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Décision du commissaire no 1472

Commissioner’s Decision No. 1472

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS :      B–00 Caractère ambigu ou indéfini
J–00 Signification de la technique
J–50 Simple plan
J–60 Imprimés

TOPICS:       B–00 Indefiniteness
J–00 Meaning of Art
J–50 Mere Plan
J–60 Printed Matter

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no 2 488 003

Application No. 2,488,003


 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 


Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2488003 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, le commissaire rejette la demande.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

GOWLING WLG (CANADA) LLP

Bentall 5

550, rue Burrard, bureau 2300

Case postale 30

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6C 2B5


 



 

Introduction

[1]               La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet refusée numéro 2 488 003, qui est intitulée [Traduction]  « Méthode de représentation dynamique de processus et produit programme d’ordinateur permettant sa mise en œuvre ». La demande de brevet est inscrite au nom de SAP SE. Les irrégularités qui subsistent indiquées dans la décision finale (DF) tiennent au fait que les revendications ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets, que certaines revendications ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets et qu’une revendication comporte une erreur d’écriture mineure. La Commission d’appel des brevets (la Commission) a procédé à une révision de la demande refusée, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué ci-dessous, nous recommandons que la demande soit rejetée.

Contexte

La demande

[2]               La demande de brevet canadien no 2 488 003, qui est fondée sur une demande déposée antérieurement en vertu du Traité de coopération en matière de brevet (PCT), est réputée avoir la date de dépôt du 30 mai 2003 et a été mise à la disponibilité du public le 11 décembre 2003.

[3]               La demande concerne un système d’élaboration de projets permettant d’établir une représentation graphique de l’état et de l’avancement d’un projet.

Historique du traitement de la demande

[4]               Le 23 septembre 2015, une DF a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. La DF relevait les irrégularités suivantes dans la demande : les revendications 1 à 49 (les revendications au dossier) ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets, les revendications 21 à 23 ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets et la revendication 20 comporte une erreur d’écriture mineure.

[5]               Dans sa réponse à la DF (RDF) datée du 16 février 2016, le demandeur a présenté des arguments en faveur de l’acceptation de la demande et a proposé un ensemble de 49 revendications modifiées (les revendications proposées) ainsi que des modifications correspondantes à la description. Les revendications proposées sont généralement semblables aux revendications au dossier, mais les revendications 1, 19 à 37 et 49 comportent des modifications pour régler les problèmes relevés dans la DF quant au libellé. Les arguments du demandeur n’ont pas convaincu l’examinateur d’annuler le refus. De plus, l’examinateur a considéré que les modifications permettraient de remédier à l’irrégularité liée au caractère indéfini et à l’erreur d’écriture, mais pas à l’irrégularité liée à l’objet.

[6]               Par conséquent, en vertu du paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, la demande a été transmise à la Commission aux fins de révision, accompagnée du résumé des motifs de l’examinateur. Le 23 décembre 2016, la Commission a transmis au demandeur une copie du résumé des motifs, accompagnée d’une lettre confirmant le refus. Le demandeur n’a pas répondu.

[7]               Conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets, un comité a été constitué dans le but de réviser la demande refusée et de présenter une recommandation à la commissaire quant à la décision à rendre. À la suite de notre révision préliminaire, le 17 juillet 2018, nous avons envoyé une lettre (la lettre de RP) dans laquelle nous avons présenté notre analyse et les raisons pour lesquelles, d’après le dossier dont nous disposons, nous estimons que l’objet des revendications au dossier (ainsi que des revendications proposées) n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Nous avons également déterminé que les revendications 21 à 23 au dossier ne sont conformes ni au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets ni à l’article 84 des Règles sur les brevets, et que la revendication 20 au dossier comporte une erreur typographique.

[8]               Le demandeur a répondu à la lettre de RP le 1er août 2018, indiquant qu’il était toujours intéressé à ce que la demande soit révisée, mais expliquant qu’il ne sollicitait pas la tenue d’une audience et qu’il n’entendait pas non plus présenter des observations écrites supplémentaires.

[9]               Étant donné que rien n’a changé dans le dossier écrit depuis la révision préliminaire, nous avons maintenu ses raisons et conclusions.

Questions

[10]           Les questions à trancher dans le cadre de la présente révision sont celles de savoir si :

         les revendications 1 à 49 au dossier définissent un objet prévu par la Loi, ainsi que l’exige l’article 2 de la Loi sur les brevets;

         les revendications 21 à 23 au dossier définissent distinctement, clairement et en des termes explicites l’invention ainsi que l’exige le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets et l’article 84 des Règles sur les brevets;

         la revendication 20 au dossier comporte une erreur typographique.

