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Décision du commissaire no 1406

Commissioner's Decision #1406

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 SUJET : O00 (Évidence)

TOPIC: O00 (Obviousness)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 470 999

   Application No: 2,470,999

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 470 999 a fait l’objet d’une révision conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, le commissaire accepte la demande.

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

Gowling WLG

160, rue Elgin, bureau 2600

Ottawa (Ontario)

K1P 1C3


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


INTRODUCTION

[1]          La demande 2 470 999, qui a pour titre « Compositions de SYN3 et procédés associés » (« SYN3 Compositions and Methods »), est inscrite au nom de Merck Sharpe & Dohme Corp. Elle a été refusée dans une décision finale parce que l’objet revendiqué a été jugé évident par l’examinateur et donc non conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[2]          Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons que cette demande soit acceptée.

HISTORIQUE DU DOSSIER

[3]          La demande en cause a été déposée au Canada le 20 décembre 2002 et publiée le 3 juillet 2003.

[4]          Une requête d’examen a été présentée le 11 décembre 2007 et l’examen s’est soldé par la délivrance, le 17 octobre 2013, d’une décision finale date dans laquelle les 11 revendications au dossier ont été refusées au titre de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets au motif qu’elles sont évidentes à la lumière de trois documents d’art antérieur.

[5]          Le demandeur a répondu à la décision finale le 15 avril 2014 et a fait valoir que les revendications définissaient un objet non évident. Trois articles scientifiques et une déclaration ont été fournis pour appuyer la thèse du demandeur.

[6]          L’examinateur étant demeuré d’avis que la demande n’était pas conforme, un résumé des motifs a été préparé et la demande a été déférée à la Commission pour révision. Le demandeur en a été informé le 18 février 2015 et le présent comité a été constitué en vue de procéder à la révision.

[7]          Lorsqu’il a été informé que la demande était en attente de révision par la Commission, le demandeur a sollicité une audience et exprimé le désir de présenter des observations écrites avant que nous procédions à l’examen préliminaire de la demande. Or, ni audience ni observations écrites ne sont requises pour l’heure, car après révision de la demande et du dossier tel qu’il est présentement constitué, nous recommandons que la demande soit acceptée.

LA QUESTION EN LITIGE

[8]          La question est celle de savoir si l’objet défini par les revendications 1 à 11 aurait été évident pour une personne versée dans l’art à la date de dépôt de la demande et, par conséquent, non conforme à l’article 28.3 de la Loi.

PRINCIPES JURIDIQUES

Interprétation des revendications

[9]          Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont identifiés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 SCC 67 aux al. 49f) et g) et au par. 52). Tel qu’il est indiqué au chapitre 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [révisé en juin 2015], la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art et à déterminer ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

Évidence

[10]      La Loi sur les brevets exige que l’objet d’une revendication ne soit pas évident. L’article 28.3 de la Loi prévoit ce qui suit :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[11]      Dans Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi], la Cour suprême du Canada a indiqué, au paragraphe 67 qu’il était utile, pour évaluer l’évidence, de suivre la démarche en quatre étapes suivante :

 

1)            a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne :

2)        Définir le concept inventif de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3)        Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation;

4)        Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

Contexte

[12]      La présente demande a trait à des compositions pharmaceutiques pour le traitement du cancer par thérapie génique. L’une des méthodes de thérapie génique implique d’acheminer un gène thérapeutique jusqu’à des cellules cibles à l’aide d’un vecteur d’apport génique, tel qu’un virus créé par l’homme.

[13]      Dans le cas présent, les inventeurs ont mis au point un système de thérapie génique qui comprend deux composantes principales :

1)      un vecteur d’apport génique qui assure le transport d’un gène thérapeutique;

2)      une composition lyophilisée améliorant le transfert génique.

[14]      La seconde composante est le point central de l’invention.

[15]      La composition améliorant le transfert génique dans le cas présent est préparée en mélangeant d’abord un agent d’amélioration unique appelé « SYN3 » avec des véhicules chimiques, ou « excipients ». Le mélange obtenu est ensuite lyophilisé[1] à des fins d’entreposage. Dans la pratique, la composition lyophilisée améliorant le transfert génique est reconstituée avec de l’eau, puis mélangée avec l’autre composante, le vecteur d’apport génique, immédiatement avant d’être administrée à un patient.

