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Décision du commissaire no 1409

Commissioner’s Decision #1409

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 SUJET : J80 OBJET DES DEMANDES — Aptitudes professionnelles ou artistiques, K11 OBJET DES DEMANDES — Matières vivantes — Traitement

 

TOPIC : J80 SUBJECT MATTER OF APPLICATIONS — Professional or Artistic Skill, 

K11 SUBJECT MATTER OF APPLICATIONS - Living Things - Treatment of

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 504 868

Application No.: 2,504,868

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 504 868 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, le commissaire accepte la demande.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

TORYS LLP

79, rue Wellington Ouest, bureau 3000

C.P. 270, Centre TD

Toronto (Ontario) M5K 1N2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

 

[1]          La présente recommandation concerne une révision de la demande de brevet rejetée no 2 504 868, qui a pour titre « RÉGIMES POSOLOGIQUES MULTIPLES ET VARIABLES POUR TRAITER LES TROUBLES LIÉS AU TNF α » et est inscrite au nom de AbbVie Biotechnology Ltd. L’irrégularité de fond encore non résolue à aborder est liée à la question de savoir si les revendications définissent un objet qui est exclu de la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Une révision de la demande refusée a été effectuée par la Commission d’appel des brevets conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons que le refus soit annulé et que la demande soit ensuite acceptée.

 

Contexte

La demande

[2]          La demande de brevet 2 504 868 (ou la « demande ‘868 ») a été déposée au Canada le 11 avril 2005 et publiée le 26 septembre 2005.

 

[3]          De façon très générale, la demande ‘868 divulgue des méthodes d’utilisation d’agents thérapeutiques pour le traitement de troubles dans lesquels le facteur de nécrose tumorale joue un rôle. Au premier plan des agents thérapeutiques divulgués dans la demande ‘868 figure l’anticorps monoclonal D2E7 (aussi appelé adalimumab), qui est commercialisé, au Canada et ailleurs dans le monde, en liaison avec la marque de commerce HUMIRA.

 

[4]          Plus particulièrement, dans la section « Contexte de l’invention », il est expliqué en premier lieu que les cytokines, y compris le facteur de nécrose tumorale, sont des molécules connues pour être des médiatrices des processus inflammatoires. Des niveaux élevés du facteur de nécrose tumorale (qui peut également être désigné par les acronymes « TNF » [tumor necrosis factor] ou « TNFα » [tumor necrosis factorα]) ont été mis en cause dans la physiopathologie d’une variété de maladies et de troubles chez l’humain. De façon particulièrement pertinente, il est expliqué dans la section Contexte (voir la page 2, lignes 14 à 18) que [Traduction] :

 

Le TNF a également été mis en cause dans la maladie de Crohn… Le traitement de la maladie de Crohn constitue un défi. Le choix du traitement est fonction du foyer de la maladie, de son étendue et de sa gravité. Les composés et les régimes posologiques actuels ne permettent pas d’enrayer complètement le processus inflammatoire et ont des effets secondaires considérables.

 

[5]          Dans cette perspective, l’invention est ensuite résumée comme suit dans le mémoire descriptif (voir le passage allant de la page 2, lignes 22 à la page 3, ligne 2) [Traduction] :

 

Résumé de l’invention

 

Il existe un besoin de traiter les troubles liés au TNFα, dans lesquels l’activité du TNFα a un effet préjudiciable, d’une manière sûre et efficace. La présente invention comprend des méthodes à doses multiples et variables pour le traitement amélioré des troubles liés au TNFα dans lesquels l’activité du TNFα a un effet préjudiciable.

 

L’invention décrit une méthode à doses multiples et variables pour le traitement d’un trouble dans lequel l’activité du TNFα a un effet préjudiciable. Cette méthode comprend l’administration à un sujet atteint du trouble d’au moins une dose de départ d’un inhibiteur du TNFα de manière à atteindre un taux minimal de l’inhibiteur du TNFα au cours d’une phase d’induction; et, subséquemment, l’administration au sujet d’au moins une dose de traitement de l’inhibiteur du TNFα au cours d’une phase de traitement, de manière à ce que le traitement puisse opérer.

 

L’invention décrit également une méthode à doses multiples et variables pour le traitement de la maladie de Crohn. Cette méthode comprend l’administration à un sujet atteint de la maladie d’au moins une dose de départ d’un inhibiteur du TNFα de manière à atteindre un taux minimal de l’inhibiteur du TNFα au cours d’une phase d’induction; et, subséquemment, l’administration au sujet d’au moins une dose de traitement de l’inhibiteur du TNFα au cours d’une phase de traitement, de manière à ce que le traitement puisse opérer. La méthode à doses multiples et variables peut également être utilisée pour le traitement de la colite ulcéreuse…

 

[6]          La description détaillée (voir les pages 10 à 101) enseigne explicitement que les paramètres de cette méthode peuvent varier, y compris :

i. l’inhibiteur du TNFα utilisé (qui peut comprendre l’étanercept, l’infliximab, ou un anticorps du TNFα présentant diverses caractéristiques fonctionnelles ou identités de séquence; voir les pages 18 à 30);

ii. la nature du trouble lié au TNFα qui peut être traité (voir les pages 30 à 83);

iii. les doses qui peuvent être données (voir les pages 86 à 87);

iv. les formes posologiques et les voies d’administration qui peuvent être employées (voir les 83 à 85).

 

[7]          En conséquence, l’invention telle qu’elle est divulguée peut être considérée comme constituée de méthodes comportant les limitations suivantes :

o   elles doivent faire usage d’un inhibiteur du TNFα;

o   elles doivent servir au traitement d’un trouble lié au TNFα;

o   l’ensemble doit produire un traitement.

