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Décision du commissaire no 1430

Commissioner’s Decision #1430

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : A20 (Double Brevet)

 

TOPICS: A20 (Double Patenting)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 444 597

Application No.: 2,444,597

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 444 597 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire rejette la demande.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

BERESKIN & PARR LLP/S.E.N.C.R.L.,S.R.L.

Scotia Plaza

40, rue King Ouest, 40e étage

TORONTO (Ontario) M5H 3Y2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

 

[1]          La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet refusée no 2 444 597, intitulée « Inhibiteurs de Fab I », qui est inscrite au nom de Debiopharm International SA. L’irrégularité qui subsiste est liée à la question de savoir si les revendications au dossier sont non brevetables, pour cause de double brevet à la lumière des revendications du brevet délivré no 2 387 016 (le brevet « 016 »), lequel est également inscrit au nom de Debiopharm International SA. William H. Miller, Kenneth A. Newlander, Mark A. Seefeld et Irene N. Uzinskas sont les inventeurs nommés dans la présente demande ainsi que dans le brevet 016. La Commission d’appel des brevets a procédé à une révision de la demande refusée, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons que la demande soit rejetée.

 

Contexte

 

La demande

 

[2]          La demande de brevet 2 444 597 a été déposée au Canada le 3 avril 2002 et publiée le 6 octobre 2002.

 

[3]          La demande concerne des pharmaceutiques inhibiteurs de Fab I, une importante enzyme biosynthétique intervenant dans la synthèse des acides gras bactériens. Le rôle régulateur que joue Fab I fait de cette enzyme une cible idéale pour un traitement antibactérien. Les revendications au dossier visent le composé (E)-N-méthyl-N-(3-méthylbenzofuran-2-ylméthyl)-3-(7-oxo-5,6,7,8-tétrahydro-1,8-naphthyridin-3-yl)acrylamide (« composé A »), les compositions pharmaceutiques contenant le composé A, les sels pharmaceutiquement acceptables de ceux-ci et leurs utilisations pour le traitement de maladies où l’inhibition de Fab I est indiquée, y compris le traitement d’infections bactériennes.

Historique de la procédure

 

[4]          Le 27 janvier 2015, une décision finale (« DF ») a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. Il est expliqué dans la DF qu’il y a un risque de double brevet relatif à une évidence, à la lumière du brevet 016, si la demande en objet est acceptée.

 

[5]          Dans une réponse à la DF (« R-DF ») en date du 27 juillet 2015, le demandeur a présenté des arguments expliquant en quoi l’objet des revendications au dossier constitue un élément brevetable distinct de l’invention revendiquée dans le brevet 016.

 

[6]          Comme l’examinateur n’a pas été convaincu par les arguments du demandeur et estimait que la demande n’était toujours pas conforme à la Loi sur les brevets, la demande a été transmise à la Commission d’appel des brevets (« la Commission ») pour révision, accompagnée d’un résumé des motifs (« RM ») maintenant les irrégularités décelées dans la DF concernant les revendications au dossier.

 

[7]          Dans une lettre en date du 21 décembre 2015 (la « Lettre d’accusé de réception »), la Commission a transmis une copie du RM au demandeur et a offert à ce dernier la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires et/ou de participer à une audience. Le 18 mars 2016, le demandeur a fait connaître sa volonté de présenter des observations écrites en réponse au RM, mais de ne pas participer à une audience.

 

[8]          Dans une réponse au RM (« R-RM ») en date du 13 mai 2016, le demandeur a présenté des arguments plus ciblés expliquant pourquoi une personne versée dans l’art comprendrait que le composé A possède un avantage important, pour appuyer l’observation selon laquelle le composé A constitue un élément brevetable distinct des composés revendiqués dans le brevet 016.

 

[9]          Le présent comité a été constitué dans le but de réviser la demande conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets et de présenter une recommandation à la commissaire quant à la décision à rendre. Dans une lettre en date du 27 avril 2017 (la « lettre du comité »), nous avons exposé notre analyse préliminaire et les raisons pour lesquelles, d’après le dossier dont nous disposons, la personne versée dans l’art ne considérerait pas l’objet des revendications au dossier comme constituant un élément brevetable distinct de l’objet revendiqué dans le brevet 016. Dans la lettre du comité, le demandeur est également invité à présenter d’autres observations écrites en réponse à l’examen préliminaire du comité. Il est indiqué dans cette même lettre que si le demandeur n’avise pas le comité, au plus tard le 15 mai 2017, de son intention de présenter d’autres observations, le comité terminera l’examen et transmettra sa recommandation à la commissaire sans autre communication.