[16]      Le SYN3 est un composé de type tensioactif connu pour améliorer l’acheminement de gènes transportés par des vecteurs d’apport génique jusqu’aux cellules de la vessie. Le défi auquel les inventeurs étaient confrontés dans le cas présent consistait à formuler le SYN3 et des excipients appropriés de manière à obtenir une composition améliorant le transfert génique qui peut être lyophilisée, entreposée et éventuellement utilisée dans le cadre d’une thérapie génique.

La personne versée dans l’art

[17]      Dans la décision finale, la personne versée dans l’art est définie comme étant [Traduction] « un oncologue connaissant les techniques de thérapie génique ainsi que les formulations utilisées dans le domaine ». À notre avis, étant donné que la personne versée dans l’art s’y connaît en formulations, il s’ensuit que cette dernière peut être considérée comme une équipe formée d’un oncologue et d’un spécialiste des formulations. Une telle définition serait également en accord avec la nature de l’invention et la section Contexte de la description.

Les connaissances générales courantes

[18]      L’ensemble des connaissances générales courantes équivaut à la somme des connaissances générales courantes que possède chacun des membres de l’équipe susmentionnée.

[19]      La section Contexte de la description illustre bien les connaissances générales courantes d’un oncologue. Elle indique que l’information suivante faisait partie des connaissances générales courantes des oncologues :

         Étant un oncologue, la personne versée dans l’art aurait possédé une connaissance du cancer de la vessie et aurait su que cette maladie est généralement traitée au moyen des protocoles de chimiothérapie ou des méthodes chirurgicales établis (par. [0003]).

         Diverses stratégies de thérapie génique étaient en voie d’élaboration à titre d’approches thérapeutiques de remplacement pour le traitement du cancer de la vessie (par. [0004])

         Les vecteurs d’apport génique génétiquement modifiés pour assurer le transport d’un gène thérapeutique ont la capacité de transférer le gène aux cellules cancéreuses, y compris à des cellules de la vessie dans des conditions in vitro (par. [0007])

[20]      Un ouvrage de référence (Remington: The Science and Practice of Pharmacy, 20e éd., A. R. Gennaro éd., Mack Publishing. Co., Easton, Pa. 1995; « Remington ») et des parties de la description peuvent être considérés comme représentatifs des connaissances générales courantes que possédait un spécialiste des formulations :

         Les compositions chimiques peuvent être lyophilisées pour en améliorer la stabilité pendant leur entreposage, puis reconstituée avec de l’eau avant leur utilisation (Remington, page 802)

         Divers types d’excipients peuvent être ajoutés à des compositions chimiques à différentes fins, notamment des agents solubilisants, des détergents, des agents complexants, des agents tampons et des agents gonflants (Remington; par. [0061] à [0068])

         L’hydroxypropyl-bêta-cyclodextrine (« HPβCD ») est un agent complexant/solubilisant de grande taille qui comporte une cavité intramoléculaire qui peut accueillir et transporter de petites molécules « invitées », ou des parties de celles-ci, et, de ce fait, assurer leur stabilité en solution (Remington, pages 190 et 191; par. [0061])

         Les polysorbates sont des tensioactifs non ioniques qui peuvent solubiliser des molécules hydrophobes; ils se présentent sous la forme de liquides huileux et visqueux (Remington, page 1037; par. [0061])

Le problème

[21]      De façon générale, la personne versée dans l’art comprend qu’il est nécessaire d’offrir des thérapies sécuritaires et efficaces pour le traitement du cancer. Compte tenu du contexte spécifique du présent mémoire descriptif et des connaissances générales courantes, la personne versée dans l’art comprendrait qu’il existe un besoin de remédier au problème de l’amélioration du transfert de gènes thérapeutiques, à l’aide d’un vecteur d’apport génique, aux cellules cancéreuses de la vessie à l’intérieur de l’organisme d’un patient, c.-à-d. in vivo. Ce besoin est exprimé au par. [0008] du mémoire descriptif : [Traduction] « [i]l existe un besoin pour des formulations à usage thérapeutique qui améliorent l’efficacité de l’acheminement du transgène ».

La solution

[22]      De façon générale, la description expose un système de thérapie génique qui comprend deux composantes principales :

1)      un vecteur d’apport génique qui assure le transport d’un gène thérapeutique;

2)      une composition lyophilisée améliorant le transfert génique.