[11]           Après avoir tranché ces questions, nous examinerons la question de savoir si les revendications proposées constitueraient une modification déterminée nécessaire aux termes du paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets.

Principes juridiques et pratique du Bureau des brevets

Interprétation téléologique

[12]           Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67 aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52 [Whirlpool]). Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [RPBB] (OPIC) (révisé en avril 2018), la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, telle qu’elle est revendiquée.

[13]           Le demandeur a contesté cette démarche dans la RDF, soutenant que, plutôt que de se concentrer sur le problème et la solution, et de déterminer si le problème pourrait être résolu en l’absence d’un élément, il faut s’attarder à chaque élément, le comparer à d’autres éléments possibles et déterminer si les autres éléments possibles peuvent remplir la même fonction de la même manière et produire le même résultat que l’élément en question. Le demandeur a également soutenu qu’aucune source de droit n’a été citée à l’appui de la démarche susmentionnée à l’égard de l’interprétation téléologique, seulement des énoncés de pratique, lesquels n’ont pas force de loi.

[14]           Tel que nous l’avons expliqué dans la lettre de RP [Traduction] :

La démarche décrite dans le RPBB (initialement dans les énoncés de pratique) a été établie d’après la décision Canada (PG) c. Amazon.com Inc., 2011 CAF 328 [Amazon.com] et cherche ainsi à tenir compte des principes de cette affaire, ainsi que des principes énoncés dans les décisions antérieures Free World Trust et Whirlpool. Le RPBB n’est pas présenté comme une autorité de justice ou une source de droit. Il donne plutôt des directives d’après l’interprétation que fait le Bureau de ces autorités et sources de droit.

À titre d’exemple, la décision Amazon.com (aux paragraphes 43, 44, 47, 61 à 63, 69, 71) nous rappelle que l’interprétation téléologique « ne peut reposer seulement sur l’interprétation littérale des revendications du brevet », que les revendications peuvent être exprimées dans un langage qui est « trompeur, de manière délibérée ou par inadvertance » et qu’une réalisation ou une application concrète revendiquée peut, malgré tout, ne pas faire partie des éléments essentiels d’une invention revendiquée.

Les directives fournies à la section 13.05.02b du RBPP sont fondées sur ces principes : une interprétation téléologique bien éclairée doit tenir compte de la demande dans son ensemble, y compris le problème abordé dans la demande et la solution proposée. La simple présence d’un élément dans le libellé des revendications ne peut l’emporter sur la prise en compte de cette solution dans l’interprétation téléologique.

Objet prévu par la Loi

[15]           La définition d’« invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[16]           L’énoncé de pratique PN2013–03, intitulé « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » (OPIC, mars 2013) [PN2013–03] apporte des précisions quant à l’approche utilisée par le Bureau des brevets pour déterminer si une invention liée à l’ordinateur constitue un objet prévu par la Loi.

[17]           Tel qu’il est expliqué dans l’énoncé de pratique PN2013-03, lorsqu’il est déterminé qu’un ordinateur constitue un élément essentiel d’une revendication interprétée, l’objet revendiqué n’est pas une invention désincarnée (p. ex., une simple idée, un schéma, un plan ou un ensemble de règles, etc.), qui serait non prévue par la Loi.

[18]           Également concernant la présente espèce, les sections 12.03.05 et 06 du RPBB expliquent que, lorsqu’une revendication vise un objet présentant un intérêt exclusivement intellectuel ou esthétique, la revendication n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets. À titre d’exemple d’un tel objet, le terme « imprimé », de ce point de vue, ne devrait pas être restreint au procédé classique d’imprimerie « encre sur papier », mais devrait également comprendre tout moyen d’affichage d’information.

[19]           Pour qu’un imprimé soit prévu par la Loi, son support ou ses moyens d’affichage doivent apporter une solution au-delà du contenu intellectuel ou esthétique de l’imprimé lui-même : la solution doit conférer une nouvelle fonctionnalité.

Caractère indéfini

[20]           Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets exige que les revendications définissent distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention :

Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

[21]           L’article 84 des Règles sur les brevets exige que les revendications soient claires :

Les revendications sont claires et concises et se fondent entièrement sur la description, indépendamment des documents mentionnés dans celle-ci.