 

[10]      Comme le demandeur n’a pas répondu à la lettre du comité, le représentant du demandeur a été joint par téléphone. Le 30 mai 2017, le représentant a confirmé que la lettre du comité avait été reçue et que le demandeur n’y répondrait pas.

 

[11]      Comme le demandeur a indiqué ne pas vouloir participer à une audience, aucune audience n’a été tenue.

 

Question

 

[12]      Il y a une question soulevée dans la DF et le RM fournis au demandeur et qu’il convient d’aborder dans cet examen, soit celle de savoir si les revendications au dossier sont non brevetables, pour cause de double brevet, à la lumière des revendications contenues dans le brevet 016.

 

 


 

Législation et principes juridiques

 

Double brevet

 

[13]      En termes simples, le double brevet désigne le concept suivant : une personne ne peut pas obtenir un deuxième brevet visant une même chose pour laquelle elle s’est déjà vue accorder un brevet ou visant un équivalent évident.

 

[14]      La Loi sur les brevets ne comporte aucune disposition traitant explicitement du double brevet. La Cour suprême du Canada a cependant indiqué que le fondement législatif du double brevet est le paragraphe 36(1) de la Loi sur les brevets, qui indique qu’un « brevet ne peut être accordé que pour une seule invention » (voir Whirlpool Corp c. Camco Inc., 2000 CSC 67 [« Whirlpool »] au paragraphe 63). Les tribunaux ont également estimé que le double brevet constituait un motif valable, pour le commissaire aux brevets, de rejeter une demande : Bayer Schering Pharma Aktiengesellschaft c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 275, conf. 2009 CF 1249.

 

[15]      Dans Whirlpool, la Cour suprême a souligné que le test à appliquer pour déterminer s’il y a double brevet comporte deux volets. Le premier volet concerne le double brevet [Traduction] « relatif à la même invention », qui survient lorsque les revendications d’un premier et d’un second brevet, tous deux détenus par la même partie, sont [Traduction] « identiques » ou « contiguës ». Dans le cas présent, la demande a été refusée au titre du second volet du test en matière de double brevet, que l’on appelle « double brevet relatif à une évidence ». Ce second volet constitue un « critère plus souple et moins littéral » que le double brevet relatif à la même invention qui interdit la délivrance du second brevet si ses revendications ne visent pas un [Traduction] « élément brevetable distinct » ou ne présentent pas le caractère [Traduction] « de la nouveauté ou de l’ingéniosité » par rapport à celles du premier brevet (Whirlpool, par. 66 et 67).

 

[16]      Le double brevet relatif à une évidence et l’évidence au titre de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets sont tous deux évalués du point de vue de la personne versée dans l’art (« PVA »), à la lumière des connaissances générales courantes de cette personne (« CGC »). Cependant, lorsque l’analyse porte sur le double brevet relatif à une évidence, les revendications de la demande en cause sont comparées aux revendications du brevet délivré. En revanche, lorsque l’analyse porte sur l’évidence au titre de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, l’invention revendiquée est comparée à des éléments spécifiques de l’art antérieur (Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 119 aux par. 28 et 29).

 

Brevets de sélection et double brevet

 

[17]      L’instruction de la demande révèle clairement que les considérations relatives aux brevets de sélection s’appliquent à la question que nous devons trancher, parce que le demandeur a fait valoir que le composé A possède un avantage important par rapport aux composés du brevet 016.

 

[18]      Dans Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Inc., 2008 CSC 61, aux par. 9 à 11 (« Sanofi »), la Cour suprême du Canada a décrit les brevets de sélection comme des [Traduction] « brevets visant une sélection des composés décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine » et a indiqué que le test en trois volets énoncé dans In re I. G. Farbenindustrie A. G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.) constituait un point de départ utile pour l’analyse de la validité [Traduction] :

 

1.      L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

 

2.      Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

 

3.      La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

 

[19]      Une conclusion suivant laquelle les conditions de validité d’un brevet de sélection ne sont pas satisfaites ne constitue pas un motif distinct de contestation de la validité d’un brevet (voir Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, au paragraphe 27).

