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Décision du commissaire no 1489

Commissioner’s Decision #1489

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS : C00 : Divulgation (Caractère adéquat ou inadéquat de la description); G00 (Utilité)

 

TOPICS: C00 Disclosure (Adequacy or Deficiency of Description); G00 (Utility)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                Demande no : 2 709 771

 Application No.: 2,709,771

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2,709,771 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire avise le demandeur du fait que certaines revendications contenues dans la demande doivent être supprimées, à défaut de quoi la demande sera rejetée.

 

 

 

 

Agent du demandeur

 

DENNISON ASSOCIATES

133, rue Richmond Ouest, bureau 301

Toronto (Ontario)

M5H 2L7

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Introduction

 

[1]          La présente recommandation fait suite à une révision du refus de la demande de brevet numéro 2 709 771 ayant pour titre « Compositions et procédés de diagnostic et de traitement de troubles dont l’angiogenèse ». Le demandeur est Genetech, Inc.

 

[2]          La demande en question compte 26 revendications. Les revendications 1 à 24 visant l’utilisation de certains anticorps antagonistes pour inhiber la formation de nouveaux vaisseaux sanguins chez un mammifère ont été refusées à l’examen, en principe pour absence de fondement en vertu de l’article 84 des Règles sur les brevets et pour divulgation insuffisante en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. La Commission d’appel des brevets (« la Commission ») a donc procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets.

 

[3]          Pour les motifs exposés ci-dessous, nous recommandons que le demandeur soit avisé du fait que les revendications 1 à 24 actuellement au dossier doivent être supprimées, à défaut de quoi la demande sera rejetée.

 

Contexte

 

La demande

 

[4]          De façon générale, la question dont nous sommes saisis concerne des anticorps. Les anticorps sont de grands polypeptides produits par le système immunitaire en réponse à une exposition à des molécules étrangères (antigènes). Normalement, ils se lient spécifiquement à la molécule étrangère et la ciblent ainsi en vue de son élimination ultérieure. En raison de leur taille et de leur capacité de liaison, les anticorps peuvent également stimuler ou inhiber une activité biologique pouvant être réalisée par un antigène cible, par exemple, un polypeptide impliqué dans une fonction cellulaire ou physiologique.

 

[5]          En l’espèce, il s’agit de certains anticorps qui inhiberaient l’angiogenèse, soit le processus physiologique de formation de nouveaux vaisseaux sanguins. L’angiogenèse non régulée joue un rôle dans un large éventail de troubles, notamment les maladies cardiovasculaires, le cancer, la polyarthrite rhumatoïde, la dégénérescence maculaire liée au vieillissement, le psoriasis et la rétinopathie diabétique. L’inhibition de l’angiogenèse non régulée représente donc un objectif louable.

 

[6]          La demande en question décrit un nombre important de polypeptides, chacun étant présenté par les inventeurs comme étant associé à l’angiogenèse. Les revendications en cause ne concernent que l’un de ces polypeptides, appelé « PRO1449 ». Bien qu’il semble que le polypeptide PRO1449 ait été connu en soi avant la date de dépôt, ce ne serait pas le cas de son association à l’angiogenèse. En raison de cette association, le polypeptide PRO1449 représente une cible attrayante pour l’inhibition de l’angiogenèse non régulée. Les inventeurs revendiquent donc que les anticorps antagonistes réactifs avec le polypeptide cible PRO1449 peuvent être utilisés pour inhiber l’angiogenèse chez un mammifère.

 

Historique de la procédure

 

[7]          La demande en question est une demande divisionnaire de la demande parent numéro 2 412 211, désormais abandonnée irrévocablement. Le 21 juillet 2010, le demandeur a demandé que l’objet brevetable de la demande en question soit séparé de la demande parent. Toutefois, en tant que demande divisionnaire, la demande en question a la même date de dépôt que sa demande parent, soit le : 20 juin 2001.

 

[8]          La demande contient actuellement 26 revendications; les revendications 1 à 24 ont été refusées dans une décision finale (« DF ») en date du 8 décembre 2015. Les revendications ont été refusées pour absence de « fondement », une irrégularité présentée dans la DF comme une non-conformité à l’article 84 des Règles sur les brevets et au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Le 8 juin 2016, le demandeur a présenté une réponse à la DF (« R-DF »). L’examinateur n’étant pas convaincu que la demande était en état d’être acceptée, un résumé des motifs (« RM ») a été préparé et la question a été renvoyée à la Commission aux fins de révision.

 

[9]          Le comité a subséquemment entrepris un examen préliminaire (« EP ») de la demande et a informé le demandeur de ses premières appréciations dans une lettre en date du 9 août 2018. À ce moment, le demandeur s’est également vu offrir l’occasion d’être entendu et a été invité à présenter des observations en réaction aux commentaires de la Commission énoncés dans la lettre d’EP. Aucune observation n’a été reçue en réponse à la lettre d’EP.

 

[10]      Une audience a été tenue le 23 novembre 2018, au cours de laquelle le demandeur a présenté des arguments verbaux en faveur de la brevetabilité des revendications en cause. Le 3 décembre 2018, le demandeur a fourni d’autres observations écrites ainsi que de la documentation à l’appui. Aucune modification aux revendications n’a été proposée.

 

Questions

 

[11]      Bien qu’il soit généralement admis que les anticorps qui se lient simplement à un polypeptide donné peuvent être préparés systématiquement et décrits adéquatement, dans le cas qui nous occupe, il s’agit de déterminer s’il en va de même pour les anticorps antagonistes qui se lient à un polypeptide particulier et inhibent le processus physiologique de l’angiogenèse. À cet égard, la DF et la R-DF semblent aborder une question sérieuse concernant les revendications 1 à 24 au dossier au moment où la DF a été rédigée [Traduction] : le « fondement » de l’objet revendiqué; plus particulièrement, la mesure dans laquelle le mémoire descriptif étaye de manière adéquate les anticorps antagonistes anti-PRO1449 énoncés dans les revendications. Cette irrégularité est présentée dans la DF comme une non-conformité à l’article 84 des Règles sur les brevets et au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[12]      Bien que la DF ne semble pas contenir une objection officielle pour absence d’utilité au titre de l’article 2 de la Loi sur les brevets, la formulation des arguments contenus dans la DF et la R-DF nous laisse croire que cette question pourrait soulever des préoccupations. Par souci d’exhaustivité, nous avons également examiné cette irrégularité à l’étape de l’EP et nous avons exprimé notre appréciation, telle que présentée ci-dessous, à savoir que la demande est conforme à cet égard.

 

[13]      Cependant, en examinant cette question de manière indépendante, nos premières appréciations portent que l’objet des revendications refusées, dans la mesure où elles concernent des anticorps antagonistes anti-PRO1449, serait considéré par la personne versée dans l’art comme n’étant ni correctement ni complètement décrit, ni réalisable à partir du mémoire descriptif, ce qui est contraire aux alinéas a) et b) du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Nous avons considéré comme incluse dans cette analyse toute question connexe de non-conformité à l’article 84 des Règles.

 

[14]      À l’audience, ainsi que dans ses observations écrites subséquentes, le demandeur a fait valoir que la demande était conforme à l’alinéa 27(3)b) de la Loi parce que les anticorps antagonistes anti-PRO1449 énoncés dans les revendications sont entièrement réalisés à partir du mémoire descriptif, considérant l’identité de la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes qu’elle aurait possédées à la date de dépôt de la demande. De la documentation a également été fournie à l’appui de cet argument. Aucun argument n’a été présenté au sujet de la conformité à l’alinéa 27(3)a) de la Loi.

 

[15]      Ayant entendu le demandeur et examiné ses dernières observations, nous présentons maintenant notre dernier examen des questions en suspens, à savoir la conformité aux alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi.

 

Principes juridiques et pratique du Bureau des brevets

 

Le « fondement » au sens de l’article 84 des Règles et les exigences de divulgation énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi

 

[16]      Bien que la DF invoque la non-conformité à l’article 84 des Règles comme l’un des motifs du refus, nous soulignons qu’il n’y a guère d’interprétation judiciaire des exigences prévues à cet article, ou de ses prédécesseurs équivalents. L’article 84 des Règles sur les brevets est ainsi libellé : « Les revendications sont claires et concises et se fondent entièrement sur la description, indépendamment des documents mentionnés dans celle-ci ». Les sections 11.05 et 11.05.02 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB) présentent des directives générales sur la conformité à l’article 84, mais ne semblent pas inclure les exigences de divulgation prévues au paragraphe 27(3) de la Loi en tant que points pertinents à considérer [Traduction] :

Une revendication doit être entièrement étayée par la description, comme l’exige l’article 84 des Règles sur les brevets. Toutes les caractéristiques concernant la réalisation de l’invention mentionnées dans la revendication doivent être entièrement définies dans la description (article 84 des Règles sur les brevets). Cependant, puisque les revendications incluses dans la demande au moment du dépôt font partie du mémoire descriptif (voir la définition du mémoire descriptif à l’article 2 des Règles sur les brevets), toute matière des revendications initialement déposées qui n’est pas incluse dans la description telle qu’elle est déposée peut être ajoutée à la description.

