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Décision du commissaire no 1398

Commissioner’s Decision #1398

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS : B22 (portée excessive), C00 (caractère adéquat ou inadéquat de la description)

TOPICS : B22 (not supported by disclosure), C00 (adequacy or deficiency of description)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 451 493

Application No: 2,451,493.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 451 493 a subséquemment fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission et sa décision suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

SMART & BIGGAR

55, rue Metcalfe, Bureau 900

C.P. 2999 Succursale D

Ottawa (Ontario) K1P 5Y6

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Introduction

[1]          La demande de brevet numéro 2 451 493, intitulée « INHIBITEURS DE CROISSANCE CELLULAIRE RENFERMANT UN ANTICORPS ANTI-GLYPICANE 3 » appartient à Chugai Seiyaku et Kabushiki Kaisha. Elle a été refusée à la suite de la réponse du demandeur à la décision finale, car ladite réponse ne réfutait pas les motifs du refus. Une révision de la demande refusée a donc été réalisée par la Commission d’appel des brevets, en vertu des dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons l’annulation du refus.

 

Contexte

 

La demande

[2]          Le mémoire descriptif décrit l’utilisation d’anticorps anti-glypicane-3 pour l’inhibition de la prolifération de cellules cancéreuses au foie et aux poumons exprimant la protéine glypicane-3. Selon la section de la description portant sur le contexte, la famille de protéines de surface que sont les glypicanes agirait comme récepteurs de certains facteurs de croissance, comme le facteur de croissance épidermique. La protéine glypicane-3 est un membre connu de cette famille et un gène glypicane 3 a été isolé d’une lignée de cellules de cancer gastrique chez l’humain.

 

[3]          Plus précisément, la description divulgue des anticorps monoclonaux de souris (mAbs) spécifiques pour la protéine glypicane-3 humaine, préparés par l’immunisation de souris à l’aide d’un peptide constitué de la séquence d’acides aminés RQYSAYYEDLFIDKK, une séquence d’acides aminés trouvée dans la protéine humaine glypicane 3.

 

[4]          Deux des mAbs de souris produits, nommés K6511 et K6534, ont démontré une activité de liaison à la protéine glypicane-3 et ont donc été sélectionnés pour d’autres tests in vitro de cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante des anticorps (ADCC) et de cytotoxicité dépendante du complément (CDC). Les résultats de ces tests indiquent que le mAb anti-glypicane-3 exerce des activités ADCC et CDC in vitro sur la lignée de cellules de cancer du foie chez l’humain. D’autres résultats expérimentaux montrent que les lignées de cellules de cancer du poumon chez l’humain expriment également la protéine glypicane-3 sur leur surface. Ces résultats expérimentaux appuient favorablement l’utilité thérapeutique d’anticorps anti-glypicane-3 pour le traitement du cancer du foie et du poumon.

 

[5]          Le mémoire descriptif explique également que les anticorps anti-glypicane-3 de différents types (p. ex. anticorps humanisés, anticorps chimériques et anticorps humains) pourraient également être utilisés pour inhiber la prolifération anormale de cellules cancéreuses exprimant la protéine glypicane-3 dans le foie et les poumons (voir les pages 4, 8, 11 et 12 de la description). Pour faciliter la compréhension, ces types d’anticorps sont reproduits à la figure 1 (tirée de Patel et Goldberg, Cetuximab-Associated Infusion Reactions: Pathology and Management, Oncology, 2006 Oct; 20(11):1373-82).

 

Figure 1 : Description de quatre types d’anticorps monoclonaux thérapeutiques selon la composition protéique

 

[6]          La procédure standard de production d’anticorps monoclonaux génère des anticorps de souris (ou « murins »). Bien que les anticorps murins soient très semblables aux anticorps humains, il existe des différences; le système immunitaire humain reconnaît les anticorps de souris comme étant étrangers et les élimine rapidement de la circulation sanguine, entraînant des effets inflammatoires systémiques.

 

[7]          Les anticorps chimériques, humanisés et humains sont des types d’anticorps monoclonaux qui contournent le problème clinique qu’est la réponse immunitaire aux anticorps étrangers de souris en réduisant la séquence murine, la faisant passer de 100 % (anticorps monoclonal de souris) à environ 30 % (anticorps chimérique) ou à 3 % (anticorps humanisé) ou à zéro (p. ex. anticorps entièrement humain) (voir Animal Biotechnology: Models in Discovery and Translation, Academic Press, 2013, page 483).

