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Décision du commissaire no 1493

Commissioner’s Decision #1493

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET :           O00 (Évidence)

                        K11 (Traitement)

C00 (Caractère inadéquat de la description)

                           B00 (Caractère ambigu)

 

 

TOPIC:           O00 (Obviousness)

                                                            K11 (Treatment)

C00 (Deficiency of Description)

                           B00 (Ambiguity)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 761 855

Application No.: 2,761,855

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 761 855 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire entend rejeter la demande si les modifications nécessaires ne sont pas apportées.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

BORDEN LADNER GERVAIS LLP

World Exchange Plaza

100, rue Queen, bureau 1300

OTTAWA (Ontario)

K1P 1J9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

[1]          La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet refusée no 2 761 855, intitulée « Ensembles de lentilles de contact et procédés pour empêcher ou ralentir une progression de la myopie ou de l’hypermétropie », et appartenant à Cooper International Holding Company, LP. Les irrégularités qui subsistent sont liées aux questions suivantes, soit celles de savoir si l’objet des revendications au dossier est exclu de la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets; si le mémoire descriptif ne décrit pas l’objet revendiqué d’une façon complète conférant à ce dernier un caractère réalisable; si la revendication 1 est vague, ambiguë ou imprécise; et si l’objet des revendications au dossier aurait été évident. La Commission d’appel des brevets (« la Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-après, conformément à la recommandation de la Commission, la commissaire entend rejeter la demande si les modifications nécessaires ne sont pas apportées.

contexte

La demande

[2]          La demande de brevet 2 761 855 (la présente demande), qui est fondée sur une demande déposée antérieurement en vertu du Traité de coopération en matière de brevet (PCT), est réputée avoir été déposée au Canada le 3 mai 2010 et est devenue accessible au public le 28 avril 2011.

 

[3]          L’objet revendiqué dans la demande concerne des méthodes d’utilisation de lentilles ophtalmiques de différentes conceptions optiques permettant de ralentir ou de prévenir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez une personne qui présente un tel besoin. Plus précisément, les méthodes divulguées comprennent l’utilisation d’au moins deux ensembles de lentilles cornéennes ayant différentes conceptions optiques, les lentilles cornéennes de chaque ensemble permettant aux patients humains de voir des images rétiniennes défocalisées afin de prévenir ou de ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie.

Historique du traitement

[4]          Le 26 juillet 2016, une décision finale (« DF ») a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. Dans la DF, il est expliqué que les revendications en instance visent une méthode de traitement médical et donc, visent un objet qui est exclu de la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets; que le mémoire descriptif ne décrit pas l’objet revendiqué d’une façon complète conférant à ce dernier un caractère réalisable, ce qui est contraire au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets; que la revendication 1 est vague, ambiguë ou imprécise, ce qui est contraire à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[5]          Dans une réponse à la DF (« RDF ») datée du 27 septembre 2016, le demandeur a présenté un ensemble de revendications modifiées (« ensemble de revendications proposées – 1 ») et des arguments expliquant en quoi le mémoire descriptif et l’objet des revendications au dossier ne se prêtaient pas à objection pour les motifs exposés dans la DF.

 

[6]          Comme les arguments du demandeur n’ont pas convaincu l’examinateur, la demande et le résumé des motifs (« RM ») ont été transmis à la Commission aux fins d’examen. Dans le RM, les irrégularités telles que définies dans la DF sont maintenues. Le RM contient également les raisons pour lesquelles l’ensemble de revendications proposées — 1 ne corrige pas les irrégularités soulignées à l’égard des revendications en instance. Dans une lettre en date du 19 avril 2017, la Commission a envoyé une copie du RM au demandeur.

 

[7]          Le présent comité a été constitué dans le but de réviser la demande, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets et de présenter une recommandation à la commissaire quant à la décision à rendre. Dans une lettre d’examen préliminaire en date du 30 janvier 2019 (la lettre d’EP), nous avons exposé notre analyse préliminaire et les raisons pour lesquelles : i) les revendications en instance ne visent pas un objet exclu de la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets; ii) le mémoire descriptif décrit suffisamment l’objet conférant à ce dernier un caractère réalisable, conformément au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, mis à part un mode de réalisation compris dans la revendication 8; iii) la revendication 1 est conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets puisqu’elle définit distinctement et en des termes explicites l’objet revendiqué; et iv) l’objet des revendications en instance n’est pas conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets parce qu’il aurait été évident à la date de revendication.

 

[8]          En outre, en ce qui concerne l’ensemble de revendications proposées — 1, nous avons exprimé nos premières appréciations, à savoir que : l’objet de ces revendications aurait été évident, et ce, pour les mêmes raisons que celles exprimées à l’égard des revendications en instance; et que le mémoire descriptif n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets à l’égard des revendications proposées parce qu’il ne décrit pas l’objet compris dans la portée des revendications de manière à lui conférer un caractère réalisable, pour les mêmes raisons que celles données à l’égard de la revendication 8 en instance.

 

[9]          Dans la lettre d’EP, le demandeur a également été invité à présenter d’autres observations écrites et à participer à une audience en réponse à l’examen préliminaire du comité.

 

[10]      Le 8 mars 2019, le demandeur a présenté des observations écrites dans une lettre (« la lettre de REP ») en réponse à lettre d’EP. Dans la même lettre, le demandeur a également présenté un deuxième ensemble de revendications modifiées (« ensemble de revendications proposées – 2 »). Une audience a été tenue le 22 mars 2019 (l’« audience »).

 

[11]      Dans une lettre en date du 21 mai 2019, le comité a demandé des précisions à l’égard de certaines observations préliminaires du comité qui, à notre avis, n’étaient pas dûment traitées dans les observations présentées par demandeur le 8 mars 2019 ni dans les observations verbales qu’il a présentées à l’audience. Dans une réponse en date du 7 juin 2019, le demandeur a présenté un troisième ensemble de revendications modifiées (« ensemble de revendications proposées – 3 »).

Questions

[12]      À la lumière de ce qui précède, sont examinées dans le cadre de la présente révision les questions suivantes, soit celles de savoir si :

         les revendications en instance 1 à 16 définissent un objet qui est exclu de la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets;

 

         le mémoire descriptif ne décrit pas l’objet revendiqué, son utilisation ou son exploitation d’une façon complète, conférant à ce dernier un caractère réalisable, ce qui est contraire au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets;

 

         la revendication est vague, ambiguë ou imprécise, ce qui est contraire au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets; et

 

         l’objet des revendications au dossier aurait-il été évident, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets?

 

[13]      Si nous déterminons que les revendications en instance ne sont pas conformes à la Loi sur les brevets, nous examinerons l’ensemble de revendications proposées — 3.

Principes juridiques et pratiques du Bureau des brevets

Interprétation téléologique

[14]      Les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications. L’exercice est effectué du point de vue de la personne versée dans l’art en considérant l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins : Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World]; Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, aux para 49f) et g) et 52 [Whirlpool]. Conformément à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [RPBB], la première étape de l’interprétation des revendications d’une demande de brevet consiste à identifier la personne versée dans l’art (« PVA ») et à déterminer ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée.

