Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Décision du commissaire no 1400

Commissioner's Decision #1400

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS :           J-00 Signification de la technique

                                J-50 Simple plan

 

TOPICS:           J-00 Meaning of Art

                                J-50 Mere plan

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 240 382

Application no: 2,240,382

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

                Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet 2 240 382 a conséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission et la décision du commissaire suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

SMART & BIGGAR

55, rue Metcalfe, bureau 900

C.P. 2999, succursale D

Ottawa (Ontario) K1P 5Y6


INTRODUCTION

[1]               La présente recommandation concerne une révision du refus de la demande de brevet no 2 240 382, déposée le 19 mai 2006, ayant pour titre « Système de commerce électronique à fonction d’autoarbitrage ou fonction de commutation de noms » (« Electronic Trading System Including an Auto-Arbitrage Feature or Name Switching Feature »). Le demandeur est Reuters Limited.

[2]               Pour les raisons exposées ci-après, nous recommandons que la demande soit rejetée.

CONTEXTE

[3]               La présente demande a trait à un système de négociation électronique doté d’une fonctionnalité permettant le repérage automatique d’un scénario d’arbitrage fondé sur les écarts de crédit entre différentes entités négociantes. La négociation d’un arbitrage suppose des scénarios dans lesquels une partie utilise des écarts de prix à court terme au sein du marché pour réaliser un profit, par exemple, en achetant d’une partie et en vendant à une autre. Une fois qu’une occasion d’arbitrage a été déterminée en fonction de certains paramètres liés au crédit, l’invention revendiquée permet de bloquer temporairement les opérations contingentes afin de réduire le risque pour la partie qui vend ou achète, celui-ci se produisant si les conditions d’arbitrage devaient changer avant que toutes les opérations contingentes puissent être complétées.

[4]               La demande a été refusée dans une décision finale en date du 17 juillet 2013, aux motifs que les revendications sont évidentes et que la description est insuffisante. Dans sa réponse du 15 janvier 2014, le demandeur a modifié la description et les revendications 1 à 20, et a présenté des arguments écrits en faveur de leur acceptation.

[5]               La demande refusée a été transmise à la Commission d’appel des brevets (« la Commission »), accompagnée d’un résumé des motifs (RM) expliquant pourquoi la demande modifiée a été jugée non conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, sur la base des motifs, précédemment invoqués, de l’évidence et du caractère insuffisant de la description. Une irrégularité supplémentaire a été signalée dans le RM concernant le caractère insuffisant du contexte de l’invention.

[6]               Dans une lettre en date du 4 mars 2015, le présent comité a invité le demandeur à répondre à ses observations préliminaires concernant l’interprétation des revendications et l’évidence. Le comité a également abordé la question d’objet non prévu par la Loi. La possibilité de participer à une audience a aussi été offerte au demandeur.

[7]               Dans une lettre en date du 20 avril 2015, le demandeur a confirmé qu’une audience n’était pas nécessaire et qu’il n’entendait pas présenter d’autres modifications ou observations écrites. Le demandeur n’a pas répondu aux observations préliminaires du comité.

QUESTIONS

[8]               Il y a quatre questions à trancher dans le cadre de la présente révision :

- les revendications définissent-elles un objet non prévu par la Loi?

- les revendications sont-elles évidentes?

- la description est-elle insuffisante?

- la description décrit-elle l’état de la technique?

[9]               Notre analyse, présentée dans les paragraphes qui suivent, a permis de déterminer que les revendications ne définissent aucun objet prévu par la Loi et, par conséquent, notre conclusion quant à la première de ces quatre questions est suffisante pour disposer de la présente révision. Nous formulons également, à la fin de notre analyse, de brèves remarques relativement à trois questions supplémentaires.

