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Décision du commissaire no 1442

Commissioner’s Decision #1442

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET :           G00 (Utilité)

                        O00 (Évidence)

J80 (Aptitudes professionnelles (artistiques))

K11 (Traitement)

 

TOPIC:           G00 (Utility)

O00 (Obviousness)

J80 (Professional or Artistic Skill)

K11 (Treatment)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 416 408

Application No.: 2,416,408

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 416 408 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire rejette la demande.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

MBM INTELLECTUAL PROPERTY LAW LLP

275, rue Slater, 14e étage

OTTAWA (Ontario) K1P 5H9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

[1]          La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet refusée numéro 2 416 408, intitulée « Méthodes de traitement de maladies neurodégénératives du cerveau », qui est inscrite au nom de Regents of the University of California. Les irrégularités qui subsistent sont liées aux questions de savoir si l’objet des revendications au dossier est dépourvu d’utilité, si l’objet des revendications au dossier aurait été évident et si les revendications au dossier visent un objet qui est exclu de la définition d’invention. La Commission d’appel des brevets a procédé à une révision de la demande refusée conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons que la demande soit rejetée.

 

Contexte

La demande

 

[2]          La demande de brevet no 2 416 408, qui est fondée sur une demande antérieurement déposée au titre du Traité de coopération en matière de brevets (PCT), est réputée avoir été déposée au Canada le 17 mai 2001 et publiée le 31 janvier 2002.

 

[3]          La demande a trait à des méthodes d’administration continue de neurotrophines dans le cerveau de mammifères et de traitement de maladies neurodégénératives. Les neurotrophines sont une famille de protéines qui jouent un rôle positif dans le développement, la survie et la régulation des neurones chez les mammifères.

 

Historique du traitement de la demande

[4]          Le 22 juillet 2014, une décision finale (« DF ») a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. La DF indique que l’objet des revendications 1 à 11 au dossier aurait été évident, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets; que l’objet des revendications 1 à 11 au dossier ne présente pas le caractère de l’utilité, en contravention de l’article 2 de la Loi sur les brevets, que l’objet des revendications au dossier est insuffisamment fondé, en contravention de l’article 84 des Règles sur les brevets; que le mémoire descriptif ne décrit pas d’une façon exacte et complète l’invention revendiquée et ne rend pas réalisable l’objet des revendications au dossier, en contravention du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets; et que les revendications 12 à 14 au dossier visent un objet qui est exclu de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[5]          Dans une réponse à la DF (« R-DF ») en date du 22 janvier 2015, le demandeur a présenté des arguments expliquant en quoi l’objet des revendications au dossier était brevetable et ne se prêtait pas à objection pour les motifs exposés dans la DF.

 

[6]          Les arguments du demandeur n’ayant pas convaincu l’examinateur, la demande a été transmise à la Commission d’appel des brevets (« la Commission ») pour révision, accompagnée d’un résumé des motifs (« RM ») maintenant les irrégularités signalées dans la DF à l’égard des revendications au dossier.

 

[7]          Dans une lettre en date du 25 février 2016 (la « Lettre d’accusé de réception »), la Commission a transmis une copie du RM au demandeur et a offert à ce dernier la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires et/ou de participer à une audience. Le demandeur n’a pas donné suite à la Lettre d’accusé de réception.

 

[8]          Le présent comité a été constitué dans le but de réviser la demande conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets et de présenter une recommandation à la commissaire quant à la décision à rendre. Dans une lettre en date du 21 septembre 2017 (la « Lettre du comité »), nous avons exprimé l’opinion que les irrégularités alléguées au titre de l’article 84 des Règles sur les brevets et du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets ne soulèvent pas de considérations qui ne sont pas déjà considérées comme une non-conformité à l’article 2 de la Loi sur les brevets en ce qui concerne les revendications 1 à 11. De façon similaire, nous avons exprimé l’opinion qu’il serait également plus approprié de traiter les questions du fondement et du caractère suffisant soulevées à l’égard des revendications 12 à 14 comme une irrégularité liée à l’absence d’utilité, étant donné le contexte factuel de la présente espèce.

 

[9]          Dans la même lettre, nous nous sommes penchés sur la question de savoir si la présente demande comportait des irrégularités autres que celles indiquées dans la DF la rendant non conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, conformément au paragraphe 30(6.1) des Règles sur les brevets. Plus précisément, nous nous sommes penchés sur les questions de savoir si les revendications 12 à 14 au dossier étaient dépourvues d’utilité, si les revendications 12 à 14 au dossier auraient été évidentes à la lumière des antériorités citées à l’encontre des revendications 1 à 11 et si les revendications 1 à 11 au dossier comprennent une méthode de traitement médical. De plus, nous avons exposé notre analyse préliminaire et les raisons pour lesquelles nous estimons, d’après le dossier dont nous disposons, que l’objet des revendications au dossier présente le caractère de l’utilité et qu’il aurait été évident à la lumière des antériorités citées, et que les revendications au dossier visent un objet qui est exclu de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Enfin, nous avons invité le demandeur à présenter d’autres observations écrites en réponse à l’examen préliminaire du comité. Il était également indiqué dans la Lettre du comité que, si le demandeur n’avisait pas le comité, au plus tard le 6 octobre 2017, de son intention de présenter d’autres observations, le comité terminerait la révision et présenterait sa recommandation à la commissaire sans autre communication avec le demandeur.

