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Décision du commissaire no 1408

Commissioner’s Decision #1408

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : J-50 (Simple plan)

TOPIC: J-50 (Mere plan)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 163 768

Application No.: 2,163,768

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 163 768 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Conformément à la recommandation de la Commission, la commissaire rejette la demande.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

BLAKE, CASSELS & GRAYDON LLP

Commerce Court West

199, rue Main, Bureau 4000

Toronto (Ontario) M5L 1A9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

[1]          Cette recommandation concerne une révision de la demande de brevet refusée numéro 2 163 768 ayant pour titre « PROCÉDÉS ET APPAREILS DESTINÉS À L’ÉTABLISSEMENT ET À LA NÉGOCIATION DE CONTRATS DE GESTION DES RISQUES » et appartenant à Alice Corporation Pty Ltd. La demande est refusée parce qu’elle ne définit pas un objet prévu par la Loi. Un examen de la demande refusée a donc été réalisé par la Commission d’appel des brevets, en vertu des dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons le rejet de la demande suivant l’article 40 de la Loi sur les brevets.

 

Contexte

 

La demande

[2]          Comme il est indiqué dans le paragraphe d’introduction du mémoire descriptif, la demande [Traduction] « concerne des méthodes et un appareil, y compris des ordinateurs électriques et des systèmes de traitement de données, s’appliquant aux questions financières et à la gestion des risques. Plus particulièrement, l’invention concerne la gestion des risques liés à des événements futurs définis, mais encore inconnus ».

 

[3]          Le mémoire descriptif explique ensuite la nature des différents types de risques. Voir, à titre d’exemple, la page 1, aux lignes 21 à 32 [Traduction] :

Le risque peut se présenter sous de nombreuses formes, compte tenu du vaste éventail et des nombreux types d’événements futurs, ce qui peut occasionner des conséquences néfastes. Les risques peuvent être classés en catégories, par exemple pour n’en nommer qu’une seule, dans la catégorie des risques de nature « économique ». Le phénomène qu’est le risque économique comprend : le prix des produits de base, les taux de change, les taux d’intérêt, le prix des propriétés, le prix des actions, les taux d’inflation, le rendement de l’entreprise et les indices fondés sur les événements du marché.

 

Une autre caractérisation du risque concerne le phénomène « technique ». Celui-ci peut comprendre des éléments comme une perturbation dans l’exploitation d’une centrale électrique, une défaillance du moteur d’un aéronef et des dommages aux satellites de télécommunications en orbite ou une défaillance de ceux-ci. Les résultats de chacun de ces phénomènes seront défavorables aux utilisateurs et/ou au fournisseur.

 

[4]          Le mémoire descriptif décrit ensuite les différentes ententes économiques de l’art antérieur utilisées par les entités pour gérer les risques, expliquant qu’il est bien connu que les personnes et les entreprises se protègent contre les résultats néfastes en employant des moyens comme une autoassurance, des contrats à terme standardisés, des contrats de change à terme et des échanges (voir la page 2, de la ligne 17 jusqu’à la ligne 11 de la page 3). Cependant, ces ententes de l’art antérieur comportent des inconvénients, y compris les suivants : [Traduction] « elles sont relativement coûteuses et n’offrent qu’une protection limitée contre ces phénomènes; elles ne répondent donc pas aux besoins de la partie qui cherche à se protéger contre un risque futur aussi large... Par conséquent, les entités elles-mêmes se retrouvent prises avec des obligations sur lesquelles elles n’ont que peu d’emprise et auxquelles elles ne peuvent échapper » (voir la page 3, aux lignes 12 à 22).

 

[5]          Dans ce contexte, le mémoire descriptif présente ensuite l’explication suivante de l’invention (voir la page 4, de la ligne 20 à la ligne 7 de la page 5) [Traduction] :

En ce sens, l’invention vise quelque chose qui a une valeur économique pour les personnes, les entreprises et les sociétés, globalement. Les méthodes et l’appareil qui permettent la gestion des risques offrent des avantages considérables, par exemple la réduction du nombre résultats futurs indésirables, l’offre à la fois une forme de compensation dans l’éventualité de résultats futurs indésirables et de formes de gestion des risques qui ne sont pas autrement prises en charge ni offertes dans l’art antérieur, et donc qui ont une valeur dans le domaine économique.

 

DIVULGATION DE L’INVENTION

 

L’invention comprend des méthodes et un appareil de gestion des risques liés à des événements futurs définis, mais encore inconnus, permettant à des entités (parties) de réduire leur exposition à des risques définis par la rédaction de propositions de contrats par voie de demandes compensatoires visant des contreparties qui n’ont pas encore été déterminées, selon l’occurrence des événements futurs définis. Les entités soumettent ces propositions dans un « système » dont l’objectif est d’établir le prix de la contrepartie la plus pertinente et d’établir la correspondance entre les deux; les contrats ainsi appariés sont dûment traités jusqu’à leur maturité.

 

Par conséquent, l’invention permet aux parties de gérer le risque perçu en regard d’événements futurs possibles connus, mais non prévisibles. Ces événements futurs peuvent concerner un phénomène mesurable dont le résultat est vérifiable et qui ne peut pas être largement influencé par l’une des autres entités ayant un intérêt dans ce résultat.

 

Historique de la demande

[6]          La demande de brevet 2 163 768 a été déposée au Canada le 28 mai 1993 et publiée le 8 décembre 1994. L’examen s’est soldé par l’envoi d’une décision finale (la « DF ») le 6 décembre 2013, dans laquelle l’examinateur a déterminé que l’ensemble des revendications 1 à 38 visait un objet ne s’inscrivant pas dans la définition d’« invention » et n’était donc pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets. La DF a également soulevé l’irrégularité du double brevet qui, comme il est expliqué ci-dessous, n’est plus en cause; elle penche également vers l’insuffisance du mémoire descriptif, au titre du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[7]          Par conséquent, l’examinateur a refusé la demande en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, et a exigé du demandeur, en vertu du paragraphe 30(4), qu’il modifie la demande ou qu’il présente des arguments expliquant en quoi la demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 

[8]          Dans une lettre datée du 4 juin 2014, le demandeur a donné sa réponse à la décision finale (« R-DF »). Le demandeur n’a pas cherché à modifier la demande, mais il a plutôt fourni des observations expliquant en quoi la demande était conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets; il a donc demandé qu’une révision soit faite par l’examinateur.

