Brevets

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Décision du commissaire no 1480

Commissioner’s Decision No. 1480

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS :       O00 Évidence

                                                                                              

TOPICS:        O00 Obviousness

                                                                                              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

Demande no 2 464 537

    Application No. 2,464,537


 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets [DORS/96-423], la demande de brevet numéro 2 464 537 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission ainsi que la décision de la commissaire sont d’accepter la demande.

 

 

 

 

Agent du demandeur

 

SMART & BIGGAR

1000, rue de la Gauchetière Ouest

Bureau 3300

Montréal (Québec) H3B 4W5

 


 


INTRODUCTION

[1]          Cette recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadien refusée numéro 2 464 537 intitulée « Accessoire pour machine de jeu, système de jeu et méthode de fonctionnement » et appartenant à GTECH GERMANY GMBH (le demandeur). La Commission d’appel des brevets (« la Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons à la commissaire aux brevets d’accepter la demande.

CONTEXTE

La demande

[2]          La demande, ayant pour date de priorité revendiquée le 17 avril 2003, a été déposée au Canada le 15 avril 2004 et a été mise à la disponibilité du public le 17 octobre 2004.

[3]          La demande concerne un module de suivi du joueur pour une machine de jeu, également appelé un insert joueur, et concerne des affichages pour un tel module ainsi qu’un capteur biométrique derrière l’un desdits affichages.

Historique du traitement de la demande

[4]          Le 3 août 2016, une décision finale (« DF ») a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. La DF indiquait que la demande était irrégulière au motif que l’ensemble des 30 revendications au dossier auraient été évidentes et donc, n’étaient pas conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[5]          Dans une réponse à la DF (« R-DF ») datée du 1er février 2017, le demandeur a soumis des revendications modifiées (« les revendications proposées ») ainsi que des modifications au titre et à la description. Le demandeur a également soumis des arguments en faveur de la non-évidence des revendications au dossier ainsi que des arguments à l’appui des revendications proposées.

 

[6]          L’examinateur a jugé la demande non conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, malgré les arguments et les modifications proposées qui ont été soumis avec la R-DF. Par conséquent, le 30 mars 2017, en vertu de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets, la demande a été transmise à la Commission aux fins de révision, de pair avec une explication énoncée dans un résumé des motifs (RM). Le RM expose la position selon laquelle les revendications au dossier étaient toujours considérées comme irrégulières en raison de l’évidence. Le RM explique également que les modifications proposées dans la R-DF n’ont pas corrigé ces irrégularités.

[7]          Dans une lettre datée du 3 avril 2017, la Commission a transmis une copie du RM au demandeur et a offert à ce dernier la possibilité de confirmer son intérêt continu pour la révision de la demande, ou de retirer la demande. Le demandeur n’a pas répondu.

[8]          Le présent comité (« le comité ») a été constitué dans le but de procéder à la révision de la présente demande conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets.

QUESTION

[9]          La question à trancher dans le cadre de la présente révision est celle de savoir si les revendications 1 à 30 au dossier auraient été évidentes.

[10]      Si les revendications au dossier sont jugées irrégulières, nous pourrions alors examiner les revendications proposées 1 à 31 afin de déterminer si elles constituent des modifications nécessaires pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

PRINCIPES JURIDIQUES ET PRATIQUE DU BUREAU

Interprétation téléologique

[11]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67 aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52). Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (OPIC) révisé en juin 2015 [RPBB], la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution préconisée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, telle qu’elle est revendiquée.

Évidence

[12]      La Loi sur les brevets exige que l’objet d’une revendication ne soit pas évident pour la personne versée dans l’art. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

(a)          qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

(b)          qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[13]      Dans Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 au paragraphe 67 [Sanofi], la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il est utile, pour évaluer l’évidence, de suivre la démarche en quatre étapes présentée ci-dessous :

 

       (1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

ANALYSE

Interprétation téléologique

[14]      En l’espèce, il ne s’agit pas de déterminer si les caractéristiques des revendications sont essentielles ou non. Nous sommes d’avis que l’ensemble des caractéristiques des revendications constituent des éléments essentiels. Le comité interprète le « capteur biométrique » comme comprenant une caméra ou un capteur digital, puisque ce sont les exemples fournis dans la description à la page 4. En outre, cette interprétation rejoint le fait que la revendication dépendante 6 précise que le capteur biométrique est une caméra.

Évidence

[15]      Nous analysons, selon Sanofi, la revendication 1, l’unique revendication indépendante.

(1)a) Identifier la « personne versée dans l’art »

[16]      Dans la DF, la personne versée dans l’art (PVA) est définie comme une personne ou une équipe de plusieurs personnes qui sont des concepteurs de machines de jeu familiers avec la conception de terminaux matériels et avec les fonctions logicielles correspondantes d’une telle machine de jeu, et qui travaillent en collaboration avec des informaticiens ou d’autres technologues en informatique. Dans la R-DF, le demandeur n’a pas contesté cette définition; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision.

