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   Décision du commissaire no 1483

Commissioner’s Decision No. 1483

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS :      O00 Évidence


TOPICS:       O00 Obviousness

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no 2 488 734

Application No. 2,488,734

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 488 734 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission d’appel des brevets et la décision de la commissaire sont d’enjoindre au Demandeur d’apporter une modification déterminée à la description, à défaut de quoi la demande sera rejetée.

 

 

 

 

 

 

Agent du Demandeur :

 

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA LLP/S.E.N.C.R.L., S.R.L.

1, Place Ville-Marie, bureau 2500

MONTRÉAL (Québec) H3B 1R1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

[1]          La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet refusée no 2 488 734, qui est intitulée « Lentilles de contact teintées » et inscrite au nom de Johnson & Johnson Vision Care, Inc. La principale question à trancher en l’espèce est de savoir si l’objet revendiqué aurait été évident.

[2]          La Commission d’appel des brevets (« la Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets.

[3]          Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons que le Demandeur soit avisé que la page 9 de la description, tel qu’elle est proposée dans la lettre du 25 février 2015 constitue une modification « nécessaire » aux termes du paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

Contexte

La demande

[4]          La demande de brevet 2 488 734 (la présente demande), qui est fondée sur une demande déposée antérieurement en vertu du Traité de coopération en matière de brevet (PCT), est réputée avoir été déposée au Canada le 9 mai 2003 et a été mise à la disponibilité du public le 18 décembre 2003.

[5]          La présente demande a trait à des lentilles de contact teintées qui arborent une inscription indiquant qu’il s’agit de lentilles d’essai.

Historique du traitement

[6]          Le 9 septembre 2014, une décision finale (DF) a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. La DF indiquait que la demande était irrégulière au motif que les revendications 1 à 29 au dossier auraient été évidentes et qu’elles sont, de ce fait, non conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. La DF indiquait également que la description contient un énoncé incorporant d’autres documents par renvoi et qu’elle est, de ce fait, non conforme au paragraphe 81(1) des Règles sur les brevets.

[7]          Dans une réponse à la décision finale (RDF) en date du 25 février 2015, le Demandeur a fait valoir que les revendications au dossier étaient inventives. Le Demandeur a également proposé de remplacer la page 9 de la description par une nouvelle page 9 qui ne contient pas l’énoncé incorporant d’autres documents par renvoi.

[8]          L’examinateur ayant jugé que la demande n’était toujours pas conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, le 13 décembre 2016, la demande a été transmise à la Commission pour révision conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, accompagnée d’une explication exposée dans un résumé des motifs (RM) maintenant le refus de la demande sur la base de l’irrégularité liée à l’évidence mentionnée dans la DF.

[9]          Dans une lettre en date du 23 décembre 2016, la Commission a transmis une copie du RM au Demandeur et a demandé à ce dernier de confirmer qu’il souhaitait toujours que sa demande soit révisée. Dans une lettre en date du 23 janvier 2017, le Demandeur a confirmé qu’il souhaitait toujours que la Commission procède à la révision de sa demande.

[10]      Un comité a été constitué dans le but de réviser la demande conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets et de présenter une recommandation à la commissaire quant à la décision à rendre.

[11]      Après examen de la présente demande ainsi que du dossier dans sa forme actuelle, il est apparu que la rédaction d’une lettre de révision préliminaire et la tenue d’une audience n’étaient pas nécessaires.

Questions

[12]      Les questions à trancher dans le cadre de la présente révision sont les suivantes :

      Les revendications au dossier auraient-elles été évidentes et sont-elles, de ce fait, non conformes à l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets?

      La description incorpore-t-elle un autre document par renvoi et est-elle, de ce fait, non conforme au paragraphe 81(1) des Règles sur les brevets?