 

[9]          Plus particulièrement, le demandeur a fait valoir que les revendications définissent une machine, laquelle est donc brevetable au titre de l’article 2 de la Loi sur les brevets. Enfin, le demandeur a conclu sa R-DF en soutenant que le mémoire descriptif était conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[10]      L’examinateur a examiné la R-DF, mais il n’a pas été convaincu de retirer l’une des irrégularités quelconques relevées dans la DF; il a donc rédigé un résumé des motifs (RM), daté du 24 juillet 2014, afin d’expliquer pourquoi l’irrégularité liée à l’objet qui a été relevée dans la DF était maintenue. En outre, l’examinateur n’a pas été convaincu de retirer l’irrégularité liée à l’insuffisance, au titre du paragraphe 27(3) de la Loi. Par conséquent, l’examinateur a transféré le dossier à la Commission d’appel des brevets (la « Commission »).

 

[11]      Dans une lettre datée du 12 septembre 2014 (l’« accusé réception »), la Commission a remis au demandeur une copie du RM et lui a offert l’occasion de présenter d’autres observations écrites et d’assister à une audience, Plus particulièrement, il était exigé, dans l’accusé réception, que d’ici le 15 décembre 2014, le demandeur informe la Commission de son choix parmi les trois options suivantes :

         procéder avec une audience (avec ou sans observations écrites en réponse au RM);

         procéder sans audience, auquel cas l’examen se poursuivra en fonction du dossier écrit (ce qui peut comprendre les observations écrites du demandeur en réponse au RM);

         retirer la demande, si le demandeur ne désire pas que le comité procède à l’examen et que la Commissaire ne rende pas de décision.

 

[12]      L’accusé de réception informe également le demandeur que, s’il ne répond pas, [Traduction] « l’examen se poursuivra selon le dossier écrit dans sa forme actuelle et, à moins que le comité ne relève d’autres irrégularités au titre du paragraphe 30(6.1) des Règles sur les brevets, une décision du commissaire sera rendue sans autre communication ».

 

[13]      La Commission n’a reçu aucune réponse à l’accusé de réception.

 

[14]      Un comité de la Commission (le « Comité ») a été mis sur pied pour examiner la demande. Cependant, comme il a été remarqué qu’au 28 mai 2013 prenait fin la période de 20 ans depuis le dépôt de la demande, une autre lettre (la « Lettre de mise à jour du statut ») a été envoyée au demandeur le 15 février 2016 lui demandant de confirmer son intérêt continu pour cette affaire ou d’indiquer qu’il souhaitait retirer sa demande. Il était également demandé dans la lettre qu’une réponse soit acheminée avant le 2 mars 2016.

 

[15]      Le Comité n’a reçu aucune réponse. Ainsi, le 14 mars 2016, un message vocal a été laissé auprès de l’agent du demandeur, lui demandant de confirmer la réception des lettres du 12 septembre 2014 et du 15 février 2016 qu’avait envoyées le Comité.

 

[16]      Comme aucune réponse n’a été reçue, une autre lettre a été envoyée à l’agent du demandeur, par courrier recommandé, l’avisant, dans un passage pertinent, de ce qui suit [Traduction] :

Comme nous n’avons rien reçu d’autre de votre part, ceci confirmera que, comme il est indiqué dans la lettre du 12 septembre 2014, un examen de la demande sera effectué selon le dossier écrit dans sa forme actuelle, et le commissaire rendra une décision sans autre communication.

 

[17]      Comme nous n’avons reçu aucune communication de la part du demandeur, nous procéderons à l’examen de la demande refusée selon le dossier écrit dans sa forme actuelle, conformément à la correspondance susmentionnée.

 

Questions

 

[18]      Selon notre lecture de la DF, du RM et de la R-DF soumise par le demandeur, la principale question sérieuse à trancher est celle de savoir si les revendications de la présente demande s’inscrivent dans la définition du terme « invention » au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets. En outre, nous parlons brièvement du statut de la demande, étant donné que plus de vingt ans se sont écoulés depuis son dépôt.

 

Législation et principes juridiques

 

Interprétation téléologique

[19]      Conformément à Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67 aux al. 49f) et g) et 52). Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [révisé en juin 2015], la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art (PVA) et ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, telle qu’elle est revendiquée.

 

Objet prévu par la Loi

[20]      La définition du terme « invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[21]      La note du Bureau intitulée « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur – PN 2013-03 » clarifie la pratique d’examen relativement à la démarche adoptée par le Bureau à l’égard des inventions mises en œuvre par ordinateur.

 

[22]      Tel qu’il est indiqué dans la PN 2013-03, selon la pratique du Bureau, « lorsqu’un ordinateur est jugé comme un élément essentiel d’une revendication interprétée, l’objet revendiqué sera généralement brevetable. [...] Lorsque, en contrepartie, il est déterminé que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent à un objet exclu de la définition du terme “invention”... la revendication ne respecte par l’article 2 de la Loi sur les brevets et par conséquent, elle n’est pas brevetable ». En outre, la PN 3013-03 contient des exemples d’objets exclus de la définition du terme « invention », y compris les « beaux-arts... méthodes de traitement médical... inventions sans présence physique... [ou] inventions où l’objet revendiqué est simplement une idée, un projet, un plan ou une série de règles ».

 

Analyse

 

Application du paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets

[23]      Bien que la demande ait été déposée il y a plus de 20 ans, cet examen a été réalisé suivant l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Le demandeur a répondu à l’intérieur du délai de six mois indiqué dans la DF, a payé la dernière taxe périodique exigée en vertu des Règles le 9 mai 2012 et n’a pas retiré la demande en réponse aux lettres que nous lui avons envoyées. La demande n’a pas été réputée abandonnée au sens des alinéas 73(1)a) ou 73(1)c) de la Loi sur les brevets.

