Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence : Benjamin Moore & Co. (Re), 2020 CACB 15

Décision du commissaire no 1535

Commissioner’s Decision #1535

Date : 2020-05-08

SUJET :

J00

Signification de la technique

 

J40

Processus psychologique

TOPIC:

J00

Meaning of Art

 

J40

Mental Steps


Demande no 2 695 146

Application No. : 2,695,146


BUREAU CANADIEN DES BREVETS

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets [DORS/96-423], dans leur version antérieure au 30 octobre 2019 (les « anciennes règles »), la demande de brevet numéro 2 695 146 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets [DORS/2019-251] (« Règles sur les brevets »). La recommandation de la Commission et la décision de la commissaire sont de rejeter la demande.

Agent du demandeur :

RIDOUT & MAYBEE LLP

250, avenue University, 5e étage

TORONTO (Ontario) M5H 3E5


Introduction

[1] La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 695 146 (la « demande en instance »), qui est intitulée « SYSTÈME DE SÉLECTION DE COULEUR » et inscrite au nom de BENJAMIN MOORE & CO. (le « demandeur »). La Commission d’appel des brevets (la « Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons à la commissaire aux brevets de rejeter la demande.

[2] Cette recommandation et la décision du commissaire sont publiées en même temps que la recommandation et la décision du commissaire concernant la demande de brevet canadienne en co-instance numéro 2 695 130 (la « demande 130 »), également détenue par le demandeur.

Contexte

La demande

[3] La demande en instance a été déposée en vertu des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets et a une date de dépôt au Canada du 11 juillet 2008. Elle est devenue accessible au public le 15 janvier 2009.

[4] La demande en instance porte sur une méthode de sélection des couleurs mise en œuvre par ordinateur qui utilise des relations dérivées expérimentalement pour l’harmonie des couleurs et l’émotion des couleurs, dont les relations modélisent les réactions humaines à diverses combinaisons de couleurs. L’utilisateur peut choisir le niveau d’harmonie de couleur ou d’émotion de couleur souhaité à partir d’une échelle, comme [traduction] « très excitant » ou [traduction] « légèrement apaisant » à partir de l’éventail d’excitation à apaisement. La méthode utilise les relations dérivées expérimentalement, conjointement avec une base de données de couleurs, afin de déterminer des combinaisons de couleurs qui reflètent le niveau d’harmonie ou d’émotion souhaité des utilisateurs.

Historique de la poursuite de la demande

[5] Le 15 mai 2017, une décision finale (« DF ») a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des anciennes règles. La DF indiquait que la demande en instance est irrégulière aux motifs que toutes les revendications 1 à 36 au dossier au moment de la rédaction de la DF (les « revendications au dossier ») englobent un objet non prévu par la Loi et sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[6] Dans une réponse à la DF (« RDF ») du 29 juin 2017, le demandeur a proposé les revendications 1 à 35 (les « revendications proposées »), lesquelles comprenaient des modifications aux revendications indépendantes au dossier. Les arguments à l’appui de la brevetabilité des revendications au dossier, ainsi que des revendications proposées ont été présentés.

[7] L’examinateur ayant jugé la demande non conforme à la Loi sur les brevets, conformément à l’alinéa 30(6)c) des anciennes règles, la demande a été transmise à la Commission pour révision le 15 décembre 2017, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs (« RM »). Le RM indiquait que les revendications au dossier étaient toujours considérées comme irrégulières parce qu’elles visent un objet non prévu par la Loi. Le RM énonçait également que les revendications proposées ne remédieraient pas à l’irrégularité liée à l’objet non prévu par la Loi.

[8] Dans une lettre en date du 19 décembre 2017, la Commission a transmis une copie du RM au demandeur et a demandé à ce dernier de confirmer s’il souhaitait toujours que sa demande soit révisée.

[9] Dans une lettre en date du 5 février 2018, le demandeur a confirmé qu’il souhaitait la poursuite de la révision.

[10] Le présent comité (le « Comité ») a été constitué dans le but de procéder à la révision de la demande en instance en vertu de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets.

[11] Dans une lettre de révision préliminaire (la « lettre de RP ») en date du 5 novembre 2019, le Comité a exposé son analyse préliminaire de la question de l’objet prévu par la Loi en ce qui concerne les revendications au dossier et des revendications proposées. Le Comité a également donné au demandeur une occasion de présenter d’autres observations orales ou écrites.

[12] Le demandeur n’a fourni aucune observation écrite en réponse à la lettre de RP, mais a demandé une audience dans une communication en date du 19 novembre 2019.

[13] Avant une audience, dans une communication en date du 11 décembre 2019, le demandeur a présenté un ensemble de revendications proposées 1 à 35 pour examen. À l’audience, le demandeur a confirmé que cet ensemble de revendications proposées était le même que celui présenté avec la RDF. Par conséquent, cet ensemble de revendications représente également les « revendications proposées » mentionnées ci-dessus.

[14] L’audience a été tenue en personne le 31 janvier 2020. Le demandeur a présenté des observations à l’égard de la demande en instance et de la demande 130 en co-instance.

Question

[15] La question à trancher dans le cadre de la présente révision est celle de savoir si :

  • les revendications 1 à 36 au dossier visent un objet prévu par la Loi.