[23]      La description est axée sur la seconde composante qui est présentée comme la solution proposée par l’inventeur et enseigne que, dans la pratique, la composition améliorant le transfert génique peut être lyophilisée, entreposée, reconstituée avec de l’eau, puis mélangée avec la première composante du système, le vecteur d’apport génique, immédiatement avant d’être administrée à un patient (par. [0058]; exemples 1 et 17).

[24]      La description indique que la solution implique, en partie, d’intégrer un agent chimique de type tensioactif appelé « SYN3 » à la composition améliorant le transfert génique. Le SYN3 a la propriété d’améliorer le transfert d’un gène thérapeutique aux cellules de la vessie dans des conditions in vivo, au moyen d’un vecteur d’apport génique (par. [0035]). Il est également non toxique pour les tissus et ne rend pas les vecteurs d’apport génique instables (par. [0032] et [0033]).

[25]      Par conséquent, la solution que proposent les inventeurs consiste, en termes généraux, à formuler le SYN3 en une composition lyophilisée améliorant le transfert génique d’une manière qui ne compromet pas ses propriétés : [Traduction] « [u]n des aspects de l’invention est qu’une molécule unique de type tensioactif, le SYN3, est formulée avec des excipients afin de maintenir la solubilité et la stabilité, et préserver la compatibilité avec le [vecteur d’apport génique] » (par. [0031]).

[26]      Bien que la description présente un large éventail d’excipients possibles que la personne versée dans l’art pourrait choisir de combiner avec le SYN3 dans l’espoir de solubiliser et de stabiliser le SYN3 sous une forme lyophilisée, la personne versée dans l’art comprendrait que la solution au problème que les inventeurs cherchent à résoudre est plus restreinte, et qu’elle est représentée, en particulier, dans les exemples qui exposent l’utilisation des mêmes excipients spécifiques mentionnés dans les revendications en cause. L’exemple 17 est digne de mention à cet égard, car il s’agit du seul enseignement relatif à une composition lyophilisée qui peut être reconstituée avec de l’eau et qui demeure compatible avec un vecteur adénoviral. Il convient de mentionner que les excipients utilisés dans l’exemple 17 sont ceux exposés dans la revendication 11.

Les revendications

[27]      Conformément à la description, les revendications 1 à 10 renvoient à un système de thérapie génique qui comprend deux composantes principales : 1) un vecteur d’apport génique qui transporte un gène thérapeutique; et 2) une composition lyophilisée améliorant le transfert génique. La revendication 11 porte uniquement sur la dernière de ces composantes et est représentative de la solution que proposent les inventeurs :

[Traduction]
Une composition lyophilisée comprenant un composé (SYN3) représenté par la formule :

le composé étant présent dans une quantité suffisante pour améliorer l’acheminement, le polysorbate 80 dans une concentration de 1 à 36 mg/ml avant la lyophilisation, l’hydroxypropyl-bêta-cyclodextrine dans une concentration de 50 à 500 mg/ml avant la lyophilisation, et un système tampon au citrate conférant un pH se situant entre 5 et 6 avant la lyophilisation.

[28]      La revendication comprend les éléments suivants :

1)      une composition lyophilisée;

2)      du SYN3 dans une quantité suffisante pour améliorer l’acheminement;

3)      du polysorbate 80 dans une concentration de 1 à 36 mg/ml avant la lyophilisation;

4)      de l’hydroxypropyl-bêta-cyclodextrine dans une concentration de 50 à 500 mg/ml avant la lyophilisation;

5)      un système tampon au citrate conférant un pH se situant entre 5 et 6 avant la lyophilisation.

[29]      À notre avis, la personne versée dans l’art comprendrait que les cinq éléments sont tous essentiels en ce qu’ils forment une combinaison qui solubilise le SYN3, demeure stable lors de son entreposage sous forme de mélange lyophilisé, peut être facilement reconstituée avec de l’eau et est compatible avec l’autre composante du système de thérapie génique, le vecteur d’apport génique. La personne versée dans l’art ne considérerait pas, à la lumière de ses connaissances générales courantes ou des enseignements contenus dans la description, que l’un quelconque de ces éléments peut être omis ou substitué sans que cela n’ait d’effet substantiel sur le fonctionnement de l’invention; ils sont représentatifs de la combinaison d’excipients nécessaire à la mise en œuvre de l’exemple 17.