 

Objet prévu par la Loi et méthodes de traitement médical

[15]      La définition d’« invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

 

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[16]      Les méthodes de traitement médical et de chirurgie ne sont pas des objets prévus par la Loi et sont exclues de la définition d’invention (voir Tennessee Eastman Co c Commissaire aux brevets (1970), 62 CPR 117 (C de l’Éch), conf par [1974] SCR 111).

 

[17]      La section 17.03.01 du RPBB explique ce qui est considéré comme une méthode de traitement médical (janvier 2009) [Traduction] :

Pour être considérée comme une méthode de traitement médical, la méthode doit avoir pour objet de guérir, prévenir ou atténuer un trouble ou un état pathologique, ou de traiter une anomalie physique ou une difformité, notamment par la physiothérapie ou la chirurgie. Certains états naturels, tels que le vieillissement, la grossesse, la calvitie et les rides, ne sont pas jugés pathologiques, et les méthodes visant à les traiter ne sont donc pas proscrites.

 

[18]      La pratique du Bureau en ce qui concerne la brevetabilité des revendications d’utilisation médicale, laquelle est également pertinente, est expliquée dans l’énoncé de pratique PN 2015-01, intitulé Pratique d’examen révisée concernant les utilisations médicales [PN 2015-01].

 

[19]      Selon le PN 2015-01, les revendications d’utilisation médicale sont généralement permises du moment qu’elles n’équivalent pas à une méthode de traitement médical. La réponse à la question de savoir si l’objet d’une revendication est prévu par la Loi est fonction des éléments essentiels de la revendication qui ont été déterminés au moyen d’une interprétation téléologique, tel qu’indiqué ci-dessus. Dans le cas des inventions médicales, le problème auquel se confronte l’inventeur peut s’apparenter à ce qu’il faut utiliser (c.-à-d. le « quoi ») pour un traitement. De façon générale, la solution à un tel problème sera dictée par un élément ou un ensemble d’éléments dans une revendication qui se résume à un outil pour le traitement. Cet outil peut être défini comme un composé, une composition, une formulation ou une unité de dosage. Quand un élément essentiel ne sert qu’à renseigner un professionnel de la santé sur la façon (c.-à-d. le « comment ») de traiter un patient, plutôt que d’indiquer ce qu’il faut (c.-à-d. le « quoi ») pour le traiter, il faut se demander si l’élément essentiel empêche, entrave ou requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. Si la réponse est « oui », nous devons conclure que l’utilisation revendiquée comporte une méthode de traitement médical qui n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[20]      Cependant, le PN 2015-01 reconnaît également qu’il peut y avoir des cas où les éléments essentiels servent à renseigner un professionnel de la santé sur la façon de (c.-à-d. Le « comment ») traiter un patient, mais ne sont pas considérés comme empêchant, entravant ou requérant l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. À titre d’exemple, les éléments essentiels qui restreignent le traitement à un dosage fixe, à un régime posologique fixe ou à une sous-population de patients ne sont pas considérés comme limitant l’exercice des compétences professionnelles ou du jugement d’un médecin. Nous soulignons également que le PN 2015-01 indique que la mise en évidence des directives fournies aux présentes concerne l’examen des revendications qui décrivent des régimes posologiques ou des gammes posologiques.

 

Suffisance de la description

[21]      Les passages pertinents du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets sont libellés comme suit :

Le mémoire descriptif doit :

 

(a)     décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

(b)     exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

...

 

[22]      Les tribunaux ont indiqué que le caractère suffisant de la divulgation est principalement lié à deux questions, lesquelles sont pertinentes pour l’application des alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi sur les brevets : i) En quoi consiste l’invention? et ii) Comment fonctionne-t-elle? (Consolboard c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la p 526, 56 CPR (2d) 145, à la p 157). La description doit fournir une réponse exacte et complète à chacune de ces questions afin qu’une fois la période de monopole terminée, le public puisse, en ne disposant que du mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur au moment du dépôt de la demande, sans avoir à faire preuve d’esprit inventif ou à se lancer dans une expérimentation excessive.

 

Clarté des revendications

[23]           Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit :

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

[24]      Dans Minerals Separation North American Corp c Noranda Mines Ltd, [1947] RC de l’Éch 306, 12 CPR 99, à la p 146, la Cour a insisté sur l’obligation qui incombe au demandeur d’exposer clairement dans ses revendications l’étendue du monopole qu’il cherche à obtenir et d’employer dans ses revendications des termes clairs et précis [Traduction] :

En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.

 

Évidence

[25]      L’article 28.3 de la Loi sur les brevets établit l’exigence selon laquelle l’objet revendiqué ne doit pas être évident pour la PVA :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[26]      Dans Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi] au para 67, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il est utile, pour évaluer l’évidence, de suivre la démarche en quatre étapes suivante :

 

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[27]      Dans le contexte de la quatrième étape, la Cour a également indiqué dans Sanofi qu’il pouvait être approprié dans certains cas d’effectuer une analyse fondée sur le critère de l’« essai allant de soi ». Pour conclure qu’une invention alléguée résulte d’un « essai allant de soi », il doit aller plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention alléguée avant de procéder à des essais courants. La simple possibilité que quelque chose puisse fonctionner n’est pas suffisante.

 

[28]      Dans Sanofi, la Cour a dressé une liste non exhaustive des facteurs à considérer dans le cadre d’une analyse fondée sur le critère de l’« essai allant de soi » :

(1)   Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

(2)   Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

(3)   L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

analyse

Interprétation téléologique

La PVA et les CGC pertinentes

[29]      Dans la lettre d’EP, bien que nous ayons généralement exprimé notre accord avec la caractérisation de la PVA décrite dans la DF et que nous ayons souligné qu’aucun désaccord n’est exprimé à cet égard dans la RDF, nous avons indiqué convenir du fait que l’équipe de [Traduction] « spécialistes dans le domaine de l’ophtalmologie » identifiée devrait être caractérisée plus précisément comme contenant au moins un spécialiste des soins de la vue et d’un concepteur de lentilles ophtalmiques.

 

[30]      Dans la lettre de REP et à l’audience, le demandeur a exprimé son désaccord avec cette opinion et a affirmé que [Traduction] « puisque l’utilisation de lentilles cornéennes est présentée par un spécialiste des soins de la vue (SSV), le demandeur soutient que la PVA est un SSV. Le SSV utiliserait des guides d’ajustement et des renseignements fournis par les fabricants de lentilles cornéennes pour déterminer quel type de lentilles cornéennes convient le mieux à un patient ».

 

[31]      En tout respect, nous ne sommes pas d’accord et nous maintenons notre position portant que la PVA comprend au moins un concepteur de lentilles ophtalmiques.