[16] Si les revendications au dossier sont jugées irrégulières, nous examinerons les revendications proposées afin de déterminer si elles constituent des modifications nécessaires pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, conformément au paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

Principes juridiques et pratique du bureau

Interprétation des revendications

[17] Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [FreeWorldTrust], les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52 [Whirlpool]. Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (« RPBB »), révisé en juin 2015, la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution proposée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

Objet prévu par la Loi

[18] La définition d’invention est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[19] L’énoncé de pratique du Bureau PN 2013-03 intitulé « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » (« PN 2013-03 ») clarifie la pratique d’examen du Bureau en ce qui a trait aux inventions mises en œuvre par ordinateur.

[20] Tel qu’il est indiqué dans PN 2013-03, lorsqu’il est déterminé qu’un ordinateur constitue un élément essentiel d’une revendication interprétée, l’objet revendiqué sera généralement prévu par la Loi. En revanche, lorsqu’il est déterminé que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent à un objet exclu de la définition d’invention (par exemple, les beaux-arts, les méthodes de traitement médical, les caractéristiques comportant des lacunes physiques ou les revendications dans lesquelles l’objet est une simple idée, un schéma, une règle ou un ensemble de règles), la revendication ne sera pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Analyse

Interprétation des revendications

[21] Dans la lettre de RP, nous avons déclaré que [traduction] « [p]uisqu’il n’y a pas de question liée à la signification de l’un des termes utilisés dans les revendications au dossier, l’analyse ci-dessous porte sur la détermination des éléments essentiels et de ceux qui ne le sont pas ». Le demandeur n’a pas contesté cette approche et nous l’appliquons ci‑dessous.

[22] Dans la lettre de RP aux pages 3 à 4, nous avons abordé les observations du demandeur dans la RDF concernant l’approche du Bureau des brevets en matière d’interprétation téléologique :

[TRADUCTION]

Dans la RDF, aux pages 6 à 10, le demandeur a présenté des arguments selon lesquels l’approche du Bureau en matière d’interprétation téléologique n’était pas étayée par la jurisprudence canadienne, en rappelant les décisions de la Cour suprême du Canada dans FreeWorldTrust et Whirlpool, soulignant l’importance du critère de l’influence appréciable d’une variante et de l’intention de l’inventeur pour déterminer le caractère essentiel des éléments d’une revendication. Le demandeur a également mentionné la décision de la Cour d’appel fédérale dans Halford c. Seed Hawk Inc, 2006 CAF 275 [Halford] au par. 14, dans lequel la Cour a déclaré que le caractère essentiel d’un élément ne dépend pas du fait qu’il soit nouveau ou inventif.

En ce qui concerne FreeWorldTrust et Whirlpool, ces cas sont examinés dans le RPBB à la section 12.02 :

Dans Canada (Procureur général) c. Amazon.com inc., la Cour d’appel fédérale a fait observer que, lors de l’examen, la jurisprudence de la Cour suprême « requiert que l’identification de l’invention réelle par le commissaire soit fondée sur une interprétation téléologique des revendications du brevet ».

L’application des principes d’interprétation téléologique à l’examen d’une demande de brevet doit tenir compte du rôle de l’examinateur de brevet et du but ainsi que du contexte de l’examen.

Dans FreeWorldTrust et Whirlpool, la Cour suprême a souligné que l’interprétation téléologique est réalisée par la cour pour déterminer objectivement ce que la personne versée dans l’art, à la date de publication de la demande de brevet et sur le fondement des mots ou expressions particuliers utilisés dans la revendication, aurait compris de ce que le demandeur avait l’intention de protéger pour l’invention divulguée.

Le RPBB, décrit ensuite, à 12.02.01, les étapes à suivre pour interpréter de façon téléologique une revendication :

Lors de l’examen d’une revendication, l’examinateur doit l’interpréter de façon éclairée et en fonction de l’objet. Avant d’interpréter une revendication, l’examinateur doit :

1. Identifier la personne versée dans l’art [voir la section 12.02.02b];

2. Définir les connaissances générales courantes pertinentes de la personne versée dans l’art au moment de la publication [voir la section 12.02.02c].

Les étapes ci-dessus fournissent le contexte dans lequel la revendication doit être lue. Après avoir déterminé le contexte, l’examinateur doit :

3. Déterminer le problème abordé dans la demande et sa solution telle qu’elle est envisagée par l’inventeur [voir la section 12.02.02d];

4. Déterminer la signification des termes employés dans la revendication ainsi que les éléments de la revendication qui sont essentiels à la résolution du problème identifié [voir la section 12.02.02e].

L’affaire Halford est également citée à la section 12.02.02e du RPBB pour le principe mentionné ci-dessus par le demandeur.

L’analyse de l’interprétation des revendications ci-dessous a été effectuée conformément aux étapes énoncées à la section 12.02.01 du RPBB, qui traite de la jurisprudence citée par le demandeur dans la RDF.

[23] À l’audience, le demandeur a remis en question la validité des déclarations faites dans la DF selon lesquelles :

[TRADUCTION]

il pourrait y avoir des éléments requis pour le fonctionnement de l’invention, mais qui ne sont pas essentiels pour la solution au problème et ces éléments font partie du contexte de l’invention.

[…]

[b]ien qu’ils soient nécessaires au fonctionnement de l’invention, ils ne font pas partie des éléments essentiels pour résoudre le problème.