 

Interprétation de la revendication

[24]      Pour faciliter la consultation, je reproduis la revendication 1 ci-dessous [Traduction] :

1. Un système de traitement de données permettant la formulation de contrats multipartites de gestion des risques, ce système comprenant : au moins un moyen de saisie par l’utilisateur à l’aide duquel les parties demanderesses peuvent saisir des données contractuelles au sujet d’au moins un contrat offert relativement à au moins un phénomène prédéterminé, ledit phénomène ayant un éventail de résultats futurs, et lesdites données contractuelles précisant une date de maturité future, les droits dus à la date de maturité pour l’éventail de résultats et une redevance due à une contrepartie; au moins un moyen de saisie par la contrepartie grâce auquel au moins une contrepartie peut saisir des données d’enregistrement relatives à une perception respective des résultats dans ledit éventail prédéterminé de résultats futurs pour un ou plusieurs desdits phénomènes; un moyen de stockage des données lié à chacun desdits moyens de saisie par l’utilisateur pour stocker lesdites données contractuelles et lesdites données d’enregistrement; et un moyen de traitement des données, lié au moyen de stockage des données, pour l’établissement du prix et de la correspondance des contrats à partir desdites données contractuelles et desdites données d’enregistrement, ledit établissement du prix comportant la sélection des données d’enregistrement correspondant à la date de maturité de chaque phénomène prédéterminé et le calcul d’une contre-redevance découlant desdites ententes, et ladite correspondance comportant une comparaison de ladite redevance et de ladite contre-redevance pour établir une correspondance avec un contrat offert avec au moins une desdites contreparties, selon des critères prédéfinis.

 

[25]      Les sept autres revendications indépendantes concernent soit [Traduction] « un système permettant la formulation de contrats multipartites de gestion des risques » (revendications 15 et 35), soit des méthodes à utiliser relativement à la formulation de contrats multipartites de gestion des risques.

Le Comité est d’accord avec l’interprétation présentée dans la DF

[26]      Après avoir examiné le dossier en l’espèce, y compris le mémoire descriptif et la correspondance découlant de la poursuite de la demande, nous sommes d’accord avec la conclusion tirée par l’examinateur, à savoir que les éléments essentiels des revendications constituent les étapes nécessaires au projet qu’est la formulation de contrats multipartites de gestion des risques.

 

[27]      Plus particulièrement, la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la PVA et ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être déterminés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, telle qu’elle est revendiquée.

 

[28]      À cette fin, l’examinateur commence son interprétation de la revendication par un examen de la description, comme suit [Traduction] :

Selon la description, dans l’art antérieur, les personnes et les entreprises se sont protégées contre les risques à l’aide de pratiques d’assurance de la qualité, de garanties, d’activités accrues en matière de recherche et de développement, etc. (voir la page 2, aux lignes 17 à 23), ou en créant des contrats individuels de gestion des risques (voir la page 2, de la ligne 24 à la ligne 11 de la page 3). La présente invention revendiquée a pour but de pallier les inconvénients de l’art antérieur, à savoir que les mécanismes de gestion des risques économiques de l’art antérieur sont coûteux et ne fournissent qu’une couverture limitée des phénomènes, surtout en en ce qui concerne les formes de risque « moins tangibles » (voir les pages 1 à 4), en permettant la formulation de contrats de gestion des risques entre plusieurs parties.

 

Plus précisément, l’invention « comprend des méthodes et un appareil de gestion des risques liés à des événements futurs définis, mais encore inconnus, permettant à des entités (parties) de réduire leur exposition à des risques définis par la rédaction de propositions de contrats par voie de demandes compensatoires visant des contreparties qui n’ont pas encore été déterminées, selon l’occurrence des événements futurs définis » (voir la page 4, aux lignes 30 à 35). Une entité peut soumettre une « commande » au système, lequel établit le prix de contrats et apparie ceux-ci avec la contrepartie la plus pertinente. Les contrats dépendent de l’occurrence d’événements futurs définis; les événements peuvent constituer tout phénomène mesurable dont le résultat est vérifiable et qui ne peut être largement influencé par l’une des autres entités quelconques ayant un intérêt dans ce résultat (voir la page 4, de la ligne 30 à la ligne 7 de la page 5). Par exemple, le propriétaire d’un comptoir de crème glacée (dont les ventes augmentent lorsque le temps est chaud) qui souhaite réduire au minimum ses risques liés à la température peut être apparié à une compagnie de café (dont les ventes diminuent lorsque le temps est chaud) pour la création d’un contrat de gestion des risques.

 

[29]      Ayant ainsi considéré le mémoire descriptif, l’examinateur était d’avis que les éléments informatiques contenus dans les revendications fournissent le contexte d’exploitation, mais ne constituent pas des éléments essentiels [Traduction] :

Selon l’interprétation téléologique, l’ordinateur (système de traitement de données muni d’un moyen de saisie, d’un moyen de stockage et d’un moyen de traitement) n’est pas considéré comme un élément essentiel à la résolution du problème, à savoir permettre la gestion des risques liés à des événements futurs définis, mais encore inconnus (voir la présente description, page 1, lignes 5 à 9). Bien que certaines revendications visent un système, il ne s’agit là que d’un élément du contexte qui sous-tend la solution au problème.