 

[10]      Le demandeur n’ayant pas répondu à la Lettre du comité, le représentant du demandeur a été joint par téléphone. Le 10 novembre 2017, le représentant a confirmé que la Lettre du comité avait été reçue et que le demandeur n’entendait pas y donner suite.

 

Questions

[11]      À la lumière de ce qui précède, trois questions doivent être examinées dans le cadre de la présente révision :

i)        L’objet des revendications 1 à 14 au dossier est-il dépourvu d’utilité, en contravention de l’article 2 de la Loi sur les brevets?

 

ii)      L’objet des revendications 1 à 14 au dossier aurait-il été évident, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets?

 

iii)    Les revendications 1 à 14 au dossier comprennent-elles une méthode de traitement médical, un objet qui est exclu de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets?

 

Principes juridiques et pratiques du Bureau des brevets

Interprétation téléologique

[12]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52).   Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB) révisé en juin 2015 (OPIC), la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art (« PVA ») et ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être identifiés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée.

 

Utilité

[13]      L’utilité fait partie intégrante de la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets, qui prévoit que l’objet revendiqué doit présenter le « caractère de l’utilité » :

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[14]      L’exigence de l’utilité a été décrite comme suit par la Cour suprême du Canada dans Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. [1981] RCS 504, à la p. 525 [Traduction] :

Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens d’« inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [Traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ». [soulignement ajouté]

 

[15]      L’utilité de l’objet revendiqué doit être établie dès le départ, car l’utilité est une [Traduction] « condition essentielle pour qu’il y ait invention » (voir Consolboard, à la p. 527). Dans AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, au paragraphe 53, la Cour suprême du Canada a indiqué que « [c]e qui constitue une utilité acceptable variera en fonction de l’objet de l’invention cerné à la suite de l’interprétation des revendications » et a énoncé, aux paragraphes 54 et 55, l’approche qu’il convient d’adopter pour déterminer si une demande de brevet divulgue une invention qui présente une utilité suffisante au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets :

[54]   Pour déterminer si un brevet divulgue une invention dont l’utilité est suffisante au sens de l’art. 2, les tribunaux doivent procéder à l’analyse suivante. Ils doivent d’abord cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet. Puis, ils doivent se demander si cet objet est utile, c’est-à-dire se demander s’il peut donner un résultat concret.

[55]   La Loi ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle ne prévoit pas non plus que chaque utilisation potentielle doit être réalisée — une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante, et l’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt (AZT, au paragraphe 56). 

 

[16]      Par conséquent, l’utilité à la date du dépôt au Canada doit être établie au moyen soit d’une démonstration soit d’une prédiction valable. L’utilité ne peut pas être corroborée par des éléments de preuve ou des connaissances qui ne sont devenues accessibles qu’après la date de dépôt (voir également Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, au paragraphe 56 (AZT), cité dans le passage ci-dessus).

 

[17]      La règle de la prédiction valable permet d’établir l’utilité alléguée même lorsque cette utilité n’a pas été entièrement vérifiée à la date de dépôt. Une demande de brevet doit, cependant, fournir un [Traduction] « solide enseignement » quant au fonctionnement de l’invention revendiquée, par opposition à de [Traduction] « simples spéculations » (AZT, au paragraphe 69).

 

[18]      La question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait (AZT, au paragraphe 71). L’analyse de la prédiction valable devrait porter sur trois éléments (AZT, au paragraphe 70) :

1)      la prédiction doit avoir un fondement factuel;

 

2)      à la date de dépôt de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

 

3)      il doit y avoir divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement.

 

[19]      Ces éléments sont évalués du point de vue de la PVA à qui s’adresse la demande de brevet, en tenant compte des CGC que posséderait la PVA. En outre, à l’exception des CGC, le fondement factuel et le raisonnement doivent être inclus dans la demande de brevet (voir Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, aux paragraphes 152 et 153).

 

[20]      Bien qu’une prédiction n’ait pas à équivaloir à une certitude pour être valable, l’utilité doit pouvoir être raisonnablement inférée à première vue (Mylan Pharmaceuticals ULC c. Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 119, au paragraphe 55, Gilead Sciences, Inc. c. Idenix Pharmaceuticals Inc., 2015 CF 1156, au paragraphe 251).

 

Évidence

[21]      L’article 28.3 de la Loi sur les brevets établit l’exigence selon laquelle l’objet revendiqué ne doit pas être évident pour la PVA :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[22]      Dans Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, au paragraphe 67 (Sanofi), la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il est utile, pour évaluer l’évidence, de suivre la démarche en quatre étapes suivante :

 

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[23]      Dans le contexte de la quatrième étape, la Cour a également indiqué dans Sanofi qu’il pouvait être approprié dans certains cas d’effectuer une analyse fondée sur le critère de l’« essai allant de soi ». Pour conclure qu’une invention alléguée résulte d’un « essai allant de soi », il doit aller plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention alléguée avant de procéder à des essais courants. La simple possibilité que quelque chose puisse fonctionner n’est pas suffisante.