 

[8]          La divulgation se termine par quatre exemples, dont le plus pertinent est l’exemple 1, intitulé « Study of Efficacy of Multiple-Dose Therapy for Treatment of Crohn’s Disease » [Étude de l’efficacité d’une thérapie à doses multiples pour le traitement de la maladie de Crohn]. Cet exemple divulgue les résultats d’une étude clinique au cours de laquelle des patients souffrant de la maladie de Crohn ayant reçu 160 mg de D2E7 suivis de 80 mg de D2E7 deux semaines plus tard ont obtenu un bénéfice clinique statistiquement significatif comparativement à des sujets ayant reçu un placebo. Cet exemple divulgue également que les patients souffrant de la maladie de Crohn qui ont reçu 80 mg de D2E7 suivis de 40 mg de D2E7 deux semaines plus tard ont obtenu un meilleur bénéfice clinique comparativement à ceux ayant reçu un placebo, même si ces différences ne sont pas présentées comme étant statistiquement significatives.

 

[9]          Tout au long du traitement de la demande, diverses revendications comprenant des variations des paramètres de dosage ont été présentées par le demandeur. Cependant, les revendications soumises par le demandeur en réponse à la décision finale (DF), que nous considérons comme étant les revendications au dossier, sont substantiellement plus limitées et précises, du fait de leurs paramètres spécifiques, que ne l’est l’invention telle qu’elle est décrite. Plus particulièrement, la revendication 1, qui est la seule revendication indépendante de cet ensemble de revendications, prévoit ce qui suit [Traduction] :

 

1.       Utilisation de D2E7 en doses multiples pour le traitement d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin chez un sujet humain, les doses multiples comprenant :

 

une première dose de 160 mg de D2E7, administrée par voie sous-cutanée;

 

une deuxième dose de 80 mg de D2E7, administrée par voie sous-cutanée, deux semaines après l’administration de la première dose;

 

une troisième dose de 40 mg de D2E7, administrée par voie sous-cutanée, deux semaines après l’administration de la deuxième dose.

 

[10]      La divulgation comprend de nombreuses déclarations selon lesquelles les paramètres énoncés dans les revendications actuelles constituent tous des réalisations préférentielles ou très préférentielles (voir, par exemple, la page 88, lignes 5 à 9 et 26 à 27). Ainsi, comparativement à l’étendue et à la variation des paramètres présentés dans la divulgation et les ensembles de revendications antérieurs, il semble que la revendication 1 ci-dessus soit explicitement dirigée vers un ensemble spécifique de paramètres de dosage, ce qui est corroboré par les régimes posologiques testés dans l’exemple 1 et envisagés à la page 88.

 

L’évolution de la position du Bureau à l’égard des revendications concernant des utilisations médicales

[11]      Comme nous l’expliquons plus en détail ci-dessous, la demande ‘868 a été refusée au motif que les revendications présentées empiètent sur le droit du médecin de déterminer comment traiter un patient précis et qu’elles visaient, par conséquent, une méthode de traitement médicale, un objet qui n’entre pas dans la définition d’« invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Or, la position du Bureau des brevets (le « Bureau ») quant à la façon de déterminer si des revendications visant des utilisations médicales constituent un objet brevetable a changé au cours du traitement de la demande ‘868. Ainsi, avant d’exposer l’historique du traitement de la demande ‘868, il est utile d’expliquer l’évolution de la pratique du Bureau à l’égard des revendications d’utilisations médicales qui s’est produite pendant le traitement de la demande.

 

[12]      Plus particulièrement, le 10 juin 2013, le Bureau a publié l’énoncé de pratique 2013-04 Pratique d’examen concernant les utilisations médicales (« PN 2013-04 »), et a adopté dans cet énoncé la position voulant que si [Traduction] « à l’issue d’une interprétation téléologique, il est déterminé qu’un régime posologique est un élément essentiel d’une revendication comprenant l’utilisation d’un composé connu dans le cadre d’un traitement établi, alors la revendication vise une méthode de traitement médical et, par conséquent, n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets ».

 

[13]      En plus d’être appliqué dans le cas présent (comme nous l’expliquons ci-dessous), l’énoncé de pratique PN 2013-04 a servi de fondement à la décision du commissaire de rejeter une autre demande se rapportant au D2E7 et appartenant à AbbVie. Plus précisément, dans la décision du commissaire dans Re AbbVie Biotechnology Ltd. (DC 1362), le commissaire a rejeté la demande de brevet canadienne no 2 385 745 au motif que les revendications en cause [Traduction] « visaient effectivement une méthode de traitement médical » et que, par conséquent, elles n’étaient pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[14]      AbbVie a interjeté appel de cette décision à la Cour fédérale du Canada qui, dans une décision rendue le 22 décembre 2014, a accueilli l’appel de AbbVie et ordonné au commissaire d’accepter la demande; voir AbbVie Biotechnology Ltd. c. le Procureur général du Canada, 2014 CF 1251 (AbbVie).

 

[15]      Le Bureau a par la suite publié une approche modifiée quant à la façon dont il traiterait les revendications se rapportant à des utilisations médicales. Plus particulièrement, le 18 mars 2015, le Bureau a publié l’énoncé de pratique 2015-01, intitulé Pratique d’examen révisée concernant les utilisations médicales (« PN 2015-01 »), dans lequel il a annulé l’énoncé de pratique 2013-04 et a exposé la nouvelle position du Bureau à l’égard des utilisations médicales à la lumière de AbbVie.