PRINCIPES JURIDIQUES

Interprétation des revendications

[10]           Conformément à Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont déterminés au moyen d’une interprétation téléologique des revendications faite à la lumière de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 SCC 67 aux al. 49f) et g) et au par. 52). Tel qu’il est indiqué à la section 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [révisé en juin 2015], la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art et à déterminer ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution divulguée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être signalés; il s’agit de ceux qui sont indispensables à l’obtention de la solution divulguée, tel qu’elle est revendiquée.

Objet prévu par la Loi

[11]           La définition pertinente du terme « invention » est énoncée à l’article 2 de la Loi sur les brevets :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[12]           Dans la foulée de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Amazon.com Inc, 2011 CAF 328 [Amazon], le Bureau a publié la note PN2013-03 intitulée « Pratique d’examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » qui clarifie la pratique d’examen du bureau en ce qui a trait aux inventions mises en œuvre par ordinateur. Nous avons cité cette note dans notre lettre du 4 mars 2015.

[13]           Tel qu’il est indiqué dans la note PN2013-03, la pratique du Bureau est que lorsqu’un ordinateur s’avère être un élément essentiel de la revendication interprétée, l’objet revendiqué sera généralement considéré comme prévu par la Loi. Lorsque, à l’inverse, il est déterminé que les éléments essentiels d’une revendication interprétée se limitent à la matière exclue de la définition d’invention (par exemple, les beaux-arts, les méthodes de traitement médical, les caractéristiques dépourvues d’une existence physique, ou les revendications dont l’objet est simplement une idée, un schème, une règle ou un ensemble de règles), la revendication sera considérée comme non conforme à l’article 2 de la Loi.

ANALYSE

Interprétation des revendications

[14]           Le demandeur, dans sa réponse en date du 20 avril 2015, n’a pas contesté la façon dont le comité a caractérisé la personne versée dans l’art et les CGC de cette personne dans sa lettre du 4 mars 2015.

Personne versée dans l’art

[15]           La personne versée dans l’art possède une expertise dans le domaine de la négociation, en particulier de la négociation électronique, et une connaissance des technologies informatique à usage général et des techniques de programmation pertinentes.

Les CGC de cette personne

[16]           Les CGC pertinentes de la personne versée dans l’art comprennent les suivantes :

a)      Connaissance des systèmes de négociation électronique qui permettent aux entités négociantes d’entrer des limites de crédit, et qui présentent les meilleurs cours vendeurs et acheteurs aux teneurs de marché;

b)      Connaissance des systèmes comportant une pluralité de terminaux de négociation qui reçoivent des données de paramètres de crédit servant à déterminer s’il faut autoriser ou empêcher une opération, et qui reçoivent et présentent des données de négociation, y compris des données relatives aux cours acheteurs et vendeurs;

c)      Connaissance des dispositifs informatiques à usage général et des techniques de programmation appropriées;

d)     Connaissance des systèmes informatiques en réseau connectés aux terminaux de négociation qui sont utilisés pour apparier ou empêcher des opérations en fonction desdites données de paramètres de crédit;

e)      Connaissance de l’arbitrage — les opérations d’achat et de vente de titre ou les opérations de change réalisées quasi simultanément sur différents marchés dans le but de profiter des écarts de cours et des écarts liés au crédit;

f)       Connaissance du fait qu’un tiers ou une entité disposant d’un crédit bilatéral suffisant auprès de deux entités négociantes peut réaliser un arbitrage en achetant d’une entité à un cours peu élevé et en vendant à l’autre entité à un cours plus élevé;

g)       Connaissance du fait que la négociation et l’arbitrage étaient effectués manuellement par un courtier.

 

Problème et solution

[17]           La décision finale indique que le problème que résout la présente invention concerne la façon d’automatiser les transactions d’arbitrage connues dans l’art antérieur. Toutefois, dans sa réponse (page 3), le demandeur s’est dit en désaccord avec cet énoncé du problème et a fait valoir que l’objet des revendications indépendantes [Traduction] « vise des méthodes et des systèmes permettant de conduire des négociations électroniques qui vont bien au-delà de la simple automatisation des systèmes de l’art antérieur ».

