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Décision du commissaire no 1417

Commissioner’s Decision #1417

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                SUJETS :        J-00 Signification de « réalisation »

                                    J-50 Simple plan

 

TOPICS:         J-00 Meaning of Art

                        J-50 Mere plan

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 624 223

Application No.: 2,624,223

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 624 233 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire rejette la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

OSLER, HOSKIN & HARCOURT LLP

340, rue Albert, bureau 1900

Ottawa (Ontario) K1R 7Y6

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Introduction

 

[1]          Cette recommandation concerne l’examen de la demande de brevet refusée numéro 2 624 223 intitulée « Système et procédé centralisés pour l’établissement de prix », qui est inscrite au nom de Barclays Capital Inc. L’irrégularité qui subsiste est liée à la question de savoir si les revendications au dossier définissent un objet prévu par la Loi, comme l’exige l’article 2 de la Loi sur les brevets. La Commission d’appel des brevets a procédé à l’examen de la demande refusée conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons que la demande soit rejetée.

 

Contexte

La demande

 

[2]          La demande de brevet 2 624 223 a été déposée au Canada le 20 octobre 2005 et publiée le 12 avril 2007.

 

[3]          La demande concerne le domaine de l’établissement du prix des titres et des produits. La demande porte sur des méthodes permettant de déterminer des prix plus exacts et cohérents d’un titre au cours d’une journée de transactions, selon les renseignements sur le prix obtenu auprès de différentes sources et d’autres titres semblables.

 

Historique du traitement de la demande

 

[4]          Le 8 octobre 2014, une décision finale (« DF ») a été rédigée conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. La DF indiquait que la demande était irrégulière aux motifs que les revendications 1 à 16 (« revendications au dossier ») ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[5]          Dans une réponse à la décision finale (« R-DF ») datée du 7 avril 2015, le demandeur a soumis un ensemble de revendications modifiées 1 à 16 (les « revendications proposées ») et a fourni des arguments expliquant en quoi la demande était conforme à la Loi. Plus particulièrement, le demandeur a soutenu que les revendications définissaient des éléments informatiques tangibles essentiels qui sont physiques et comprennent donc un objet prévu par la Loi comme l’exige l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[6]          L’examinateur ayant jugé la demande non conforme à la Loi sur les brevets, le 22 mai 2015, la demande a été transmise à la Commission d’appel des brevets (« la Commission »), accompagnée d’une explication présentée dans un résumé des motifs (« RM »), conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets. Le RM maintient que les revendications au dossier de définissent pas l’objet prévu par la Loi.

 

[7]          Dans une lettre en date du 27 juillet 2015 (l’« Accusé de réception »), la Commission a transmis une copie du RM au demandeur et a offert à ce dernier la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires et/ou de prendre part à une audience. Dans une réponse datée du 27 octobre 2015, le demandeur a refusé l’offre de prendre part à une audience et a plutôt demandé que l’examen de la Commission se fasse en fonction du dossier écrit.

 

[8]          Le présent comité a été constitué dans le but de procéder à l’examen de la demande en vertu des dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets et de présenter une recommandation à la commissaire quant à la décision à rendre. Dans une lettre datée du 25 juillet 2016 (la « Lettre du comité »), nous avons exposé notre analyse préliminaire et les raisons pour lesquelles, d’après le dossier dont nous disposons, nous considérons que l’objet des revendications au dossier et les revendications proposées ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[9]          Le 14 octobre 2016, le demandeur a présenté une réponse écrite à la Lettre du comité (la « Lettre de réponse »), soutenant toujours que la demande est conforme à la Loi et aux Règles, et présentant d’autres arguments à l’appui.

 

Question

 

[10]      La seule question que doit trancher le comité est celle de savoir si les revendications 1 à 16 au dossier définissent l’objet de l’invention, comme l’exige l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

Législation et principes juridiques

 

Interprétation téléologique

 

[11]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67 aux par. 49f) et g) et 52 [Whirlpool]). Conformément au chapitre 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [révisé en juin 2015; RPBB], la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art et à déterminer ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, comme il est revendiqué.