 

[8]          Le mémoire descriptif se termine par 20 revendications, revendiquant des préparations pharmaceutiques qui contiennent un anticorps anti-glypicane-3 pour l’inhibition de la prolifération anormale de cellules de cancer du foie et des poumons exprimant la protéine glypicane-3 et revendiquant l’utilisation d’un anticorps anti-glypicane-3 à des fins connexes.

 

Historique du traitement

[9]          La demande de brevet 2 451 493 a été déposée au Canada le 21 juin 2002 et publiée le 3 janvier 2003. L’examen s’est soldé par l’envoi d’une décision finale le 4 février 2014. La décision finale affirme que les revendications dépendantes 5, 10, 15 et 20 ne sont pas conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets et que le mémoire descriptif, dans la mesure où il concerne ces revendications, n’est pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[10]      Selon la décision finale, ces irrégularités ont été relevées parce que ces revendications mentionnent l’utilisation d’un « anticorps humanisé » et la description n’illustre pas l’utilisation d’anticorps humanisés ni ne divulgue l’information sur le séquençage des régions de liaison d’un anticorps monoclonal (régions variables, ou régions déterminant la complémentarité (RDC)). Il est considéré, dans la décision finale, que la décision du commissaire dans Re Sloan-Kettering Institute for Cancer Research (D.C. 1296) appuie le principe voulant que l’information sur la séquence d’acides aminés des régions de liaison est requise pour étayer suffisamment les revendications qui mentionnent une version humanisée d’un anticorps, en l’absence de preuve que l’anticorps humanisé a été créé.

 

[11]      Dans sa lettre en réponse à la décision finale, datée du 31 juillet 2014, le demandeur a fait valoir que les revendications et la description au dossier sont conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets et au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, puisque les exigences relatives au caractère suffisant de la divulgation ont été satisfaites en ce qui concerne les anticorps anti-glypicane-3 humanisés. Plus précisément, le demandeur a commencé par souligner que l’antigène avait été précisément identifié comme étant le glypicane-3 dans le mémoire descriptif. Le demandeur a ensuite soutenu que la personne versée dans l’art aurait été en mesure de produire des anticorps anti-glypicane-3 humanisés en suivant simplement les instructions divulguées dans le mémoire descriptif. Enfin, le demandeur a souligné qu’il n’y avait pas lieu de se fonder sur la D.C. 1296 dans le contexte de la présente demande.

 

[12]      N’étant pas convaincu que les arguments du demandeur rendaient la demande acceptable, l’examinateur a transmis le dossier à la Commission d’appel des brevets (la Commission). Le dossier contenait un résumé des motifs énonçant les raisons pour lesquelles la demande était toujours considérée comme non conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Il était affirmé dans le résumé des motifs que la demande avait été refusée pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans la décision finale.

 

[13]      Dans une lettre du 25 octobre 2014, à laquelle le résumé des motifs était joint, la Commission a offert au demandeur l’occasion de présenter d’autres observations écrites et d’assister à une audience.

 

[14]      Dans une lettre du 20 janvier 2015, le demandeur a informé la Commission de son désir de fournir d’autres observations écrites avant que le comité de révision n’amorce son examen préliminaire de la demande refusée.

 

[15]      D’autres observations écrites ont été reçues le 18 septembre 2015. Elles comprenaient d’autres arguments expliquant pourquoi, à la date du dépôt de la présente demande, la production d’un anticorps anti-glypicane-3 humanisé par la personne versée dans l’art s’appuyant sur le mémoire descriptif, lequel définit l’antigène glypicane-3, n’aurait été qu’une étape de routine, et donc qu’une divulgation explicite de la séquence de l’anticorps n’était pas nécessaire. Des copies de références pertinentes ont également été fournies.

 

[16]      Bien que notre invitation à assister à une audience ait été acceptée par le demandeur, nous n’estimons pas qu’une telle audience soit requise, compte tenu de notre recommandation selon laquelle le refus de la demande soit annulé.

 

Questions

 

[17]      D’après notre lecture de la décision finale, du résumé des motifs et des réponses du demandeur à ces deux documents, les principales questions soulevées dans la décision finale et le résumé des motifs sont celles de savoir si le mémoire descriptif est conforme aux alinéas 27(3)a) et b) de la Loi. Plus précisément : Les anticorps humanisés mentionnés seraient-ils décrits de façon exacte et complète? Et le mémoire descriptif permettrait-il à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention telle qu’elle est revendiquée sans faire preuve d’esprit inventif ni entreprendre une expérimentation excessive dans des circonstances où il n’existe aucune preuve que l’anticorps humanisé a été créé, et où l’information de séquençage des régions variables d’un anticorps anti-glypicane-3 n’est pas divulguée?

