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Décision du commissaire no 1510

Commissioner’s Decision #1510

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS :       O00     Évidence

                                                                                              

TOPICS:        O00     Obviousness

                                                                                              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

Demande no 2 796 795

Application No 2,796,795

 


 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96-423) dans sa version immédiatement avant la modification en date du 30 octobre 2019, la demande de brevet 2 796 795 a fait l’objet d’une révision conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets (DORS/2019-251). Conformément à la recommandation de la Commission, la commissaire retire le refus et accepte la demande.

 

 

 

Agent du Demandeur

 

SMART & BIGGAR IP AGENCY CO.

C.P. 2999

Succursale D

OTTAWA (Ontario)  K1P 5Y6


INTRODUCTION

 

[1]          La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 796 795 (la « présente demande »), intitulée « SYSTÈME DE SUSPENSION DE VÉHICULE MULTIESSIEU » et inscrite au nom de DEXTER AXLE COMPANY (le « Demandeur »). La Commission d’appel des brevets (la Commission) a procédé à une révision de la demande refusée, conformément à l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, conformément à la recommandation de la Commission, la commissaire retire le rejet et accepte la demande.

 

CONTEXTE

 

La demande

 

[2]          La présente demande a été déposée au Canada le 27 novembre 2012 et a été rendue accessible au public le 8 juin 2013.

 

[3]          La présente demande porte sur un système de suspension à plusieurs essieux, qui utilise au moins deux essieux de torsion en tandem. Chaque paire d’essieux de torsion est interreliée par un élément égalisateur pivotant qui distribue tout mouvement vertical et toute différence de poids de sorte que le mouvement vertical d’une extrémité d’essieu entraîne le mouvement de l’extrémité de l’essieu en tandem dans la direction verticale opposée. La figure 1 de la présente demande, présentée ci-dessous, illustre le système de suspension revendiqué.

 

                            

[4]          Les assemblages d’essieux de torsion 300 et 400 sont montés sur les éléments pivots de suspension 100 et 200. Les extrémités des éléments pivots 100 et 200 sont reliées à l’élément égaliseur pivotant 1000, de sorte que si un essieu de torsion est déplacé vers le haut, par exemple l’élément 300, l’extrémité de l’élément pivot 100 fera pivoter l’élément égaliseur pivotant 1000 qui va lui-même faire pivoter l’autre élément pivot 200, qui à son tour déplace l’autre essieu de torsion 400 vers le bas pour maintenir l’essieu de torsion 400 en contact avec le sol.

 

Historique de la poursuite de la demande

 

[5]          Le 15 juin 2017, une décision finale (la « DF ») a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets dans sa version immédiatement avant la modification en date du 30 octobre 2019. La DF indiquait que la présente demande présentait une irrégularité, au motif que toutes les revendications 1 à 3 au dossier au moment de la DF (les « revendications au dossier ») auraient été évidentes et, dès lors, non conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[6]          Dans une réponse à la DF (la « RDF ») en date du 15 décembre 2017, le Demandeur a présenté des arguments en faveur des revendications au dossier, mais il n’a pas proposé de modifications.

 

[7]          Étant donné que l’examinateur a considéré que la demande n’est pas conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, ladite demande a été transmise à la Commission d’appel des brevets (la « Commission ») à des fins de révision en date du 26 janvier 2018, accompagnée d’une explication présentée dans le résumé des motifs (le « RM »). Le RM expose la position selon laquelle les revendications au dossier étaient toujours considérées comme irrégulières pour cause d’évidence.

 

[8]          Dans une lettre en date du 1er février 2018, la Commission a transmis au Demandeur un exemplaire du RM et a demandé que le Demandeur confirme s’il était toujours intéressé par une révision de sa demande.

 

[9]          Dans une lettre en date du 13 mars 2018, le Demandeur a confirmé son intérêt à ce que la révision de sa demande soit entamée. Le Demandeur a également indiqué qu’il souhaiterait fournir des observations écrites et participer à une audience. Toutefois, étant donné notre recommandation de retirer le refus et d’accepter la demande, aucune observation écrite ou orale n’est nécessaire.

 

[10]      Le présent Comité (le « Comité ») a été formé pour examiner la présente demande en vertu de l’alinéa 199(3)c) des Règles sur les brevets.

 

QUESTION

 

[11]      La question examinée dans le cadre de la présente révision est la suivante :

 

         les revendications 1 à 3 au dossier sont-elles évidentes et contraires à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets?