ÉVIDENCE

[30]      Dans la décision finale, l’analyse relative à l’évidence est appliquée de façon distincte aux deux groupes de revendications établis :

A.    les revendications 1 à 10 qui se rapportent au vecteur d’apport génique transportant le gène thérapeutique, ainsi qu’à la composition lyophilisée améliorant le transfert génique, et

B.     la revendication 11 qui concerne uniquement la composition lyophilisée améliorant le transfert génique.

[31]      Or, la question de l’évidence de l’ensemble des revendications peut être tranchée en examinant uniquement la revendication 11 qui appartient au second groupe, car son objet est inclus dans la portée des revendications 1 à 10 et rendra brevetables ces revendications s’il est jugé non évident.

[32]       Nous commencerons donc par examiner la revendication 11.

Revendication 11

[33]      Selon la décision finale et le résumé des motifs, la revendication 11 est évidente à la lumière d’une référence, le document D1, et des connaissances générales courantes.

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes

[34]      La première étape de la démarche en quatre étapes de Sanofi pour évaluer l’évidence a été abordée ci-dessus dans le contexte de l’interprétation des revendications.

Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

[35]      La décision finale indique que le concept inventif est [Traduction] « une composition lyophilisée constituée de « Syn3 », de polysorbate 80, de [HPβCD] et d’un système tampon au citrate ».

Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation

[36]      La référence D1 est la demande de brevet américaine 2001/0006946 A1, publiée le 5 juillet 2001. Elle décrit l’isolation et les propriétés d’un nouveau composé appelé « SYN3 ». Le SYN3 est un composé de type tensioactif qui a été découvert sous la forme d’une impureté dans des préparations commerciales d’un autre tensioactif. Il est indiqué que le SYN3 a la capacité d’améliorer considérablement le transfert de gènes aux cellules de la vessie dans des conditions in vivo lorsque certains vecteurs d’apport génique sont utilisés.

[37]      Il convient de souligner que le SYN3 est décrit comme étant peu soluble dans l’eau et comme ayant besoin d’être mis en présence d’un solubilisant pour conserver sa solubilité (par. [0159]).

[38]      Dans la décision finale, le document D1 est décrit de la manière suivante :

[Traduction]
Le document D1 divulgue des compositions pharmaceutiques qui comprennent un composé identique à celui décrit dans la présente demande comme le « Syn3 » et qui sont utilisées pour améliorer le transfert génique in vivo aux fins du traitement de diverses maladies, y compris le cancer de la vessie. Lesdites compositions pharmaceutiques comprennent également des solubilisants, des détergents, des véhicules, des stabilisants, des tampons et des agents gonflants pharmaceutiquement acceptables. Le document D1 divulgue l’intégration spécifique du TweenMD/polysorbate 80 auxdites compositions ainsi que l’utilisation de ladite composition conjointement avec un gène codant pour un interféron α, lequel peut être présent dans un système de vecteur adénoviral recombinant.

[39]      La décision finale indique ce qui suit au sujet du document D1 : [Traduction] « Le document [D1] n’expose pas explicitement de compositions lyophilisées constituées de « Syn3 », de [HPβCD] et d’un système tampon au citrate conférant un pH se situant à 5 et 6. »

[40]      Par conséquent, le document D1 diffère du concept inventif à au moins trois égards :

1)      une composition lyophilisée comprenant du SYN3;

2)      le HPβCD; et

3)      un système tampon au citrate conférant un pH se situant entre 5 et 6.

[41]      Un aspect qui n’est pas mentionné dans la décision finale, qui pourtant met en contexte le concept inventif, est le fait que la composition lyophilisée améliorant le transfert génique de la revendication 11 est l’une des composantes d’un système de thérapie génique en deux parties, l’autre composante étant un vecteur d’apport génique qui assure le transport d’un gène thérapeutique. Ainsi, la personne versée dans l’art comprendrait que la composition de la revendication 11 n’est pas un produit autonome; elle a été expressément formulée afin de pouvoir être reconstituée avec de l’eau, puis mélangée avec le vecteur d’apport génique immédiatement avant d’être administrée à un patient. À cet égard, nous soulignons que le document D1 ne traite pas d’un système de thérapie génique en deux parties comprenant deux composantes. Le document D1 divulgue uniquement des compositions comprenant un vecteur d’apport génique qui est déjà mélangé avec des excipients.