 

[32]      La revendication indépendante 1 est ainsi formulée [Traduction] :

1. Utilisation de lentilles cornéennes pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez un patient humain, les lentilles cornéennes comprenant un premier ensemble de lentilles cornéennes et un deuxième ensemble de lentilles cornéennes, le deuxième ensemble de lentilles cornéennes offrant une performance visuelle améliorée pour le patient humain qui porte le deuxième ensemble de lentilles cornéennes par rapport à la performance visuelle du patient humain offerte par le premier ensemble de lentilles cornéennes, la performance visuelle étant fondée sur un paramètre oculaire du patient humain, une réaction du patient humain à une lentille cornéenne du premier ensemble de lentilles cornéennes, ou une mesure oculaire au moyen d’une lentille ophtalmique, ou toute combinaison de ces éléments;

où le premier ensemble de lentilles cornéennes comprend au moins deux lentilles cornéennes, chaque lentille cornéenne comprenant une première zone de correction de la vue ayant une première puissance de réfraction et une première zone de défocalisation ayant une deuxième puissance de réfraction, la deuxième puissance de réfraction donnant une image rétinienne défocalisée au patient humain, à des distances de vision de près comme de loin, lorsque la lentille cornéenne est placée sur l’œil du patient humain, ladite première zone de correction de la vue et ladite première zone de défocalisation définissant un premier ratio des zones, et

où le deuxième ensemble de lentilles cornéennes comprend au moins deux lentilles cornéennes, chaque lentille cornéenne comprenant une deuxième zone de correction de la vue ayant une troisième puissance de réfraction ainsi qu’une deuxième zone de défocalisation ayant une quatrième puissance de réfraction, la quatrième puissance de réfraction donnant une image rétinienne défocalisée au patient humain, à des distances de vision de près comme de loin, lorsque la lentille cornéenne est placée sur l’œil du patient humain et est efficace pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie du patient humain, et les lentilles cornéennes du deuxième ensemble ont une conception optique différente de celle des lentilles cornéennes du premier ensemble, et ladite deuxième zone de correction de la vue et ladite deuxième zone de défocalisation définissent un deuxième ratio des zones;

ledit deuxième ratio des zones étant différent dudit premier ratio des zones.

 

[33]      Il est bien établi en droit que la PVA est la même, qu’il s’agisse de l’interprétation des revendications ou d’autres évaluations liées à la brevetabilité où l’opinion de la PVA, ses connaissances et ses compétences sont requises. Particulièrement, la PVA est celle à qui s’adresse la demande de brevet et l’on s’attend à ce qu’elle soit en mesure de réaliser l’invention divulguée et revendiquée à la date de dépôt.

 

[34]      Dans cette optique, nous estimons que le deuxième ensemble de lentilles cornéennes ayant une conception optique différente, laquelle comprend un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation différent qui est efficace pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, serait requis pour réaliser l’invention décrite dans la revendication 1. Autrement dit, le deuxième ensemble de lentilles cornéennes doit être fourni au patient afin que soit réalisé l’objet des revendications en instance. À moins que de tels ensembles de lentilles cornéennes aient été facilement et couramment accessibles à la date de dépôt, la PVA ne peut pas être uniquement un SSV. À cet égard, bien que présenté dans le contexte d’un argument d’absence d’évidence, le demandeur a fait valoir dans la REP, dans une section intitulée [Traduction] « 1(B) Connaissances générales courantes », que [Traduction] « [m]ême aussi tard que 2010, lorsque le demandeur a commencé à offrir des lentilles cornéennes pour contrôler la myopie au Canada, il n’existait aucun ensemble de lentilles cornéennes sur le marché pour contrôler la progression de la myopie ou de l’hypermétropie qui présentait des conceptions optiques différentes, ainsi qu’il est décrit dans les présentes revendications ». Cette observation rejoint des passages figurant aux para [0010] à [0013] de la présente description, où il est affirmé qu’un aspect de l’invention divulguée concerne la fabrication d’un ensemble de lentilles cornéennes ayant une conception optique variée offert au SSV :

[0010]  Dans l’application des présentes méthodes, des ensembles de lentilles cornéennes sont fournis. Au moins un premier et un deuxième ensemble sont fournis. Plus de deux ensembles de lentilles cornéennes peuvent être fournis.

...

[0011]  De plus, si le porteur des lentilles cornéennes ne répond pas de manière satisfaisante aux lentilles cornéennes du deuxième ensemble, ou si un spécialiste des soins de la vue prédit qu’elle ne réagira pas comme souhaité aux effets que procurent les lentilles cornéennes du deuxième ensemble, une autre lentille cornéenne peut être fournie dans un autre ensemble de lentilles cornéennes ayant des conceptions optiques différentes de celles des lentilles cornéennes du premier et du deuxième ensemble de lentilles cornéennes.

[0012]  On peut reconnaître qu’un autre aspect de la présente invention concerne des ensembles de lentilles cornéennes, ainsi qu’il est décrit aux présentes.

[0013]  Dans un autre aspect, l’invention vise une méthode permettant de fournir un ensemble de lentilles cornéennes. Ces méthodes comprennent la fabrication d’un ensemble d’au moins deux lentilles cornéennes tel que décrit dans le paragraphe précédent, ou dans lequel les paramètres des lentilles cornéennes définissant le diamètre de la zone centrale, le ratio des zones, la conception optique, le profil de puissance ou la répartition de la puissance, ou toute combinaison de ces éléments, varient pour chacune d’au moins deux lentilles de l’ensemble. Les méthodes comprennent également une étape qui consiste à fournir l’ensemble à un spécialiste des soins de la vue de manière à ce que celui-ci puisse sélectionner au moins une lentille cornéenne de l’ensemble de lentilles cornéennes à fournir à un porteur de lentilles cornéennes.

 

[35]      Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que la PVA est une équipe de spécialistes dans le domaine de l’ophtalmologie qui doit comprendre au moins un spécialiste des soins de la vue et un concepteur de lentilles ophtalmiques, l’équipe ayant accès à des installations de fabrication de lentilles.

 

[36]      En ce qui concerne les CGC de la PVA, nous avons affirmé dans la lettre d’EP que les éléments suivants relevaient des CGC [Traduction] :

         Il est connu que les lentilles cornéennes qui comprennent une zone de correction de la vue et une zone de défocalisation myopique ralentissent la progression de la myopie ou de l’hypermétropie;

 

         Le déroulement normal du traitement pour toute correction ophtalmique au moyen de lentilles cornéennes suppose également la surveillance de la performance de la lentille de façon périodique par un ophtalmologiste ou un optométriste, et l’ajustement des spécifications de la lentille en réponse aux changements dans la performance de la lentille;

 

         L’utilisation de techniques et d’équipements conventionnels ainsi que la pratique habituelle à suivre pour évaluer la progression de la myopie, ou l’absence de celle-ci, chez un patient qui porte ou non des lentilles ophtalmiques au moyen de mesures comme l’allongement connexe de la longueur axiale de l’œil et la progression de l’erreur de réfraction (ces effets prennent habituellement plus de temps à se manifester que la durée d’une visite chez un ophtalmologiste, habituellement des mois).

