Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Décision du commissaire no 1468

Commissioner’s Decision #1468

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS : F00 Nouveauté; O00 Évidence; C00 Caractère adéquat ou inadéquat de la description; K10 Matières vivantes (animaux, plantes, graines, sperme); B00 Caractère ambigu ou indéfini

 

TOPICS: F00 Novelty; O00 Obviousness; C00 Adequacy or Deficiency of Description; K10 Living Things (Animals, Plants, Seeds, Sperm); B00 Ambiguity or Indefiniteness

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 255 606

Application No.: 2,255,606

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets [DORS/96-423], la demande de brevet numéro 2 255 606 a subséquemment fait l’objet d’une révision conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire accepte la demande à la condition que certaines revendications soient supprimées.

 

 

 

 

Agent du demandeur

 

FETHERSTONAUGH & CO.

Case postale 2999

Ottawa (Ontario) K1P 5Y6

 


Table des matières

 

Introduction. - 7 -

Historique de la procédure. - 7 -

Principes juridiques et pratique du Bureau des brevets. - 10 -

Interprétation des revendications. - 10 -

Antériorité. - 10 -

Évidence. - 11 -

Description et caractère réalisable. - 12 -

Omission d’un élément essentiel, absence d’utilité et portée excessive. - 13 -

Fondement littéral - 15 -

Manque de clarté. - 15 -

Procédés de sélection végétale classique. - 16 -

Revendications d’« utilisation » et objet brevetable. - 16 -

Paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets. - 18 -

Analyse. - 18 -

Interprétation des revendications. - 18 -

La personne versée dans l’art - 18 -

Les connaissances générales courantes. - 18 -

Le problème abordé dans la demande. - 20 -

La solution proposée. - 22 -

Les revendications. - 23 -

Terminologie des revendications. - 24 -

Les éléments essentiels des revendications. - 26 -

Antériorité. - 27 -

Évidence. - 31 -

Identifier la « personne versée dans l’art » et les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne. - 31 -

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation  - 31 -

Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation. - 32 -

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?. - 34 -

Description des « plants descendants ». - 37 -

Caractère réalisable des « plants descendants ». - 40 -

Omission d’un élément essentiel, absence d’utilité et portée excessive. - 45 -

Non-conformité de la revendication 3 avec le paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets  - 47 -

Fondement littéral - 48 -

Manque de clarté. - 49 -

Non-conformité de la revendication 1 avec l’article 2 de la Loi sur les brevets. - 51 -

Modifications proposées aux revendications. - 52 -

Conclusions. - 53 -

Recommandation de la Commission. - 54 -

Décision du commissaire. - 55 -

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

[1]          La présente recommandation concerne la révision du refus de la demande de brevet numéro 2 255 606 intitulée « Composées aphidorésistantes ». Le demandeur est Rijk Zwaan Zaadteelt en Zaadhandel B.V.

 

[2]          La demande a trait à des plants de laitue résistants à de petits insectes nuisibles connus sous le nom de pucerons. Elle a été refusée à l’étape de l’examen en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets pour plusieurs raisons. La Commission d’appel des brevets (« la Commission ») a donc procédé à une révision de la demande refusée, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets.

 

[3]          Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons que la demande soit acceptée, à la condition que certaines revendications soient supprimées.

 

Historique de la procédure

 

[4]          La demande a été déposée au Canada le 4 juin 1997 et mise à la disponibilité du public le 11 décembre 1997. L’examen s’est soldé par la délivrance d’une décision finale (« DF ») en date du 21 novembre 2013. Plusieurs motifs de refus ont été énoncés dans la DF, y compris les suivants : absence de nouveauté, évidence, divulgation insuffisante, caractère non réalisable, portée excessive, absence de fondement et manque de clarté. La réponse du demandeur (« R-DF ») en date du 14 mai 2015 n’ayant pas convaincu l’examinateur que la demande était en état d’être acceptée, un résumé des motifs (« RM ») a été préparé et la demande a été transférée à la Commission pour révision.

 

[5]          Dans une lettre d’accusé de réception en date du 15 juillet 2016, la Commission a informé le demandeur qu’elle avait bien reçu le dossier et a transmis à ce dernier une copie du RM. Le présent comité a alors été constitué dans le but de procéder à une révision de la demande au nom de la commissaire aux brevets, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Dans une Lettre de révision préliminaire en date du 27 mars 2018 (la Lettre de RP), nous avons informé le demandeur que nous étions d’avis, à titre préliminaire, que le refus de la demande pour les motifs indiqués dans la DF et dans le RM n’est pas justifié. Toutefois, conformément au paragraphe 30(6.1) des Règles sur les brevets, nous avons relevé deux nouvelles irrégularités concernant deux des revendications au dossier. Nous avons invité le demandeur à présenter des observations écrites en réponse à la Lettre de RP et lui avons offert de participer à une audience dans la présente affaire.

 

[6]          Le demandeur a répondu à notre Lettre de RP le 11 avril 2018. Aucune observation n’a été présentée à l’égard de nos opinions préliminaires concernant les questions énoncées dans la DF et le RM, ni à l’égard des deux nouvelles irrégularités relevées. En guise de réponse, le demandeur a simplement soumis un ensemble de revendications proposées dans lequel les deux revendications désignées comme étant irrégulières avaient été supprimées, rendant ainsi la demande conforme à la Loi et aux Règles. Le demandeur a également indiqué qu’il ne souhaitait pas participer à une audience.

 

[7]          Notre révision finale de la demande est présentée ci-dessous.

 

Questions

 

[8]          Conformément à la version des Règles sur les brevets qui était en vigueur au moment où la DF a été rédigée, les revendications au dossier qui sont visées par la présente révision sont celles contenues dans le nouvel ensemble de revendications que le demandeur a soumis conjointement avec la R-DF. Les questions examinées dans le cadre de la présente recommandation sont celles désignées dans la DF et le RM comme se rapportant aux anciennes revendications 2 à 6; elles ont été prises en considération dans la mesure où elles s’appliquent également aux revendications essentiellement similaires qui figurent maintenant au dossier :

 

(1)   l’objet des revendications a été divulgué antérieurement et est, par conséquent, antériorisé en contravention de l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets;

(2)   l’objet des revendications aurait été évident pour la personne versée dans l’art, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets;

(3)   le mémoire descriptif n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)a) de la Loi sur les brevets parce qu’il ne divulgue pas suffisamment les « plants descendants »;

(4)   le mémoire descriptif n’est pas conforme à l’alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets parce qu’il ne confère pas aux « plants descendants » un caractère réalisable;

(5)   un élément essentiel est absent de la revendication 2 au dossier, ce qui rend cette dernière irrégulière pour absence d’utilité au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets et pour portée excessive au titre de l’article 84 des Règles sur les brevets;

(6)   les revendications ne sont pas entièrement fondées sur la description et ne sont pas conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets parce que certains des termes employés dans les revendications sont absents du mémoire descriptif tel qu’il a été déposé;

(7)   les revendications manquent de clarté, en contravention du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, parce qu’elles n’indiquent pas ce qu’engloberait un plant « descendant » mentionné dans les revendications.

 

[9]          Conformément au paragraphe 30(6.1) des Règles sur les brevets, la présente recommandation porte également sur les deux nouvelles irrégularités que nous avons signalées dans la Lettre de RP :

 

(1)   l’objet défini par la revendication 1 au dossier n’entre pas dans la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets;

(2)   la revendication 3 n’est pas conforme au paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets.

 

Principes juridiques et pratique du Bureau des brevets

 

Interprétation des revendications

 

[10]      Dans un brevet délivré, les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications. Cet exercice est effectué du point de vue de la personne versée dans l’art à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins : Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66; Whirlpool Corp c. Camco Inc., 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52. De façon similaire, tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [RPBB], la première étape de l’interprétation téléologique des revendications d’une demande de brevet consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée.

 

Antériorité

 

[11]      L’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets énonce l’exigence selon laquelle l’objet d’une revendication ne doit pas avoir été divulgué par un tiers avant la date de la revendication :

 

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[12]      Pour satisfaire au critère en deux volets relatif à l’antériorité, un document de l’art antérieur doit, à lui seul, 1) contenir une divulgation antérieure de l’objet revendiqué; et 2) permettre à une personne versée dans l’art de réaliser cet objet : Apotex Inc c. Sanofi Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, aux paragraphes 24 à 29 [Sanofi].

 

Évidence

 

[13]      L’article 28.3 de la Loi sur les brevets exige que l’objet d’une revendication ne soit pas évident à la date pertinente :

 

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard, de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[14]      Dans Sanofi, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il est utile, pour évaluer l’évidence, de suivre la démarche en quatre étapes présentée ci-dessous :

 

(1)a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

   b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

Description et caractère réalisable

 

[15]      Les alinéas 27(3)a) et b) de la Loi exigent respectivement que le mémoire descriptif d’un brevet 1) décrive l’invention, et 2) expose les étapes permettant de réaliser et d’utiliser l’invention :

 

Le mémoire descriptif doit :

(a)    décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(b)   exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention.

 

[16]      Pour déterminer si le mémoire descriptif est conforme aux alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi, il importe de répondre aux trois questions suivantes : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne-t-elle? La personne versée dans l’art qui ne dispose que du mémoire descriptif peut-elle réaliser l’invention à la seule lumière des instructions contenues dans la divulgation? Voir : Teva Canada Ltd c. Novartis AG, 2013 CF 141 citant Teva Canada Ltd c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60 et Consolboard c. MacMillan Bloedel, [1981] 1 RCS 504, à la p. 526. Pour que l’on puisse répondre par l’affirmative à la troisième question, la personne versée dans l’art ne doit pas avoir à faire preuve d’inventivité ni à se lancer dans une expérimentation excessive : Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283; Mobil Oil Corp c. Hercules Canada Inc., [1995] ACF. no 1243; Merck & Co c. Apotex Inc., [1995] 2 CF 723.

 

[17]      La présente invention repose sur deux lignées végétales déposées sous la forme de semences auprès d’une autorité de dépôt internationale. Selon le paragraphe 38.1(1) de la Loi, les matières biologiques déposées sont réputées faire partie du mémoire descriptif, et il en est tenu compte, dans la mesure où les conditions visées au paragraphe 27(3) ne peuvent être autrement remplies, pour la détermination de la conformité du mémoire à ce paragraphe.