 

[16]      Le changement le plus pertinent à être entré en vigueur avec la publication de l’énoncé de pratique PN 2015-01 concerne la position du Bureau à l’égard des revendications visant des régimes posologiques; le passage pertinent étant formulé comme suit :

 

Quand un élément essentiel ne sert qu’à renseigner un professionnel de la santé sur la façon (c.-à-d. le « comment ») de traiter un patient, plutôt que d’indiquer ce qu’il faut (c.-à-d. le « quoi ») pour le traiter, il faut se demander si l’élément essentiel empêche, entrave ou requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin. Si la réponse est « oui », nous devons conclure que l’utilisation revendiquée comporte une méthode de traitement médical qui n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Les éléments essentiels qui limitent les compétences ou le jugement professionnels d’un médecin incluent des éléments qui fournissent les détails sur une posologie comprenant une gamme, et des éléments représentant une gamme de dosages potentielle qu’un patient peut recevoir (par opposition à une gamme d’unités de dosages). En revanche, les éléments essentiels qui restreignent le traitement à un dosage fixe, à un régime posologique fixe, à une sous-population de patients ou à un site d’administration particulier ne sont pas considérés comme limitant l’exercice des compétences professionnelles ou du jugement d’un médecin. [Citations omises.]

 

[17]      Ainsi, alors que l’énoncé de pratique PN 2013-04 semble avoir instauré une interdiction pure et simple à l’égard du brevetage des régimes posologiques faisant intervenir des composés connus dans le cadre de traitements établis, l’énoncé de pratique PN 2015-01 indique maintenant qu’il y a lieu d’examiner de façon plus approfondie les paramètres d’un régime posologique afin de déterminer si les éléments essentiels empêchent, entravent ou requièrent l’exercice des compétences professionnelles et du jugement d’un médecin.

 

Historique du traitement de la demande

[18]      En ce qui concerne les détails spécifiques du traitement de la demande ‘868, mentionnons que le traitement s’est soldé, après six actions du Bureau et des réponses subséquentes, par la délivrance d’une DF le 25 septembre 2013 dans laquelle l’examinateur a indiqué que la demande n’était pas conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets pour plusieurs raisons. Entre autres raisons, l’examinateur était d’avis que les 93 revendications alors au dossier visaient un objet qui n’entrait pas dans la définition d’« invention » et que, par conséquent, elles n’étaient pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets. À cet égard, l’examinateur, s’appuyant sur l’énoncé de pratique PN 2013-04, a indiqué que [Traduction] « [une] revendication dont un élément essentiel est une gamme posologique… limite les compétences professionnelles et le jugement du médecin et, par conséquent, constitue une méthode de traitement médical ».

 

[19]      La DF indiquait également que toutes les revendications étaient évidentes et que la plupart d’entre elles étaient insuffisamment fondées ou avaient un caractère indéfini.

 

[20]      Conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets, la réponse du demandeur était requise au plus tard le 25 mars 2014. Or, à cette date, le demandeur n’avait toujours pas répondu, de sorte que la demande a été considérée comme abandonnée au titre de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets (« la Loi »).

 

[21]      Le 20 mars 2015, deux jours après la publication de l’énoncé de pratique révisé 2015-01, la demande a été rétablie au titre du paragraphe 73(3) de la Loi et le demandeur a présenté sa réponse à la DF (la « R-DF »), accompagnée de trois déclarations visant à établir que l’objet n’était pas évident. Dans la R-DF, le demandeur a indiqué qu’il souhaitait modifier la demande afin de remplacer les 93 revendications qui faisaient l’objet de la DF par un ensemble de cinq nouvelles revendications, faisant valoir que ces nouvelles revendications remédiaient à bon nombre des irrégularités signalées dans la DF au titre des paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi et de l’article 84 des Règles sur les brevets ou enlevaient à ces dernières toute portée pratique. Le demandeur a également présenté divers arguments à savoir pourquoi les 93 revendications qui faisaient l’objet de la DF étaient conformes à la Loi et aux Règles sur les brevets.

 

[22]      Il y a eu à ce stade un certain différend entre le Bureau et le demandeur à savoir si la demande avait été modifiée. Au final, l’examinateur a examiné la R-DF et a jugé qu’aucun des ensembles de revendications ne remédiait à toutes les irrégularités exposées dans la DF. L’examinateur a donc préparé un résumé des motifs (« RM »), qui a été transmis à la Commission d’appel des brevets (« la Commission »).

 

[23]      Dans le RM, l’examinateur a maintenu, à l’égard des 93 revendications qui faisaient l’objet de la DF, que toutes les irrégularités soulevées dans la DF subsistaient. De plus, l’examinateur a fourni une [Traduction] « opinion informelle » sur les cinq nouvelles revendications que le demandeur avait présentées dans sa R-DF. Il convient de souligner que l’examinateur a convenu que ces revendications remédieraient aux irrégularités liées à l’évidence, au manque de fondement et au caractère indéfini. L’examinateur a également reconnu que ces revendications étaient restreintes à un régime posologique spécifique. Qui plus est, pour la première fois, l’examinateur a appliqué l’énoncé de pratique PN 2015-01 à cette demande, mais a tout de même conclu que les cinq nouvelles revendications comprenaient un objet non brevetable.

 

[24]      Dans une lettre en date du 27 juillet 2015 (la « Lettre d’accusé de réception »), la Commission a fait parvenir une copie du RM au demandeur et offert au demandeur l’occasion de présenter des observations écrites supplémentaires et de prendre part à une audience.