 

         L’utilisation de techniques et d’équipement conventionnels ainsi que la pratique habituelle à suivre pour choisir la conception des lentilles cornéennes en fonction de différents paramètres, y compris un degré d’erreur de réfraction à distance chez le patient, la taille de la pupille du patient, l’acuité visuelle du patient, la latence accommodative chez le patient, la disparité de fixation chez le patient, une phorie chez le patient, le profil d’aberration du front d’onde oculaire du patient, une réfraction périphérique chez le patient et/ou une mesure de la longueur axiale de l’œil du patient (comme il est démontré dans la présente description, au paragraphe [0033]); et

 

         L’utilisation de techniques et d’équipement conventionnels ainsi que la pratique habituelle à suivre pour évaluer l’ajustement des lentilles cornéennes ainsi que pour améliorer cet ajustement au besoin en fonction des différents paramètres, y compris la stabilité visuelle, le mouvement de la lentille, la couverture cornéenne, la centration et/ou l’étanchéité de la lentille (comme il est démontré dans la présente description, aux paragraphes [0044] et [0047]).

 

[37]      Dans la lettre d’EP et à l’audience, le demandeur a exprimé son désaccord avec certaines des constatations susmentionnées au sujet des CGC.

 

[38]      Le demandeur a fait valoir que, bien que le déroulement normal du traitement pour la correction d’une erreur de réfraction et l’offre d’une acuité visuelle au moyen de lentilles cornéennes puissent supposer la surveillance périodique de la performance de la lentille par un ophtalmologiste ou un optométriste et l’ajustement des spécifications de la lentille en réponse à des changements dans sa performance, ces étapes de surveillance et d’ajustement ne font pas nécessairement partie du déroulement normal du traitement dans le cas des traitements à plus long terme, comme pour le ralentissement de la progression de la myopie au moyen de lentilles cornéennes. Le demandeur a également fait valoir que l’offre de différentes conceptions de lentilles cornéennes présentant des ratios des zones de correction de la vue/défocalisation différents pour ralentir la progression de la myopie ne relève pas des CGC. Les protocoles issus des CGC pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie comprennent plutôt (i) l’augmentation du temps passé à l’extérieur pour accroître l’exposition à la lumière naturelle et réduire le temps de lecture, (ii) la poursuite d’un traitement pharmaceutique à l’atropine, ou (iii) le remodelage de la cornée.

 

[39]      Nous soulignons que notre définition des CGC sur ces points se limite à la correction ophtalmique. En outre, bien que nous considérions que le principe général qui consiste à remplacer un ensemble de lentilles cornéennes non performantes pour un usage donné par une autre option de traitement relève des CGC, nous convenons par ailleurs que l’ajustement des spécifications des lentilles en réponse aux changements dans leur performance pour contrôler le taux de progression de la myopie ou de l’hypermétropie ne relevait pas des CGC et que les protocoles visant le ralentissement de la progression de la myopie ou de l’hypermétropie soumis par le demandeur relevaient des CGC.

Le problème à résoudre et la solution proposée

[40]      Dans la lettre d’EP, nous avons affirmé que le problème à résoudre, comme le perçoit la PVA à la lumière de ses CGC, concernait [Traduction] « le besoin de ralentir ou de prévenir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez les porteurs des lentilles cornéennes et qui ne répondent pas de manière satisfaisante aux effets que procurent les lentilles cornéennes conçues pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie (p. ex. les lentilles cornéennes à défocalisation myopique dans US 20080218687) »

 

[41]      En ce qui concerne la solution, nous avons exprimé notre avis, à savoir que la solution proposée consiste à [Traduction] « utiliser une deuxième conception de lentilles cornéennes à défocalisation myopique qui est différente d’une première conception de lentilles cornéennes à défocalisation myopique inefficace pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, où la deuxième conception de lentilles cornéennes à défocalisation myopique tient compte de la taille de la pupille de l’œil du porteur des lentilles cornéennes, du diamètre de la zone centrale de la lentille cornéenne, du ratio des zones de défocalisation myopique et de correction de la vue de la lentille cornéenne, ou une combinaison de ces éléments ».

 

[42]      Dans la lettre d’EP, le demandeur a exprimé son accord avec le problème et la solution susmentionnés, dans la mesure où ils sont conformes à l’idée originale soumise par le demandeur. Pour les raisons exposées ci-dessous dans la section sur l’analyse de l’évidence, nous acceptons l’idée originale proposée par le demandeur, et nous adoptons donc également le problème et la solution définis précédemment aux fins du présent examen.

Les éléments essentiels permettant de résoudre le problème défini

[43]      Dans la lettre d’EP, nous avons exprimé notre opinion, à savoir que l’élément essentiel de la revendication indépendante 1 est l’utilisation séquentielle d’un premier ensemble de lentilles cornéennes qui comporte une première conception optique, suivi d’un deuxième ensemble de lentilles cornéennes ayant une conception optique différente, la deuxième conception optique étant choisie parce qu’elle offre une performance visuelle améliorée par rapport au premier ensemble, qu’elle est efficace pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez le patient humain et qu’elle présente un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation qui est différent de celui du premier ensemble de lentilles cornéennes. Nous avons également indiqué être d’avis que cet élément essentiel sert à indiquer ce qu’il faut utiliser (le « quoi ») pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez le patient humain.

 

[44]      Également dans la lettre d’EP, nous avons affirmé notre opinion, à savoir que la PVA comprendrait que la référence à une performance visuelle améliorée par rapport au premier ensemble, une efficacité affirmée pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez le patient humain et un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation qui est différent de celui du premier ensemble de lentilles cornéennes respectivement, équivalent aux limites fonctionnelles et au besoin technique qui dictent la conception du deuxième ensemble de lentilles cornéennes.

 

[45]      Dans la lettre d’EP, nous avons souligné que les revendications dépendantes 2 à 16 précisent les éléments suivants : le choix des paramètres pour le deuxième ensemble de lentilles cornéennes (revendications 2, 5 et 13); ce en quoi consiste une performance visuelle améliorée (revendication 3); ce en quoi consiste une qualité visuelle améliorée (revendication 4); l’erreur d’adaptation correspond à une latence accommodative (revendication 2); le délai après quoi le deuxième ensemble de lentilles cornéennes peut être choisi en fonction de la réaction du patient au premier ensemble de lentilles cornéennes (revendications 6 et 7); la réaction du patient en fonction de laquelle le deuxième ensemble de lentilles cornéennes est choisi (revendication 8); l’œil dans lequel la réaction est mesurée (revendication 9); présentation de la différence entre la deuxième zone de défocalisation par rapport à la première zone de défocalisation (revendication 10); le fait que le premier ensemble et le deuxième ensemble de lentilles cornéennes comprennent une zone centrale et une zone annulaire (revendication 11); le fait que le premier ensemble et/ou le deuxième ensemble de lentilles cornéennes comprennent chacun au moins deux lentilles cornéennes identiques (revendication 12); l’endroit où le premier ensemble et/ou le deuxième ensemble de lentilles cornéennes offrent la défocalisation par rapport à l’œil (revendications 14 et 15); et le fait qu’au moins une lentille cornéenne du premier ensemble et/ou du deuxième ensemble de lentilles cornéennes comprend une seule puissance de réfraction efficace assurant l’acuité visuelle (revendication 16).