 

Législation et principes juridiques

 

Interprétation téléologique

[18]      Conformément à l’arrêt Free World Trust c.Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], les éléments essentiels sont désignés dans une interprétation téléologique des revendications par un examen de l’ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins (voir aussi Whirlpool Corp c.Camco Inc, 2000 SCC 67 aux alinéas 49f) et g) et au paragraphe 52). Conformément au chapitre 13.05 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets [révisé en juin 2015; RPBB], la première étape de l’interprétation téléologique d’une revendication consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes (« CGC ») pertinentes. L’étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution proposée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être définis comme les éléments des revendications qui sont requis pour obtenir la solution proposée.

 

Caractère suffisant de la divulgation et caractère réalisable

[19]      Comme il a été mentionné précédemment, la question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le mémoire descriptif satisfait aux exigences relatives au caractère suffisant de la divulgation, au sens des alinéas 27(3)a) et b) de la Loi, lesquels sont libellés comme suit :

 

Le mémoire descriptif doit :

(a)    décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(b)   exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

 

[20]      Quant à la question de savoir si un mémoire descriptif est conforme aux alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi, les tribunaux ont défini trois questions pertinentes auxquelles on doit pouvoir répondre à la lecture du mémoire descriptif : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne-t-elle? Ne disposant que du mémoire descriptif, la personne versée dans l’art peut-elle réaliser l’invention en n’utilisant que les instructions que contient la divulgation? (Teva Canada Ltd c.Novartis AG, 2013 CF 141 citant Teva Canada Ltd. c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60 et Consolboard c. MacMillam Bloedel, [1981] 1 R.C.S. 504 à 526, 56 CPR (2d) 145). La première question s’applique au moment de déterminer la nature de l’invention et si le mémoire descriptif décrit « de façon exacte et complète l’invention », conformément à l’alinéa 27(3)a) de la Loi. Les deux autres questions concernent l’exigence relative au caractère réalisable, énoncée à l’alinéa 27(3)b) de la Loi. Ces questions nécessitent des décisions basées sur les faits.

 

[21]      En ce qui concerne la troisième question, la personne versée dans l’art ne devrait pas avoir à faire preuve d’esprit inventif ni à entreprendre une expérimentation excessive plutôt que routinière (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. 2005 CF 1283, Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. [1995] F.C.J. no 1243 et Merck & Co. c. Apotex Inc. [1995] 2 C.F. 723).

 

[22]      Selon Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2013 CF 283, la date pertinente pour l’examen du caractère suffisant de la divulgation est la date de dépôt de la demande.

 

Anticorps humanisés

[23]      Nous ne sommes au courant d’aucune directive particulière dans la jurisprudence canadienne concernant les anticorps humanisés. Comme il a été mentionné précédemment, les anticorps humanisés ont été abordés dans la D.C. 1296. Il existe également une décision du commissaire subséquente que nous estimons informative et utile pour l’analyse de l’espèce. Dans Re Immunex Corporation (D.C. 1302, voir les para 67 et 68), les anticorps monoclonaux génériques visés par la demande étaient exactement décrits dans la divulgation d’un antigène entièrement caractérisé, auquel l’anticorps se lie précisément [Traduction] :

Il existe cependant une identité fonctionnelle spécifique et significative entre les deux (immunoréactivité spécifique), fait dont on tire parti au cours de la préparation manifestement routinière des anticorps monoclonaux.

 

 

Ainsi, la personne versée dans l’art comprendrait qu’une description adéquate des anticorps monoclonaux peut être fondée sur une description structurale de l’antigène, l’identité fonctionnelle entre l’anticorps et l’antigène, de même que la connaissance de techniques de fabrication prévisibles.

 

 

dans les cas où l’antigène est un nouveau polypeptide entièrement caractérisé, par exemple, par sa séquence d’acides aminés complète, une demanderesse innovatrice peut revendiquer un anticorps monoclonal immunoréactif au polypeptide sans l’avoir fabriqué ni déposé. Une telle revendication engloberait, en tant que sous-genre, des anticorps implicitement (ou explicitement, par exemple, dans la revendication 58) définis relativement à des techniques de fabrication d’anticorps monoclonaux bien connues, lesquelles permettent de produire de nombreuses espèces d’anticorps monoclonaux. Une telle revendication n’aurait pas forcément besoin d’être restreinte à une seule espèce d’anticorps monoclonal, car la personne versée dans l’art comprendrait qu’il n’y a ni point commun entre les structures particulières des régions de liaison (RDC) des anticorps monoclonaux, ni relation structurale prévisible entre ces régions et les épitopes ciblés.