 


 

Principes juridiques et pratique du Bureau des brevets

Interprétation téléologique

[13]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52). Conformément à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [RPBB] (révisée en juin 2015 (OPIC)), la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par l’inventeur et la solution proposée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

Évidence

[14]      La Loi sur les brevets exige que l’objet d’une revendication ne soit pas évident. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard, de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[15]      Dans Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 [Sanofi], au par. 67, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il était utile pour évaluer l’évidence d’appliquer la démarche en quatre étapes suivante :

(1)a)  Identifier la « personne versée dans l’art »;

(1)b)  Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)     Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3)     Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4)     Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

Incorporation par renvoi

 

[16]      Selon le paragraphe 81(1) des Règles sur les brevets, « [l]a description ne peut incorporer un autre document par renvoi ».

Analyse

Aperçu de la présente demande

[17]      Les lentilles de contact teintées ou colorées servant à modifier la couleur naturelle de l’iris sont connues. Les lentilles d’essai sont utilisées par les praticiens en soins oculaires pour évaluer l’ajustement de la lentille sur l’œil et permettre à l’utilisateur d’évaluer son apparence sur l’œil avant de déterminer quelles lentilles seront prescrites (présente demande, page 1, lignes 9 à 15).

[18]      Les lentilles d’essai ne sont pas destinées à la vente ni conçues pour un usage régulier. Les lentilles d’essai peuvent toutefois être détournées du circuit des praticiens en soins oculaires et vendues en dehors des voies de commercialisation normales ou l’utilisateur peut continuer de les porter au-delà de la période d’évaluation initiale. Pour remédier à ces problèmes, une inscription (une lettre ou un mot) est apposée sur les lentilles teintées d’essai. Selon une solution de l’art antérieur, l’inscription était apposée dans une position qui pouvait entraver la capacité de l’utilisateur à évaluer l’apparence des lentilles sur l’œil et qui était incompatible avec certains procédés de fabrication. Ainsi, selon la présente demande, il existe un besoin d’apposer sur les lentilles d’essai une inscription qui remédie à ces inconvénients (présente demande, page 1, lignes 16 à 28).

[19]      La présente demande vise des lentilles de contact teintées qui arborent une inscription indiquant qu’il s’agit de lentilles d’essai (présente demande, page 1, lignes 5 à 7). La découverte qui sous-tend la présente demande tient au fait qu’une inscription peut être apposée sur la lentille sans que la présence de cette inscription entrave la capacité de l’utilisateur à évaluer l’apparence de la lentille sur l’œil. L’inscription peut être apposée sur la lentille au moyen de la technologie de tampographie (présente demande, page 2, lignes 8 à 13).

[20]      Il y a 29 revendications au dossier. Les revendications indépendantes 1, 6, 13, 14, 15, 16 et 17 définissent des réalisations de la lentille de contact et les revendications dépendantes 22, 23, 24, 25 et 26 portent sur les méthodes de fabrication correspondantes. À notre avis, la revendication indépendante 1 est représentative de l’ensemble des revendications indépendantes au dossier, car ces dernières définissent toutes un objet semblable à l’objet défini dans la revendication 1 [Traduction] :

Lentille de contact comprenant une zone colorée qui se superpose et correspond substantiellement à l’iris de l’utilisateur lorsque la lentille est portée, et au moins une inscription à l’intérieur d’une section incolore de la zone colorée, l’inscription étant située dans une section qui se trouve substantiellement près de la périphérie de la zone colorée.

 

[21]      Les revendications dépendantes 2 à 5, 7 à 12, 18 à 21 et 27 à 29 définissent des limites supplémentaires relatives au positionnement de l’inscription et à la technologie d’impression.

Interprétation téléologique

[22]      Tous les termes des revendications semblent avoir une signification communément admise. Tous les éléments des revendications sont considérés comme essentiels aux fins de la présente révision.

Évidence

Étape (1)a) de Sanofi — Identifier la personne versée dans l’art

 

[23]      Dans la DF, la personne versée dans l’art a été définie comme suit [Traduction] :

En l’espèce, la personne versée dans l’art fictive est une équipe de concepteurs de lentilles de contact formée de personnes spécialisées dans la conception et la fabrication de lentilles de contact colorées cosmétiques ou esthétiques.

 

[24]      Le Demandeur n’a pas contesté cette définition; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision.