 

[18]      Il est précisé à l’article 38.1(2) de la Loi que la mention d’un dépôt de matières biologiques n’a pas pour effet de faire du dépôt de matières biologiques une condition à remplir pour assurer la conformité au paragraphe 27(3).

 

[19]      La décision du commissaire dans Re Demande no 2 705 008 de Nunhems BV (DC 1386) est particulièrement pertinente dans le cadre de la présente révision, car cette affaire portait également sur la question du caractère réalisable de plants, et de leurs cellules, descendants de lignées déposées. Dans cette décision, la Commission a indiqué aux paragraphes 60 à 65 que le mémoire descriptif rendait réalisables les cellules de ces plants par la description de méthodes de sélection fiables et prévisibles qui fourniraient à la personne versée dans l’art une divulgation lui permettant d’obtenir des plants descendants, et par extension, des cellules de ces plants. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission a tenu compte du fait que le fondement génétique du caractère d’intérêt dans cette affaire était simple, car attribuable à un seul gène hérité et traçable de manière prévisible.

 

Omission d’un élément essentiel, absence d’utilité et portée excessive

 

[20]      L’article 2 de la Loi indique qu’une invention doit être « utile » : invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. L’article 84 des Règles est ainsi libellé : « Les revendications sont claires et concises et se fondent entièrement sur la description, indépendamment des documents mentionnés dans celle-ci ».

 

[21]      Bien que l’article 2 de la Loi et l’article 84 des Règles soient mentionnés dans le RM comme étant les dispositions législatives pertinentes, l’allégation qui est formulée en l’espèce est que les revendications comprennent un objet dépourvu d’utilité en raison de l’omission d’un élément essentiel et que, de ce fait, elles ont également une portée excessive. Cette allégation fait intervenir, en tant que considération juridique pertinente, la doctrine des « revendications ayant une portée plus large que l’invention décrite » établie par les tribunaux. Comme l’a indiqué le juge Thurlow (alors juge de la Cour de l’Échiquier) dans Farbewerke Hoechst A/G c. Canada Commissaire aux brevets) [1966] C. de l’Éch. 91, à la p. 106, 50 CPR 222, conf. par [1966] RCS 604 [Traduction] :

 

La portée du monopole auquel peut valablement prétendre l’inventeur est restreinte de deux manières fondamentales. La portée du monopole ne peut excéder celle, premièrement, de l’invention qu’il a faite et, deuxièmement, celle de l’invention telle qu’elle a été décrite dans le mémoire descriptif.

 

[22]      Dans Amfac Foods Inc. c. Irving Pulp & Paper, Ltd, (1987), 12 CPR (3d) 193, conf. 80 CPR (2d) 59, la Cour d’appel fédérale, après examen d’une série de décisions antérieures, a de même indiqué que l’invention revendiquée ne doit pas avoir une portée plus large que l’invention décrite. La Cour dans cette affaire a finalement statué que les revendications avaient une portée plus large que l’invention décrite, car elles omettaient un élément identifié dans le mémoire descriptif comme étant essentiel à l’obtention du résultat prévu.

 

[23]      En l’espèce, nous considérons que notre conclusion quant à la question des revendications ayant une portée plus large que l’invention divulguée sera, par conséquent, également déterminante quant à la conformité à l’article 2 de la Loi et à l’article 84 des Règles, car une invention revendiquée qui est interprétée comme incluant tous les éléments identifiés dans la description comme étant essentiels ne peut ni avoir une portée excessive ni être dépourvue d’utilité.

 

Fondement littéral

 

[24]      En l’espèce, l’article 84 des Règles est invoqué à titre de disposition législative pertinente à l’appui d’une allégation portant que les revendications ne sont pas suffisamment fondées sur le texte du mémoire descriptif parce que certains des termes employés dans les revendications sont absents du mémoire descriptif.

 

[25]      Il n’existe guère de directives judiciaires quant à l’application de l’article 84 des Règles, ou des articles antérieurs équivalents. Toutefois, il est indiqué à la section 11.05 du RPBB (mars 1998) qu’« on refuse une revendication si elle n’est pas suffisamment étayée par la description et si les termes qui y sont employés ne se retrouvent pas dans la description [et qu’il est manifeste qu’ils ne peuvent pas être inférés de la description] ».

 

[26]      Ainsi, une revendication ne peut pas faire l’objet d’une objection simplement parce qu’un de ces termes n’est pas employé de façon explicite dans le mémoire descriptif tel qu’il a été déposé. Du point de vue de la personne versée dans l’art, il doit être manifeste que le terme ne peut pas non plus être inféré du mémoire descriptif, tel qu’il a été déposé.

 

Manque de clarté

 

[27]      Le paragraphe 27(4) de la Loi est ainsi libellé : « Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif ».

 

[28]      Dans Minerals Separation North American Corp c. Noranda Mines Ltd, [1947] C. de l’Éch. 306 à la p. 352, 12 CPR 99, la Cour a insisté sur l’obligation qui est faite au demandeur d’exposer clairement dans ses revendications l’étendue du monopole qu’il cherche à obtenir et d’employer dans ses revendications des termes clairs et précis [Traduction] :

 

En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.

 

Procédés de sélection végétale classique

 

[29]      La jurisprudence indique que les procédés de sélection végétale classique n’entrent pas dans la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi : Pioneer Hi-Bred Ltd c. Commissaire des brevets (1987), 14 CPR (3d) 491.

 

Revendications d’« utilisation » et objet brevetable

 

[30]      Il importe également de tenir compte, en rapport avec l’interprétation des revendications et la question de l’objet brevetable, abordée ci-dessus, de la question de savoir si le fait de formuler une revendication sous la forme d’une « utilisation » implique nécessairement que l’objet défini par cette revendication entre dans la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi. À notre avis, ce n’est pas le cas.

 

[31]      Une revendication formulée sous la forme d’une « utilisation » peut viser un objet brevetable. À titre d’exemple, dans le domaine médical, l’« utilisation » d’un médicament connu pour traiter une nouvelle maladie pourrait être revendiquée comme telle et ne serait pas considérée comme une méthode de traitement médical exclue de la brevetabilité. Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77. Toutefois, le fait qu’une revendication soit présentée sous la forme d’une « utilisation » ne signifie pas automatiquement que cette revendication définit un objet prévu par la Loi. En effet, selon la jurisprudence dans le domaine des utilisations médicales, une revendication formulée sous la forme d’une « utilisation » peut tout de même être considérée comme étant non prévue par la Loi s’il appert, à l’issue d’une interprétation téléologique, qu’elle constitue une méthode de traitement médical exclue : Novartis Pharmaceuticals c. Cobalt Pharmaceuticals, 2013 CF 985, conf. par 2014 CAF 17; Janssen Inc c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2010 CF 1123.

 

[32]      La décision du commissaire dans Re Demande no 2 436 203 de Monsanto (DC 1404) est particulièrement pertinente dans le cadre de la présente révision, car, de façon similaire, cette affaire portait sur des revendications d’« utilisation » constituées d’une combinaison d’éléments non prévus par la Loi, dont des végétaux, des mélanges de semences et des procédés de sélection végétale classique. Même si elles étaient formulées sous la forme d’une « utilisation », les revendications dans cette affaire ont été considérées comme visant un objet non prévu par la Loi. La Commission a indiqué ce qui suit au paragraphe 44 :

 

Ainsi, lorsqu’on les considère individuellement, aucun des quatre éléments des revendications ne vise un objet brevetable. À notre avis, le fait qu’ils soient combinés et présentés sous la forme d’une revendication « d’utilisation » ne les rend pas davantage brevetables. L’utilisation d’une plante non brevetable, selon un mode de sélection végétale traditionnelle exclu, pour produire un mélange de semences non brevetable ne peut pas être considérée, à l’issue d’une interprétation téléologique, comme un objet entrant dans la définition d’invention.

 

Paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets

 

[33]      Le paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets exige qu’une revendication dépendante précise des caractéristiques additionnelles :

 

Sous réserve du paragraphe (2), la revendication qui inclut toutes les caractéristiques d’une ou de plusieurs autres revendications (appelée « revendication dépendante » au présent article) renvoie au numéro de ces autres revendications et précise les caractéristiques additionnelles revendiquées.

 

Analyse

 

Interprétation des revendications

 

La personne versée dans l’art

 

[34]      Le dossier n’indique aucun désaccord quant à la personne versée dans l’art, qui a été définie dans la DF, le RM et la Lettre de RP comme étant [Traduction] « une équipe formée d’un sélectionneur de laitues et d’un biologiste moléculaire spécialiste des végétaux ». Par conséquent, nous avons procédé sur la base de cette définition communément acceptée.

 

Les connaissances générales courantes

 

[35]      Comme nous l’avons indiqué dans la Lettre de RP, nous avons consulté un manuel (Agarwal[1]) afin de bien établir les connaissances générales courantes (CGC) de la personne versée dans l’art en ce qui a trait à la sélection de laitues. Aucune des CGC que nous avons énoncées n’a été contestée par le demandeur. Il y a deux points, que nous avons exposés en détail dans la Lettre de RP, qu’il importe de garder à l’esprit aux fins de la présente révision finale.

 

[36]      Premièrement, il était couramment et généralement connu qu’un caractère génétique « dominant » et « qualitatif » est hérité de manière prévisible et peut être facilement retracé chez les générations descendantes. Comme l’explique Agarwal [Traduction] :

 

La transmission héréditaire des caractères qualitatifs est relativement simple, car ces derniers sont gouvernés par quelques gènes seulement et sont relativement insensibles aux variations environnementales. Chez les générations présentant une ségrégation des caractères, la classification des individus en classes distinctes est également simple et facile à réaliser. [page 87]

 

[37]      Deuxièmement, il était également généralement connu et admis que des gènes localisés à proximité immédiate les uns des autres sur le même chromosome peuvent être cohérités chez les générations descendantes du fait de la « liaison » qui existe entre eux. Cette liaison peut toutefois être rompue. Lorsque la liaison est rompue, le transfert subséquent à d’autres lignées végétales d’un gène dominant non lié est, semble-t-il, facilement réalisable [Traduction] :

Il n’y a rien de difficile à identifier les végétaux porteurs du caractère désiré lorsque ce dernier est gouverné par un gène dominant... Il s’agit de rompre les liaisons, s’il en existe, entre le ou les gènes désirés et un gène ou un ensemble de gènes indésirables. [Agarwal, pages 133 et 134]

 

[38]      Dans la Lettre de RP, nous avons également énoncé les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art se rapportant à la biologie moléculaire des végétaux. Pour ce faire, nous nous sommes fondés sur deux articles mentionnés dans le mémoire descriptif[2]. L’une des connaissances générales courantes particulièrement importante aux fins de notre révision finale est que la technique d’empreinte moléculaire utilisée par l’inventeur en l’espèce ne repose pas sur la caractérisation structurelle des marqueurs d’ADN générés aléatoirement qui est utilisée dans le cadre de cette technique.