 

Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, un raisonnement semblable peut s’appliquer à la description des anticorps humanisés de l’espèce.

 

Analyse

 

Interprétation téléologique des revendications

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes (CGC) de cette personne

 

[24]      À notre avis, la personne versée dans l’art travaille dans les domaines de l’immunologie et de la cancérothérapie.

 

[25]      Aux fins du présent examen, et relativement aux CGC de la personne versée dans l’art, il suffit de dire que la personne versée dans l’art détient des CGC et une expérience technique concernant la production d’anticorps monoclonaux thérapeutiques de types différents, y compris des anticorps chimériques, humanisés et humains.

 

Terminologie

 

[26]      Les termes suivants contenus dans les revendications ou la description semblent posséder leur signification habituelle ordinaire, telle que l’aurait compris la personne versée dans l’art à la date pertinente (voir Maynard et Georgiou, Antibody Engineering, Annu. Rev. Biomed. Eng., 2000, 02:339-76).

 

Anticorps : Une grande protéine dont la chaîne forme une structure en Y et qui reconnaît un antigène précis. Elle comprend généralement deux chaînes lourdes et deux chaînes légères reliées entre elles par des ponts disulfures. La région de liaison de l’antigène se trouve dans la portion Fab de l’anticorps et la portion Fc joue un rôle dans l’activation du complément et des cellules effectrices immunitaires. Le terme anticorps englobe tous les types d’anticorps, y compris les anticorps monoclonaux, chimériques, humanisés et humains (tous définis ci-dessous).

 

Anticorps monoclonal : Un anticorps unique qui reconnaît un épitope cible particulier, généralement produit par l’immunisation d’un animal avec un antigène, récupérant et fusionnant les cellules de la rate avec des lignées de cellules immortalisées pour former des hybridomes individuels, chacun exprimant un anticorps unique.

 

Anticorps chimérique : Un anticorps fabriqué préparé par le remplacement de la région constante d’un anticorps monoclonal étranger par une région constante humaine (voir la figure 1).

 

Anticorps humanisé : Un anticorps obtenu par génie génétique, préparé par la transplantation, dans un anticorps monoclonal humain receveur, des RDC d’un anticorps monoclonal développé dans une autre espèce (voir la figure 1). Les RDC sont des segments courts et variables de résidus d’acides aminés qui interagissent collectivement avec l’antigène cible. Il y a trois RDC (RDC1, RDC2 et RDC3), placées de manière non consécutive, dans la séquence d’acide aminé du domaine variable des chaînes lourdes et légères, totalisant six RDC par région de liaison. Elles sont essentielles à la spécificité et à l’affinité de l’anticorps.

 

Anticorps humain : Un anticorps entièrement humain qui ne contient aucun élément étranger (voir la figure 1).

 

Le problème à résoudre et la solution proposée

[27]      Après avoir examiné la demande dans son ensemble, il semble que le problème à résoudre soit la nécessité d’un nouveau traitement pour le cancer du foie et le cancer du poumon. En des termes généraux, la solution proposée consiste en l’utilisation de l’anticorps anti-glypicane-3 pour traiter ces conditions.

 

Les éléments essentiels des revendications permettant de résoudre le problème soulevé

[28]      Les revendications indépendantes 1, 6, 11 et 16 se lisent comme suit :

 

1. Une préparation pharmaceutique permettant d’inhiber la prolifération anormale de cellules de cancer hépatique exprimant la protéine glypicane 3, qui comprend : un anticorps anti-glypicane 3, et au moins un excipient ou additif pharmaceutiquement acceptable.

 

6. L’utilisation d’un anticorps anti-glypicane 3 pour le traitement du cancer hépatique.

 

11. Une préparation pharmaceutique permettant d’inhiber la prolifération anormale de cellules de cancer du poumon exprimant la protéine glypicane 3, qui comprend : un anticorps anti-glypicane 3, et au moins un excipient ou additif pharmaceutiquement acceptable.