[24] Nous notons qu’à la section 12.02.02e, le RPBB énonce un principe semblable en ce qui concerne la pratique du Bureau :

Il faut, toutefois, aborder chaque revendication en sachant que tout élément qui influence matériellement le fonctionnement d’un mode de réalisation donné n’est pas nécessairement essentiel à la solution. Certains éléments d’une revendication définissent le contexte ou l’environnement d’un mode de réalisation spécifique sans réellement changer la nature de la solution au problème.

[25] À notre avis, les principes appliqués dans la DF concernant l’essence des éléments d’une revendication sont conformes à la pratique du Bureau.

La personne versée dans l’art

[26] Dans la lettre de RP, nous avons identifié la personne versée dans l’art à la lumière des observations du demandeur dans la RDF :

[TRADUCTION]

À la page 5 de la RDF, le demandeur a soutenu que la personne versée dans l’art était plus adéquatement identifiée comme [traduction] « un technicien familier avec l’espace de couleur, les disques chromatiques, les systèmes de coordination de couleurs et les valeurs CIELAB, mais pas nécessairement une théorie des couleurs avancée comme l’harmonie de couleur ou l’émotion de couleur » et que le mémoire descriptif ne vise pas un consommateur final.

Nous sommes d’avis, à titre préliminaire, qu’en ce qui concerne la demande 130, la personne versée dans l’art dans ce cas est mieux représentée par une équipe qui comprend le technicien identifié par le demandeur ci-dessus, ainsi qu’un programmeur informatique familier avec les techniques de modélisation mathématique.

[27] Pendant l’audience, le demandeur a exprimé des préoccupations quant à l’identification antérieure de la personne versée dans l’art dans la DF comme comprenant les designers d’espaces intérieurs et l’impression possible que l’invention revendiquée peut avoir été perçue comme ayant une signification esthétique seulement.

[28] La personne versée dans l’art identifiée dans la lettre de RP ne comprend pas de designer d’espaces intérieurs. Le demandeur n’a pas contesté notre caractérisation de la personne versée dans l’art et nous adoptons donc cette caractérisation aux fins de la présente révision.

Les connaissances générales courantes pertinentes

[29] Dans la lettre de RP, le Comité a résumé les CGC pertinentes comme incluant la connaissance de ce qui suit :

  • les outils et les méthodes classiques de sélection des combinaisons de couleurs, comme les disques chromatiques et les systèmes de coordination des couleurs;
  • les techniques classiques de programmation et de modélisation informatiques, ainsi que diverses composantes informatiques classiques et configurations de réseau pour mettre en œuvre des méthodes informatiques;
  • le modèle de la CIELAB de représentation d’un espace de couleur.

[30] La CIELAB fait référence au modèle tridimensionnel d’espace de couleur défini par la Commission internationale de l’Éclairage (CIE), dans laquelle L représente une valeur de légèreté du noir au blanc, A représente une valeur de couleur du vert au rouge et B représente une valeur de couleur du bleu au jaune.

[31] La définition mentionnée ci-dessus n’a pas été contestée par le demandeur et nous l’appliquons dans le cadre de notre analyse ci-dessous.

Le problème à résoudre

[32] Dans la lettre de RP, nous avons identifié le problème à résoudre comme étant celui identifié dans la DF, à savoir :

[traduction]

le besoin d’un système de sélection de couleurs qui puisse aider les consommateurs ou d’autres utilisateurs à faire des choix confiants et satisfaisants en matière de section (sic) des couleurs. De plus, la sélection de combinaisons de couleurs attrayantes à partir d’un grand choix peut être difficile, même avec les outils de sélection de couleurs.

[33] En ce qui concerne les observations du demandeur dans le cadre de la RDF, le Comité a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Dans la RDF, aux pages 18 à 20, le demandeur soutient que le problème à résoudre dans la demande en instance (et la solution dont il est question ci-dessous) est d’ordre technique et que, par conséquent, conformément à l’énoncé de pratique PN 2013-03, l’invention revendiquée vise un objet prévu par la Loi. Le demandeur soutient que, puisque l’objet revendiqué a trait à la science de la couleur, il est de nature technique. Le demandeur souligne le travail réalisé par la Commission internationale de l’éclairage (CIE), en particulier son espace de couleur CIELAB et ses travaux en ce qui a trait à l’harmonie des couleurs et à l’émotion des couleurs (HC/EC). Selon le demandeur, la représentation numérique objective d’une couleur en utilisant les valeurs CIELAB et la modélisation mathématique de l’émotion et de l’harmonie des couleurs fondée sur la recherche psychophysique donne un aspect technique au domaine de la recherche sur les couleurs.

À l’appui de cette opinion, le demandeur a présenté la déclaration d’un co-inventeur de la demande en instance, Carl Minchew. La déclaration de M. Minchew réitère l’aspect technique de la recherche scientifique sur la couleur et traite de l’historique des logiciels de sélection de couleurs. Il affirme que l’invention revendiquée reposait sur l’intuition des inventeurs qu’il n’était pas nécessaire de suivre la théorie traditionnelle des couleurs fondée sur un disque chromatique ou la sélection d’un expert en couleur. Les inventeurs ont plutôt utilisé des cotes de couleur fondées sur la perception psychophysique, l’émotion de couleur, l’harmonie de couleur et ainsi de suite. M. Minchew affirme que lui et ses co-inventeurs ont mis au point des systèmes et des méthodes qui nécessitent un ordinateur et des composantes associées pour leur mise en œuvre.