 

Le problème abordé dans la demande

 

[39]      Dans la Lettre de RP, nous avons expliqué que la demande porte de façon générale sur le besoin de disposer de nouveaux plants de laitue (Lactuca sativa) présentant une valeur agronomique qui sont résistants aux pucerons.

 

[40]      Les pucerons sont de petits insectes qui se nourrissent des plants de laitue et entraînent ce faisant une croissance réduite ou anormale ainsi que la propagation de maladies virales. La demande porte sur une seule espèce de pucerons : Nasonovia ribisnigri. Il est vrai que les infestations de pucerons peuvent être traitées à l’aide de pesticides, mais il s’agit d’une méthode peu pratique et dont l’utilisation n’est pas souhaitable sur le plan environnemental. L’approche privilégiée consiste à développer des plants de laitue porteurs d’un ou plusieurs gènes conférant une résistance à cet insecte nuisible.

 

[41]      Dans la Lettre de RP, nous avons souligné que le mémoire descriptif indique que, dès 1981, un programme de sélection avait permis d’obtenir des plants de laitue résistants aux pucerons en transférant à une variété de laitue domestique un gène de résistance issue d’une espèce de laitue sauvage (Lactuca virosa). De façon importante, le mémoire descriptif indique que la caractéristique de résistance qui avait été transférée était de nature qualitative puisque déterminée par un seul gène dominant appelé le gène « Nr » (pas opposition à une caractéristique de nature quantitative déterminée par de multiples gènes).

 

[42]      Malgré cette avancée notable, les plants de laitue résistants aux pucerons initialement développés en 1981 ont été considérés comme ne présentant aucune utilité agronomique en raison de l’introduction coïncidente de caractéristiques indésirables, c’est-à-dire que ces plants anormaux [Traduction] « étaient d’un genre indésirable en ce qui a trait au phénotype et aux caractères agronomiques (non pommé, piètres caractéristiques culturales) » (page 2, lignes 17 à 19 du mémoire descriptif). Les caractéristiques indésirables sur le plan agronomique sont décrites comme le phénotype « CRA »; « CRA » étant l’acronyme de « Compact growth and Rapid Ageing » [croissance compacte et maturation prématurée].

 

[43]      Les caractéristiques CRA indésirables des plants résistants aux pucerons mis en circulation en 1981 semblent également avoir persisté chez les plants descendants au-delà de la période de trois à cinq ans généralement considérée comme suffisante pour les faire disparaître à l’aide des méthodes de sélection classique [Traduction] :

 

[m]ême si des plants présentant le gène Nr avaient déjà été offerts aux semenciers en 1981, il n’existe à ce jour aucun compte rendu d’un transfert réussi du gène Nr à des plants de laitue acceptables sur le plan agronomique [page 2, lignes 36 à page 3, ligne 2 du mémoire descriptif].

 

[44]      Par conséquent, nous avons déterminé que le problème que l’inventeur cherchait à résoudre était, comme l’indique le mémoire descriptif, le besoin de [Traduction] « fournir des plants de la famille des composées et, en particulier de nouveaux plants de laitue, combinant une résistance aux pucerons de l’espèce Nasonovia ribisnigri et de bons caractères agronomiques » (page 3, lignes 4 à 7 du mémoire descriptif). Dans ce contexte, une indication positive que les plants de laitue auraient présenté de « bons caractères agronomiques » aurait été interprétée par la personne versée dans l’art comme signifiant que les plants auraient été exempts de mauvais caractères, c’est-à-dire qu’ils n’auraient jamais pu présenter le phénotype CRA indésirable.

 

La solution proposée

 

[45]      Dans la Lettre de RP, nous avons indiqué que la solution proposée implique le développement de deux lignées spécifiques de plants de laitue résistants aux pucerons à partir des plants développés en 1981. À la différence des plants développés antérieurement, les plants de l’inventeur ont une valeur agronomique considérable qui tient au fait qu’ils ne peuvent pas présenter le phénotype CRA indésirable puisqu’ils ne sont pas porteurs du ou des gènes qui en sont responsables. Des semences de chacune des lignées végétales ont été déposées auprès d’une autorité de dépôt internationale spécialisée dans les matières biologiques. Les dépôts sont désignés par les numéros « NCIMB 40803 » et « NCIMB 40804 ».

 

[46]      Nous avons constaté que le mémoire descriptif révèle deux découvertes importantes réalisées par l’inventeur en rapport avec les plants de laitue développés pour la première fois en 1981 et qui ont, semble-t-il, permis le développement des lignées NCIMB 40803 et NCIMB 40804.

 

[47]      Dans un premier temps, l’inventeur a découvert l’existence d’une liaison génétique entre le gène Nr désiré et le ou les gènes indésirables responsables du phénotype CRA chez les plants de laitue développés en 1981. Rétrospectivement, cela signifie que l’existence de cette liaison semble avoir dérouté les premiers efforts des sélectionneurs de laitue visant à débarrasser les plants développés en 1981 du phénotype CRA et, par le fait même, à en arriver à des plants de laitue résistants aux pucerons et présentant une valeur agronomique.

 

[48]      Dans un deuxième temps, l’inventeur a découvert que le [Traduction] « phénotype CRA est un caractère récessif qui s’exprime uniquement chez les plants qui présentent une résistance de manière homozygote » (page 4, lignes 14 à 16 du mémoire descriptif). Conformément à la génétique classique de Mendel, cela signifie que les plants de laitue mis en circulation pour la première fois en 1981, ainsi que leurs descendants, n’auraient jamais pu être considérés comme ayant une valeur agronomique, car le phénotype indésirable CRA aurait toujours pu se manifester, c’est-à-dire en échappant par inadvertance au contrôle du gène dominant dans le cours normal de la sélection végétale.

 

[49]      L’essence de la solution proposée est expliquée dans le mémoire descriptif [Traduction] : « en rompant cette liaison, il est possible d’obtenir des plants résistants acceptables sur le plan agronomique ». L’inventeur a donc entrepris de rompre cette liaison génétique et y est parvenu, comme en témoigne le développement ultérieur des lignées NCIMB 40803 et 40804, qui ne sont ni l’une ni l’autre porteuse du ou des gènes à l’origine du phénotype CRA.

 

[50]      Le fait que l’inventeur ait caractérisé les lignées végétales déposées comme étant homozygotes pour le gène Nr dominant est une considération importante qu’il convient de ne pas perdre de vue.

 

Les revendications

 

[51]      Deux revendications indépendantes sont représentatives de l’invention revendiquée. La revendication indépendante 1 concerne l’utilisation des semences de laitue déposées pour transférer la résistance aux pucerons à un autre plant de laitue [Traduction] :

 

Utilisation de semences ayant été déposées sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 pour transférer la résistance à Nasonovia ribisnigri dans un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa présentant une valeur agronomique.

 

[52]      La revendication indépendante 2 et les autres revendications concernent l’utilisation de plants descendant des plants de laitue obtenus à partir des semences déposées à différentes fins commerciales, y compris comme culture, comme source de semences, comme source de matériel de multiplication et pour la consommation. La revendication 2 est ainsi formulée [Traduction] :

 

Utilisation, comme culture, d’un plant descendant d’un croisement entre un plant de laitue obtenu à partir des semences ayant été déposées sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 et un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa présentant une valeur agronomique, sachant que le plant descendant présente une résistance à Nasonovia ribisnigri.

 

[53]      La revendication 3 est mentionnée dans le RM et mérite également d’être analysée, car elle indique que les plants descendants de la revendication 2 sont exempts du phénotype CRA indésirable [Traduction] :

 

Utilisation selon la revendication 2, dans laquelle le plant descendant de Lactuca sativa résistant à Nr est caractérisé par l’absence du phénotype CRA.

 

Terminologie des revendications

 

[54]      Dans la Lettre de RP, nous avons clarifié la signification de quatre termes employés dans les revendications, car la justesse de nos analyses reposait sur une compréhension adéquate de leur signification. Ces termes sont [Traduction] « plant de laitue présentant une valeur agronomique », « culture », « plant descendant » et « pour transférer la résistance à Nasonovia ribisnigri dans un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa… ».

 

[55]      En bref, nous avons expliqué que le terme [Traduction] « plant de laitue présentant une valeur agronomique » englobe uniquement des végétaux tels que des plants de laitue de grande qualité cultivés à des fins commerciales. Les plants de laitue génétiquement inférieurs et/ou impropres à la culture commerciale seraient exclus de la définition de ce terme.

 

[56]      Ces types de plants seraient également exclus de la définition du terme [Traduction] « culture », sachant que le dictionnaire Merriam-Webster en ligne définit ce terme comme [Traduction] « un végétal ou un animal ou un produit végétal ou animal pouvant être cultivé/engraissé et récolté/produit de façon intensive pour le profit ou la subsistance ».

 

[57]      Ainsi, nous avons conclu que la lignée de plants de laitue mise en circulation pour la première fois en 1981, même si elle était résistante aux pucerons, ne serait pas perçue par la personne versée dans l’art comme une lignée de [Traduction] « plants de laitue présentant une valeur agronomique », car ces plants n’étaient pas cultivés à des fins commerciales et étaient considérés comme dépourvus d’utilité sur le plan agronomique du fait de la présence du phénotype CRA. Nous avons précisé que cette interprétation donnait aux revendications leur raison d’être, car s’il en était autrement, cela signifierait qu’il n’a jamais été nécessaire ou souhaitable de séparer le gène Nr désiré du ou des gènes CRA indésirables chez les plants mis en circulation pour la première fois en 1981.

 

[58]      Dans la Lettre de RP, nous avons exprimé l’opinion que la personne versée dans l’art comprendrait d’emblée que le terme [Traduction] « plant descendant » est lié au terme [Traduction] « progéniture » qui, selon le dictionnaire Merriam-Webster en ligne désigne [Traduction] « a : les rejetons, les enfants; b : la descendance des animaux ou des végétaux ». Nous avons souligné que, bien que le terme « descendant » véhicule l’idée sensiblement plus large de « provenir d’un ancêtre ou d’une source » et qu’il ne soit pas employé de façon explicite dans le mémoire descriptif, le terme « progéniture », lui, est employé dans l’ensemble du mémoire descriptif.