 

16. L’utilisation d’un anticorps anti-glypicane 3 pour le traitement du cancer du poumon.

 

[29]      Compte tenu de la solution proposée, la personne versée dans l’art considérerait qu’un anticorps anti-glypicane-3 constitue un élément essentiel qui est commun aux revendications indépendantes. Les revendications dépendantes 2 à 5, 7 à 10 et 17 à 20 précisent davantage l’activité cytotoxique inhérente dudit anticorps anti-glypicane-3 ou définissent plus précisément le type d’anticorps.

 

[30]      Les revendications dépendantes 5, 10, 15 et 20 refusées se lisent comme suit :

 

5. La préparation pharmaceutique selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 4, où l’anticorps est un anticorps humanisé ou un anticorps chimérique.

 

10. L’utilisation selon l’une ou l’autre des revendications 6 à 9, où l’anticorps est un anticorps humanisé ou un anticorps chimérique.

 

15. La préparation pharmaceutique selon l’une ou l’autre des revendications 11 à 13, où l’anticorps est un anticorps humanisé ou un anticorps chimérique.

 

20. L’utilisation selon l’une ou l’autre des revendications 16 à 18, où l’anticorps est un anticorps humanisé ou un anticorps chimérique.

 

[31]      Si l’invention est réalisée sur un humain, il est clair d’après le mémoire descriptif et il serait évident pour la personne versée dans l’art que l’utilisation d’anticorps de souris dans de tels cas pose un problème secondaire en raison de la réaction immunitaire du corps humain aux anticorps étrangers. L’immunogénicité moindre des anticorps chimériques et humanisés est donc avantageuse pour le traitement thérapeutique continu d’un sujet humain afin de réduire au minimum une telle réponse immunitaire. Par conséquent, peu importe que les anticorps humanisés et chimériques mentionnés dans les revendications 5, 10, 15 et 20 soient considérés comme des éléments essentiels à la résolution du problème ou qu’ils soient considérés comme des réalisations préférentielles, il n’en demeure pas moins que la question centrale en l’espèce est celle de savoir si les anticorps humanisés sont décrits de façon exacte et complète, et réalisés.

 

[32]      Nous notons également que les revendications 5, 10, 15 et 20 englobent l’utilisation d’un gène d’anticorps humanisés. Compte tenu de la solution proposée, il est évident que les anticorps humanisés ne doivent pas se limiter à un seul en particulier ou à ces anticorps humanisés ayant une propriété particulière autre que la propriété attendue de l’immunogénicité réduite chez l’humain. À notre avis, la personne versée dans l’art comprendrait de la description à la page 6 que les anticorps liant tout épitope glypicane-3 conviendraient pour réaliser l’invention revendiquée.

 

[33]      Les principales questions sont celles de savoir si le mémoire descriptif est conforme aux alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi. Plus précisément : Les anticorps humanisés mentionnés seraient-ils décrits de façon exacte et complète? De plus, le mémoire descriptif permettrait-il à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention telle qu’elle est revendiquée sans faire preuve d’esprit inventif ni entreprendre une expérimentation excessive dans des circonstances où il n’existe aucune preuve que l’anticorps humanisé a été créé, et où l’information de séquençage des régions variables d’un anticorps anti-glypicane-3 n’est pas divulguée?

 

Décision du commissaire dans Re Sloan-Kettering Institute for Cancer Research (D.C. 1296)

[34]      Le raisonnement exprimé dans la décision finale indique que le refus est largement fondé sur les constatations et les conclusions de la D.C. 1296. Selon la décision finale, il est conclu dans la D.C. 1296 que, sur la base de l’absence d’information sur la séquence de la RDC et de nombreuses autres considérations factuelles, le mémoire descriptif dans ce cas ne décrit pas adéquatement la version humanisée de l’anticorps particulier en cause ni ne permet à la personne versée dans l’art de la réaliser. Toutefois, nous estimons que l’applicabilité générale de D.C. 1296 est limitée, et ce, pour au moins les raisons suivantes.

 

[35]      L’exigence relative au caractère réalisable énoncée à l’alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets suppose des décisions rattachées aux faits qui tiennent compte des CGC et des compétences ordinaires que détenait la personne versée dans l’art à la date de publication de la demande de brevet. Gardant cela à l’esprit, nous notons que la D.C. 1296 concerne une demande qui a été déposée le 14 décembre 1990, près de 12 ans avant la présente demande, et qu’à cette époque, l’humanisation d’anticorps monoclonaux murins n’était pas une étape routinière. Nous notons qu’il y a eu une évolution importante des CGC entre 1990 (la date pertinente de la D.C. 1296) et 2003 (la date pertinente en l’espèce).

