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Décision du commissaire no 1414

Commissioner’s Decision #1414 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : O00 – Évidence

 

TOPIC: O00 – Obviousness

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 622 609

Application No.: 2,622,609

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 622 609 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission d’appel des brevets, la commissaire rejette la demande.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

GOWLINGS WLG (CANADA) LLP

160, rue Elgin, bureau 2600

Ottawa (Ontario) K1P 1C3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

 

[1]          La présente recommandation concerne la révision de la demande de brevet refusée no 2 622 609, intitulée « Utilisation d’une fraction d’érythropoïétine dans le traitement de maladies neurodégénératives », qui est inscrite au nom de F. Hoffmann-La Roche AG. L’irrégularité qui subsiste est liée à la question de savoir si l’invention revendiquée est évidente. La Commission d’appel des brevets a procédé à la révision de la demande refusée conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, nous recommandons que la demande soit rejetée.

 

Contexte

 

La demande

 

[2]          La demande de brevet 2 622 609 a été déposée au Canada le 18 septembre 2006 et publiée le 12 avril 2007.

 

[3]          La demande a trait à l’utilisation d’une hormone chimiquement modifiée connue sous le nom d’érythropoïétine (« EPO ») pour le traitement de maladies neurodégénératives. L’EPO est une hormone protéique naturellement produite par l’organisme qui stimule la production de globules rouges. À ce titre, elle est généralement utilisée comme agent thérapeutique pour le traitement de la carence en fer ou de faibles niveaux de globules rouges, c’est-à-dire l’anémie.

 

[4]          Dans le cas présent, l’EPO a été chimiquement modifiée par l’attachement de groupes, ou « fractions », de polyéthylène glycol (« PEG ») et est utilisée pour traiter des maladies neurodégénératives chez l’humain, telles que l’accident vasculaire cérébral et la maladie d’Alzheimer. On considère généralement que l’attachement de fractions de PEG prolonge l’activité d’une molécule en accroissant sa demi-vie dans le système sanguin et en la protégeant contre la dégradation. Une molécule modifiée par PEG, ou « pegylée » est nécessairement plus grosse et plus hydrophile qu’une molécule non modifiée.

 

[5]          Même si l’EPO elle-même était déjà considérée, selon certaines antériorités, comme utile dans le traitement de maladies neurodégénératives avant la date de dépôt de la demande, il semble que personne n’avait encore utilisé l’EPO pegylée dans le cadre de tels traitements. Les présents inventeurs ont entrepris d’établir que l’EPO pegylée pouvait être ainsi utilisée si elle était injectée dans le système sanguin d’un patient. Or, pour que l’EPO pegylée exerce un effet biochimique et soit utile pour traiter une maladie neurodégénérative, elle doit franchir ce qu’on appelle la « barrière hématoencéphalique » (« BHE ») lors de sa migration du système sanguin vers le système nerveux central. Le fait que l’EPO pegylée puisse, en réalité, franchir la BHE ne semble pas avoir été démontré avant le dépôt de la demande.

 

[6]          La BHE est une structure de protection qui régule les échanges de substances entre le sang et le cerveau. La migration de molécules à travers la BHE peut s’opérer par différentes voies. Les molécules de petite taille, comme le sucre et l’alcool, franchissent la BHE par simple diffusion. Dans le cas des molécules de plus grande taille, comme les protéines, un mécanisme de transport plus complexe est généralement requis pour assurer la migration à travers la BHE. Dans de tels cas, une molécule réceptrice présente du côté sanguin des cellules de la BHE se lie spécifiquement à la molécule, la transporte à travers les cellules de la BHE, puis la libère de l’autre côté, c’est-à-dire dans le liquide céphalorachidien du système nerveux central. Pour les besoins de la présente révision, nous appellerons ce processus « transport par récepteur impliquant une endocytose ».