En ce qui concerne la demande en instance ayant trait à la science de la couleur, que le problème se rapporte ou non à un domaine scientifique ne détermine pas si le problème est technique ou non (« technique » étant un bon indicateur d’un objet prévu par la Loi, tel qu’énoncé dans l’énoncé de pratique PN 2013-03). Le problème est identifié en fonction du mémoire descriptif et des connaissances générales courantes pertinentes, qui peuvent indiquer s’il existait un problème en ce qui a trait à la mise en œuvre d’une méthode dans un environnement informatique.

Dans le cas présent, la description aux paragraphes [0025] à [0030] indique que des dispositifs génériques bien connus de calcul et de stockage et des composantes associées sont utilisées pour effectuer les opérations et stocker les données associées aux modèles de couleurs divulguées. Nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que le manque de détails techniques indique qu’il n’y a pas eu de problèmes associés à la mise en œuvre des modèles mathématiques de couleurs divulgués sur un système informatique et, par conséquent, aucun problème informatique ne doit être surmonté. Le problème concerne l’aide apportée au consommateur ou à d’autres personnes pour sélectionner une couleur ou plus.

[34] À l’audience, l’un des co-inventeurs nommés dans la demande en instance et le déclarant mentionné ci-dessus, M. Carl Minchew, a discuté des travaux de fond qui ont mené à la présentation de la demande en instance. M. Minchew a expliqué que l’invention a été élaborée en fonction du problème que le public a de la difficulté à choisir une couleur, en l’occurrence une couleur de peinture parmi la myriade de choix offerts. Ce choix devient encore plus difficile lorsqu’une combinaison de couleurs doit être choisie pour coordonner les choix de couleurs d’un espace. Ce rôle est traditionnellement rempli par des designers qui utilisent leurs connaissances et leur expertise pour conseiller les clients sur la coordination des couleurs. La discussion de M. Minchew à l’égard de ce qui précède est conforme aux renseignements présentés à la partie de DESCRIPTION DE LA TECHNIQUE ANTÉRIEURE de la demande en instance.

[35] Conformément aux renseignements présentés dans la demande en instance et à ceux de la demande 130, selon M. Minchew, l’objet de la demande en instance a été créé pour aborder la question de la façon de fournir de façon répétée et reproductible des choix de coordination des couleurs appropriés à un consommateur, afin de fournir d’une certaine façon le genre de conseils qu’un designer fournirait traditionnellement.

[36] À l’audience, le demandeur a réitéré le besoin de tenir compte de la compétence subjective et du jugement qui sont traditionnellement présents dans la sélection et la coordination des couleurs, et il a souligné la façon dont les relations mathématiques qui ont été développées à partir des données de l’essai en question suppriment cette compétence et ce jugement. Le représentant du demandeur a décrit le besoin d’établir une corrélation statistiquement significative objective entre une combinaison de couleurs et un effet psychophysique qui en résulte comme un premier problème technique qui devait être résolu. Un deuxième problème technique a été de savoir comment présenter utilement ces renseignements à un utilisateur. Selon le demandeur, toute mise en œuvre qui n’impliquerait pas un ordinateur deviendrait peu pratique, étant donné le nombre de variations qui doivent être prises en compte dans un choix de couleurs ou de combinaisons de couleurs.

[37] À l’audience, le demandeur a reconnu qu’il ne faisait pas fonctionner les ordinateurs de façon plus efficace et, à cet égard, il n’essayait pas de résoudre un problème informatique. La position du demandeur est plutôt qu’il existait un problème technique ou plus, comme il est indiqué ci-dessus, qui a été réglé par la recherche, les données expérimentales et les relations mathématiques développées par la suite.

[38] Bien que nous comprenions la portée du travail expérimental effectué et la valeur des relations mathématiques qui en résultent, à notre avis, le problème d’identifier une corrélation mathématique entre les couleurs et la réponse de l’utilisateur n’est pas un problème technique qui mènerait à un objet prévu par la Loi. À notre avis, un tel scénario est semblable à celui de Schlumberger Canada Ltd c. Canada (Commissaire aux brevets) (1981), 56 CPR (2e) 204 (CAF) [Schlumberger], tel que discuté dans Canada (Procureur général) c. Amazon.com, inc., 2011 CAF 328 [Amazon] au par. 62. Schlumberger n’a pas abordé la question de savoir s’il existait ou non un problème technique. Néanmoins, des circonstances semblables n’ont pas donné lieu à un résultat brevetable. Comme l’indique Amazon, Schlumberger :

constitue un exemple d’une tentative infructueuse de breveter un procédé visant à recueillir, enregistrer et analyser des données sismiques à l’aide d’un ordinateur programmé selon une formule mathématique. Cette utilisation de l’ordinateur était une application pratique et l’information résultante était utile. La demande de brevet a toutefois été refusée faute d’objet brevetable parce que la Cour a conclu que le seul aspect nouveau de l’invention revendiquée était la formule mathématique qui, n’étant que « de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques », ne peut pas faire l’objet d’un brevet en raison de l’interdiction prévue au paragraphe 27(8).

[39] Dans Schlumberger, le fait que le demandeur ait trouvé une meilleure façon d’analyser mathématiquement les données sismiques n’a pas rendu l’invention revendiquée brevetable.