[18]           Dans notre lettre, nous avons présenté un énoncé du problème et de la solution tenant compte de la réponse du demandeur. Étant donné que le demandeur n’a présenté aucun commentaire, nous utilisons cet énoncé du problème et de la solution dans le cadre de la présente révision.

[19]           Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre, la demande aborde des problèmes survenant lors de la conduite d’opérations de négociation d’arbitrage fondées sur des écarts liés au crédit au sein du marché à l’aide d’un système de négociation électronique. Plus particulièrement, un de ces problèmes est que les systèmes de négociation connus ne comportent aucun moyen de garantir que toutes les opérations requises pour mener à bien la transaction d’arbitrage auront lieu avant l’exécution de l’une quelconque des opérations. Les systèmes connus comportent un risque financier pour l’entité négociante qui souhaite profiter de l’occasion d’arbitrage.

[20]           La personne versée dans l’art comprendrait que le problème que la demande cherche à résoudre concerne le risque financier lié à la négociation de l’arbitrage fondé sur le crédit. Parallèlement, la personne versée dans l’art constaterait, à la lecture de la demande, que cette dernière ne divulgue aucun problème constituant un défi lié à la mise en œuvre par ordinateur d’un tel système de négociation d’arbitrage fondé sur le crédit, ni aucun autre problème technique apparent inhérent à la mise en œuvre d’un tel système. Ce constat appuie l’interprétation voulant que le problème soit lié aux procédures ou aux règles qui régissent la négociation d’arbitrages et aux risques inhérents à l’exécution de telles opérations, et non à la mise en œuvre par ordinateur de telles règles.

[21]           Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre, la personne versée dans l’art comprendrait que la solution divulguée dans la demande est un changement aux règles de la négociation électronique classique visant à permettre le repérage et la mise à profit d’occasions d’arbitrage créées par des écarts de crédit au sein du marché, au moyen d’un ensemble de règles établissant une procédure de blocage, et à faire en sorte que les transactions d’arbitrage puissent avoir lieu tout en réduisant le risque que les conditions de l’arbitrage changent ou expirent avant que toutes les transactions puissent être complétées.

Signification et éléments essentiels des revendications

[22]           La revendication 1 illustre bien l’invention :

 

Un système de négociation électronique pour les négociants, le système étant constitué de ce qui suit :

- une pluralité de terminaux de négociation qui reçoivent des données de paramètres de crédit servant à déterminer s’il faut autoriser ou empêcher une opération, qui reçoivent de la part des négociants des données de négociation comprenant au moins un de deux renseignements sur le cours acheteur et le cours vendeur, et qui reçoivent de la part des négociants des données de paramètres d’arbitrage comprenant au moins un paramètre parmi un paramètre d’écart minimal, un paramètre d’écart moyen, un paramètre de volume minimal et un paramètre de volume maximal, ladite pluralité de terminaux de négociation comprenant un premier terminal de négociation, un deuxième terminal de négociation et un troisième terminal de négociation;

                - un réseau de communication relié à la pluralité de terminaux de négociation;

- un ordinateur relié à ladite pluralité de terminaux de négociation par ledit réseau de communication, ledit ordinateur appariant les opérations au moyen des données de paramètres de crédit;

- un détecteur destiné à repérer automatiquement les opérations liées potentielles, lesdites opérations liées étant traitées comme des opérations contingentes entre ledit premier terminal de négociation et ledit deuxième terminal de négociation et entre ledit premier terminal de négociation et ledit troisième terminal de négociation, afin de créer une occasion d’arbitrage fondée sur des écarts liés au crédit au sein d’un marché lorsqu’une opération directe entre ledit deuxième terminal de négociation et ledit troisième terminal de négociation n’est pas disponible, et fondée sur la surveillance desdites données de négociation, desdites données de paramètres de crédit et desdites données de paramètres d’arbitrage;

- un circuit d’exécution destiné à exécuter toutes les opérations contingentes repérées, le circuit d’exécution comprenant un circuit de blocage permettant de bloquer les données de négociation relatives à toutes lesdites opérations contingentes de manière à bloquer toutes lesdites opérations contingentes jusqu’à l’exécution de l’une quelconque desdites opérations contingentes afin de garantir que toutes lesdites opérations contingentes demeurent disponibles pendant l’exécution desdites opérations contingentes;

-28ledit circuit d’exécution exécutant toutes les opérations contingentes repérées uniquement si toutes les données de négociation relatives à toutes les opérations contingentes repérées sont bloquées.