 

Une revendication est refusée si elle n’est pas suffisamment étayée par la description et si les termes qui y sont employés ne se retrouvent pas dans la description ou ne peuvent être déduits clairement de celle-ci. Les termes des revendications et de la description doivent avoir le même sens.

...

Une revendication peut être aussi restreinte que le désire le demandeur, selon la portée de l’invention divulguée. Elle ne doit toutefois pas embrasser un domaine plus vaste que l’invention décrite ou étayée dans la description. Elle est refusée si, en plus de revendiquer des objets nouveaux et utiles, elle revendique des objets connus et inutiles (Mineral Separation c Noranda Mines 12 C.P.R. 99; 12 C.P.R. 182; 15 C.P.R. 133).

 

On devra considérer toute revendication en donnant à ses mots la portée et la définition normales qu’ils ont dans le domaine de l’invention, à moins que, dans certains cas, la description prête à ces mots un sens particulier en des termes explicites. Si une revendication embrasse une matière hors de la portée de l’invention divulguée, elle sera refusée en vertu de l’article 84 des Règles sur les brevets.

 

[17]      Un examen de la poursuite révèle que la question de « fondement » en l’espèce doit être abordée en tant que cas de non-conformité au paragraphe 27(3) de la Loi, un motif également défini dans la DF et pour lequel il existe une jurisprudence fort abondante. Nous considérons toute préoccupation touchant la non-conformité à l’article 84 des Règles comme étant incluse dans cet examen. La possibilité que l’objet revendiqué soit dénué d’utilité a été examinée en tant que question distincte, ainsi qu’il est exigé dans la jurisprudence.

 

[18]      Les alinéas 27(3)a) et b) de la Loi énoncent certaines exigences de divulgation et exigent respectivement que le mémoire descriptif d’un brevet 1) décrive l’invention, et 2) expose les étapes permettant de réaliser et d’utiliser l’invention :

 

Le mémoire descriptif doit :

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

. . .

 

[19]      Pour déterminer si le mémoire descriptif est conforme aux alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi, il importe de répondre aux trois questions suivantes : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne-t-elle? La personne versée dans l’art qui ne dispose que du mémoire descriptif peut‑elle réaliser l’invention à la seule lumière des instructions contenues dans la divulgation? (Voir : Teva Canada Ltd c Novartis AG, 2013 CF 141 citant Teva Canada Ltd c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60 [« Teva »] et Consolboard c MacMillan Bloedel (1981), 56 CPR 2d 145 (CSC) [« Consolboard »]. Bien que les connaissances générales courantes puissent être invoquées, pour que l’on puisse répondre par l’affirmative à la troisième question, la personne versée dans l’art ne doit pas avoir à faire preuve d’inventivité ni à se lancer dans une expérimentation excessive : Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1283; Mobil Oil Corp c Hercules Canada Inc, [1995] ACF. No. 1243; Merck & Co c Apotex Inc, [1995] 2 CF 723.

 

[20]      La date pertinente pour apprécier la conformité au paragraphe 27(3) de la Loi est la date de dépôt (Teva, supra, au para 90; Idenix Pharmaceutical Inc c Gilead Pharmasset LLC, 2017 CAF 161 aux para 46 à 51) qui, en l’espèce, est le 20 juin 2001.

 

[21]      Nous soulignons que, étayant ses propos par des renvois à Monsanto Co v Commissioner of Patents (1972), 42 CPR 2d 161 [« Monsanto »], le demandeur a fait valoir dans la R-DF que [Traduction] « il n’existe clairement aucune exigence en droit canadien obligeant un breveté à fournir un exemple précis de chaque aspect d’une invention ». Nous sommes d’accord. Cependant, bien qu’il ne soit pas nécessaire d’illustrer par des exemples tous les aspects d’une invention, nous sommes d’avis que la divulgation par un inventeur d’exemples pratiques de l’invention constitue l’une de nombreuses considérations valables, y compris les connaissances générales courantes, pouvant être prises en compte. Bien que seuls, ils ne sont pas déterminants, les exemples peuvent fournir des indications pertinentes et précises à la personne versée dans l’art et indiquer que les modes de réalisation fonctionnels peuvent effectivement être obtenus avec succès.

 

Utilité

 

[22]      L’article 2 de la Loi sur les brevets exige d’une invention qu’elle soit « utile » : « invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[23]      Dans AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36 aux para 54 et 55 [« AstraZeneca »], la Cour suprême du Canada a établi que la démarche à adopter au moment de déterminer si une invention revendiquée satisfait à l’exigence relative à l’utilité est la suivante [Traduction] :

 

Pour déterminer si un brevet divulgue une invention dont l’utilité est suffisante au sens de l’art 2, les tribunaux doivent procéder à l’analyse suivante. Ils doivent d’abord cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet. Puis, ils doivent se demander si cet objet est utile — c’est-à-dire, se demander s’il peut donner un résultat concret.

 

La Loi ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle ne prévoit pas non plus que chaque utilisation potentielle doit être réalisée — une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante, et l’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt (AZT, au para 56).

 

[24]      Par conséquent, l’utilité à la date de dépôt au Canada doit être établie au moyen soit d’une démonstration, soit d’une « prédiction valable » : Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 (« AZT »).

 

[25]      La question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait et ne peut pas être corroborée par des éléments de preuve ou des connaissances qui ne sont devenues accessibles qu’après la date de dépôt (AZT, au para 56). La règle de la prédiction valable comporte trois éléments (AZT, au par. 70) [Traduction] :

 

1)      la prédiction doit avoir un fondement factuel;

2)      à la date de dépôt de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

3)      il doit y avoir divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement.

 

[26]      Ces éléments sont évalués du point de vue de la personne versée dans l’art à qui s’adresse la demande de brevet, en tenant compte des connaissances générales courantes qu’elle posséderait. À l’exception des connaissances générales courantes, le fondement factuel et le raisonnement clair et valable doivent être inclus dans la demande : Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, aux para 152 et 153.

 

[27]      Bien que la règle de la prédiction valable n’exige pas de garantie de réussite, il doit exister une inférence prima facie raisonnable de l’utilité : Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 FCA 119, au para 55; Gilead Sciences, Inc c Idenix Pharmaceuticals Inc, 2015 CF 1156, au para 251.

 

[28]      Dans Re Application of Genentech Inc, CD 1314, le commissaire a conclu que les revendications visant des anticorps utiles sur le plan thérapeutique comme agents anti-inflammatoires ne satisfaisaient pas les exigences en matière de prédiction valable de l’utilité. Bien qu’il ait été admis que des anticorps se liant à certaines nouvelles protéines cibles pouvaient être produits et revendiqués en soi, il n’a pas été admis que l’information contenue dans le mémoire descriptif fournissait un fondement factuel suffisant pour permettre à la personne versée dans l’art de conclure que les anticorps auraient une utilité thérapeutique. La section 17.07.05 du RPBB abonde dans le même sens [Traduction] :

 

Lorsque l’utilité exige que l’anticorps possède non seulement une capacité de liaison à l’antigène cible, mais également une activité fonctionnelle, par exemple une activité antagoniste (c.-à-d., blocage), agoniste (c.-à-d., activation) ou neutralisante, la description exigera vraisemblablement davantage qu’une divulgation de la capacité de liaison à l’antigène cible pour établir l’utilité.

 

[29]      En plus de l’analyse effectuée sous l’angle de l’utilité, la jurisprudence exposée ci-après révèle qu’il demeure possible de poser séparément la question de savoir si les exigences de divulgation énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi ont été satisfaites, surtout dans la mesure où les revendications s’appuient sur des anticorps possédant certaines propriétés.