 Objet prévu par la Loi

[12]      La définition d’« invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[13]      La note du Bureau intitulée « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur – PN 2013-03 » clarifie la pratique d’examen relativement à la démarche adoptée par le Bureau à l’égard des inventions mises en œuvre par ordinateur.

 

[14]      Comme il est indiqué dans l’énoncé de pratique PN2013-03, lorsqu’un ordinateur est jugé comme un élément essentiel d’une revendication interprétée, l’objet revendiqué sera généralement brevetable [prévu par la Loi]. Par ailleurs, s’il est déterminé que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent aux objets exclus de la définition d’invention (par exemple, les beaux-arts, les méthodes de traitement médical, les inventions sans présence physique, ou les inventions où l’objet revendiqué est simplement une idée, un projet, un plan ou une série de règles), la revendication ne sera pas conforme à l’article 2 de la Loi.

 

Analyse

 

1. Interprétation des revendications

 

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes

 

[15]      Dans la Lettre du comité, la personne versée dans l’art est définie comme une personne compétente dans les domaines de la négociation de titres et l’établissement du prix de ces titres, et dans une mesure plus générale, les technologies informatiques et les techniques de programmation.

 

[16]      La Lettre du comité énonce les CGC de la personne versée dans l’art, selon une lecture du mémoire descriptif (notamment les paragraphes 1, 2, 18, 19, 20, 23, 24 et 57) comme suit :

a)      Connaissance des systèmes de courtage électroniques conventionnels, de l’équipement et des processus de l’industrie relativement aux marchés de titres et de produits;

b)      Connaissances de concepts conventionnels comme le prix courant, le prix intrajournalier, les cibles, les écarts, les références, les tailles, les options, etc.;

c)      Connaissance du besoin d’obtenir de l’information pour l’établissement du prix de titres et d’émissions, y compris les sources couramment accessibles d’information sur l’établissement des prix;

d)     Connaissance de l’utilité générale des dispositifs informatiques et des techniques de programmation pertinentes, y compris le matériel informatique courant et les composantes logicielles.

 

[17]      Dans sa Lettre de réponse, le demandeur n’a pas contesté ces aspects de l’analyse du comité.

Le problème à résoudre

[18]      Dans la Lettre du comité, il est indiqué que la personne versée dans l’art qui lit le mémoire descriptif (particulièrement les paragraphes 1 et 2) comprendrait que [Traduction] « étant donné les prix variés accessibles auprès de sources différentes et les changements de prix tout au long de la journée de transactions, le problème à résoudre consiste à améliorer la précision et la cohérence de l’information pour l’établissement des prix communiquée aux clients ».

 

[19]      Dans sa Lettre de réponse (au bas de la page 2), le demandeur soutient que le mémoire descriptif concerne des problèmes [Traduction] « qui découlent précisément du domaine des réseaux informatiques – comme ceux observés dans le cybercourtage ». En outre, le demandeur affirme que [Traduction] « ... Le problème abordé dans la demande en cause (et son objet) consiste à permettre le résultat électronique recherché de l’établissement de prix de titres automatisé précisément à l’intérieur d’un système de cybercourtage informatisé et en réseau ».