 

[24]      Dans Sanofi, la Cour a dressé une liste non exhaustive des facteurs à considérer dans le cadre d’une analyse fondée sur le critère de l’« essai allant de soi » :

(1)   Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

(2)   Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

(3)   L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

 


 

Objet prévu par la Loi et méthodes de traitement médical

[25]      La définition d’invention est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets, et reproduite ci-dessus dans la section « Utilité ».

 

[26]      Les méthodes de traitement médical et de chirurgie ne sont pas des objets prévus par la Loi et sont exclues de la définition d’invention (voir Tennessee Eastman Co. c. Commissaire aux brevets (1970), 62 C.P.R. 117 (C. de l’Éch.), conf. par [1974] S.C.R. 111).

 

[27]      La pratique actuelle du Bureau en ce qui concerne la brevetabilité des revendications d’utilisation médicale est expliquée dans l’énoncé de pratique PN 2015-01, intitulé Pratique d’examen révisée concernant les utilisations médicales (PN 2015-01). La pratique du Bureau a été révisée pendant le traitement de la présente demande entre l’envoi de la DF et celui du RM, dans la foulée de la décision rendue dans AbbVie Biotechnology Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1251.

 

[28]      Selon le PN 2015-01, les revendications d’utilisation médicale sont généralement permises du moment qu’elles n’équivalent pas à une méthode de traitement médical. La réponse à la question de savoir si l’objet d’une revendication est prévu par la Loi est fonction des éléments essentiels de la revendication qui ont été déterminés au moyen d’une interprétation téléologique, comme indiqué à la section 13.05 du RPBB.

 

[29]      En outre, lorsqu’un élément essentiel ne sert qu’à indiquer à un professionnel de la santé « comment » traiter un patient et qu’il n’indique pas « quoi » utiliser pour traiter le patient, il faut se demander si l’élément essentiel empêche, entrave ou requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. Si la réponse est « oui », il faut considérer que l’utilisation revendiquée comprend une méthode de traitement médical qui est exclue de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets

 

[30]      Cependant, le PN 2015-01 reconnaît également qu’il peut y avoir des cas où les éléments essentiels servent à indiquer à un professionnel de la santé « comment » traiter un patient, mais ne sont pas considérés comme empêchant, entravant ou requérant l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. À titre d’exemple, les éléments essentiels qui restreignent le traitement à un dosage fixe, à un régime posologique fixe ou à une sous-population de patients ne sont pas considérés comme définissant une limitation à l’exercice des compétences professionnelles ou du jugement d’un médecin.

 

Analyse

Interprétation téléologique

La PVA et les CGC pertinentes

[31]      Dans la Lettre du comité, nous avons défini la PVA comme une équipe formée de personnes ayant différents domaines d’expertise, dont un clinicien et un scientifique tous deux spécialisés dans les troubles neurodégénératifs liés aux neurones défectifs, malades ou endommagés et dans les modèles expérimentaux de ces derniers, ainsi qu’un médecin expérimenté dans la chirurgie stéréotaxique du cerveau.

[32]      En ce qui concerne les CGC de la PVA, nous considérons que cette personne aurait possédé les connaissances suivantes :

         La physiopathologie des maladies et des troubles neurologiques courants, tels que la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson, y compris le type de neurones et les régions du cerveau couramment touchés par la neurodégénérescence, et les différents modèles de troubles neurodégénératifs chez les rats et les primates non humains;

 

         Les différentes neurotrophines, leur rôle positif dans le développement et la régulation des neurones chez les mammifères et leur potentiel prometteur pour la manipulation du cours naturel du dysfonctionnement neuronal post-lésion et le traitement des affections neurodégénératives associées à des maladies du système nerveux;

 

         Les méthodes expérimentales permettant l’administration locale d’agents thérapeutiques dans le système nerveux central (« SNC ») et les défis qui leur sont respectivement associés, y compris la thérapie génique ex vivo qui repose sur la transplantation de cellules transfectées exprimant l’agent thérapeutique d’intérêt et la thérapie génique in vivo directe qui repose sur l’utilisation de différents systèmes de vecteurs et de gènes exprimant l’agent thérapeutique d’intérêt, y compris le système de vecteur viral adénoassocié, qui est l’un des moyens de transduction à long terme le plus prometteur pour le SNC;

 

         Les procédés liés à la chirurgie stéréotaxique du cerveau, y compris la génération de coordonnées stéréotaxiques dans les régions cibles grâce à l’imagerie par résonance magnétique (« IRM »), y compris l’administration intracrânienne de compositions thérapeutiques.

 

Le problème à résoudre et la solution proposée

[33]      À la page 9 de la Lettre du comité, nous avons indiqué que le problème à résoudre consiste à [Traduction] « fournir une méthode assurant une administration continue de neurotrophines aux tissus cibles endommagés du SNC avec un minimum d’effets secondaires ».