 

[46]      La lettre de REP ne contient aucune indication portant que le demandeur n’est pas d’accord avec les définitions ci-dessus, et donc, nous les adoptons aux fins du présent examen.

 

Objet prévu et méthodes de traitement médical

[47]      Sous le titre « Méthode médicale », la DF indique que les revendications en instance visent [Traduction] « un objet qui est exclu de la définition d’“invention” et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets ». En réponse, le demandeur a fait valoir que les utilisations revendiquées ne sont pas des méthodes de traitement médical.

 

[48]      Dans la lettre d’EP, nous avons identifié deux questions sur lesquelles l’examinateur et le demandeur ne s’entendent pas : i) la question de savoir si les revendications doivent être examinées comme des revendications d’« usage » ou comme des revendications de « méthode »; et ii) la question de savoir si les revendications d’« usage » comprenant une ou plusieurs étapes d’une méthode sont acceptables. Cependant, nous avons souligné que l’analyse présentée dans la DF a été réalisée selon les sections d’une version antérieure du chapitre 12 du RPBB qui ne figurent pas dans la version actuelle du RPBB et qui sont contraires aux lignes directrices énoncées dans l’actuelle section11.10.02 du RPBB. Nous avons également indiqué être d’avis que l’examen de ces questions ne serait pas déterminant relativement à la question de l’objet et des méthodes de traitement médical. À cet égard, nous avons considéré que la question la plus pertinente était celle de savoir si l’objet des revendications vise ou correspond à une méthode de traitement médical sur le fondement des principes juridiques pertinents et de la pratique actuelle du Bureau.

 

[49]      Dans la lettre d’EP, nous avons indiqué être d’avis que la principale considération consiste à déterminer si l’objet revendiqué guérit, empêche ou améliore un état naturel chez l’humain par rapport à un état pathologique ou à une maladie, puisque les méthodes visant le traitement d’états naturels jugés non pathologiques ne sont pas considérées comme des méthodes de traitement médical non prévues par la Loi selon la pratique du Bureau (voir la section 17.03.01 du RPBB citée précédemment).

 

[50]      À cet égard, nous avons cité VISX Inc c Nidek Co (1999), 3 CPR (4th) 417 au para 173, où la Cour fédérale a statué que les revendications concernant un dispositif utilisé en chirurgie oculaire au laser ne concernaient pas des méthodes médicales, en partie au motif que les états à traiter au moyen du dispositif revendiqué n’étaient pas des maladies. La Cour s’est appuyée sur le témoignage d’un témoin expert, un ophtalmologiste qui a donné des éléments de preuve concernant les troubles réfractifs de l’œil, y compris la myopie et l’hypermétropie (c.-à-d. Hyperopie) [Traduction] :

[C]onformément au témoignage du Dr Sher, la myopie, l’hypermétropie et l’astigmatisme ne sont pas des maladies, ils font partie de la condition humaine.

 

[51]      Ayant défini précédemment la PVA comme une équipe comprenant un spécialiste des soins de la vue, nous maintenons l’opinion que nous avons exprimée dans la lettre d’EP, à savoir que la PVA en l’espèce considérerait que la myopie et l’hypermétropie ne sont pas des maladies, mais des états naturels chez l’humain, de sorte que l’usage ou la méthode revendiqués, pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, ne doivent pas être considérés comme une méthode de traitement médical.

 

[52]      Si nous avions été d’avis que la myopie et l’hypermétropie sont des états pathologiques, nous nous serions tournés vers les directives particulières portant sur les revendications d’usage médical énoncées dans le PN 2015-01.

 

[53]      Selon le PN 2015-01, la question de savoir si l’objet d’une revendication équivaut à une méthode de traitement médical doit alors être examinée au moyen d’une interprétation téléologique plutôt que d’autres approches pour l’analyse des revendications. L’interprétation téléologique des revendications n’a pas été clairement effectuée dans la DF. Cependant, nous avons procédé à l’interprétation téléologique des revendications susmentionnées et nous avons exposé notre appréciation préliminaire portant que les éléments essentiels définis servent à indiquer ce qu’il faut utiliser (le « quoi ») pour ralentir ou prévenir la prévention de la myopie chez une personne qui présente un tel besoin. Par conséquent, et conformément aux directives énoncées dans le PN 2015-01 ainsi qu’au document connexe « Exemples d’analyses d’interprétation téléologique de revendications portant sur les utilisations médicales aux fins de l’évaluation d’objets prévus par la Loi »[1], nous aurions été d’avis que l’objet revendiqué est prévu par la Loi.

 

[54]      Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que les revendications au dossier ne visent pas un objet qui est exclu de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Suffisance de la description

[55]      Dans la DF, il est indiqué que le mémoire descriptif ne permet pas à la PVA de réaliser l’invention revendiquée, puisque la définition des ratios des zones des deux ensembles de lentilles constitue une information nécessaire pour que le résultat souhaité, soit le ralentissement de la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, puisse être obtenu et qu’elle nécessiterait une expérimentation excessive de la part de la PVA.

 

[56]      Dans la RDF, le demandeur a fait valoir que l’examinateur suppose simplement que les revendications ne définissent pas toutes les caractéristiques nécessaires pour obtenir le résultat souhaité et n’a fourni aucune preuve indiquant que la PVA ne serait pas en mesure de reproduire l’invention et obtenir le résultat souhaité à la lumière des CGC.

 

[57]      Comme il est indiqué dans la section « Principes juridiques et pratiques du Bureau » ci-dessus, nous estimons que la question pertinente est celle de savoir si la PVA, en ne disposant que du mémoire descriptif, utiliser l’invention revendiquée avec le même succès que l’inventeur au moment du dépôt de la demande, sans avoir à se lancer dans une expérimentation excessive.

 

[58]      Après avoir examiné le mémoire descriptif dans son ensemble, et surtout le passage suivant qui figure aux paragraphes [0009] et [0010] de la description, nous avons exprimé notre opinion dans la lettre d’EP, à savoir que la PVA comprendrait que des facteurs particuliers, y compris la taille de la pupille de l’œil du porteur des lentilles cornéennes, le diamètre de la zone centrale de la lentille cornéenne et/ou le ratio des zones de défocalisation myopique et de correction de la vue des lentilles cornéennes, peuvent avoir une incidence sur la réaction du porteur des lentilles cornéennes au traitement que fournissent les lentilles cornéennes [Traduction] :

[0009]  Donc, pour une lentille cornéenne à défocalisation myopique qui prévient ou ralentit la progression de la myopie, où la lentille cornéenne fournit simultanément au porteur de celle-ci une image rétinienne obtenue par défocalisation myopique et une image rétinienne focalisée, il a été découvert que de nombreux facteurs peuvent affecter la réaction du porteur des lentilles cornéennes au traitement que fournissent les lentilles cornéennes. Ces facteurs comprennent la taille de la pupille de l’œil du porteur des lentilles cornéennes, le diamètre de la zone centrale des lentilles cornéennes, le ratio des zones de défocalisation myopique et de correction de la vue des lentilles cornéennes, ou une combinaison de ces éléments. La découverte du lien entre ces paramètres et les résultats de traitement permet de modifier les résultats du traitement en faisant varier les paramètres des lentilles cornéennes, en choisissant une lentille parmi un ensemble de lentilles dont les paramètres varient, ou les deux.

