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Décision du commissaire no 1405

Commissioner's Decision #1405

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS : GOO (Utilité); B22 (portée excessive); C00 (caractère adéquat ou inadéquat de la description)

TOPICS: GOO (Utility); B22 (not supported by disclosure); C00 (adequacy or deficiency of description)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 388 497

Application No.: 2,388,497

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 388 497 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission et la décision suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

GOWLING, LAFLEUR HENDERSON LLP

160, rue Elgin, Bureau 2600

Ottawa (Ontario)

K1P 1C3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

[1]          La demande de brevet numéro 2 388 497, intitulée « METHOD OF PRODUCING DIFFERENTIATED PROGENITOR CELLS BY CULTURING MORULA OR INNER CELL MASS CELLS » [Méthode de production de progéniteurs différenciés par la culture de cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne] appartient à Advanced Cell Technology, Inc. Elle a été refusée à la suite de la réponse du demandeur à la décision finale, car ladite réponse ne réfutait pas les motifs de refus. Un examen de la demande refusée a donc été réalisé par la Commission d’appel des brevets, en vertu des dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons le rejet de la demande.

 

Contexte

Concepts élémentaires

[2]          La présente demande touche les domaines de la biologie reproductive appliquée et de la médecine régénérative. Plus précisément, la demande porte sur des méthodes dérivées d’études antérieures sur le développement de l’embryon chez les mammifères, et nous estimons qu’il est pertinent de décrire certains concepts élémentaires reconnus qui sous-tendent l’invention revendiquée.

[3]          Le développement chez les mammifères débute par la fécondation d’un œuf. Cet œuf fécondé est totipotent, c’est-à-dire qu’il peut générer toutes les cellules spécialisées qui constituent un animal adulte et qui en supportent le développement in utero.

 

[4]          Au fur et à mesure que le développement se poursuit, les cellules du jeune embryon prolifèrent et forment une masse solide, ce que l’on appelle la morula. Après un autre jour de développement, la morula devient un blastocyste; il s’agit du résultat du premier signe observable de la différenciation cellulaire. Le blastocyste contient deux types de cellules : les cellules de la masse cellulaire interne (MCI) croissent à l’intérieur du blastocyste et les cellules trophoblastiques croissent à l’extérieur de celui-ci.

 

[5]          Les cellules de la MCI sont dites pluripotentes, parce qu’elles peuvent se développer en n’importe quel type de cellules in vivo, sauf celles des tissus extraembryonnaires. Des cellules pluripotentes peuvent être dérivées de cellules de la MCI isolées et se propager indéfiniment in vitro dans un état indifférencié. De telles cellules existant in vitro sont appelées des cellules souches embryonnaires (SE).

 

[6]          La plupart des cellules de l’embryon en développement se différencieront complètement et acquerront des structures et des fonctions pour devenir des cellules spécialisées (p. ex. des neurones, des cellules épithéliales, des cellules musculaires, etc.). D’autres cellules ne se différencieront que partiellement en des cellules progénitrices multipotentes et, en principe, leur potentiel de différenciation se limite aux cellules d’un tissu particulier (p. ex. les tissus musculaires, nerveux, épithéliaux et conjonctifs).

 

La demande

[7]          Le mémoire descriptif décrit des procédures pour fabriquer des cellules progénitrices différenciées pouvant être utilisées en thérapie cellulaire ou comme source de cellules afin de fournir des tissus et des organes à des fins de transplantation. Plus précisément, la description divulgue que les cellules de la morula ou de la MCI peuvent être directement différenciées en des cellules progénitrices en présence d’un agent ou d’un environnement provoquant la différenciation.

 

[8]          Selon la section de la description dans laquelle est présenté le contexte, les efforts de recherche déjà déployés afin de trouver une source de cellules pour la thérapie cellulaire ou les transplantations ciblaient principalement la production de cellules SE qui peuvent se différencier en dérivés des trois couches de feuillets embryonnaires (c.-à-d. l’endoderme, l’ectoderme et le mésoderme) lorsque provoquées à se différencier ainsi (voir les divulgations de Thomson et coll, Science, 282:1145-1147 (1998) [Thomson] et Brevet américain no 5 843 780, ces deux références étant citées à la page 4).

 

[9]          Toutefois, à la date de dépôt, les méthodes fiables utilisées pour dicter la différenciation des cellules SE vers le type de cellules différenciées voulu n’étaient pas accessibles :

 

Les cellules souches embryonnaires peuvent notamment être utilisées comme source pour produire des cellules différenciées aux fins de thérapie cellulaire et pour générer des tissus et des organes aux fins de transplantation. Cependant, les lignées de cellules souches embryonnaires stables et les méthodes fiables d’expansion de ces cellules en cellules différenciées/tissus/organes ne sont pas encore accessibles. [Soulignement ajouté] (page 5, lignes 5 à 10).

 

[10]      Le mémoire descriptif fait également référence à des méthodes connues de production de cellules SE. Leur production requiert la culture à long terme de cellules de la MCI sur une couche de cellules nourricières :

 

Les méthodes pour obtenir des lignées de cellules souches embryonnaires (SE) in vitro à partir de jeunes embryons de souris pour la préimplantation sont bien connues. (Voir à titre d’exemple, Evans et coll., Nature, 29:154-156 (1981); Martin, Proc. Natl. Acad. Sci., USA, 78:7634-7638 (1981)). Les cellules SE peuvent être mises dans un état indifférencié, à condition qu’il y ait présence d’une couche nourricière de fibroblastes (Evans et coll., Id) ou d’une source qui inhibe la différenciation (Smith et coll., Dev. Biol., 121:1-9 (1987)).

 

[11]      Selon le demandeur, l’invention revendiquée outrepasserait l’étape de production de cellules SE et permettrait la production directe de cellules progénitrices différenciées d’une lignée embryonnaire donnée à partir de cellules de la morula ou de la CMI.

 

À l’aide de la présente invention, la production de cellules souches embryonnaires est outrepassée, c.-à-d. que les cellules dérivées de la morula ou de la masse cellulaire interne sont stimulées de manière à se différencier directement en cellules progénitrices différenciées qui sont ensuite utilisées en thérapie cellulaire et pour la génération de tissus et d’organes aux fins de transplantation. (page 8, lignes 13 à 15)

 

[12]      La description présente les cellules progénitrices différenciées visées comme suit :

 

Par conséquent, les cellules progénitrices différenciées de la présente invention ne sont pas pluripotentes et sont essentiellement des cellules souches spécifiques de tissu. Les cellules progénitrices peuvent générer des cellules des trois couches de feuillets embryonnaires, c’est-à-dire l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme. [Soulignement ajouté] (page 8, lignes 27 à 30).

 

[13]      La description contient aussi, aux pages 10 à 30, une liste de centaines d’agents et d’environnements censés provoquer la différenciation, et des combinaisons de ceux-ci, afin d’induire la différenciation directe des cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne en cellules progénitrices. La liste d’agents de différenciation comprend de nombreux éléments représentatifs de chacune des vastes catégories de composés : les facteurs de croissance, les cytokines, les composants de la matrice extracellulaire, les hormones, les antagonistes d’hormones et anticorps de différents facteurs de croissance ou récepteurs de facteurs de croissance.

 

[14]      Cependant, la description de donne aucune preuve qu’un agent ou un environnement unique exerce l’activité responsable de la différenciation visée sur les cellules de la morula ou de la MCI. Dans la mesure où il y a divulgation du type d’agent(s) ou d’environnement(s) qu’il convient d’utiliser pour obtenir des cellules progénitrices différenciées d’un type donné, la description est présentée sous forme de divulgation d’un test de dépistage, de préférence utilisé pour identifier les agents ou les environnements qui pourraient provoquer la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices différenciées des types souhaités :

 

De préférence, le test de dépistage sert à détecter les agents qui provoquent la différenciation des cellules issues de la morula ou de la masse cellulaire interne en des cellules différenciées des types souhaités. (page 10, lignes 30 et 31)

 

[15]      Conformément à l’énoncé présenté ci-dessus, selon lequel il n’y avait aucune méthode fiable pour dicter la différenciation des cellules SE vers le type de cellules différenciées souhaité, la description n’enseigne pas ni ne suggère au lecteur avisé que l’un quelconque des agents ou des environnements de la liste sont reconnus comme pouvant assurer la différenciation directe des cellules SE en des cellules progénitrices du type souhaité.