Étape (1)b) de Sanofi — Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[25]      Trois documents d’antériorité ont été cités à la page 2 de la DF :

D1     US 5 059 018              Kanome et coll.           22 octobre 1991

D2     US 5 936 705              Ocampo et coll.           10 août 1999

D3     EP 1 162 493               Atkins et coll.              12 décembre 2001

[26]      À la page 2 de la DF, l’examinateur a répertorié les CGC en citant à l’appui des passages représentatifs de la présente demande et des documents D2 et D3 [Traduction] :

      utilisation de lentilles de contact teintées ou colorées pour modifier la couleur naturelle de l’iris (présente demande, page 1, lignes 10 à 28; D2);

      utilisation de lentilles d’essai ou de lentilles servant à évaluer l’ajustement et l’aspect esthétique (présente demande, page 1, lignes 10 à 28);

      apposition d’une inscription (habituellement une lettre ou un mot) sur les lentilles d’essai, l’inscription servant à indiquer qu’il s’agit de lentilles d’essai (présente demande, page 1, lignes 22 et 23; D3, dans lequel une inscription est positionnée à l’extérieur du motif d’iris coloré de la lentille).

[27]      Le Demandeur n’a pas contesté la définition des CGC; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision.

Étape (2) de Sanofi — Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[28]      À la page 3 de la DF, l’idée originale (le concept inventif) a été définie comme suit [Traduction] :

La présente invention vise une lentille de contact colorée sur laquelle une inscription est apposée dans une section incolore de la zone colorée recouvrant l’iris, l’inscription étant située dans une section qui se trouve à proximité de la périphérie de la zone colorée.

 

[29]      Le Demandeur n’a pas contesté la définition du concept inventif; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision comme étant représentative du concept inventif de l’ensemble des revendications au dossier.

[30]      Les figures 1 et 2 de la présente demande, qui sont des exemples du concept inventif, sont reproduites ci-dessous :

         

[31]      La figure 1 représente une zone colorée 10, une zone ou section centrale transparente 11 et une inscription 12 dans une section de la zone colorée 10 qui est exempte de toute couleur ou formes. La figure 2 représente une autre réalisation de l’invention qui comprend une zone colorée 20, une zone centrale transparente 21, et de multiples inscriptions 22 à l’intérieur de la zone colorée.

Étape (3) de Sanofi – Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

 

[32]      À la page 3 de la DF, il est indiqué que les différences entre l’art antérieur cité et le concept inventif des revendications avaient été établies à la lumière de D1 [Traduction] :

Tel qu’il a été mentionné précédemment dans divers rapports du Bureau et dans la correspondance avec le Demandeur, la différence entre l’état de la technique (représenté par D1) et le concept inventif réside dans le positionnement de l’inscription elle-même par rapport à la zone colorée. Selon le concept inventif de la présente demande, l’inscription est positionnée au niveau de l’iris de l’utilisateur, à l’intérieur d’une section incolore de la zone colorée, à la périphérie de la zone colorée. Dans le cas des lentilles de contact colorées antérieures, l’inscription était apposée par superposition sur la zone colorée en utilisant une couleur plus foncée que celle de la zone colorée ou différente de celle-ci, ou en masquant la lentille de contact avant d’appliquer la couleur de la zone colorée (voir D1 : abrégé et figure 5). D1 divulgue cependant que l’inscription peut être positionnée à la périphérie de la zone colorée (voir D1 : col. 2, lignes 60 à 65).

         

[33]      Dans la RDF, il est indiqué qu’aucun document d’antériorité, y compris les documents D2 et D3, ne divulgue [Traduction] « le positionnement de l’inscription dans une partie incolore de la zone colorée, comme c’est le cas dans les revendications ».