(1)b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

[17]      Dans la DF, les connaissances générales courantes (CGC) pertinentes de la PVA sont définies comme suit [Traduction] :

La personne versée dans l’art connaît les caractéristiques de jeu déployées dans l’industrie du jeu, comme l’environnement des casinos et les jeux en ligne, etc., y compris la programmation, les protocoles de communication et les interfaces utilisateurs. La personne versée dans l’art connaît également le matériel informatique d’usage général et les techniques de programmation informatiques d’usage général.

[18]      Dans la R-DF, le demandeur n’a pas contesté cette définition des CGC; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision.

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

[19]      La DF présente l’idée originale de la revendication 1 comme suit [Traduction] :

Un module de suivi d’un joueur pour une machine de jeu, comportant les caractéristiques suivantes :

1)      Un écran à commande électronique pouvant fonctionner dans un premier état où il est transparent, puis dans un deuxième état où il est adapté pour fonctionner en tant qu’affichage.

2)      un dispositif de commande raccordé audit écran et configuré pour le commander afin qu’il affiche des images lorsqu’il est dans le deuxième état;

3)      un affichage distinct fourni derrière ledit écran et visible par le joueur, lorsque ledit écran est dans le premier état;

4)      un capteur biométrique derrière ledit écran, adapté pour lire les données biométriques d’un joueur à travers ledit écran, lorsque ledit écran est dans le premier état.

 

[20]      Dans la R-DF, le demandeur n’a pas contesté cette définition de l’idée originale de la revendication 1.

[21]      Bien que, de façon générale, nous soyons d’accord avec la définition ci-dessus de l’idée originale de la DF, nous sommes d’avis qu’un autre élément de la revendication 1 fait partie de l’idée originale :

           l’affichage distinct est contrôlé par la même commande que l’écran à commande électronique.

 (3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

[22]      Les documents d’antériorité suivants sont cités dans la DF et le RM :

D1 :     US20030054878         Benoy et coll.              20 mars 2003

D2 :     WO99/32945               Basturk et coll.            1er juillet 1999

D3 :     US20020173354         Winans et coll.            21 novembre 2002

D4 :     JPH8080364               Niiyama et coll.           26 mars 1996

D5 :     EP0493893                 Gitlin et coll.               8 juillet 1992

D6 :     US4400725                 Tanigaki                      23 août 1983

D7 :     EP0385128                 Skow                           5 septembre 1990

[23]      D1 divulgue un module de suivi de joueur comportant un affichage et un capteur biométrique. D2 concerne un cadran de montre équipé d’un affichage électronique transparent superposé à des cadrans mécaniques. D3 concerne l’utilisation d’affichages électroluminescents pour le jeu. D4 divulgue une machine de jeu équipée d’un panneau d’affichage à cristaux liquides sur les rouleaux, un état transparent étant appliqué de manière sélective sur ledit panneau d’affichage. D5 à D7 divulguent l’utilisation de caméras derrière des écrans d’affichage pour la vidéoconférence.

[24]      L’examinateur a appliqué D1 et D4 dans la DF et a également tenu compte de D5 à D7 dans le RM. Le comité a également examiné D2 et D3.

[25]      D1 semble constituer le document d’antériorité le plus proche. En référence à l’idée originale ci-dessus, D1 divulgue [Traduction] :

         un module de suivi d’un joueur pour une machine de jeu (D1, par. 0015 et fig. 4B);

         un écran à commande électronique pouvant fonctionner dans un premier état où il est transparent, puis dans un deuxième état où il est adapté pour fonctionner en tant qu’affichage (D1, par. 0093, divulgue un écran d’affichage selon un état, mais ne divulgue pas d’état transparent);

         un dispositif de commande raccordé audit écran et configuré pour le commander afin qu’il affiche des images lorsqu’il est dans le deuxième état (implicite dans D1, par. 0093);

         un capteur biométrique derrière ledit écran, adapté pour lire les données biométriques d’un joueur à travers ledit écran, lorsque ledit écran est dans le premier état (D1, par. 0100 et fig. 4B, divulgue une caméra en tant que capteur biométrique dans un module de suivi de joueur, mais ne divulgue pas la capacité de lire à travers l’écran).

[26]      Les différences entre l’idée originale et D1 sont donc les suivantes :

         l’écran à commande électronique ayant un autre état, dans lequel il est transparent;

         un affichage distinct fourni derrière ledit écran et visible par le joueur, lorsque ledit écran est dans le premier état;

         l’affichage distinct est contrôlé par la même commande que l’écran à commande électronique;

         un capteur biométrique derrière ledit écran, adapté pour lire les données biométriques d’un joueur à travers ledit écran, lorsque ledit écran est dans le premier état.