 

[16]      Bien que la description ne divulgue aucun détail technique sur la façon dont l’identification et l’isolation des cellules progénitrices de différents types doivent être effectuées, la description présente les directives non spécifiques suivantes à la page 11, aux lignes 10 à 13 :

 

Les cellules différenciées sont identifiées à l’aide d’anticorps propres à la différenciation, de la morphologie, de la PCR à l’aide d’amorces propres à la différenciation, ou de toute autre technique applicable pour identifier des types de cellules différenciées particulières.

 

(page 13, lignes 21 à 26)

 

Une fois assujetties au protocole de différenciation, les cellules primitives issues d’une lignée embryonnaire donnée peuvent être isolées des dérivés de la masse cellulaire interne différenciée à l’aide de techniques conventionnelles. Au besoin, les cellules progénitrices différenciées isolées peuvent être expansées, par exemple, par culture cellulaire ou autre méthode appropriée. À l’aide de la présente invention, les cellules progénitrices différenciées sont obtenues à partir de cellules différenciées issues de la masse cellulaire interne, sans qu’il soit nécessaire de générer des cellules souches embryonnaires.

 

[17]      La description divulgue ensuite deux exemples, aucun ne divulguant la production directe de cellules progénitrices différenciées issues d’une lignée embryonnaire donnée, à partir de cellules de la morula ou de la MCI. Le premier exemple montre plutôt que, seule une fraction des cellules de la MCI cultivées sur une couche nourricière de fibroblastes de souris peut se développer en cellules de type SE. Selon la description, ces résultats indiquent qu’il existe des cellules pluripotentes de la MCI qui ne peuvent pas se développer, ou ne se développent pas en cellules SE.

 

[18]      Le deuxième exemple décrit la façon dont une expérience liée à l’injection de cellules de la MCI et à la formation de tératomes chez des bouvillons pourrait être réalisée.

 

[19]      Le mémoire descriptif se termine par une liste de 25 revendications, dans lesquelles sont revendiquées des méthodes de production de cellules progénitrices différenciées par la culture directe de cellules de la morula et de la MCI en présence d’un agent ou d’un environnement provoquant la différenciation (revendications 1 à 15) et des méthodes permettant d’identifier ledit agent ou environnement de différenciation (revendications 16 à 25).

 

Historique de la demande

[20]      La demande de brevet 2 388 497 a été déposée au Canada le 13 octobre 2000 et publiée le 26 avril 2001. L’examen s’est soldé par l’envoi d’une décision finale le 6 août 2013. Dans la décision finale, il est énoncé que les revendications dépendantes 1 à 25 ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets ni à l’article 84 des Règles sur les brevets. En outre, il est énoncé dans la décision finale que le mémoire descriptif, dans la mesure où il se rapporte aux revendications 1 à -25, n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[21]      Selon la décision finale, ces irrégularités ont été relevées parce que le mémoire descriptif ne divulgue pas d’agent ou d’environnement unique qui a un effet sur la production de cellules progénitrices différenciées, directement à partir de cellules de la morula ou de la MCI, et donc :

 

a)      il n’y a pas de fondement factuel étayant un raisonnement clair et valable de l’utilité des méthodes revendiquées;

b)      la description des méthodes revendiquées n’est pas exacte ni complète;

c)      la personne versée dans l’art aurait à entreprendre une expérience indue pour déterminer si l’un des quelconques agents ou environnements de différenciation énumérés dans la description permet effectivement de produire des cellules progénitrices différenciées directement à partir de cellules de la morula ou de la CMI.

 

[22]      Deux passages de la décision finale, lesquels portent sur l’absence de fondement factuel dans la description corroborant un raisonnement clair et valable de l’utilité des méthodes revendiquées, résument bien la question que nous devons trancher :

 

La demande en soi n’enseigne pas quelles conditions ou quels environnements reconnus comme provoquant la différenciation des cellules SE en lignées progénitrices sont également capables de provoquer la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI directement en lignées progénitrices. En outre, la demande ne présente aucun fondement factuel ni raisonnement clair et valable expliquant pourquoi cet effet surprenant devrait survenir.

 

[...]

 

Comme il en a été question précédemment, la demande présente simplement la possibilité hypothétique qu’un agent ou un environnement provoquant la différenciation, connu dans l’art comme provoquant la différenciation des cellules SE, puisse être employé plutôt pour produire des cellules progénitrices différenciées à partir de cellules de la morula ou de la MCI. Par conséquent, l’utilité de la méthode revendiquée pour l’identification des agents ou des environnements de différenciation ayant l’effet surprenant de produire des cellules progénitrices différenciées directement à partir de cellules de la morula ou de la MCI n’a pas été établie.

 

[23]      Il est également question dans la décision finale des divulgations de publications précédant et suivant la date de dépôt de la demande et qui, selon le demandeur, fournissent un fondement factuel pour la prédiction.

 

[24]      Il est indiqué dans la décision finale que les publications scientifiques suivant la date de dépôt ne peuvent pas être invoquées à titre de fondement factuel pour la prédiction :

En outre, le demandeur doit être en mesure d’établir l’utilité de son invention au plus tard à la date de dépôt. Par conséquent, le fondement factuel sur lequel repose la démonstration ou la prédiction valable doit nécessairement exister à la date de dépôt, à savoir le 13 octobre 2000 (voir la section 12.08.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets). Donc, seuls les enseignements de Talbot et coll. (1994), de Schuldiner et coll. (2000) ou de Thomson et coll (1998) peuvent être invoqués dans la présentation d’un tel fondement.

 

[25]      Selon la décision finale, les cellules différenciées n'ont pas été obtenues à partir de cellules de la morula ou de la MCI dans Talbot et coll., « A continuous culture of pluripotent fetal hepatocytes derived from the 8-day epiblast of the pig » (1994) 10A(12) In Vitro Cell Dev Biol Anim [Talbot] :

 

Dans la correspondance du 20 février 2012, le demandeur a fait valoir que Talbot et coll. (1994), In Vitro Cell and Dev Biol Animal, 30 A:843-50, décrivent la différenciation spontanée de cellules dérivées de la MCI porcine en hépatocytes. Cependant, selon une publication subséquente des mêmes auteurs (Talbot et coll. (2000), In Vitro Cell and Dev Biol Animal, 38:191 -7), ces types de cellules différenciées ont été obtenues à partir de la culture de cellules SE totipotentes (voir la page 191, résumé et première colonne).

 

[26]      Quant à Schuldiner et coll., « Effects of eight growth factors on the differentiation of cells derived from human embryonic stem cells » (2000) 97(21) Proc Natl Acad Sci USA [Shuldiner] et à Thomson et coll., « Embryonic stem cell lines from human blastocysts » (1998) 282(5391) Science [Thomson], dont les articles ont été publiés avant la date de dépôt, les vues exprimées dans la décision finale indiquent qu’ils n’ont pas fourni de fondement factuel suffisant ni de prédiction valable de l’utilité :

Aucun des documents ne présente de fondement factuel pour la prédiction voulant que les conditions connues dans l’art comme provoquant un effet, à savoir la différenciation des cellules SE en cellules progénitrices, peuvent être utilisées autrement pour causer les cellules de la MCI à outrepasser l’étape de formation des cellules SE et se différencier directement en cellules progénitrices, comme il est allégué dans la présente demande.