 

[7]          Les inventeurs ont mené des expériences qui démontrent que l’EPO pegylée peut franchir la BHE malgré sa taille considérable. Ils divulguent les résultats de leurs expériences dans la demande et revendiquent l’utilisation de telles molécules pour le traitement de maladies neurodégénératives comme leur invention.

 

 

Historique du traitement de la demande

 

[8]          Le 15 avril 2013, l’examinateur a rédigé une décision finale (« DF ») conformément aux dispositions du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. La DF indique que la demande est irrégulière pour une seule raison, soit le fait que les revendications définissent un objet qui est évident à la lumière de trois documents de l’art antérieur, en contravention de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[9]          Dans sa réponse à la DF (« R-DF ») en date du 14 octobre 2014, le demandeur a présenté un ensemble de revendications modifiées et a fait valoir que l’invention revendiquée n’était pas évidente, principalement parce que le constat que l’EPO pegylée peut franchir la BHE était inattendu pour les inventeurs et que, par conséquent, l’utilisation de l’EPO pegylée pour le traitement de maladies neurodégénératives n’était pas évidente.

 

[10]      L’examinateur ayant jugé la demande non conforme à la Loi sur les brevets, le 15 mai 2015, conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, la demande a été transmise à la Commission d’appel des brevets (la « Commission »), accompagnée d’un résumé des motifs (« RM ») expliquant pourquoi la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que l’EPO pegylée puisse être transportée de l’autre côté de la BHE.

 

[11]      Dans une lettre en date du 27 juillet 2015 (la « Lettre d’accusé de réception »), la Commission a transmis une copie du RM au demandeur et a offert à ce dernier la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires et/ou de prendre part à une audience. Le 27 octobre 2015, le demandeur a présenté des observations écrites en réponse au RM et a indiqué qu’il ne souhaitait pas participer à une audience.

 

[12]      Le présent comité a été formé dans le but de réviser la demande conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets et de présenter une recommandation à la commissaire quant à la décision à rendre. Dans une lettre en date du 28 juillet 2016 (la « Lettre du comité »), nous avons exposé notre analyse préliminaire et les raisons pour lesquelles, d’après le dossier dont nous disposons, nous considérons que l’objet des revendications est évident et, de ce fait, non conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Le 8 septembre 2016, le demandeur a répondu à la Lettre du comité (sa « Réponse à la Lettre du comité ») et a présenté des observations supplémentaires à l’appui de sa position selon laquelle l’objet revendiqué n’est pas évident.

 

Question

 

[13]      Il n’y a qu’une seule question à trancher dans la cadre de la présente révision, soit celle de savoir si l’objet revendiqué est évident, en contravention de l’article 28.3 de la Loi.

 

Législation et principes juridiques

 

Interprétation téléologique

 

[14]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, les éléments essentiels sont identifiés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir également Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, aux al. 49f) et g) et au par. 52). Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets, la première étape de l’interprétation téléologique des revendications consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être identifiés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

 

[15]      Dans la Lettre du comité, nous avons indiqué que l’interprétation des revendications ne nous semblait pas être en cause et que les termes utilisés dans les revendications étaient clairs. Dans sa Réponse à la Lettre du comité, le demandeur n’a formulé aucun commentaire sur l’interprétation des revendications ou sur leur terminologie.

 

Évidence

 

[16]      La Loi sur les brevets exige que l’objet d’une revendication ne soit pas évident pour la personne versée dans l’art. L’article 28.3 de la Loi prévoit que :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[17]      Dans Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, au par. 67 (Sanofi), la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il y avait lieu de suivre, aux fins de l’analyse de l’évidence, la démarche en quatre étapes suivante :

 

(1)          a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)       Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3)       Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation;

(4)       Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

 

Analyse

 

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[18]      Dans la Lettre du comité, nous avons mentionné que l’identité de la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes de cette personne ne semblaient pas être en cause. Dans sa Réponse à la Lettre du comité, le demandeur n’a pas non plus contesté ces aspects de l’analyse.