[40] De plus, en ce qui concerne le problème proposé par le demandeur de présenter utilement les résultats, même si la Cour dans Schlumberger a reconnu l’utilité des renseignements qui en résultent, qui aurait probablement été plus utile que les renseignements tirés de méthodes d’analyse antérieures, cela n’a pas non plus sauvé le brevet.

[41] À l’audience, le demandeur a soutenu que puisque les données recueillies et utilisées pour développer les relations mathématiques étaient nouvelles, l’affaire en l’espèce n’est pas comme Schlumberger et qu’un problème technique a donc été abordé dans la poursuite des corrélations objectives recherchées entre les combinaisons de couleurs et l’effet psychophysique humain.

[42] À notre avis, la nouveauté des données recueillies ne change pas le problème qui devait être résolu dans le cas présent. Les données ont été recueillies dans le but de régler le problème du besoin d’un système de sélection de couleurs qui puisse aider les consommateurs ou d’autres utilisateurs à faire des choix confiants et satisfaisants en matière de sélection des couleurs et ces données ont été utilisées pour élaborer les relations mathématiques qui s’appliquaient aux revendications. Les données en tant que telles ne constituent pas une considération distincte. Elle est incarnée dans les relations mathématiques divulguées dans la demande en instance. De plus, la collecte de données réalisée ne semble pas avoir présenté de problèmes techniques (aucun n’est abordé, p. ex., au par. [0045] de la demande en instance).

[43] De plus, nous ne sommes pas convaincus que le résultat dans Schlumberger aurait été différent si les équations mathématiques avaient été dérivées de données nouvelles. Dans l’ensemble, l’invention aurait tout de même été liée à l’exécution des mêmes calculs à l’aide des mêmes mesures conventionnelles de trous de forage et de nouvelles équations mathématiques.

[44] Après avoir examiné les observations orales du demandeur, nous ne sommes pas en mesure de convenir qu’un problème technique a été résolu. Selon le mémoire descriptif dans son ensemble, nous concluons que le lecteur qualifié identifierait le problème résolu comme celui énoncé dans la lettre de RP et cité ci-dessus. Nous notons qu’il s’agit du même problème identifié en ce qui concerne la demande 130.

La solution

[45] Dans la lettre de RP, nous avons identifié la solution comme suit :

[traduction]

la solution a trait à l’évaluation améliorée, en utilisant une modélisation mathématique des émotions des utilisateurs ou de l’harmonie de couleurs, de la compatibilité des choix de couleurs, en fonction des paramètres établis par l’utilisateur.

[46] Dans la lettre de RP, nous avons exprimé l’opinion que, puisqu’il n’y avait pas de problème informatique à résoudre, l’ordinateur et les composantes associées ne faisaient pas partie de la solution.

[47] Comme qu’indiqué ci-dessus dans le cadre de la discussion sur le problème à résoudre, le demandeur a reconnu à l’audience que l’invention ne traite pas d’un problème informatique. Toutefois, le demandeur a soutenu qu’il serait peu pratique de mettre en œuvre l’invention sans ordinateur, une telle mise en œuvre nécessitant l’élaboration d’un vaste ensemble physique de couleurs et de combinaisons de couleurs qui pourraient être présentées à un utilisateur.

[48] À notre avis, bien qu’il puisse être plus pratique de mettre en œuvre l’invention dans un environnement informatique (comme c’était le cas dans Schlumberger), une telle mise en œuvre n’est pas nécessaire dans le cadre de la solution. À notre avis, la solution a trait à l’utilisation de modèles mathématiques pour l’harmonie de couleur et l’émotion de couleur, qui ont été dérivés des données d’essai par sujet, pour effectuer des calculs en fonction de paramètres d’entrée choisis par l’utilisateur afin de produire des renseignements sous la forme de conseils objectifs reproductibles pour aider les consommateurs à choisir des combinaisons de couleurs appropriées.

[49] Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que la solution est celle qui est énoncée dans la lettre de RP.

Éléments essentiels

[50] Dans la lettre de RP, nous avons adopté à titre préliminaire les éléments essentiels des revendications indépendantes 1, 20, 22 à 29, 31 et 32 au dossier, comme ceux indiqués dans la DF :

[traduction]

• le calcul d’une cote d’émotion de couleur pour un seuil d’une première émotion de couleur pour une première perception psychophysique humaine;

• la sélection, en fonction d’un premier modèle mathématique qui modélise la première perception psychophysique humaine, les couleurs d’un groupe de couleurs connues atteindraient le seuil de la première émotion de couleur lorsqu’elles sont combinées à la couleur choisie par l’utilisateur et l’un avec l’autre.

[51] La revendication indépendante 1 au dossier est présentée ci-dessous comme étant représentative de l’objet des revendications indépendantes :

[traduction]