 (4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

[27]      Dans une technique analogue (une machine de jeu, mais ne comportant pas de module de suivi de joueur), D4 divulgue un écran ayant des états transparent et opaque (abrégé). D4 mentionne un exemple où l’écran devient opaque (abrégé) ou affiche des lignes transversales (illustré à la fig. 8). D4 divulgue également un affichage distinct derrière l’écran, celui-ci n’étant visible que lorsque l’écran est à l’état transparent (abrégé, fig. 8). Dans le dispositif de D4, l’affichage distinct est celui des rouleaux de jeu mécaniques de la machine de jeu et n’est pas contrôlé par la même commande électronique que celle qui contrôle l’écran.

[28]      À notre avis, l’affichage double de D4 combiné au module de suivi de joueur de D1 ne mène pas directement et sans difficulté à l’idée originale de la présente revendication 1. Il n’aurait pas été évident pour la PVA de modifier un module de suivi de joueur, comme dans D1, pour inclure un affichage distinct derrière l’écran et d’appliquer un mode transparent d’un tel affichage principal, comme dans D4, au module de suivi de joueur où les rouleaux de jeu, visibles à l’écran de D4 à l’état transparent, sont substitués par un affichage électronique distinct lorsqu’à l’état transparent. En outre, les rouleaux de jeu mécaniques de D4 ne semblent pas être contrôlés par la même commande électronique que celle qui contrôle l’affichage principal de D4. En outre, D1 illustre une caméra à la surface du panneau avant, et non derrière un écran électronique. D4 ne fait aucune mention d’un capteur biométrique et de son emplacement.

[29]      D5 à D7, dans la technique de vidéoconférence, divulguent l’emplacement d’une caméra derrière un écran électronique et l’utilisation de la caméra lorsque l’écran est à l’état transparent. Toutefois, dans l’ensemble des documents D5 à D7, l’état transparent et l’état d’affichage alternent rapidement de manière à générer l’apparence d’un affichage continu et d’une utilisation continue de la caméra pour un utilisateur lorsqu’il est en vidéoconférence. Ces états rapidement multiplexés ne sont pas étroitement analogues à l’alternance entre les états de la présente invention. Dans la présente invention, il existe un état distinct perçu où un utilisateur voit l’écran d’affichage principal qui présente une image et un autre état distinct où l’utilisateur voit le deuxième affichage, au moyen de la même commande électronique que celle qui contrôle l’écran principal. En outre, dans la présente invention, un capteur biométrique fonctionne pendant l’alternance des états.

[30]      À notre avis, il n’aurait pas été évident pour la PVA d’utiliser l’état transparent de l’écran de D4 pour révéler un affichage secondaire coordonné derrière l’écran et de permettre simultanément l’installation d’un capteur biométrique derrière l’écran, ainsi que le divulguent D5 à D7, mais sans le multiplexage rapide de D5 à D7. L’idée originale concerne l’utilisation synergique de l’état transparent au moyen d’une commande électronique commune pour révéler un affichage distinct et permettre simultanément le fonctionnement d’un capteur biométrique. Cette idée ne découle pas directement d’une combinaison de l’application de l’art antérieur et des CGC.

[31]      Nous n’avons rien noté dans D2 ou D3 qui mènerait de manière évidente la PVA à passer de D1 à la présente invention.

[32]      Les revendications dépendantes 2 à 30 au dossier sont considérées comme n’ayant pas été évidentes, puisqu’elles partagent au moins l’idée originale de la revendication 1.

CONCLUSIONS

[33]      Nous avons conclu que l’objet défini par les revendications 1 à 30 au dossier n’aurait pas été évident pour la PVA. Par conséquent, nous estimons que ces revendications sont conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.


 

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

[34]      Pour les raisons exposées ci-dessus, nous sommes d’avis que le refus est injustifié compte tenu des irrégularités indiquées dans l’avis de décision finale et nous avons des motifs raisonnables de croire que la présente demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Nous recommandons que le demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, que le refus de la demande est annulé et que la demande a été jugée acceptable.

[35]      Comme nous estimons que la demande au dossier est acceptable, nous n’avons pas examiné les revendications proposées ni les modifications proposées au titre et à la description. Nous soulignons que ces modifications proposées sont considérées comme n’ayant pas été faites.

 

 

 

 

Howard Sandler                          Nenad Jevtic                             Stephen MacNeil

Membre                                       Membre                                     Membre


 

DÉCISION

[36]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Conformément au paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le demandeur que le refus de la demande est annulé, que la demande a été jugée acceptable et que j’ordonnerai qu’un avis d’acceptation soit envoyé en temps voulu.

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 18e jour de mars 2019

 

 

 

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