Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence : Financial & Risk Organisation Limited (Re), 2020 CACB 23

Décision du commissaire no 1543

Commissioner’s Decision #1543

Date : 2020 05 28

SUJET :

J00

Signification de la technique

 

J10

Programmes d’ordinateur

TOPIC:

J00

Meaning of Art

 

J10

Computer Programs

Demande n2 688 230

Application No. : 2,688,230


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96-423) dans leur version antérieure au 30 octobre 2019 (les « anciennes Règles sur les brevets »), la demande de brevet numéro 2 688 230 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). La recommandation du soussigné et la décision de la commissaire sont de rejeter la demande.

Agent du demandeur :

BERESKIN & PARR LLP/S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Scotia Plaza

40, rue King-Ouest, 40e étage

Toronto (Ontario) M3H 3Y2


Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadienne refusée numéro 2 688 230 (la « demande en cause »), intitulée « SYSTEME DESTINE A ACHEMINER UN MESSAGE D’INDICATION D’INTERET EN FONCTION D’UN HISTORIQUE DES ACTIVITES DE NEGOCIATION DE CONTREPARTIES COMMERCIALES » et qui appartient à Financial & Risk Organisation Limited (le Demandeur). La Commission d’appel des brevets (la « Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, la recommandation de la Commission est que la commissaire aux brevets rejette la demande.

Contexte

La demande

[2] La demande en cause a été déposée en vertu des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets et a une date de dépôt en vigueur au Canada du 6 juin 2008. Elle a été mise à la disponibilité du public le 18 décembre 2008.

[3] La demande en cause concerne la détermination de correspondances de haute probabilité entre contreparties commerciales dans un système d’échanges. La demande a 10 revendications au dossier, lesquelles ont été reçues au Bureau des brevets le 28 avril 2016.

Historique de la poursuite de la demande

[4] Le 10 octobre 2017, une décision finale (DF) a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des anciennes Règles sur les brevets. La DF indiquait que la demande en cause était irrégulière, car l’ensemble des revendications au dossier visaient un objet qui ne correspondait pas à la définition d’invention et, par conséquent, n’étaient pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[5] Dans une réponse à la DF (R-DF) du 6 avril 2018, le Demandeur a soumis des arguments en faveur de la brevetabilité des revendications au dossier.

[6] L’examinateur jugeant toujours que la demande n’était pas conforme à la Loi sur les brevets, en vertu de l’alinéa 30(6)c) des anciennes Règles sur les brevets, le 9 mai 2018, la demande a été transmise à la Commission pour révision, accompagnée d’une explication qui est indiquée dans un résumé des motifs (RM). Le RM indique la position selon laquelle le mémoire descriptif au dossier était toujours considéré comme irrégulier.

[7] Dans une lettre en date du 16 mai 2018, la Commission a transmis au demandeur une copie du RM et lui a demandé de confirmer qu’elle souhaitait toujours la révision de la demande.

[8] Dans une lettre datée du 19 juillet 2018, le Demandeur a confirmé qu’il souhaitait la poursuite de la révision.

[9] J’ai procédé à la révision de la demande en cause en vertu de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets.

[10] Dans une lettre de révision préliminaire (lettre de RP) en date du 1er avril 2002, j’ai exposé mon analyse préliminaire de la question au regard des revendications au dossier. J’ai également donné au demandeur une occasion de présenter d’autres observations orales ou écrites.

[11] Dans un courriel reçu le 7 avril 2020, le Demandeur a refusé la tenue d’une audience et a indiqué qu’il ne voulait fournir aucune autre observation écrite.

Question

[12] L’unique question à aborder dans la présente révision est si les revendications au dossier définissent un objet qui correspond à la définition d’invention de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Principes juridiques et pratique du bureau des brevets

Interprétation téléologique

[13] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont identifiés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52). Tel qu’il est indiqué à la section 12.02 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (OPIC) révisée en juin 2015 [RPBB], la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution préconisée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

Objet prévu par la Loi

[14] La définition d’invention est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[15] Le document « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » PN2013–03 (OPIC, mars 2013) [PN2013–03] précise l’approche du Bureau des brevets pour décider si une invention liée à un ordinateur est un objet prévu par la Loi.