 

PRINCIPES JURIDIQUES ET PRATIQUES DU BUREAU DES BREVETS

 

Interprétation des revendications

 

[12]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, des éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également, Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67 aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52). Tel qu’il est indiqué à la section 12.02 (révisé en juin 2015) du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB), la première étape de l’interprétation téléologique consiste à identifier la personne versée dans l’art (la « PVA »), ainsi que de définir ses connaissances générales courantes (les « CGC »). L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution indiquée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, telle que revendiquée.

 

Évidence

 

[13]      La Loi sur les brevets prévoit que l’objet d’une revendication ne soit pas évident à une personne versée dans l’art. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets précise ce qui suit :

 

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[14]      Dans Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 [Sanofi], au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a établi que « [l]ors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets [...] » suivante :

 

     (1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

           b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

ANALYSE

 

Interprétation des revendications

 

[15]      En l’espèce, il n’y a aucune question concernant la signification ou la portée de tout terme indiqué dans les revendications au dossier. Par conséquent, la discussion ci‑dessous est axée sur le caractère essentiel des éléments des revendications.

 

La personne versée dans l’art

 

[16]      À la page 2 de la DF, la personne versée dans l’art est décrite comme suit :

 

[traduction]

 

Le mémoire descriptif dans son ensemble est abordé sous la perspective d’une personne versée dans l’art qui présente des compétences en matière de systèmes de suspension de véhicule multiessieu et qui dispose de compétences professionnelles en matière de fabrication et de conception. La personne versée dans l’art ne doit pas être une personne réelle; elle constitue une entité fictive et peut représenter une équipe d’individus dont les connaissances conjointes sont pertinentes dans le cadre du système présumé inventif.

 

[17]      Aux pages 2 à 4 de la RDF, le Demandeur soutient que la personne versée dans l’art identifiée dans la DF ne possède pas le niveau de spécificité requis et qu’aucune preuve n’a été citée à l’appui de la définition ci-dessus.

 

[18]      En règle générale, la nature exacte de la personne versée dans l’art ne peut pas être déterminée avec précision au cours des poursuites devant le Bureau des brevets, étant donné que le processus ne comprend pas de témoignage d’expert sur la nature de ladite personne, comme cela peut être le cas devant les tribunaux canadiens. La PVA identifiée doit avoir été raisonnablement choisie en des termes généraux (Newco Tank Corp. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 287 [Newco Tank] au paragraphe 29). Pour définir la personne versée dans l’art, « [i]l convient d’aborder la question de manière générale et d’atteindre un certain degré de généralisation » (Merck & Co. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510 [Merck] au paragraphe 40). On peut examiner les termes liminaires d’un brevet pour obtenir des indications raisonnables sur la personne à laquelle le brevet est adressé (Merck, précité au paragraphe 41).

 

[19]      Aux fins de la présente révision et en fonction du domaine auquel s’applique l’invention, nous considérons que la personne versée dans l’art est une personne versée dans les systèmes de suspension de véhicule, avec une expérience en matière de suspensions de véhicule multiessieu. La personne est fort probablement un ingénieur mécanique ou automobile.

 

Les connaissances générales courantes pertinentes

 

[20]      À la page 2 de la DF, les CGC pertinentes ont été établies en ces termes :

[traduction]

 

Les connaissances courantes dont dispose une personne comprennent les systèmes de suspension de véhicule multiessieu comprenant des essieux de torsion installés à des éléments pivots de suspension, qui sont installés par action de pivot au châssis du véhicule. (Voir le contexte de l’invention [« Background of the Invention »] dans le mémoire descriptif du Demandeur, plus précisément de la page 2, ligne 27, à la page 4, ligne 10). De plus, les systèmes de suspension de véhicules multiessieu comportant des éléments de pivot qui relient les éléments de pivot de suspension au châssis du véhicule sont également considérés comme des connaissances courantes (voir le contexte de l’invention [« Background of the Invention »] dans le mémoire descriptif du Demandeur, plus précisément à la page 4, lignes 11 à 32).

 

[21]      Dans la RDF, le Demandeur a contesté la détermination des CGC pertinentes et soutient que, lorsque la nature des CGC pertinentes est contestée, des documents doivent être présentés à l’appui des CGC pertinentes déterminées.