 

[59]      D’après les enseignements contenus dans le mémoire descriptif, nous avons interprété le terme [Traduction] « pour transférer la résistance à Nasonovia ribisnigri dans un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa… » comme signifiant effectivement que les semences déposées sous les numéros NCIMB 40803 et 40804 mentionnées dans la revendication 1 sont implicitement « utilisées » dans un procédé de sélection végétale visant à transférer le caractère de la résistance aux pucerons à d’autres variétés de laitue.

 

Les éléments essentiels des revendications

 

[60]      Il est indiqué dans le RM que la revendication 1 est présentée sous une forme acceptable. Aucune interprétation de cette revendication n’a été effectuée et ses éléments essentiels n’ont pas été déterminés. Dans la Lettre de RP, en conformité avec l’analyse présentée ci-dessus, nous avons indiqué que les éléments essentiels de la revendication 1 sont les suivants :

 

         « utilisation de »;

         « semences ayant été déposées sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 »;

         « pour transférer la résistance à Nasonovia ribisnigri »;

         « dans un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa présentant une valeur agronomique ».

 

[61]      Quant à la revendication 2, le RM indique que ses éléments essentiels sont les suivants :

 

         « le dépôt biologique de semences sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 »;

         « croiser un plant obtenu à partir desdites semences déposées avec un plant de l’espèce L. sativa présentant une valeur agronomique afin de produire un plant descendant résistant à N. ribisnigri »;

         « utiliser le plant descendant obtenu comme culture ».

 

[62]      La revendication 3 dépend de la revendication 2 et indique que le plant descendant de la revendication 2 [Traduction] « est caractérisé par l’absence du phénotype CRA ».

 

[63]      Il importe de souligner, aux fins des analyses présentées ci-dessous, que toutes les revendications comprennent les deux lignées de semences déposées, désignées par les numéros NCIMB 40803 et 40804, en tant qu’éléments essentiels. Chaque lignée est porteuse du gène Nr désiré à l’état homozygote dominant sous une forme non liée aux gènes CRA indésirables. Les plants obtenus à partir de ces semences sont nécessairement résistants aux pucerons du fait de la présence du gène Nr dominant. Ces plants sont également [Traduction] « exempts de l’information génétique à l’origine du phénotype CRA » (page 9, ligne 33 du mémoire descriptif), de sorte qu’ils ne peuvent pas transmettre cette caractéristique à leurs descendants.

 

Antériorité

 

[64]      Les revendications 2 à 6 ont été refusées dans la DF sur la base de l’antériorité à la lumière d’un article scientifique publié antérieurement. Or, comme nous l’avons expliqué en détail dans la Lettre de RP, il appert que cet article est insuffisant à plusieurs égards et qu’il ne divulgue pas tous les éléments essentiels de l’invention revendiquée; en particulier les lignées de semences déposées désignées par les numéros NCIMB 40803 et 40804 qui sont exemptes de l’information génétique à l’origine du phénotype CRA problématique. Par conséquent, nous avons conclu que les revendications 2 à 6 n’étaient pas antériorisées.

 

[65]      L’article scientifique (l’« article Eenink »[3]) qui était réputé antérioriser les revendications 2 à 6 a été publié environ 15 ans avant le dépôt de la présente demande de brevet. Le travail accompli par les auteurs de l’article est reconnu et mentionné dans la section « Contexte » du mémoire descriptif. À notre avis, la personne versée dans l’art considérerait que cet article représente simplement le point de départ de l’inventeur puisqu’il porte sur les plants de laitue mis en circulation pour la première fois en 1981, lesquels, malgré leur résistance aux pucerons, n’étaient pas considérés comme ayant une valeur agronomique en raison de la présence évidente du phénotype CRA.

 

[66]      Selon la DF et le RM, l’article d’Eeink constitue une antériorité pour plusieurs raisons :

 

         les plants résistants de Eeink [Traduction] « n’expriment pas le phénotype CRA »;

         « … il est possible que le fondement génétique de la résistance à N. ribisnigri soit le même à la fois dans la présente demande et dans la divulgation faite par Eenink et coll. »;

         « Eenink et coll. divulguent l’utilisation de L. sativa résistante à N. ribisnigri, pour obtenir des descendants qui sont résistants à N. ribisnigri, et pour produire une culture »;

         « des plants descendants issus d’un croisement entre un plant de L. sativa obtenu à partir des semences déposées sous le numéro NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 et le plant de L. sativa divulgué par Eenink et coll. comprendraient des plants qui ne présentent pas les caractéristiques inventives alléguées des lignées déposées, tels que des plants qui présentent une résistance à N. ribisnigri héritée uniquement des lignées divulguées par Eenink et coll. ».

 

[67]      Nous avons examiné chacune de ces raisons dans la Lettre de RP et avons déterminé qu’aucune d’elles ne permettait de conclure à l’antériorité.

 

[68]      À notre avis, il n’existe aucun fondement permettant d’affirmer que les plants divulgués par Eenink ne présentent pas le phénotype CRA. Nous avons souligné qu’il n’est pas clairement fait mention dans l’article que les plants de laitue sont dépourvus du phénotype CRA. L’observation des auteurs selon laquelle leurs plants [Traduction] « ont un port semblable à celui de L. sativa » (page 297, dernière phrase) ne serait pas, à notre avis, perçue par la personne versée dans l’art comme une indication que les plants ne présentent pas le phénotype CRA ou ne peuvent pas présenter ce phénotype parce qu’ils sont dépourvus du ou des gènes qui en sont responsables. Nous avons également souligné que cette observation serait en contradiction avec la façon dont l’inventeur lui-même caractérise ce qui semble être les mêmes plants, c’est-à-dire comme étant [Traduction] « d’un genre indésirable en ce qui a trait au phénotype et aux caractères agronomiques (non pommé, piètres caractéristiques culturales) ».

 

[69]      Nous avons reconnu que la personne versée dans l’art comprendrait que le fondement génétique de la résistance aux pucerons, le gène Nr dominant, semble être le même à la fois dans la présente demande et dans Eenink. Cependant, nous n’étions pas d’accord pour dire qu’il existe une équivalence génétique en ce qui concerne l’autre élément clé des lignées végétales NCIMB 40803 et 40804 déposées par l’inventeur : l’absence du ou des gènes responsables du phénotype CRA. La rupture de la liaison entre le gène Nr et le ou les gènes responsables du phénotype CRA n’est nulle part divulguée dans l’article d’Eenink. En revanche, l’inventeur divulgue de façon explicite que ses lignées végétales déposées [Traduction] « sont exemptes de l’information génétique à l’origine du phénotype CRA ».

 

[70]      En ce qui concerne la troisième raison, nous avons reconnu que les plants divulgués par Eenink pourraient être utilisés indirectement, comme le laisse entendre l’examinateur, [Traduction] « pour produire une culture ». Cependant, nous n’étions pas d’accord pour dire que cela signifie que ces plants pourraient dans l’immédiat être directement utilisés [Traduction] « comme culture », comme le prévoit explicitement la revendication 2. Dans le meilleur des scénarios, l’article d’Eenink indique que les plants pourraient être utilisés indirectement dans l’avenir [Traduction] « pour produire une culture », c.-à-d. dans le cadre d’un programme de sélection : les plants [Traduction] « seront utilisés pour transférer par introgression les gènes de résistance dans des cultivars de laitue destinés à la culture extérieure » (page 298, avant-dernier paragraphe).

 

[71]      Enfin, nous avons souligné que l’interprétation des revendications présentée dans la DF et le RM semble indiquer que le plant descendant prévu dans les revendications serait un plant issu d’un croisement entre les plants obtenus à partir des semences des lignées végétales déposées par l’inventeur et les plants divulgués par Eenink. Nous avons expliqué que rien ne justifie une telle interprétation, sachant que les plants divulgués par Eenink n’ont pas de [Traduction] « valeur agronomique » et ne peuvent pas, de ce fait, entrer dans la portée des revendications puisque ces dernières exigent explicitement que les plants présentent une valeur agronomique. Nous avons également fait remarquer que, selon cette interprétation, la personne versée dans l’art serait amenée à réintroduire le ou les gènes responsables du phénotype CRA dans des lignées de laitue présentant une valeur agronomique — ce qui serait en totale contradiction avec l’objectif initial visé par l’inventeur.

 

[72]      De façon importante, nous avons souligné que le RM n’indique pas que l’article d’Eenink divulgue les deux lignées de semences spécifiques déposées par l’inventeur qui sont désignées par les numéros NCIMB 40803 et NCIMB 40804. Ces lignées sont comprises dans toutes les revendications et, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, sont des éléments essentiels des revendications, car chacune d’elle résout le problème du phénotype CRA présent chez les plants mis en circulation pour la première fois en 1981. Les semences de ces lignées sont intrinsèquement porteuses du gène Nr désiré à l’état homozygote et, à la différence des plants d’Eenink, sont intrinsèquement dépourvues du ou des gènes responsables du phénotype CRA indésirable.

 

[73]      Par conséquent, nous sommes d’avis que les revendications ne sont pas antériorisées par l’article d’Eenink et qu’elles sont conformes à l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi.

 

Évidence

 

[74]      Dans la Lettre de RP, nous avons expliqué que les revendications 2 à 6 n’auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l’art, contrairement à ce qui a été affirmé pendant le traitement de la demande. Les revendications sont, par conséquent, conformes à l’article 28.3 de la Loi.

 

Identifier la « personne versée dans l’art » et les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[75]      Ces aspects de l’analyse ont été définis ci-dessus dans la section portant sur l’interprétation des revendications (voir les paragraphes [34] et [35] à [38]).

 

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[76]      Dans la Lettre de RP, nous avons formulé l’idée originale (le concept inventif) de la manière suivante [Traduction] :

 

Utilisation d’un plant descendant d’un croisement entre un plant de laitue obtenu à partir de semences ayant été déposées sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 [lequel plant est porteur du gène de résistance aux pucerons Nr à l’état homozygote dominant et est dépourvu de l’information génétique à l’origine du phénotype CRA] et un autre plant de laitue de l’espèce L. sativa ayant une valeur agronomique, sachant que le plant descendant est résistant à N. ribisnigri [et ne présente pas le phénotype CRA], comme culture, pour la consommation, comme source de semences ou de matériel de multiplication, ou pour transférer la résistance à N. ribisnigri à un autre plant de L. sativa.

