Brevets

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Décision du commissaire no 1477

Commissioner’s Decision No. 1477

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS :       J00 Signification de la technique

                       J50 Simple plan

                                                                                              

TOPICS:        J00 Meaning of Art

                       J50 Mere plan

                                                                                              

 

 

 

 

 

 

 

         

 

           

Demande no 2 425 049

    Application No. 2,425,049


 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets (DORS/96-423), la demande de brevet numéro 2 425 049 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission d’appel des brevets ainsi que la décision de la commissaire sont de rejeter la demande.

 

 

 

 

Agent du Demandeur

 

BORDEN LADNER GERVAIS LLP

World Exchange Plaza

100, rue Queen, bureau 1300

OTTAWA (Ontario) K1P 1J9

 

 

 

 

                                                                                                                                        

 

                                                                                                  

 


INTRODUCTION

[1]          La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet canadienne refusée no 2 425 049, qui est intitulée « NÉGOCE INFORMATISÉ D’INTÉRÊTS FINANCIERS » et inscrite au nom de Bloomberg L.P. (le Demandeur). La Commission d’appel des brevets (« la Commission ») a procédé à une révision de la demande refusée conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets.

[2]          Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons à la commissaire aux brevets de rejeter la demande.

CONTEXTE

 

La demande

[3]          La demande a été déposée le 30 août 2001 en vertu des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets et a été mise à la disponibilité du public le 7 mars 2002.

[4]          De façon générale, la demande porte sur une méthode, un programme d’ordinateur et un système informatique de négociation d’intérêts financiers qui établit un lien entre une transaction de vente aux enchères projetée à l’égard d’un intérêt financier donné et une transaction de vente hors enchères projetée à l’égard du même intérêt financier.

Historique de la poursuite

[5]          Le 21 avril 2016, une décision finale (DF) a été délivrée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. La DF indiquait que la demande était irrégulière au motif que toutes les revendications au dossier visaient un objet non prévu par la Loi et étaient, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[6]          Dans une réponse à la DF (RDF) en date du 5 octobre 2016, le Demandeur a présenté des arguments à l’appui de sa position selon laquelle les revendications sont conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le Demandeur n’a soumis aucune modification proposée.

[7]          En dépit des arguments présentés dans la RDF, l’examinateur a jugé que la demande n’était pas conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. La demande a donc été transmise à la Commission pour révision, accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs (RM), conformément au paragraphe 30(6)c) des Règles sur les brevets. Le RM indiquait que les revendications au dossier étaient toujours considérées comme irrégulières parce qu’elles visent un objet non prévu par la Loi.

[8]          Dans une lettre en date du 13 mars 2017, la Commission a transmis une copie du RM au Demandeur. Dans une lettre en date du 24 avril 2017, le Demandeur a indiqué qu’il souhaitait toujours que la Commission procède à une révision de la demande.

[9]          Le présent comité (le Comité) a été constitué dans le but de procéder à la révision de la présente demande en vertu de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Le 27 novembre 2018, le Comité a envoyé une lettre de révision préliminaire (RP) au Demandeur.

[10]      Dans une pièce de correspondance reçue le 19 décembre 2018, le Demandeur a indiqué qu’il ne souhaitait pas qu’une audience soit tenue. Dans une autre pièce de correspondance, reçue le 27 décembre 2018, le Demandeur a indiqué qu’il n’entendait pas présenter d’observations écrites supplémentaires. Le Comité a donc préparé la présente recommandation en se fondant sur le dossier écrit actuel, y compris la Lettre de RP.

QUESTION

[11]      L’unique question à trancher dans le cadre de la présente révision est celle de savoir si les revendications 1 à 9 au dossier visent un objet qui est exclu de la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

PRINCIPES JURIDIQUES ET PRATIQUE DU BUREAU

Interprétation téléologique

[12]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé, 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool c. Camco, 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52). Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [RPBB] révisée en juin 2015, la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art (PVA) et ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution présentée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, telle qu’elle est revendiquée.

Objet non prévu par la Loi

[13]      La définition d’« invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[14]      L’énoncé de pratique PN2013–03, intitulé « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » [PN2013–03] apporte des précisions quant à l’approche utilisée par le Bureau des brevets pour déterminer si une invention mise en œuvre par ordinateur constitue un objet prévu par la Loi.