 

L’utilité au sens de l’article 2 de la Loi et les exigences de divulgation énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi sont des considérations distinctes

 

[30]      Comme le demandeur et l’examinateur ont tous deux discuté du concept de « prédiction valable » de l’utilité au sens de l’article 2 de la Loi, entremêlant vraisemblablement ce concept et les exigences de divulgation énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi, il convient de préciser que la Cour suprême a indiqué à maintes reprises que les deux concepts sont bel et bien distincts. Dans AstraZeneca, la Cour suprême, citant Consolboard, a récemment réitéré la même chose, au para 43 [Traduction] :

Il existe une différence entre la condition prévue à l’art. 2 voulant que l’invention soit « utile » (« useful » dans la version anglaise de la disposition) et l’obligation de divulguer l’« application ou exploitation » de l’invention énoncée au par. 27(3) (« operation or use » dans la version anglaise de cette disposition). Comme l’a expliqué le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans Consolboard, la première est une « condition essentielle pour qu’il y ait invention », et la seconde est une « exigence de divulgation, indépendante de la première » : [citation omise]

 

[31]      La section 12.04.03c du RPBB (révisée après la date de la DF) affirme également que [Traduction] « l’exigence de divulgation dans le cadre de l’analyse de la prédiction valable est liée à l’exigence d’utilité d’une invention au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets; elle ne se rapporte pas à l’exigence de suffisance de la divulgation au sens du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. ». La section 12.05 du RPBB incite à la prudence en indiquant qu’il faut s’assurer de ne pas confondre les deux concepts dans les décisions du Bureau.

 

[32]      Dans cette optique, nous soulignons à nouveau que le demandeur a invoqué Monsanto dans la R-DF pour fournir de l’information sur les exigences énoncées au paragraphe 27(3). Cependant, nous ne sommes pas convaincus que la décision est utile pour le demandeur, parce que Monsanto concerne principalement la doctrine de la prédiction valable au sens de l’article 2, et non les exigences de divulgation distinctes énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi. Pour reprendre les termes de la Cour suprême, Monsanto concerne [Traduction] « un brevet comportant des revendications relatives à de nombreux composés chimiques censés inhiber la vulcanisation prématurée du caoutchouc, mais seulement trois des composés revendiqués avaient réellement été préparés et testés avant la date du dépôt de la demande » (AZT, para 58). À notre avis, l’arrêt ne consacre pas le principe qu’une invention dont l’utilité a été valablement prédite satisfait nécessairement les exigences distinctes énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi. Nous estimons qu’il en est de même dans l’affaire Burton Parsons Chemical Inc c Hewlett-Packard (Canada) Ltd (1975), 17 CPR (2d) 97, laquelle est également citée par le demandeur dans la R-DF (page 13, premier paragraphe) à l’appui de la brevetabilité des revendications en cause. Cette affaire semble concerner la portée des revendications, là encore considérée comme une question d’utilité, plutôt que les exigences relatives à la description exacte et complète de l’invention de même qu’à la réalisation et à l’utilisation de celle-ci.

Analyse

 

Les revendications

 

[33]      Le dossier comprend 26 revendications, dont les revendications 1 à 24 sont refusées. Elles concernent des anticorps antagonistes anti-PRO1449 utilisés dans l’inhibition de l’angiogenèse chez un mammifère. Le polypeptide PRO1449 et des parties de celui-ci sont définis dans les revendications par référence à une séquence d’acides aminés, SEQ ID NO 374, ainsi que par référence à une molécule d’ADN qui l’encode, déposée au American Type Culture Collection sous le numéro d’enregistrement ATCC 203243. La revendication 1 est représentative des revendications en cause [Traduction] :

 

Un antagoniste d’un polypeptide qui présente :

 

(a) la séquence d’acides aminés illustrée à la figure 374 (SEQ ID NO:374);

(B) la séquence d’acides aminés encodée par la séquence codante intégrale de l’ADN déposée sous le numéro d’enregistrement ATCC 203243;

(C) la séquence d’acides aminés du polypeptide illustré à la figure 374 (SEQ ID NO:374), sans le peptide signal qui lui est associé;

(d) la séquence d’acides aminés d’un domaine extracellulaire du polypeptide illustré à la figure 374 (SEQ ID N0 :374), avec le peptide signal qui lui est associé; ou

(e) la séquence d’acides aminés d’un domaine extracellulaire du polypeptide illustré à la figure 374 (SEQ ID N0 :374), sans le peptide signal qui lui est associé,

 

où l’antagoniste est un anticorps antagoniste qui se lie à une séquence d’acides aminés de (a) à (e) dudit polypeptide et qui inhibe la capacité dudit polypeptide à induire l’angiogenèse, aux fins d’utilisation dans l’inhibition de l’angiogenèse chez un mammifère.

 

[34]      Pour des motifs qui deviendront évidents dans notre analyse ci-dessous, il est pertinent de mentionner que les parties (a) et (b) de la revendication, et dans une moindre mesure la partie (c), se rapportent à la quasi-totalité du polypeptide PRO1449. La revendication indique donc à la personne versée dans l’art (dont la nature est examinée plus en profondeur ci-dessous) que les anticorps soi-disant réactifs avec différentes régions du polypeptide entier, y compris des parties qui semblent inaccessibles aux anticorps, s’inscrivent dans la portée de la revendication. En revanche, les parties (d) et (e) indiquent à la personne versée dans l’art que ces parties de la revendication sont pertinemment limitées aux anticorps qui ne réagissent qu’au domaine extracellulaire du polypeptide, une région vraisemblablement exposée extérieurement sur, ou près de, la surface de la cellule et donc plus facilement disponible pour se lier à un anticorps, ce qui rejoint la véritable compréhension qu’a la personne versée dans l’art du comportement de liaison attendu d’un anticorps.

 

[35]      Toujours du point de vue de la personne versée dans l’art, il convient également de souligner que la revendication se termine par une indication selon laquelle les anticorps antagonistes anti-PRO1449 servent « aux fins d’utilisation dans l’inhibition de l’angiogenèse chez un mammifère », ce qui signifie que le demandeur ne revendique aucun anticorps antagoniste en soi. Bien que l’invention revendiquée soit donc limitée à leur « utilisation » dans l’inhibition de l’angiogenèse, ces anticorps doivent tout de même inhiber l’angiogenèse chez un mammifère, c’est-à-dire, in vivo.

 

Caractère réalisable suivant l’alinéa 27(3)b) de la Loi

 

La personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes pertinentes

 

[36]      Bien que l’identité de la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes repose sur l’ensemble des questions examinées dans le cadre de cet examen, en l’espèce, la question spécifique de conformité à l’alinéa 27(3)b) de la Loi dépend dans une large mesure d’une évaluation juste des deux considérations. Étant donné que le mémoire descriptif contient peu d’indications claires et ne divulgue pas la préparation réelle des anticorps visés par les revendications, la personne versée dans l’art doit s’appuyer sur ses connaissances générales courantes pour compléter le mémoire descriptif et ainsi produire ces anticorps sans avoir à faire preuve d’inventivité ou à se lancer dans une expérimentation excessive.

 

[37]      On peut dire que la production des anticorps antagonistes anti-PRO1449 comporte deux aspects :

 

1)      un premier aspect qui suppose la production et l’analyse in vitro des anticorps qui se lient simplement au polypeptide PRO1449; et

 

2)      un deuxième aspect qui suppose une analyse subséquente de ces anticorps qui se lient au polypeptide PRO1449 afin de distinguer tous ceux qui sont antagonistes et qui pourraient être utiles pour inhiber l’angiogenèse chez les mammifères, c’est-à-dire in vivo.

 

[38]      Le premier aspect est incontestable puisque, comme il est mentionné ci-dessous, nous convenons avec le demandeur que cela supposerait que la personne versée dans l’art applique ses connaissances générales courantes au polypeptide PRO1449. Nous ne sommes toutefois pas d’accord pour dire qu’il en serait de même pour le deuxième aspect.

 

Premières appréciations de la Commission sur la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes

 

[39]      Dans la lettre d’EP, nous avons d’abord défini la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes qu’elle devrait posséder. Nous avons exprimé notre accord avec l’observation du demandeur, à savoir que la personne versée dans l’art serait considérée comme combinant le travail [Traduction] « d’un immunologiste moléculaire ayant de l’expérience dans la production d’anticorps monoclonaux et les immunoessais et d’un immunologiste clinique spécialisé dans l’angiogenèse » (R-DF, page 16, dernier paragraphe). Il a été constaté que cette personne possède les connaissances générales courantes suivantes :

 

         connaissance des méthodes courantes utilisées pour préparer et analyser des anticorps capables de se lier à un polypeptide donné; et

         connaissance du fait que l’angiogenèse :

o   est un processus complexe qui survient principalement au cours du développement embryonnaire;

o   survient de façon limitée chez les mammifères adultes, par exemple pendant la croissance des cheveux et la guérison des plaies; et

o   si elle n’est pas régulée, elle est responsable de plusieurs troubles.