[34]      Nous avons examiné chacun des documents cités. D1 divulgue une lentille de contact comportant une zone colorée circulaire en son centre et une inscription apposée dans la zone colorée (D1, abrégé). L’inscription permet à l’utilisateur de distinguer la lentille droite de la lentille gauche ainsi que la face externe de la face interne de la lentille. Le fait que l’inscription soit positionnée dans la zone colorée rend l’inscription moins visible pour les autres, un avantage par rapport aux lentilles de l’art antérieur (D1, colonne 1, lignes 29 à 31; colonne 4, lignes 56 à 66). La figure 5, qui est citée dans la DF, représente une des réalisations divulguées dans D1, selon laquelle la lentille de contact 1 comporte une zone circulaire 2 en son centre et une inscription 3 :

[35]      Nous convenons que la figure 5 de D1 est la réalisation qui se rapproche le plus des caractéristiques revendiquées, comme indiqué dans la DF. Nous convenons également que le concept inventif des revendications au dossier n’est pas divulgué dans D1, comme indiqué dans la DF et la RDF.

[36]      D2 divulgue une lentille de contact modifiant la couleur qui comporte un motif d’iris fait d’éléments colorés comprenant trois zones annulaires qui entourent une section non opaque destinée à la pupille. Les zones intérieures et extérieures comprennent toutes deux des éléments colorés qui rehaussent ou modifient la couleur des yeux de l’utilisateur, tels qu’ils apparaissent à un observateur ordinaire. Dans la zone intermédiaire, les éléments colorés forment un agencement de macro-stries substantiellement radiales alternant entre stries colorées et stries non colorées (D2, abrégé). D2 divulgue qu’une lentille de contact pourvue de tels éléments colorés rehausse ou modifie la couleur des yeux de l’utilisateur, ajoute de la profondeur et de la texture à l’apparence perçue de l’œil et n’est pas beaucoup plus coûteuse à produire que les lentilles de contact colorées actuelles (D2, colonne 1, lignes 59 à 63).

[37]      Nous soulignons que D2 ne porte pas sur des lentilles d’essai et ne divulgue pas la présence d’une « inscription » sur la lentille de contact au-delà des éléments colorés du motif d’iris. Nous convenons que D2 ne divulgue pas le concept inventif des revendications au dossier, comme indiqué dans la RDF.

[38]      D3 divulgue des lentilles de contact comportant des inscriptions qui identifient les lentilles comme étant des échantillons (D3, abrégé). D3 divulgue les difficultés rencontrées dans le contrôle de la distribution des échantillons et les solutions connues à ce problème. D3 reconnaît la nécessité de décourager la distribution et l’usage non autorisés des échantillons, lequel est largement répandu, tout en permettant aux échantillons de remplir leur fonction prévue, c’est-à-dire permettre aux clients d’essayer les lentilles (D3, par. [0003] à [0005]).

[39]      D3 divulgue une lentille échantillon sur laquelle est imprimé un identificateur d’échantillon; la lentille échantillon est entièrement fonctionnelle, mais ne peut pas être portée dans le cadre d’un usage quotidien ordinaire, car l’identificateur d’échantillon est parfaitement visible pour toute personne regardant l’utilisateur des lentilles échantillons dans les yeux (D3, par. [0006] et [0007]).

[40]      La figure 4 montre l’identificateur d’échantillon divulgué dans D3 :

                                                    

[41]      La figure 4 de D3 représente un identificateur d’échantillon 20 imprimé dans la zone périphérique 18 de la lentille conjointement avec un motif coloré imprimé dans les zones de l’iris 14, 16 de la lentille. L’impression de l’identificateur d’échantillon n’empiète pas sur la zone destinée à la pupille 12 au centre de la lentille ni sur le motif coloré 14, 16 (D3, par. [0012]).

[42]      À notre avis, D3 est le document de l’art antérieur qui se rapproche le plus de la présente demande. D3 vise à résoudre le même problème que celui abordé dans la présente demande. À l’instar de la présente demande, D3 propose d’utiliser une inscription pour indiquer qu’il s’agit d’une lentille d’essai (ou d’un échantillon).

[43]      Nous sommes d’avis que la différence entre D3 et la présente demande réside dans le positionnement de l’inscription sur la lentille. Dans la présente demande, l’inscription est positionnée à l’intérieur d’une section incolore de la zone colorée recouvrant l’iris, cette section incolore étant située à proximité de la périphérie de la zone colorée, comme le montrent les figures 1 et 2 reproduites au par. [30] ci-dessus. Dans D3, l’inscription est positionnée à l’extérieur du motif coloré imprimé dans les zones de l’iris, comme le montre la figure 4 reproduite au par. [40] ci-dessus.