1. Une méthode de sélection de couleurs mise en œuvre par ordinateur, comprenant :

la sélection, à l’aide d’un contrôleur, d’un groupe de couleurs connues à partir d’un stock;

la réception d’une entrée de l’utilisateur à partir d’un dispositif d’entrée, par l’intermédiaire d’une interface utilisateur visuelle d’un écran d’affichage de couleurs indiquant la couleur choisie par l’utilisateur;

la réception de l’entrée de l’utilisateur du dispositif d’entrée de l’utilisateur identifiant un seuil pour une première émotion de couleur fondée sur une première perception psychophysique humaine, dans laquelle le seuil comprend une cote numérique d’émotion de couleur et dans laquelle la première émotion de couleur comprend au moins une émotion de couleur excitante-calmante, lumineuse-sombre, propre-sale, joyeuse-triste, amusante‑sérieuse, chaude-froide, ou invitante-non-invitante;

la sélection, au moyen du contrôleur, en fonction d’un premier modèle mathématique qui modélise la première perception psychophysique humaine, les couleurs dudit groupe de couleurs connues atteindraient le seuil de la première émotion de couleur lorsqu’elles sont combinées à la couleur choisie par l’utilisateur et l’un avec l’autre;

dans lequel la première émotion de couleur comprend une échelle d’émotion bipolaire ayant une pluralité de niveaux entre les points d’extrémité et dans lequel le premier modèle mathématique est fondé sur les réponses psychophysiques d’une pluralité de sujets d’essai à une pluralité de couleurs d’essai indiquant un degré d’émotion de couleur sur l’échelle d’émotion bipolaire pour la pluralité de couleurs d’essai;

la fourniture d’une sortie pour l’utilisateur identifiant les couleurs sélectionnées sur l’interface utilisateur visuelle en affichant au moins sur l’écran d’affichage des couleurs un échantillon de couleurs de chacune des couleurs sélectionnées, affiché simultanément sur l’écran d’affichage de couleurs.

[52] Dans la lettre de RP aux pages 6 à 7, nous avons abordé la thèse du demandeur dans la RDF selon laquelle [traduction] « l’ordinateur (le contrôleur), le groupe de couleurs connues ou l’inventaire de couleurs entreposées dans un entrepôt, et l’écran d’affichage ayant une interface visuelle font partie de l’ensemble du système, ce qui ajoute des caractéristiques techniques et essentielles supplémentaires aux revendications », indiquant que :

[traduction]

Comme nous l’avons vu plus haut, nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que le problème à résoudre et la solution n’impliquent aucune mise en œuvre informatique des modèles mathématiques associés aux émotions des utilisateurs. De même, il n’y aurait eu aucun problème associé à la sélection et à l’entrée de renseignements dans de tels modèles ou à l’affichage des sorties, puisque la mise en œuvre informatique de modèles mathématiques et des fonctions d’entrée et de sorties associées faisaient partie des CGC concernées.

De plus, l’inventaire de couleurs est un groupe de couleurs stockées qui peuvent être utilisées comme entrées pour les modèles d’émotion de couleur. Il faisait déjà partie des CGC concernées que ces couleurs pouvaient être représentées par une valeur objective telle que les valeurs CIELAB. Par conséquent, il n’y avait aucun problème associé à la représentation des couleurs de cette façon et, par conséquent, l’inventaire de couleurs stockées ne ferait pas partie de la solution. Il faisait partie des CGC concernées de choisir des couleurs d’un groupe de couleurs ou d’un inventaire, que ce soit sur un disque chromatique ou un autre système de coordination des couleurs, afin d’évaluer si l’effet souhaité d’une combinaison de couleurs a été atteint.

[53] À l’audience, le demandeur n’a présenté aucune observation directe relativement aux éléments essentiels mentionnés dans la lettre de RP. Ses observations portaient plutôt sur le problème et la solution, à savoir les affirmations selon lesquelles un problème technique a été résolu et que la mise en œuvre de l’invention ne serait pas pratique sans ordinateur.

[54] Après avoir déjà abordé les observations pertinentes ci-dessus, nous sommes d’avis que les éléments essentiels des revendications indépendantes au dossier sont ceux qui sont énoncés dans la lettre de RP.

[55] En ce qui concerne les revendications dépendantes, comme nous l’avons indiqué dans la lettre de RP :

[traduction]

elles ont principalement trait aux variations de l’entrée et de la sortie ou de l’affichage des renseignements l’information à destination et en provenance des modèles mathématiques utilisés pour évaluer la compatibilité, dont l’entrée et la sortie de renseignements que nous avons déjà identifiés comme non essentiels. De plus, la nature des entrées dans les modèles dépendra du modèle, qu’il s’agisse d’un modèle utilisé pour représenter l’émotion de couleur ou l’harmonie. Nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que les seules caractéristiques essentielles supplémentaires des revendications dépendantes soient l’évaluation mathématique de l’émotion de couleur ou de l’harmonie.

Décisions antérieures du commissaire et brevets accordés

[56] Dans la lettre de RP, à la page 7, nous avons abordé les observations du demandeur dans la RDF concernant les résultats des décisions antérieures du commissaire et l’affirmation selon laquelle les exemples fournis appuyaient l’essence même de l’ordinateur et des composantes associées dans le cas présent :

[traduction]

Dans la RDF aux pages 13 à 17, le demandeur a souligné les résultats des décisions antérieures du commissaire, en particulier la demande de brevet 2 235 566 (2013) de Re Progressive Casualty Insurance Co, DC 1349 (Commission d’appel des brevets et commissaire aux brevets) et la demande de brevet 2 333 184 (2013) de Re Weyerhaeuser Co’s, DC 1345 (Commission d’appel des brevets et commissaire aux brevets), en tant qu’appui à l’essentiel de l’ordinateur et des composantes associées en l’espèce. Toutefois, l’évaluation de l’importance essentielle des éléments de la revendication dans chaque cas dépend de décisions factuelles propres à cette affaire, comme c’est le cas dans le cas présent, et, par conséquent, le résultat de l’analyse dans un cas n’est pas déterminant d’un autre.