 

[34]      En ce qui concerne la solution, à la page 9 de la Lettre du comité, nous avons exprimé l’opinion que la solution proposée consiste à [Traduction] « administrer une neurotrophine dans un rayon de 500 μm d’un neurone endommagé ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration par transfert génique direct in vivo du transgène codant pour la neurotrophine dans les cellules voisines du neurone cible à l’aide d’un vecteur d’expression recombinant afin d’assurer l’expression de la neurotrophine désirée in situ ».

 

Les éléments essentiels des revendications permettant de résoudre le problème défini

[35]      Les revendications indépendantes 1 et 12 sont libellées comme suit [Traduction] :

1.       Utilisation d’un vecteur d’expression viral adénoassocié (VAA) comprenant un transgène codant pour la neurotrophine pour améliorer le fonctionnement des neurones cholinergiques défectifs, malades ou endommagés dans le cerveau d’un mammifère, ledit vecteur d’expression VAA étant acheminé par administration directe in vivo dans un ou plusieurs sites d’administration à l’intérieur d’une région du cerveau contenant les neurones cholinergiques ciblés, chacun desdits sites d’administration étant situé dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration.

12.     Utilisation d’un vecteur d’expression viral adénoassocié (VAA) comprenant un transgène codant pour la neurotrophine pour améliorer le fonctionnement des neurones dopaminergiques défectifs, malades ou endommagés dans le cerveau d’un mammifère, ledit vecteur d’expression VAA étant acheminé par administration directe in vivo dans un ou plusieurs sites d’administration à l’intérieur d’une région du cerveau contenant les neurones dopaminergiques ciblés, chacun desdits sites d’administration étant situé dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration.

 

 

[36]      Dans la Lettre du comité, nous avons souligné que, bien que la revendication 1 se rapporte spécifiquement aux neurones cholinergiques et que la revendication 12 se rapporte spécifiquement aux neurones dopaminergiques, les revendications indépendantes 1 et 12 ont en commun les éléments essentiels suivants :

i)        L’utilisation d’un vecteur d’expression VAA comprenant un transgène codant pour la neurotrophine pour améliorer le fonctionnement des neurones défectifs, malades ou endommagés dans le cerveau d’un mammifère;

 

ii)      L’administration directe in vivo dans un ou plusieurs sites d’administration à l’intérieur d’une région du cerveau contenant les neurones ciblés;

 

iii)    Chacun des sites d’administration est situé dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration.

 

[37]      Nous soulignons que les revendications indépendantes 2 et 13 sont des revendications d’utilisation médicale de style « suisse ». Ce type de revendications a typiquement la forme « L’utilisation d’un composé X dans la fabrication d’un médicament pour le traitement de Y ». Une interprétation littérale pourrait laisser croire que l’utilisation envisagée est simplement pour la fabrication d’un médicament. Cependant, selon ce format « suisse », une interprétation des revendications comme étant reliées à une utilisation médicale du composé est permise. Cette dernière interprétation est conforme à la jurisprudence (p. ex., voir GD Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 437, conf. 2009 CAF 35; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, conf. 2009 CAF 8). Bien que l’utilisation mentionnée dans les revendications 2 et 13 soit axée sur la fabrication d’un médicament, les revendications spécifient l’utilisation thérapeutique, le mode d’administration et l’emplacement d’administration envisagés. À notre avis, les utilisations revendiquées vont au-delà de la simple utilisation d’un vecteur d’expression VAA comprenant un transgène codant pour la neurotrophine pour fabriquer un médicament; elles impliquent que ce médicament doit obligatoirement être administré pour qu’il y ait amélioration du fonctionnement des neurones défectifs, malades ou endommagés dans le cerveau d’un mammifère, selon l’emplacement d’administration défini. Par conséquent, nous considérons que, même si les revendications 2 et 13 sont formulées selon le format « suisse », elles revendiquent essentiellement le même objet que les revendications 1 et 12, respectivement.

 

[38]      Les revendications dépendantes 3 à 11 et 14 définissent des limitations supplémentaires concernant la concentration de particules virales (revendication 3), la dose unitaire (revendication 4), la période d’administration (revendication 5), le type de mammifère et l’origine de la neurotrophine (revendication 6), la nature de la neurotrophine (revendications 7 et 8), l’emplacement tissulaire des sites d’administration (revendications 9 et 10) et le trouble neurodégénératif à traiter par l’amélioration du fonctionnement des neurones défectifs, malades ou endommagés (revendications 11 et 14).

 

[39]      Étant donné qu’aucune réponse n’a été reçue de la part du demandeur, nous adoptons, aux fins de la présente révision, les définitions de la PVA et des CGC pertinentes énoncées ci-dessous, ainsi que les définitions du problème à résoudre, de la solution et des éléments essentiels.