 

[77]      Le concept inventif formulé en ces termes tient compte des caractéristiques génotypiques et phénotypiques, indiquées entre crochets, qui sont inhérentes aux lignées végétales déposées par l’inventeur. Ces caractéristiques génétiques doivent être prises en considération dans l’analyse de l’évidence, car les lignées déposées désignées par les numéros NCIMB 40803 et 40804 sont des éléments essentiels des revendications et chacune d’elles est intrinsèquement porteuse du gène Nr désiré à l’état homozygote dominant. Ces lignées sont également exemptes du ou des gènes à l’origine du phénotype CRA. Par conséquent, on peut considérer qu’elles présentent une valeur agronomique.

 

Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

 

[78]      Dans la Lettre de RP, nous avons indiqué que, compte tenu de la nature de l’invention, des analyses présentées dans la DF et dans le RM et des observations formulées par le demandeur, il existe cinq différences entre le concept inventif énoncé ci-dessus et l’état de la technique :

 

(1)   le concept inventif comprend des lignées végétales déposées spécifiques (NCIMB 40803 et 40804), tandis que l’article d’Eenink ne divulgue aucune de ces lignées;

(2)   les lignées végétales déposées ne sont pas porteuses du matériel génétique responsable du phénotype CRA, tandis que les plants d’Eenink semblent l’être;

(3)   les lignées végétales déposées ont une valeur agronomique, car elles ne présentent pas le phénotype CRA, tandis que les plants d’Eenink semblent ne pas avoir de valeur agronomique puisqu’ils sont porteurs du matériel génétique responsable du phénotype CRA et/ou présentent ce phénotype;

(4)   les plants descendants résistants aux pucerons du concept inventif ont une valeur agronomique parce qu’ils sont issus d’un croisement entre deux lignées parentales qui sont chacune considérées comme ayant une valeur agronomique, tandis que l’article d’Eenink ne divulgue pas de plants descendants ayant une valeur agronomique et indique plutôt que tels plants pourraient être développés dans l’avenir;

(5)   les plants descendants résistants aux pucerons du concept inventif ont également une valeur agronomique parce qu’ils sont exempts de l’information génétique responsable du phénotype CRA et ne pourront donc jamais présenter ce phénotype, tandis que l’article d’Eenink ne divulgue pas de plants descendants ayant une valeur agronomique et indique plutôt que tels plants pourraient être développés dans l’avenir.

 

[79]      Parallèlement, nous avons également jugé utile de relever les similitudes entre le concept inventif et l’état de la technique :

 

(1)   le concept inventif et l’article d’Eenink portent tous deux sur des plants de laitue L. sativa;

(2)   du fait d’un lignage ancestral conjoint et de modes de transmission héréditaire communs, le gène de résistance aux pucerons Nr présent chez les lignées végétales déposées serait interprété par la personne versée dans l’art comme étant le même que celui présent chez les plants divulgués par Eenink.

 

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[80]      Dans la Lettre de RP, nous avons indiqué que les cinq différences énumérées ci-dessus semblaient constituer des étapes qui auraient nécessité une certaine inventivité de la part de la personne versée dans l’art.

 

[81]      Nous avons exprimé l’opinion qu’Eenink suggère simplement que les plants divulgués dans son article soient utilisés dans l’avenir [Traduction] « pour transférer par introgression les gènes de résistance dans des cultivars de laitue destinés à la culture extérieure ». La question qui se posait à la lumière de cette suggestion était de savoir si la personne versée dans l’art aurait été en mesure, à partir des plants déficients dévoilés par Eenink, de produire au moyen d’essais courants des variétés de laitue porteuse du gène de résistance aux pucerons Nr et ayant une valeur agronomique. Un passage révélateur de la section Contexte du mémoire descriptif indique que les essais de sélectionneurs végétaux expérimentés pour développer de tels plants s’étaient révélés infructueux même longtemps après le délai de développement habituel de trois à cinq ans [Traduction] :

 

Les [plants dévoilés par Eenink] étaient d’un genre indésirable en ce qui a trait au phénotype et aux caractères agronomiques (non pommé, piètres caractéristiques culturales). En raison de ces caractères agronomiques indésirables, ces plants ont été utilisés par les entreprises de sélection végétale à titre de parents d’hybridation dans le but d’obtenir, par recombinaison et sélection génétiques, des plants présentant à la fois une résistance à N. ribisnigri et de bons caractères agronomiques.

 

L. sativa est une espèce annuelle, mais lorsqu’elle est cultivée sous lumière artificielle à une température plus élevée, de deux à cinq générations successives peuvent être produites par année. Le rétrocroisement est une méthode généralement connue qui convient bien pour transférer par croisement des gènes d’un « parent donneur » dans un bagage génétique ayant une valeur agronomique élevée. En général, l’introgression d’un gène dominant dans un phénotype acceptable sur le plan agronomique peut être réalisée au moyen de trois à cinq rétrocroisements, suivis par deux ou trois autopollinisations. De cinq à huit générations en trois à cinq ans sont donc nécessaires pour obtenir des plants acceptables sur le plan agronomique dont le génome comprend le gène recherché.

 

Toutefois, même si des plants présentant le gène Nr avaient déjà été offerts aux semenciers en 1981, il n’existe à ce jour aucun compte rendu d’un transfert réussi du gène Nr à des plants de laitue acceptables sur le plan agronomique. [soulignement ajouté]

 

[82]      En comparaison, l’inventeur a véritablement résolu le problème que présentaient les plants de l’art antérieur. L’inventeur a constaté que le gène Nr et les gènes responsables du phénotype CRA indésirable étaient génétiquement liés et qu’il était, de ce fait, difficile de les séparer de manière à produire des plants présentant une valeur agronomique. L’inventeur a également découvert que le phénotype CRA est hérité de façon récessive. Grâce à des travaux de sélection végétale assidus, bonifiés par des techniques d’empreinte génétique moléculaire, l’inventeur a réussi à produire deux lignées végétales présentant une valeur agronomique dans lesquelles le ou les gènes responsables du phénotype CRA ne sont plus liés au gène Nr et ont, dans les faits, bel et bien été supprimés.

 

[83]      Nous avons indiqué être d’avis que les découvertes faites par l’inventeur et les quinze années qu’a duré le développement des lignées végétales donnent à penser que la personne versée dans l’art n’aurait pas pu obtenir ces lignées au moyen d’essais courants. Ces circonstances indiquent que le développement de lignées végétales possédant les propriétés des lignées mentionnées dans les revendications n’aurait pas été évident. Par voie de conséquence, les plants descendants et les utilisations mentionnés dans les revendications n’auraient pas non plus été évidents.

 

[84]      Dans la Lettre de RP, nous avons souligné que ni la DF ni le RM n’expliquent comment la personne versée dans l’art aurait pu, au moyen d’essais courants, parvenir aux plants décrits dans les revendications à partir des plants déficients d’Eenink. La DF laisse plutôt entendre qu’un facteur important à considérer dans l’analyse de l’évidence est de savoir si l’inventeur a caractérisé le gène Nr et le ou les gènes à l’origine du phénotype CRA aux niveaux moléculaire et cellulaire. La DF indique que, dans ce contexte, la personne versée dans l’art n’aurait pas été en mesure de déterminer s’il existait des différences entre les plants du concept inventif et ceux d’Eenink.

 

[85]      Nous avons expliqué que ce raisonnement semble tenir pour acquis que les plants d’Eenink ont une valeur agronomique et sont exempts du ou des gènes à l’origine du phénotype CRA. Or, ce n’est pas le cas. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus à l’étape (3) de l’analyse de Sanofi, ni l’un ni l’autre de ces aspects n’est divulgué dans l’art antérieur et la DF et le RM n’en tiennent pas compte. Bien qu’ils n’aient pas été caractérisés au niveau moléculaire, les plants des revendications pourraient, à notre avis, être facilement distingués de tout plant divulgué dans l’art antérieur sur ce fondement.

 

[86]      L’invention revendiquée ne vise pas un gène en soi et aucun de ses éléments essentiels n’est une séquence d’ADN pour le gène Nr ou pour le ou les gènes à l’origine du phénotype CRA. De même, le concept inventif ne repose pas sur une caractérisation structurelle de ces éléments. L’invention est plutôt fondée sur la combinaison de deux caractéristiques génétiques qui peuvent toutes deux être appréciées ou comprises sans qu’il soit, pour cela, nécessaire d’avoir recours à une analyse moléculaire ou cellulaire : 1) la présence du gène Nr dominant qui détermine individuellement le caractère qualitatif de la résistance aux pucerons; et 2) l’absence du ou des gènes responsables du phénotype CRA.

 

[87]      Par conséquent, nous considérons que les revendications 2 à 6 sont conformes à l’article 28.3 de la Loi, car elles définissent un objet qui n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art à la lumière du document de l’art antérieur cité.

 

Description des « plants descendants »

 

[88]      Selon le RM, les plants descendants mentionnés dans les revendications qui sont issus d’un croisement entre des plants obtenus à partir des semences des lignées déposées et un autre plant de laitue ayant une valeur agronomique ne sont [Traduction] « pas clairement, entièrement et suffisamment divulgués ». Le RM indique ce qui suit [Traduction] :

 

Le plant défini par le dépôt de matière biologique est une caractéristique essentielle. Le plant descendant n’est pas équivalent au plant déposé, car le plant déposé est croisé avec un autre plant de L. sativa non défini, ce qui engendre nécessairement un plant descendant qui présente un génotype et un phénotype différents de ceux du plant parent déposé. Dans les faits, le descendant est un nouveau plant qui est uniquement défini comme présentant le caractère phénotypique désiré, c’est-à-dire la résistance à N. ribisnigri. Bien que la méthode pour produire un tel descendant soit réalisable, il ressort clairement de la description que le mode de transmission héréditaire est complexe et que le descendant lui-même n’est pas entièrement et suffisamment divulgué. Une revendication visant un plant descendant en soi serait irrégulière pour divulgation insuffisante au titre du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, de sorte que la revendication visant l’utilisation d’un plant insuffisamment divulgué équivaut, dans les faits, à une revendication « en aval ». En outre, le caractère désiré chez le descendant pourrait ne pas provenir du parent déposé, car le demandeur n’a pas génétiquement caractérisé le fondement du phénotype de la résistance à N. ribisnigri chez le parent déposé. Ainsi, il n’y a aucune façon de vérifier la provenance de ce phénotype chez le descendant, et ladite résistance peut être héritée du second parent non défini, par exemple un plant tel que celui divulgué par Eenink et coll., ou résulter d’une mutation spontanée.