Dans la RDF, aux pages 20 à 24, le demandeur affirme avoir droit à l’uniformité dans l’examen des demandes de brevet dans un domaine semblable, comme la sélection de couleurs, et il a mentionné un certain nombre de brevets délivrés dans ce domaine pour appuyer la nature technique et la brevetabilité des revendications au dossier. Toutefois, comme c’est le cas pour les décisions antérieures du commissaire, le résultat de chaque cas dépend des décisions factuelles prises dans l’affaire en question. Dans chaque cas, la personne versée dans l’art, les CGC pertinentes, le problème et la solution peuvent varier et influer sur le résultat et rien n’indique dans les observations du demandeur que ces décisions factuelles dans les brevets énumérés étaient si semblables qu’elles devraient être comparées directement à celles du présent cas.

[57] À l’audience, le demandeur a présenté un autre exemple de brevet accordé lié à la sélection des couleurs, à savoir le brevet canadien no 2 823 944. Bien que nous reconnaissions que le brevet a trait à une méthode de sélection de couleurs mise en œuvre par ordinateur, comme nous l’avons indiqué dans la lettre de RP, le résultat de chaque cas dépend de la détermination de la personne versée dans l’art, des CGC pertinentes, du problème et de la solution, et l’octroi d’une demande de brevet particulière n’est pas déterminant du résultat d’une autre demande.

Objet prévu par la Loi

[58] Dans la lettre de RP, après avoir examiné les observations du demandeur dans la RDF, y compris la jurisprudence citée, nous avons exprimé notre opinion préliminaire selon laquelle les revendications au dossier visent un objet non prévu par la Loi :

[traduction]

Dans la RDF, aux pages 10 à 11, le demandeur affirme qu’en raison de la présence d’un contrôleur, d’un dispositif d’entrée utilisateur et d’un écran d’affichage en couleur dans les revendications, l’objet des revendications au dossier a trait à une méthode d’application pratique et [est] donc brevetable compte tenu des critères énoncés dans Progressive Games Inc c. Canada (Commissaire aux brevets) (1999), 3 CPR (4e) 517 ((CF 1re inst.); conf. par (2000), 9 CPR (4e) 479 (CAF).

Toutefois, à la lumière de notre analyse dans l’interprétation des revendications ci-dessus, l’ordinateur et les composantes associées des revendications au dossier ne sont pas des caractéristiques essentielles. Nous sommes d’avis, à titre préliminaire, comme il est indiqué ci-dessus, que les éléments essentiels des revendications au dossier sont dirigés vers les calculs et les modèles mathématiques associés à l’émotion de couleur et à l’harmonie. Étant donné que les éléments essentiels des revendications au dossier visent les calculs et les formules mathématiques, qui ressemblent à des principes scientifiques ou à des théorèmes abstraits, l’objet des revendications au dossier ne vise pas « une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou changement discernable » (Canada (Procureur général) c. Amazon.com, inc., 2011 CAF 328 au paragraphe 58).

Nous notons que dans la RDF, à la page 24, le demandeur a fait référence à Schlumberger Canada Ltd c. Commissaire aux brevets (1981), 56 CPR (2e) 204 (CAF) [Schlumberger] et a suggéré qu’à la lumière de la liste des brevets accordés qui seraient vraisemblablement brevetables à la lumière de Schlumberger, l’objet des revendications au dossier serait également brevetable.

Nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que l’invention dans Schlumberger et celle qui compose les éléments essentiels des revendications au dossier dans la demande en instance sont très semblables. Dans les deux cas, un ordinateur peut être utilisé pour effectuer les calculs qui composent les méthodes, mais il n’est pas essentiel que les méthodes soient mises en œuvre de cette façon. Les deux cas se rapportent à l’analyse des entrées au moyen de divers calculs. L’utilisation d’un ordinateur, bien que pratique, n’est pas essentielle pour effectuer l’analyse.

[59] À l’audience, le demandeur a fait référence à Amazon et à l’analyse approuvée par la Cour au par. 50, telle que fournie par le juge Phelan à l’échelle de la Cour fédérale, particulièrement au critère relatif à l’objet brevetable présenté dans Shell Oil Co. C. Commissaire des brevets, [1982] 2 RCS 536 et précisé davantage dans Progressive Games Inc c. Canada (Commissaire aux brevets) (1999), 3 CPR (4e) 517 (CF 1re inst.); conf. par (2000), 9 CPR (4e) 479 (CAF). En particulier, le demandeur a mentionné les critères de la [traduction] « méthode d’application pratique » et a affirmé que l’invention revendiquée dans la demande en instance répondait à ces critères. Toutefois, comme nous l’avons indiqué dans la lettre de RP, citée ci-dessus, l’ordinateur et les éléments connexes des revendications que le demandeur a affirmé fournir une méthode d’application pratique n’est pas essentielle.

[60] Ayant interprété les revendications ci-dessus à la lumière des étapes énoncées dans le RPBB à la section 12.02.01, nous sommes d’avis que les éléments essentiels sont dirigés vers les modèles mathématiques associés à l’émotion de couleurs et à l’harmonie de couleurs, aux calculs abstraits et aux renseignements qui en découlent. À ce titre, les éléments essentiels des revendications au dossier ne visent pas « une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou changement discernable » (Amazon au paragraphe 58).