 

[25]      Le demandeur a répondu dans une pièce de correspondance en date du 13 août 2015, et a indiqué être d’avis que l’ensemble de revendications soumis au Bureau le 20 mars 2015 était celui qui devait faire l’objet de la révision de la Commission et a, dans la foulée, fait certaines propositions quant à la procédure que la Commission devrait suivre lors de sa révision. Le demandeur a envoyé d’autres lettres, en date du 27 octobre 2015 et du 12 février 2016, confirmant qu’il souhaitait présenter des observations supplémentaires et prendre part à une audience, et exposant de nouveau son avis concernant les revendications modifiées.

 

[26]      Un comité de la Commission (le « Comité ») a par la suite été établi pour réviser la demande. À titre préliminaire, le Comité a examiné les questions soulevées dans la pièce de correspondance du demandeur en date du 13 août 2015. Le 30 mai 2016, le Comité a envoyé une lettre indiquant qu’il était d’avis que, conformément au paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets et aux dispositions transitoires contenues dans Règles modifiant les Règles sur les brevets (DORS/2013-212), l’ensemble de cinq revendications que le demandeur a cherché à introduire au moyen de sa réponse du 20 mars 2015 à la DF constituait l’ensemble de revendications au dossier pour la présente demande.

 

[27]      Dans cette lettre, le Comité a souligné que le dossier ne permettait pas de déterminer avec certitude si le différend concernant les revendications au dossier découlait d’un désaccord quant à la question de savoir si une demande qui avait fait l’objet d’une DF pouvait être modifiée à la suite de son rétablissement, ou si les modifications n’avaient pas été apportées conformément à l’alinéa 30(6)b) des Règles sur les brevets, parce que l’examinateur ne considérait pas qu’elles remédiaient aux irrégularités soulevées dans la DF. Dans tous les cas, le Comité était d’avis que la demande avait été modifiée, concluant, en résumé, que :

 

         l’alinéa 73(3)b) de la Loi et le paragraphe 30(4) des Règles permettent à un demandeur de modifier une demande qui a fait l’objet d’une DF et a été considérée comme abandonnée si cette demande est parallèlement rétablie; et

 

         l’alinéa 30(6)b) des Règles sur les brevets prévoit que toute modification apportée après une DF qui ne convainc pas l’examinateur de recommander l’acceptation « est considérée comme n’ayant jamais été apportée ». Cependant, dans le cas présent, étant donné que l’alinéa 30(6)b) est entré en vigueur en 2013 avec l’application des diverses dispositions transitoires qui régissent les modifications, l’alinéa 30(6)b) ne s’applique pas à la présente demande.

 

[28]      Dans cette lettre, nous avons exposé nos conclusions, dont le passage pertinent est formulé comme suit [Traduction] :

 

L’effet général de ce qui précède est que les modifications aux revendications que le demandeur a indiqué vouloir apporter dans sa R-DF étaient, suivant le rétablissement, permises en vertu du paragraphe 30(4). Parallèlement, compte tenu des dispositions transitoires de la législation [sic] pertinente, l’alinéa 30(6)b) ne s’applique pas à la présente demande, si bien que les modifications présentées dans la R-DF auraient dû être apportées, même si elles ne convainquaient pas l’examinateur de recommander l’acceptation de la demande.

 

En conséquence, nous sommes d’avis que les revendications actuelles qui font l’objet de notre révision au titre de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets sont les cinq revendications [soumises dans la R-DF]. Notre révision de fond sera donc fondée sur la reconnaissance du fait que la [Traduction] « demande refusée » contient les cinq revendications [soumises dans la R-DF].

 

[29]      Nous avons donc effectué notre révision de fond sur cette base. Par souci de clarté, nous n’exprimons aucune opinion quant à la brevetabilité des 93 revendications qui ont fait l’objet de la DF. Cependant, dans la mesure où il est nécessaire d’établir une distinction entre les ensembles de revendications, nous emploierons ci-dessous les termes « revendications de la DF » et « revendications au dossier » pour désigner respectivement l’ensemble de 93 revendications et l’ensemble de 5 revendications. 

 

[30]      Enfin, bien que le demandeur ait accepté nos deux invitations à présenter des observations écrites supplémentaires et à prendre part à une audience, nous considérons qu’à la lumière de notre recommandation d’annuler le refus et d’accepter la demande, la présentation d’observations supplémentaires et la tenue d’une audience ne sont plus nécessaires.

 

Questions

 

[31]      D’après notre compréhension de la DF, du RM et de la R-DF du demandeur, la seule question de fond restante est celle de savoir si les revendications au dossier entrent dans la définition d’« invention » au sens de l’article 2 de la Loi.

 

Législation et principes juridiques

 

Interprétation téléologique

[32]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont identifiés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 SCC 67 aux al. 49f) et g) et au par. 52). Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [révisé en juin 2015], la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être identifiés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

Objet prévu par la Loi

[33]      La définition pertinente d’« invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[34]      Comme nous l’avons expliqué précédemment, la pratique du Bureau à l’égard de la brevetabilité des revendications d’utilisation médicale a changé au cours du traitement de la présente demande et est maintenant régie par l’énoncé de pratique PN 2015-01, qui prévoit ce qui suit : 

 

L’article 2 de la Loi sur les brevets exige que l’objet d’une invention s’inscrive parmi l’une des catégories d’invention, c.-à-d. une réalisation, un procédé, une machine, une fabrication, une composition de matières ou le perfectionnement de l’un d’eux.

 

Les inventions médicales, en particulier, ont fait l’objet de nombreuses interprétations dans la jurisprudence où certains objets se sont avérés exclus du champ d’application de l’article 2. Par exemple, il est bien établi que les méthodes de traitement médical et de chirurgie ne sont pas prévues par la Loi et sont exclues de la définition du mot invention.