 

[19]      En bref, nous sommes d’accord avec l’examinateur, qui a identifié la personne versée dans l’art comme [Traduction] « un médecin clinicien ayant une expérience dans le traitement des maladies neurodégénératives » et a indiqué que cette personne [Traduction] « posséderait une connaissance importante et approfondie de la médecine expérimentale et serait très au fait des options de traitement pour les patients souffrant d’une maladie neurodégénérative ».

 

[20]      Nous avons précisé que les connaissances générales courantes comprendraient également une connaissance de la structure, de la fonction et de la physiologie de la BHE, y compris une connaissance du fait que des molécules peuvent franchir la BHE par simple diffusion ou, dans le cas des molécules de plus grande taille comme les protéines, grâce à un transport par récepteur impliquant une endocytose.

 

Le concept inventif

 

[21]      Dans la Lettre du comité, nous avons indiqué qu’il y avait consensus entre l’examinateur et le demandeur quant au fait que le concept inventif de l’ensemble des revendications [Traduction] « concerne l’utilisation d’une molécule d’EPO pegylée pour traiter des maladies neurodégénératives » et avons précisé, ainsi qu’il est spécifié dans les revendications, qu’une maladie neurodégénérative s’entend d’une maladie [Traduction] « du cerveau et de la moelle épinière » et que l’EPO pegylée est destinée à [Traduction] « une administration dans le circuit sanguin du cerveau d’un patient ».

 

[22]      Dans sa Réponse à la Lettre du comité, le demandeur ne s’est pas dit en désaccord avec cette évaluation.

 

Différences entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et le concept inventif

 

[23]      Trois antériorités ont été citées dans la DF :

 

         Demande de brevet européenne 1 525 889 A1, publiée le 27 avril 2005; inventeur : Apollon Papadimitriou [Papadimitriou]

 

         Demande de brevet internationale auprès de l’OMPI WO 02/49673 A2, publiée le 27 juin 2002; inventeurs : Josef Burg et coll. [Burg et coll.]

 

         Demande de brevet internationale auprès de l’OMPI WO 00/61164 A1, publiée le 19 octobre 2000; inventeurs : Michael Brines et coll. [Brines et coll.]

 

[24]      Dans la Lettre du comité, nous avons souligné que les demandes de Papadimitriou et de Burg et coll. divulguent toutes deux des molécules d’EPO pegylées qui conviennent à des applications thérapeutiques et qui entrent dans la portée des revendications. Ni l’une ni l’autre de ces antériorités n’indique si l’EPO pegylée est apte à franchir la BHE et à traiter des maladies neurodégénératives.

 

[25]      Dans la Lettre du comité, nous avons également indiqué que la demande de Brines et coll. divulgue que l’EPO peut être administrée dans le système sanguin et qu’elle est apte à franchir la BHE, ce qui permet de l’utiliser pour le traitement d’un certain nombre de maladies neurodégénératives sans qu’il soit nécessaire de l’injecter directement dans le système nerveux central (Brines et coll., page 4, lignes 9 à 13). Une molécule d’EPO convenable est définie en détail dans la demande de Brines et coll. comme l’une quelconque d’un certain nombre de formes naturelles, synthétiques ou recombinées d’EPO (page 9, lignes 24 à 30); mais aucune forme d’EPO pegylée n’est explicitement mentionnée.

 

[26]      Fait important, nous avons souligné que Brines et coll. ne croient pas que l’EPO franchit la BHE par simple diffusion. Brines et coll. divulguent qu’ils estiment que l’EPO est activement transportée à travers la BHE grâce à un transport par récepteur impliquant une endocytose (page 11, ligne 28 – page 12, ligne 1).

 

[27]      Dans la Lettre du comité, nous résumons les différences entre les antériorités citées, considérées individuellement, et le concept inventif de la manière suivante [Traduction] :

 

         Ni la demande de Papadimitriou ni celle de Burg et coll. ne donnent à penser que l’EPO pegylée traverse la BHE de manière à traiter des maladies neurodégénératives; et

 

         La demande de Brines et coll. ne divulgue pas l’utilisation de l’EPO pegylée.