[61] À l’audience, le demandeur a également mentionné sa position selon laquelle, puisque les données sous-jacentes qui ont été utilisées pour créer les formules mathématiques des revendications étaient nouvelles, les revendications de la demande en instance sont donc distinctes de Schlumberger, dans lequel les données recueillies étaient les mêmes types de données recueillies antérieurement.

[62] Nous avons abordé cette position ci-dessus dans notre discussion sur le problème à résoudre, et à notre avis, l’utilisation de données nouvelles ne change pas le problème, la solution ou les éléments essentiels.

[63] À la lumière de ce qui figure ci-dessus, nous concluons que les revendications 1 à 36 au dossier visent un objet non prévu par la Loi et qu’elles ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

Revendications proposées

[64] Comme mentionné ci-dessus, les revendications proposées dans la communication du demandeur en date du 11 décembre 2019 étaient les mêmes que celles présentées en réponse à la RDF. Nous avons présenté notre point de vue préliminaire sur la brevetabilité de ces revendications proposées dans la lettre de RP :

[traduction]

Avec la RDF, le demandeur a proposé des modifications aux revendications indépendantes au dossier afin de préciser que le [traduction] « modèle mathématique est calculé à partir de variables d’un espace de couleur pour les couleurs dans ledit groupe de couleurs connues et la couleur choisie par l’utilisateur », ainsi que les couleurs sélectionnées [traduction] « sont pour une couleur de peinture ou pour une couleur de revêtement de surface ».

Comme nous l’avons mentionné plus haut, il faisait déjà partie des CGC pertinentes que les couleurs pouvaient être représentées par une valeur objective comme les valeurs CIELAB, qui sont utilisées pour représenter les espaces de couleur. De plus, les revendications indépendantes au dossier précisent déjà l’utilisation d’une cote d’émotion de couleur, qui, comme divulguée dans la demande en instance, est calculée à partir des valeurs CIELAB. Par conséquent, il n’y avait aucun problème associé à la représentation des couleurs par [traduction] « variables d’un espace de couleur ».

En ce qui concerne la limitation que les couleurs sélectionnées sont pour une couleur de peinture ou de revêtement de surface, l’application finale spécifique de la méthode de sélection des couleurs n’affecterait pas notre identification initiale du problème, de la solution et des éléments essentiels. De plus, ces limites étaient déjà présentes dans la revendication 35 au dossier, qui, nous sommes d’avis, à titre préliminaire, vise un objet non prévu par la Loi.

Par conséquent, nous sommes d’avis, à titre préliminaire, que les revendications proposées ne modifieraient pas la conclusion ci-dessus en ce qui concerne la nature non législative des revendications au dossier.

[65] À l’audience, le demandeur s’est dit préoccupé qu’en fonction de l’analyse préliminaire ci-dessus, l’ajout d’une étape physique aux revendications, comme le mélange de peintures pour obtenir les couleurs recommandées, ne rende toujours pas les revendications légales. Le demandeur a interprété la lettre de RP comme signifiant que les revendications ne seraient pas brevetables à moins qu’une nouvelle étape ne soit ajoutée.

[66] À notre avis, l’ajout d’étapes physiques comme le mélange de peintures aux revendications au dossier ne rendrait pas les revendications un objet prévu par la Loi. Il n’y a aucune indication dans le mémoire descriptif qu’il y a eu des problèmes à résoudre associés au mélange de peintures pour obtenir une couleur spécifique. Ces mesures auraient été bien connues de la personne versée dans l’art. En fonction du mémoire descriptif dans son ensemble, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art ne considérerait pas ces étapes comme faisant partie de la solution et, par conséquent, ne les considérerait pas comme des éléments essentiels requis pour la solution.

[67] En ce qui a trait à l’interprétation du demandeur de la lettre de RP comme signifiant que seules de nouvelles étapes de méthode mèneraient à une revendication portant sur un objet prévu par la Loi, la détermination des éléments essentiels par l’approche d’interprétation téléologique énoncée dans le RPBB à la section 12.02 n’est pas fondée sur la nouveauté des éléments de la revendication. Plus particulièrement, le RPBB, à la section 12.02e, indique que les éléments essentiels ne sont pas ceux qui distinguent l’objet revendiqué de l’art antérieur. Les éléments essentiels pour lesquels la brevetabilité est évaluée sont fondés sur les CGC de la personne versée dans l’art, ainsi que sur le problème et la solution qui sont déterminés en fonction du mémoire descriptif de la demande de brevet.

[68] À la lumière des considérations ci-dessus, nous concluons que l’objet des revendications proposées vise un objet non prévu par la Loi et qu’elles ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Ainsi, l’ensemble de revendications ne remédie pas à cette irrégularité des revendications au dossier et, par conséquent, ne constitue pas des modifications « nécessaires » pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, comme l’exige le paragraphe 86(11) des Règles sur les brevets.

Conclusion

[69] Nous avons déterminé que les revendications 1 à 36 au dossier visent un objet non prévu par la Loi et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.


 

Recommandation de la Commission

[70] Compte tenu de ce qui précède, le Comité recommande de rejeter la demande au motif que les revendications au dossier visent un objet non prévu par la Loi et sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

 

Stephen MacNeil

Paul Fitzner

Cara Weir

Membre

Membre

Membre

Décision de la commissaire

[71] Je souscris à la conclusion de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande au motif que les revendications au dossier visent un objet non prévu par la Loi et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[72] En conséquence, conformément à l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

ce 8e jour de mai 2020

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.