[44]      À la lumière de ce qui précède, nous convenons qu’aucun des documents de l’art antérieur D1, D2 ou D3 cités ne divulgue le concept inventif des revendications au dossier, comme indiqué dans la RDF.

Étape (4) de Sanofi — Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[45]      Aux pages 3 et 4 de la DF, l’examinateur a fait valoir que la différence entre le concept inventif et l’art antérieur cité – le positionnement de l’inscription – est un choix de conception lié à l’aspect esthétique de la lentille et qu’il ne s’agit pas, par conséquent, d’une différence brevetable [Traduction] :

La différence entre le concept inventif et l’état de la technique réside dans le positionnement de l’inscription, lequel est un choix de conception qui ne peut pas être considéré comme une différence brevetable. Les concepts de motif ne sont pas techniques par nature, ils ont seulement pour fonction de fournir de l’information et de présenter un attrait esthétique. Même si l’inscription peut conférer un caractère informatif ou « plus esthétique » à la lentille de contact colorée, il s’agit simplement d’un motif appliqué à la lentille, lequel constitue également un choix de conception fait par la personne versée dans l’art. Dans sa lettre en date du 31 janvier 2013, le Demandeur explique en détail à quel point cette conception particulière est pratique du fait qu’elle entrave moins la capacité de l’utilisateur à évaluer l’apparence de la lentille sur l’œil, tout en décourageant le port de la lentille à long terme, mais cet aspect pratique découle du motif lui-même, et non d’une quelconque caractéristique technique des lentilles.

 

Lorsque les lentilles se retrouvent dans une position qui permet d’apercevoir l’inscription, certains utilisateurs pourraient considérer qu’il n’est pas souhaitable de porter les lentilles pour des raisons purement esthétiques, mais, en dehors de cette considération, il n’y a rien pour dissuader un utilisateur de porter les lentilles. Même si l’apparence de la lentille peut être perçue comme indésirable, la lentille conserve sa fonctionnalité. Une simple « inscription » pourrait même n’avoir aucun effet dissuasif sur un utilisateur, qui pourrait juger que l’inscription n’est pas si visible, voire en apprécier la présence. Il s’agit simplement d’un choix esthétique, de sorte que le concept inventif de la présente demande n’est qu’un choix de conception opéré par la personne versée dans l’art, une simple modification esthétique par rapport aux lentilles de l’art antérieur pourvues d’inscriptions ayant simplement pour but de transmettre de l’information (l’inscription indique qu’il s’agit d’un modèle d’essai, par exemple). L’inscription et son positionnement peuvent présenter des avantages par rapport à un choix de conception différent, mais ne peuvent pas être considérés comme une caractéristique technique. L’inscription présente sur la lentille peut avoir un but fonctionnel, c’est-à-dire conférer une « apparence » indésirable à la lentille, mais il ne s’agit pas d’une caractéristique technique constituant un objet brevetable.

 

Le fait de placer une inscription à l’intérieur et à la périphérie de la zone colorée d’une lentille de contact est quelque chose qui a déjà été fait dans D1 (voir la figure 5 et la col. 1, aux lignes 42 à 45 et la col. 2, aux lignes 60 à 65). D1 enseigne également d’utiliser l’inscription elle-même pour créer des « manques » dans la zone colorée en masquant la lentille avant d’appliquer la couleur de la zone colorée (voir la col. 1, aux lignes 50 à et 62 à 66; et la col. 3, aux lignes 14 à 17). Le fait de ne pas colorer une partie de la zone colorée afin de rendre l’inscription plus visible est considéré comme un choix de conception fait par la personne versée dans l’art, lequel aurait, par conséquent, été évident pour la personne versée dans l’art. (non souligné dans l’original)

 