[23]           Une personne versée dans l’art qui lirait les revendications à la lumière du mémoire descriptif et de ses CGC n’aurait aucun mal à comprendre la signification de la plupart des termes et expressions employés dans les revendications indépendantes. Cependant, les termes [Traduction] « circuit d’exécution » et « circuit de blocage » méritent un examen plus approfondi.

[24]           La demande ne divulgue pas de moyen physique, d’appareil, de logique ou d’agencement de caractéristiques électroniques ou mécaniques spécifiques qui constitueraient un circuit correspondant aux caractéristiques de « circuit d’exécution » et de « circuit de blocage » définies dans la revendication 1. Par conséquent, le terme « circuit » serait interprété par la personne versée dans l’art comme décrivant tout moyen ou procédé général destiné à assurer la fonction d’exécution des opérations contingentes, ou comme décrivant tout moyen ou procédé général destiné à assurer la fonction de blocage d’une ou plusieurs opérations contingentes. La personne versée dans l’art n’interpréterait pas le terme [Traduction] « circuit » comme étant limité à une mise en œuvre précise. Nous soulignons également que la personne versée dans l’art comprendrait que le terme [Traduction] « blocage » signifie empêcher temporairement ou « geler » les opérations contingentes pendant un certain temps, afin qu’elles n’aient pas changé ou cessé d’exister au moment où l’opération d’arbitrage est exécutée.

[25]           De même, étant donné que la description ne divulgue aucune limitation précise en ce qui concerne la mise en œuvre de l’élément [Traduction] « détecteur » de la revendication 1, cette caractéristique serait également interprétée par la personne versée dans l’art comme désignant tout moyen ou procédé général permettant de repérer une occasion potentielle d’arbitrage fondée sur le crédit.

Éléments essentiels de la revendication 1

[26]           Notre lettre indique que la personne versée dans l’art comprendrait que les systèmes de négociation électronique (qui comprennent des composantes informatiques) ont la capacité intrinsèque d’exécuter des transactions du type de celles décrites dans la présente demande, par exemple, apparier des cours acheteur et vendeur, y compris les cours acheteurs et vendeurs présentant des écarts de crédit. La personne versée dans l’art aurait conscience que ces composantes sont liées au contexte ou à l’environnement de fonctionnement de la réalisation.

[27]           En outre, une fois que la personne versée dans l’art connaîtrait les règles particulières de l’arbitrage, y compris les règles pour repérer une occasion d’arbitrage et les règles pour exécuter l’arbitrage en bloquant toute opération contingente, il serait facile pour elle de mettre en œuvre de telles règles dans un système de négociation électronique classique, en se fondant sur ses CGC. La demande ne divulgue aucun perfectionnement technologique particulier se rapportant à un tel système de négociation électronique classique ou à la manière de mettre les règles en œuvre. Comme nous l’avons indiqué dans notre examen du problème, les revendications ne semblent pas définir une solution à un problème informatique; elles définissent plutôt une solution à un problème posé par un risque financier.