 

[20]      Dans Sanofi, aux paragraphes 113 et 114, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit relativement à une sélection, à l’avantage particulier associé à la sélection et au double brevet relatif à l’évidence [Traduction] :

 

Le brevet de sélection revendiquant un composé brevetable distinct de celui visé par les revendications du brevet de genre ne saurait être invalidé pour cause de double brevet relatif à une évidence­. En l’espèce, parmi les nombreux composés dont le brevet 875 a prédit l’effet antiplaquettaire, l’isomère dextrogyre du racémate­ s’est révélé plus avantageux que le racémate et l’isomère lévogyre. Comme je l’ai déjà expliqué, les revendications du brevet 777 visent un composé brevetable distinct de ceux visés par les revendications du brevet 875. En conséquence, l’allégation du double brevet relatif à une « évidence » n’est pas fondée.

 

Bien qu’une allégation de double protection exige la comparaison­ des revendications du brevet de genre et du brevet de sélection, le mémoire descriptif du brevet de sélection doit définir clairement la nature de la caractéristique­ du composé sélectionné pour lequel le breveté revendique un monopole. Voir I. G. Farbenindustrie, à la p. 323. En l’espèce, le mémoire descriptif du brevet 777 satisfait à cette exigence en ce qu’il précise à la p. 1 [Traduction] :

 

Contre toute attente, seul l’énantiomère dextrogyre Id présente une activité inhibitrice de l’agrégation des plaquettes, l’énantiomère lévogyre I1 étant inactif à cet égard. De plus, l’énantiomère lévogyre I1 inactif est celui des deux énantiomères qui est le moins bien toléré. [d.a., p. 156]. [Soulignement ajouté]

 

[21]      Il ressort du passage précité que l’avantage que procure une sélection doit faire l’objet d’une divulgation suffisante pour qu’il y ait composé brevetable distinct des composés visés par les revendications du brevet de genre (voir également Sanofi-Aventis c. Apotex Inc., 2013 CAF 236 au par. 45; Pfizer Canada Inc. c. Ranbaxy Laboratories Limited, 2008 CAF 108, au par. 59; et Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 455, au par. 89).

 

Analyse

 

Double brevet

 

[22]      Dans la lettre du comité, nous avons cité un passage de la DF (voir la DF, à la p. 4) qui résume les raisons pour lesquelles l’objet des revendications au dossier a été considéré comme un élément non brevetable distinct de l’objet revendiqué dans le brevet 016 [Traduction] :

 

En bref, s’appuyant seulement sur les revendications, la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que les composés revendiqués dans le brevet 016 aient une utilité particulière. Le demandeur revendique un composé unique s’inscrivant dans cette portée et le décrit (ainsi qu’une multitude d’autres composés) comme ayant la même utilité que les autres composés du groupe défini dans le brevet 016. Comme il serait évident que le composé ait cette utilité, le composé ne peut pas être considéré comme un élément brevetable distinct de celui visé par ledit groupe. Malgré les données supplémentaires fournies et l’argument exposé, le demandeur n’a pas démontré que la sélection de ce composé du groupe était tout sauf arbitraire. Par conséquent, sur la base d’une analyse comparative, revendication par revendication, les revendications au dossier sont évidentes et ne concernent donc pas un élément brevetable distinct de l’objet visé par les revendications 1, 2, 10 et 11 du brevet 016. Un brevet distinct ne peut donc pas être accordé pour les revendications au dossier.

 

 

[23]      Dans la lettre du comité, nous avons résumé l’argument du demandeur comme suit [Traduction] :

 

         Le composé A possède une activité antimicrobienne améliorée par rapport aux composés revendiqués dans le brevet 016. Cet avantage pourrait être facilement reconnu à partir du présent mémoire descriptif et il est confirmé par des données publiées après le dépôt, lesquelles devraient être admissibles (voir la R-DF, aux p. 3, 4, 7 et 8; et la R-RM aux p. 3 et 4).

 

         Dans le cadre d’une analyse portant sur le double brevet relatif à une évidence, la question à trancher est celle de savoir si l’invention revendiquée dans la demande déposée ultérieurement est très claire ou évidente, lorsque comparée à l’invention revendiquée dans le brevet déposé antérieurement. À cet égard, le demandeur soutient que le composé A n’est pas évident lorsqu’on le compare aux revendications du brevet 016 (voir la R-DF, aux p. 2 et 3).