 

[20]      Bien que le Comité convienne avec le demandeur que le contexte du problème existe dans « le monde des réseaux informatiques », nous ne sommes pas convaincus que le problème à résoudre est un problème de réseau informatique. La personne versée dans l’art détient des connaissances courantes de ces réseaux informatiques conventionnels et des systèmes de cybercourtage, ainsi que de la capacité de ces systèmes à fournir en temps réel de l’information pour l’établissement des prix et de contourner certaines activités des négociateurs humains. Comme il est énoncé dans la Lettre du comité (page 3), la personne versée dans l’art, à la lecture du mémoire descriptif, ne comprendrait pas que la demande aborde un problème précis lié à la technologie du système de courtage lui-même (c.-à-d. un problème n’étant pas lié aux ordinateurs, aux bases de données, aux méthodes de traitement des données ou aux applications informatiques connexes). La personne versée dans l’art reconnaîtrait plutôt que le problème abordé est celui d’utilisateurs du système de courtage qui veulent obtenir des données exactes sur les prix à la lumière des diverses sources de données. Comme il est précisément énoncé au paragraphe 2 du mémoire descriptif, le problème est le suivant : [Traduction] « la nécessité d’un système et de méthodes permettant de fournir efficacement de l’information plus exacte et cohérente pour l’établissement des prix pour les clients ». Il s’agit de l’énoncé du problème utilisé dans l’examen préliminaire, et après avoir examiné les observations du demandeur, le Comité maintient le problème défini aux fins du présent examen.

La solution proposée

[21]       Comme il est indiqué dans la Lettre du comité, la personne versée dans l’art comprendrait que, étant donné le problème susmentionné, la solution divulguée dans la demande est [Traduction] « l’utilisation de certaines combinaisons de sources de prix et de règles différentes pour déterminer le meilleur prix à fournir » à l’utilisateur d’un système de courtage. La Lettre du comité indique également que la solution concerne [Traduction] « les règles et les calculs utilisés pour générer de l’information pour l’établissement des prix », nommément la détermination du prix le plus exact et le plus cohérent (meilleur) du titre ou du produit émis.

 

[22]      Bien que le demandeur ne conteste pas précisément l’énoncé de la solution formulé par le Comité, dans sa Lettre de réponse, il a fait valoir que le mémoire descriptif définit [Traduction] « une solution brevetable revendiquée qui est nécessairement ancrée dans la technologie informatique... ». Encore ici, au moment de déterminer la solution précise divulguée, bien qu’elle soit ancrée dans la technologie informatique, la personne versée dans l’art jugerait que le mémoire descriptif enseigne des méthodes pour déterminer le meilleur prix à l’aide de différentes sources d’information pour l’établissement des prix et de certaines règles, dans le contexte des systèmes de cybercourtage. La nécessité des éléments informatiques utilisés pour offrir cette solution sera abordée ci-dessous.

Les éléments essentiels

[23]      Les revendications au dossier comportent 16 revendications indépendantes, toutes liées à un support lisible sur ordinateur accompagné d’instructions pour exécuter les étapes de la solution susmentionnée.

 

[24]      Comme il est indiqué dans la Lettre du comité, l’analyse des éléments essentiels sera centrée sur les caractéristiques définies dans la revendication 1. Cela est conséquent avec la démarche adoptée dans la poursuite antérieure. Le demandeur n’a pas contesté cette démarche dans sa Lettre de réponse.

 

[25]      Pour faciliter la consultation, la revendication 1 est reproduite ci-dessous [Traduction] :

1. Un support lisible sur ordinateur, accompagné d’instructions pour l’exécution, par un ordinateur, d’une méthode d’établissement du prix de titres et de produits, comprenant :

la réception par un processeur d’une demande de prix pour une émission;

la réception et le stockage d’une base de données de prix intrajournaliers pour ladite émission;

où lesdits prix intrajournaliers sont fournis pour ladite émission pour une journée en cours par au moins deux sources de données;

l’estimation d’un prix courant pour l’émission en fonction desdits prix intrajournaliers;

la détermination qu’un prix en début de journée de ladite émission est accessible, mais qu’aucun prix intrajournalier pour ladite émission pour une journée en cours n’est accessible;

l’accès à un écart ajusté du changement de pourcentage moyen de l’option, fondé sur au moins une autre émission ayant en commun avec ladite émission le secteur, la qualité et la durée de maturité;

la détermination d’un prix intrajournalier estimé pour ladite émission, en fonction dudit prix en début de journée pour ladite émission et de l’écart ajusté du changement de pourcentage moyen de l’option pour au moins une autre émission;

l’application dudit prix courant estimé en tant que prix courant pour ladite émission lorsque les prix intrajournaliers ne sont pas accessibles.