[46]      La conclusion exposée dans la DF semble être fondée sur les principes directeurs énoncés dans le RPBB en ce qui concerne les « caractéristiques présentant un intérêt exclusivement intellectuel ou esthétique » et les « imprimés ». Les sections 12.03.05 et 12.03.06 (révisées en novembre 2017) du RPBB indiquent ce qui suit :

12.03.05 Caractéristiques présentant un intérêt exclusivement intellectuel ou esthétique

 

Les caractéristiques d’une invention présentant un intérêt exclusivement intellectuel ou esthétique sont considérées, sur le plan pratique, comme ne pouvant pas influencer le fonctionnement de l’invention. Ces caractéristiques ne peuvent pas modifier le mode de fonctionnement de la forme pratique de l’invention qui constitue la solution au problème.

 

Dans le cas où l’invention semble viser un objet présentant un intérêt exclusivement intellectuel ou esthétique, la revendication est irrégulière au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets[86].

 

Dans le cas d’une invention où la solution à un problème pratique nécessite l’obtention d’un résultat ou d’un effet présentant un intérêt exclusivement intellectuel ou esthétique, le fait que la finalité de l’invention soit de produire un résultat ou un effet non prévu par la Loi n’a pas d’incidence sur la brevetabilité de l’invention[87]. Dans de tels cas, la forme pratique de l’invention ne réside pas exclusivement dans son intérêt intellectuel ou esthétique puisque la solution à un problème pratique donne lieu à une nouvelle fonctionnalité.

 

12.03.06 Imprimés

 

Les imprimés d’intérêt purement intellectuel ou esthétique, comme une œuvre littéraire, sont exclus de toute brevetabilité pour les raisons énoncées en 12.03.05. Cependant, dans le cas où l’imprimé confère une nouvelle fonctionnalité au support sur lequel il est imprimé, une revendication de cet objet peut être considérée comme prévue par la Loi. Pour que l’imprimé et le support soient considérés comme une forme pratique d’une invention, ils doivent apporter une solution à un problème pratique relié à l’utilisation de l’imprimé en général, qui ne soit pas fondée sur le contenu exclusivement intellectuel ou esthétique de l’imprimé lui-même.

 

À titre d’exemple, le commissaire aux brevets a confirmé que chacun des éléments suivants était brevetable : un matériel textile portant des repères permettant une précision accrue au cours d’un procédé de fabrication[88], une mise en page de journal où des blancs sont prévus pour faciliter la lecture du journal lorsqu’il est plié, une mise en page de texte sur une suite de pages pour faciliter le processus de reliure et la présentation d’un texte sur un billet qui permet au billet d’être divisé soit horizontalement, soit verticalement de manière que tous les renseignements figurent sur les deux moitiés[89].

 

Dans chacun des exemples précédents, l’imprimé a conféré à la combinaison une nouvelle fonctionnalité mécanique. L’invention ne reposait pas sur le contenu même de l’imprimé. Dans le cas où l’imprimé ne présente qu’un intérêt intellectuel ou esthétique, il peut être désigné par l’appellation commode d’« objet descriptif non fonctionnel ».

 

[47]      La première question à trancher dans le cadre de la présente demande est de savoir si l’inscription apporte une nouvelle limite fonctionnelle lorsqu’elle est utilisée conjointement avec la lentille de contact de base, par opposition à la signification intellectuelle, littéraire ou artistique de l’inscription elle-même.

[48]      Comme nous l’avons mentionné précédemment, la position défendue dans la DF est que le positionnement de l’inscription est un choix de conception lié à l’aspect esthétique de la lentille et qu’il ne s’agit pas, par conséquent, d’une différence brevetable.

[49]      Dans la correspondance qu’il a adressée à l’examinateur, le Demandeur a fait valoir que les revendications remédient à un problème technique (réponse du Demandeur au rapport du Bureau, en date du 31 janvier 2013) [Traduction] :

Les présentes revendications remédient au problème technique lié à la nécessité d’apposer sur une lentille une inscription qui soit suffisamment visible pour décourager le port prolongé de la lentille, sans toutefois entraver la capacité de l’utilisateur à évaluer l’apparence de la lentille sur l’œil à court terme.