 

[28]      Nous avons souligné que, lorsque les antériorités sont considérées conjointement, il n’y a pas de différences entre l’état de la technique et le concept inventif – toute lacune que pourrait comporter la demande de Brines et coll. en ce qui concerne l’EPO pegylée est comblée par la divulgation de telles molécules soit dans la demande de Papadimitriou, soit dans celle de Burg et coll.

 

[29]      Dans sa Réponse à la Lettre du comité, le demandeur ne s’est pas dit en désaccord avec notre évaluation des différences entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et le concept inventif.

 

Abstraction faite de toute connaissance de l’invention présumée, telle que revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[30]      Dans la Lettre du comité, nous avons indiqué que la question qui se posait à ce stade de l’analyse était celle de savoir si la personne versée dans l’art aurait combiné les antériorités citées et accompli l’étape consistant à substituer l’EPO pegylée, telle qu’elle est divulguée dans la demande de Papadimitriou ou dans celle de Burg et coll., à l’EPO non pegylée utilisée dans le cadre de la méthode de traitement des maladies neurodégénératives divulguée dans la demande de Brines et coll. D’après l’examen du dossier, la réponse dépend principalement de la question de savoir si, pour accomplir cette étape, la personne versée dans l’art avait eu à faire preuve d’inventivité dans la perspective où elle s’attendait à ce que l’EPO pegylée traverse la BHE et devienne de ce fait disponible à l’intérieur du système nerveux central pour traiter les maladies neurodégénératives du cerveau et de la moelle épinière. Notre opinion préliminaire était que l’étape consistant à substituer l’EPO pegylée à l’EPO non pegylée dans la méthode divulguée par Brines et coll. aurait été évidente pour la personne versée dans l’art.

 

[31]      Nous avons exprimé cette opinion parce que, à notre avis, les connaissances générales courantes, la demande de Brines et coll. et la divulgation faite dans la présente demande se rejoignent toutes quant au mode de migration prévu des molécules d’EPO à travers la BHE et que, par conséquent, la personne versée dans l’art s’attendrait à la même chose dans le cas d’une molécule d’EPO pegylée. Nous avons expliqué que la personne versée dans l’art comprenait, du fait de ses connaissances générales courantes, qu’un transport par récepteur impliquant une endocytose constituait le mode de transport prévu pour les molécules protéiques de grande taille telles que l’EPO, et que Brines et coll. croyaient que l’EPO traversait la BHE grâce à ce mécanisme et qu’elle pouvait, de ce fait, être utilisée pour le traitement des maladies neurodégénératives en étant administrée dans le système sanguin. Notre opinion préliminaire était que la personne versée dans l’art n’aurait pas eu de raison de croire que l’utilisation de l’EPO pegylée en remplacement de l’EPO non pegylée puisse se solder par un échec, et qu’elle aurait eu une motivation suffisante pour substituer l’EPO pegylée à l’EPO non pegylée afin d’obtenir les avantages connus et attendus qui sont associés aux molécules pegylées. Nous avons également fait observer que la présente demande elle-même reposait sur le postulat que la capacité de l’EPO pegylée à franchir la BHE était vraisemblablement attribuable à un transport par récepteur impliquant une endocytose.

 

[32]      Dans la Lettre du comité, nous avons pris acte des arguments du demandeur voulant que la personne versée dans l’art ne se soit pas attendue à ce que l’EPO pegylée franchisse la BHE, compte tenu de sa grande taille et de son hydrophilicité accrue et que, pour cette raison, les inventeurs ont accompli une étape inventive lorsqu’ils ont démontré que ce franchissement avait bel et bien lieu. Nous avons indiqué qu’à notre avis, la personne versée dans l’art aurait eu cette attente uniquement si le mécanisme de migration de l’EPO pegylée à travers la BHE avait pris la forme d’une simple diffusion. Étant donné que le dossier établit que le mode de migration prévu est un transport par récepteur impliquant une endocytose, lequel s’appliquerait sélectivement à la molécule en question et pourrait opérer indépendamment de la taille ou de l’hydrophilicité de la molécule, les arguments du demandeur ne nous ont pas convaincus.