 

 

[26]      Comme il est énoncé dans la Lettre du comité, la revendication 1 définit une série d’étapes pour améliorer l’établissement du prix des titres et des produits émis, où le prix estimé d’une émission est calculé à partir d’un prix de début de journée pour cette émission ainsi que d’un écart ajusté du changement de pourcentage moyen de l’option pour au moins une émission semblable. Bien que la revendication 1 définisse diverses composantes informatiques conventionnelles (support lisible par ordinateur, certaines instructions informatiques et une base de données), il est indiqué dans la Lettre du comité que la personne versée dans l’art jugerait que ces composantes s’inscrivent dans l’environnement de travail dans lequel l’invention fonctionne, exécutant les calculs énoncés dans le libellé de la revendication, de la manière conventionnelle.

 

[27]      Par conséquent, les éléments essentiels de la revendication 1, tels qu’énoncés dans la DF et la Lettre du comité, sont les suivants :

 

- la réception d’une demande de prix pour une émission;

- la réception de prix intrajournaliers pour ladite émission, où lesdits prix intrajournaliers sont fournis pour ladite émission pour une journée en cours par au moins deux sources de données;

- l’estimation d’un prix courant pour l’émission en fonction desdits prix intrajournaliers (si accessible pour cette émission);

- la détermination qu’un prix en début de journée de ladite émission est accessible, mais qu’aucun prix intrajournalier pour ladite émission pour une journée en cours n’est accessible;

- l’accès à un écart ajusté du changement de pourcentage moyen de l’option, fondé sur au moins une autre émission ayant en commun avec ladite émission le secteur, la qualité et la durée de maturité;

- la détermination d’un prix intrajournalier estimé pour ladite émission, en fonction dudit prix en début de journée pour ladite émission et de l’écart ajusté du changement de pourcentage moyen de l’option pour au moins une autre émission;

- l’application dudit prix courant estimé en tant que prix courant pour ladite émission lorsque les prix intrajournaliers ne sont pas accessibles.

 

 

[28]       Concernant les revendications 2 à 16 au dossier, nous avons énoncé dans la Lettre du comité que ces revendications définissent des variantes des règles permettant de déterminer l’information recherchée pour l’établissement des prix. Comme dans le cas de la revendication 1, la personne versée dans l’art ne jugerait pas que les éléments informatiques des revendications 2 à 16 sont des éléments essentiels. Le demandeur n’a fourni aucun argument précis pour différencier les éléments essentiels des revendications 2 à 16 de ceux de la revendication 1.

 

Arguments du demandeur concernant l’interprétation de la revendication

 

[29]      En réponse à l’interprétation de la revendication présentée dans la DF et par le Comité, le demandeur a soulevé plusieurs préoccupations dans sa R-DF et sa Lettre de réponse. Nous abordons les points importants soulignés par le demandeur dans les paragraphes suivants.

 

[30]      Premièrement, dans la R-DF, le demandeur semble être généralement en désaccord avec l’approche du Bureau quant à l’interprétation téléologique. Plus particulièrement, le demandeur soutient que les lignes directrices du Bureau concernant l’interprétation téléologique (désormais incluses dans le chapitre 13.03 du RPBB) ne respectent pas les principes juridiques canadiens, en particulier, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Attorney General) c. Amazon.com Inc., 2011 CAF 328 [Amazon.com]. Le demandeur fait valoir que les différents éléments informatiques tangibles énoncés dans les revendications ne peuvent pas [Traduction] « être écartés à tort ».