[22]           Dans Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd, [1947] C de l’Éch. 306, à la p 352, 12 CPR 99, la Cour a insisté sur l’obligation qui incombe au demandeur d’exposer clairement dans ses revendications l’étendue du monopole qu’il cherche à obtenir et d’employer dans ses revendications des termes clairs et précis [Traduction] :

En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.

Analyse

Interprétation téléologique

La personne versée dans l’art

[23]           Dans la lettre de RP, nous avons accepté la définition présentée dans la DF de la personne versée dans l’art comme étant une personne ou une équipe dans les domaines de la gestion de projets, de l’élaboration de processus logiciels axés sur les projets, des ordinateurs, des bases de données et des systèmes fondés sur Internet. Le demandeur n’a pas contesté cette définition; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision.

Les CGC

[24]           D’après la description générale de l’état de la technique présentée dans la demande (page 1) et la définition susmentionnée de la personne versée dans l’art, nous avons défini les concepts suivants comme faisant partie des CGC dans la lettre de RP :

         le matériel informatique en général et les techniques de programmation;

         la documentation et l’affichage de projets, y compris leur état;

         l’élaboration et la gestion de projets;

         les systèmes informatisés d’élaboration de projets facilitant l’élaboration et la gestion de projets;

         les interfaces utilisateurs graphiques (IUG);

         les graphiques, diagrammes et autres représentations visuelles traditionnellement utilisées pour communiquer de l’information sur les projets, leur état et leur avancement.

[25]           Le demandeur n’a pas contesté cette définition; nous l’adoptons donc aux fins de la présente révision.

Le problème et la solution

[26]           Le demandeur n’a pas contesté notre définition présentée dans la lettre de RP du problème et de la solution; nous adoptons donc cette définition et le raisonnement sous-jacent aux fins de la présente révision [Traduction] :

Tel qu’il est observé dans la DF (page 3), la demande présente l’invention comme étant destinée à représenter graphiquement et de façon dynamique un projet ou un processus. La demande indique (page 3) que les projets sont nombreux à être complexes et qu’ils peuvent faire intervenir différents participants au sein de différents services utilisant différentes technologies. Un gestionnaire de projet peut nécessiter l’expertise, l’information ou le temps nécessaire au tri des rapports d’étape, de la documentation et de l’information relative à la réalisation des jalons pour les différents aspects d’un projet.

En conséquence, la DF définissait le problème comme étant la façon de communiquer plus précisément l’avancement relatif et le taux relatif d’avancement d’un projet, de sorte que les gestionnaires de projet puissent superviser le projet avec davantage d’efficacité. La DF définissait la solution proposée comme étant un schéma amélioré permettant de représenter graphiquement l’information relative au projet, en soulignant les changements apportés au projet, comme l’achèvement des tâches et la réalisation des jalons, au gestionnaire de projet.

Le demandeur n’a pas contesté ces définitions du problème et de la solution et, compte tenu du contexte fourni dans la demande et des CGC, nous les adoptons de manière préliminaire aux fins de la présente révision.

Les éléments essentiels

[27]           Les revendications indépendantes 1 et 37 visent des méthodes, les revendications indépendantes 19 et 48 visent un logiciel et la revendication indépendante 49 vise un système. Toutes les revendications au dossier se rapportent à la représentation d’un projet, y compris l’affichage d’un taux relatif d’avancement d’au moins une partie du projet. Le logiciel et le système des revendications 19 et 49 correspondent à la méthode de la revendication 1 et le logiciel de la revendication 48 est défini comme étant destiné à la mise en œuvre de la méthode de la revendication 37 ou de ses revendications dépendantes.

[28]           Par souci de commodité, les revendications indépendantes 1 et 37, qui sont représentatives de différents aspects de l’invention, sont reproduites ci-dessous [Traduction] :

Revendication 1.       Une méthode de représentation d’un projet, la méthode étant mise en œuvre au moyen d’un système comportant au moins un processeur programmable et comprenant :

l’accès à un système de base de données pour obtenir une description du projet, y compris une structure de projet, la structure de projet comprenant de l’information dans un format accessible par voie électronique à partir de laquelle un taux réel d’avancement et un taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet peuvent être déterminés;

le traitement de la structure de projet au moyen du système afin de déterminer le taux réel d’avancement et le taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet;

la comparaison, par le système, du taux réel d’avancement et du taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet et la détermination consécutive d’un taux relatif d’avancement d’au moins une partie du projet;

la génération, par le système, d’un affichage graphique sur un dispositif d’affichage, l’affichage graphique indiquant le taux relatif d’avancement déterminé d’au moins une partie du projet;

la mise à jour dynamique, par le système, du taux relatif d’avancement indiqué dans l’affichage graphique sur le dispositif d’affichage en réponse à un changement apporté à la description du projet dans le système de base de données.