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

[42]      Selon la décision finale, l’objet de la revendication 11 aurait été évident pour la personne versée dans l’art. Or, nous ne sommes pas convaincus que la personne versée dans l’art, se fondant sur le document D1 et sur ses connaissances générales courantes, considérerait que les différences susmentionnées constituent des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art.

[43]      Premièrement, la formulation du SYN3 avait un caractère imprévisible, car le SYN3 ne faisait pas partie des tensioactifs généralement connus de la personne versée dans l’art. Il était divulgué dans le document D1 en tant que nouveau composé, mais toute la lumière n’avait pas encore été faite sur ses propriétés. La personne versée dans l’art ne se serait pas, par conséquent, attendue à ce qu’une forme lyophilisée de quelque type que ce soit puisse être préparée de façon usuelle, sans parler d’une forme qui puisse être facilement reconstituée avec de l’eau tout en demeurant compatible avec les vecteurs d’apport génique.

[44]      En ce qui concerne la différence 1) énoncée ci-dessus – une composition lyophilisée comprenant du SYN3, la décision finale indique que le document D1 divulgue le SYN3 [Traduction] « sous la forme d’une poudre (qui est le résultat final de la lyophilisation) » et que la personne versée dans l’art [Traduction] « lyophiliserait les compositions liquides de « Syn3 » pour assurer un meilleur entreposage ».

[45]      À notre avis, la personne versée dans l’art n’assimilerait pas la poudre blanche divulguée dans le document D1 à une poudre qui est nécessairement obtenue par lyophilisation. Nous soulignons qu’au par. [0174] du document D1, il est question d’une [Traduction] « poudre blanche » de SYN3 qui résulte de la synthèse chimique de ce dernier et non d’une lyophilisation permettant d’obtenir [Traduction] « un pain blanc à blanchâtre » tel qu’il est divulgué dans l’exemple 17 de la présente demande.

[46]      Même si la personne versée dans l’art sait, du fait de ses connaissances générales courantes, que la lyophilisation est généralement considérée comme une technique utile pour stabiliser des compositions et ainsi assurer un meilleur entreposage, il n’y a dans le document D1 aucune directive claire ou suggestion indiquant d’opter pour la lyophilisation dans le cas précis du SYN3. Nous soulignons également qu’il n’est pas non plus suggéré dans le document D1 de lyophiliser seulement une partie, la composition lyophilisée améliorant le transfert génique, d’un système de thérapie génique en deux parties.

[47]      La question de la stabilisation du SYN3 est abordée dans le document D1 pour des raisons de solubilité uniquement. À cet égard, il est mentionné, à juste titre, dans la décision finale que [Traduction] « le document D1 enseigne explicitement d’utiliser du polysorbate 80 pour favoriser la solubilisation du « Syn3 », de sorte que ladite personne versée dans l’art inclurait systématiquement ledit additif dans une composition lyophilisée de « Syn3 ». Or, le document D1 ne traite pas de l’emploi du polysorbate 80 dans une composition lyophilisée et, de surcroît, ne divulgue pas la reconstitution réussie de telles compositions et le maintien de la compatibilité avec le vecteur d’apport génique d’une manière qui s’apparente à la manière divulguée dans le cas présent. À notre avis, il n’apparaîtrait pas clairement à la personne versée dans l’art qu’une substance visqueuse et huileuse telle que le polysorbate 80, utilisée selon les quantités suggérées dans le document D1, pourrait être formulée de manière à produire un pain blanc à blanchâtre une fois lyophilisée, tel qu’il a été réalisé avec succès pour la première fois dans le cas présent.

[48]      En ce qui concerne les différences 2) et 3) énoncées ci-dessus – l’utilisation de HPβCD et d’un système tampon au citrate – la décision finale indique qu’elles constituent des mesures que la personne versée dans l’art prendrait de façon usuelle. Même si ces excipients auraient été tous deux connus de la personne versée dans l’art en ce qu’ils faisaient partie de ces connaissances générales courantes, nous ne sommes pas convaincus que la personne versée dans l’art aurait pu réussir à la seule lumière du document D1 et de ses connaissances générales courantes. Le document D1 est muet en ce qui concerne l’utilisation de l’un ou l’autre de ces deux excipients, sans parler de leur utilisation combinée.