 

[31]      En réponse, la Lettre du comité souligne que les lignes directrices concernant l’interprétation téléologique qui sont énoncées dans le RPBB (appliquées dans la DF et dans l’examen préliminaire du Comité) ont été spécifiquement adoptées par le Commissaire aux brevets en réponse à la décision rendue dans l’affaire Amazon.com. Dans les lignes directrices, il est reconnu que l’application des principes d’interprétation téléologique utilisés par les tribunaux à l’examen d’une demande de brevet doit tenir compte du rôle de l’examinateur de brevets ainsi que du but et du contexte de l’examen. L’interprétation téléologique veille donc à ce que l’analyse de la revendication [Traduction] « tienne compte de la possibilité qu’une revendication du brevet puisse être exprimée dans un langage qui soit trompeur, de manière délibérée ou par inadvertance » et permet au commissaire de déterminer [Traduction] « ce que l’inventeur a réellement inventé, ou ce que l’inventeur revendique avoir inventé » (Amazon.com, aux paragraphes 44 et 42, respectivement). En outre, le RPBB reconnaît l’importance des deux décisions Whirlpool et Free World Trust comme fondement de l’interprétation téléologique, mais tient aussi compte de la reconnaissance dans Free World Trust (paragraphe 58) de la nécessité d’éviter les [Traduction] « pièges du langage » afin de garantir que l’inventeur reçoive la « protection de ce qu’il a réellement inventé de bonne foi ».

 

[32]      À notre avis, le RPBB établit clairement les étapes à suivre pour l’interprétation téléologique des revendications d’une demande de brevet, suivant la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Amazon.com. Comme nous l’avons souligné dans la Lettre du comité, nous estimons qu’il n’y a pas d’erreur dans la DF concernant l’application de la Pratique du Bureau relativement à l’interprétation des revendications et à l’identification des éléments essentiels en l’espèce.

 

[33]      Deuxièmement, dans la R-DF et à nouveau dans la Lettre de réponse, le demandeur semble affirmer que la présence des éléments informatiques tangibles dans les revendications (p. ex., le système de cybercourtage, la base de données et le support lisible par ordinateur) exige que ces caractéristiques soient essentielles. Ici, le Comité comprend que le demandeur met l’accent sur la nécessité de reconnaître l’intention de l’inventeur, tel qu’exprimée dans le libellé de la revendication, tout en procédant à l’interprétation téléologique des revendications.

 

[34]      Cependant, comme il est énoncé dans la Lettre du comité et dans le RPBB, bien que l’interprétation téléologique pendant l’examen reconnaisse la primauté du libellé de la revendication et favorise le respect de celui-ci, elle [Traduction] « ne peut reposer uniquement sur l’interprétation littérale » des revendications. Une interprétation téléologique bien éclairée doit tenir compte de la demande dans son ensemble (voir le RPBB, 15.05.02b). L’intention de l’inventeur, et la forme du langage choisi par l’inventeur pour exprimer cette intention dans les revendications, ne peuvent l’emporter sur l’ensemble des autres considérations dans l’interprétation téléologique des revendications.

 

[35]      Enfin, dans la R-DF comme dans la Lettre de réponse, le demandeur soutient que les revendications définissent diverses composantes informatiques, qui ne constituent pas simplement l’environnement d’exploitation ou le contexte de l’invention, mais qui sont plutôt essentielles au fonctionnement de l’invention. À la page 3 de la Lettre de réponse, le demandeur affirme que [Traduction] « ... le pouvoir et la capacité du cybercourtage est réalisé principalement par la technologie informatique... » et que la personne versée dans l’art « ... considérerait effectivement que l’utilisation d’un dispositif informatique ou d’une base de données est essentielle pour fournir la solution, à savoir le calcul du prix d’une émission comme il est revendiqué ».