Revendication 37.     Une méthode de représentation d’un projet, la méthode étant mise en œuvre au moyen d’un système comportant au moins un processeur programmable et comprenant :

l’accès à un système de base de données pour obtenir une description du projet, y compris une structure de projet, la structure de projet comprenant de l’information dans un format accessible par voie électronique à partir de laquelle un taux réel d’avancement et un taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet peuvent être déterminés;

le traitement de la structure de projet au moyen du système afin de déterminer le taux réel d’avancement et le taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet;

la comparaison, par le système, du taux réel d’avancement et du taux prévu d’avancement d’au moins une partie d’un projet et la détermination consécutive d’un taux relatif d’avancement d’au moins une partie du projet;

le traitement, par le système, de la description du projet pour comparer l’avancement réel et l’avancement prévu d’au moins une partie d’un projet et déterminer ainsi l’avancement relatif d’au moins une partie du projet;

l’obtention d’instructions d’affichage pour :

l’affichage de l’avancement relatif du projet par rapport, mais de manière indépendante, aux attentes relatives à l’avancement du projet sur un affichage graphique;

l’affichage du taux relatif d’avancement d’au moins une partie du projet sur l’affichage graphique par rapport, mais de manière indépendante, aux attentes relatives à un taux d’avancement, l’avancement relatif et le taux relatif d’avancement s’affichant sur l’affichage graphique au moyen d’un indice unique;

la présentation de l’indice dans un indicateur pour permettre à un utilisateur d’évaluer au moins une des deux options que sont l’avancement relatif et le taux relatif d’avancement.

[29]           D’après le problème et la solution, nous avons accepté de manière préliminaire la définition présentée dans la DF des éléments essentiels. Nous avons considéré que les différences observées dans le libellé des revendications indépendantes, et entre ces revendications et les revendications qui en dépendent, témoignent simplement de différents modes de réalisation du même ensemble d’éléments essentiels. Selon cette définition, les éléments essentiels ne comprenaient pas le processeur ni les éléments matériels qui lui étaient liés.

[30]           Le demandeur n’était pas d’accord avec cette définition dans la RDF. Le demandeur a reconnu que la démarche adoptée dans la DF pour déterminer les éléments essentiels est conforme aux directives publiées par le Bureau sur l’interprétation téléologique, mais il a contesté ces directives, comme indiqué ci-dessus. Le demandeur a soutenu dans la RDF que le processeur et les éléments matériels sont essentiels.

[31]           Tel que nous l’avons expliqué dans la lettre de RP, les directives publiées par le Bureau reposent sur les principes formulés dans Free World Trust, Whirlpool et Amazon.com, et énoncent le cadre régissant l’interprétation téléologique dans le contexte de l’examen des demandes de brevet. Selon ce cadre, les éléments essentiels sont ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, telle qu’elle est revendiquée.

[32]           La lettre de RP indiquait ensuite ce qui suit [Traduction] :

Notre opinion préliminaire est que le processeur et les éléments matériels qui lui sont liés dans le cas qui nous occupe ne sont pas des éléments essentiels, mais constituent simplement le contexte ou l’environnement de fonctionnement dans lequel l’information relative au projet est représentée graphiquement.

Comme l’explique la section 13.05.02c du RPBB, tout élément qui affecte le fonctionnement d’un mode de réalisation donné n’est pas nécessairement essentiel à la solution; certains éléments énoncés définissent le contexte ou l’environnement du mode de réalisation, mais ne changent pas véritablement la nature de la solution.

Dans le cas qui nous occupe, le processeur, le dispositif d’affichage, le support lisible par ordinateur et les autres éléments matériels connexes ne servent pas à résoudre le problème qui consiste à communiquer plus précisément l’avancement relatif et le taux relatif d’avancement d’un projet; ils fournissent simplement le contexte de fonctionnement. C’est plutôt la représentation graphique d’information ayant une signification précise qui résout le problème à résoudre. Ainsi, notre opinion préliminaire est que les éléments matériels ne sont pas des éléments essentiels et que les éléments essentiels sont les éléments visant un schéma permettant de représenter graphiquement l’information relative au projet.