 

Cependant, les revendications portant sur l’utilisation médicale sont généralement acceptées pourvu qu’elles ne correspondent pas à des méthodes médicales ou chirurgicales (c.-à-d. qu’elles ne comportent pas d’étapes actives faisant partie d’un traitement ou d’une chirurgie) tout en satisfaisant les autres exigences de brevetabilité. Toutefois, la Cour fédérale a conclu que les revendications qui empêchent les médecins d’exercer leurs compétences et leur jugement dans l’utilisation d’un composé connu pour un objectif établi comportent une méthode de traitement médical. [Citations omises]

 

[35]      Comme nous l’expliquons plus en détail ci-dessous, l’énoncé de pratique PN 2015-01 expose ensuite l’approche utilisée par le Bureau pour déterminer si une revendication vise ou non un objet brevetable.

 

Autres dispositions législatives

[36]      Par souci d’exhaustivité, nous reproduisons ci-dessous les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets concernant l’abandon et le rétablissement auxquelles il est fait référence aux paragraphes 20 à 28 ci-dessus, et qui sont libellées comme suit :

 

73(1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas :

 

a) de répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminé par le commissaire;

b) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 27(6);

c) de payer, dans le délai réglementaire, les taxes visées à l’article 27.1;

d) de présenter la requête visée au paragraphe 35(1) ou de payer la taxe réglementaire dans le délai réglementaire;

e) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 35(2);

f) de payer les taxes réglementaires mentionnées dans l’avis d’acceptation de la demande de brevet dans les six mois suivant celui-ci.

 

...

 

(3) Elle est rétablie si le demandeur :

 

a) présente au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet;

*   b) prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon;

*   c) paie les taxes réglementaires avant l’expiration de la période réglementaire.

 

[37]      De plus, le paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, également mentionné aux paragraphes 20 à 28 ci-dessus, prévoit ce qui suit :

 

(6) Si le demandeur a modifié sa demande ou a fait parvenir des arguments dans le délai visé au paragraphe (4), mais que, après l’expiration de ce délai, l’examinateur n’a pas de motifs raisonnables de croire que la demande est conforme à la Loi et aux présentes règles :

 

a) le commissaire avise le demandeur que le refus n’est pas annulé;

b) toute modification apportée dans le délai visé au paragraphe (4) est considérée comme n’ayant jamais été apportée;

c) le commissaire révise la demande refusée.

 

[38]      Enfin, l’article 10 des Règles modifiant les Règles sur les brevets, DORS/2013-212, qui régit les demandes auxquelles l’alinéa 30(6)b) des Règles sur les brevets s’applique est libellé comme suit :

 

L’alinéa 30(6)b) des Règles sur les brevets, édicté par le paragraphe 3(1) des présentes règles, ne s’applique pas à l’égard d’une demande qui, avant l’entrée en vigueur de cette disposition, a été refusée par un examinateur au titre du paragraphe 30(3).

 

Analyse

 

Interprétation des revendications

[39]      Par souci de commodité, nous reproduisons ci-dessous la revendication 1, qui est la seule revendication indépendante parmi les revendications au dossier :

 

1.       Utilisation de D2E7 en doses multiples pour le traitement d’une maladie inflammatoire de l’intestin chez un sujet humain, les doses multiples comprenant :

 

une première dose de 160 mg de D2E7, pour une administration par voie sous-cutanée;

 

une deuxième dose de 80 mg de D2E7, pour une administration par voie sous-cutanée, deux semaines après l’administration de la première dose; et

 

une troisième dose de 40 mg de D2E7, pour une administration par voie sous-cutanée, deux semaines après l’administration de la deuxième dose.

 

La personne versée dans l’art

[40]      Dans le RM, l’examinateur a identifié la personne versée dans l’art comme étant :
[Traduction]

 

Une équipe de scientifiques pouvant comprendre un médecin praticien possédant une expérience dans le traitement des maladies inflammatoires liées au TNFα, un immunologiste possédant une expérience en biologie moléculaire et en biochimie et un médecin clinicien possédant une expérience des traitements thérapeutiques des maladies et troubles inflammatoires liés au TNFα et, en particulier, des thérapies par anticorps.

 

Cette caractérisation est identique à celle que l’examinateur a fournie dans la DF dans le cadre de son analyse de l’évidence.

 

[41]      Dans la R-DF (envoyée par le demandeur en réponse à la DF avant le RM), le demandeur s’est dit en désaccord avec cette caractérisation, estimant plutôt que la personne versée dans l’art est [Traduction] « un immunologiste clinique dépourvu d’imagination qui possède une connaissance de la gestion d’essais cliniques et une connaissance générale de l’immunologie fondamentale ». À l’appui de cette position, le demandeur a souligné que le Bureau avait caractérisé la personne versée dans l’art de cette manière dans le cas d’une demande antérieure déposée par le demandeur et se rapportant au D2E7.

 

[42]      Nous ne sommes pas d’accord avec la suggestion du demandeur selon laquelle la caractérisation de la personne versée dans l’art établie par le Bureau à l’égard d’une demande en particulier est déterminante quant à la caractérisation de cette personne dans le cas d’une demande différente. Chaque demande est caractérisée par des faits différents et les arguments présentés par un demandeur au cours du traitement sont également différents. En outre, dans la mesure où il existe une différence significative entre la position de l’examinateur et celle du demandeur, nous estimons que l’examinateur a exprimé l’opinion la mieux fondée. Le TNFα et les inhibiteurs du TNFα sont mentionnés à de très nombreuses reprises dans la présente demande et une importance particulière est accordée aux anticorps thérapeutiques. Il est, par conséquent, approprié de considérer que la personne versée dans l’art possède non seulement une connaissance de l’immunologie en général, mais également des questions liées au TNFα en particulier.