 

[33]      Dans sa Réponse à la Lettre du comité, le demandeur s’est dit en désaccord avec notre opinion préliminaire et a maintenu que [Traduction] « l’objet revendiqué n’est pas évident pour les raisons déjà au dossier ».

 

[34]      Dans sa Réponse à la Lettre du comité, le demandeur a commencé par laisser entendre que l’approche adoptée était incorrecte [Traduction] : « Le demandeur admet respectueusement qu’une approche could-would [aurait pu faire - aurait fait] devrait être utilisée pour évaluer l’évidence des revendications, plutôt qu’une approche could-could » [aurait pu faire - aurait pu faire]. Le demandeur n’a pas fourni d’autres explications à savoir pourquoi l’approche adoptée à l’égard de la question de l’évidence que nous exposons dans la Lettre du comité devrait être considérée comme non acceptable ou incorrecte en principe.

 

[35]      Dans notre Lettre du comité, ainsi que dans la présente recommandation, nous avons suivi la démarche structurée en quatre étapes pour évaluer l’évidence établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi. Le demandeur soutient maintenant que nous avons utilisé ce qu’il considère comme une approche « could-could » [aurait pu faire - aurait pu faire] non acceptable. Or, tel qu’il est indiqué dans la Lettre du comité, nous avons fondé notre évaluation de ce que la personne versée dans l’art « aurait fait » sur la preuve au dossier de l’existence d’une motivation suffisante, et non sur ce que la personne versée dans l’art « aurait pu faire »; par exemple [Traduction] :

 

Après examen du dossier, notre opinion préliminaire est que l’étape consistant à substituer l’EPO pegylée à l’EPO non pegylée dans la méthode divulguée par Brines et coll. aurait été évidente pour la personne versée dans l’art, que rien n’indique à la personne versée dans l’art que l’EPO pegylée ne franchirait pas la BHE, et que les avantages connus (tels qu’ils sont mentionnés dans la description, à la page 2, aux lignes 20 à 22) que procurerait l’utilisation d’EPO pegylée fournissaient à la personne versée dans l’art une motivation suffisante pour accomplir cette étape. [Soulignement ajouté; Lettre du comité, page 7]

. . .

Par conséquent, la personne versée dans l’art, désireuse d’assurer le transport de l’EPO pegylée à travers la BHE à partir du système sanguin, et motivée de fournir une thérapie améliorée, aurait substitué ces molécules à celles mentionnées dans la demande de Brines et coll. afin d’appliquer les avantages qu’elles procurent au traitement des maladies neurodégénérativee du cerveau et de la moelle épinière. [Soulignement ajouté; Lettre du comité, page 9]

 

[36]      Ainsi, l’opinion préliminaire que nous exprimons dans la Lettre du comité était fondée sur la démarche de Sanofi, au regard de la perspective tournée vers l’avenir qui est celle de la personne versée dans l’art, et sur la preuve qu’il existait pour cette personne une motivation suffisante pour accomplir ce qui, à notre avis, aurait été une étape de substitution évidente.

 

[37]      Dans sa Réponse à la Lettre du comité, le demandeur a aussi traité brièvement de l’une des antériorités citées, la demande de Brines et coll., et exprimé son opinion quant à la nature inventive de l’objet revendiqué.

 

[38]      Le demandeur a fait valoir que la demande de Brines et coll. indique que [Traduction] « l’EPO ou des dérivés associés à des composés connus pour accroître la pénétration des barrières endothéliales, ou des compositions comprenant de tels composés, sont utiles pour acheminer ces substances au cerveau et ont des effets neuroprotecteurs. Le document n’indique pas qu’une augmentation du poids ou du contenu moléculaire du polyéthylène glycol, ou une hydrophilicité accrue, pourraient être utiles à cette fin ». Selon le demandeur, [Traduction] « la personne moyennement versée dans l’art ne trouverait dans [la demande de Brines et coll.] aucun indice susceptible de la mener à la présente invention ».