 

[40]      Nous avons aussi exprimé notre accord avec l’argument du demandeur relativement au premier point, c’est-à-dire que, à la date pertinente, [Traduction] « la préparation d’anticorps monoclonaux a fait appel à des techniques de laboratoire courantes et n’a pas nécessité d’inventivité » (R-DF, page 17). Plusieurs références reflétant les connaissances générales courantes ont été invoquées à l’appui de cette observation, dont :

 

         Monoclonal Antibodies: Basic Principles, Experimental and Clinical Applications in Endocrinology, Éditeurs, G. Forti, et al., Raven Press, 1986 [le manuel « Forti »];

         Monoclonal Antibodies, Éditeurs, J. Moulds et S. Masouredis, American Association of Blood Banks, 1989;

         Monoclonal Antibodies, Éditeurs, J. H. Peters et H. Baumgarten, Springer-Verlag, 1992;

         A Practical Guide to Monoclonal Antibodies, J. Eryl Liddell et A. Cryer, John Wiley & Sons, 1991;

         Immunohistochemistry II, révisé par A. C. Cuello, John Wiley & Sons, 1993 [le manuel « Cuello »]; et

         Handbook of Immunochemistry, Miroslav Ferencik, Chapman & Hall, 1993.

 

[41]      Plusieurs autres références soi-disant courantes énoncées dans le mémoire descriptif ont été prises en considération, dont :

 

         Monoclonal Antibodies: A Manual of Techniques, H. Zola, CRC Press, Inc., 1987 (ouvrage cité à la page 87, aux lignes 34 et 35); et

         G. Kohler & C. Milstein, Continuous cultures of fused cells secreting antibody of predefined specificity, Nature, 256:495-497, 1975 (article cité à la page 111, à la ligne 32).

 

[42]      Dans la lettre d’EP, nous avons donc admis que le dossier étayait la conclusion selon laquelle le principal aspect de la production des anticorps contenus dans les revendications, supposant la production et l’analyse in vitro d’anticorps qui se lient spécifiquement au polypeptide PRO1449, relèverait d’une expérimentation de routine. Nous n’étions toutefois pas convaincus que le dossier étaye la même conclusion à l’égard du deuxième aspect, qui comprend de plus une analyse in vivo permettant de distinguer les anticorps qui pourraient également être antagonistes et qui pourraient être utiles dans l’inhibition de l’angiogenèse chez un mammifère. Selon notre première appréciation, ces anticorps seraient considérés par la personne versée dans l’art comme étant d’une nature particulière ou remarquable, et donc nécessiteraient une divulgation supplémentaire à propos de leur analyse et de leur identification.

 

[43]      Dans le cas des anticorps qui antagonisent et inhibent l’activité biologique in vivo d’un polypeptide qui semble faire partie d’un mécanisme complexe d’angiogenèse, nous n’étions pas convaincus que les étapes d’analyse précises et nécessaires étaient courantes et relevaient d’une expérimentation de routine. Il nous a semblé que les méthodes permettant d’identifier ces anticorps ne pouvaient pas être décrites de façon satisfaisante pour la personne versée dans l’art en des termes généraux. Les méthodes d’analyse requises seraient plutôt perçues par la personne versée dans l’art comme étant de nature spécialisée et, par conséquent, devraient être décrites pour elle en termes précis, concordant avec l’application antagoniste et inhibitrice ultérieure des anticorps « chez un mammifère », comme l’exigent précisément les revendications. À cet égard, nous avons souligné que les références fournies par le demandeur l’indiquent bien [Traduction] :

 

Les résultats démontrent qu’il est relativement facile d’obtenir des hybridomes produisant des anticorps et que les propriétés des anticorps purifiés dépendent fortement de la méthode d’analyse. La situation idéale consiste donc à utiliser une procédure d’analyse qui se rapproche le plus possible de la méthode d’essai réelle à laquelle l’anticorps est destiné. [Page 8 du manuel Forti].

 

Quant à la sélection finale des clones, des systèmes d’essai très sensibles sont requis et devraient être mis au point avant l’exécution des procédures de sous-clonage. Il est essentiel que ces tests soient effectués en accord avec l’application prévue des anticorps monoclonaux, par exemple dans les coupes tissulaires si elles sont nécessaires pour l’immunohistochimie. [Page 117 du manuel Cuello; soulignement ajouté].

 

[44]      Nous avons donc conclu, dans notre lettre d’EP, que la production d’anticorps anti-PRO1449 du type mentionné dans les revendications, qui inhibent l’angiogenèse chez un mammifère, ne relevait pas entièrement de l’application des connaissances générales courantes à ce polypeptide en particulier.

 

Dernières observations du demandeur sur la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes

 

[45]      À l’audience et dans ses dernières observations du 3 décembre 2018, le demandeur a mentionné d’autres documents concernant la nature de la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes, lesquels sont tous pertinents, à notre avis. Toutefois, nous sommes en désaccord avec le la suggestion du demandeur, selon laquelle le simple fait de préciser davantage les connaissances générales courantes telles qu’elles existent en l’espèce signifie nécessairement que la production des anticorps contenus dans les revendications aurait relevé d’une expérimentation de routine.

 

[46]      Dans ses dernières observations, le demandeur a indiqué que la personne versée dans l’art, considérée comme un immunologiste clinique spécialisé dans l’angiogenèse, serait familière avec d’autres polypeptides bien connus pour leur association à l’angiogenèse, nommément un polypeptide appelé « facteur de croissance endothélial vasculaire » (VEGF), ses récepteurs, ainsi que les anticorps réactifs avec ces polypeptides. Ces molécules sont expliquées dans la section « Contexte » du mémoire descriptif (page 7, lignes 15 à 21), qui contient des références à plusieurs articles scientifiques et documents de brevet [Traduction] :

 

Les anticorps neutralisants anti-VEGF empêchent la croissance d’une variété de lignées cellulaires tumorales humaines chez des souris nues [Kim et al., Nature, 362: 841-844 (1993); Warren et al., J. Clin. Invest., 95: 1789-1797 (1995); Borgström et al., Cancer Res., 56: 4032-4039 (1996); Melnyk et al., Cancer Res., 56: 921-924 (1996)] et inhibent également l’angiogenèse intraoculaire dans les modèles de troubles rétiniens ischémiques. Adamis et al., Arch. Ophthalmol., 114: 66-71 (1996). Par conséquent, les anticorps monoclonaux anti-VEGF ou d’autres inhibiteurs de l’action du VEGF sont des candidats prometteurs pour le traitement des tumeurs solides et de divers troubles néovasculaires intraoculaires. Ces anticorps sont décrits, par exemple, dans la demande EP 817,648 publiée le 14 janvier 1998 et dans les demandes WO98/45331 et WO98/45332 toutes deux publiées le 15 octobre 1998.

 

[47]      Parmi ces références, l’article de Kim et al. (Nature, 362: 841-844, 1993 - « Kim 1993 ») se démarque comme premier rapport d’un anticorps anti-angiogenèse appelé « A4.6.1 ». Un article antérieur, rédigé par le même groupe de chercheurs, présentait des résultats plus préliminaires concernant le même anticorps (voir Kim et al., Growth Factors, vol. 7 : 53-64, 1992 – « Kim 1992 »). Certains essais in vivo et certaines lignées cellulaires tumorales utilisées pour identifier l’anticorps A4.6.1 comme anti-angiogénique sont décrits dans les deux articles.

 

[48]      Le demandeur a également fait référence à plusieurs livres et ouvrages reflétant les connaissances générales courantes dans le domaine de l’angiogenèse, y compris des essais qui étaient connus à la date pertinente relativement au test d’angiogenèse :

 

         Angiogenesis in Health and Disease, Basic Mechanisms and Clinical Applications, révisé par G.M. Ruubanyi, Marcel Dekker Inc., 2000;

         Advances in Organic Biology, Coronary Angiogenesis, Volume 7, révisé par E. Bittar & K. Rakusan, JAI Press Inc., 1999 [« Bittar & Rakusan »];

         Methods in Molecular Medicine, Angiogenesis Protocols, volume 46, révisé par J. C. Murray, Humana Press, 2001 [« Angiogenesis Protocols »]; et

         Advances in Experimental Medicine and Biology, Angiogenesis from the Molecular to Integrative Pharmacology, Volume 476, révisé par M.E. Maragoudakis, Kluwer Academic/ Plenum Publishers, 2000.