 

[30]      L’examinateur était plutôt d’avis que les éléments essentiels sont les différentes étapes que suppose le projet de formulation de contrats multipartites. Par exemple [Traduction] :

L’élément essentiel des revendications qui est requis pour résoudre le problème est considéré comme le projet de formulation de contrats multipartites de gestion des risques. Eu égard aux revendications indépendantes 1, 17 et 31, cela comprend :

 

-   données saisies par une partie demanderesse, y compris des données contractuelles au sujet d’au moins un contrat offert pour au moins un phénomène prédéterminé, ledit phénomène étant associé à un éventail de résultats futurs, et lesdites données contractuelles précisant une date de maturité future, les droits dus à la date de maturité pour l’éventail de résultats et une redevance due à une contrepartie;

-   données saisies par au moins une contrepartie qui consistent en des données d’enregistrement relatives à une perception respective des résultats dans ledit éventail prédéterminé de résultats futurs pour un ou plusieurs desdits phénomènes prédéterminés;

-   les calculs liés à l’établissement du prix et à la correspondance des contrats à partir des données saisies, ledit établissement du prix comportant la sélection des données d’enregistrement correspondant à la date de maturité de chaque phénomène prédéterminé et le calcul d’une redevance dérivée desdits droits, et ladite correspondance comprenant la comparaison de ladite redevance et de ladite contre-redevance pour établir une correspondance avec un contrat offert avec au moins une desdites contreparties, selon des critères prédéfinis.

 

[31]      De façon générale, l’examinateur a conclu que les éléments essentiels de chacune des revendications indépendantes sont les étapes requises pour le projet de formulation de contrats multipartites de gestion des risques, les aspects informatiques fournissant le contexte opérationnel. En outre, les revendications dépendantes ont été considérées comme « établissant d’autres limites relativement aux données enregistrées, l’appariement de contrats et le paiement des droits, et sont considérées comme partageant les mêmes éléments essentiels que ceux décrits ci-dessus ».

 

[32]      Enfin, l’examinateur a conclu en expliquant pourquoi, à son avis, les représentations précédentes du demandeur n’ont pas été jugées convaincantes [Traduction] :

Dans la dernière lettre, il est soutenu que les éléments informatiques sont essentiels puisque « chacun des éléments revendiqués du système de traitement de données sont directement énumérés dans le corps de la revendication et directement liés à la transformation des données saisies à l’aide de chaque moyen de saisie afin de formuler le contrat multipartite de gestion des risques suivant le moyen de traitement de données » et parce que « le système de traitement de données... contient des composants d’un appareil physique comme un moyen de saisie, un moyen de stockage de données et un moyen de traitement de données lié au moyen de stockage de données en vue de la formulation du contrat (p. ex. l’établissement du prix d’un contrat et son appariement) selon des critères définis (p. ex. des données contractuelles et des données d’enregistrement liées à au moins une contrepartie) ».

 

Bien que ces caractéristiques informatisées soient importantes pour l’environnement d’exploitation du système de commande conventionnel, elles ne sont pas essentielles à la solution, à savoir permettre la formulation de contrats multipartites de gestion des risques... Tous les avantages associés à l’utilisation d’un ordinateur en vue de réaliser la méthode revendiquée découlent des capacités connues des ordinateurs à exécuter des calculs et ne ciblent pas la mise en œuvre informatique comme étant une fonctionnalité essentielle.

 

Les revendications au dossier ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets, puisque les éléments essentiels visent un simple plan et non une catégorie brevetable d’invention selon l’article 2 de la Loi sur les brevets. [Citations omises]

 

[33]      Nous reconnaissons que dans la DF, l’examinateur n’a pas expressément défini la PVA ni ses connaissances générales courantes. En outre, l’examinateur n’énonce pas expressément le problème à résoudre comme une étape distincte de l’analyse. Cependant, à la lecture de la DF dans son ensemble, y compris les passages susmentionnés, l’examinateur nous semble avoir dûment considéré les différentes questions soulevées par la PN 2013-02 (maintenant RPBB 13.05), et les réponses de l’examinateur sont bien étayées par le mémoire descriptif dans son ensemble, y compris les parties citées dans la DF.

 

[34]      Par exemple, l’opinion de l’examinateur concernant le problème à résoudre ressort implicitement des déclarations contenues dans la DF, par exemple : [Traduction] « l’invention actuellement revendiquée a pour but de pallier les inconvénients de l’art antérieur, à savoir que les mécanismes de gestion des risques économiques de l’art antérieur sont coûteux et ne fournissent qu’une couverture limitée des phénomènes, surtout en en ce qui concerne les formes de risque “moins tangibles” (voir les pages 1 à 4), en permettant la formulation de contrats de gestion des risques entre plusieurs parties » et que l’ordinateur n’est pas essentiel à la résolution du [Traduction] « problème, à savoir permettre la gestion des risques liés à des événements futurs définis, mais encore inconnus ». À cet égard, nous convenons que le problème énoncé dans le mémoire descriptif est celui de permettre la gestion des risques liés à des événements futurs définis, mais encore inconnus, et la solution divulguée est [Traduction] « le projet de formulation de contrats multipartites de gestion des risques ».

 

[35]      En outre, nous convenons que, à ce titre, les éléments des revendications qui définissent l’ordinateur (c.-à-d. le système de traitement des données équipé d’un moyen de saisie, d’un moyen de stockage de données et d’un moyen de traitement) ne font rien de plus que définir [Traduction] « l’environnement d’exploitation du système de commande conventionnel » et que ces éléments [Traduction] « ne sont pas essentiels à la solution, à savoir permettre la formulation de contrats multipartites de gestion des risques ». Nous estimons plutôt, tout comme l’examinateur, que les éléments essentiels des revendications sont les étapes requises du projet de formulation de contrats multipartites de gestion des risques.

 

Les arguments contenus dans la R-DF ne sont pas convaincants

[36]      Bien que nous ayons également examiné les arguments présentés dans la R-DF, nous sommes néanmoins d’accord avec l’interprétation susmentionnée de la revendication.