 

[22]      Toutefois, étant donné que les renseignements illustrant le contexte de l’invention indiqués dans une demande de brevet peuvent être contraignants pour le demandeur et considérés en tant qu’art antérieur et que les CGC pertinentes sont un sous-ensemble de l’art antérieur, les affirmations générales de la pratique conventionnelle figurant dans ces renseignements relatifs au contexte de l’invention peuvent être considérées comme ayant force obligatoire en tant que CGC pertinentes (Corning Cable Systems LLC c. Canada (Procureur général), 2019 CF 105, citation de Newco Tank au paragraphe 40).

 

[23]      Selon les énoncés de la section Contexte de l’invention aux pages 1 à 4 de la présente demande, nous considérons les points suivants comme faisant partie des CGC pertinentes de la personne versée dans l’art :

 

         Les assemblages conventionnels à essieux multiples pour les camions ou les remorques, y compris les systèmes de ressorts à lames où les extrémités éloignées des ressorts à lames associés à chaque essieu sont supportées par des supports de fixation raccordés à un cadre et les extrémités adjacentes sont reliées par pivot à un égaliseur monté par pivot (c’est-à-dire un élément de pivot) également supporté par des fixations au châssis;

         Les problèmes associés aux assemblages multiessieu conventionnels, y compris l’égalisation inadéquate et brusque de la charge d’un essieu à l’autre;

         Les résultats finaux potentiels issus d’une égalisation inadéquate de la charge, y compris :

o   Perte de traction à l’essieu propulsé,

o   Contrainte plus élevée appliquée aux éléments de suspension et durée de vie plus courte de ces éléments,

o   Perte de la capacité des ressorts à lames d’absorber l’énergie et augmentation du transfert d’énergie vers la structure du véhicule, ce qui cause des dommages au véhicule,

o   Dommages causés aux routes en raison de l’augmentation du transfert de charge à partir de l’essieu surchargé;

         Construction typique des essieux de torsion, par exemple un essieu carré en coupe transversale avec des éléments allongés en caoutchouc, tous intégrés dans un tube plus grand, ainsi que leurs avantages, comme la réaction indépendante de chaque roue à un obstacle. Une version de ce système est le bien connu TorFlexMD de Dexter Axle Company, qui possède des demi-essieux indépendants et séparés de chaque côté du véhicule et qui comprend un axe de roue et un bras de torsion (c’est-à-dire l’élément pivot de suspension des revendications au dossier)[1], afin d’améliorer l’aspect indépendant de l’essieu.

 

Éléments essentiels

 

[24]      À la page 2 de la DF, après avoir déterminé le problème, la solution a été présentée comme la combinaison des caractéristiques de plusieurs essieux de torsion avec les éléments de pivot utilisés de façon conventionnelle dans les systèmes de ressorts à lames multiples. La DF n’a pas explicitement énoncé les éléments essentiels des revendications 1 à 3 au dossier, mais, compte tenu de la comparaison avec l’état de la technique à l’étape 3 de Sanofi, la combinaison d’éléments de chaque revendication semble avoir été prise en compte.

 

[25]      Pour les besoins de notre analyse ci-dessous en matière d’évidence, nous tenons également compte de la combinaison des éléments de chacune des revendications. La revendication indépendante 1 est présentée ci-dessous :

 

1.       Un système de suspension à plusieurs essieux comprenant :

un premier essieu de torsion installé sur un premier élément pivot de suspension; le premier élément pivot de suspension est rattaché au châssis d’un véhicule donné;

un deuxième essieu de torsion installé sur un deuxième élément pivot de suspension; le premier élément pivot de suspension est rattaché au châssis du véhicule;

un élément pivot de suspension est rattaché au châssis du véhicule;

le premier élément pivot de suspension est rattaché à l’élément de pivot;

le deuxième élément pivot de suspension est rattaché à l’élément de pivot.

 

[26]      Le Demandeur n’a déposé aucune prétention dans la RDF concernant le problème, la solution ou les éléments essentiels.

 

Évidence

 

(1)a) Identifier la « personne versée dans l’art »

 

[27]      La personne versée dans l’art a été définie ci-dessus à la section Interprétation des revendications, au paragraphe [19].

 

(1)b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[28]      Les CGC pertinentes ont également été signalées ci-dessus à la section Interprétation des revendications, au paragraphe [23].

 

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[29]      Comme indiqué ci-dessus, la DF a tenu compte de la combinaison d’éléments de chaque revendication pour la définition des éléments essentiels de l’évaluation de l’évidence. Ce principe est également appliqué ci-dessous.