[28]           Nous indiquons dans notre lettre que, compte tenu de ces considérations, la personne versée dans l’art serait d’avis que les caractéristiques suivantes sont des éléments non essentiels : une pluralité de terminaux de négociation qui reçoivent des données de négociation; un réseau de communication; un ordinateur servant à apparier des opérations; un détecteur servant à repérer des opérations liées potentielles; et un circuit d’exécution comprenant un circuit de blocage. Bien que ces caractéristiques fournissent l’environnement requis pour que la réalisation revendiquée fonctionne et traite les données en temps utile, elles demeurent des éléments non essentiels de la solution susmentionnée. La personne versée dans l’art comprendrait que ces composantes n’ont pas d’effet substantiel sur les règles qui régissent le repérage et l’autorisation d’une opération d’arbitrage fondée sur le crédit, ou sur les règles qui sous-tendent la procédure de blocage.

[29]           Par conséquent, la personne versée dans l’art considérerait que les caractéristiques suivantes de la revendication 1 sont les éléments essentiels indispensables à l’obtention de la solution au problème défini :

a)    - repérer automatiquement les opérations liées potentielles, lesdites opérations liées étant traitées comme des opérations contingentes entre ledit premier terminal de négociation et ledit deuxième terminal de négociation et entre ledit premier terminal de négociation et ledit troisième terminal de négociation, afin de créer une occasion d’arbitrage fondée sur des écarts liés au crédit au sein d’un marché lorsqu’une opération directe entre ledit deuxième terminal de négociation et ledit troisième terminal de négociation n’est pas disponible, et fondée sur la surveillance desdites données de négociation, desdites données de paramètres de crédit et desdites données de paramètres d’arbitrage;

b)    - bloquer les données de négociation relatives à toutes lesdites opérations contingentes de manière à bloquer toutes lesdites opérations contingentes jusqu’à l’exécution de l’une quelconque desdites opérations contingentes afin de garantir que toutes lesdites opérations contingentes demeurent disponibles pendant l’exécution desdites opérations contingentes;

c)    exécuter toutes les opérations contingentes repérées, mais uniquement si toutes les données de négociation relatives à toutes les opérations contingentes repérées sont bloquées.

Éléments essentiels des autres revendications

[30]           Les revendications indépendantes 8 et 15 définissent, respectivement, une méthode de négociation électronique et un ordinateur destiné à être utilisé dans un système de négociation électronique. Les caractéristiques essentielles de ces deux revendications correspondent à celles du système de la revendication indépendante 1.

[31]           Les revendications dépendantes 2 à 7, 9 à 14 et 16 à 20 définissent des caractéristiques supplémentaires. La personne versée dans l’art considérerait que les caractéristiques additionnelles suivantes, qui sont définies dans les revendications dépendantes, sont essentielles :

-       Revendications 2, 9 et 16 : définissent des caractéristiques consistant à notifier un utilisateur qu’une opération contingente a été repérée et exécutée;

-       Revendications 3, 10 et 17 : définissent des caractéristiques consistant en une alerte avisant un négociant de l’existence d’une opération contingente, et en une entrée permettant à un négociant d’indiquer son désir d’exécuter l’opération;

-       Revendications 4, 11, 12, 13 et 18 : définissent des caractéristiques connues consistant en des limites de crédit entre les parties, y compris différentes limites entre les parties;

-       Revendications 5, 14 et 19 : définissent des caractéristiques consistant à repérer des opérations contingentes en fonction de paramètres de crédit connus (écart minimal, écart moyen, volume minimal et volume maximal);

-       Revendications 6 et 20 : définissent des caractéristiques consistant à repérer des opérations contingentes entre un deuxième négociant et un troisième négociant lorsqu’une opération directe entre le deuxième négociant et le troisième négociant n’est pas disponible, mais que le crédit entre un premier négociant et les deuxième et troisième négociants est suffisant;

-       Revendication 7 : définit une caractéristique de commutation de nom, pour les cas où une opération directe entre le deuxième négociant et le troisième négociant n’est pas disponible en raison de données de paramètres de crédit indiquant un crédit insuffisant, mais que l’opération est possible par l’intermédiaire du premier négociant en raison de données de paramètres de crédit indiquant un crédit suffisant.