 

         Une personne versée dans l’art, ne disposant que des structures génériques énoncées dans les revendications 1 et 2 du brevet 016, et considérant également les structures chimiques particulières visées par les autres revendications du brevet 016, n’arriverait pas au composé A sans faire preuve d’esprit inventif (voir la R-DF, aux p 4 à 6).

 

La PVA et les CGC pertinentes

[24]      Dans la Lettre du comité, nous avons mentionné que l’identité de la PVA et les CGC pertinentes de cette personne n’avaient pas été définies dans la DF ou dans le RM. Dans cette même lettre, nous avons défini la PVA comme une équipe de personnes travaillant dans les domaines de la chimie médicale, des médicaments antibactériens et de la pharmacologie clinique. En ce qui concerne les CGC que détient la PVA, nous estimons que cette dernière a des CGC dans les domaines susmentionnés, ainsi que des CGC relatives à la synthèse organique et à la pharmacocinétique. Nous précisons également que les utilités thérapeutiques des inhibiteurs de Fab I en tant qu’agents antimicrobiens ont également été considérées comme faisant partie des CGC.

 

[25]      Comme aucune réponse n’a été reçue de la part du demandeur, les évaluations susmentionnées de la PVA et des CGC sont adoptées aux fins du présent examen.

 

Comparaison des revendications

[26]      Dans la lettre du comité, nous avons comparé les revendications 1, 3 et 4 de la présente demande, ainsi que les revendications 1, 15 et 16 du brevet 016. La revendication 1 au dossier et la revendication 1 du brevet 016 visent un composé. La revendication 3 au dossier et la revendication 16 du brevet 016 visent l’utilisation du même composé dans le traitement de maladies pour lesquelles l’inhibition de Fab I est indiquée. La revendication 4 au dossier et la revendication 15 du brevet 016 visent le traitement d’une infection bactérienne. Nous avons observé que la revendication 1 du brevet 016 comprend un groupe de composés défini par une formule développée générale et divers substituants possibles. Nous soulignons également que le demandeur ne semble pas contester le fait que le composé A s’inscrit dans le groupe de composés généralement défini dans la revendication 1 du brevet 016. En outre, nous avons exposé notre analyse préliminaire, laquelle porte que les revendications 1, 3 et 4 au dossier englobent un objet qui recoupe l’objet des revendications 1, 15 et 16 du brevet 016, à savoir le composé A.

 

[27]      Comme aucune réponse n’a été reçue de la part du demandeur, nous maintenons le point de vue que nous avons exprimé dans la lettre du comité, et nous estimons que les revendications 1, 3 et 4 au dossier et les revendications 1, 15 et 16 du brevet 016 englobent le composé A et les mêmes utilités de celui-ci.

 

Avantage important

[28]      Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur a fait valoir que le composé A possède une activité antimicrobienne améliorée par rapport aux composés revendiqués dans le brevet 016 et qu’un tel avantage pourrait facilement être reconnu à partir du présent mémoire descriptif et qu’il est confirmé par des données publiées après le dépôt.

 

[29]      Après avoir examiné les revendications, la description et l’arrêt Teva Canada Ltd. c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60 (« Sildenafil ») qu’a cité le demandeur, nous avons exposé notre analyse préliminaire dans la lettre du comité, à savoir que la PVA ne comprendrait pas, à partir du mémoire descriptif tel que déposé, que le composé A possède un avantage important en raison de son activité antimicrobienne ou en tant qu’inhibiteur de Fab I et, par conséquent, le mémoire descriptif ne permettrait pas de faire du composé A un élément brevetable distinct des composés revendiqués dans le brevet 016.

 

[30]      Nous avons d’abord exposé notre point de vue dans la lettre du comité, à savoir que la PVA ne comprendrait pas que le composé A [Traduction] « possède nécessairement un avantage par rapport au brevet 016 », parce que les revendications se limitent désormais à ce composé. Nous avons souligné que la demande déposée originalement ne contenait aucun jeu de revendications menant éventuellement au composé A. Or, nous avons établi que, si nous avions accepté l’hypothèse du demandeur selon laquelle la PVA aurait inféré l’existence d’un avantage du fait de la présence d’une revendication visant un composé unique, les revendications tel qu’elles ont été déposées n’appuient pas l’allégation portant qu’un avantage important a été reconnu au moment du dépôt pour le composé A. Nous avons indiqué que cela pourrait laisser entendre que la décision de limiter l’objet des revendications au dossier au composé A pendant la poursuite de la demande a été fondée sur des connaissances qui ont seulement été acquises après le dépôt. À cet égard, nous avons mentionné que le problème potentiel associé à l’établissement de l’esprit inventif de manière rétroactive par des modifications apportées après le dépôt a été souligné dans May and Baker Ltd. et al. c. Boots Pure Drug Company Limited (1950), 67 R.P.C. à la p. 57, où il est indiqué ceci [Traduction] :