[0010]  Dans l’application des présentes méthodes, des ensembles de lentilles cornéennes sont fournis. Au moins un premier et un deuxième ensemble sont fournis. Plus de deux ensembles de lentilles cornéennes peuvent être fournis. Chaque ensemble de lentilles cornéennes comprend deux lentilles cornéennes ou plus. Autrement dit, un ensemble de lentilles cornéennes comprend une première lentille cornéenne et une deuxième lentille cornéenne. Suivant l’utilisation faite aux présentes, un ensemble peut également comprendre plus de deux lentilles cornéennes, p. ex. trois lentilles cornéennes, quatre lentilles cornéennes, cinq lentilles cornéennes, etc. Les lentilles cornéennes du premier ensemble et celles du deuxième ensemble présentent des conceptions différentes ou des dimensions différentes, ou les deux. Ainsi, si un porteur de lentilles cornéennes et ayant besoin d’un traitement ne réagit pas de manière satisfaisante au traitement fourni par une lentille cornéenne d’un premier ensemble de lentilles cornéennes, une lentille cornéenne du deuxième ensemble de lentilles cornéennes est fournie afin d’obtenir un traitement plus efficace. Par exemple, selon certaines conceptions de lentilles permettant ralentir la progression de la myopie, le pourcentage de personnes ou de patients qui portent des lentilles et qui n’obtiennent aucun effet notable dans la réduction de la myopie est d’environ 25 %. Il a été découvert qu’il pourrait y avoir une corrélation entre l’effet et la taille de la pupille. [Soulignement ajouté]

 

[59]      Nous sommes d’avis que la PVA comprendrait que principe derrière l’utilisation d’un deuxième ensemble de lentilles cornéennes est le suivant : un premier ensemble de lentilles cornéennes est inefficace pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie étant donné que le diamètre de la zone centrale du premier ensemble de lentilles cornéennes et/ou le ratio des zones de défocalisation myopique et de correction de la vue d’un premier ensemble de lentilles cornéennes était inadéquat, parce que la taille de la pupille de l’œil du porteur des lentilles cornéennes n’a pas été prise en compte ou a été incorrectement prise en compte dans la conception du premier ensemble de lentilles cornéennes. Dans la section « Interprétation téléologique » ci-dessus, nous avons considéré qu’il est courant pour la PVA de choisir une conception de lentilles cornéennes en fonction de la taille de la pupille de l’œil du patient, et nous estimons donc que la corrélation d’une taille de pupille donnée avec un diamètre de zone centrale adéquat et un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation relèverait des CGC de la PVA; nous concluons par conséquent que la PVA, ne disposant que du mémoire descriptif et de ses CGC, pourrait utiliser l’invention revendiquée avec le même succès que l’inventeur au moment du dépôt de la demande, sans avoir à se lancer dans une expérimentation excessive.

 

[60]      Nous avons également examiné la question de savoir si le mémoire descriptif décrit suffisamment l’objet de la revendication 8 conférant à ce dernier un caractère réalisable, plus précisément les modes de réalisation dans lesquels la réaction du patient au premier ensemble de lentilles cornéennes est une mesure de la longueur axiale de l’œil ou une mesure de la progression de la correction de l’erreur de réfraction et où ladite réaction est mesurée après une courte période, soit d’environ 10 minutes.

 

[61]      Dans la lettre d’EP, nous avons également indiqué être d’avis que le mémoire descriptif ne décrit pas suffisamment, de manière à leur conférer un caractère réalisable, les modes de réalisation dans lesquels la réaction du patient au premier ensemble de lentilles cornéennes est une mesure de la longueur axiale de l’œil ou une mesure de la progression de la correction de l’erreur de réfraction et où ladite réaction est mesurée après une courte période, soit d’environ 10 minutes. En réponse, le demandeur n’a pas abordé précisément notre première appréciation, mais a plutôt fait valoir que la revendication 8 de l’ensemble de revendications proposées — 2 a été modifiée de manière à retirer ces modes de réalisation.

 

[62]      Compte tenu de ce qui précède, et à l’égard des revendications en instance, nous estimons que le mémoire descriptif n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, parce qu’il ne décrit pas l’objet compris dans la portée de la revendication 8 de manière à lui conférer un caractère réalisable.

 

Clarté des revendications

[63]      Il est indiqué dans la DF que la revendication 1 est imprécise et n’est pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, puisque la revendication ne fournit pas des renseignements suffisants pour permettre à la PVA de savoir clairement ce en quoi consiste l’invention revendiquée; particulièrement les ratios des zones décrits ne sont pas bien définis et on ne sait pas ce qui rend les lentilles du deuxième ensemble « meilleures » que celles du premier ensemble.

 

[64]      Comme nous l’avons indiqué dans la section « Principes juridiques et pratiques du Bureau » ci-dessus, nous estimons que l’obligation qui incombe au demandeur au titre du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets est d’exposer clairement dans ses revendications l’étendue du monopole qu’il cherche à obtenir et d’employer dans ses revendications des termes clairs et précis.

 

[65]      Après avoir examiné la revendication 1, nous estimons que la PVA, à l’égard du premier et du deuxième ratio des zones décrits, comprendrait d’emblée ce que signifie « être différent » (c.-à-dire, pas identique). En outre, nous considérons que le premier et le deuxième ensemble de lentilles cornéennes sont définis distinctement et en des termes explicites étant donné que les zones de correction de la vue et de défocalisation des lentilles sont techniquement décrites par référence à leur puissance de réfraction respective et à une limitation fonctionnelle explicite (c.-à-d. donnant une image rétinienne défocalisée au patient humain, à des distances de vision de près ou de loin, lorsque la lentille cornéenne est placée sur l’œil du patient humain). Par conséquent, nous sommes d’avis que la revendication 1 est conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, parce qu’elle est exempte d’ambiguïté et que la PVA en comprendrait facilement la portée.

 

Évidence

Identifier la PVA et les CGC pertinentes

[66]      La PVA et les CGC pertinentes ont été définies ci-dessus dans le cadre de l’interprétation téléologique des revendications. Bien que la détermination des CGC pertinentes ci-dessus ait été réalisée en fonction des connaissances générales courantes du travailleur versé dans l’art dans lequel s’inscrit le brevet à la date de publication de la présente demande conformément à Free World au para 54 et à Whirlpool au para 55, nous estimons que les éléments de connaissance définis faisaient également partie des CGC de la PVA à la date de revendication.