 

[37]      Plus particulièrement, la R-DF commence par une critique de la méthode employée par l’examinateur pour déterminer si les revendications visent un objet brevetable ou non, soutenant que cette démarche est contraire au résultat auquel est parvenue la Cour fédérale dans Amazon.com, Inc. c. Canada (Attorney General), 2010 CF 1011 et aux principes dérivés de Free World Trust quant à la façon dont les revendications d’un brevet doivent être interprétées. Le demandeur a ensuite présenté son point de vue quant aux raisons pour lesquelles l’interprétation de l’examinateur constitue une application erronée de Free World Trust, ainsi que les raisons pour lesquelles les éléments de la revendication définissant l’ordinateur sont essentiels. Comme le demandeur n’a présenté aucune autre observation concernant la brevetabilité de sa demande depuis cette R-DF, il est pertinent de citer une partie de la R-DF façon assez circonstanciée [Traduction] :

L’interprétation téléologique ne donne pas carte blanche au titulaire de brevet pour exclure des limites qui apparaissent dans la revendication à l’appui d’une conclusion de contrefaçon, ou à un contrefacteur éventuel d’importer certaines limites dans la revendication pour éviter la contrefaçon, ou, il va sans dire, à l’examinateur de brevet pour décider que certains éléments peuvent être mis de côté en tant qu’éléments non essentiels pour déterminer l’admissibilité en matière de brevetabilité. L’analyse requise pour déterminer le caractère essentiel est rigoureuse, suivant les étapes établies dans Free World; quelle que soit la raison pour laquelle le caractère essentiel est déterminé, cette analyse demeure tout aussi rigoureuse.

 

...

Dans l’action du Bureau, l’examinateur a insinué que l’application d’une interprétation téléologique à cette revendication fait en sorte que l’ordinateur n’est pas considéré comme un élément essentiel.

 

L’examinateur n’a pas appliqué les principes établis dans Free World pour déterminer le caractère essentiel des caractéristiques énumérées dans la revendication; il a plutôt séparé la revendication en deux ensembles d’éléments, dont l’un est réputé « essentiel ». Cette démarche pas fondée sur la jurisprudence des tribunaux canadiens; en fait, il s’agit précisément du type d’analyse écartée par la Cour fédérale dans Amazon.com.

 

Suivant l’orientation prise dans Free World, une PVA doit déterminer si une variante d’un élément particulier ferait une différence dans la façon dont l’invention fonctionne ou si l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, était qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique.

 

La PVA serait ingénieur-système et connaîtrait le fonctionnement de gros systèmes informatiques utilisés dans l’industrie des services financiers.

 

Dans cette perspective, la variante de l’invention revendiquée permettant d’exclure les moyens de saisie, de stockage de données et de traitement de données, ainsi que leur interaction ferait clairement une différence dans la façon dont l’invention fonctionne. Par exemple, sans le stockage de données, les données fournies lors de la saisie ne pourraient pas être utilisées comme prévu. Il y aurait une différence dans la façon dont l’invention fonctionne. Ces caractéristiques doivent donc être considérées comme des caractéristiques essentielles de la revendication.

 

De la même façon, si l’on applique le deuxième critère, il n’y a rien dans la revendication qui indique que ces éléments sont essentiels.

 

La revendication énonce non seulement la présence d’éléments particuliers, indiquant par conséquent un caractère essentiel prima facie [sic], mais aussi l’interopérabilité de ces éléments pour obtenir le résultat souhaité. Clairement, ces éléments sont requis pour l’obtention du résultat, et il n’y a donc aucune indication que l’inventeur avait l’intention de considérer de tels éléments comme n’étant pas essentiels.

 

Alors, si l’on applique les principes de Free World, les éléments du système de traitement des données énoncés dans la revendication 1 sont des éléments essentiels et doivent donc être pris en compte au moment de déterminer l’admissibilité de la revendication 1 aux fins de la protection prévue à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

...

 

Tout indique que l’ordinateur et les éléments énoncés dans la revendication sont chacun des éléments essentiels qui doivent être pris en compte au moment de déterminer la portée de la revendication. Les modes de réalisation privilégiés sont décrits dans le contexte d’opérations informatiques. Aucune autre option n’est décrite.

 

Le fait d’adopter la procédure utilisée par l’examinateur en ne tenant simplement pas compte de ce qui est énoncé dans la revendication 1 de l’ordinateur, consiste à reprendre l’analyse qui a été rejetée par la Cour fédérale dans la décision Amazon.com. La démarche suivie par l’examinateur ne fait qu’introduire une incertitude dans la portée de la protection conférée par les revendications, puisqu’il semblerait que certains éléments de la revendication puissent être considérés arbitrairement comme non essentiels, sans corroboration ni justification d’une telle conclusion. Une conclusion adéquate montre que la revendication 1, selon une interprétation téléologique de celle-ci, comprend comme éléments essentiels les composants du système de traitement des données.

 

[38]      Nous soulignons que même si la DF était clairement fondée sur la PN 2013-02 et la PN 2013-03, lesquelles constituent la réponse du Bureau des brevets au raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Amazon.com Inc., 2011 CAF 328 [Amazon.com CAF], le demandeur invoque exclusivement la décision de la Cour fédérale dans Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1011 [Amazon.com CF] pour critiquer les méthodes d’interprétation des revendications employées par l’examinateur. Le fait d’invoquer ainsi la décision Amazon.com CF pose problème puisque cette décision est différente de la décision Amazon.com CAF, et ce, à d’importants égards.

 

[39]      Plus particulièrement, l’interprétation des revendications dans Amazon.com CF et la conclusion portant qu’elles constituaient un objet brevetable n’ont pas été confirmées par la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel du procureur général, annulant le jugement de la Cour fédérale et le remplaçant par un jugement qui accueille l’appel formé par Amazon à l’encontre de la décision du commissaire et enjoindrait à la commissaire [Traduction] « de réexaminer rapidement la demande de brevet en conformité avec les présents motifs ». La Cour d’appel fédérale a joué un rôle décisif à d’importants égards dans la décision de la Cour fédérale. À noter particulièrement que la Cour d’appel fédérale n’a pas accepté la suggestion de la Cour fédérale, à savoir [Traduction] « qu’une pratique commerciale qui ne constitue pas ellemême un objet brevetable parce qu’elle est une idée abstraite devienne un objet brevetable du simple fait qu’elle est une concrétisation pratique ou qu’elle présente une application pratique ». En outre, la Cour d’appel fédéral n’a pas approuvé ce qui était suggéré dans la décision de la Cour fédérale, à savoir qu’il serait possible de satisfaire à une « exigence du caractère matériel » en invoquant le simple fait que l’invention revendiquée a une application pratique (voir Amazon.com CAF aux par. 59 à 69).