Les revendications 1 à 20 définissent-elles un objet qui est exclu de la définition d’invention prévue à l’article 2 de la Loi sur les brevets?

[32]           Dans notre lettre au demandeur en date du 4 mars 2015, nous avons indiqué que notre opinion préliminaire était que la demande est irrégulière parce qu’elle n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Nous avons invité le demandeur à aborder la question de la conformité à l’article 2 dans des observations écrites ou lors d’une audience, mais ce dernier n’a présenté aucune observation.

[33]           Après avoir procédé à une révision complète et approfondie de la présente demande, nous sommes d’avis que la demande est irrégulière parce qu’elle n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

[34]           En ce qui concerne les éléments essentiels des revendications 1, 8 et 15, lesquels fournissent la solution au problème, la personne versée dans l’art aurait conscience que ces éléments ne définissent pas un objet contenant [Traduction] « une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou un changement discernable » (Amazon, au paragraphe 66).

[35]           Les éléments essentiels définissent plutôt des règles abstraites et désincarnées, qui sont considérées comme équivalant à un processus mental. Repérer une occasion d’arbitrage convenable en fonction de certains paramètres fondés sur le crédit, puis bloquer cette occasion jusqu’à ce que toutes les opérations contingentes puissent être exécutées, afin de réduire le risque financier qui se matérialiserait si certaines des opérations contingentes n’étaient pas exécutées conjointement, constituent des caractéristiques qui définissent un ensemble particulier de règles propre à la négociation financière. Ces règles interagissent pour produire un résultat abstrait, à savoir, la possibilité d’accroître sa fortune en s’exposant à un risque financier réduit. Ces règles, leur fonctionnement et le résultat qu’elles produisent ne définissent pas une chose dotée d’une existence physique, pas plus qu’elles ne définissent une chose qui manifeste un effet ou un changement discernable.

[36]           Nous soulignons également que le fait, dans le cas présent, que les règles liées au blocage des opérations contingentes soient exécutées au moyen d’un ordinateur, pour des raisons de vitesse et d’efficacité, ne change en rien la nature par ailleurs abstraite des règles essentielles. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus dans la section portant sur l’interprétation téléologique, les ordinateurs et autres composantes informatiques matérielles définies dans les revendications font partie du contexte ou de l’environnement de fonctionnement de l’invention, mais pas de la solution au problème. Bien que l’inventeur puisse envisager de mettre les règles en œuvre au moyen d’un ordinateur pour assurer un traitement rapide et efficace de certains calculs, l’inclusion d’une telle caractéristique physique dans les revendications ne peut pas changer la nature de l’objet des revendications si, à l’issue d’une interprétation téléologique, lesdites caractéristiques physiques sont jugées par ailleurs non essentielles.

[37]           Par conséquent, l’objet des revendications 1, 8 et 15 a trait à un schème abstrait ou un ensemble de règles qui est considéré comme équivalant à un processus mental, et donc à une abstraction. Les revendications dépendantes 2 à 7, 9 à 14 et 16 à 20, qui définissent d’autres règles fondées sur des paramètres de crédit et des conditions possibles d’opération d’arbitrage, ne définissent cependant aucun élément essentiel qui n’est pas abstrait.

[38]           Par conséquent, les revendications 1 à 20 ne sont pas conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

QUESTIONS SUPPLÉMENTAIRES SOULEVÉES DANS LE RM

[39]           Comme nous avons conclu qu’aucune des revendications au dossier ne définit un objet prévu par la Loi, nous pourrions recommander que la demande soit rejetée pour ce seul motif. Cependant, par souci d’exhaustivité, le comité formule les remarques supplémentaires qui suivent relativement aux questions de l’évidence, du caractère insuffisant de la description et du défaut de divulguer l’état antérieur de la technique.

Les revendications 1 à 20 au dossier sont-elles évidentes et, de ce fait, non conformes à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets?