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’« état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

 

[30]      Dans la DF, les quatre documents de l’art antérieur indiqués ci-dessous ont été appliqués à l’analyse d’évidence :

 

D2 : US 7 753 400 B2         Dunlap et coll.             13 juillet 2010

D3 : US 2010/0270766 A1  VanDenberg et coll.     28 octobre 2010

D4 : US 6 340 165 B1         Kelderman                   22 janvier 2002

D5 : US 2009/0278329 A1  VanDenberg et coll.     12 novembre 2009

 

 

[31]      La DF affirmait que toutes les revendications au dossier auraient été évidentes eu égard à D2, en vue des CGC pertinentes. La DF a appliqué D3 à D5 pour démontrer que les essieux de torsion composés d’un élément d’essieu de torsion entouré de cordons en caoutchouc, qui sont contenus dans un tube d’essieu, où l’élément d’essieu de torsion est relié à l’axe de roue, étaient connus à la date pertinente. La DF a également expliqué à la page 3 que de telles caractéristiques faisaient partie des CGC pertinentes, en faisant référence à la partie du contexte de l’invention de la présente demande.

 

[32]      Chacun des documents D3 à D5, dans les passages mentionnés dans la DF, fait référence au système de suspension TorFlexMD qui est également mentionné dans le contexte de l’invention de la présente demande. À notre avis, ce système bien connu révèle des essieux de torsion, y compris les éléments pivots de suspension (c’est-à-dire les bras de torsion) reliés aux essieux de torsion, ces derniers comprenant un élément de torsion entouré de plusieurs cordons en caoutchouc, l’élément de torsion et les cordons en caoutchouc étant contenus à l’intérieur de l’essieu de torsion externe. Les axes des roues sont montés sur les éléments pivots de la suspension.

 

[33]      D2 dévoile un système de suspension multiessieu à ressort à lame qui comprend un égalisateur conforme (élément de pivot dans les revendications). Le système divulgué est semblable aux assemblages conventionnels de ressorts à lames multiessieu dévoilés dans le contexte de l’invention de la présente demande, exception faite de l’égaliseur dans D2 qui est lui-même conforme, comprenant les parties de bras 10 et 20 qui peuvent pivoter indépendamment (voir la figure 2 et la discussion de la col. 2, ligne 58, à la col. 3, ligne 17). Toutefois, D2 révèle aussi, comme art antérieur, le système conventionnel mentionné dans la présente demande avec un élément de pivot rigide utilisé dans un système de ressorts à lames multiessieu en tandem (voir figures 1 et 5 de D2).

 

[34]      Compte tenu de ce qui précède, et étant donné la revendication indépendante 1 au dossier, ce que l’art antérieur et les CGC ne montrent pas, c’est un système de suspension à plusieurs essieux utilisant un égaliseur (c’est-à-dire un élément pivot), où le système de ressorts à lames conventionnel a été remplacé par des essieux de torsion, comme ceux du système TorFlexMD. Cet énoncé est conforme à la différence indiquée dans la DF.

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

[35]      À la page 3 de la DF, il a été soutenu que le remplacement des essieux de torsion par des ressorts à lames dans le système de suspension conventionnel à essieux multiples qui utilisait un pivot égalisateur aurait été évident :

 

[traduction]

 

La combinaison présumée inventive, qui réunit un élément de pivot central avec des essieux de torsion, n’est qu’un rassemblement d’éléments qui ne collaborent pas pour générer un résultat uni. La fonction du pivot central ne contribue pas à la fonction des essieux de torsion, et vice versa; la suspension combinée ne produit aucun résultat inattendu autre que des résultats individuels. Pour que les roues du système de suspension divulgué dans D2 réagissent indépendamment les unes des autres, il est considéré qu’il aurait été évident pour une personne versée dans l’art d’utiliser un essieu de torsion, comme reconnu dans la technique, pour les essieux de roue du système de suspension du D2 afin de former un système tel que revendiqué dans les revendications au dossier.

 

[36]      À la lumière de l’art antérieur et des CGC pertinentes, nous ne sommes pas d’accord que la substitution des essieux de torsion par des ressorts à lames dans un tel système aurait été évidente pour une personne versée dans l’art.