 

[40]      De plus, la Cour d’appel fédérale a reconnu la possibilité (qui n’a pas été reconnue dans Amazon.com CF) que le simple fait d’inclure un ordinateur dans une revendication peut ne pas suffire pour conférer à la revendication un objet brevetable, indiquant ceci [Traduction] :

 [67]        Cependant, je n’accepte pas nécessairement le reste du paragraphe 53 des motifs du juge Phelan, qui est rédigé comme suit :

 

Cependant, il importe de mettre l’accent sur la condition d’application pratique plutôt que simplement sur le caractère physique de l’invention. Les propos tenus dans la décision Lawson ne doivent pas être interprétés comme limitant la brevetabilité d’applications pratiques qui peuvent, à la lumière de la technologie actuelle, consister en un « changement de nature » ou un effet un peu moins usuel que celui produit au moyen d’une machine telle qu’un ordinateur.

 

[68]         Si ces déclarations signifient que notre compréhension de la nature de « l’exigence du caractère matériel » mentionnée au paragraphe 66 cidessus peut changer en raison des progrès de nos connaissances, je serais d’accord. Rien dans la jurisprudence n’exclut cette possibilité.

 

[69]         Cependant, si elles signifient qu’il est possible de satisfaire à cette « exigence du caractère matériel » en invoquant le simple fait que l’invention revendiquée a une application pratique, je ne suis pas d’accord. La question en litige, à mon avis, est similaire à celle soulevée dans le contexte de la brevetabilité des pratiques commerciales dans la mesure où elle requiert de considérer Schlumberger. Dans Schlumberger, les revendications n’ont pas été déclarées valides en raison du fait qu’elles avaient trait à l’utilisation d’un outil matériel, un ordinateur, pour donner une application pratique à la nouvelle formule mathématique. Comme je l’ai expliqué précédemment, on peut ou non établir une distinction entre les revendications qui font l’objet du présent litige et celles de Schlumberger, selon l’interprétation qu’on leur donne. [Aucun caractère gras dans l’original]

 

[41]      Enfin, il est clair que la Cour d’appel fédérale n’était pas d’accord avec l’interprétation de la revendication par la Cour fédérale, estimant qu’il s’agit d’une « interprétation essentiellement littérale »; et, plutôt que d’en faire sa propre interprétation, la juge d’appel a estimé qu’il convenait de renvoyer la demande à la commissaire aux fins de précisions :

 [71]        Selon ma compréhension de son interprétation des revendications 1 et 44, le juge Phelan a adopté ce qui est essentiellement une interprétation littérale en se fondant sur sa conclusion qu’il avait été satisfait à l’exigence de l’existence ou manifestation physique d’un effet ou changement discernable, implicite dans la définition juridique d’« invention », parce que l’utilisation d’un ordinateur est un élément essentiel de la revendication.

 

[72]         Avec égards, il n’est pas approprié que le juge Phelan procède à sa propre interprétation téléologique des revendications de brevet sur le fondement du dossier disponible dans la présente affaire...

 

[73]         Quiconque procède à l’interprétation téléologique d’un brevet doit le faire en s’appuyant sur le fondement des connaissances ayant trait à la réalisation en cause et, en particulier, à l’état de la réalisation en cause au moment pertinent. Pour la commissaire, cette assistance vient sous la forme des observations écrites du demandeur de brevet et, je le suppose, lui est donnée par le personnel du bureau des brevets ayant l’expérience appropriée. Par contre, les cours de justice exigent généralement le témoignage d’experts versés dans l’art (Whirlpool, au paragraphe 49).

 

[74]         Les rares fois où une cour de justice doit interpréter une revendication de brevet sans l’assistance d’experts, le résultat se limite nécessairement à une interprétation littérale des revendications, laquelle peut ne pas être bien éclairée. En l’espèce, le juge Phelan n’a pas bénéficié du témoignage d’experts sur la façon dont les ordinateurs fonctionnent et dont ils sont utilisés pour mettre une idée abstraite en pratique... Je suis incapable de déterminer à partir du dossier ce que la commissaire aurait conclu sur la brevetabilité des revendications en cause en se fondant sur les principes corrects.

 

[42]      Par conséquent, le fait que le demandeur invoque Amazon.com CF pour critique l’utilisation par l’examinateur de la pratique du Bureau des brevets – rédigée en réponse à la décision Amazon.com CAF – n’est pas convaincant. Bien que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale aient toutes deux rejeté la démarche d’interprétation de la revendication axée sur la « forme et la substance » adoptée précédemment par la commissaire, nous sommes liés par la décision Amazon.com CAF (et non par la décision Amazon.com CF) qui prévoit les dispositions légales applicables dans ce domaine. En effet, les différences entre les deux décisions étaient suffisamment importantes qu’à la suite de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale, le Bureau des brevets a révoqué la note qu’il avait adoptée à la suite de la décision rendue par la Cour fédérale (c.-à-d. la PN 2011-04) et l’a remplacée par la PN 2013-02 (qui a depuis été intégrée dans le RPBB 13.05).

 

[43]      Une autre difficulté relative à la R-DF concerne l’interprétation de la revendication proposée par le demandeur (et que l’on dit être appuyée par la décision Amazon.com CF); il semble qu’elle soit fondée la notion voulant que le simple fait d’énoncer des éléments informatiques dans une revendication suffise pour lui conférer un objet brevetable. Il semble s’agir du type [Traduction] d’« interprétation essentiellement littérale » qui a été adoptée par la Cour fédérale et rejetée par la Cour d’appel fédérale, et qui n’est pas conforme à la démarche énoncée dans la PN 2013-02 et le RPBB 13.05.