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

[67]      Dans la lettre d’EP, nous avons défini l’idée originale des revendications en instance comme étant [Traduction] « l’utilisation d’au moins deux ensembles différents de lentilles cornéennes pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez un patient humain en substituant un premier ensemble inefficace de lentilles cornéennes, lequel comprend une première zone de correction de la vue et zone de défocalisation, par un deuxième ensemble de lentilles cornéennes ayant une conception optique différente, lequel comprend un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation différent et qui fournit un rendement visuel amélioré par rapport au premier ensemble de lentilles cornéennes et qui est efficace pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie chez le patient humain. »

 

[68]      Dans la lettre de REP, le demandeur a fait valoir que l’idée originale est née de la prise de conscience que l’utilisation de lentilles cornéennes ayant une puissance de réfraction et une zone de défocalisation pour cette affection pourrait, en réalité, ne pas ralentir du tout, ou suffisamment, la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, et que l’utilisation d’une deuxième série de lentilles cornéennes ayant une conception optique différente était nécessaire pour obtenir le contrôle souhaité de la myopie ou de l’hypermétropie. Ainsi, l’idée originale consiste à utiliser deux ensembles de lentilles cornéennes différents pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, où les lentilles du deuxième ensemble présentent une conception optique différente par rapport aux lentilles cornéennes du premier ensemble, de sorte que le deuxième ratio des zones revendiqué est différent du premier ratio des zones, et à la suite de l’utilisation, le deuxième ensemble de lentilles cornéennes fournit une performance visuelle améliorée et ralentit la progression de la myopie ou de l’hypermétropie.

 

[69]      Nous estimons que les deux définitions de l’idée originale se rejoignent de manière générale, et nous soulignons également que les deux définitions abordent le problème à résoudre ainsi qu’il est défini dans la section « Interprétation téléologique » ci-dessus.

Les différences entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

[70]      L’analyse de l’évidence présentée dans la DF s’appuie sur le document d’antériorité suivant :

         D1 : Demande de brevet US2008/0218687A1, Philips, 11 septembre 2008.

[71]      Dans la lettre d’EP, nous avons établi la différence entre la divulgation de D1 et l’idée originale de la revendication indépendante 1 comme étant la suivante : D1 ne divulgue pas l’utilisation séquentielle de deux ensembles de lentilles cornéennes pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, où le deuxième ensemble de lentilles cornéennes présente un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation différent par rapport à celui du premier ensemble de lentilles cornéennes et est efficace pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie.

[72]      Dans la lettre de REP, le demandeur a exprimé son accord avec la différence établie. Par conséquent, nous l’adoptons aux fins de la présente révision.

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

[73]      Dans la lettre d’EP, nous avons présenté l’analyse suivante quant à la raison pour laquelle nous étions initialement d’avis que l’objet de la revendication 1 en instance aurait été évident pour la PVA à la date de revendication, à la lumière des enseignements de D1 et des CGC pertinentes [Traduction] :

À notre avis, une fois que la PVA, grâce à des techniques et à de l’équipement conventionnels, a déterminé, chez un patient portant un ensemble de lentilles cornéennes censé fournir une image rétinienne focalisée et une image rétinienne défocalisée myopique de façon simultanée, à des distances de vision de près comme de loin, que :

         il y a eu progression de la myopie ou de l’hypermétropie (p. ex. au moyen de mesures comme l’allongement connexe de la longueur axiale de l’œil et la progression de l’erreur de réfraction) ou qu’il n’y a pas eu de ralentissement; et/ou

         la performance visuelle fournie par l’actuel ensemble de lentilles cornéennes est sous-optimale et a diminué avec le temps en réponse à l’actuel ensemble de lentilles cornéennes,

la PVA sera très motivée à fournir un autre ensemble de lentilles cornéennes supérieur au patient qui en a besoin, puisqu’il s’agit de la pratique habituelle à suivre.

Nous sommes également d’avis qu’il va de soi que le choix du deuxième ensemble de lentilles cornéennes par la PVA tiendrait compte de tous les paramètres actuels du porteur de lentilles relevant des CGC pertinentes (c.-à-d. le degré de distance de l’erreur de réfraction, la taille de la pupille, l’acuité visuelle, la présence d’une latence accommodative, la disparité de fixation, une phorie, un profil d’aberration du front d’onde oculaire, une réfraction périphérique, et/ou une mesure de la longueur axiale) ainsi que les paramètres d’ajustement des lentilles relevant des CGC pour améliorer la performance/acuité visuelle du porteur de lentilles en plus d’aborder la progression de la myopie ou de l’hypermétropie.

En ce qui concerne la modification de la conception de la lentille cornéenne du premier ensemble de lentilles cornéennes afin de ralentir efficacement la progression de la myopie ou de l’hypermétropie par une deuxième conception optique, nous sommes d’avis que la PVA, suivant les enseignements de D1, concevrait le deuxième ensemble en tenant compte de la taille de la pupille pour déterminer le nombre de zones de correction de la vue et de traitement et/ou leurs zones respectives de sorte que plusieurs zones de correction de la vue et de traitement se retrouvent dans la pupille, dans des conditions à la fois photopiques et mésopiques et à des distances de vision de près et de loin. Par conséquent, la PVA ayant déterminé que la surface des zones de correction de la vue et/ou de traitement du premier ensemble de lentilles cornéennes était évidemment inadéquate pour la pupille plus grande/petite du patient dans des conditions à la fois photopiques et mésopiques, il serait évident pour la PVA d’élargir/réduire la surface totale de correction de la vue dans la nouvelle conception optique de la lentille pour corriger ce problème. Il s’ensuit également que, dans de tels cas, le ratio des zones de correction de la vision/défocalisation sera différent de celui du premier ensemble de lentilles cornéennes.

Notre première appréciation porte donc qu’il aurait été évident pour la PVA, à la lumière de D1 et des CGC, d’interrompre l’utilisation d’un premier ensemble de lentilles cornéennes qui se serait avéré inefficace au fil du temps pour ralentir la progression de la myopie et de l’hypermétropie et de recommander l’utilisation d’un deuxième et différent ensemble de lentilles cornéennes fournissant une image rétinienne focalisée et une image rétinienne défocalisée myopique de façon simultanée, à des distances de vision de près comme de loin, où le ratio des zones de correction de la vue/défocalisation est différent de celui du premier ensemble de lentilles cornéennes, de sorte que des zones de correction de la vue et de traitement suffisantes se retrouvent dans la pupille, dans des conditions à la fois photopiques et mésopiques.

 

[74]      Dans la lettre de REP et à l’audience, le demandeur a fait valoir ce qui suit [Traduction] :

(1)   il existe une différence entre l’utilisation de lentilles cornéennes pour ralentir la progression de la myopie et de l’hypermétropie comme l’enseigne la présente demande et D1 et l’utilisation de lentilles cornéennes relevant des CGC pour corriger l’erreur de réfraction causée par la myopie ou l’hypermétropie;

 

(2)   il existe un pourcentage de porteurs de lentilles qui ne réagissent pas de manière satisfaisante aux effets qu’offrent les lentilles de contact à défocalisation myopique destinées à ralentir la progression de la myopie et de l’hypermétropie, et il s’agissait d’un problème non connu à la date de revendication;

 

(3)   les autres protocoles issus des CGC pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie comprennent plutôt (i) l’augmentation du temps passé à l’extérieur pour accroître l’exposition à la lumière naturelle et réduire le temps de lecture, (ii) la poursuite d’un traitement pharmaceutique à l’atropine, ou (iii) le remodelage de la cornée.