 

[49]      Comme la personne versée dans l’art peut considérer que l’emplacement d’une protéine (c.-à-d. liée à la membrane ou soluble) est utile à la préparation d’anticorps antagonistes, il a également été question à l’audience des anticorps antagonistes du VEGF, une protéine soluble, et de déterminer s’il existe des enseignements dans le mémoire descriptif concernant les protéines liées à la membrane, ce qu’est apparemment le polypeptide PRO1449. Le demandeur a donc repéré et cité trois articles dans ses observations du 3 décembre 2018 pour établir qu’un anticorps, appelé « DC101 », qui se lie à la molécule réceptrice liée à la membrane du VEGF et qui inhibe l’angiogenèse tumorale, était également généralement connu :

 

         M. Prewett et al., Anti-vascular Endothelial Growth Factor Receptor (Fetal Liver Kinase 1) Monoclonal Antibody Inhibits Tumor Angiogenesis and Growth of Several Mouse and Human Tumors, Cancer Research, 59:5209-5218, 1999 [« Prewett »];

         L. Angelov et al., Inhibition of Angiogenesis by Blocking Activation of the Vascular Endothelial Growth Factor Receptor 2 Leads to Decreased Growth of Neurogenic Sarcomas, Cancer Research, 59, 5536-5541, 1999; et

         G. McMahon, VEGF Receptor Signaling in Tumor Angiogenesis, The Oncologist, 2000: 5 (supplément 1) 3-10.

 

[50]      Suivant un examen des plus récents documents relevés par le demandeur, les connaissances générales courantes peuvent donc être détaillées davantage, comme suit :

 

         Le polypeptide VEGF était bien connu pour son association à l’angiogenèse, était bien caractérisé et possédait un certain nombre d’activités biologiques, comme la promotion de la croissance des cellules endothéliales vasculaires et le rôle de facteur de perméabilité (voir, à titre d’exemple, Bittar & Rakusan, pages 25 à 27).

         Les récepteurs VEGF ont été identifiés et caractérisés (voir, à titre d’exemple Bittar & Rakusan, pages 25 à 57);

         Deux anticorps antagonistes anti-angiogéniques, tous deux associés au VEGF, ont été identifiés, testés et leur activité a été démontrée : l’anticorps A4.6.2 qui se lie au VEGF lui-même (Kim 1992 et Kim 1993) et l’anticorps DC101 qui se lie à un récepteur du VEGF (voir Prewett); et

         Une variété d’essais d’angiogenèse in vitro et in vivo étaient connus (voir, à titre d’exemple, Angiogenesis Protocols) et des essais in vivo avaient été utilisés pour identifier les deux anticorps antagonistes connus.

 

Conclusions tirées des connaissances générales courantes

 

[51]      Dans ses observations du 3 décembre 2018, le demandeur a suggéré que, sur le fondement des documents fournis, à la date pertinente, les connaissances générales courantes avaient progressé au point où le deuxième aspect de la production d’anticorps du type mentionné dans les revendications, comme le premier aspect, était bien connu et relevait d’une expérimentation de routine [Traduction] :

 

Il est bien connu dans l’art que, peu importe si un exemple particulier d’anticorps antagoniste est fourni dans la demande ou s’il est seulement fondé sur une prédiction valable, l’effort de la personne versée dans l’art pour réaliser l’invention serait le même. Dans un cas comme dans l’autre, l’animal devrait être immunisé, les rates prélevées et la fusion cellulaire entreprise. Les clones qui en résultent seraient répartis dans des plaques alvéolaires pour leur croissance. Le liquide de culture cellulaire dans chacune des alvéoles serait ensuite analysé, d’abord pour y trouver des anticorps se liant au polypeptide pertinent, en l’espèce PRO1449. Les alvéoles dans lesquelles une liaison importante est observée seraient ensuite analysées pour y repérer l’activité d’anticorps antagonistes au moyen de l’un des essais relevant des connaissances générales courantes, tels qu’énoncés dans l’antériorité citée précédemment, plus particulièrement Angiogenesis Protocols. Les alvéoles où l’activité d’anticorps antagonistes a été observée seraient sous-clonées pour obtenir l’anticorps désiré. Ce sont toutes des techniques de laboratoire standards qui ont été utilisées pendant des décennies par les personnes versées dans l’art et qui ne requièrent aucune expérimentation excessive ni inventivité. [Observations du 3 décembre 2018, page 21, dernier paragraphe, soulignement ajouté].

 

[52]      Nous ne sommes pas d’accord. À notre avis, l’existence de deux anticorps antagonistes anti-angiogenèse, ciblant soit le polypeptide VEGF bien caractérisé, soit son récepteur, ne permet pas d’établir que les connaissances générales courantes ont progressé depuis la date pertinente au point tel que la personne versée dans l’art n’aurait eu qu’à procéder à une expérimentation de routine pour produire des anticorps qui se lient à d’autres cibles et qui auraient des propriétés d’inhibition semblables.

 

[53]      En ce qui concerne les anticorps connus, il semble que des travaux importants aient été réalisés par les chercheurs dans le cadre de leur identification, y compris la caractérisation complète des activités biologiques de leurs cibles, suivie de la production d’anticorps qui s’y lient simplement. Enfin, certaines analyses de l’angiogenèse in vivo ont été utilisées par des chercheurs afin d’identifier certains anticorps comme étant anti-angiogeniques. Toutefois, le recours aux analyses in vivo pour identifier des anticorps anti-angiogeniques ne semblait pas courant, étant donné que seulement deux anticorps de ce type avaient été identifiés.

 

[54]      Les documents au dossier indiquent donc ce qui suit : (1) qu’il était possible pour les chercheurs de produire et d’identifier des anticorps antagonistes anti-angiogenèse visant une cible d’angiogenèse bien caractérisée, ou l’un de ses récepteurs, en procédant à une expérimentation et à une analyse; et (2) que l’historique de ces travaux particuliers était généralement connu. À notre avis, les documents n’indiquent pas qu’il relevait d’une expérimentation de routine pour la personne ordinairement versée dans l’art, dépourvue de perspicacité et dépossédée de la faculté inventive, que de reproduire le succès des chercheurs antérieurs dans le cas d’un autre polypeptide cible putatif simplement identifié comme étant lié à l’angiogenèse.

 

Conclusion sur le caractère réalisable

 

[55]      Pour les motifs exposés ci-dessous, nous estimons que le mémoire descriptif ne permet pas d’obtenir les anticorps contenus dans les revendications 1 à 24, ce qui est contraire à l’alinéa 27(3)b) de la Loi. Plus particulièrement, ayant entendu le demandeur et examiné ses dernières observations, nous concluons que la personne versée dans l’art ne pouvait pas s’être appuyée sur ses connaissances générales courantes et sur les indications limitées fournies dans le mémoire descriptif pour produire les anticorps contenus dans les revendications. Il semble qu’il ait fallu une inventivité et une expérimentation excessive pour arriver à produire tels anticorps.

 

Lettre d’EP

 

[56]      Dans la lettre d’EP, nous avons exposé notre appréciation préliminaire, à savoir que le dossier, dans sa version à ce moment-là, n’étaye pas la conclusion portant que les revendications 1 à 24 peuvent être obtenues à partir du mémoire descriptif, ce qui est contraire à l’alinéa 27(3)b) de la Loi. Notre opinion s’appuie sur plusieurs raisons :

 

1)      les motifs fournis et les conclusions tirées dans la DF semblaient raisonnables;

2)      bien que la personne versée dans l’art puisse s’appuyer sur ses connaissances générales courantes pour produire les anticorps qui se lient simplement au polypeptide PRO1449, on ne peut en dire de même au sujet de l’identification des anticorps antagonistes anti-PRO1449 qui seraient capables d’inhiber l’angiogenèse in vivo;

3)      le mémoire descriptif ne contient aucun enseignement précis concernant la production des anticorps contenus dans les revendications et l’exemple fourni dans le mémoire descriptif concernant particulièrement le polypeptide PRO1449 ne fournit aucune indication concernant la production d’un anticorps antagoniste;

4)      La demande déposée ultérieurement par le demandeur, que ce dernier a produit comme preuve du caractère réalisable, divulgue des renseignements sur les analyses d’anticorps effectuées in vitro et in vivo, lesquels sont absents du présent mémoire descriptif et qui semblent être du type que la personne versée dans l’art percevrait comme instructifs et facilitant l’obtention de l’objet revendiqué; et

5)      les revendications englobent de manière générale des anticorps antagonistes soi-disant réactifs avec semble-t-il toute partie du polypeptide, y compris les parties qui ne semblent pas accessibles in vivo.

 

[57]      J’examinerai chacune de ces raisons tour à tour.

 

[58]      Au point (1), il est reconnu que les motifs et les conclusions énoncés dans la DF semblent raisonnables [Traduction] :

 

En conclusion, comme la présente demande n’identifie aucun anticorps antagoniste du PRO1449, la personne versée dans l’art serait tenue de procéder à une expérimentation excessive pour trouver des anticorps qui peuvent antagoniser le PRO1449. En outre, la personne versée dans l’art serait aussi tenue de procéder à une expérimentation excessive pour déterminer, parmi tous les anticorps antagonistes possibles repérés, lesquels sont effectivement capables d’inhiber l’angiogenèse chez un mammifère. L’examinateur considère donc que l’utilisation revendiquée de tout anticorps antagoniste du PRO1449 dans l’inhibition de l’angiogenèse n’est pas étayée dans la description.