 

[43]      De façon plus générale, même si les conclusions de l’examinateur concernent les revendications de la DF, nous estimons, après examen du mémoire descriptif, que cette caractérisation de la personne versée dans l’art s’applique également aux revendications au dossier.

 

Les connaissances générales courantes

[44]      Le RM indique que les connaissances générales courantes comprennent une connaissance des [Traduction] « réactifs thérapeutiques, y compris les anticorps du TNFα, les inhibiteurs du TNFα, ainsi que les méthodes d’utilisation desdits anticorps et inhibiteurs pour le traitement des troubles inflammatoires liés au TNFα ».

 

[45]      Là encore, bien que les conclusions de l’examinateur concernent les revendications de la DF, nous convenons que cet exposé des connaissances générales courantes est exact au regard des revendications au dossier.

 

Le problème à résoudre

[46]      Le RM indique que le problème à résoudre est le besoin de fournir un traitement amélioré des troubles liés au TNFα dans lesquels l’activité du TNFα a un effet préjudiciable.

 

[47]      Bien que nous soyons d’accord avec l’examinateur à cet égard, nous estimons utile de préciser que ce « perfectionnement » doit être interprété comme le fait de fournir un traitement de substitution dont l’efficacité a été démontrée chez des patients (par opposition à un placebo, par exemple) et non comme un perfectionnement permettant de remédier à un inconvénient des traitements de l’art antérieur qui sont mentionnés dans la divulgation. À cet égard, nous soulignons que bien que la divulgation indique qu’il existe des traitements connus contre le psoriasis et la maladie de Crohn, elle fait uniquement allusion au fait que ces traitements peuvent comporter des aspects indésirables (voir la page 2, lignes 4 à 25). Ainsi, nous ne pouvons pas conclure que le problème exposé dans le mémoire descriptif se rapporte à un avantage particulier par rapport aux traitements connus. À la lumière du mémoire descriptif dans son ensemble, nous estimons plutôt que le problème à résoudre est le besoin de fournir des traitements de substitution pour les troubles liés au TNFα dans lesquels l’activité du TNFα a un effet préjudiciable.  

 

La solution proposée

[48]      Le RM indique que la solution proposée est la suivante [Traduction] :

 

Utilisation d’un régime posologique à doses multiples qui comprend l’administration à un sujet d’une dose de départ d’un inhibiteur du TNFα (D2E7), et l’administration subséquente d’au moins une dose de traitement de manière à obtenir les résultats souhaités. [Soulignement ajouté.]

 

[49]      Ici, le fait que l’évaluation de l’examinateur portait sur les revendications de la DF, alors que celle du Comité porte sur les revendications au dossier, fait en sorte que le Comité a une opinion sensiblement différente sur la solution proposée. En particulier, alors que dans les revendications de la DF, les doses du régime posologique sont caractérisées comme étant soit une [Traduction] « dose de départ » soit une [Traduction] « dose de traitement », dans les revendications au dossier, elles sont simplement caractérisées comme une [Traduction] « première », une « deuxième » et une « troisième » dose, ayant chacune des paramètres spécifiques.

 

[50]      En outre, étant donné l’exposé ci-dessus concernant le problème à résoudre, nous estimons utile de préciser qu’à notre avis [Traduction] « le résultat souhaité » serait un traitement qui est plus efficace qu’un placebo, sans être nécessairement supérieur aux autres traitements connus. Plus particulièrement, à la lumière des revendications au dossier, le Comité est d’avis que la solution proposée est l’utilisation d’un régime posologique à doses multiples qui comprend l’administration par voie sous-cutanée d’une première dose de 160 mg de D2E7, suivie par une deuxième dose de 80 mg de D2E7 et une troisième dose de 40 mg de D2E7, se traduisant conjointement par le traitement d’un sujet humain.

 

Les éléments essentiels

[51]      Dans le RM, l’examinateur a déterminé que les éléments essentiels des 93 revendications de la DF étaient les suivants [Traduction] :

 

L’élément essentiel à la résolution du problème dans le cas présent est un régime posologique à doses multiples comprenant une dose de départ d’un inhibiteur du TNFα et au moins une dose de traitement subséquente.

 

[52]      Là encore, le fait que l’évaluation de l’examinateur portait sur les revendications de la DF, alors que celle du Comité porte sur les revendications au dossier, fait en sorte que le Comité a une opinion différente sur les éléments essentiels. Plus précisément, compte tenu du problème et de la solution exposés ci-dessus, et considérant le libellé spécifique des revendications au dossier, nous sommes d’avis que les éléments essentiels de la revendication 1 sont les suivants :

 

1)      l’anticorps thérapeutique spécifique D2E7;

2)      utilisé dans le cadre d’un régime posologique pour le traitement d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin chez un sujet humain;

3)      ce régime posologique étant assorti des paramètres suivants :

 

a.       une voie d’administration sous-cutanée;

b.      trois doses, chacune étant administrée deux semaines après la dose précédente; et

c.       la première dose étant de 160 mg, la deuxième dose de 80 mg et la troisième dose de 40 mg.

Signification des termes spécifiques

[53]      À la lumière du mémoire descriptif dans son ensemble, nous considérons qu’il n’existe aucune ambiguïté quant à la signification des termes employés dans la revendication 1 pour spécifier les paramètres du régime posologique. Par conséquent, nous estimons que le régime posologique est fixe en ce qui a trait à la voie d’administration (« sous-cutanée »), aux doses de D2E7 (160 mg, 80 mg, 40 mg) et à l’intervalle entre les doses (deux semaines).

 

[54]      Cela étant dit, deux aspects de la revendication 1 méritent qu’on se penche brièvement sur leur signification.