[16] Comme l’indique PN2013-03, lorsqu’il appert qu’un ordinateur constitue un élément essentiel d’une revendication interprétée, l’objet revendiqué sera généralement prévu par la Loi. En revanche, lorsqu’il est déterminé que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent à un objet exclu de la définition d’invention (par exemple, les beaux-arts, une simple idée, un schéma ou une série de règles), l’objet revendiqué ne sera pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Analyse

La personne versée dans l’art et les CGC pertinentes

[17] La DF a défini la personne versée dans l’art comme suit :

[TRADUCTION]

[...] la personne versée dans l’art, ou une équipe de personnes versées dans l’art, comprendrait les négociateurs d’instruments financiers en coopération avec le personnel de technologie de l’information compétent avec les systèmes informatisés pour la négociation d’instruments financiers.

[18] Le Demandeur n’a pas contesté cette définition et je l’adopte aux présentes.

La DF a également défini les CGC comme suit :

[TRADUCTION]

L’équipe de personnes versées dans l’art a des compétences et de l’expérience dans :

• la négociation d’instruments financiers et la communication d’intérêts commerciaux à d’autres entités (voir la présente demande, page 2, lignes 3 à 6);

• les composants informatiques, les appareils, les réseaux et les applications informatiques, y compris leur conception, leur mise en œuvre, leur fonctionnement et leur entretien, incluant, sans toutefois s’y limiter :

• les systèmes de messagerie, comme le Tradeweb Routing Network ou Tradeweb’s AutEx Network, y compris les formats de messagerie comme SWIFT et FIX (présente demande, page 2, lignes 5 et 6; page 8, ligne 22, à la page 9, ligne 4),

• les messages d’indication d’intérêt (MII) à grande diffusion et à étroite diffusion dans des systèmes de l’état de la technique (présente demande, figures 3 et 4),

• les systèmes de négociations électroniques, les plateformes, les échanges et les appareils de négociation connexes,

• les applications de négociation informatisée et les outils de négociation,

• les ordinateurs à usage général, les ordinateurs à usage particulier, les appareils informatiques, les processeurs, les appareils d’entrées et de sorties, les interfaces réseau et les interfaces d’utilisateur,

• les logiciels et les langages de programmation connexes, les appareils de mémoire et les médias de stockage,

• les systèmes informatiques répartis, y compris les protocoles interréseau et les transferts d’information et de données entre les appareils et les modules,

• les bases de données informatiques et les protocoles de gestion de bases de données connexes.

[19] Le Demandeur n’a pas contesté cette définition et je l’adopte aux présentes.

Problème et solution

[20] La DF a défini le problème comme suit :

[TRADUCTION]

Par conséquent, le problème auquel fait face la demande est considéré comme étant que, dans l’état de la technique, il y a un manque de renseignements pertinents concernant la position de négociation de contreparties potentielles et, par conséquent, les émetteurs de MII doivent choisir entre envoyer leurs MII à un ensemble étroit d’entités et de rater des possibilités de négociation ou d’envoyer leurs MII à un large ensemble d’entités et de risquer une fuite d’information (présente demande, page 5, lignes 4 à 11).

[21] Dans la R-DF, le Demandeur affirme que la DF n’a pas bien défini le problème. Citant la description aux pages 2 à 4 et soulignant les figures 3 et 4, le Demandeur affirme qu’il y avait un problème technique avec les systèmes de messagerie existants pour transmettre des MII.

[22] Je ne trouve pas dans ces passages et ces figures une description concernant un problème lié aux systèmes de messagerie communément utilisés, seulement une déclaration des problèmes potentiels qui découlent de l’envoi d’un MII à une liste trop large ou trop étroite d’adresses. J’adopte la définition du problème qui correspond à celle de la DF; c’est-à-dire que le problème concerne la sélection des adresses d’un MII, pas l’acheminement d’un tel message.

[23] La DF a défini la solution comme suit :

[TRADUCTION]

La solution proposée par le Demandeur semble analyser un historique pondéré regroupé des activités de négociation des contreparties commerciales afin de déterminer les contreparties qui ont probablement une position de négociation qui est contraire à une indication d’achat ou de vente incluse dans un MII (présente demande, revendication 1).

[24] Le Demandeur n’a pas contesté cette définition et je l’adopte aux présentes.