 

Par conséquent, il s’ensuit que le mémoire descriptif n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. [DF, page 3]

 

[59]      En ce qui concerne le point (2), au sujet des connaissances générales courantes, nous avons reconnu l’observation du demandeur qui figure dans la R-DF (page 23, deuxième paragraphe complet) portant que [Traduction] « une personne ordinairement versée dans l’art qui utilise ses connaissances générales courantes ainsi que les enseignements qui figurent dans le mémoire descriptif pourrait facilement produire les anticorps antagonistes tels que revendiquées, sans avoir à faire preuve d’esprit inventif ou à se lancer dans une expérimentation excessive ». À cet égard, nous soulignons que le demandeur s’appuie sur les pages 9 et 10, 50, 84 à 89, 95 et 96, 111 à 119, 138, 141 à 143 et 150 du mémoire descriptif, ainsi que sur les exemples 11 et 24 qui, fait-il valoir, fournissent à la personne versée dans l’art des indications claires et un enseignement sur la production, l’analyse et l’utilisation d’anticorps antagonistes anti-PRO1449 [Traduction] :

 

Les indications qui seraient nécessaires, en l’espèce, aux personnes versées dans l’art, en fonction des indications fournies dans les affaires susmentionnées, cibleraient l’analyse visant à identifier le clone d’hybridome pour l’anticorps désiré. Dans la présente demande, le demandeur a fourni des indications claires ainsi qu’un enseignement aux personnes versées dans l’art concernant la production, la technique d’analyse et l’utilisation des anticorps antagonistes aux pages 9 et 10, 50, 84 à 89, 95 et 96, 111 à 119, 138, 141 à 143 et 150 [R-DF, page 20, deuxième paragraphe]

. . .

Pour obtenir des anticorps qui se lient spécifiquement au PRO1449, une personne versée dans l’art pourrait utiliser une variété de méthodes enseignées dans le présent mémoire descriptif, y compris les méthodes par hybridome, telles que décrites dans l’exemple 11. Afin d’identifier des anticorps antagonistes, une personne versée dans l’art pourrait effectuer une analyse, par exemple, au moyen du modèle d’œil d’un embryon de poulet décrit dans l’exemple 24. Une telle tâche ne serait pas indûment ardue, parce que seuls les anticorps qui se lient spécifiquement au PRO1449 seraient analysés, et les résultats positifs obtenus dans le cadre de cette analyse fourniraient une preuve factuelle à la personne versée dans l’art indiquant que l’anticorps antagoniste identifié inhiberait l’angiogenèse chez un mammifère. Par conséquent, selon les directives fournies dans le présent mémoire descriptif tel que déposé, par exemple aux pages 51 à 54, 94 à 97, 111 à 119 et dans l’exemple 11, une personne versée dans l’art pourrait facilement produire des anticorps antagonistes du PRO1449 pour utilisation dans l’inhibition de l’angiogenèse chez un mammifère, ainsi qu’il est actuellement revendiqué. [R-DF, page 21, premier paragraphe complet]

 

[60]      Nous avons ensuite examiné l’ensemble du mémoire descriptif, y compris les passages du mémoire descriptif cité par le demandeur. Nous convenons que les passages cités par le demandeur reflètent des techniques généralement connues qui pourraient être utilisées par la personne versée dans l’art pour développer des anticorps qui se lient simplement au polypeptide PRO1449, c.-à-d. comme premier aspect de la production d’anticorps. Toutefois, nous n’étions pas d’accord pour dire que les passages reflétaient avec exactitude ce à quoi l’on s’attendrait concernant le deuxième aspect qui s’ensuit, lequel suppose une analyse supplémentaire pour distinguer les anticorps qui peuvent présenter des propriétés anti-angiogeniques in vivo.

 

[61]      Par exemple, les pages 89 et 90 semblent simplement décrire des études courantes sur la liaison d’anticorps in vitro, alors que les pages 111 à 119 et l’exemple 11 semblent refléter de manière semblable les connaissances générales courantes dans la mesure où il y est question de la production d’anticorps. Les passages semblent donc génériques dans leur description et semblent s’appliquer à l’une ou l’autre des nombreux soi-disant polypeptides angiogeniques « PRO » divulgués. Donc, les passages cités ne semblaient pas particulièrement fournir d’information sur la production des anticorps anti-PRO1449 contenus dans les revendications. De plus, la production des anticorps anti-PRO1449 contenus dans les revendications, lesquels inhibent l’angiogenèse in vivo, ne semblait pas constituer à tous égards une question d’application des connaissances générales courantes à ce polypeptide en particulier. En plus des connaissances générales courantes existantes, il semble que d’autres indications précises sur la production d’anticorps antagonistes anti-PRO1449 seraient requises dans le mémoire descriptif puisque les connaissances générales courantes n’étaient pas suffisamment avancées. 

 

[62]      Quant au point (2), qui porte sur les enseignements propres au polypeptide PRO1449, nous avons souligné que le mémoire descriptif se limite à six phrases dans l’exemple 24. Cet exemple expose d’abord les études sur l’expression des gènes, dont les résultats seraient sans doute perçus par la personne versée dans l’art comme étant compatibles avec la notion selon laquelle le PRO1449 est associé à l’angiogenèse. Sont ensuite décrites des études réalisées sur un modèle de globe oculaire d’un embryon de poulet qui, selon ce que fait valoir le demandeur, est un exemple d’analyse in vivo qui pourrait servir à identifier les anticorps contenus dans les revendications. Nous ne sommes pas d’accord.

 

[63]      Nous étions d’avis que l’unique phrase de l’exemple 24 à laquelle renvoie le demandeur ne serait pas considérée par la personne versée dans l’art comme une analyse visant à repérer des anticorps anti-PRO1449 qui inhibent l’angiogenèse chez un mammifère. Elle décrit l’injection d’une molécule d’ADN encodant l’orthologue murin du PRO1449 dans le globe oculaire d’un embryon de poulet, suivie d’une observation de l’induction de l’angiogenèse [Traduction] :

 

Suivant l’électroporation de l’orthologue murin du PRO1449 dans la choroïde des yeux des embryons de poulet, la formation de nouveaux vaisseaux a été observée dans l’œil éléctroporé (en haut à droite), mais pas dans l’œil de contrôle du même embryon (en haut à gauche) ni dans l’embryon qui a été électroporé avec un ADNc de contrôle (en bas à droite) (figure 377).

 

[64]      Le passage ne contient visiblement aucune mention de l’analyse d’anticorps ou de l’inhibition de l’angiogenèse.

 

[65]      Dans la lettre d’EP, nous avons également reconnu l’observation faite par le demandeur dans la R-DF, à savoir que [Traduction] « l’examinateur applique une norme incorrecte et déraisonnable en exigeant apparemment que la présente demande identifie tous les ‘anticorps possibles pouvant antagoniser le PRO1449’ et détermine lequel d’entre eux permet ‘d’inhiber efficacement l’angiogenèse et de traiter un mammifère’ ». Nous avons examiné la DF et observé qu’elle souligne simplement et à juste titre que le mémoire descriptif ne divulgue pas la préparation réelle d’un anticorps du type mentionné dans les revendications. De manière générale, nous avions convenu qu’il n’était pas nécessaire d’illustrer tous les aspects d’une invention au moyen d’exemples. Cependant, nous étions d’avis que la divulgation d’un exemple pratique par l’inventeur, ou l’absence d’une telle divulgation, constitue une considération valable. Un exemple pratique peu fournir à la personne versée dans l’art des indications précises et pertinentes, et indiquer que les modes de réalisation utiles peuvent effectivement être obtenus. Nous avons considéré les lacunes du mémoire descriptif à cet égard comme un facteur à l’appui de notre première appréciation, selon laquelle la demande n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)b) de la Loi.

 

[66]      En ce qui concerne le point (4), au sujet de la demande produite ultérieurement par le demandeur, nous avons également reconnu l’argument (page 21 de la R-DF), dernière phrase se terminant dans le haut de la page 22) portant qu’elle fournit une preuve [Traduction] « confirmant la prédiction valable dans la présente demande, à savoir que les anticorps antagonistes du PRO1449 peuvent être générés et utilisés pour inhiber l’angiogenèse chez un mammifère, tel qu’il est actuellement revendiqué ». Nous avons souligné que la demande W02007/106915 produite ultérieurement (la demande ’915) à laquelle renvoie le demandeur a été publiée environ 6 ans après la date pertinente pour l’évaluation de la conformité au paragraphe 27(3) de la Loi. Nous avons également souligné que la demande ’915 divulgue des renseignements sur les analyses d’anticorps effectuées in vitro et in vivo, lesquels sont absents du présent mémoire descriptif et qui semblent être du type que la personne versée dans l’art percevrait comme instructifs et facilitant l’obtention de l’objet revendiqué.