 

[44]      Par exemple, dans la R-DF, le demandeur fait valoir que [Traduction] « tout indique que l’ordinateur et les éléments énoncés dans la revendication sont chacun des éléments essentiels qui doivent être pris en compte au moment de déterminer la portée de la revendication ». Cependant, comme il est indiqué au paragraphe 34, l’examinateur a souligné plusieurs cas dans le mémoire descriptif qui appuient la notion voulant que le mémoire descriptif ne vise pas la solution d’un problème lié au fonctionnement d’un ordinateur, mais plutôt que l’ordinateur envisagé soit un ordinateur conventionnel qui fournit l’environnement d’exploitation qui permet la formulation de contrats multipartites de gestion des risques. Ces énoncés formulés par les inventeurs dans le mémoire descriptif fournissent au moins une certaine indication que les éléments informatiques ne sont pas essentiels à l’invention.

 

[45]      En effet, la seule référence que fait le demandeur à la partie du mémoire descriptif portant sur la divulgation afin d’appuyer l’interprétation de la revendication qu’il propose sont les premières lignes, sous l’en-tête « Technical Field » [domaine technique], qui se lisent comme suit : [Traduction] « Cette invention concerne des méthodes et un appareil, y compris des ordinateurs électriques et des systèmes de traitement de données s’appliquant à la gestion des risques financiers ». Cependant, la phrase suivante de cette section indique ceci : [Traduction] « Plus particulièrement, l’invention concerne la gestion des risques liés à des événements futurs définis, mais encore inconnus ».

 

[46]      Qui plus est, le demandeur n’a mentionné aucun énoncé dans le mémoire descriptif indiquant que l’invention concerne la solution d’un problème lié à l’utilisation d’un ordinateur pour permettre la création des contrats de gestion des risques visés dans la présente demande; il ne fournit pas non plus d’explication indiquant pourquoi ces aspects du mémoire descriptif qui sous-tendent l’interprétation de l’examinateur ont été en quelque sorte mal compris ou invoqués incorrectement par l’examinateur.

 

[47]      Nous observons aussi que, alors que la divulgation fait référence à des systèmes informatiques, celles-ci désignent des ordinateurs conventionnels ou connus et n’indiquent aucunement qu’ils doivent être modifiés (physiquement ou au moyen d’instructions de programmation particulières) de quelque façon que ce soit pour permettre la gestion des risques et la création de contrats que vise le brevet. On trouve de telles références en page 11, aux lignes 22 à 30, où il est indiqué ceci [Traduction] :

Dans le mode de réalisation décrit, l’unité centrale (20) comprend trois unités de traitement des données interreliées (93, 97, 104), comme la Sun670MP, fabriquée par Sun Microsystems, Inc. des États-Unis. Chaque unité de traitement (93, 97, 104) exécute un logiciel de système d’exploitation, comme l’OS 4.1.2 de Sun Microsystems, ainsi que des logiciels d’application. Les logiciels d’application sont, en partie, écrits suivant les organigrammes subséquemment décrits aux figures 8 à 16 et aux figures 18 à 40, et accèdent aux fichiers de données, sinon créent ces fichiers, tels qu’ils sont résumés à l’annexe H.

Ce passage, lu dans le contexte du mémoire descriptif dans son ensemble, renforce, à notre avis, la position énoncée par l’examinateur, à savoir que l’ordinateur n’est rien de plus qu’un environnement d’exploitation dans lequel le contrat est créé.

[48]      De façon plus générale, nous sommes d’avis qu’un examen du mémoire descriptif dans son ensemble, y compris les parties citées par l’examinateur dans la DF et le RM, donne une compréhension plus éclairée des revendications, laquelle appuie le point de vue selon lequel les éléments informatiques ne sont pas essentiels aux présentes revendications.

 

[49]      Nous ajoutons également que nous ne sommes pas d’accord avec les énoncés contenus dans la R-DF, à savoir que l’examinateur [Traduction] « [a repris] l’analyse qui a été rejetée par la Cour fédérale dans la décision Amazon.com » ou que la démarche adoptée permet à l’examinateur de considérer arbitrairement des éléments comme [Traduction] « non essentiels, sans corroboration ni justification d’une telle conclusion ». Plutôt, selon le dossier écrit, la DF était fondée sur la pratique adoptée par le Bureau en réponse à la décision Amzon.com CAF et, en appliquant cette pratique aux faits de l’espèce, l’examinateur a suffisamment corroboré et justifié les conclusions tirées.

 

[50]      Enfin, nous sommes également d’accord avec la façon dont l’examinateur a répondu à la R-DF dans le RM.

Cet argument a été maintenu depuis la décision finale. Dans la dernière lettre, il est soutenu (pages 2 à 5) que les revendications sont incorrectement interprétées; cependant, la demande a été examinée conformément aux plus récentes directives sur la pratique.

 

Il est également soutenu dans la deuxième lettre (pages 6 et 7) que l’ordinateur est un élément essentiel des revendications puisque la [Traduction] « la variante de l’invention revendiquée permettant d’exclure les moyens de saisie, de stockage de données et de traitement de données ainsi que leur interaction, ferait clairement une différence dans la façon dont l’invention fonctionne », qu’il n’y a rien dans la revendication qui indique que l’ordinateur n’est pas essentiel et que la description précise que l’invention est liée à des méthodes et à un appareil.

 

Bien que ces caractéristiques informatisées soient essentielles à l’environnement d’exploitation du système de commande conventionnel, elles ne sont pas essentielles à la solution permettant la création de contrats multipartites de gestion des risques. Ces caractéristiques définissent plutôt l’environnement de travail précis pour l’invention. Tous les avantages associés à l’utilisation d’un ordinateur en vue de réaliser la méthode revendiquée découlent des capacités connues des ordinateurs à exécuter des calculs et ne ciblent pas la mise en œuvre informatique comme étant une fonctionnalité essentielle.