 

[27]      En ce qui concerne les exigences prévues à l’article 84 des Règles et au paragraphe 27(3) de la Loi, il est indiqué ce qui suit dans la décision relativement aux revendications 1 à 15 :

 

La description enseigne seulement que les agents qui provoquent la différenciation des cellules dérivées de la morula ou de la MCI en cellules différenciées du type souhaité pourraient être identifiés à l’aide d’un test de dépistage, et dresse une liste de nombreux [Traduction] « agents de différenciation » (voir la page 11, ligne 1; la page 13, ligne 20) ou [Traduction] « environnements » (voir la page 10, lignes 11 à 20) possibles. Cependant, la description n’enseigne pas quels [Traduction] « agents ou environnements de différenciation », le cas échéant, sont utiles pour provoquer la différenciation de cellules directement en cellules progénitrices particulières, puisqu’aucun résultat du genre n’a été obtenu. Par conséquent, pour utiliser la méthode présentée dans les revendications 1 à 15, une personne versée dans l’art aurait à entreprendre une expérience indue pour déterminer si l’un des quelconques [Traduction] « agents ou environnements de différenciation » énumérés dans la description permet effectivement de produire des cellules progénitrices différenciées directement à partir de cellules de la morula ou de la CMI, contrairement aux enseignements de l’art antérieur.

 

Compte tenu de l’objection précédente, le mémoire descriptif n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Le mémoire descriptif ne décrit pas exactement et complètement la méthode revendiquée de production de cellules progénitrices différenciées comprenant l’obtention de cellules dérivées de la morula ou de la MCI à partir d’un blastocyste et la culture directe desdites cellules en présence d’un agent ou d’un environnement provoquant la différenciation, comme il est expliqué dans les revendications 1 à 15, de manière à permettre à la personne versée dans l’art de mettre l’invention en pratique. Le mémoire descriptif ne décrit aucun agent ou environnement unique provoquant la différenciation qui a été utile dans la méthode revendiquée et qui a donné lieu à la production de cellules progénitrices différenciées directement à partir de cellules de la morula ou de la MCI.

 

et ce qui suit concernant les revendications 16 à 25 :

 

Les revendications 16 à 25 ne sont pas conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets parce que l’objet de ces revendications n’est pas étayé dans la présente description. Plus précisément, la description telle que déposée ne contient aucune méthode d’identification d’un agent ou d’un environnement de différenciation qui provoque la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en un type de cellule progénitrice différenciée. Comme l’a reconnu le demandeur à la page 2 de la lettre du 30 novembre 2011, la description ne présente pas précisément d’essais de différenciation pour les cellules dérivées de la morula ou de la MCI.

 

Compte tenu de l’objection précédente, le mémoire descriptif n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Le mémoire descriptif ne décrit pas exactement et complètement la méthode revendiquée d’identification d’un agent ou d’un environnement de différenciation provoquant la différenciation de cellules de la morula ou de la MCI en un type de cellule progénitrice différenciée, comme il est expliqué dans les revendications 16 à 25, de manière à permettre à toute personne versée dans l’art de réaliser l’invention. Le mémoire descriptif ne décrit pas exactement et complètement une méthode ayant permis d’identifier ne serait-ce qu’un seul agent ou environnement provoquant la différenciation et ayant donné lieu à la production de cellules progénitrices différenciées directement à partir de cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne. La demande présente simplement la possibilité hypothétique que la méthode énoncée dans les revendications 16 à 25, un agent ou un environnement provoquant la différenciation, connu dans l’art comme provoquant la différenciation des cellules SE, puisse être identifié, qui produirait plutôt des cellules progénitrices différenciées directement à partir de cellules de la morula ou de la MCI. [Souligné dans l’original]

 

[28]      Dans une réponse à la décision finale datée du 5 février 2014 (R-DF), le demandeur a fait valoir que la prétention que la prédiction valable est insuffisante n’a pas été dûment étayée par des faits et des motifs :

 

Les pages 11 et 12 du présent mémoire descriptif divulguent de nombreux agents de différenciation connus qui conviennent à l’application des méthodes revendiquées dans la présente demande. Aucune preuve au dossier ne vient mettre en doute la pertinence de l’un quelconque des agents de différenciation énumérés. L’examinateur n’a produit aucune preuve ni aucun motif expliquant pourquoi l’utilité devrait être mise en doute. Pour cette seule raison, le demandeur croit que l’objection doit être refusée.

 

[29]      Le demandeur a également fait valoir que l’utilité des revendications au dossier est établie par une prédiction valable et donc, les revendications sont conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le demandeur a de nouveau fait référence aux publications scientifiques qui, atteste-t-il, fournissent le fondement factuel de la prédiction. Selon le demandeur, les publications citées qui précèdent le dépôt fournissent le fondement factuel des revendications 1 à 25, car elles divulguent ceci :

 

Talbot et coll. (1994) In Vitro Cell and Dev Biol Animal 30A:843, décrit la différenciation spontanée de cellules dérivées de la MCI porcine en hépatocytes (Résumé) (à noter que les cellules nommées « PICM » sont dérivées de la MCI).

 

Schuldiner et coll. (2000) PNAS 97:11307, décrit les effets de nombreux facteurs de croissance et de différenciation sur les cellules SEh (Fig. 3). Comme les cellules de la MCI, les cellules SE peuvent se différencier en cellules progénitrices (Thomson (1998) Science 282:1145).

 

En outre, le mémoire descriptif énonce clairement que les cellules de la MCI bovine pourraient se différencier spontanément en cellules épithéliales (page 3, lignes 8 à 17).

 

[30]      De plus, étant donné que l’activine est l’un des agents divulgués dans le mémoire descriptif, le demandeur a également introduit un autre groupe de références (« références à l’activine »), toutes publiées avant la date de dépôt; elles ne sont toutefois pas citées dans le mémoire descriptif. Selon le demandeur, les références à l’activine concernent le rôle de l’activine dans le développement cardiaque chez les embryons d’oiseaux et l’expression de l’activine dans les cellules de la MCI murine :

 

Yatskievych et coll. (1987) Development 124:2561, montre que l’activine a provoqué la différenciation cardiaque selon une méthode appliquée en fonction de la dose administrée dans l’épiblaste aviaire postérieur (Résumé). Albano et coll. (1993) Development 117:711, montre que l’activine est exprimée dans la MCI murine de blastocystes de 3,5 jours (Résumé). Comme il a été démontré que l’activine provoque le développement cardiaque chez les embryons d’oiseaux, et puisqu’il a aussi été démontré qu’elle est exprimée dans la MCI murine tout juste avant le début du développement cardiaque (voir Robbins et coll. 1990 JBC 265:11905 Abstract regarding murine cardiac development), une personne versée dans l’art aurait un fondement factuel pour formuler une prédiction valable selon laquelle l’activine pourrait provoquer le développement cardiaque à partir de cellules de la MCI. L’activine est divulguée en tant qu’agent de différenciation à la page 11, ligne 21, du mémoire descriptif.

 

[31]      En ce qui concerne le « raisonnement clair et valable », le demandeur a soutenu ce qui suit relativement aux revendications 1 à 15 :

 

Étant donné que le dossier établit 1) que les cellules dérivées de la MCI peuvent se différencier spontanément en lignées de cellules progénitrices de différents types; 2) que les facteurs de croissance augmentent cet effet; et 3) que les facteurs de croissance améliorent la différenciation de cellules SE. Une personne versée dans l’art aurait de bonnes raisons de croire que les cellules dérivées de la MCI, traitées à l’aide de facteurs de croissance particuliers, présenteraient une capacité accrue à se différencier en cellules progénitrices.

 

et ce qui suit concernant les revendications 16 à 25 :

 

En ce qui a trait au raisonnement clair et valable, le demandeur fait valoir que, comme les cellules de la MCI peuvent former spontanément des cellules progénitrices et, étant donné que les facteurs de différenciation et de croissance peuvent favoriser ce processus, une personne versée dans l’art aurait de bonnes raisons de prédire qu’un essai effectué à l’aide d’un facteur test permettrait facilement de déterminer l’efficacité d’un facteur de croissance ou de différenciation donné pour accroître la différenciation de la cellule de la MCI en une cellule progénitrice donnée.

 

[32]      Le demandeur a également soutenu que les revendications et la description au dossier sont conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets et au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets étant donné que les revendications sont concrètement corroborées dans le mémoire descriptif, que de nombreux facteurs de différenciation y sont divulgués et qu’un article de recherche a été publié après la date de publication de la demande vient confirmer qu’un des facteurs énumérés favorise la différenciation de cellules dérivées de la MCI en cellules progénitrices.