 

Il y a une bonne raison pour laquelle un titulaire de brevet ne devrait pas être autorisé à présenter une nouvelle sélection par modification : la nouvelle sélection risque d’être fondée sur une connaissance qu’il n’a acquise que récemment et, si cela était autorisé, il serait en mesure de revendiquer quelque chose qu’il n’avait pas inventé lorsqu’il a obtenu son brevet.

 

[31]      Nous avons également remarqué que la Cour suprême a indiqué dans Sildenafil que la question de savoir si chaque revendication dans un brevet concerne une invention distincte doit être tranchée seulement après avoir examiné le mémoire descriptif dans son ensemble. Nous avons exposé notre point de vue, lequel porte que la PVA, d’après le mémoire descriptif dans son ensemble, conclurait raisonnablement que le composé A est simplement un autre exemple d’inhibiteur Fab I, pas nécessairement préférentiel, et que rien ne le distingue des autres inhibiteur Fab I divulgués dans la présente demande ou des autres composés revendiqués dans le brevet 016. Nous n’avons pas trouvé de déclaration précise dans la description ni dans les revendications qui laisserait entendre que le composé A présente un avantage particulier relativement à son activité antimicrobienne ou à toute autre caractéristique fonctionnelle. Le composé A ne ressort pas en tant que composé ayant des propriétés spéciales ni en tant que membre d’un sous-groupe de composés présentant des propriétés spéciales.

 

[32]      Nous avons également exposé notre point de vue selon lequel le passage dans la description auquel le demandeur fait référence (voir la page 34 de la description, lignes 17 à 20) ne corrobore pas la position portant que la PVA comprendrait, d’après le mémoire descriptif, que le composé A possède en fait une activité antimicrobienne améliorée par rapport aux composés revendiqués du brevet 016 (c.-à-d. une concentration minimale inhibitrice [CMI] de moins de 64 μg/ml). Bien que le passage cité éclaire le lecteur averti sur la façon dont les résultats des études sur l’activité antimicrobienne seraient examinés par la PVA et sur les attentes relatives aux composés divulgués dans la présente demande, ni le passage cité ni le reste du mémoire descriptif ne divulguent le fait qu’une CMI donnée a été déterminée pour chacun des composés divulgués ou que tout résultat a été généré à partir desdites études sur l’activité antimicrobienne. Par conséquent, nous avons estimé que la PVA n’associerait pas un composé donné divulgué dans la description, y compris le composé A, à une CMI précise. Nous avons également souligné que les observations du demandeur reposent, en partie, sur la perspective que la personne versée dans l’art tirera des conclusions et fera des extrapolations à partir du mémoire descriptif, ce qui accentue les lacunes du mémoire descriptif relativement à la définition en termes clairs de la nature de l’avantage que, selon ce qu’allègue le demandeur, possède le composé A (voir Sanofi, para 114, cité par le demandeur à la page 2 de la R-RM).

 

[33]      Quoi qu’il en soit, nous avons également souligné que le brevet 016 divulgue aussi que des composés préférentiels ont une CMI inférieure à 64 μg/ml. En conséquence, nous avons exposé notre point de vue, à savoir que même si le présent mémoire descriptif avait clairement énoncé que l’activité antimicrobienne du composé A constitue un avantage, la PVA ne considérerait pas qu’une CMI de moins de 64 μg/ml représente une activité antimicrobienne améliorée, car la PVA croirait également que le groupe des inhibiteurs Fab I revendiqués dans le brevet 016 englobe des composés ayant une CMI inférieure à 64 μg/ml.

 

[34]      En ce qui concerne les données ultérieures à la date de dépôt soumises par le demandeur, qui confirmeraient que le composé A possède une activité antimicrobienne comparativement à un composé visé par les revendications du brevet 016, nous avons indiqué dans la lettre du comité qu’il n’était pas nécessaire dans le cadre du présent examen de nous pencher davantage sur les données ultérieures à la date de dépôt, parce que les données « corroboratives » n’ont pas modifié notre point de vue à l’égard de ce que la PVA comprendrait de l’information contenue dans le mémoire descriptif concernant la divulgation d’un avantage du composé A.