 

[39]      Le demandeur a également réaffirmé qu’aucune des antériorités [Traduction] « ne prédit la pénétration de la barrière hématoencéphalique et l’activité neuroprotectrice des dérivés d’érythropoïétine pegylée, ainsi qu’il est défini à la présente revendication 1, lesquels dérivés sont des molécules substantiellement plus grosses et plus hydrophiles que l’érythropoïétine et contiennent du polyéthylène glycol » et que « la personne moyennement versée dans l’art s’attendrait à ce que des molécules de plus petite taille soient utilisées pour franchir la barrière hématoencéphalique ».

 

[40]      Nous avons tenu compte de la Réponse du demandeur à la Lettre du comité, mais nous ne sommes pas convaincus que l’objet revendiqué n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art.

 

[41]      La question qui se pose ici est celle de l’évidence et il s’agit de déterminer si le concept inventif diffère de ce qui est divulgué dans les antériorités citées. À cet égard, il est vrai que Brines et coll. ne divulguent pas l’utilisation de l’EPO pegylée dans le cadre de leur méthode de neuroprotection. Cependant, nous ne sommes pas d’accord avec le demandeur pour dire que la demande de Brines at al. ne fournissait aucun indice ou indication évoquant l’objet revendiqué par le demandeur parce que, mis à part le fait qu’elle ne divulgue pas l’EPO pegylée, la demande de Brines et coll. divulgue de la matière qui est comprise dans les revendications et qui correspond partiellement au concept inventif. Comme nous l’indiquons dans la Lettre du comité, Brines et coll. évoquaient aussi de façon générale l’utilisation de tout dérivé d’EPO dans le cadre de leur méthode. Comme nous l’avons aussi expliqué précédemment, nous sommes d’avis que les lacunes de la demande de Brines et coll. auraient été comblées par le fait que la personne versée dans l’art aurait substitué l’EPO pegylée à l’EPO non pegylée, ainsi qu’il est divulgué dans la demande de Papadimitriou ou dans celle de Burg et coll.

 

[42]      Le demandeur persiste à faire valoir que [Traduction] « la personne moyennement versée dans l’art s’attendrait à ce que des molécules de plus petite taille soient utilisées pour franchir la barrière hématoencéphalique ». Or, comme nous l’expliquons dans la Lettre du comité, cet argument semble s’appliquer uniquement à la migration des molécules à travers la BHE par simple diffusion (auquel cas, la personne versée dans l’art s’attendrait effectivement à ce que la migration soit limitée par la taille de la molécule); il ne tient pas compte de l’existence d’un mécanisme s’appliquant sélectivement à l’EPO, qui intervient sous la forme d’un transport par récepteur impliquant une endocytose et qui n’est pas restreint à la migration des petites molécules. Nous estimons que la personne versée dans l’art aurait compris à la lumière de la demande de Brines et coll. et de ses connaissances générales courantes, que c’est ce mécanisme qui permet à l’EPO de franchir la BHE. Comme nous l’avons expliqué dans la Lettre du comité, la personne versée dans l’art se serait attendue à la même chose dans le cas de l’EPO pegylée.

 

Conclusion

 

[43]      Nous sommes d’avis que l’objet défini par les revendications au dossier aurait été évident pour la personne versée dans l’art, ce qui contrevient à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

 

 

Recommandation de la Commission

 

[44]      Compte tenu de ce qui précède, nous recommandons que la demande soit rejetée au motif que les revendications au dossier ne sont pas conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

 

Ed MacLaurin                                    Marcel Brisebois                                            Andrew Strong

Membre                                                  Membre                                                              Membre

 

Décision du commissaire

 

[45]      Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande, parce que les revendications au dossier ne sont pas conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. En conséquence, je refuse d’accorder un brevet relativement à la présente demande. Conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 16e jour de décembre 2016

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