 

[33]      N’étant pas convaincu que les arguments du demandeur rendaient la demande acceptable, l’examinateur a transmis le dossier à la Commission d’appel des brevets (la Commission). Le dossier contenait un résumé des motifs énonçant les raisons pour lesquelles la demande était toujours considérée comme non conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 

[34]      Selon le résumé des motifs, les références à l’activine citées par le demandeur dans la R-DF ne fournissent pas l’information nécessaire pour établir l’utilité des revendications :

 

En réponse à la décision finale, le demandeur maintient son point de vue, à savoir que l’utilité des revendications est établie par une prédiction valable et que l’objet revendiqué est entièrement corroboré et décrit de manière exacte et complète. En plus de réitérer l’analyse de plusieurs documents précédemment présentés pour défendre sa position, lesquels ont été considérés dans la décision finale, le demandeur présente plusieurs autres documents pour étayer son point de vue. Plus particulièrement, le demandeur fait référence à Yatskievych et coll. (1997) Development 124:2561-70; à Albano et coll. (1993) Development 117:711-23; et à Robbins et coll. (1990) Journal of Biological Chemistry 265:11905-09, pour étayer l’argument portant que l’activine provoque la différenciation cardiaque dans la MCI et donc, sert de fondement factuel pour formuler une prédiction valable. Cependant, il n’y a rien dans ces références qui laisse entendre que l’activine peut être utilisée pour outrepasser le processus normal de différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules souches et plutôt former directement des cellules cardiaques différenciées, tel qu’il est revendiqué dans la présente demande.

 

[35]      Il est conclu dans le résumé des motifs que la demande demeure refusée aux mêmes motifs que ceux énoncés dans la décision finale et on y indique qu’une demande correspondante a été refusée par l’Office européen des brevets en 2010.

 

[36]      Dans une lettre du 25 novembre 2014, à laquelle le résumé des motifs était joint, la Commission a offert au demandeur l’occasion de présenter d’autres observations écrites et d’assister à une audience.

 

[37]      Dans une lettre du 11 février 2015, le demandeur a informé la Commission qu’il ne souhaitait pas participer à une audience. En outre, le demandeur a informé la Commission qu’aucune autre observation écrite ne serait soumise en réponse au résumé des motifs.

 

Questions

 

[38]      Selon notre lecture de la décision finale, du résumé des motifs et de la R-DF, les principales questions soulevées dans la décision finale et le résumé des motifs sont celles de savoir si l’utilité de l’objet revendiqué a été établie par prédiction valable et si le mémoire descriptif est conforme au paragraphe 27(3) de la Loi. Plus précisément :

 

1.      La personne versée dans l’art (PVA) formulerait-elle une prédiction valable portant que les agents et les environnements compris dans les revendications 1 à 15 permettraient de différencier directement des cellules de la morula ou de la MCI cultivées en cellules progénitrices différenciées du type visé?

 

2.      La PVA formulerait-elle une prédiction valable portant que les méthodes énoncées dans les revendications 16 à 25 permettraient d’identifier un agent ou un environnement qui provoquerait directement la différenciation de cellules de la morula ou de la MCI cultivées en cellules progénitrices différenciées?

 

3.      Le mémoire descriptif décrit-il exactement et complètement une méthode d’identification des agents et des environnements de différenciation provoquant directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices spécifiques de tissu et qui permet à la PVA d’identifier positivement les agents ou les environnements de différenciation pouvant être utilisés avec succès dans le cadre d’une méthode visant à produire directement des cellules progénitrices spécifiques de tissus différenciées à partir de cellules de la morula ou de la MCI sans avoir à faire preuve d’esprit inventif ou à entreprendre une expérience indue?

 

[39]      Compte tenu des questions susmentionnées, nous estimons que, pour les besoins du présent examen, il n’est pas nécessaire de nous pencher sur l’irrégularité alléguée qui a été soulevée au titre de l’article 84 des Règles sur les brevets, puisqu’elle ne soulève pas de question n’ayant pas déjà été présentée en tant que non-conformité au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

Législation et principes juridiques

 

Interprétation téléologique

[40]      Conformément à l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont désignés dans une interprétation téléologique des revendications par un examen de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67 aux alinéas 49f) et g) et à l’article 52). Conformément au chapitre 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [révisé en juin 2015; RPBB], la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution proposée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être définis comme les éléments des revendications qui sont requis pour obtenir la solution proposée.

 

Utilité

[41]      Comme susmentionné, l’une des questions à trancher est celle de savoir si l’utilité de l’objet revendiqué a été établie par une prédiction valable. L’utilité fait partie de la définition d’« invention » énoncée dans la Loi sur les brevets, selon laquelle l’objet revendiqué doit être « utile ».

 

Invention : Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[42]      Le critère de l’utilité a été décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Consolboard Inc c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] RCS 504, à la p 525 :

 

[Traduction]
Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [Traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ». [Aucun soulignement dans l’original.]

 

[43]      L’utilité alléguée est essentielle à l’analyse de l’utilité et doit être vérifiée dès le départ. Dans la décision Pfizer Canada Inc c. Canada (ministre de la Santé)2011 CAF 236 au par. 17, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la détermination de l’utilité alléguée d’un brevet est un exercice d’interprétation :

 

[Traduction]
Comme l’interprétation de revendications, la promesse du brevet est également une question de droit (Eli Lilly Canada Inc c. Novopharm Ltd, 2010 CAF 197 [Eli Lilly]). En l’espèce, la juge des requêtes devait vérifier, avec l’aide de témoignages d’experts, la promesse du brevet en fonction de son objet [Traduction] « dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art (PVA), par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet » (Eli Lilly, au paragraphe 80).

 

[44]      L’utilité doit, dès la date de dépôt au Canada, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable. L’utilité ne peut pas être démontrée par des preuves ou des connaissances qui ne sont devenues accessibles qu’après la date de dépôt [voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 au par. 56 (AZT)].

 

[45]      La doctrine relative à la prédiction valable permet d’établir l’utilité alléguée même si celle-ci n’a pas été entièrement vérifiée à la date de dépôt. Toutefois, une demande de brevet doit contenir un [Traduction] « solide enseignement » de l’invention revendiquée plutôt qu’une [Traduction] « simple spéculation » (AZT au par. 69).

 

[46]      La question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait (AZT, au par. 71). La règle de la prédiction valable comporte trois éléments (AZT, au par. 70) :

 

1)     la prédiction doit avoir un fondement factuel;

2)     à la date de demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

3)     il doit y avoir divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement.

 

[47]      Ces éléments sont appréciés du point de vue de la PVA à qui la demande de brevet s’adresse, tenant compte des connaissances générales courantes que détiendrait la PVA. En outre, à l’exception des questions relatives aux connaissances générales courantes, le fondement factuel et le raisonnement doivent être inclus dans la demande de brevet (voir Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, aux par. 152 et 153).

 

[48]      Bien qu’il n’est pas nécessaire qu’une prédiction équivaille à une certitude pour être valable, il doit y avoir une [Traduction] « inférence prima facie raisonnable d’utilité » (Mylan Pharmaceuticals ULC c. Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119, au par. 55, Gilead Sciences, Inc c. Idenix Pharmaceuticals Inc, 2015 CF 1156, au par. 251).

 

Caractère suffisant de la divulgation et caractère réalisable

[49]      Une autre question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le mémoire descriptif satisfait aux exigences relatives au caractère suffisant de la divulgation, au sens des alinéas 27(3)a) et b) de la Loi, lesquels sont libellés comme suit :

 

Le mémoire descriptif doit :

(a)    décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(b)   exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

 

[50]      Quant à la question de savoir si un mémoire descriptif est conforme aux alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi, les tribunaux ont défini trois questions pertinentes auxquelles on doit pouvoir répondre à la lecture du mémoire descriptif : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne-t-elle? Ne disposant que du mémoire descriptif, la PVA peut-elle réaliser l’invention en n’utilisant que les instructions que contient la divulgation? (Teva Canada Ltd c. Novartis AG, 2013 CF 141 citant Teva Canada Ltd c. Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60 et Consolboard c. MacMillam Bloedel, [1981] 1 R.C.S. 504 à la p 526, 56 C.P.R. (2d) 145). Ces questions requièrent des décisions rattachées aux faits.