 

[67]      Enfin, en ce qui a trait au point (5) et à la portée des revendications, nous avons souligné que les revendications, telles qu’étayées par leur référence dans la partie (a) de la revendication 1 à la totalité du polypeptide PRO1449, englobent de manière générale les anticorps antagonistes censés être réactifs avec, apparemment, toute portion du polypeptide, y compris des portions qui semblent inaccessibles in vivo aux anticorps, p. ex. ses portions de signal, intracellulaires ou non exposées. Nous étions d’avis que le manque de spécificité dans les revendications quant à une ou plusieurs portions précises du polypeptide PRO1449 pour lesquelles des anticorps antagonistes doivent être préparés constitue une autre indication du manque de renseignements et d’indications dans le mémoire descriptif.

 

Dernières observations du demandeur

 

[68]      Dans une large mesure, les dernières observations du demandeur, en date du 3 décembre 2018, réitèrent les arguments antérieurement présentés dans la R-DF et que nous avons examinés à l’étape de l’examen préliminaire. Ce qui ressort des dernières observations, c’est l’identification d’autres documents qui reflètent les connaissances générales courantes. Relativement à la question du caractère réalisable, le demandeur s’appuie sur les connaissances générales courantes, considérées comme incluant la présence de deux anticorps anti-angiogenèse et des analyses de l’angiogenèse, pour souligner que l’invention revendiquée est réalisée [Traduction] :

 

Les indications qui seraient nécessaires, en l’espèce, aux personnes versées dans l’art, en fonction des indications fournies dans les affaires susmentionnées, cibleraient l’analyse visant à identifier le clone d’hybridome pour l’anticorps désiré. Dans la présente demande, le demandeur a fourni des indications claires ainsi qu’un enseignement aux personnes versées dans l’art concernant la production, la technique d’analyse et l’utilisation des anticorps antagonistes aux pages 9 et 10, 50, 84 à 89, 95 et 96, 111 à 119, 138, 141 à 143 et 150. En outre, comme il est indiqué ci-dessus, les méthodes d’analyse de l’angiogenèse font partie des connaissances générales courantes.

 

Par conséquent, le demandeur soutient qu’il n’existe aucune exigence en droit canadien obligeant un breveté à fournir un exemple précis de chaque aspect d’une invention. Plutôt, d’après la démonstration du rôle du PRO1449 dans l’angiogenèse, il est exigé que la description fournisse suffisamment de renseignements pour permettre à une personne versée dans l’art de n’utiliser que les enseignements de la divulgation, de pair avec ses connaissances générales courantes à la date pertinente, pour réaliser l’invention.

 

Dans la demande, le demandeur fournit une indication claire et sans équivoque aux personnes ordinairement versées dans l’art au sujet de la façon de réaliser l’invention telle qu’elle est revendiquée dans les revendications, au moyen des enseignements compris dans le mémoire descriptif et de leurs connaissances générales courantes. [Observations du 3 décembre 2018, page 21, trois premiers paragraphes, soulignement ajouté].

 

[69]      Cependant, comme nous l’avons expliqué précédemment relativement à notre discussion sur les connaissances générales courantes propres à l’espèce, nous sommes d’avis que le fait de préciser davantage le sujet ne mène pas à la conclusion portant que la production et l’identification d’anticorps pouvant être utilisés dans l’invention revendiquée relèvent d’une expérimentation de routine, surtout en ce qui concerne l’analyse in vivo des anticorps afin de déterminer leurs propriétés anti-angiogenèse.

 

[70]      Nous soulignons que le demandeur a de nouveau fait mention de son autre demande (la demande ’915), déposée six ans après la date pertinente, comme preuve que les anticorps des revendications peuvent être obtenus [Traduction] :

 

En outre, la preuve postérieure au dépôt confirme la prédiction valable de la présente demande, à savoir que les anticorps antagonistes du PRO1449 peuvent être générés et utilisés pour inhiber l’angiogenèse chez un mammifère, comme il est actuellement revendiqué. À titre d’exemple, la demande W02007/106915 déposée ultérieurement (la publication ’915) divulgue l’achèvement des expériences démontrant un effet anti-angiogenique des anticorps antagonistes anti-PRO1449. L’exemple 1 de la publication ’915 divulgue la production de trois anticorps monoclonaux contre PR.01449 (EGFL7) au moyen de méthodes par hybridome (voir la publication ’915, p. ex. de la page 56, ligne 30 à la page 57, ligne 5). De plus, l’exemple 1 de la publication ’915 divulgue que chacun de ces anticorps bloquait précisément l’adhésion cellulaire et la migration cellulaire dans un modèle de culture cellulaire de l’angiogenèse (page 57, lignes 6 à 17). L’exemple 2 de la publication ’915 divulgue que l’administration d’anticorps antagonistes anti-PRO1449 a bloqué la revascularisation de tumeurs, conjointement avec une thérapie anti-VEGF (page 60, lignes 9 à 14). Donc, conformément aux enseignements du présent mémoire descriptif, les anticorps antagonistes du PRO1449 peuvent être obtenus et utilisés pour inhiber l’angiogenèse chez un mammifère, comme il est actuellement revendiqué. [Observations du 3 décembre 2018; page 22, dernier paragraphe se terminant dans le haut de la page 23].

 

[71]      Ayant examiné de nouveau la demande ’915, nous sommes d’avis qu’elle n’étaye pas la position du demandeur. Nous ne contestons pas le fait que des anticorps du type mentionné dans la revendication ont effectivement été produits. Pas plus que nous ne contestons leur utilité potentielle. Cependant, la question pertinente en l’espèce est celle de savoir si, à la date pertinente, la personne versée dans l’art pourrait les avoir obtenus dans le cadre d’une expérimentation de routine, en ne s’appuyant que sur les enseignements contenus dans le mémoire descriptif et ses connaissances générales courantes. Il ne s’agit pas de déterminer, comme l’indique la demande ’915, si des chercheurs d’expérience avaient pu créer de tels anticorps six ans après la date pertinente, uniquement après avoir entrepris des expériences pour caractériser plus amplement le polypeptide PRO1449, définir des analyses in vitro appropriées et ultimement, entreprendre, avec un peu de difficulté, l’analyse in vivo.

 

[72]      En ce qui concerne les analyses in vitro, la demande ’915 indique que le demandeur a mené des expériences après la date pertinente, lesquelles nous éclairent sur un aspect du mécanisme d’action du polypeptide PRO1449, en ce sens qu’il favorise l’adhésion et la migration de cellules endothéliales – une considération qui semble avoir été prise en compte lorsque les analyses secondaires in vitro d’anticorps antagonistes anti-PRO1449 pertinentes ont en fait été définies et réalisées [Traduction] :

 

Il a déjà été démontré que [PRO1449] déposé sur des plaques de culture favorise l’adhérence de cellules endothéliales veineuses ombilicales (HUVEC), même si la force de l’adhésion était considérablement moindre que les autres molécules d’adhésion cellulaire, comme la fibronectine et le collagène [Parker et. al., Nature 428 : 754 à 758 ( 2004)]. Par conséquent, nous avons mené des expériences pour déterminer si les AcM [anti-PRO-1449] 4F11, 10G9 et 18F7 pouvaient bloquer l’adhérence des cellules aux plaques recouvertes du [PRO1449]. [Voir la demande ’915, à la page 57, lignes 7 à 11. À noter qu’en outre, le demandeur a copublié l’article « Parker » de 2004].

 

[73]      C’est significatif, mais peut-être pas étonnant , puisque le présent mémoire descriptif révèle très peu quant au mécanisme d’action du PRO1449 – le mémoire descriptif ne définit pas ces analyses comme étant pertinentes en ce qui a trait au polypeptide PRO1449.