[49]      De plus, en réponse à la décision finale, le demandeur a fait valoir que la personne versée dans l’art n’aurait pas envisagé d’utiliser le HPβCD comme agent complexant/solubilisant du SYN3, car elle aurait su que le SYN3 est trop gros pour entrer dans la cavité du HPβCD et parce qu’elle aurait considéré une utilisation combinée avec le polysorbate 80 comme susceptible de perturber la stabilité du SYN3. À l’appui de ces arguments, le demandeur a invoqué les enseignements contenus dans trois articles[2] scientifiques sur les cyclodextrines et présenté une déclaration de l’un des inventeurs[3].

[50]      Nous avons examiné les articles et la déclaration, et sommes d’avis que les arguments du demandeur ne sont pas sans valeur. Nous sommes convaincus que les articles scientifiques sont conformes aux connaissances générales courantes sur les cyclodextrines et qu’un doute subsisterait dans l’esprit de la personne versée dans l’art à savoir si le choix du HPβCD permettrait de réussir dans le cas d’une molécule telle que le SYN3, à plus forte raison si une seconde molécule, potentiellement perturbatrice, est également utilisée.

[51]      Dans la décision finale et le résumé des motifs, une préoccupation est exprimée quant au fait que la description ne divulgue aucun résultat inattendu ou surprenant découlant de l’utilisation de HPβCD et d’un système tampon au citrate, et que cela corrobore la thèse selon laquelle les compositions revendiquées ne sont pas le résultat d’une étape inventive. À titre d’exemple, le résumé des motifs indique qu’il n’y a [Traduction] « aucune indication à savoir si [la stabilité du vecteur d’apport génique] est meilleure ou pire que celle de la composition, en l’absence du composé de cyclodextrine ».

[52]      À notre avis, ce raisonnement suppose que des compositions lyophilisées utiles du type de celles revendiquées auraient pu être réalisées de façon usuelle, et que la personne versée dans l’art aurait, par conséquent, eu conscience des avantages relatifs à l’entreposage généralement attendus de telles compositions. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art ne se serait pas attendue à réussir, pas plus qu’elle n’aurait trouvé dans le document D1 des indications suffisantes pour lui permettre de préparer les compositions lyophilisées spécifiques revendiquées. Pour que la personne versée dans l’art prête aux propriétés des compositions revendiquées un résultat attendu et prévisible, il aurait fallu, d’abord et avant tout, qu’elle soit équipée pour les préparer en faisant appel uniquement à ses compétences courantes – une prémisse qui, à notre avis, n’est pas corroborée par le dossier.

[53]      Nous soulignons également que la personne versée dans l’art pourrait considérer, après avoir examiné la description à la lumière du document D1, que l’utilisation combinée de HPβCD et de polysorbate 80 présente un avantage. L’utilisation d’une quantité moindre de polysorbate 80, ainsi qu’il est enseigné dans la présente description, comparativement aux quantités utilisées dans le document D1, pourrait être perçue comme un avantage par la personne versée dans l’art. Le document D1 enseigne que de fortes concentrations de polysorbate 80 peuvent nuire à l’acheminement du gène jusqu’aux cellules cancéreuses de la vessie (par. [0191]), alors que les exemples 17 et 15 de la présente demande indiquent qu’une quantité moindre de polysorbate 80 peut être utilisée si du HPβCD est également utilisé.

Conclusion quant à la revendication 11

[54]      À notre avis, la personne versée dans l’art considérerait l’objet de la revendication comme dénotant une certaine inventivité.

Revendications 1 à 10

[55]      Dans la décision finale, les revendications 1 à 10 et la revendication 11 ont été jugées évidentes pour des raisons distinctes. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’objet de la revendication 11 est inclus dans la portée des revendications 1 à 10 et rendra brevetables ces revendications s’il est jugé non évident. Nous soulignons également que les raisons à l’origine du refus des revendications 1 à 10, dans la mesure où la composition améliorant le transfert génique est concernée, font écho à celles énoncées relativement à la revendication 11. Notre analyse de la revendication 11 s’applique donc aux revendications 1 à 10 et nous amène à conclure que ces dernières sont également non évidentes.

[56]      Nous nous pencherons tout de même sur la question de savoir si les divulgations faites dans les documents D2 et D3, qui sont identifiées dans la décision finale comme s’appliquant uniquement aux revendications 1 à 10, sont également pertinentes du point de vue de la revendication 11 et s’ils rendent évident l’un ou l’autre objet revendiqué, lorsqu’ils sont considérés seuls ou en combinaison.