 

[36]      Cependant, comme nous l’avons mentionné, nous estimons que la personne versée dans l’art qui lit le mémoire descriptif comprendrait rapidement que le problème et la solution abordés par la demande concernent l’offre d’information plus exacte et plus cohérente pour l’établissement du prix de titres ou de produits émis, par l’application de certaines règles et de certains calculs permettant d’établir le meilleur prix de ces émissions. En consultant le mémoire descriptif, aux paragraphes 24 à 49, la personne versée dans l’art lirait les différentes estimations de prix, les règles de validation, les modèles d’établissement de prix et les nombreux termes financiers, tous étant abordés relativement à la solution qui vise à déterminer le meilleur prix d’une émission. Bien que des composantes informatiques conventionnelles soient divulguées dans le mémoire descriptif, ce n’est que dans le contexte ou le domaine des systèmes de cybercourtage connus. La personne versée dans l’art ne considérerait pas que la divulgation de ces composantes conventionnelles appartient au problème résolu. En outre, le demandeur n’a souligné aucun énoncé dans la description qui indiquerait que l’invention concerne un problème informatique ou un problème de mise en place des meilleures règles de détermination des prix dans des systèmes de courtage conventionnels. Cela vient renforcer l’opinion du Comité voulant que les éléments essentiels des revendications soient ces éléments liés à la solution de détermination du prix des émissions et non les composantes informatiques dont sont constitués les systèmes de courtage conventionnels.

 

[37]      Par conséquent, le Comité estime que les éléments essentiels des revendications 1 à 16 au dossier, tels qu’ils sont interprétés, sont les calculs, les étapes et les règles spécifiques permettant de déterminer le meilleur prix, le prix courant ou le prix estimé d’une émission. Les composantes informatiques énoncées (y compris le support lisible par ordinateur, les instructions informatiques et les bases de données) sont considérées comme des éléments non essentiels. Ayant donc terminé l’identification des éléments essentiels des revendications, l’examen peut maintenant aborder la question de fond en instance devant le Comité.

2. Objet

[38]      Dans la DF, l’examinateur a appliqué la PN 2013-03 et a conclu que les éléments essentiels des revendications visent simplement des calculs et donc, ne relèvent pas d’une catégorie d’invention brevetable au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets. Dans sa R-DF, le demandeur a exprimé son désaccord avec cette évaluation et a fourni plusieurs raisons expliquant son point de vue.

 

[39]      Eu égard à l’article 2 de la Loi sur les brevets et à la PN 2013-03, nous sommes d’accord avec l’examinateur pour dire que les éléments essentiels des revendications ne concernent pas un objet brevetable.

 

[40]      Comme nous l’avons indiqué dans la Lettre du comité, à notre avis, les revendications 1 à 16 au dossier définissent des calculs ou des règles permettant de fournir de l’information plus exacte pour l’établissement du prix de titres ou de produits émis. Les étapes qui définissent les calculs ou les règles permettant de déterminer l’information améliorée pour l’établissement des prix sont abstraites et donc, ne définissent pas un objet brevetable contenant quelque chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou un changement discernable (voir Amazon.com, au paragraphe 66).

 

[41]      De plus, la personne versée dans l’art considérerait que la représentation résultante des revendications (le prix estimé de l’émission, par exemple) n’est que de l’information ou des données numériques, ce qui est abstrait et non tangible, comme le soutient le demandeur. Par conséquent, les revendications au dossier ne définissent pas de caractéristiques essentielles physiques.

 

Arguments du demandeur concernant l’objet

 

[42]      À la page 4 de sa R-DF, le demandeur affirme ceci [Traduction] : « Au Canada, donc, les revendications d’un support lisible par ordinateur et/ou de pratiques commerciales informatiques qui nécessitent un traitement informatique peuvent être brevetables, dans la mesure où elles énoncent une composante tangible ». Dans la Lettre de réponse, le demandeur présente aussi des arguments semblables.