 

Utilité

[40]      Le passage de la DF (aux pages 2 et 3) qui est reproduit ci-dessous porte sur l’absence d’un fondement factuel dans la présente description sous-tendant l’utilité des utilisations revendiquées et résume bien la question de l’utilité dont nous sommes saisis à l’égard des revendications 1 à 11, mais également à l’égard des revendications 12 à 14, étant donné que la seule différence significative entre ces ensembles de revendications concerne le type précis de neurones ciblés (c.-à-d. cholinergiques contre dopaminergiques) [Traduction] :

[E]n ce qui concerne la divulgation in vivo faite dans la présente demande, l’exemple II enseigne que le vecteur NGF-VAA a été injecté dans le cerveau antérieur basal cholinergique. Par suite de l’injection du NGF-VAA, l’expression du gène s’est manifestée principalement au niveau des neurones. Ainsi, les données in vivo divulguées dans la présente demande démontrent uniquement que l’expression du gène a été observée dans la région de l’injection. Elles n’enseignent pas que l’expression du NGF améliore le fonctionnement des neurones cholinergiques défectifs, malades ou endommagés. Par conséquent, la demande ne fournit pas une divulgation suffisante et ne contient aucun fondement factuel sous-tendant cet objet.

Enfin, dans sa lettre en date du 4 janvier 2013, le demandeur a fait valoir que la réussite dans un milieu ex vivo ne renseigne pas sur la réussite dans un milieu in vivo, pas plus qu’elle ne la prédit. Comme indiqué dans le rapport d’examen en date du 22 juillet 2013, même si l’exemple II divulgue une injection in vivo de NGF dans un emplacement défini à l’intérieur du cerveau d’un rat, aucun protocole spécifique d’administration in vivo dans des sites contenant les neurones ciblés prévoyant une expression dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration n’est divulgué, en dehors d’une simple mention. Par conséquent, l’utilité d’une utilisation in vivo pour administrer une neurotrophine dans un ou plusieurs sites d’administration à l’intérieur d’une région du cerveau contenant les neurones cholinergiques ciblés, selon laquelle chacun desdits sites d’administration est situé dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration, est incertaine. La présente demande est considérée comme étant dépourvue d’un fondement factuel sous-tendant l’objet des revendications 1 à 11. L’irrégularité est toujours présente.

 

[41]      Dans la Lettre du comité, nous avons indiqué que nous comprenions que le demandeur, dans la R-DF, soutient que l’utilité des revendications au dossier est établie au moyen d’une démonstration ou, subsidiairement, d’une prédiction valable, et avons résumé comme suit les arguments du demandeur à cet égard :

         L’exemple II démontre que l’administration d’un vecteur d’expression VAA comprenant un transgène codant pour un facteur de croissance nerveuse (« NGF ») permet de traiter les cellules neuronales défectives, malades ou endommagées;

 

         Le mémoire descriptif divulgue le fondement factuel sous-tendant la prédiction selon laquelle l’administration in vivo d’un gène codant pour une neurotrophine peut être utile pour améliorer le fonctionnement des neurones cholinergiques défectifs, malades ou endommagés, lequel fondement est illustré dans les exemples divulgués, notamment l’exemple II et l’exemple VI;

 

         En ce qui concerne le raisonnement, la PVA comprendrait que la réponse thérapeutique observée dans le cadre de l’administration de cellules exprimant le facteur de croissance nerveuse (NGF) aux neurones endommagés ciblés devrait également être observée dans le cadre d’une administration de gènes in vivo.

 


 

Démonstration de l’utilité

[42]      Après examen de l’exemple II et de la demande dans son ensemble, nous avons indiqué à la page 13 de la Lettre du comité que [Traduction] « l’effet biologique de l’administration génique in vivo du NGF à proximité immédiate des neurones n’a pas été évalué, sans parler de celui de toutes les neurotrophines incluses dans la portée des revendications » et avons exprimé l’opinion que la PVA n’interpréterait pas les résultats présentés à l’exemple II comme constituant une démonstration de l’utilité de l’objet revendiqué. Le demandeur doit, par conséquent, s’en remettre à la prédiction valable pour satisfaire à l’exigence de l’utilité énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Prédiction valable de l’utilité

[43]      Dans la Lettre du comité, nous avons exprimé l’opinion que le fondement factuel divulgué dans la demande comprend au moins le fait que l’expression durable du NGF par les neurones ciblés a été obtenue à la suite d’un transfert génique in vivo à l’aide d’un vecteur VAA comprenant la séquence codante du NGF et le fait que l’administration intraparenchymateuse de fibroblastes génétiquement modifiés pour produire le NGF a permis de contrer la perte d’expression qui est associée au dysfonctionnement des neurones cholinergiques du cerveau antérieur basal.

 

[44]      En ce qui concerne le raisonnement, nous avons exprimé l’opinion, à la page 14 de la Lettre du comité, que le raisonnement présenté par le demandeur est valable [Traduction] :

Nous estimons que la PVA comprendrait également qu’une neurotrophine est la molécule active clé, car toute amélioration du fonctionnement des neurones défectifs, malades ou endommagés prédite serait attribuable à l’action de cette neurotrophine sur les neurones, indépendamment du moyen par lequel la neurotrophine s’est retrouvée à proximité immédiate des neurones ciblés. Étant donné que le mémoire descriptif révèle que l’expression du NGF au niveau du site ciblé engendre une réponse thérapeutique pertinente (c.-à-d. la prévention de la perte d’expression spontanée du récepteur p75) et que l’expression du NGF au niveau du site ciblé a été obtenue aussi bien par l’administration de gènes ex vivo que par l’administration de gènes in vivo, nous sommes d’avis que la PVA considérerait que le raisonnement est valable, car l’utilité peut être raisonnablement inférée du fondement factuel à première vue.