[57]      Le document D2 est un article scientifique identifié comme suit : Ahmed et al., Cancer Gene Therapy, 8: 788-795 (octobre 2001). Selon la décision finale, le document D2 divulgue un [Traduction] « système d’acheminement par vecteur adénoviral comprenant un interféron α2 b et son utilisation pour inhiber la croissance de tumeurs chez un patient dans le cadre d’une thérapie génique ». Il a été cité, dans la décision finale, au motif qu’il fait mention du même vecteur d’apport génique transportant le même gène thérapeutique que ceux énoncés dans les revendications 1 à 10. Pour cette raison, le document D2 est pertinent pour évaluer l’évidence de l’une des composantes mentionnées dans les revendications 1 à 10 : le vecteur d’apport génique transportant un gène thérapeutique. Cependant, le document D2 n’est pas pertinent du point de vue de la seconde composante des revendications 1 à 10 ou de l’objet de la revendication 11, c’est-à-dire la composition lyophilisée améliorant le transfert génique. Le document D2 n’a donc aucun effet sur l’analyse relative à la revendication 11 exposée ci-dessus et ne peut pas, par voie de conséquence, rendre les revendications 1 à 10 évidentes.

[58]      Le document D3 est un article scientifique identifié de la manière suivante : Croyle et al., Gene Therapy, 8: 1281-1290 (septembre 2001). Selon la décision finale :

[Traduction]
Le document D3 divulgue l’utilisation de cyclodextrines bêta pour améliorer des formulations de vecteurs viraux dans le cadre d’une thérapie génique. Le document D3 divulgue également que la lyophilisation est une technique couramment utilisée dans la formulation desdits vecteurs viraux.

[59]      Le document D3 serait pertinent pour évaluer l’évidence sur la base de l’utilisation des cyclodextrines et de la lyophilisation qu’il divulgue si le problème à résoudre concernait la stabilisation des vecteurs d’apport génique. Or, à notre avis, la personne versée dans l’art ne le considérerait pas comme pertinent du point de vue du problème que les présents inventeurs cherchent à résoudre, car ce dernier consiste à stabiliser et à formuler une composition lyophilisée améliorant le transfert génique. Bien que la décision finale indique que [Traduction] « une personne versée dans l’art inclurait systématiquement le [HPβCD] dans une composition destinée à une thérapie génique », il ne s’ensuit pas que la personne versée dans l’art serait amenée à en faire autant si elle était confrontée au problème spécifique de la présente demande. Le document D3 n’enseigne rien de notable en ce qui a trait à la solubilisation ou à la stabilisation des compositions améliorant le transfert génique. Ainsi, considéré conjointement avec le document D1 et/ou le document D2, le document D3 ne rendrait pas l’objet de la revendication 11 évident pour la personne versée dans l’art et, par voie de conséquence, ne rendrait pas non plus l’objet des revendications 1 à 10 évident pour la personne versée dans l’art.

CONCLUSION

[60]      Les revendications 1 à 11 sont conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

RECOMMANDATION

[61]      Pour les raisons exposées ci-dessus, nous sommes d’avis que le refus est injustifié, compte tenu de l’irrégularité indiquée dans l’avis de décision finale, et nous avons des motifs raisonnables de croire que la demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Nous recommandons que le demandeur soit avisé, conformément aux dispositions du paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, que le refus de la demande est annulé et que la demande a été jugée acceptable.

 

 

Ed MacLaurin                                    Andrew Strong                                              Dana Eisler

Membre                                                  Membre                                                              Membre

DÉCISION DU COMMISSAIRE

[62]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Conformément aux dispositions du paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, j’avise par les présentes le demandeur que le refus de la demande est annulé, que la demande a été jugée acceptable et que j’ordonnerai qu’un avis d’acceptation soit envoyé en temps voulu.

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 26e jour de juillet 2016



[1]          Le procédé de lyophilisation est également connu comme la cryodéshydratation.

[2]          Albers et al., Crit Rev Ther Drug Carrier Syst, 12:311-337 (1995); Muller et al., J Pharm Sci, 80: 599-604 (1991); Albers et al., J Pharm, 81: 756-761 (1992)

 

[3]          Déclaration du Dr Peter Ihnat en date du 29 juillet 2013; également souscrite devant le Bureau des brevets des États-Unis (USPTO)

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