Éléments essentiels

[25] La revendication indépendante 1 est rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

Un système pour acheminer un message d’indication d’intérêt pour un instrument financier, comprenant :

(i) un premier élément informatique associé par communication à un ou plusieurs systèmes de messagerie de négociations, le premier élément informatique étant programmé et configuré pour recevoir les renseignements liés aux activités de négociation d’un ou plusieurs systèmes de messagerie de négociations concernant un historique d’activités de négociation d’une pluralité de contreparties commerciales;

(ii) une base de données pour stocker les renseignements associés à l’historique de négociations;

(iii) un deuxième élément informatique associé par communication à la base de données et à au moins l’ordinateur d’un utilisateur, le deuxième élément informatique programmé et configuré pour

mettre à jour la base de données en fonction d’une analyse des données historiques pondérées regroupées associées à au moins l’une de la pluralité des contreparties commerciales et l’instrument financier pour déterminer les contreparties de la pluralité de contreparties commerciales qui ont probablement une position de négociation qui est contraire à une indication d’acheter ou de vendre dans le message d’indication d’intérêt;

recevoir un message d’indication d’intérêt d’au moins l’ordinateur d’un utilisateur et acheminer la communication du message d’indication d’intérêt à au moins une de la pluralité des contreparties commerciales où l’analyse indique que cette dite contrepartie commerciale a une position contraire à l’indication d’achat ou de vente reçue.

[26] Compte tenu de la revendication indépendante 1, les éléments essentiels pour appliquer la solution sont les suivants :

  • recevoir les renseignements liés aux activités de négociation concernant un historique d’activités de négociation d’une pluralité de contreparties commerciales;

  • fournir une base de données pour stocker les renseignements associés à l’historique de négociations;

  • mettre à jour la base de données en fonction d’une analyse des données historiques pondérées regroupées associées à au moins l’une de la pluralité des contreparties commerciales et l’instrument financier pour déterminer les contreparties de la pluralité de contreparties commerciales qui ont probablement une position de négociation qui est contraire à une indication d’acheter ou de vendre dans un message d’indication d’intérêt.

[27] En résumé, les éléments essentiels pour résoudre le problème de la façon de mieux déterminer les contreparties appropriées auxquelles un MII devrait être acheminé comporte la collecte de certains renseignements historiques, le stockage et l’analyse des renseignements et l’utilisation de l’analyse pour déterminer les parties appropriées auxquelles un MII devrait être acheminé. Les éléments de communication de données associés à l’envoi actuel des MII ne font pas partie du problème ou de sa solution. Les éléments informatiques associés à la base de données et au traitement des renseignements qui y sont stockés ne font également pas partie du problème ou de la solution.

[28] Dans la R-DF, le Demandeur affirme que la DF avait utilisé une « approche par contribution » inappropriée pour l’analyse des éléments essentiels afin de conclure que les éléments informatisés et de communication de données étaient non essentiels puisqu’ils ne sont pas nouveaux. Le critère pour déterminer si un élément est essentiel n’est en effet pas de déterminer si l’élément est nouveau, mais plutôt si l’élément est essentiel à la solution au problème. Ici, les éléments de communication de données et informatisés sont l’environnement normal pour l’invention alléguée, mais ne sont pas essentiels pour appliquer la solution de collecte, de stockage, d’évaluation et d’utilisation de certains renseignements.

[29] Dans la R-DF, le Demandeur a poursuivi en affirmant que le problème concernait explicitement l’acheminement d’un message dans un système électronique et, par conséquent, que la solution comportait nécessairement l’acheminement électronique du MII une fois les destinataires appropriés identifiés. J’estime que la personne versée dans l’art ne considérerait pas que le problème et la solution concernent particulièrement les systèmes électroniques et ne considérerait pas, non plus, l’acheminement actuel du message comme faisant partie du problème ou de la solution.

[30] Les revendications 2 à 10 récitent d’autres détails de la nature ou de la source des renseignements de négociations historiques ou de l’algorithme pour évaluer les données. Les éléments essentiels supplémentaires de ces revendications sont des données ou un algorithme.

Objet

[31] Comme il a été téléologiquement interprété ci-dessus, les éléments essentiels des revendications 1 à 10 constituent des renseignements et certaines manipulations de ces renseignements, et leur comparaison à d’autres renseignements afin de déterminer les destinataires appropriés d’un message.

[32] Les éléments essentiels des revendications forment exclusivement un objet qui ne correspond pas aux catégories d’invention de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[33] Ainsi, les revendications 1 à 10 ne visent pas un objet prévu par la Loi et ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Conclusion et recommandation de la Commission

[34] Compte tenu des raisons fournies ci-dessus, je recommande à la commissaire aux brevets de rejeter cette demande, puisque les revendications au dossier visent un objet non prévu par la Loi et que, par conséquent, elles ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Howard Sandler

Membre


 

Décision de la commissaire

[35] Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande pour le motif que les revendications au dossier ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[36] En conséquence, conformément à l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le Demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

ce 28e jour de mai 2020

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.