 

[35]      Néanmoins, nous avons présenté notre observation précisant que les données ultérieures à la date de dépôt ne « corroborent » pas que le composé A possède un avantage par rapport au groupe revendiqué dans le brevet 016, puisque la comparaison était limitée à un seul composé (composé B) et à deux souches de Staphylococcus aureus. Nous avons affirmé que les composés compris dans le groupe revendiqué par le brevet 016 pouvaient présenter des niveaux variables d’activité antimicrobienne, et que l’activité antimicrobienne observée d’un composé donné par rapport à des bactéries différentes peut également être dissemblable. Cela étant, nous estimons que les données ultérieures à la date de dépôt ne constituent pas des éléments probants étayant une conclusion portant sur le fait que l’on ne s’attendrait pas à ce qu’un grand nombre d’autres membres du groupe possède l’activité antimicrobienne avantageuse alléguée, ou montrant que l’avantage présumé est important ou propre au composé A. Nous avons également souligné la difficulté associée à une telle comparaison limitée. Le choix fortuit d’un composé non représentatif du groupe pourrait servir à exagérer incidemment l’avantage du composé choisi, s’il en est (voir GlaxoSmithKline Inc. c. Pharmascience Inc., 2008 CF 593, aux par. 63 et 70).

 

[36]      Pour toutes les raisons exposés précédemment, nous maintenons notre point de vue, à savoir que la PVA ne comprendrait pas, à partir du mémoire descriptif tel que déposé, que le composé A possède un avantage important en raison de son activité antimicrobienne ou en tant qu’inhibiteur de Fab I et, par conséquent, ne permettrait pas de faire du composé A un élément brevetable distinct des composés revendiqués dans le brevet 016.

 

La question à trancher dans le cadre d’une analyse portant sur le double brevet relatif à une évidence

[37]      Comme il est mentionné au paragraphe [23], nous estimons dans la lettre du comité que certains arguments contenus dans les observations du demandeur aux pages 2 et 3 de la R-DF laissent entendre qu’une analyse relative à l’« essai allant de soi » est pertinente en l’espèce et que dans le cadre d’une analyse portant sur le double brevet relatif à une évidence, la question à trancher est celle de savoir si l’invention revendiquée dans la plus récente demande produite est très claire ou évidente, par rapport à l’invention revendiquée dans le brevet antérieur.

 

[38]      Suivant les mêmes principes juridiques que ceux énoncés dans la section « Législation et principes juridiques » précédente, nous avons exprimé dans la lettre du comité notre point de vue selon lequel la question la plus pertinente est celle de savoir si le composé A est « un élément brevetable distinct » et présente le caractère de « la nouveauté ou de l’ingéniosité » par rapport aux composés du brevet 016, citant Whirlpool aux par. 66 et 67. Nous avons également indiqué que la question fondamentale dans le présent contexte d’une analyse portant sur le double brevet relatif à une évidence n’est pas celle de savoir si le choix du composé A parmi les nombreux composés que comprend le groupe visé par le brevet 016 est évident, mais plutôt de savoir si le composé A est inventif, ou constitue un élément brevetable distinct, à la lumière des composés revendiqués dans le brevet 016. Cette question est reflétée dans un passage de la décision Eli Lilly Canada, Inc. c. Apotex Inc., 2015 CF 875, lequel a été cité par le demandeur à la page 2 de la R-DF. Par conséquent, nous n’estimons pas qu’il soit pertinent, pour les besoins du présent examen, de répondre à la question de savoir si l’invention revendiquée dans la demande déposée ultérieurement est très claire ou évidente, lorsque comparée à l’invention revendiquée dans le brevet déposé antérieurement.

 

[39]      Cependant, nous avons fait remarquer que, si nous avions estimé que le cadre de l’analyse relative à l’« essai allant de soi » convenait à une analyse portant sur le double brevet relatif à l’évidence, la question pertinente aurait été celle de savoir s’il est plus ou moins évident pour la PVA, selon les inhibiteurs Fab I revendiqués du brevet 016 et les CGC, qu’un composé compris dans le groupe visé par le brevet 016 doit fonctionner comme un inhibiteur Fab I et être utile pour le traitement d’infections bactériennes. Étant donné que le composé A s’inscrit dans le groupe revendiqué par le brevet 016, nous estimons qu’il aurait été plus ou moins évident pour la PVA de savoir que le composé A doit fonctionner en tant qu’inhibiteur Fab I et être utile pour le traitement d’infections bactériennes. Nous sommes d’avis que ce facteur aurait été grandement déterminant dans l’analyse portant sur le double brevet relatif à l’évidence en l’espèce.