 

[50]      De plus, à la page 3 de la RDF, le Demandeur a fait valoir que l’inscription constitue une caractéristique technique [Traduction] :

L’examinateur soutient que l’apparence de l’inscription sur la lentille n’est pas une caractéristique technique. Le Demandeur n’est pas de cet avis. L’examinateur concède que l’utilisateur peut plus facilement identifier la lentille comme étant une lentille de diagnostic ou d’« essai ». Cet avantage, qui est obtenu grâce à la disposition physique de l’inscription sur la lentille, est une caractéristique technique qui engendre un avantage concret. Le Demandeur allègue respectueusement que la question de savoir si, dans les faits, une personne ayant identifié la lentille comme étant une lentille d’essai modifierait son comportement en conséquence (une question à laquelle l’examinateur semble accorder passablement d’importance) est non pertinente. L’avantage technique que constitue une identification facile est obtenu de toute façon.

 

[51]      À notre avis, l’inscription confère une nouvelle limite fonctionnelle à la lentille de contact, c’est-à-dire que l’inscription est suffisamment visible pour décourager le port prolongé de la lentille, sans toutefois entraver la capacité de l’utilisateur à évaluer l’apparence de la lentille sur l’œil. L’inscription possède donc une utilité concrète, et non pas simplement une signification intellectuelle, littéraire ou artistique.

[52]      La seconde question à trancher dans le cadre de la présente demande est de savoir si la différence entre l’art antérieur et le concept inventif des revendications constitue une étape qui aurait été évidente.

[53]      À la page 3 de la RDF, le Demandeur fait valoir que les documents D1 et D3 n’orientent pas le lecteur vers l’invention revendiquée [Traduction] :

D1 (colonne 2, lignes 64 et 65; et colonne 4, lignes 63 à 66) indique clairement qu’il est souhaitable que l’inscription soit apposée dans la partie centrale colorée de la lentille, afin que [Traduction] « une autre personne ne puisse pas facilement repérer les inscriptions ». Cet enseignement est contraire au but et à la fonction technique mêmes des présentes revendications, qui consistent à rendre l’inscription visible pour les autres afin d’encourager un port de courte durée.

 

Dans D3, les inscriptions sont positionnées sur une partie de la lentille qui recouvre le blanc de l’œil. Au paragraphe [0006] de D3, il est indiqué que « la plupart des lentilles de contact colorées sont colorées dans la zone qui se superpose à l’iris de l’œil de l’utilisateur. L’identificateur d’échantillon est donc bien plus visible lorsqu’il est imprimé à la périphérie de la lentille, c’est-à-dire dans la section comprise entre le bord externe de la lentille et la zone qui se superpose à l’iris de l’œil de l’utilisateur ». L’intention formulée dans D3 est claire : il s’agit de positionner l’inscription à l’extérieur de la zone colorée afin que l’inscription « demo » soit visible d’emblée, même lors de la première utilisation des lentilles.

 

Là encore, cet enseignement est contraire au but et à la fonction technique des présentes revendications, qui consistent à ne pas entraver la capacité de l’utilisateur à évaluer l’apparence de la lentille sur l’œil, au moins lors de l’utilisation initiale.

 

[54]      Nous souscrivons aux observations que le Demandeur a formulées dans la RDF au sujet de D1, car ce document indique explicitement que le but est de rendre l’inscription imperceptible, ce dont témoigne clairement la figure 5 de D1 reproduite ci-dessus. D1 n’oriente pas du tout le lecteur vers le concept inventif de l’objet revendiqué dans la présente demande.

[55]      En ce qui a trait aux observations du Demandeur concernant D3, nous avons souligné ci-dessus que D3 remédie au même problème que celui abordé dans la présente demande et enseigne à la personne versée dans l’art de positionner l’inscription à l’extérieur de la zone colorée. Par conséquent, nous sommes d’avis qu’il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art de positionner l’inscription à l’intérieur d’une section incolore de la zone colorée recouvrant l’iris.