 

[55]      Le premier de ces aspects est la nature de l’utilisation mentionnée dans le passage [Traduction] « utilisation de D2E7 en doses multiples pour le traitement d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin... ». Par souci de clarté, mentionnons que nous interprétons cette utilisation comme une utilisation de l’anticorps monoclonal thérapeutique connu qu’est le D2E7 dans le cadre d’un régime posologique utilisé par un médecin pour traiter un patient; c.-à-d. que l’« utilisation » revendiquée exige que le D2E7 soit réellement administré par un médecin (ou un professionnel analogue) lors du traitement d’un patient humain souffrant d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, selon les paramètres énoncés dans la revendication 1. Ainsi, nous interprétons les revendications comme allant au-delà d’une revendication visant une composition de matière en soi (c.-à-d. le D2E7 en quantités spécifiées), car elles comprennent un régime posologique qui indique comment utiliser le D2E7 selon certains paramètres de dosage.

 

[56]      Deuxièmement, nous interprétons le mot [Traduction] « comprenant » employé dans la revendication 1 comme admettant la possibilité d’ajouter des doses supplémentaires de D2E7 après l’administration de la [Traduction] « première », « deuxième » et « troisième » dose. Cette interprétation est confirmée par la revendication 2, qui fait spécifiquement mention de doses supplémentaires de 40 mg de D2E7 administrées par voie sous-cutanée. Or, nous ne considérons pas que des doses supplémentaires sont nécessaires pour résoudre le problème exposé dans la description. Il appert plutôt, à la lumière du mémoire descriptif dans son ensemble, que la solution proposée est axée sur les doses initiales de la thérapie au D2E7, si bien que la présence du mot [Traduction] « comprenant » dans la revendication 1 sert uniquement à indiquer clairement que la revendication ne peut pas être écartée simplement en ajoutant une dose supplémentaire.

 

[57]      Nous considérons que les revendications 2 à 5 se rapportent à des affinements des éléments essentiels énoncés dans la revendication 1. Par souci de commodité, nous reproduisons ces revendications ci-dessous [Traduction] :

 

2.       L’utilisation selon la revendication 1, comprenant en outre des doses supplémentaires de 40 mg de D2E7 pour une administration par voie sous-cutanée à deux semaines d’intervalle commençant deux semaines après l’administration de la troisième dose.

 

3.       L’utilisation selon les revendications 1 ou 2, où la première dose et la deuxième dose sont fournies sous la forme de quatre et de deux unités de dosage de 40 mg de D2E7 chacune, respectivement.

 

4.       L’utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 3, où la maladie inflammatoire chronique de l’intestin est la maladie de Crohn.

 

5.       L’utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 3, où la maladie inflammatoire chronique de l’intestin est la colite ulcéreuse.

 

Nous considérons qu’il n’existe aucune ambiguïté quant à la signification des termes employés dans les revendications 2 à 5. 

Objet

L’application de l’énoncé de pratique PN 2015-01 par l’examinateur

[58]      Dans le cadre de [Traduction] « l’Opinion informelle » qu’il a présentée dans le RM, et qui a été rédigée moins de trois mois après la publication de l’énoncé de pratique PN 2015-01, l’examinateur a appliqué l’énoncé de pratique PN 2015-01 aux revendications au dossier et a jugé que ces revendications visaient un objet exclu. À cet égard, il appert au Comité que la conclusion de l’examinateur n’était pas fondée sur la constatation que les paramètres revendiqués n’étaient pas fixes, mais plutôt sur le fait que le mémoire descriptif indique que [Traduction] « les régimes posologiques spécifiques devraient être ajustés au fil du temps ». Plus particulièrement, l’examinateur a indiqué ce qui suit [Traduction] :

 

Le demandeur a restreint la revendication indépendante (revendication 1) à un régime posologique spécifique dans le cadre duquel les trois différentes doses fixes de D2E7 doivent être administrées à trois moments déterminés pour le traitement d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin. Dans la première revendication dépendante (revendication 2), le demandeur a introduit des doses supplémentaires de D2E7. Lors de l’interprétation téléologique, l’examinateur a jugé que :

 

1. L’utilisation de D2E7 en doses multiples pour le traitement d’un trouble inflammatoire nécessiterait le jugement d’un médecin.

 

2. L’utilisation de D2E7 en doses multiples pour le traitement d’un trouble inflammatoire nécessiterait un suivi continu du patient par le médecin.

 

3. Les doses multiples, telles qu’elles sont revendiquées dans les revendications 1 à 3, équivalent à un calendrier de titrage du D2E7 destiné à produire les résultats souhaités.

 

À cet égard, le mémoire descriptif (en particulier les pages 88 et 89) indique clairement que [Traduction] « les régimes posologiques spécifiques devraient être ajustés au fil du temps selon les besoins du patient et le jugement professionnel de la personne responsable de l’administration ou supervisant l’administration… ». Par conséquent, l’examinateur considère que les revendications 1 à 5 proposées semblent encore comprendre un objet non prévu par la Loi et qu’elles ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

          La position du Comité sur l’objet des revendications au dossier

[59]      Comme nous l’avons souligné ci-dessus, nous interprétons les revendications comme allant au-delà d’une revendication visant une composition de matière en soi (c.-à-d. le D2E7 en quantités spécifiées), car elles comprennent un régime posologique qui indique comment utiliser le D2E7 selon certains paramètres de dosage. Ou, pour reprendre la formulation utilisée dans l’énoncé de pratique PN 2015-01, nous interprétons les revendications comme comprenant un élément essentiel qui sert à « renseigner un professionnel de la santé sur la façon (c.-à-d. le « comment ») de traiter un patient ».