En ce qui concerne les revendications dépendantes 11 et 14 qui mentionnent le traitement de troubles neurodégénératifs précis (c.-à-d. la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson), nous sommes d’avis que la PVA considérerait que le raisonnement demeure valable, car une inférence d’utilité peut, là encore, être tirée : contrer la neurodégénérescence au sein des populations de neurones et dans les régions du cerveau couramment touchées par les troubles neurodégénératifs mentionnés serait utile dans le traitement de ces troubles.

 

[45]      Nous avons, en outre, exprimé l’opinion que le fondement factuel et le raisonnement exigés étaient tous deux adéquatement divulgués dans la demande et avons indiqué que la PVA aurait valablement prédit qu’un vecteur d’expression VAA comprenant un transgène codant pour la neurotrophine aurait permis d’améliorer le fonctionnement des neurones cholinergiques ou dopaminergiques défectifs, malades ou endommagés dans le cerveau d’un mammifère, lorsqu’administré dans une région du cerveau d’un mammifère contenant les neurones ciblés et qu’il aurait été utile dans le traitement de troubles neurodégénératifs, y compris la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson.

 

Conclusion quant à l’utilité

[46]      À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que l’objet des revendications 1 à 14 est utile et, par conséquent, conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Évidence

Identifier la PVA et les CGC pertinentes

[47]      La PVA et les CGC pertinentes ont été définies ci-dessus dans le cadre de l’interprétation téléologique des revendications.

 

Définir l’idée originale

[48]      À la page 15 de la Lettre du comité, nous avons indiqué être en accord avec l’idée originale des revendications 1 à 11 défini dans la DF, soit [Traduction] « l’utilisation d’un vecteur d’expression VAA comprenant un transgène codant pour la neurotrophine pour améliorer le fonctionnement des neurones cholinergiques défectifs, malades ou endommagés dans le cerveau d’un mammifère, ledit vecteur d’expression VAA étant acheminé par administration directe in vivo dans un ou plusieurs sites d’administration à l’intérieur d’une région du cerveau contenant les neurones dopaminergiques ciblés, chacun desdits sites d’administration étant situé dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration » et avons souligné que le demandeur ne s’est pas dit en désaccord avec cette évaluation dans la R-DF. Nous avons également exprimé l’opinion que, en dehors du type de neurones impliqués (c.-à-d. neurones dopaminergiques plutôt que neurones cholinergiques), l’idée originale des revendications 12 à 14 au dossier est essentiellement le même. Par conséquent, nous appliquons cette idée originale dans le cadre de l’analyse ci-dessous.

 

Différences entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale

[49]       Les trois documents d’art antérieur suivants ont été cités dans la partie introductive de la DF et mentionnés dans la R-DF :

         Tuszynski et coll., Gene Therapy, 3, pages 305 à 314, 1996 (désigné comme le document D1 dans la DF);

 

         Demande de brevet internationale WO 97/39629 A1 déposée auprès de l’OMPI, publiée en octobre 1997; inventeurs : Bohn et coll. (désignée comme le document D2 dans la DF);

 

         Bankiewicz et coll., Experimental Neurology, 144, pages 147 à 156, 1997 (désigné comme le document D6 dans la DF).

 

[50]      Après examen des divulgations faites dans ces documents, nous avons exprimé l’opinion, dans la Lettre du comité, que D1 est le plus pertinent et représente l’antériorité la plus proche. Nous avons résumé les divulgations et enseignements contenus dans D1 :

         les facteurs neurotrophiques en général et le NGF en particulier se sont avérés avoir des effets bénéfiques sur la neurodégénérescence des neurones cholinergiques du cerveau antérieur basal;

 

         l’administration de fibroblastes sécrétant le NGF dans un rayon de 250 µm des neurones cholinergiques ciblés a pour effet de prévenir la dégénérescence des neurones cholinergiques;

 

         il est important que l’administration des fibroblastes sécrétant le NGF à proximité des neurones ciblés soit effectuée avec précision, car les transplants sécrétant le NGF qui ont été administrés à une distance de plus de 3 mm des neurones cibles de l’hôte n’ont pas empêché la dégénérescence des neurones, et la diffusion du NGF dans le parenchyme cérébral semble ne pas se poursuivre au-delà d’une distance de 10 mm du site d’administration. Par conséquent, le nombre de sites de transplantation requis varierait en fonction de la taille des régions touchées.

 

[51]      À la lumière des enseignements résumés ci-dessus, nous considérons que D1 divulgue la « validation du principe » selon lequel l’administration d’une neurotrophine à proximité immédiate de neurones ciblés (c.-à-d. aussi près que possible des neurones ciblés, y compris dans un rayon de 250 μm) engendre une réponse biologique bénéfique qui a un effet thérapeutique pertinent sur les troubles neurodégénératifs, et que D1 enseigne également comment remédier à la faible diffusion d’une neurotrophine observée dans le parenchyme cérébral au moyen de multiples sites d’administration contigus (situés à une distance d’au plus 3 mm dans le cas du NGF) qui permettent de couvrir, au besoin, de grandes régions ciblées à l’intérieur du cerveau.