 

[37]      Nous ne sommes pas d’accord avec l’affirmation de la DF selon laquelle les essieux de torsion ne collaborent pas avec le pivot central pour produire un résultat uni. À notre avis, l’interconnexion des essieux de torsion en tandem avec le pivot central lui-même sous‑entend une collaboration pour produire un effet uni plus important que celui des éléments pris individuellement. De plus, à notre avis, il n’y a aucune raison de croire que les essieux de torsion ne produisent pas un effet différent lorsqu’ils sont interconnectés par un pivot central, par rapport au système conventionnel à plusieurs essieux qui utilise des ressorts à lames reliés par le même pivot central.

 

[38]      De surcroît, nous n’avons établi aucune suggestion ou motivation dans l’art antérieur cité ou dans les CGC pertinentes pour remplacer les essieux de torsion par des ressorts à lames dans le système conventionnel de ressorts au multiessieu par un pivot central. Comme indiqué ci-dessus, D2 présente le système conventionnel de ressorts à lames multiessieu avec égaliseur et ne suggère pas de substituer les essieux de torsion par des ressorts à lames, tandis que D3 à D5 présentent des systèmes d’essieux de torsion bien connus. Comme indiqué dans la présente demande et dans D3 à D5, les essieux de torsion sont populaires, car les roues réagissent indépendamment aux obstacles; donc le fait de relier un essieu de torsion à un autre dans un arrangement en tandem au moyen d’un élément de pivot semble, à notre avis, contre-intuitif à la personne versée dans l’art, si l’on se fonde sur les preuves au dossier. De plus, la preuve au dossier n’indique aucun changement dans la pratique de l’utilisation d’essieux de torsion indépendants ou de l’utilisation d’éléments de pivot pour relier uniquement les assemblages de ressorts à lames.

 

[39]      Nous conviendrons qu’une fois l’idée d’utiliser des essieux de torsion au lieu de ressorts à lames dans un tel système aura été conçue, il n’y aura aucune difficulté à l’appliquer. Le raccordement des systèmes de barre de torsion au pivot central est sensiblement le même que celui de la version à ressort à lame (voir par exemple la figure 1 de la présente demande et la figure 5 de D2).

 

[40]      Cependant, l’ingéniosité nécessaire pour appuyer un brevet valide peut résider dans l’idée sous-jacente, ou dans l’application pratique de ladite idée, ou dans les deux. L’idée ou le concept pourraient s’avérer méritoires, mais une fois suggérés, leur application demeure très simple (Canadian Gypsum Co. c. Gypsum, Lime & Alabastine Canada Ltd, [1931] C de l’E 180 à la p. 187; voir également Shell Oil Co. c. Commissaire aux brevets (1982), 67 CPR (2e) 1 (CSC) aux p. 12 et 13). En l’espèce, nous ne décelons aucune suggestion ni motivation dans l’art antérieur cité ou dans les CGC pertinentes qui pourraient conduire la personne versée dans l’art vers le concept de remplacement des essieux de torsion par des ressorts à lames dans un système de suspension multiessieu, dans lequel les essieux sont interreliés par un élément pivot central.

 

[41]      Dès lors, il en va de notre opinion que la revendication indépendante 1 au dossier n’aurait pas été évidente et est par conséquent conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[42]      Il en découle que les revendications dépendantes 2 et 3, qui dépendent de la revendication 1, n’auraient pas non plus été évidentes et sont par conséquent conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

CONCLUSION

 

[43]      Nous avons déterminé que les revendications 1 à 3 au dossier n’auraient pas été évidentes et sont par conséquent conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.


 

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

 

[44]      En vue de ce qui précède, nous sommes d’avis que le refus n’est pas justifié à la lumière de l’irrégularité indiquée dans l’avis de décision finale, et nous avons des motifs raisonnables de croire que la présente demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Nous recommandons que le Demandeur soit informé, en vertu du paragraphe 86(10) des Règles sur les brevets, que le refus de la présente demande est retiré et que la présente demande a été jugée acceptable.

 

 

 

Stephen MacNeil                       Paul Fitzner                             Andrew Strong

Membre                                     Membre                                   Membre

 

DÉCISION

 

[45]      Je suis d’accord avec les conclusions et avec les recommandations de la Commission. En vertu du paragraphe 86(10) des Règles sur les brevets, j’informe par la présente le Demandeur que le refus de la présente demande est retiré, la présente demande a été jugée acceptable et que je vais demander au personnel concerné d’émettre un avis d’acceptation dans le temps requis.

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 27e jour de décembre 2019.

 

 



[1] Voir l’analyse du système TorFlexMD à l’adresse https://www.dexteraxle.com/products/torsion-axles (en anglais seulement).

 

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