  • déterminer une fonction objectif fondée sur les renseignements de prix intégrés;
  • déterminer un prix minimum du marché pour chaque instrument financier dans les deux marchés financiers interreliés ou plus en résolvant la fonction objective au moyen d’un modèle d’optimisation.

[35] La PVA ne considérerait pas l’appareil informatique, la mémoire et le réseau comme essentiels pour arriver à la solution. Les CGC indiquent qu’il est bien connu d’utiliser ces éléments d’une manière conventionnelle pour recueillir et traiter des données financières et qu’il n’y avait aucun problème dans leur utilisation dans cette demande. Ils ne font pas partie du problème et, bien qu’ils forment l’environnement normal pour mettre en œuvre la solution, ils ne sont pas essentiels à la solution elle-même, laquelle est constituée de modèles, de données et d’une fonction objective.

[36] La revendication indépendante 16, bien qu’elle concerne un système, comprend les mêmes éléments essentiels que la revendication 1.

[37] Les revendications dépendantes 2 à 5 et 17 à 20 récitent d’autres détails concernant la façon dont les données sont regroupées et traitées.

[38] Les revendications dépendantes 6 à 11 et 21 à 26 récitent d’autres détails concernant le calcul d’intégration.

[39] Les revendications dépendantes 12 à 14 et 27 à 29 récitent d’autres détails de la modélisation d’optimisation.

[40] Les revendications dépendantes 15 et 30 récitent d’autres détails concernant l’appareil informatique, le réseau et les sources de données. La PVA ne considérerait pas l’appareil informatique et le réseau comme essentiels pour arriver à la solution, comme il a été mentionné ci-dessus.

Objet

[41] Selon l’interprétation ci-dessus, les éléments essentiels des revendications 1 à 30 sont formés de données et d’une série d’étapes de manipulation des données. Les éléments informatisés ne sont pas essentiels. Dans le langage d’Amazon.com au paragraphe 66, les éléments essentiels ne sont pas « une chose dotée d’une existence physique » et ne sont pas « une chose qui manifeste un effet ou changement discernable ». Cet objet ne correspond pas aux catégories d’invention prévues à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[42] Dans la R-DF, le demandeur renvoie à Schlumberger Canada Ltd c. Canada (Commissaire aux brevets) [1981] CF 845, 38 NR 299, 56 CPR (2e) 204 (CAF) [Schlumberger], affirmant que Schlumberger doit être considéré comme renversé. Nous ne considérons pas qu’une quelconque décision de la cour ait renversé Schlumberger. Dans Amazon.com, la Cour d’appel fédérale n’a pas renversé Schlumberger, mais s’est plutôt demandé si une interprétation téléologique des revendications qui lui étaient présentées serait différente de Schlumberger (Amazon.com, au paragraphe 62).

[43] Lors de l’audience, le demandeur a également affirmé que les faits de la présente affaire semblaient correspondre davantage à ceux d’Amazon.com que de Schlumberger. Le demandeur a remarqué que, contrairement à Schlumberger, dans la présente affaire il est important de fournir des données aux négociateurs rapidement.

[44] Nous ne remarquons aucun besoin de vitesse mentionné dans le mémoire descriptif. Nous estimons que la PVA ne considérerait pas que l’invention résout un problème de traitement lent ou de collecte de données. Nous remarquons que, dans la présente affaire, comme dans Schlumberger, l’invention actuelle semble être un algorithme mathématique et des opérations purement mentales, alors que dans Amazon.com, l’invention actuelle était l’utilisation de « témoins », une technique informatique pour résoudre le problème de stocker les renseignements d’utilisateurs.

[45] Nous estimons que les revendications 1 à 30 ne portent pas sur un objet prévu par la Loi et ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Revendications proposées

[46] Dans l’ensemble 2 de revendications proposées, seules les revendications indépendantes 1 et 16 sont modifiées. Ces revendications ont été modifiées par rapport à plusieurs aspects :

  • les préambules de ces revendications portent sur l’intégration de plusieurs microstructures de marché plutôt que d’établir le prix d’instruments financiers;
  • la requête de données est générée et transmise automatiquement par un réseau et les données sont reçues par le réseau;
  • le système de moteur de courbe comporte la définition d’une architecture de système à plusieurs paliers;
  • l’étape de bâtir un réseau complexe financier virtuel se fait au moyen de liens.

[47] Lors de l’audience, le demandeur a clarifié que les « liens » peuvent être interprétés comme l’association de marchés qui ont des produits interreliés communs (en référence au paragraphe 139 de la description).

[48] Nous estimons que la modification du préambule de ces revendications ne change pas les éléments essentiels. Les requêtes automatiques pour les données et la transmission de telles données sont bien connues dans la modélisation financière et ne font pas partie du problème ou de la solution abordés par l’invention. Ces éléments ne sont pas considérés comme essentiels pour arriver à la solution. L’architecture à plusieurs paliers du système de moteur de courbe est de nature abstraite et, également, pourrait être remplacée par d’autres architectures sans changer la nature de la solution. L’étape des liens constitue une association, ce qui est une opération purement mentale. Par conséquent, nous estimons que les modifications proposées n’ajouteraient aucun élément essentiel comportant un objet prévu par la Loi.

[49] Par conséquent, nous estimons que l’ensemble 2 de revendications proposées ne corrige pas l’irrégularité de l’objet prévu par la Loi et ne peut pas être considéré comme des modifications « nécessaires » en vertu du paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

Conclusion et recommandation de la Commission

[50] Compte tenu de ce qui précède, nous recommandons à la commissaire aux brevets de rejeter cette demande au motif que les revendications au dossier portent sur un objet non prévu par la Loi et qu’elles ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Howard Sandler

Iain Baxter

Paul Fitzner

Membre

Membre

Membre


 

Décision de la commissaire

[51] Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande pour le motif que les revendications au dossier portent sur un objet non prévu par la Loi et qu’elles ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[52] En conséquence, conformément à l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec)

ce 22e jour de juin 2020

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