 

[52]      Nous sommes également d’avis que la divulgation de D6 est aussi pertinente du point de vue de l’analyse de l’évidence. Nous comprenons que D6 décrit le système de VAA comme l’un des véhicules les plus prometteurs pour le transfert in vivo de gènes dans le SNC dans le contexte d’une thérapie génique pour le traitement d’une affection neurodégénérative (c.-à-d. la maladie de Parkinson) et enseigne qu’une première expérience reposant sur des injections de VAA s’est traduite par une infection cérébrale limitée et hautement concentrée à proximité immédiate du site d’injection.

 

[53]      En ce qui concerne les divulgations faites dans D1 et D6, le demandeur a fait valoir dans la R-DF que les enseignements contenus dans D1 ne se rapportent pas à la thérapie génique in vivo ni à des sites d’administration in vivo, et que rien dans D6 ne donne à penser qu’un ou plusieurs sites d’administration sont situés dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration et que D6 prévoit, au contraire, une administration dans des sites très éloignés de la population de cellules ciblée.

 

[54]      Pour les raisons exposées dans la Lettre du comité, nous avons exprimé l’opinion que, même si les enseignements contenus dans D1 se rapportent à l’administration génique ex vivo de neurotrophines et qu’il existe des différences entre une technique d’administration génique ex vivo et une technique d’administration génique in vivo, la PVA aurait su que l’administration locale d’un agent thérapeutique codé génétiquement dans une région cible du SNC constitue le principe sous-jacent commun aux deux techniques d’administration. La PVA considérerait que les enseignements de D1 en ce qui concerne l’importance d’administrer avec précision la neurotrophine aux neurones ciblés s’appliquent également à la technique d’administration génique in vivo et que le bon sens exige par ailleurs d’administrer un agent thérapeutique le plus près possible de la population de cellules ciblée.

 

[55]      En ce qui concerne les enseignements contenus dans D6, nous avons exprimé l’opinion que D6 n’enseignait pas d’éviter d’administrer le VAA à proximité immédiate de la région ciblée du cerveau. Au contraire, nous considérons que D6 enseigne qu’il est important que les sites d’administration se trouvent à proximité de la population de cellules ciblée dans le contexte des techniques d’administration génique in vivo.

 

[56]      À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que les différences entre l’« état de la technique » et l’idée originale des revendications 1 à 14 au dossier tiennent au fait que le D1 n’enseigne pas d’administrer une neurotrophine par administration génique directe in vivo à l’aide d’un VAA et au fait que D6, même s’il se rapporte à l’administration d’agents thérapeutiques dans le SNC en général, ne divulgue pas ou n’enseigne pas spécifiquement d’administrer une neurotrophine dans le SNC.

 

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

[57]      Dans la Lettre du comité, nous avons pris acte des observations du demandeur qui, d’après ce que nous comprenons, se rapportent à l’analyse relative à l’« essai allant de soi » décrite dans Sanofi et avons admis qu’il est approprié en l’espèce de se demander si les différences entre l’« état de la technique » et l’idée originale constituent des étapes qui auraient relevé de l’« essai allant de soi » pour la PVA.

 

[58]      Dans le contexte de la réalisation revendiquée, nous avons formulé la question pertinente comme suit : aurait-il été plus ou moins évident pour la PVA, d’après les enseignements de D1 et D6 et compte tenu des CGC, que le fait d’administrer avec précision (c.-à-d. dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé) une neurotrophine à l’aide d’un VAA dans une région du cerveau contenant les neurones cholinergiques (revendications 1 à 11) ou dopaminergiques (revendications 12 à 14) ciblés allait permettre d’améliorer le fonctionnement des neurones cholinergiques ou dopaminergiques défectifs, malades ou endommagés et serait utile dans le traitement de la maladie d’Alzheimer (revendications 1 à 11) ou de la maladie de Parkinson (revendications 12 à 14).

 

[59]      Étant donné que D1 divulgue que l’administration d’une neurotrophine à proximité immédiate de neurones ciblés (c.-à-d. aussi près que possible des neurones ciblés, y compris dans un rayon de 250 μm) engendre une réponse biologique bénéfique qui a un effet thérapeutique pertinent sur les troubles neurodégénératifs, nous avons exprimé l’opinion, dans la Lettre du comité, qu’il ait été plus ou moins évident pour la PVA que le fait d’utiliser une autre technique d’administration de thérapie génique expérimentale couramment connue ou de cibler une population différente de neurones dans une région différente du cerveau allait fonctionner. Même si nous considérions que cette évaluation était pratiquement déterminante quant à la question de l’« essai allant de soi » en l’espèce, nous avons formulé les observations suivantes en ce qui concerne les autres facteurs de la liste non exhaustive de facteurs à considérer dans le cadre d’une analyse fondée sur le critère de l’« essai allant de soi » [Traduction] :

         nous avons constaté qu’il existe un nombre déterminé de solutions prévisibles connues de la PVA qui permettent d’administrer localement de façon continue des agents thérapeutiques dans le SNC et nous considérons que, parmi les systèmes de vecteurs utilisés pour le transfert de gènes in vivo, le système de vecteur VAA constitue l’un des moyens de transduction à long terme les plus prometteurs dans le cas du SNC; 