 

[89]      Dans la Lettre de RP, nous avons indiqué être en accord avec certains aspects de cette analyse, mais dans l’ensemble, nous avons déterminé que le dossier ne permet pas de conclure que les plants descendants n’ont pas été adéquatement décrits.

 

[90]      Comme en témoigne l’interprétation des revendications présentée ci-dessus, nous avons reconnu que les lignées végétales définies dans les revendications sous forme de dépôts de matières biologiques (NCIMB 40803 et 40804) sont des éléments essentiels des revendications. Ainsi que le prévoit l’article 38.1 de la Loi, ces dépôts de matières biologiques peuvent pris en considération aux fins de la conformité au paragraphe 27(3) de la Loi. La personne versée dans l’art considérerait donc que ces lignées parentales sont adéquatement décrites.

 

[91]      Nous avons également reconnu qu’un plant descendant de l’une ou l’autre de ces lignées par croisement avec un autre plant de laitue ne serait pas entièrement équivalent à ses parents. Mais, même si ce plant n’est pas entièrement équivalent à ses parents, nous étions d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait tout de même que le plant descendant visé par les revendications est porteur des mêmes caractéristiques essentielles que les lignées déposées, c’est-à-dire la résistance aux pucerons déterminée par le gène Nr et l’absence du ou des gènes à l’origine du phénotype CRA.

 

[92]      Les plants descendants visés par les revendications présentent une résistance aux pucerons parce que le gène à l’origine de cette résistance, le gène Nr, est présent à l’état homozygote dominant dans les lignées déposées, comme l’indique le mémoire descriptif. Le phénotype de la résistance est ainsi transmis aux plants descendants. À cet égard, nous avons conséquemment indiqué être en désaccord avec l’affirmation selon laquelle [Traduction] « le demandeur n’a pas génétiquement caractérisé le fondement du phénotype de la résistance à N. ribisnigri chez le parent déposé », car l’inventeur a, en réalité, fourni une caractérisation valable de son fondement génétique, même si cette dernière ne se situe pas au niveau moléculaire.

 

[93]      Parce que le ou les gènes à l’origine du phénotype CRA sont intrinsèquement absents chez ses deux parents, le plant descendant est également dépourvu de ces gènes.

 

[94]      Par conséquent, nous avons conclu que la personne versée dans l’art considérerait les plants descendants visés par les revendications comme étant décrits de façon suffisante en ce qui concerne la présence chez ces derniers des mêmes éléments essentiels que dans les lignées déposées.

 

[95]      Quant à l’analyse présentée dans le RM, nous n’étions pas d’accord pour dire que la source du caractère de la résistance aux pucerons puisse être un plant tel que ceux divulgués par Eenink. Pour se situer dans la portée des revendications, les parents doivent tous deux avoir une valeur agronomique. Cette limitation exclut les plants divulgués par Eenink. Nous n’étions pas non plus d’accord pour dire que la provenance du caractère de la résistance aux pucerons chez les plants descendants ne peut pas être vérifiée et que cette résistance pourrait très bien provenir d’un plant autre qu’un plant issu de l’une ou l’autre des lignées déposées. À notre avis, la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que les lignées parentes soient l’unique source du phénotype de la résistance aux pucerons, car rien au dossier n’indique qu’il puisse en être autrement. Le phénotype de la résistance aux pucerons serait donc nécessairement transmis d’une des lignées déposées aux descendants, car le gène Nr est une caractéristique qualitative dominante dont la présence chez les descendants peut être vérifiée au moyen d’un test biologique. Nous avons considéré comme déraisonnable l’hypothèse selon laquelle le phénotype de la résistance aux pucerons chez les plants descendants puisse résulter d’une mutation spontanée, étant donné la très faible probabilité qu’un tel événement se produise.

 

[96]      Par conséquent, nous sommes d’avis que le mémoire descriptif est conforme à l’alinéa 27(3)a) de la Loi.

 

Caractère réalisable des « plants descendants »

 

[97]      Dans la Lettre de RP, nous avons pris acte de l’idée avancée dans le RM selon laquelle les revendications comprennent des plants descendants qui ne sont pas rendus réalisables par le mémoire descriptif. Plus particulièrement, il est allégué dans le RM que la personne versée dans l’art serait confrontée à des difficultés excessives si elle tentait d’obtenir des plants descendants qui sont à la fois résistants aux pucerons et dépourvus du phénotype CRA, à partir d’un croisement entre les lignées végétales déposées NCIMB 40803 et 40804 et un autre plant de laitue ayant une valeur agronomique [Traduction] :

 

Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, le mode de transmission héréditaire de la résistance à N. ribisnigri et de l’absence du phénotype CRA est complexe et, à ce titre, la revendication 3 n’est pas considérée comme ayant un caractère réalisable. Des exemples des difficultés associées au transfert du phénotype sont présentés à la page 6, les défis que posent les méthodes sont décrits à la page 10 et les divers résultats possibles sont exposés aux pages 13 et 14, ainsi qu’aux lignes 5 à 14 de la page 18. Il est également fait mention de l’utilisation de marqueurs pour faciliter le processus de sélection. Il aurait toutefois fallu identifier les marqueurs utilisés pour chaque processus de sélection, mais aucun marqueur particulier n’a été divulgué en lien avec les exemples fournis. Ainsi, outre les irrégularités mentionnées ci-dessus, il aurait été excessivement difficile de produire un descendant pouvant être utilisé selon l’utilisation définie dans la revendication 3 qui présente la résistance désirée à N. ribisnigri tout en étant dépourvu du phénotype CRA. Il s’ensuit que la revendication 3 n’a pas un caractère réalisable et n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. [soulignement ajouté]     

 

[98]      Bien que les observations formulées dans le RM soient axées sur la revendication 3, le raisonnement qui les sous-tend semble s’appliquer également aux revendications 2 et 4 à 6.

 

[99]      Comme l’indiquent les passages soulignés dans l’extrait du RM reproduit ci-dessus, les plants descendants visés par les revendications ont été considérés comme n’ayant pas un caractère réalisable pour trois raisons principales :

 

(1)   le mode de transmission héréditaire de la résistance à N. ribisnigri et de l’absence du phénotype CRA est complexe;

(2)   le mémoire descriptif indique que la personne versée dans l’art rencontrerait des difficultés lors du transfert du phénotype de la résistance aux pucerons aux générations descendantes;

(3)   il aurait fallu que les marqueurs d’ADN utilisés par l’inventeur dans la cadre de son processus de sélection soient identifiés; or, aucun marqueur particulier n’est divulgué dans le mémoire descriptif.

 

[100]  Dans la Lettre de RP, nous avons indiqué être en désaccord avec tous ces points. À notre avis, la personne versée dans l’art qui entreprendrait d’obtenir les plants descendants visés par les revendications ne rencontrerait pas de difficultés excessives.

 

[101]  Contrairement à ce qui est indiqué dans le RM, le mode de transmission héréditaire du caractère de la résistance aux pucerons ne serait pas perçu comme complexe par la personne versée dans l’art. Le caractère de la résistance aux pucerons n’est pas un caractère quantitatif complexe déterminé par de multiples gènes. Il s’agit plutôt d’un caractère qualitatif qui est déterminé par un seul gène, le gène Nr, qui est présent à l’état homozygote dominant chez les lignées végétales déposées. D’après les connaissances générales courantes exposées ci-dessus, le mode de transmission héréditaire de ce genre de caractères est simple [Traduction] :

 

La transmission héréditaire des caractères qualitatifs est relativement simple, car ces derniers sont gouvernés par quelques gènes seulement et sont relativement insensibles aux variations environnementales. Chez les générations présentant une ségrégation des caractères, la classification des individus en classes distinctes est également simple et facile à réaliser. [Agrawal, page 87]

 

[102]  À cet égard, la présente affaire s’apparente donc à la situation en cause dans la DC 1386 (mentionnée ci-dessus au paragraphe [19]), dans laquelle la Commission a, de même, conclu que les plants descendants et leurs cellules avaient un caractère réalisable.

 

[103]  En outre, le mémoire descriptif enseigne que la résistance aux pucerons peut facilement être transférée à des descendants au moyen de la technique couramment connue du rétrocroisement (qui s’apparente au croisement de lignées végétales déposées avec d’autres plants de laitue ayant une valeur agronomique) [Traduction] :

 

Les plants selon l’invention, qui sont caractérisés par l’absence du phénotype CRA et la présence du gène Nr à l’état homozygote, peuvent être utilisés pour transférer la résistance à N. ribisnigri dans d’autres types de laitue présentant une valeur agronomique. Ce transfert peut être réalisé, par exemple, au moyen d’une procédure classique de rétrocroisement dans le cas d’un gène dominant [citation omise], suivie par une autopollinisation des plants sur au moins deux générations, puis par la sélection de lignées homozygotes pour le gène de résistance.

 

[104]  Conformément aux enseignements contenus dans le mémoire descriptif, les connaissances générales courantes indiquent qu’une fois que les liaisons avec les gènes indésirables ont été rompues (comme c’est le cas en l’espèce), il n’est pas difficile de transférer un caractère qualitatif déterminé par un seul gène dominant [Traduction] :

 

Récupération d’un caractère par transfert : Il n’y a rien de difficile à identifier les végétaux porteurs du caractère désiré lorsque ce dernier est gouverné par un gène dominant... Il s’agit de rompre les liaisons, s’il en existe, entre le ou les gènes désirés et un gène ou un ensemble de gènes indésirables. [Agrawal, pages 133 et 134]

 

[105]  Même si le RM cite certains passages de la description à l’appui de l’hypothèse selon laquelle la personne versée dans l’art aurait de la difficulté à transférer le phénotype de la résistance aux pucerons aux générations descendantes, un examen des passages cités (en particulier les passages des lignes 2 à 25, à la page 6) nous a permis de constater que ces derniers se rapportent aux problèmes que l’inventeur a rencontrés et a réussi à surmonter lors du développement des lignées végétales de l’invention, et non aux problèmes que la personne versée dans l’art rencontrerait si elle entreprenait d’utiliser ces plants pour produire des descendants.