 

[43]      À cet égard, le Comité souligne que le simple fait d’inclure une caractéristique physique ou tangible dans une revendication ne rend pas automatiquement ladite revendication conforme à la Loi. Nous soulignons que la Cour d’appel fédérale dans Amazon.com (au paragraphe 69) n’est pas d’accord avec l’évaluation de la Cour fédérale quant au caractère matériel des revendications en cause dans cette affaire, et a affirmé ceci (en référence à Schlumberger Canada Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1982] 1 CF 845 (CA) [Schlumberger]) [Traduction] :

Cependant, si elles signifient qu’il est possible de satisfaire à cette « exigence du caractère matériel » en invoquant le simple fait que l’invention revendiquée a une application pratique, je ne suis pas d’accord. La question en litige, à mon avis, est similaire à celle soulevée dans le contexte de la brevetabilité des pratiques commerciales dans la mesure où elle requiert de considérer Schlumberger. Dans Schlumberger, les revendications n’ont pas été déclarées valides en raison du fait qu’elles avaient trait à l’utilisation d’un outil matériel, un ordinateur, pour donner une application pratique à la nouvelle formule mathématique. Comme je l’ai expliqué précédemment, on peut ou non établir une distinction entre les revendications qui font l’objet du présent litige et celles de Schlumberger, selon l’interprétation qu’on leur donne.

 

[44]      Dans Amazon.com (au paragraphe 47), la Cour a déterminé que [Traduction] « la détermination de l’objet par le commissaire doit reposer sur une interprétation téléologique des revendications du brevet ». Comme nous l’avons souligné précédemment, la Cour a également prévenu que le commissaire doit être [Traduction] « ... attentif à la possibilité qu’une revendication du brevet puisse être exprimée dans un langage qui soit trompeur, de manière délibérée ou par inadvertance... ce qui à première vue semble être la revendication d’une "réalisation" ou d’un "procédé" peut, dans le cadre d’une interprétation appropriée, constituer la revendication d’une formule mathématique et, par conséquent, ne pas constituer un objet brevetable... » (au paragraphe 44).

 

[45]      Selon une interprétation téléologique des revendications, conforme à la pratique du Bureau, le support lisible sur ordinateur, le traitement informatique et la base de données définis dans les présentes revendications 1 à 16 au dossier et dont l’utilisation est envisagée ont été considérées comme non essentiels et donc, ne peuvent pas être utilisés ou identifiés comme satisfaisant à l’exigence du caractère matériel, comme l’exige l’article 2. Les caractéristiques essentielles des revendications semblent plutôt être les règles liées à la « formule mathématique » abstraite, lesquelles ne sont donc pas considérées comme « un objet brevetable ».

 

[46]      À la page 6 de la R-DF, le demandeur affirme que [Traduction] « selon Amazon.com, pour qu’une réalisation soit brevetable, il y a une exigence du caractère matériel. Il est affirmé qu’un objet brevetable doit être une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou changement discernable. Il est respectueusement soutenu que les revendications 1 à 16 modifiées satisfont à cette exigence particulière, celle du caractère matériel. » La Lettre de réponse présente des arguments semblables à cet égard.

 

[47]      Concernant la première partie de ce passage, le Comité convient que dans Amazon.com, l’exigence du caractère matériel est énoncée, sur la base d’une existence physique ou d’un effet ou changement discernable, comme composante essentielle d’une revendication dont l’objet est prévu par la Loi.

 

[48]      Cependant, concernant la deuxième partie de ce passage, portant que les revendications 1 à 16 au dossier respectent cette exigence du caractère matériel, le Comité n’est pas convaincu. Aucune des caractéristiques essentielles des revendications ayant fait l’objet d’une interprétation téléologique n’est physique. Les éléments essentiels définissent plutôt des étapes pour déterminer ou calculer le prix d’un titre à l’aide de certaines données et règles mathématiques. Comme c’est le cas dans Schlumberger, et comme il a été mis en garde dans Amazon.com, malgré qu’elles semblent à première vue définir des caractéristiques tangibles, les revendications 1 à 16 au dossier, tel qu’elles ont été interprétées téléologiquement, sont néanmoins considérées comme définissant des règles et des formules mathématiques permettant de déterminer le prix d’un titre émis.