[33]           Étant donné que le demandeur n’a présenté aucune autre observation suivant la lettre de RP, nous adoptons notre définition préliminaire des éléments essentiels aux fins de la présente révision.

[34]           Par conséquent, les revendications 1 à 36 et 49 au dossier partagent le même ensemble d’éléments essentiels, soit une série d’étapes permettant de représenter un projet :

         l’obtention d’une description d’un projet;

         la détermination d’un taux réel d’avancement et d’un taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet;

         la comparaison du taux réel d’avancement et du taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet pour déterminer un taux relatif d’avancement d’au moins une partie du projet;

         la représentation graphique du taux relatif d’avancement déterminé d’au moins une partie du projet;

         la mise à jour du taux relatif d’avancement représenté graphiquement en réponse à un changement apporté à la description du projet.

[35]           Les revendications 37 à 48 au dossier partagent également un ensemble d’éléments essentiels, qui est aussi une série d’étapes permettant de représenter un projet :

         l’obtention d’une description d’un projet;

         la détermination d’un taux réel d’avancement et d’un taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet;

         la comparaison du taux réel d’avancement et du taux prévu d’avancement d’au moins une partie du projet pour déterminer un taux relatif d’avancement d’au moins une partie du projet;

         la comparaison de l’avancement réel et de l’avancement prévu d’au moins une partie du projet pour déterminer l’avancement relatif d’au moins une partie du projet;

         l’affichage de l’avancement par rapport, mais de manière indépendante, aux attentes relatives à l’avancement du projet;

         l’affichage d’un taux d’avancement par rapport, mais de manière indépendante, aux attentes relatives à un taux d’avancement, au moyen d’un indice unique pour l’avancement relatif et le taux relatif d’avancement;

         la présentation de l’indice dans un indicateur pour permettre à un utilisateur d’évaluer au moins une des deux options que sont l’avancement relatif et le taux relatif d’avancement.

Objet prévu par la Loi

[36]           Tels qu’ils sont interprétés ci-dessus, les éléments essentiels sont les étapes nécessaires pour représenter graphiquement l’information relative à l’avancement d’un projet selon un certain schéma. Les étapes nécessaires pour représenter graphiquement l’information relative à un projet ne mettent pas en jeu une nouvelle fonctionnalité; elles se caractérisent plutôt par la signification intellectuelle et la présentation de l’information.

[37]           Le demandeur a fait valoir dans la RDF que l’invention est prévue par la Loi, citant à l’appui la décision Re Fair Isaac Corp’s Patent Application 2144068 (2013), 115 CPR (4th) 39, DC 1339 (Pat App Bd & Pat Commr) [Fair Isaac]. Plus précisément, le demandeur a soutenu que les éléments essentiels pour indiquer graphiquement le taux relatif d’avancement déterminé et mettre à jour ce taux indiqué constituent clairement [Traduction] « quelque chose qui présente un effet ou un changement perceptible », contrairement au signal de sortie en jeu dans l’affaire Fair Isaac (au paragraphe 40).

[38]           Comme nous l’avons souligné dans la lettre de RP [Traduction] :

Notre opinion préliminaire est que le taux graphiquement indiqué de la présente invention est, en lui-même, abstrait et n’a qu’une signification intellectuelle, comme le signal de sortie de l’affaire Fair Isaac (aux paragraphes 40, 46, 57). Ainsi, ni l’un ni l’autre des résultats de sortie n’a d’existence matérielle ni n’entraîne un changement ou un effet matériel, et ni l’une ni l’autre des inventions ne comporte un objet prévu par la Loi.

[39]           Nous avons également souligné ce qui suit dans la lettre de RP [Traduction] :

En outre, on peut reconnaître que la présente invention comporte un objet non prévu par la Loi en se référant à Schlumberger Canada Ltd c. Canada (Commissaire aux brevets), [1982] 1 CF 845 (CA) [Schlumberger]. De manière analogue à la méthode dans l’affaire Schlumberger, et comme indiqué dans Amazon.com (au paragraphe 62), les présentes revendications visent en réalité à faire breveter une méthode permettant de recueillir, d’enregistrer et d’analyser des données, au moyen d’un ordinateur programmé selon une formule mathématique. La formule dans le cas qui nous occupe est l’ensemble des règles demandant à l’ordinateur de déterminer, d’afficher et de mettre à jour les taux d’avancement. Comme dans l’affaire Schlumberger, la simple présence d’un ordinateur ou autre outil matériel ne rend pas brevetable la formule ou l’ensemble des règles autrement abstrait. Nous ne pouvons distinguer de manière préliminaire les présentes revendications de la situation qui prévalait dans Schlumberger, comme décrit dans Amazon.com (aux paragraphes 62 et 63, 69).