 

[106]  Nous sommes d’avis que la technique d’empreinte moléculaire « AFLP » [amplified fragment length polymorphism/polymorphisme de longueur de fragments amplifiés] mentionnée dans le mémoire descriptif a été utilisée par l’inventeur comme outil lors du développement des lignées végétales déposées visées par les revendications. Par conséquent, nous n’avons pas interprété le mémoire descriptif comme indiquant que la technique d’empreinte AFLP ou des marqueurs d’ADN moléculaire de quelque type que ce soit, doivent également être utilisé pour produire des plants qui sont des descendants des lignées déposées. Étant donné l’existence des lignées végétales déposées de l’invention, il n’est pas nécessaire pour la personne versée dans l’art d’entreprendre de rompre la liaison entre le gène Nr et le ou les gènes responsables du phénotype CRA. Conséquemment, il ne semble pas non plus nécessaire que la personne versée dans l’art continue d’employer des techniques d’empreinte d’ADN pour détecter la dissociation du gène Nr et du ou des gènes responsables du phénotype CRA chez les plants descendants. Le test biologique permettant de déceler la résistance aux pucerons divulguée dans le mémoire descriptif serait suffisant pour permettre à personne versée dans l’art de dépister le phénotype chez les plants descendants.

 

[107]  Nous avons ajouté, cependant, que même si la technique d’empreinte AFLP devait être utilisée comme outil pour retrouver le gène de la résistance aux pucerons Nr chez les générations descendantes, les connaissances générales courantes donnent à penser qu’une caractérisation structurelle précise des marqueurs d’ADN au niveau de la séquence des nucléotides n’est pas requise. Contrairement à ce qui est indiqué dans le RM, le mémoire descriptif enseigne, en conformité avec les connaissances générales courantes, que l’identité précise des marqueurs d’ADN n’est pas cruciale, car de nombreux types différents peuvent être générés de façon aléatoire. Ce sont plutôt l’association de ces marqueurs avec un gène d’intérêt, leurs nombres relatifs et leur distribution qui importent [Traduction] :

 

Il apparaîtra clairement à la personne versée dans l’art qu’en choisissant des enzymes de restriction et des amorces, il est possible de générer de nombreux marqueurs AFLP différents qui sont liés à un certain gène, et que lorsqu’il s’agit de générer un ensemble de marqueurs étroitement liés dans le but de détecter une recombinaison méiotique à proximité d’un locus, il n’est pas essentiel que les marqueurs étroitement liés utilisés à cette fin soient d’un type plutôt qu’un autre. Seuls sont déterminants le nombre de marqueurs utilisés et la distribution de ces derniers sur le fragment de chromosome dans lequel on recherche la présence d’une recombinaison [mémoire descriptif, page 15, ligne 36 à page 16, ligne 8].

 

[108]  Ainsi, pour ce qui est de l’utilisation de marqueurs moléculaires dans la production de plants descendants, nous avons souligné que la présente espèce là encore coïncidait avec la situation en cause dans la DC 1386, dans laquelle cette considération a également mené à la conclusion que de tels plants et leurs cellules avaient un caractère réalisable.

 

[109]  Par conséquent, compte tenu des connaissances générales courantes et des enseignements contenus dans le mémoire descriptif, nous avons indiqué être en accord avec l’observation du demandeur selon laquelle [Traduction] « la personne versée dans l’art serait en mesure de croiser la lignée NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 avec d’autres plants de Lactuca sativa et de déterminer si les plants descendants présentent une résistance à Nasonovia ribisnigri et sont dépourvus du phénotype CRA ». Par conséquent, nous considérons que le mémoire descriptif est conforme à l’alinéa 27(3)b) de la Loi.

 

Omission d’un élément essentiel, absence d’utilité et portée excessive

 

[110]  Dans la Lettre de RP, nous avons souligné que le RM indique qu’un élément essentiel est absent de la revendication 2 au dossier et que, de ce fait, cette dernière est irrégulière pour absence d’utilité au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets et pour portée excessive au titre de l’article 84 des Règles sur les brevets. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus dans la section portant sur les principes juridiques, les allégations formulées dans le RM font intervenir, en tant que considération juridique pertinente, la doctrine des « revendications ayant une portée plus large que l’invention décrite » établie par les tribunaux. L’analyse que nous avons présentée dans la Lettre de RP en l’espèce est donc fondée sur cette doctrine.

 

[111]  Le RM indique que la revendication 2 a une portée excessive parce qu’elle n’indique pas que les plants descendants mentionnés dans cette revendication sont dépourvus du phénotype CRA. À l’appui de cette position, le RM indique que cette caractéristique est mentionnée de façon explicite uniquement dans la revendication dépendante 3 et qu’il est donc permis d’inférer que cette caractéristique n’a pas à être présente dans la revendication 2, à laquelle la revendication 3 renvoie [Traduction] :

 

De plus, aux fins de l’une ou l’autre des analyses présentées ci-dessus, nous soulignons que la revendication 2 ne fait aucunement mention du fait que le descendant est dépourvu du phénotype CRA même si l’intention divulguée est clairement de produire de nouveaux plants de laitue qui présentent une résistance à N. ribisnigri tout en étant dépourvus du phénotype CRA (voir, par exemple, la page 3, aux lignes 3 à 34). En effet, le demandeur l’a bien indiqué dans sa réponse (voir le passage commençant par [Traduction] « Tel qu’expliqué... » à la page 2). Cette caractéristique désirée n’est introduite qu’à la revendication dépendante 3. L’absence du phénotype CRA est considérée comme une caractéristique essentielle et pourtant cette caractéristique n’est pas mentionnée à l’égard du descendant de la revendication 2 (article 84 des Règles sur les brevets).

...

Il s’ensuit que la revendication proposée 2 ne présente pas le caractère de l’utilité et est, de ce fait, non conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets. La revendication 2 comprend des plants descendants qui présentent une résistance à N. ribisnigri ainsi qu’un phénotype CRA [Compact growth and Rapid Ageing/croissance compacte et maturation prématurée] (CRA), c.-à-d. un caractère indésirable sur le plan agronomique.

 

[112]  Comme nous l’avons expliqué dans la Lettre de RP, l’analyse présentée dans le RM ne tient pas compte du fait que les lignées végétales déposées ayant une valeur agronomique désignées sous les numéros NCIMB 40803 et 40804, qui sont mentionnées dans la revendication 2, sont toutes deux intrinsèquement dépourvues du ou des gènes responsables du phénotype CRA, à l’instar de l’autre plant parent mentionné dans la revendication (puisque ce dernier doit, lui aussi, avoir une valeur agronomique). Sachant que le ou les gènes à l’origine du phénotype CRA sont intrinsèquement absents chez les deux parents, la personne versée dans l’art comprendrait que le plant descendant est, lui aussi, nécessairement dépourvu de ces gènes et qu’il ne pourra donc jamais présenter le phénotype CRA.

 

[113]  Il s’ensuit que la revendication 2 ne peut pas être considérée comme une revendication ayant une portée plus large que l’invention décrite, car les lignées végétales déposées et l’autre parent sont décrits d’une manière qui est compatible avec la façon dont la personne versée dans l’art comprendrait la revendication 2, c.-à-d. que les plants parents de la revendication 2 [Traduction] « sont dépourvus de l’information génétique à l’origine du phénotype CRA » (voir, à titre d’exemple, la ligne 33 à la page 9 de la description) et que leurs descendants le sont également par voie de conséquence.

 

[114]  La caractéristique mentionnée dans la revendication 3 selon laquelle les plants descendants du plant parent de la revendication 2 sont [Traduction] « caractérisés par l’absence du phénotype CRA » serait, à notre avis, perçue par la personne versée dans l’art comme énonçant une chose qui a déjà été comprise et qui est implicite dans la revendication à laquelle elle renvoie. La revendication 3 ne serait pas interprétée comme signifiant que les plants descendants de la revendication 2 pourraient dans les faits posséder le phénotype CRA, car une telle interprétation serait en contradiction avec le libellé de la revendication 2 et avec la nature même de l’invention, telle qu’elle est décrite et telle qu’elle serait comprise par la personne versée dans l’art.

 

Non-conformité de la revendication 3 avec le paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets

 

[115]  Comme nous venons tout juste de l’indiquer, le fait que la personne versée dans l’art comprend que la revendication 2 inclut nécessairement et implicitement la caractéristique mentionnée dans la revendication dépendante 3 signifie que cette dernière revendication est irrégulière parce qu’elle n’énonce pas de caractéristique additionnelle.

 

[116]  Ainsi, l’opinion préliminaire que nous avons exprimée dans la Lettre de RP était que la revendication 3 n’est pas conforme au paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets. Le demandeur n’a pas indiqué être en désaccord avec cette analyse dans sa réponse à la Lettre de RP. Nous concluons, par conséquent, que cette revendication est non conforme.

 

Fondement littéral

 

[117]  Selon le RM, la présence du terme « descendant » dans les revendications pose problème parce que ce terme est absent du mémoire descriptif, ce qui contrevient à l’article 84 des Règles [Traduction] :

 

Les revendications 2 à 6 ne sont pas entièrement fondées sur la description et, de ce fait, ne sont pas conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets. Les caractéristiques [Traduction] « un plant descendant » ou « un plant descendant de Lactuca sativa » qui sont revendiquées ne sont pas suffisamment fondées sur le texte de la description. Le terme « descendant » est absent du mémoire descriptif tel qu’il a été déposé.

 

[118]  Dans la Lettre de RP, nous avons indiqué être en désaccord avec ce raisonnement.

 

[119]  Il est vrai que le terme « descendant » est absent du mémoire descriptif tel qu’il a été déposé, mais le critère pour déterminer la conformité à l’article 84 des Règles ne repose pas uniquement sur cette considération. Une revendication est irrégulière pour cause d’absence de fondement lorsque les termes employés dans la revendication sont absents de la description et qu’il est manifeste qu’ils ne peuvent pas être inférés de la description.

 

[120]  À notre avis, le terme « descendant » tel qu’il est employé dans les revendications est acceptable, car la personne versée dans l’art pourrait l’inférer du terme [Traduction] « progéniture » qui est utilisé dans l’ensemble du mémoire descriptif tel qu’il a été déposé. Comme nous l’avons indiqué dans la section portant sur l’interprétation des revendications, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait d’emblée que la signification du terme « descendant » est liée à celle du terme « progéniture » qui, lui-même, désigne [Traduction] « a : les rejetons, les enfants; b : la descendance des animaux ou des végétaux ». Dans ce contexte, nous considérons que le terme « descendant » utilisé dans les revendications peut être inféré par la personne versée dans l’art et que, par conséquent, son utilisation est acceptable.