 

[49]      Par conséquent, les revendications 1 à 16 sont considérées comme définissant un objet non prévu par la Loi et ne sont donc pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

3. Revendications soumises en réponse à la décision finale (« revendications proposées »)

 

[50]      Les revendications proposées 1 à 16 ont été soumises par le demandeur en réponse à la DF. Conformément à l’alinéa 30(6)b) des Règles sur les brevets, les revendications proposées n’ont pas été entrées en tant que modification. Cependant, conformément au paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, si, après examen d’une demande refusée, le commissaire détermine qu’une demande n’est pas conforme à la Loi sur les brevets ou aux Règles sur les brevets, mais que des modifications particulières sont requises, le commissaire doit aviser le demandeur qu’il doit apporter ces modifications.

 

[51]      Les revendications proposées se distinguent principalement des revendications au dossier par l’ajout à chaque revendication de la caractéristique [Traduction] « générant et transmettant une réponse à une requête incluant le prix courant estimé ».

 

[52]      À la page 4 de sa Lettre de réponse, le demandeur soutient que lesdites caractéristiques « générant et transmettant une réponse à une requête incluant le prix courant estimé » sont essentielles parce qu’elles [Traduction] « concernent l’aménagement technique et la combinaison des moyens nécessaires pour faire fonctionner le support lisible sur ordinateur accompagné d’instructions pour l’exécution, par un ordinateur, de la méthode énoncée d’établissement du prix de titres et de produits ». Le demandeur fait valoir que ces caractéristiques révèlent un objet ayant une existence physique ou manifestant un effet ou changement discernable, et donc, que les revendications définissent un objet prévu par la Loi.

 

[53]           Cependant, le Comité est d’avis que les étapes de « génération » d’une réponse à une requête et de « transmission » de la réponse ne sont pas essentielles à la solution identifiée qui consiste à déterminer de l’information plus précise pour l’établissement des prix. En outre, ces étapes s’apparentent aux éléments informatiques des revendications, à savoir qu’ils fournissent un contexte au système de courtage dans lequel s’opère la solution. Nous estimons que le problème n’est pas lié à la génération d’une réponse ni à la transmission de cette réponse au client. Par conséquent, la personne versée dans l’art ne considérerait pas que ces étapes supplémentaires sont essentielles, mais jugerait plutôt qu’elles constituent des étapes pour fournir une certaine activité ou fonctionnalité post-solution.

 

[54]      Comme les caractéristiques ajoutées ne sont pas essentielles à la solution identifiée, laquelle consiste à déterminer de l’information plus exacte pour l’établissement des prix, tel qu’elle est interprétée, l’analyse du Comité concernant la nature non brevetable des revendications au dossier ne changerait pas si les revendications proposées étaient adoptées. Par conséquent, le Comité n’estime pas que les revendications proposées constituent une modification « nécessaire » aux fins de la conformité avec le paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets.

 

 

CONCLUSIONS

 

[55]      Nous avons déterminé que les revendications 1 à 16 au dossier ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[56]      Nous avons également déterminé que les revendications proposées 1 à 16 ne corrigent pas cette irrégularité et donc, ne sont pas conformes à la Loi sur les brevets.

 

RECOMMANDATION DU COMITÉ

 

 

[57]      Le Comité recommande que la demande soit rejetée parce que les revendications 1 à 16 au dossier ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[58]      De plus, les revendications proposées 1 à 16 ne remédient pas aux irrégularités et, par conséquent, ne constituent pas une modification déterminée qui est « nécessaire » en vertu du paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets.

 

 

 

 

Andrew Strong                  Marcel Brisebois                           Leigh Matheson

Membre                                  Membre                                             Membre


 

DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

 

[59]      Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande parce que les revendications au dossier ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[60]      En conséquence, je refuse d’octroyer un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 24e jour de février 2017

 

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