 

[60]      Toutefois, selon l’énoncé de pratique PN 2015-01, l’affaire ne s’arrête pas là; la pratique actuelle du Bureau consiste désormais à se demander « si l’élément essentiel empêche, entrave ou requiert l’exercice des compétences professionnelles d’un médecin ». Ainsi, dans l’énoncé de pratique PN 2015-01, le Bureau a adopté la position selon laquelle « les éléments essentiels qui restreignent le traitement à… un régime posologique fixe… ne sont pas considérés comme limitant l’exercice des compétences professionnelles ou du jugement d’un médecin ».

 

[61]      À cet égard, nous convenons avec l’examinateur que la revendication indépendante 1) est restreinte à un régime posologique spécifique dans le cadre duquel les trois différentes doses fixes de D2E7 doivent être administrées à trois moments déterminés pour le traitement d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin. Plus exactement, la portée des revendications au dossier, telles qu’elles sont interprétées, est spécifique aux paramètres précis qui sont énoncés. Par conséquent, la détermination par un médecin qu’un régime posologique de substitution est approprié pour son patient se situerait, à notre avis, en dehors de la portée de ces revendications. De plus, la divulgation et, en particulier, l’exemple 1, mentionné ci-dessus, appuient fortement l’idée que le régime posologique revendiqué produira, en réalité, l’effet souhaité chez les patients sans qu’il soit nécessaire de le modifier, ce qui vient corroborer l’interprétation voulant que le régime posologique revendiqué soit [Traduction] « fixe ».

 

[62]      Dans le RM, l’examinateur a indiqué être d’avis que la possibilité, à la revendication 2, d’ajouter des doses supplémentaires et la nécessité pour un médecin de suivre un patient recevant du D2E7 signifient que les revendications équivalent à un titrage et que, par conséquent, les revendications comprennent un objet exclu. À l’appui de sa position, l’examinateur a cité des passages du mémoire descriptif qui prévoient que les régimes posologiques divulgués doivent être ajustés selon le jugement du professionnel responsable de l’administration. À titre d’exemple, le mémoire descriptif indique que (voir la page 89, lignes 6 à 11) :

 

Il faut aussi comprendre que pour tout sujet donné, les régimes posologiques spécifiques devraient être ajustées au fil du temps selon les besoins du patient et le jugement professionnel de la personne responsable de l’administration ou supervisant l’administration des compositions, et que les gammes posologiques établies aux présentes ne sont que des exemples et ne sont pas destinées à limiter la portée ou la mise en pratique de la composition revendiquée.

 

[63]      À notre avis, ce passage du mémoire descriptif ne fait pas des revendications au dossier une tentative pour accaparer les décisions d’ordre médical prises par un médecin. Ces passages semblent plutôt se rapporter aux diverses réalisations divulguées dans le mémoire descriptif à l’égard desquelles aucun paramètre spécifique n’est fourni. Quoi qu’il en soit, nous avons tenu compte de passages comme celui-là dans notre interprétation des revendications et nous sommes d’avis que les revendications au dossier doivent être interprétées comme étant limitées à un régime posologique fixe spécifique parmi les nombreuses permutations possibles qui sont décrites, dans la divulgation, comme se situant dans la portée de l’invention.

 

[64]      Qui plus est, nous ne sommes pas en désaccord avec l’examinateur dans la mesure où il est bien possible, dans un contexte clinique réel, qu’un médecin ait à exercer un suivi sur un patient recevant du D2E7 et où les revendications prévoient des doses supplémentaires. Cependant, notre vision des choses diffère de celle de l’examinateur en ce qui a trait à l’incidence que ces observations ont sur l’interprétation des revendications et l’analyse consécutive de l’objet brevetable. À notre avis, le point clé du point de vue objet tel que défini dans l’énoncé de pratique PN 2015-01, est que nous n’interprétons pas les revendications comme accaparant les activités qui font partie intégrante du suivi exercé par le médecin; tout exercice d’un jugement ou de compétences par le médecin se situerait en dehors de la revendication.

 

[65]      Enfin, nous prenons acte des exemples dont s’accompagnait l’énoncé de pratique PN2015-01 au moment de sa publication. Bien entendu, ces exemples sont fournis uniquement à des fins de démonstration, mais nous constatons que nos conclusions ici semblent concorder avec la proposition énoncée à l’exemple 5.1 selon laquelle une revendication qui définit un régime posologique fixe sera probablement prévue par la Loi, sauf s’il appert, après une interprétation téléologique de la revendication que la revendication comprend, en réalité, un titrage ou vise de toute autre manière à accaparer les compétences ou le jugement d’un médecin.

 

[66]      En conséquence, nous sommes d’avis que les revendications au dossier ont été restreintes à un régime posologique fixe, lequel ne vise pas à limiter les compétences ou le jugement professionnels du médecin et qu’elles constituent, par conséquent, un objet brevetable au sens de l’article 2 de la Loi.

 

Recommandation de la Commission

 

[67]      Pour les raisons exposées ci-dessus, nous sommes d’avis que le refus est injustifié compte tenu des irrégularités indiquées dans l’avis de décision finale et nous avons des motifs raisonnables de croire que la demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Nous recommandons que vous avisiez le demandeur, conformément au paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets.

 

 

T. Nessim Abu-Zahra                Ryan Jaecques                         Stephen MacNeil

Membre                                     Membre                                   Membre

 


 

Décision

 

[68]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Conformément aux dispositions du paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, j’avise par les présentes le demandeur que le refus de la demande est annulé, que la demande a été jugée acceptable et que j’ordonnerai qu’un avis d’acceptation soit envoyé en temps voulu.

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 23e jour d’août 2016

 

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