 

[51]      En ce qui concerne la troisième question, la PVA ne devrait pas avoir à faire preuve d’esprit inventif ni à entreprendre une expérience indue (Aventis Pharma Inc c. Apotex Inc 2005 CF 1283, Mobil Oil Corp c. Hercules Canada Inc [1995] F.C.J. no 1243 et Merck & Co c. Apotex Inc [1995] 2 C.F. 723).

 

[52]      Selon Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c. Teva Canada Limited, 2013 CF 283, la date pertinente pour l’examen du caractère suffisant de la divulgation est la date de dépôt de la demande.

 

Analyse

 

Interprétation téléologique des revendications

 

La PVA et les connaissances générales courantes (CGC) de cette personne

 

[53]      À notre avis, la PVA travaille dans les domaines de la biologie reproductive appliquée, la médecine régénérative et la thérapie cellulaire.

 

[54]      En ce qui concerne les CGC que détient la PVA, nous estimons que cette dernière a des CGC dans les domaines susmentionnés. La PVA détient des CGC et une expérience technique liées aux cellules de la morula et de la MCI, à la production de cellules SE à partir d’espèces différentes et à la caractérisation de cellules SE, ainsi que des connaissances des utilisations possibles des cellules SE en médecine régénérative et en thérapie cellulaire.

 

[55]      Plus précisément, nous sommes d’avis que les CGC comprennent le fait de savoir que les cellules SE peuvent se différencier, de manière libre et spontanée, en éléments représentatifs des trois couches de feuillets, soit in vivo, soit in vitro (voir Thomson et le brevet américain no 5 843 780, tous deux cités à la page 4 de la description).

 

[56]      En outre, nous estimons que la PVA savait que les premières expériences de différenciation dirigée ont été menées avec des cellules SE, mais qu’à la date de dépôt, il n’y avait aucune méthode fiable de production de cellules différenciées, à partir de cellules SE, du type souhaité (comme le démontre la présente description, à la page 5, aux lignes 5 à 9).

 

[57]      Finalement, à la suite de l’examen des publications précédant la date de dépôt soumises par le demandeur dans le cadre des procédures, nous sommes d’avis que même si ces documents peuvent aussi faire référence aux CGC du type susmentionné, les conclusions particulières divulguées dans ces publications ne relèvent pas de la CGC. Nous soulignons que les publications présentées sont des articles scientifiques plutôt que, par exemple, des articles de synthèse ou des ouvrages. À cet égard, la Cour fédérale a précisé qu’une connaissance précise divulguée dans un document scientifique ne devient pas une connaissance générale courante simplement parce que le document est lu par de nombreuses personnes et encore moins parce qu’il a un fort tirage. Une telle connaissance fait partie des connaissances générales courantes uniquement lorsqu’il y a une indication qu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par ceux versés dans l’art particulier; en d’autres mots, lorsqu’elle fait partie du lot courant des connaissances se rapportant à l’art (voir Uponor AB c. Heatlink Group Inc, 2016 CF 320 au par. 48 citant Eli Lilly & Co c. Apotex Inc, 2009 CF 991 au par. 97). Si l’on applique ce qui précède en l’espèce, le demandeur n’a pas soutenu (et nous n’avons en outre aucune connaissance) que les conclusions particulières qui figurent dans les publications soumises sont généralement connues et acceptées dans les domaines pertinents; nous considérons donc qu’elles ne feraient pas partie des CGC.

 

 

Le problème à résoudre et la solution proposée

[58]      Après avoir examiné la demande dans son ensemble, nous sommes d’avis que le problème à résoudre est la nécessité de méthodes améliorées pour la production de cellules progénitrices. La solution proposée consiste à cultiver directement des cellules de la morula ou de la MCI en présence d’un agent ou d’un environnement provoquant la différenciation, afin de produire des cellules progénitrices différenciées sans passer par la production de cellules SE.

 

Les éléments essentiels des revendications permettant de résoudre le problème soulevé

[59]      Les revendications indépendantes 1 et 16 refusées se lisent comme suit :

 

[Traduction]
1. Une méthode de production de cellules progénitrices différenciées, comprenant :

(i) l’obtention de cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne à partir d’un blastocyste;

(ii) la culture directe des cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne en présence d’un agent ou d’un environnement provoquant la différenciation, afin de produire des cellules progénitrices différenciées.

 

[Traduction]
16. Une méthode d’identification d’un agent ou d’un environnement de différenciation qui provoque la différenciation des cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne en un type de cellules progénitrices différenciées, comprenant :

(i) l’obtention de cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne à partir d’un blastocyste;

(ii) la culture directe desdites cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne en présence d’un ou de plusieurs agents ou environnements de différenciation;

(iii) l’identification des cellules contenues dans ledit ou lesdits agents ou environnements de différenciation, qui se sont différenciées à partir desdites cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne pour devenir ledit type de cellules progénitrices différenciées;

où l’un quelconque desdits agents ou environnements de différenciation contenant ledit type de cellules progénitrices différenciées est identifié en tant qu’agent ou environnement de différenciation provoquant la différenciation des cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne pour devenir ledit type de cellules progénitrices différenciées.

 

[60]      Compte tenu de la solution proposée, nous sommes d’avis que la PVA considérerait que i) un agent ou un environnement provoquant la différenciation; ii) des cellules de la morula ou de la MCI; et iii) la culture directe des cellules de la morula ou de la MCI à l’aide d’un agent ou d’un environnement provoquant la différenciation constituent des éléments essentiels communs aux deux méthodes.

 

[61]      L’étape d’identification du type de cellule progénitrice différenciée est considérée comme un élément essentiel additionnel par rapport à la méthode décrite dans la revendication 16.

 

[62]      Les revendications dépendantes 2 à 15 ajoutent également une étape d’isolement (revendication 2), caractérisent davantage le blastocyste à partir duquel les cellules de la morula ou de la MCI sont obtenues (revendications 3 à 6), définissent plus précisément l’environnement provoquant la différenciation (revendications 7 à 12) ou précisent la lignée des cellules progénitrices différenciées souhaitées (revendications 13 à 15). Nous considérons que ces éléments représentent les réalisations préférentielles.

 

[63]      Les revendications dépendantes 17 à 15 caractérisent davantage le blastocyste à partir duquel les cellules de la morula ou de la MCI sont obtenues (revendications 17 à 20), définissent plus précisément l’agent ou l’environnement provoquant la différenciation (revendications 21), définissent plus précisément l’étape d’identification ou précisent la lignée de la cellule progénitrice différenciée souhaitée (revendications 22 à 25). Nous considérons que ces éléments représentent les réalisations préférentielles.

 

Signification de certaines phrases

[64]      Afin d’établir la portée des revendications 1 à 25, nous ferons une interprétation téléologique des expressions [Traduction] « agent ou environnement provoquant la différenciation », « agent ou environnement de différenciation », « cellules progénitrices différenciées » et « culture directe », que l’on retrouve dans les revendications plus générales 1 à 16.

 

[65]      Nous sommes d’avis que la PVA considère que les expressions [Traduction] « agent ou environnement provoquant la différenciation » et « agent ou environnement de différenciation » sont équivalentes dans le contexte du présent mémoire descriptif. Ces expressions définissent l’agent ou l’environnement visé au moyen de caractéristiques fonctionnelles et elles ne sont pas autrement limitées de façon importante dans les revendications. D’après les pages 10 à 13 de la description, où sont énumérés de nombreux agents et environnements différents censés provoquer la différenciation, et des combinaisons de ceux-ci, nous estimons que la PVA comprendrait que les expressions susmentionnées comprennent au moins ces agents et environnements énumérés. Or, nous sommes d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’interpréter les expressions ci-dessous comme englobant quoi que ce soit allant au-delà des agents et environnements énumérés aux fins du présent examen.