[75]      Bien que nous soyons d’accord avec le premier point, nous réitérons notre opinion, à savoir que les lentilles qui comprennent une zone de correction de la vue et une zone de défocalisation myopique pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie relèvent des CGC. Nous avons également admis, dans la section « Interprétation téléologique » ci-dessus, que les autres protocoles décrits au troisième point relevaient des CGC. Enfin, nous sommes également d’accord avec le deuxième point, puisque nous sommes d’avis que, à la lumière du dossier dont nous sommes saisis, l’existence d’un pourcentage de porteurs qui ne réagissent pas de manière satisfaisante aux effets des lentilles cornéennes à défocalisation myopique dont l’objectif est de ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie n’était pas connue à la date de dépôt, encore moins généralement connue. À cet égard, le demandeur a également fait valoir que la divulgation de D1 ne mentionne pas le problème que représente la possibilité que certaines personnes ne réagissent pas comme prévu, un problème qui est précisément abordé par la présente demande et l’idée originale définie ci-dessus. En bref, le demandeur a fait valoir dans la lettre de REP et à l’audience que, si le problème n’était pas connu et qu’on ne pouvait pas s’attendre à des solutions à ce problème sur le fondement des renseignements accessibles au moment de l’invention, la présente invention ne peut pas être évidente.

 

[76]      Il est possible de relever un esprit inventif dans la reconnaissance d’un problème de l’art antérieur (Cabot Corp c 318602 Ontario Ltd (1988), 20 CPR (3d) 132 (CF 1re inst), citant H.G. Fox dans son ouvrage Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, aux p 70 et 71) [Traduction] :

Il peut exister une étape inventive dans la reconnaissance de l’existence même d’un problème : mais étant donné un problème que l’on sait exister et qui est l’objet de l’invention à résoudre, la question est toujours la suivante : « la solution revendiquée par le breveté est-elle celle qui aurait pu se présenter à toute personne d’intelligence et de connaissance ordinaires de l’objet du brevet qui s’est penchée sur le problème? »

 

[77]      L’analyse de l’évidence présentée dans la lettre d’EL soulève la question de l’évidence comme si le problème des porteurs qui ne répondent pas comme souhaité aux effets des lentilles cornéennes à défocalisation myopique avait été examiné par la PVA à la date de revendication. Nous sommes maintenant d’avis que ce ne serait pas le cas, et nous estimons donc qu’il y aurait un certain esprit inventif associé à la présente idée originale qui a découlé de la constatation du fait que, l’utilisation des lentilles cornéennes ayant une puissance de réfraction et une zone de défocalisation pour cette affection pourrait, en réalité, ne pas ralentir du tout, ou suffisamment, la progression de la myopie ou de l’hypermétropie.

 

[78]      Bien que D1 divulgue plusieurs modes de réalisation de lentilles cornéennes qui comprennent une zone de correction de la vue et une zone de défocalisation myopique pour ralentir la progression de la myopie, y compris des lentilles cornéennes présentant différents ratios des zones de correction de la vue/défocalisation, et enseigne généralement que la taille de la pupille doit être prise en compte au moment de concevoir des lentilles cornéennes efficaces pour ralentir la progression de la myopie, il ne divulgue pas que certains porteurs de lentilles cornéennes ne réagissent pas de manière satisfaisante au traitement fourni par ces lentilles cornéennes et n’enseigne pas ni ne suggère de façon pour aborder ce problème. Dans cette optique, nous estimons que la PVA serait généralement motivée à remplacer une lentille cornéenne qui comprend une zone de correction de la vue et une zone de défocalisation myopique par une autre option de traitement, si la PVA était informée du problème, à savoir que les lentilles cornéennes n’ont pas ralenti la progression de la myopie ou de l’hypermétropie. Cependant, ni les CGC ni D1 ne mentionne l’utilisation d’un deuxième ensemble de lentilles cornéennes qui présente un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation myopique différent, parmi de nombreux autres paramètres de conception de lentilles cornéennes, ainsi qu’il est divulgué dans D1, ou d’autres protocoles des CGC pour ralentir la progression de la myopie ou de l’hypermétropie, comme l’augmentation du temps passé à l’extérieur, la poursuite d’un traitement pharmaceutique au moyen d’atropine ou le remodelage de la cornée. Autrement dit, nous sommes d’avis que l’utilisation d’un deuxième ensemble de lentilles cornéennes qui présente un ratio des zones de correction de la vue/défocalisation myopique différent ne constitue pas une option évidente parmi les nombreuses options connues. Il s’agit plutôt d’une solution à un problème inconnu, qui nécessite un certain esprit inventif.

 

[79]      Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que l’objet des revendications 1 à 16 en instance n’aurait pas été évident pour la PVA à la date de la revendication, à la lumière des enseignements D1 et des CGC pertinentes.

Analyse des revendications proposées

[80]      Comme cet examen a permis de déterminer que le mémoire descriptif n’est pas conforme à l’article 27(3) de la Loi sur les brevets, parce qu’il ne décrit pas de manière suffisante l’objet compris dans la portée de la revendication 8 et ne lui confère donc pas un caractère réalisable, nous examinons les dernières revendications proposées du demandeur. Le demandeur a présenté, avec la lettre du 7 juin 2019, l’ensemble de revendications proposées — 3 contenant les revendications 1 à 15, dans lesquelles l’objet de la revendication 8 en instance a été supprimé.

 

[81]      Par conséquent, nous sommes d’avis que l’ensemble de revendications proposées —3 corrige l’irrégularité relative à l’insuffisance du mémoire descriptif, dans la mesure où il concerne des modes de réalisation de la revendication 8 en instance, et nous sommes donc d’avis que l’ensemble de revendications proposées — 3 devrait être considéré comme une modification « nécessaire » au titre du paragraphe 30(3.6) des Règles sur les brevets, aux fins de conformité avec la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets.

 


 

Recommandation de la Commission

[82]      Pour les raisons exposées précédemment, nous recommandons que le demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, que la suppression des revendications en instance et l’insertion de l’ensemble de revendications proposées — 3, telles qu’elles sont présentées dans la lettre du 7 juin 2019 (identifié par la mention « ensemble de revendications modifiées — 2 » dans la lettre), constituent des modifications « nécessaires » pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcel Brisebois                        Lewis Robart                          Andy Wong

Membre                                     Membre                                   Membre

 


 

Décision de la commissaire

[83]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation du comité. Conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le demandeur que les modifications suivantes, et seulement celles-ci, doivent être apportées, conformément à l’alinéa 31b) des Règles sur les brevets, dans les trois (3) mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends rejeter la demande :

 

         suppression des revendications en instance et insertion des revendications 1 à 15 de l’ensemble de revendications intitulé [Traduction] « ensemble de revendications modifiées — 2 » ainsi qu’il est proposé dans la lettre du 7 juin 2019.

 

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 16e jour d’août 2019

 



[1] https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/wr03919.html

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