[40]           Dans le RM, l’examinateur a maintenu que les revendications sont évidentes pour deux raisons :

a.       les revendications sont évidentes à la lumière des antériorités citées dans la décision finale;

b.      les revendications définissent une simple automatisation évidente.

[41]           En ce qui concerne la thèse selon laquelle les revendications seraient évidentes à la lumière du document D5, compte tenu des autres antériorités citées, nous ne voyons aucune raison d’être en désaccord avec la prémisse énoncée dans le RM voulant que les revendications soient évidentes.

[42]           Dans notre lettre du 4 mars 2015, nous avons indiqué que, d’après notre compréhension, le demandeur estimait que la procédure de blocage constituait la principale différence par rapport à l’art antérieur. Or, tel qu’il est expliqué dans la décision finale, plusieurs antériorités (identifiées comme les documents D2, D3, D4 et D6 dans la décision finale) enseignent l’idée d’utiliser un mécanisme de blocage ou une fonction de blocage dans le cadre de ventes aux enchères, d’autres systèmes financiers ou de négociation, ou d’applications de traitement de données. Il est également expliqué dans la décision finale (page 6) que l’antériorité D5 divulgue une variante de négociation d’arbitrage, et que la personne versée dans l’art appliquerait une méthode similaire à celle de D5 pour résoudre tout problème se présentant dans le cadre d’un scénario d’arbitrage, y compris les scénarios connus fondés sur des écarts de crédit. Par conséquent, l’examinateur a conclu dans la décision finale et le RM que l’idée de combiner des mécanismes ou procédures de blocage connus dans le but de réduire le risque financier inhérent à un scénario d’arbitrage fondé sur le crédit n’impliquerait aucune inventivité. En outre, la mise en œuvre d’un tel agencement relèverait de la compétence et des CGC de la personne versée dans l’art, et ne serait pas inventive. Par conséquent, les revendications indépendantes seraient considérées comme dénuées d’inventivité.

[43]           Nous considérons qu’aucune des revendications dépendantes ne définit de limitation supplémentaire qui aurait pu remédier à l’absence d’inventivité qui caractérise les revendications indépendantes. En réponse à la décision finale et en réponse également à notre lettre invitant le demandeur à signaler toute autre différence par rapport à l’art antérieur, le demandeur n’a signalé aucune autre limitation inventive dans les revendications dépendantes.

[44]           Quant à la thèse exposée dans le RM selon laquelle les revendications définissent une automatisation évidente, notre interprétation téléologique a permis de déterminer que les composantes informatiques n’étaient pas essentielles. Par conséquent, les revendications ne seraient pas considérées comme définissant une automatisation évidente.

La description est-elle insuffisante et néglige-t-elle de divulguer l’état de la technique?

[45]           Ainsi qu’il appert de notre examen de l’évidence ci-dessus, la personne versée dans l’art n’aurait aucune difficulté à mettre en œuvre les règles ou les calculs permettant de bloquer une occasion d’arbitrage. Par conséquent, la description ne serait pas considérée comme insuffisante.

[46]           En ce qui concerne la modification qui a eu pour effet de déplacer l’état de la technique dans une autre section de la description, comme nous l’avons indiqué dans notre lettre du 4 mars 2015, cette modification n’a rien changé à la compréhension des CGC de la personne versée dans l’art. Par conséquent, la description serait perçue comme divulguant adéquatement l’état de la technique.

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

[47]           Le comité recommande que la demande soit rejetée au motif que les revendications 1 à 20 ne définissent pas un objet prévu par la Loi et sont, par conséquent, non conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le comité est également d’avis que la demande serait par ailleurs non conforme à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, car les revendications 1 à 20 sont dénuées d’inventivité.

 

 

 

 

 

 

                Andrew Strong                               Paul Sabharwal                               Michael O’Hare

Membre                                              Membre                                              Membre


 

DÉCISION

[48]           Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission et, en application de l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’octroyer un brevet relativement à la présente demande.

[49]           Conformément aux dispositions de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 2e jour de juin, 2016

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.