 

[66]      Compte tenu du passage cité ci-dessus au par. [12], nous estimons que l’expression [Traduction]« cellules progénitrices différenciées » seraient comprises par la PVA comme englobant des cellules partiellement différenciées, se situant quelque part entre des cellules pluripotentes et des cellules terminalement différenciées, dont le potentiel de différenciation se limite aux cellules d’un tissu particulier.

 

[67]      Un autre passage de la description qui figure en page 8, aux lignes 22 à 25, concerne l’expression [Traduction] « culture directe » lorsqu’utilisée dans le contexte de la culture de cellules de la morula et de la MCI :

 

À l’aide de la présente invention, la production de cellules souches embryonnaires est outrepassée, c.-à-d. que les cellules dérivées de la morula ou de la masse cellulaire interne sont stimulées de manière à se différencier directement en cellules progénitrices différenciées qui sont ensuite utilisées en thérapie cellulaire et pour la génération de tissus et d’organes aux fins de transplantation. [Aucun soulignement ajouté.]

 

[68]      Par conséquent, nous interprétons l’expression [Traduction]« culture directe » comme signifiant que les agents ou environnements compris provoqueront directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu (c.-à-d. sans avoir à produire de cellules SE au moyen de la culture à long terme de cellules de la MCI comme étape de transition).

 

Les revendications, interprétées téléologiquement

[69]      Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que la PVA comprendrait que la méthode expliquée dans la revendication 1 permet de contourner les étapes nécessaires à la production de cellules SE. Lorsque les cellules de la morula ou de la MCI obtenues à partir d’un blastocyste sont cultivées directement à l’aide d’un agent ou d’un environnement de différenciation énuméré aux pages 10 à 13 de la description, tous les types de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu peuvent être produites. On comprend que la spécificité tissulaire obtenue varie selon le ou les agents ou environnements de différenciation utilisés.

 

[70]      En ce qui concerne la revendication 16, nous estimons que la PVA comprendrait que l’exécution de la méthode expliquée permettrait d’identifier un agent ou un environnement de différenciation qui provoque directement la différenciation de cellules de la morula ou de la MCI en un type de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu, où l’agent ou l’environnement de différenciation représente un ou plusieurs des agents ou environnements énumérés aux pages 10 à 13 et où l’étape de production de cellules SE est contournée.

 

[71]      Nous soulignons que nous interprétons les méthodes revendiquées comme englobant la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en une étape de différenciation particulière (c.-à-d., des cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu).

 

Utilité alléguée des revendications

[72]      Comme il a été mentionné précédemment au par. [43], l’utilité alléguée des revendications doit être interprétée. Après avoir examiné les revendications, nous estimons que celles-ci mentionnent l’utilité alléguée de façon certaine et sans ambigüité.

 

[73]      Nous sommes d’avis que la phrase [Traduction] « de production de cellules progénitrices différenciées » dans la revendication 1 qualifie la méthode ainsi revendiquée et serait comprise par la PVA comme signifiant que l’exécution de la méthode entraînera en réalité la production d’une cellule progénitrice différenciée.

 

[74]      De la même façon, la phrase [Traduction] « d’identification d’un agent ou d’un environnement de différenciation qui provoque la différenciation des cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne en un type de cellules progénitrices différenciées » dans la revendication 16 serait comprise par la PVA comme signifiant que l’exécution de la méthode entraînera en réalité l’identification d’un agent ou d’un environnement qui provoque la différenciation de cellules de la morula ou de la masse cellulaire interne en un type de cellules progénitrices différenciées.

 

[75]      Par conséquent, nous estimons que l’utilité alléguée des méthodes énoncées dans les revendications 1 à 15 est que l’exécution des étapes expliquées provoquera directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu et que tous les types de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu peuvent être produits.

 

[76]      En ce qui concerne les méthodes énoncées dans les revendications 16 à 26, l’utilité alléguée est que l’exécution des étapes expliquées entraînera l’identification d’un agent ou d’un environnement de différenciation qui provoque directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en un type de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu.

 

Utilité des revendications 1 à 15

[77]      Dans la R-DF, le demandeur fait valoir que [Traduction] « l’examinateur n’a produit aucune preuve ni aucun motif expliquant pourquoi » la prétention du demandeur quant à l’utilité de l’objet revendiqué est mise en doute, en fournissant des faits et des motifs suffisants pour confirmer la prédiction n’est pas valable.

 

[78]      Si le demandeur veut insinuer que l’examinateur était tenu de fournir une preuve pour étayer son refus, nous ne voyons aucune obligation du genre prévue dans la Loi sur les brevets ou les Règles sur les brevets. D’ailleurs, en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, un examinateur peut refuser une demande « s’il a des motifs raisonnables de croire qu’elle n’est toujours pas conforme à la Loi et aux présentes règles » relativement à un motif soulevé dans une requête précédemment soumise au Bureau.

 

[79]      Dans la mesure où le demandeur atteste que le paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets exige de l’examinateur qu’il fournisse des motifs justifiant le fondement d’un refus, nous sommes d’avis que cette justification est déjà énoncée clairement dans la décision finale. Plus particulièrement, l’utilité est une exigence prévue par la loi à laquelle doit répondre une invention pour être brevetable. D’ailleurs, dans AZT, il est indiqué que l’utilité doit être démontrée dès la date de dépôt au Canada et l’on explique la façon de procéder pour démontrer cette utilité, à savoir par prédiction valable. En outre, comme il est indiqué ci-dessus, la décision finale fournit une explication détaillée des raisons pour lesquelles l’examinateur n’a pas été convaincu par les allégations du demandeur portant que l’utilité pouvait être démontrée par prédiction valable.

 

[80]      Dans la même lettre, le demandeur fait également valoir que l’utilité des revendications 1 à 15 est démontrée par prédiction valable. Par conséquent, nous examinerons maintenant les trois éléments que comporte la règle de la prédiction valable dans le contexte de l’objet revendiqué, de l’utilité alléguée interprétée et de la divulgation figurant dans la présente demande et du point de vue de la PVA.

 

[81]      Comme il a été mentionné précédemment, nous estimons que l’utilité alléguée des méthodes énoncées dans les revendications 1 à 15 est que l’exécution des étapes expliquées provoquera directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu et que tous les types de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu peuvent être produits.

 

Fondement factuel

[82]      D’entrée de jeu, nous soulignons l’absence de tout test ou résultat de recherche préliminaire corroborant le fait que les méthodes revendiquées produiraient les résultats souhaités dans la description. Nous comprenons que le demandeur ne conteste pas cette conclusion.

 

[83]      Le demandeur fait plutôt référence à plusieurs publications scientifiques parues avant et après la date de dépôt et qui, atteste-t-il, fournissent le fondement factuel de la prédiction. Comme il a été indiqué ci-dessus (voir le par. [44]), l’utilité ne peut pas être démontrée par des preuves ou des connaissances qui ne sont devenues accessibles qu’après la date de dépôt. Par conséquent, nous convenons avec l’examinateur qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation des références citées qui ont été publiées après le 13 octobre 2000, soit la date de dépôt de la présente demande.

 

[84]      En plus des références à l’activine introduites précédemment au par. [30], le demandeur invoque quatre références principales ayant été publiées avant la date de dépôt pour présenter le fondement factuel : Talbot, Schuldiner, Thomson et Van Stekelenburg-Hamers et coll, « Isolation and characterization of permanent cell lines from inner cell mass cells of bovine blastocysts » (1995) 40(4) Mol Reprod Dev [Van Stekelenburg-Hamers].

 

[85]      Les publications de Thomson et de Van Stekelenburg-Hamers sont citées dans la description à la page 4, ligne 28 et à la page 3, lignes 8 respectivement. Nous n’avons trouvé aucune référence à Talbot ou à Schuldiner dans la présente demande.

 

[86]      Comme il est expliqué ci-dessous, le fondement factuel qui ressort des références qu’invoque le demandeur concerne le potentiel de différenciation des cellules SE ou de cellules du même type, mais ne concerne pas la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI directement en cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu.