[15]      Tel qu’il est indiqué dans l’énoncé de pratique PN2013–03, lorsqu’il appert qu’un ordinateur constitue un élément essentiel d’une revendication interprétée, l’objet revendiqué sera généralement prévu par la Loi. En revanche, s’il appert que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent à de la matière exclue de la définition d’invention (p. ex., les beaux-arts, une simple idée, un schéma, une série de règles, etc.), l’objet revendiqué ne sera pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

ANALYSE

La PVA et les CGC pertinentes

[16]      Dans la DF, l’examinateur a défini la PVA comme une personne ou une équipe travaillant dans le domaine des systèmes de négociation électroniques. Le Demandeur n’a pas contesté cette définition dans la RDF. Nous avons adopté cette définition dans la Lettre de RP et nous l’adoptons également aux fins de la présente révision.

[17]      Dans la Lettre de RP, nous avons indiqué ce qui suit en ce qui concerne les CGC pertinentes [Traduction] :

D’après le contexte de la présente demande (pages 1 et 2) et les énoncés contenus dans la description indiquant que de nombreux systèmes informatiques classiques pourraient être utilisés pour mettre en œuvre l’invention présumée (page 13, lignes 17 à 23; page 15, lignes 27 à 31; page 19, lignes 1 à 7), et compte tenu du peu de détail fourni quant à la façon de mettre en œuvre le système informatique ou du fait que cette mise en œuvre ne semble pas constituer un défi, nous sommes d’avis que les CGC de la PVA comprendraient les suivantes :

      la vente aux enchères et la vente directe de titres financiers, y compris d’obligations;

      l’historique de l’évolution des méthodes de négociation et, en particulier, du remplacement des méthodes manuelles telles que le téléphone et le télécopieur par des méthodes électroniques;

      l’utilisation de systèmes de négociation électroniques, y compris pour la négociation d’obligations, afin d’automatiser et d’accélérer le processus de négociation; et

      la programmation de règles commerciales à l’intérieur de systèmes de négociation électroniques.

[18]      La définition des CGC reproduite ci-dessus n’a pas non plus été contestée par le Demandeur; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision.

Problème et solution

[19]      Comme nous l’avons indiqué dans la Lettre de RP, nous sommes d’avis que la PVA considérerait que le problème que l’invention présumée vise à résoudre est le besoin de disposer de fonctionnalités améliorées pour la négociation d’intérêts financiers et, plus particulièrement, de règles permettant de relier des transactions de vente aux enchères et des transactions de vente hors enchères.

[20]      Comme nous l’avons indiqué dans la Lettre de RP, nous sommes d’avis que la PVA considérerait que la solution apportée par l’invention présumée prend la forme de nouvelles règles pour l’exécution d’une transaction de vente aux enchères projetée et d’une transaction de vente hors enchères projetée à l’égard d’au moins un intérêt financier.

[21]      Dans la RDF, le Demandeur a affirmé que le problème était indissociable de l’utilisation d’ordinateurs. Le Demandeur a invoqué un manque de données de marché en temps réel. Or, il n’est nulle part fait mention d’un problème de données en temps réel dans la description. Qui plus est, les systèmes de négociation électroniques faisaient déjà partie des CGC; par conséquent, comme nous l’avons indiqué dans la Lettre de RP, nous sommes d’avis que le problème auquel les inventeurs étaient confrontés n’était pas le besoin de conférer aux systèmes de négociation une fonction de traitement en temps réel, mais le besoin de disposer de nouvelles règles quant à la façon de relier une négociation aux enchères et une négociation hors enchères.

Éléments essentiels

[22]      Les revendications indépendantes 1, 4 et 7 visent respectivement une méthode, un produit programme d’ordinateur et un système informatique, mais énoncent les mêmes éléments. Notre analyse est axée sur la revendication 1, qui est représentative de ces revendications.