 

         en ce qui concerne la nature et l’ampleur des efforts requis pour réaliser l’invention, nous considérons que la PVA connaît les techniques utilisées pour fabriquer des VAA et sait comment utiliser ces derniers dans le contexte d’un transfert de gènes in vivo, et nous soulignons que la présente description ne semble pas fournir d’enseignements quant à la production de VAA appropriés pour un transfert de gènes in vivo ou à l’administration stéréotaxique de tels vecteurs en dehors ou au-delà ce qui fait déjà partie des CGC ou est enseigné dans les documents d’art antérieur cités.

 

[60]      En ce qui concerne l’autre réalisation de l’objet défini dans les revendications indépendantes 1 et 12 qui implique l’utilisation de multiples sites d’administration, nous avons exprimé l’opinion, dans la Lettre du comité, qu’il aurait été plus ou moins évident pour la PVA que cette réalisation allait également fonctionner, car D1 et D6 enseignent tous deux comment remédier à la faible diffusion de la neurotrophine observée dans le parenchyme cérébral au moyen de multiples sites d’administration contigus qui permettent de couvrir, au besoin, de grandes régions ciblées à l’intérieur du cerveau.

 

[61]      Quant aux revendications dépendantes 3 à 10 au dossier, nous ne considérons pas que la PVA aurait eu à faire preuve d’inventivité en ce qui a trait aux limitations supplémentaires qu’elles définissent concernant une concentration précise de particules virales codant pour la neurotrophine (revendication 3), un volume de dosage précis (revendication 4), une période d’administration précise (revendication 6), les espèces précises (revendication 6), une neurotrophine précise (revendications 7 et 8), ou la région précise du cerveau qui est ciblée (revendications 9 et 10).

 

Conclusion quant à l’évidence

[62]      Compte tenu de ce qui précède et en l’absence d’une réponse de la part du demandeur, nous sommes d’avis que l’objet des revendications 1 à 14 au dossier aurait été évident pour la PVA à la date de la revendication à la lumière des enseignements des documents D1 et D6 et des CGC pertinentes, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

Objet

[63]      Dans la Lettre du comité, nous avons souligné que l’analyse présentée dans la DF quant à la question de savoir si l’objet des revendications 12 à 14 équivalait à une méthode de traitement médical, a été réalisée conformément à un énoncé de pratique (Pratique d’examen concernant les utilisations médicales, PN 2013-04) qui n’est plus en vigueur. Nous avons également indiqué, dans la Lettre du comité, que, selon la pratique actuelle décrite dans l’énoncé PN 2015-01, l’inclusion d’un élément essentiel servant à indiquer à un professionnel de la santé « comment » traiter un patient n’est pas nécessairement déterminante quant à la question de savoir si l’utilisation revendiquée comprend une méthode de traitement médical; il faut plutôt se demander si l’élément essentiel empêche, entrave ou requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. Autrement dit, la question pertinente en l’espèce n’est pas de savoir si l’un des éléments essentiels est prévu par la loi, mais bien si l’un quelconque des éléments essentiels identifiés empêche, entrave ou requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin.

 

[64]      Dans la Lettre du comité, nous avons pris acte de l’observation du demandeur selon laquelle l’utilisation d’un VAA comprenant un transgène codant pour la neurotrophine est un élément essentiel. Pour les raisons exposées dans la Lettre du comité, nous considérons que les éléments essentiels consistant à administrer à l’intérieur de la boîte crânienne le VAA envisagé comprenant un transgène codant pour la neurotrophine dans un rayon de 500 μm d’un neurone ciblé et à une distance d’au plus 10 mm d’un autre site d’administration impliquent un niveau de précision qui exige une chirurgie stéréotaxique du cerveau, c’est-à-dire une étape chirurgicale qui requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin.

 

Conclusion quant à l’objet

[65]      Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que les revendications au dossier visent un objet qui est exclu de la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 


 

Recommandation de la Commission

[66]      Nous recommandons que la demande soit rejetée parce que l’objet des revendications 1 à 14 au dossier aurait été évident, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, et parce que les revendications 1 à 14 au dossier comprennent une méthode de traitement médical, un objet qui n’entre pas dans la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

 

 

 

 

 

Marcel Brisebois            Ed MacLaurin                         Lewis Robart

Membre                         Membre                                   Membre

 


 

Décision

[67]      Je souscris aux conclusions de la Commission d’appel des brevets ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande, parce que les revendications au dossier auraient été évidentes, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, et parce que les revendications au dossier comprennent une méthode de traitement médical, un objet qui n’entre pas dans la définition d’invention énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[68]      En conséquence, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 2e jour de mars 2018

 

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