 

[74]      Relativement aux analyses in vivo, lesquelles constituent une étape essentielle en l’espèce, nous soulignons que la demande ’915 divulgue que le demandeur semble avoir éprouvé des difficultés à cet égard. D’après les résultats favorables tirés de ses analyses in vitro, la demande ’915 indique que le demandeur a ensuite mené des expériences in vivo, examinant les propriétés antitumorales (et par inférence, l’activité angiogenique) des mêmes anticorps monoclonaux (voir l’exemple 2 de la demande ’915). On a injecté dans des souris vulnérables cinq lignées de cellules tumorales (A673, Colo205, Fo5, H1299 et MDA-MB231) et ensuite administré des anticorps anti-PRO1449, soit seuls, soit en combinaison avec un anticorps anti-VEGF qui n’est devenu accessible qu’après la date pertinente. Fait notable, les anticorps, lorsque utilisés seuls, n’ont produit aucun effet inhibiteur dans trois des lignées cellulaires[1], y compris la lignée communément appelée A673, décrite dans l’article Kim 1993, pour identifier le premier anticorps anti-angiogenique. L’inhibition a été observée dans seulement deux des lignées cellulaires; elle était maximale lorsqu’en combinaison avec l’anticorps anti-VEGF (voir les figures 6 à 9). Dans cette perspective, il est difficile d’imaginer que la personne versée dans l’art n’aurait pas éprouvé de difficultés semblables si elle avait essayé de réaliser de telles analyses in vivo il y a environ six ans, sans l’avantage des renseignements divulgués dans la demande ’915.

 

[75]      Enfin, il y a la question de la portée des revendications, une question soulevée dans notre lettre d’EP qui n’a pas encore été abordée dans les observations du demandeur. Dans la lettre d’EP, nous avons expliqué que les revendications [Traduction] « englobent de manière générale les anticorps antagonistes censés être réactifs avec, apparemment, toute portion du polypeptide [PRO1449], y compris des portions qui semblent inaccessibles in vivo aux anticorps, p. ex. ses portions de signal, intracellulaires ou non exposées ». Nous étions d’avis que [Traduction] « le manque de spécificité dans les revendications quant à une ou plusieurs portions précises du polypeptide PRO1449 pour lesquelles des anticorps antagonistes doivent être préparés constitue une autre indication du manque de renseignements et d’indications dans le mémoire descriptif ».

 

[76]      Dans le même ordre d’idée, nous soulignons que la demande ’915, contrairement à la présente demande, fournit des indications claires portant que les anticorps anti-angiogeniques se lient à une certaine région du polypeptide PRO1449. Selon le demandeur [Traduction] : « Nous avons observé que chacun des AcM se lie à la portion EMI du [PRO1449] » (page 58, lignes 40 et 41 de la demande ’915). Nous ne sommes donc pas disposés à admettre que la personne versée dans l’art considérerait les revendications comme ayant été réalisées dans toute leur portée.

 

Description exacte et complète au sens de l’alinéa 27(3)a) de la Loi

 

[77]      Dans la lettre d’EP, nous avons expliqué que l’alinéa 27(3)a) de la Loi exige que le mémoire descriptif décrive de manière exacte et complète l’invention – cette exigence se distingue de l’exigence liée au caractère réalisable de l’alinéa 27(3)b).

 

[78]      Nous avons souligné que le mémoire descriptif décrit le polypeptide PRO1449 et son rôle dans l’angiogenèse. Toutefois, selon notre première appréciation, la personne versée dans l’art ne considérerait pas ces descriptions comme étant exactes et complètes en ce qui a trait aux anticorps antagonistes qui inhibent l’angiogenèse chez un mammifère. Les anticorps contenus dans les revendications 1 à 24 ne sont pas ceux qui se lient simplement au polypeptide PRO1449. Comme ils semblent spéciaux ou notables quant à leur nature, il nous semble pertinent de les décrire en des termes tout aussi significatifs. Cependant, le mémoire descriptif semble uniquement fournir de simples déclarations qui ne reflètent que les attributs souhaités des anticorps contenus dans les revendications. Par conséquent, nous sommes d’avis que le mémoire descriptif n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)a) de la Loi.

 

[79]      Les observations du demandeur en date du 3 décembre 2018 n’abordent pas précisément cette question. Nous concluons donc que le mémoire descriptif n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)a) de la Loi, en ce qui a trait aux revendications 1 à 24.

 

Utilité

 

[80]      Dans la lettre d’EP, nous avons admis que l’objet revendiqué serait utile et que la demande est donc conforme à l’article 2 de la Loi. Nous avons abordé la question par souci d’exhaustivité, parce que le libellé des arguments dans la DF et la R-DF laisse entendre qu’il pourrait exister des préoccupations à cet égard, même si aucune objection officielle ne figure dans la DF. Nous avons souligné que, même si le mémoire descriptif ne contient aucune démonstration de l’utilisation revendiquée, il semble être admis dans la DF qu’il existe une inférence raisonnable prima facie de l’utilité et que l’invention revendiquée satisfait les exigences d’une prédiction valable de l’utilité au sens de l’article 2 de la Loi, suivant l’arrêt AZT de la Cour suprême [Traduction] :

 

Selon [l’arrêt AZT], le caractère valable d’une prédiction est une question de fait. Le fondement factuel de la prédiction dans la présente demande concerne la divulgation d’un lien de causalité entre le PRO1449 (protéine de SEQ ID NO 374) et l’angiogenèse. De ce fait, une personne versée dans l’art admettrait rapidement que les antagonistes du PRO1449 inhiberaient l’angiogenèse. [DF, page 3, deuxième paragraphe]

 

[81]      Parallèlement, nous avons souligné que la DF aborde le caractère valable de l’utilité prédite, tout en soulignant les considérations selon lesquelles les anticorps des revendications n’auraient pas été décrites et réalisées adéquatement, comme l’exige de manière distincte le paragraphe 27(3) [Traduction] :

 

Bien que la demande décrive l’utilisation prévue des anticorps antagonistes, ces derniers n’ont pas été véritablement préparés par le demandeur à la date de dépôt de la présente demande. On ne sait pas comment la description littérale des anticorps antagonistes prévus et leur utilité prévue dans l’inhibition de l’angiogenèse peuvent représenter une prédiction valable selon laquelle ces anticorps auraient en fait des activités anti-angiogeniques.

...

En conclusion, comme la présente demande n’identifie aucun anticorps antagoniste du PRO1449, la personne versée dans l’art serait tenue de procéder à une expérimentation excessive pour trouver des anticorps qui peuvent antagoniser le PRO1449. [Soulignement ajouté]

 

[82]      Notre démarche consistait donc à découpler toute question d’utilité de la question distincte de la non-conformité au paragraphe 27(3) de la Loi.

 

[83]      Conformément à l’arrêt de la Cour suprême dans AstraZeneca, nous avons abordé la question de l’utilité en définissant d’abord ‘objet de l’invention tel que revendiqué, puis nous avons déterminé s’il était utile — c’est-à-dire, s’il peut donner un résultat concret.

 

[84]      L’objet de la revendication représentative 1 peut être résumé comme suit : « un anticorps antagoniste qui se lie à un polypeptide PRO1449 et qui inhibe la capacité du polypeptide à induire l’angiogenèse pour utilisation dans l’inhibition de l’angiogenèse chez un mammifère ». Dans la lettre d’EP, nous étions d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait qu’une molécule inhibitrice contre un polypeptide cible, revendiquée pour une utilisation dans l’inhibition du polypeptide cible chez un mammifère, serait manifestement une invention donnant un résultat concret quant à l’inhibition de l’angiogenèse.

 

[85]      Nous concluons donc que l’objet revendiqué est utile.

 

Conclusions et recommandations

 

[86]      Pour les motifs exposés ci-dessus, nous sommes d’avis que le mémoire descriptif n’est ni conforme à l’alinéa 27(3)a) ni à l’alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets, en ce qui concerne les revendications 1 à 24. Nous recommandons que le demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, que la modification de la demande consistant à supprimer les revendications 1 à 24 est considérée comme nécessaire pour rendre la demande conforme à la Loi et aux Règles. Si cette modification n’est pas apportée dans les trois mois suivant la délivrance de la présente décision, nous recommandons que la demande soit rejetée en application de l’article 40 de la Loi.

 

 

 

 

Ed MacLaurin                         Marcel Brisebois                     Stephen MacNeil

            Membre                                   Membre                                   Membre

 

 

 

Décision du commissaire

 

[87]      Je souscris aux conclusions ainsi qu’à la recommandation de la Commission d’appel des brevets. Conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le demandeur que la modification de la demande consistant à supprimer les revendications 1 à 24 est considérée comme nécessaire pour rendre la demande conforme à la Loi et aux Règles. Si cette modification n’est pas apportée dans les trois mois suivant la délivrance de la présente décision, j’entends rejeter la demande en application de l’article 40 de la Loi.

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec)

En ce 1er  jour d’août 2019



[1]: De la page 59, lignes 29 à 31 de la demande ’915 [Traduction] : « Nous avons d’abord testé les AcM dans le modèle Colo205 (cancer colorectal chez l’humain) et le modèle A673 (modèle de rhabdomyosarcome humain). Nous n’avons observé aucun effet dans ces modèles avec les AcM dans du PBS comme agents simples ». De la page 59, ligne 44 de la demande ’915 [Traduction] : « Nous n’avons observé aucun effet dans le modèle Fo5 ».

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