 

Manque de clarté

 

[121]  Selon le RM, l’emploi du terme « descendants » dans les revendications pose problème parce que ce terme ne serait pas suffisamment précis pour différencier les descendants mentionnés dans les revendications des plants antérieurement divulgués dans l’article d’Eenink, le fondement génétique des plants descendants n’ayant soi-disant pas été défini [Traduction] :

 

Les revendications modifiées 2 à 6 comportent, en outre, une irrégularité au titre du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets. L’expression [Traduction] « un plant descendant d’un croisement entre un plant de laitue obtenu à partir des semences ayant été déposées sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 et un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa présentant une valeur agronomique » n’est pas claire. Précisément, on ne sait pas très bien ce qu’un plant descendant d’un croisement comprendrait. Dans la décision du commissaire 1386 rendue le 5 août 2015, un plant descendant a été défini comme un plant génétiquement apparenté à un plant prédécesseur. Le descendant de la revendication 2 est un « produit par le procédé », c’est-à-dire un plant issu d’un croisement entre deux plants, qui présente un caractère phénotypique particulier : la résistance à N. ribisnigri. Or, le procédé de croisement n’engendre pas un plant descendant présentant une caractéristique distinctive qui le différencierait du plant décrit dans l’article d’Eenink et al, qui présente également ce caractère phénotypique. Le fondement génétique de la résistance à N. ribisnigri mentionnée dans les revendications proposées 2 à 6 et l’information génétique à l’origine du phénotype CRA mentionné dans les revendications proposées 3 à 6 ne sont pas définis.

 

Enfin, dans la revendication modifiée proposée 2, la relation génétique spécifique entre le plant descendant et les plants qui font l’objet du croisement n’est pas définie. La revendication peut aussi bien comprendre un plant constituant la première génération issue du croisement qu’un plant se situant à plusieurs générations du croisement. Le plant descendant n’est donc pas clairement défini, et il est impossible de vérifier que les caractères phénotypiques prétendument uniques de la lignée déposée proviennent bel et bien du plant parent déposé.

 

[122]  Comme nous l’avons expliqué ci-dessus dans la section portant sur l’interprétation des revendications, ce terme serait interprété comme signifiant « qui provient d’un ancêtre ou d’une source ». Considérés dans leur contexte, les plants descendants des revendications sont ceux qui proviennent des ancêtres mentionnés, c’est-à-dire l’une ou l’autre des lignées végétales déposées et un autre plant de laitue ayant une valeur agronomique. Les plants descendants sont limités à ceux qui retiennent le phénotype de la résistance aux pucerons — une caractéristique dominante qui, comme le comprendrait la personne versée dans l’art, se transmet héréditairement d’une manière simple et prévisible d’une génération à l’autre et dont on peut vérifier qu’elle provient des lignées végétales déposées. Ces plants seraient aussi nécessairement interprétés par la personne versée dans l’art comme étant dépourvus du ou des gènes à l’origine du phénotype CRA et se distinguent des autres plants de l’art antérieur en raison de cette caractéristique.

 

[123]  Dans la Lettre de RP, nous avons également expliqué que le critère pour déterminer la clarté d’une revendication assimile les termes employés dans une revendication à des barrières qui en définissent les frontières. Ce critère implique également de se demander si les revendications sont suffisamment claires pour que « le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque » ou, comme l’a formulé le demandeur, pour [Traduction] « qu’une personne versée puisse en déterminer les bornes et les limites ». Ainsi, nous convenons avec le demandeur que la portée des revendications n’est pas obscurcie pas l’emploi du terme « descendants ».

 

[124]  Par conséquent, nous sommes convaincus que les revendications 2 à 6 sont conformes au paragraphe 27(4) de la Loi.

Non-conformité de la revendication 1 avec l’article 2 de la Loi sur les brevets

 

[125]  Même si la DF et le RM indiquent qu’il est acceptable, nous avons exprimé l’opinion préliminaire dans la Lettre de RP que l’objet défini par la revendication 1 n’entre pas dans la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[126]  La revendication 1 est ainsi formulée [Traduction] :

 

Utilisation de semences ayant été déposées sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 pour transférer la résistance à Nasonovia ribisnigri dans un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa présentant une valeur agronomique.

 

[127]  Dans la Lettre de RP, nous avons souligné que la revendication 1 n’a pas été interprétée pendant le traitement de la demande et que la ou les raisons pour lesquelles elle a été jugée acceptable n’ont jamais été exposées. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus dans la section portant sur l’interprétation des revendications, les éléments essentiels de cette revendication sont les suivants :

 

         « utilisation de »;

         « semences ayant été déposées sous le numéro d’enregistrement NCIMB 40803 ou NCIMB 40804 »;

         « pour transférer la résistance à Nasonovia ribisnigri »;

         « dans un autre plant de laitue de l’espèce Lactuca sativa présentant une valeur agronomique ».

 

[128]  Mis à part le fait que la revendication vise une « utilisation », ce qui ressort de la liste des éléments de cette revendication est qu’aucun d’entre eux ne constitue un objet brevetable en soi. Ni des semences, ni un plant, ni le transfert d’un caractère de résistance au moyen d’un procédé de sélection végétale classique ne constituent un objet brevetable. À notre avis, le fait qu’ils soient combinés et présentés sous la forme d’une revendication « d’utilisation » ne les rend pas davantage brevetables. Comme dans la DC 1404 (mentionnée ci-dessus au para [32]), nous ne considérons pas que l’utilisation de semences non brevetables, selon un mode de sélection végétale classique exclu, dans le but de transférer un caractère de résistance à un autre plant constitue un objet qui entre dans la définition d’invention.

 

[129]  Par conséquent, nous étions d’avis, à titre préliminaire, que la revendication 1 n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi. Étant donné que le demandeur n’a pas indiqué être en désaccord avec notre opinion préliminaire, nous concluons que cette revendication est non conforme.

 

Modifications proposées aux revendications

 

[130]  Le 11 avril 2018, le demandeur a répondu à notre Lettre de RP. Le demandeur a soumis un ensemble de revendications proposées dans lequel les deux revendications que nous considérions comme irrégulières avaient été supprimées, rendant ainsi la demande conforme à la Loi et aux Règles. Conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, le demandeur a demandé que la Commission recommande à la commissaire d’exiger que la demande soit modifiée de manière à remplacer les six revendications au dossier par l’ensemble de revendications proposées.

 

Conclusions

 

 

[131]  Les revendications 2 à 6 ne sont pas irrégulières pour les motifs énoncés dans la DF ou le RM parce que :

 

(1)   l’objet des revendications n’a pas été divulgué antérieurement; il est donc conforme à l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets;

(2)   l’objet des revendications n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art; il est donc conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets;

(3)   le mémoire descriptif est conforme à l’alinéa 27(3)a) de la Loi sur les brevets parce que les « plants descendants » sont adéquatement divulgués;

(4)   le mémoire descriptif est conforme à l’alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets parce que les « plants descendants » ont un caractère réalisable;

(5)   aucun élément essentiel n’est absent de la revendication 2 au dossier; cette revendication n’est donc pas irrégulière pour absence d’utilité au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets ou pour portée excessive au titre de l’article 84 des Règles sur les brevets;

(6)   les revendications sont entièrement fondées sur la description et sont conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets parce que certains des termes employés dans les revendications peuvent être inférés du mémoire descriptif tel qu’il a été déposé;

(7)   les revendications sont conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets parce que la portée des revendications n’est pas obscurcie pas l’emploi du terme « descendants ».

 

[132]  La revendication 1 vise un objet qui est exclu de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets et la revendication 3 n’est pas conforme au paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets.

 

Recommandation de la Commission

 

 

[133]  Pour les raisons exposées ci-dessus, nous sommes d’avis que le refus de la demande sur la base des irrégularités mentionnées dans la DF et dans le RM n’est pas justifié. Il serait cependant justifié de refuser la demande sur la base des deux irrégularités relevées en vertu du paragraphe 30(6.1) des Règles sur les brevets : 1) la revendication 1 vise un objet qui est exclu de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets; et 2) la revendication 3 n’est pas conforme au paragraphe 87(1) des Règles sur les brevets.

 

[134]  Par conséquent, nous recommandons que le demandeur soit avisé, conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, que la modification de la demande consistant à remplacer les six revendications au dossier par l’ensemble de revendications proposées soumis le 11 avril 2018 est considérée comme nécessaire pour rendre la demande conforme à la Loi et aux Règles. Si cette modification n’est pas apportée dans les trois mois suivant la délivrance de la présente décision, nous recommandons que la demande soit rejetée en application de l’article 40 de la Loi.

 

 

 

 

Ed MacLaurin                         Marcel Brisebois                     Leigh Matheson

Membre                                   Membre                                   Membre

Décision du commissaire

 

[135]  Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, j’avise par la présente le demandeur que la modification de la demande consistant à remplacer les six revendications au dossier par l’ensemble de revendications proposées soumis le 11 avril 2018 est considérée comme nécessaire pour rendre la demande conforme à la Loi et aux Règles. Si cette modification n’est pas apportée dans les trois mois suivant la délivrance de la présente décision, j’entends rejeter la demande en application de l’article 40 de la Loi.

 

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 13e jour de décembre 2018

 



[1] : R.L. Agrawal, Fundamentals of Plant Breeding and Hybrid Seed Production (Enfield, New Hampshire, USA : Science Publishers Inc., 1998)

[2] : P. Vos et coll., « AFLP : a new technique for DNA fingerprinting », Nucleic Acids Res., vol. 23, no 21, p. 4407 à 4414, 1995 (Vos); et, V. Lefebvre et A. Chèvre, « Tools for marking plant disease and pest resistance genes : a review », Agronomie, vol. 15, no 1, p. 3 à 19, 1995 (Lefebvre & Chèvre).

[3] : Eenink A.H. et coll., « Resistance of lettuce (Lactuca) to the leaf aphid Nasonovia ribis nigri. 1. Transfer of resistance from L. virosa to L. sativa by interspecific crosses and selection of resistant breeding lines », Euphytica, vol. 31, pages 291 à 300, 1982 [Eenink].

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.