[56]      Enfin, nous considérons que les CGC n’auraient pas permis de combler l’écart entre le concept inventif des revendications au dossier et les enseignements contenus dans les documents de l’art antérieurs cités. À l’étape 3 de Sanofi ci-dessus, notre analyse a révélé qu’aucun des documents de l’art antérieur ne divulgue le concept inventif des revendications au dossier. Les CGC recensées ci-dessus au par. [26] montrent que la personne versée dans l’art connaissait, tout au plus, la pratique consistant à positionner une inscription à l’extérieur du motif coloré de l’iris sur une lentille d’essai.

[57]      À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que les revendications 1 à 29 au dossier n’auraient pas été évidentes et que, par conséquent, elles sont conformes à l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets.

Incorporation par renvoi

 

[58]      Il est indiqué à la page 4 de la DF que la description contient un énoncé qui incorpore d’autres documents par renvoi (présente demande, page 9, ligne 20) et qu’elle est, de ce fait, non conforme au paragraphe 81(1) des Règles sur les brevets. Nous sommes du même avis.

[59]      Conjointement avec la RDF, une nouvelle page 9 de la description a été soumise pour remédier à cette irrégularité. Nous convenons que la nouvelle page 9 proposée remédie à cette irrégularité.

[60]      À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que la nouvelle page 9 de la description soumise conjointement avec la lettre en date du 25 février 2015 remédie à l’irrégularité liée à l’incorporation par renvoi et qu’elle constitue, par conséquent, une modification qui est « nécessaire » aux termes du paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

Conclusions

[61]      La présente révision a permis de déterminer que les revendications 1 à 29 au dossier n’auraient pas été évidentes et que, par conséquent, elles sont conformes à l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets.

[62]      En outre, nous avons déterminé que la description au dossier incorpore un autre document par renvoi et qu’elle est, de ce fait, non conforme au paragraphe 81(1) des Règles sur les brevets.

[63]      Nous avons également déterminé que la nouvelle page 9 de la description soumise conjointement avec la lettre en date du 25 février 2015 remédie à l’irrégularité liée à l’incorporation par renvoi et qu’elle constitue, par conséquent, une modification déterminée qui est « nécessaire » aux termes du paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets.

Recommandation de la Commission

[64]      Compte tenu de ce qui précède, nous recommandons que le Demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, que la suppression de la page 9 de la description au dossier et son remplacement par la nouvelle page 9 de la description soumise conjointement avec la lettre du 25 février 2015 sont « nécessaires » pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 

 

 

 

Lewis Robart                       Marcel Brisebois                           Paul Fitzner

Membre                                Membre                                         Membre

 


 

Décision de la commissaire

[65]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation du Comité. Conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le Demandeur que la modification suivante, et uniquement cette modification, doit être apportée conformément à l’alinéa 31b) des Règles sur les brevets, dans les trois (3) mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends rejeter la demande :

      supprimer la page 9 de la description au dossier et la remplacer par la nouvelle page 9 de la description proposée dans la lettre du 25 février 2015.

 

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 25ejour de 2019

 



[86] Réf. demande no 44 282 de Leubs (1971) DC 80 (à l’égard de panneaux de bois où la nouveauté réside dans des dessins gravés particuliers); Réf. demande no 245 995 pour la conception architecturale d’une maison de ville [(1979) DC 605, 53 CPR (2nd) 211 (CAB)] (à l’égard de plans ou dessins d’architecture); Réf. demande 040 799 de Cowan (1971) DC 79.; Lawson c. Commissaire des brevets [(1970), 62 CPR (1st) 101 (C. de l’Éch.)]

 

[87] Réf. demande no 565 417 de Pilot Ink Co. [(1997) DC 1224, 86 CPR (3rd) 66 (CAB)].

[88] Réf. demande no 996 098 de Boussac (1973) DC 143

[89] Réf. demande no 159 204 de Dixon [(1978 DC 493, 60 CPR (2nd), 105 (CAB], le commissaire a cité en les approuvant les conclusions dégagées dans deux décisions du Royaume-Uni, Cooper’s Application [(1902) 19 RPC 53] et Fishburn’s Application [(1940) 57 RPC 245]

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