 

[51]      Comme il a été expliqué précédemment, le demandeur n’a fourni aucune réponse au RM, lequel a été remis au demandeur avec l’accusé de réception.

 

Conclusion quant à l’interprétation de la revendication

 

[52]      Par conséquent, le Comité est d’avis que la R-DF propose une interprétation s’apparentant au type [Traduction] d’« interprétation essentiellement littérale » qui a été adoptée par la Cour fédérale et rejetée par la Cour d’appel fédérale, et qui n’est pas conforme à la démarche énoncée dans la PN 2013-02 (désormais RPBB 13.05). Pour ces raisons, nous estimons que la R-DF ne fournit aucun argument convaincant justifiant une modification de la démarche d’interprétation employée dans la DF ou de l’interprétation faite par l’examinateur.

 

[53]      Comme nous souscrivons à la conclusion tirée par l’examinateur et que la R-DF ne nous a pas convaincus du contraire, nous concluons que les éléments essentiels des revendications sont les étapes requises du projet de formulation de contrats multipartites de gestion des risques.

 

Objet

[54]      Dans la DF, l’examinateur a appliqué la PN 2013-03 et a conclu que, comme les éléments essentiels des revendications sont les étapes requises du projet de formulation de contrats multipartites de gestion des risques, les revendications visent un simple plan et ne concernent donc pas un objet brevetable s’inscrivant dans la définition du terme « invention » prévue à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le demandeur n’a présenté aucune observation dans la R-DF portant que, si l’interprétation de l’examinateur était adoptée, cela signifie qu’un simple plan constitue un objet brevetable.

 

[55]      Eu égard à l’article 2 de la Loi sur les brevets et à la PN 2013-03, nous sommes d’accord avec l’examinateur pour dire que les éléments essentiels des revendications ne concernent pas un objet brevetable.

 

[56]      Comme il a été mentionné précédemment, la définition du terme « invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

En outre, comme il est expliqué ci-dessus au paragraphe 22, la PN 2013-03 a été publiée par le Bureau à la suite de la décision Amazon.com CAF et établi que, lorsqu’il est déterminé que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent à un objet exclu de la définition du terme « invention », y compris lorsque l’objet vise simplement une idée, un schème, une règle ou un ensemble de règles, la revendication ne respecte pas l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[57]      En l’espèce, les éléments essentiels des revendications concernent les étapes requises de la formulation de contrats multipartites de gestion des risques. Ces étapes comprennent des éléments comme les données saisies par les parties demanderesses et les contreparties pour une transaction et le calcul du prix des contrats ainsi que leur appariement; elles ne définissent aucun objet qui contient « une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou changement discernable » (voir Amazon.com CAF, au par. 66). Ces éléments essentiels définissent plutôt des règles abstraites et désincarnées, qui peuvent être considérées comme équivalant à un processus mental.

 

[58]      Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, les éléments informatiques contenus dans les revendications font partie du contexte ou de l’environnement de fonctionnement de l’invention, mais pas de la solution au problème. Ainsi, l’inclusion de telles caractéristiques physiques dans les revendications ne peut pas changer la nature de l’objet des revendications si, après avoir procédé à une interprétation téléologique, ces caractéristiques physiques s’avèrent autrement non essentielles.

 

[59]      Par conséquent, l’objet des revendications 1 à 38 concerne un projet abstrait ou un ensemble de règles ne s’inscrivant pas dans la définition du terme « invention » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Double brevet

[60]      Une autre irrégularité soulevée dans la DF concerne le fait que l’objet des revendications 32, 33 et 34 de la demande ne visait pas des éléments brevetables distincts de l’objet des revendications au dossier de la demande de brevet canadienne no 2 203 279, telles qu’elles étaient libellées en date de la DF. Par conséquent, l’examinateur était d’avis qu’un brevet distinct ne pouvait pas être accordé pour les revendications 32 à 34 et que celles-ci devaient donc être retirées.

 

[61]      Bien que le demandeur ait présenté de brèves observations à cet égard dans la R-DF, il ne nous est pas nécessaire d’examiner davantage cette irrégularité, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la demande de brevet canadien no 2 203 379 a été irrévocablement abandonnée le 9 décembre 2014. Par conséquent, le fondement de l’irrégularité soulevée par l’examinateur en matière de double brevet ne tient plus. Deuxièmement, comme il a été mentionné précédemment, nous sommes d’avis que les revendications 32 à 34 ne concernent pas un objet brevetable et donc, qu’aucun brevet ne peut être accordé, qu’il y ait double brevet ou non.

 

Description suffisante

[62]      La dernière irrégularité soulevée dans la DF est la suivante : la description et les dessins ne décrivent pas l’objet revendiqué de façon suffisante pour permettre à une PVA de réaliser et d’utiliser l’objet, de sorte que la demande n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Dans la R-DF, le demandeur a exprimé son désaccord, étant d’avis que le mémoire descriptif, par exemple l’architecture du système et les organigrammes qui figurent dans les dessins, « est rempli d’indications permettant à la PVA de mettre en œuvre l’objet tel que revendiqué ».

 

[63]      Comme nous sommes d’avis que l’objet des revendications 1 à 38 ne concerne pas un objet brevetable et qu’aucun brevet ne peut donc être accordé, il ne nous est pas nécessaire de déterminer si le mémoire descriptif est conforme aux exigences prévues au paragraphe 27(3) de la Loi.

 

Recommandation de la Commission

 

[64]      Compte tenu de ce qui précède, la Commission recommande que la demande soit rejetée au motif que les revendications 1 à 38 ne définissent pas un objet prévu par la Loi et sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

T. Nessim Abu-Zahra                     Tara Derickx                                    Andrew Strong

Membre                                                  Membre                                              Membre

 

Décision

 

[65]      Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande au motif que les revendications 1 à 38 ne définissent pas un objet prévu par la Loi et sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[66]      Par conséquent, en application des dispositions de l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’accorder un brevet relativement à cette demande. Conformément aux dispositions de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 3e jour d’août 2016

 

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