 

[87]      Selon le demandeur, la publication de Van Stekelenburg-Hamers divulgue des expériences réalisées avec des cellules dérivées de la MCI qui présentent une différenciation spontanée des cellules de la MCI en différentes lignées de cellules progénitrices. Nous ne sommes pas d’accord. Nous comprenons que les expériences rapportées ont été réalisées sur des lignées de cellules bovines produites selon des méthodes semblables à celles utilisées pour produire des cellules SE de souris. Les lignées de cellules obtenues étaient le résultat d’une culture à long terme de cellules de la MCI sur une couche de cellules nourricières, une étape qui n’est pas comprise dans les méthodes revendiquées.

 

[88]      Nous comprenons aussi que ces cultures à long terme de cellules de la MCI en présence de cellules nourricières ont été entreprises en vue d’obtenir des cellules bovines de type SE et que les cellules différenciées obtenues ne sont pas des lignées de cellules progénitrices établies.

 

[89]      Quant à Thomson, nous sommes d’avis que cette référence montre la production de lignées de cellules SE pouvant se différencier en dérivés de chacune des trois couches de feuillets embryonnaires. Nous comprenons que les dérivés rapportés comprennent des cellules terminalement différenciées, mais pas nécessairement des cellules progénitrices. Par exemple, il est indiqué ceci à la page 1146 de Thomson :

 

[Traduction]
Les lignées de cellules SE humaines ont préservé leur potentiel de former des dérivés de chacune des trois couches de feuillets embryonnaires. L’ensemble des cinq lignées de cellules a produit des tératomes à la suite d’une injection dans des souris beiges présentant un déficit immunitaire combiné sévère. Chaque souris injectée formait un tératome, et tous les tératomes comprenaient : l’épithélium intestinal (endoderme); le cartilage, l’os, le muscle lisse et le muscle strié (mésoderme); et l’épithélium neural, le ganglion embryonnaire et l’épithélium pavimenteux stratifié (ectoderme) (figure 4).

 

[90]      Par conséquent, en ce qui concerne le fondement factuel divulgué dans le mémoire descriptif ou avant la date des documents d’art antérieur cités aux présentes, nous sommes d’avis qu’il est démontré :

 

         que les cellules SE peuvent se différencier, de manière libre et spontanée, essentiellement en éléments représentatifs terminalement différenciés des trois couches de feuillets embryonnaires, soit in vivo, soit in vitro (Thomson et brevet américain no 5 843 780);

 

         que la recherche sur le prélèvement de cellules SE et d’autres cellules du même type à partir de cellules de la MCI a été réalisée avec différentes espèces et que les protocoles couramment utilisés comprennent la culture à long terme de cellules de la MCI sur une couche de cellules nourricières (Thomson, Van Stekelenburg-Hamers, brevet américain no 5 843 780 et la présente description);

 

         que les méthodes fiables pour produire le type de cellules différenciées souhaité à partir de cellules SE n’étaient pas accessibles à la date de dépôt (présente description, à la page 5, lignes 5 à 9).

 

[91]      Par ailleurs, nous n’avons trouvé aucun fondement factuel pertinent, dans la description ou faisant partie des CGC, qui concerne précisément la production de cellules progénitrices spécifiques de tissu de quelque type que ce soit par la culture directe de cellules de la morula ou de la MCI.

 

[92]      De plus, nous n’avons trouvé aucun fondement factuel démontrant que les cellules de la morula ou de la MCI réagissent à un signal de différenciation donné de manière identique ou très semblable aux cellules SE, qui acquièrent leurs caractéristiques observables en culture sur une couche de cellules nourricières.

 

[93]      Comme l’a souligné le demandeur dans sa réponse à la décision finale, en page 7, et dans la présente description, en page 1 aux lignes 14 à 19, les cellules SE sont obtenues à la suite d’une culture à long terme de cellules de la MCI sur une couche de cellules nourricières. Les cellules SE acquièrent en culture leurs caractéristiques observables, spécifiques à l’état in vitro, y compris des marqueurs de surface cellulaire distinctifs et des profils d’expression génétique (voir la page 2, ligne 30, jusqu’à la page 3, ligne 2; et la page 4, lignes 22à 26). Selon les méthodes revendiquées, les cellules de la morula et de la MCI ne recevraient pas un tel traitement en culture à long terme.

 

[94]      Quant aux références à Talbot et Schuldiner, et celles ayant trait à l’activine, ces références ne sont pas mentionnées dans la présente demande. Nous estimons donc que leurs volets de divulgation particuliers invoqués par le demandeur ne font pas partie des CGC. Comme il a été mentionné précédemment au par. [47], il est établi dans la jurisprudence canadienne que, à l’exception des questions liées aux CGC, le fondement factuel et le raisonnement doivent être inclus dans la demande de brevet. Cependant, aux fins d’exhaustivité, nous présentons les commentaires suivants au sujet de ces références.

 

[95]      À la suite de notre examen des références, nous sommes d’avis que les enseignements contenus dans ces documents ne sont pas pertinents à la production de cellules progénitrices différenciées par la culture directe de cellules de la morula ou de la MCI, comme il est expliqué dans les revendications.

 

[96]      Nous estimons que la divulgation de la publication de Talbot se rapproche beaucoup de Van Stekelenburg-Hamers, puisque les lignées de cellules porcines obtenues sont également le résultat d’une culture à long terme de cellules de la MCI sur une couche de cellules nourricières.

 

[97]      Nous convenons avec le demandeur que les rapports de Schuldiner présentent les effets de différents facteurs de croissance et de différenciation sur des cellules SE humaines. Cependant, nous observons également que Schuldiner ne décrit pas la production de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissus par la culture directe de cellules SE avec facteurs de croissance. La différenciation des cellules SE a d’abord été provoquée par le prélèvement de corps embryoïdes, avant de procéder à la différenciation avec facteurs de croissance. Schuldiner divulgue également que certains récepteurs de facteurs de croissance ne sont pas exprimés ou sont exprimés à de très faibles niveaux sur les cellules SE humaines non différenciées avant leur transformation en corps embryoïdes.

 

[98]      Enfin, en ce qui a trait aux références à l’activine qui ont été soumises dans la R-DF, nous convenons avec le demandeur que ces publications révèlent que l’activine provoque la myogénèse cardiaque dans les épiblastes aviaires à l’étape de la prégastrulation et que l’activine est exprimée dans la MCI murine de blastocystes de 3,5 jours. Toutefois, l’observation selon laquelle l’activine joue un rôle présumé mais indéfini dans le développement cardiaque pendant le développement embryonnaire n’enseigne pas ce qui serait le résultat de la culture directe de cellules isolées de la morula ou de la MCI avec de l’activine.

 

[99]      Ainsi, les enseignements de Talbot, de Schuldiner et des références à l’activine : i) ne concernent pas précisément la production de cellules progénitrices spécifiques de tissus par la culture directe de cellules de la morula ou de la MCI avec au moins un des agents ou des environnements compris; ii) ne démontrent pas que des méthodes de différenciation dirigées et fiables pour la production de cellules progénitrices spécifiques de tissu, de quelque type que ce soit, par la culture directe de cellules SE avec au moins un des agents ou des environnements compris, étaient accessibles à la date de dépôt; et iii) ne démontrent pas que les cellules de la morula et de la MCI réagiront à un signal de différenciation donné de manière identique ou très semblable aux cellules SE.

 

[100]  Par conséquent, la divulgation de ces autres références n’aurait pas modifié notre point de vue exprimé aux par. [91] et [92].

 

Raisonnement clair et valable

[101]  Le raisonnement doit établir un lien entre le fondement factuel de la prédiction et la prédiction elle-même. La prédiction est la suivante : la culture directe de cellules de la morula ou de la MCI avec au moins un des agents ou environnements compris provoquerait directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en des cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu.

 

[102]  À notre avis, l’écart entre le fondement factuel et l’utilité établie par prédiction valable est considérable. Après avoir examiné le fondement factuel, la PVA ne sait pas comment les cellules isolées de la morula ou de la MCI réagissent lorsqu’elles sont exposées à un ou à plusieurs des agents ou des environnements compris, ne connaît pas de méthodes fiables pour orienter la différenciation des cellules SE en un type souhaité de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu et ne sait pas si les cellules de la morula ou de la MCI réagiront à un signal de différenciation donné de manière identique ou très semblable aux cellules SE. Cet écart demeure même si l’on considère que les enseignements non divulgués de Talbot et de Schuldiner et des références à l’activine contribuent au fondement factuel.