 

Ingéniosité et identification du composé A parmi les composés compris dans le brevet 016

[40]      Le demandeur a fait valoir, aux pages 4 à 6 de la R-DF, qu’il fallait faire preuve d’ingéniosité pour identifier le composé A parmi les millions de composés visés par les revendications du brevet 016, car il n’y a aucun composé spécifique dans les revendications du brevet 016 qui a une structure semblable à celle du composé A, et les enseignements du brevet 016 n’auraient pas mené la PVA au composé A précisément. Par conséquent, selon les observations du demandeur, si la PVA avait obtenu une liste de possibilités, et si on lui avait demandé de faire un choix, elle n’aurait eu aucune raison de choisir les groupes chimiques exacts formant le composé A.

 

[41]      Dans la lettre du comité, nous avons exposé notre point de vue portant que la jurisprudence n’indique aucunement que des espèces de structures différentes dans un groupe constituent nécessairement des inventions non évidentes distinctes. À cet égard, nous avons observé que la Cour fédérale, devant des arguments semblables dans Janssen Inc. c. Teva Canada Ltd., 2015 CF 247, aux paragraphes 39 à 42, a affirmé que [Traduction] « [une personne versée dans l’art] ne fait rien d’inventif lorsqu’elle retient des options proposées dans les antériorités pour produire une molécule dont elle s’attend qu’elle fonctionne » et a déterminé qu’il est erroné de conclure que « le composé relevant d’une catégorie brevetée, mais non illustrée pourrait être revendiqué une nouvelle fois à l’égard de la même utilité, qu’il s’agisse ou non d’une sélection valide ayant des propriétés particulières ».

 

[42]      Nous avons également indiqué être d’avis que le brevet 016 enseigne que tous les composés compris dans le groupe sont des inhibiteurs Fab I, y compris le composé A, lequel s’inscrit dans la portée du groupe revendiqué. Par conséquent, nous étions d’avis que la PVA n’aurait pas besoin de faire preuve d’ingéniosité en choisissant parmi des options évidentes pour produire un inhibiteur Fab I auquel on s’attend et qui est enseigné comme étant un inhibiteur Fab I.

 

[43]      En outre, nous avons observé que le mémoire descriptif dans son ensemble, et l’exemple 99 en particulier (l’exemple qui décrit la préparation du composé A), ne corrobore pas la conclusion selon laquelle la préparation du composé A aurait nécessité de l’ingéniosité de la part de la personne versée dans l’art. L’exemple 99 se lit simplement comme suit :

 

Exemple 99

 

Préparation de (E)-N-méthyl-N-(3-méthylbenzofuran-2-ylméthyl)-3-(7-oxo-5,6,7,8-tétrahydro-1,8-naphthyridin-3-yl)acrylamide

 

Le composé titre est préparé selon les méthodes suivantes, lesquelles sont analogues à celles décrites dans les préparations et les exemples précédents.

 

 

Conclusion

 

[44]      Pour les raisons susmentionnées, nous sommes d’avis que la PVA ne considérerait pas l’objet des revendications au dossier comme étant un élément brevetable distinct de l’objet visé par les revendications 1, 2, 10, 13, 15 et 16 du brevet 016. Par conséquent, nous sommes d’avis que les revendications au dossier sont non brevetables pour cause de double brevet.

 

 

Recommandation à la Commission

 

[45]      Nous recommandons que la demande soit refusée au motif que les revendications au dossier sont non brevetables pour cause de double brevet à la lumière des revendications du brevet délivré no 2 387 016.

 

 

 

 

 

 

Marcel Brisebois                Ed MacLaurin                                 Leigh Matheson

Membre                                Membre                                              Membre

 


 

Décision du commissaire

 

[46]      Je souscris aux conclusions de la Commission d’appel des brevets ainsi qu’à sa recommandation de refuser la demande au motif que les revendications au dossier sont non brevetables pour cause de double brevet, à la lumière des revendications du brevet délivré no 2 387 016.

 

[47]      En conséquence, je refuse d’octroyeraccorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 26e jour de septembre 2017

 

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