[23]      Comme nous l’avons indiqué dans la Lettre de RP, nous sommes d’avis que les éléments de la revendication 1 qui sont essentiels à la mise en œuvre de la solution mentionnée ci-dessus sont les suivants :

         recevoir les conditions d’une vente aux enchères projetée à l’égard d’au moins un intérêt financier, ainsi que l’échéance pour prendre une décision quant à la vente aux enchères projetée;

         recevoir les conditions d’une vente hors enchères projetée à l’égard du même intérêt financier, sachant que la transaction hors enchères projetée à l’égard du même intérêt financier n’est pas divulguée aux parties à la vente aux enchères en tant qu’inscription à la vente aux enchères avant l’échéance; et

         après l’échéance, prendre une décision quant à la vente aux enchères projetée en tenant compte de la transaction hors enchères projetée en tant qu’inscription si l’article mis en vente hors enchères demeure inscrit dans le cadre de la vente aux enchères projetée une fois l’échéance passée.

[24]      Dans la RDF, le Demandeur a essentiellement prétendu que les lignes directrices appliquées par le Bureau des brevets aux fins de l’interprétation téléologique sont invalides. Plus particulièrement, le Demandeur a affirmé que les éléments informatiques sont essentiels selon l’intention de l’inventeur.

[25]      Tel qu’il est expliqué à la section 13.05.02c du RPBB, les éléments ayant un effet substantiel sur le fonctionnement d’une réalisation pratique donnée ne sont pas nécessairement tous essentiels à la solution; certains des éléments mentionnés définissent le contexte ou l’environnement de la réalisation, mais dans les faits ne modifient pas la nature de la solution. L’interprétation téléologique doit donc avoir pour but de déterminer les éléments qui doivent obligatoirement être présents pour que la solution — qui est présentée dans le mémoire descriptif et sous-tend la réalisation proposée — puisse avoir l’effet escompté.

[26]      Le Bureau des brevets considère que sa pratique est conforme aux principes directeurs énoncés dans Canada (AG) c. Amazon.com, 2011 CAF 328 [Amazon.com]. Nous soulignons que le fait de considérer que tous les éléments mentionnés dans une revendication sont essentiels selon l’intention de l’inventeur équivaudrait à faire une interprétation littérale. Au paragraphe 44 d’Amazon.com, la Cour a indiqué ce qui suit :

Une interprétation téléologique nécessite que le commissaire soit attentif à la possibilité qu’une revendication du brevet puisse être exprimée dans un langage qui soit trompeur, de manière délibérée ou par inadvertance. Par exemple, ce qui à première vue semble être la revendication d’une « réalisation » ou d’un « procédé » peut, dans le cadre d’une interprétation appropriée, constituer la revendication d’une formule mathématique et, par conséquent, ne pas constituer un objet brevetable.

[27]      Puisque nous avons déterminé que les éléments informatiques ne sont pas essentiels, les seuls éléments essentiels restants sont les règles servant à relier les transactions. En utilisant le langage d’Amazon.com, nous sommes d’avis que les éléments essentiels de la revendication 1 ne constituent pas une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou changement discernable (Amazon.com au paragraphe 66). Il s’agit simplement de règles qui régissent l’exécution de transactions et aucun résultat physique ne découle directement de la mise en application de ces règles. Tel qu’il est indiqué dans Re Demande de brevet d’IGT 2 237 438 (2013), DC 1346 (Commission d’appel des brevets et commissaire aux brevets) au paragraphe 78, de telles règles sont abstraites par nature. Les idées abstraites ne satisfont pas au critère de la présence physique. Cette matière n’entre dans aucune des catégories d’invention prévues à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[28]      Notre analyse ci-dessus s’applique également aux revendications indépendantes 4 et 7, qui visent respectivement un produit programme d’ordinateur et un système informatique, mais qui comprennent les mêmes éléments essentiels.

[29]      Quant aux revendications dépendantes 2, 3, 5, 6, 8 et 9, les éléments supplémentaires qu’elles contiennent servent seulement à préciser davantage le type d’intérêts financiers visé par les négociations. Aucun de ces éléments supplémentaires ne constitue un objet prévu par la Loi.

CONCLUSIONS

[30]      Nous avons déterminé que les revendications 1 à 9 visent un objet non prévu par la Loi et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

[31]      Nous recommandons à la commissaire aux brevets de rejeter la présente demande au motif que les revendications au dossier visent un objet non prévu par la Loi et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

Howard Sandler                              Charles Mougeot                             Lewis Robart

Membre                                            Membre                                            Membre


 

DÉCISION

[32]      Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande au motif que les revendications au dossier visent un objet non prévu par la Loi et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[33]      En conséquence, conformément à l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le Demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 25e  jour de février 2019.

 

 

 

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