 

[103]  Nous estimons qu’il n’existe aucun raisonnement clair et valable dans la demande de brevet qui vienne combler l’écart entre le fondement factuel et l’utilité établie par prédiction valable, et à partir duquel la PVA pourrait tirer une inférence prima facie raisonnable de l’utilité à la date de dépôt.

 

Divulgation suffisante

[104]  Compte tenu de nos conclusions relativement au fondement factuel et à l’absence de raisonnement clair et valable, même si l’ensemble des publications citées qui précèdent la date de dépôt sont incluses dans l’analyse, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième critère de vérification d’une prédiction valable de l’utilité. Néanmoins, nous réitérons que les publications de Talbot et de Schuildiner et les références à l’activine n’ont pas été divulguées dans la présente demande de brevet et que leurs conclusions particulières n’ont pas été considérées comme faisant partie des CGC.

 

Conclusion relative à l’utilité des revendications 1 à 15

[105]  Nous sommes d’avis que la présente demande de brevet ne fournit pas un « enseignement solide » de l’invention revendiquée et nous estimons que la PVA n’aurait pas valablement prévu que la culture directe de cellules de la morula ou de la MCI avec au moins un des agents ou des environnements compris provoquerait directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu, encore moins que tous les types de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu compris peuvent être produits.

 

[106]  L’utilité de la revendication 1, plus générale, n’a pas été démontrée par une prédiction valable et nous estimons que cette conclusion s’applique également aux revendications dépendantes 2 à 15, parce que leur portée (voir le par. [62]) ne se limite pas de manière à modifier nos conclusions relatives au fondement factuel insuffisant et à l’absence de raisonnement clair et valable pour l’utilité alléguée.

 

 

Utilité des revendications 16 à 25

[107]  Comme il a été mentionné précédemment, l’utilité alléguée des méthodes revendiquées est que l’exécution des étapes expliquées entraînera l’identification d’un agent ou d’un environnement de différenciation qui provoque directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en un type de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu.

 

[108]  Dans la R-DF, le demandeur fait valoir que le fondement factuel est le même que celui fourni pour les revendications 1 à 15.

 

[109]  Nous avons déjà conclu que le fondement factuel, même si les références non divulguées sont prises en compte, ne suffit pas pour étayer un raisonnement clair et valable de la prédiction selon laquelle un ou plusieurs agents ou environnements compris provoqueraient directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en un type de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu.

 

[110]  Par conséquent, nous estimons également que l’utilité alléguée des revendications 16 à 25 n’a pas été démontrée par une prédiction valable, puis que le mémoire descriptif et les références citées ne divulguent pas un fondement factuel suffisant pour valablement prédire que les méthodes revendiquées entraîneront l’identification d’un agent ou d’un environnement de différenciation qui provoque directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en un type de cellules progénitrices différenciées spécifiques de tissu.

 

Exigences prévues au paragraphe 27(3) de la Loi concernant la description suffisante et le caractère réalisable

[111]  Les prochaines questions consistent à savoir si le mémoire descriptif : i) décrit exactement et complètement une méthode d’identification positive des agents et des environnements de différenciation provoquant directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices spécifiques de tissu; et ii) permet à la PVA d’identifier positivement les agents ou les environnements de différenciation pouvant être utilisés avec succès dans le cadre d’une méthode visant à produire directement des cellules progénitrices spécifiques de tissus différenciées à partir de cellules de la morula ou de la MCI sans avoir à faire preuve d’esprit inventif ou à entreprendre une expérience indue.

 

[112]  À cet égard, le demandeur soutient essentiellement que le mémoire descriptif divulgue de nombreux facteurs permettant de réaliser l’invention ainsi qu’une méthode de sélection permettant de déterminer ceux qui conviendraient.

 

[113]  Notre analyse consiste à déterminer comment la PVA peut apprendre à réaliser l’invention revendiquée à l’aide du mémoire descriptif.

 

[114]  Après avoir examiné le mémoire descriptif, nous estimons que la description : i) ne divulgue pas de directives particulières sur le choix de l’agent ou de l’environnement qui pourrait être utilisé afin d’obtenir l’un des types de cellules progénitrices spécifiques de tissus compris, ou l’ensemble de ceux-ci, à partir de cellules SE, de la morula ou de la MCI; et ii) ne fournit aucun enseignement ni aucune preuve qui laisse entendre que les agents et les environnements pouvant provoquer directement la différenciation de cellules de la morula ou de la MCI en n’importe quel type souhaité de cellules progénitrices spécifiques de tissu relèvent des CGC de la PVA.

 

[115]  En outre, nous concluons que dans la description, il est affirmé qu’il n’existait pas de méthodes fiables de production d’un type souhaité de cellules différenciées à partir de cellules SE à la date de dépôt; on y enseigne également qu’un test de sélection doit être utilisé pour détecter les agents ou les environnements qui provoquent la différenciation des cellules dérivées de la morula ou de la MCI en un type de cellules différenciées souhaité.

 

[116]  Si l’on applique ces conclusions aux revendications 16 à 25, il nous semble évident que, en l’absence de divulgation d’un agent ou d’un environnement unique ayant pour effet de produire des cellules progénitrices différenciées directement à partir de cellules de la morula ou de la MCI, des tests de sélection sont requis pour identifier positivement les agents ou environnements de différenciation qui provoquent directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en cellules progénitrices spécifiques de tissu conformément aux méthodes énoncées dans les revendications 16 à 25.

 

[117]  Quant à la revendication 1 et aux revendications qui en sont dépendantes, nous estimons également que les méthodes énoncées dans les revendications 1 à 6 et 13 à 15 ne peuvent être exécutées par la PVA qu’après avoir identifié l’agent ou l’environnement de différenciation pouvant provoquer directement la différenciation des cellules de la morula ou de la MCI en l’un quelconque des types de cellules progénitrices spécifiques de tissu. Cependant, comme les revendications 7 à 12 mentionnent un environnement particulier, nous estimons que les tests de sélection ne seront pas nécessaires pour l’exécution des méthodes expliquées dans ces revendications.

 

[118]  Certaines expériences de routine sont permises pour réaliser l’invention revendiquée. En l’espèce, nous sommes d’avis que la PVA devrait entreprendre une expérience excessive et indue. Premièrement, il faudrait vérifier un nombre considérable d’agents et d’environnements potentiels, et de combinaisons possibles de ceux-ci. Deuxièmement, chaque test de sélection nécessite l’obtention de cellules de la morula ou de la MCI fraîchement prélevées d’un blastocyste. Enfin, chaque test de sélection nécessite l’identification d’un type de cellules progénitrices différenciées.

 

[119]  Compte tenu de ce qui précède, nous estimons que le mémoire descriptif ne satisfait pas aux exigences énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Le mémoire descriptif ne permet pas à la PVA de réaliser l’invention expliquée dans les revendications 1 à 6 et 13 à 25 sans expérimentation indue.

 

Conclusions

[120]  Compte tenu de notre examen des faits de l’espèce, nous avons conclu que les revendications 1 à 25 sont dénuées d’utilité et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets, et que le mémoire descriptif, dans la mesure où il concerne les revendications 1 à 6 et 13 à 25, n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

Recommandation

[121]  Pour les raisons exposées précédemment, nous recommandons que la demande soit rejetée.  

 

 

 

 

 

 

Marcel Brisebois                        Ryan Jaecques                         T. Nessim Abu-Zahra

Membre                                     Membre                                   Membre

 


 

Décision

[122]  Je souscris aux conclusions de la Commission d’appel des brevets ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande, au motif que les revendications 1 à 25 sont dénuées d’utilité et ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets, et que le mémoire descriptif, dans la mesure où il concerne les revendications 1 à 6 et 13 à 25, n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[123]  En conséquence, je refuse d’octroyer un brevet relativement à la présente demande. Conformément aux dispositions de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 26e jour de juillet 2016

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