[40]           Étant donné que nous n’avons reçu aucune autre observation relativement à cette question, notre examen de cette question demeure tel qu’énoncé dans la lettre de RP : les revendications 1 à 49 au dossier ne définissent pas un objet prévu par la Loi et sont donc non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[41]           En plus de l’indication dans la DF que toutes les revendications au dossier comportaient un objet non prévu par la Loi en raison de leurs éléments essentiels abstraits, il était également soutenu dans la DF que la revendication 19 vise un logiciel sous une forme abstraite, en raison de son libellé.

[42]           Nous avons présenté notre opinion préliminaire dans la lettre de RP [Traduction] :

Le problème, tel qu’il est indiqué à la section 16.08.04 du RPBB, est qu’une revendication visant un logiciel doit clairement viser la mémoire physique stockant un programme d’ordinateur pour pouvoir entrer dans la catégorie de la « fabrication » suivant l’article 2, et éviter d’être automatiquement considérée comme un plan théorique ou un ensemble de règles d’exploitation d’un ordinateur.

La revendication 19 au dossier énonce « [un] produit programme d’ordinateur, stocké sous forme tangible sur un ou plusieurs supports lisibles par machine » et vise donc exclusivement le programme d’ordinateur par opposition au support matériel.

[43]           Étant donné que nous n’avons reçu aucune autre observation de la part du demandeur, nous maintenons cette opinion.

Caractère indéfini

[44]           Tel que nous l’avons expliqué dans la lettre de RP [Traduction] :

Dans la DF, nous avons soutenu (page 5) que les revendications 21 à 23 au dossier sont indéfinies, parce qu’elles sont présentées comme étant dépendantes de la « méthode de la revendication 20 », alors que cette revendication est elle-même énoncée comme étant un « produit programme d’ordinateur ».

[45]           La lettre de RP expliquait que, compte tenu de ce libellé, notre opinion préliminaire était que les préambules des revendications 21 à 23 introduisent une ambiguïté pouvant être évitée et que ces revendications ne sont en conséquence pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets ou à l’article 84 des Règles sur les brevets.

[46]           Étant donné que nous n’avons reçu aucune autre observation de la part du demandeur, telle est également maintenant notre opinion.

Erreur d’écriture

[47]           Tel qu’il est expliqué dans la lettre de RP, le mot [Traduction] « revendication » est manquant dans la revendication 20 au dossier.

Revendications proposées

[48]           Nous estimons que les revendications proposées, si elles étaient acceptables, permettraient de remédier aux irrégularités découlant uniquement du libellé des revendications.

[49]           Cependant, étant donné que ces modifications proposées ne modifieraient pas les définitions susmentionnées de la personne versée dans l’art, des CGC et du problème et de la solution, notre opinion préliminaire est que les revendications proposées partageraient les mêmes ensembles d’éléments essentiels que ceux définis ci-dessus.

[50]           Par conséquent, notre opinion concernant l’objet non prévu par la Loi en ce qui a trait à ces éléments essentiels s’applique également aux revendications proposées. Il s’ensuit que les revendications proposées ne sont pas considérées comme une modification déterminée nécessaire aux termes du paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, bien qu’elles viennent corriger les irrégularités liées au libellé des revendications.

Recommandation de la Commission

[51]           Compte tenu de ce qui précède, le comité recommande que la demande soit rejetée pour les motifs suivants :

         les revendications 1 à 49 au dossier définissent un objet non prévu par la Loi et ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets;

         les revendications 21 à 23 au dossier ne définissent pas distinctement, clairement et en des termes explicites l’invention et ne sont donc pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets ou à l’article 84 des Règles sur les brevets.

Leigh Matheson                                  Paul Fitzner                             Andrew Strong
Membre                                               Membre                                   Membre


 

Décision du commissaire

[52]           Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande. Les revendications au dossier ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets et les revendications 21 à 23 ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets ou à l’article 84 des Règles sur les brevets.

[53]           En conséquence, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

Johanne Bélisle
Commissaire aux brevets
Fait à Gatineau (Québec),
en ce 28e jour de décembre 2018

 

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