 

[36]      L’évolution des CGC est un facteur important pour déterminer si la divulgation dans ce cas était suffisante à la date pertinente pour permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention telle que revendiquée sans avoir à faire preuve d’esprit inventif ni entreprendre une expérimentation excessive. Dans Whirlpool au paragraphe 74, le tribunal a affirmé que la personne versée dans l’art était considérée comme raisonnablement diligente au moment de se tenir au fait des progrès réalisés dans le domaine que concerne le brevet. Les « connaissances générales » des travailleurs qualifiés connaissent une évolution et un développement constants.

 

[37]      En ce qui concerne la question de savoir si le mémoire descriptif décrit « de façon exacte et complète » un anticorps humanisé tel que requis à l’alinéa 27(3)a) de la Loi, la D.C. 1296 laisse ouverte la possibilité qu’un anticorps humanisé puisse être décrit autrement qu’en fournissant les séquences d’acides aminés de la RDC (voir le paragraphe 62 de la D.C. 1296). Conformément au droit et aux pratiques d’autres compétences d’importance, la pratique d’examen au Canada relativement aux anticorps a également évoluée depuis la D.C. 1296. Par exemple, dans une décision antérieure du commissaire, il a été soutenu qu’un anticorps monoclonal de souris pouvait être adéquatement décrit par une référence à l’antigène auquel il se lie précisément, à condition que l’antigène ait été entièrement caractérisé (p. ex. en fournissant la séquence d’un acide aminée, voir la D.C. 1302 au paragraphe 68). Nous sommes d’avis que le même principe peut s’appliquer, par extension, aux anticorps humanisés.

 

[38]      À notre avis, la D.C. 1296 ne peut pas imposer une règle rigide selon laquelle l’information sur le séquençage de régions variables de certains anticorps humanisés doit être fournie pour décrire adéquatement et rendre réalisables les revendications mentionnant de façon plus générale les versions humanisées de divers anticorps murins qui pourraient se lier à divers épitopes du même antigène.

 

[39]      Au-delà d’une évolution des CGC, d’autres différences factuelles existent entre la D.C. 1296 et l’espèce. Plus particulièrement, nous observons que la D.C. 1296 concerne l’humanisation d’un anticorps monoclonal murin unique, ayant des propriétés de liaison uniques qui le rendent intéressant comme base d’un agent thérapeutique par rapport à d’autres anticorps murins reconnaissant le même antigène cible. Il est également pertinent de mentionner que l’anticorps humanisé envisagé se lie à un épitope particulier que l’on trouve dans un antigène mal caractérisé. Dans ce cas, l’antigène n’était pas aussi bien caractérisé qu’en l’espèce.

 

[40]      En revanche, les revendications en cause concernent des anticorps humanisés propres à un antigène entièrement caractérisé, comme solutions de rechange à d’autres types d’anticorps, lesquels ont été considérés dans la décision finale comme étant adéquatement décrits (par référence à l’antigène entièrement caractérisé). Par conséquent, pour réaliser l’invention revendiquée, il est évident pour la personne versée dans l’art que les anticorps humanisés ne doivent pas se limiter à un seul en particulier ou à ces anticorps humanisés ayant une propriété particulière autre que la propriété attendue de l’immunogénicité réduite chez l’humain.

 

Exigence relative au caractère réalisable suivant l’alinéa 27(3)b) de la Loi

[41]      Quant à la question de savoir s’il le mémoire descriptif permet de réaliser la production d’un anticorps propre au glypicane-3 humain entièrement caractérisé et connu, les pages 5 à 12 de la présente description fournissent une description détaillée des étapes généralement connues pouvant être suivies pour produire un anticorps anti-glypicane-3 monoclonal de souris, un anticorps anti-glypicane-3 monoclonal chimérique et un anticorps anti-glypicane-3 humanisé. La description divulgue également la production de deux anticorps monoclonaux de souris, désignés K6511 et K6534 qui présentent une cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante des anticorps (ADCC) et une cytotoxicité dépendante du complément (CDC).

 

[42]      Le demandeur a également fait valoir dans ses observations écrites que, au moins depuis 2002, les techniques de production d’anticorps humanisés sont bien établies, de sorte que la production d’anticorps humanisés était considérée comme « une étape de routine » par la personne versée dans l’art. À cet égard, le demandeur s’est appuyé sur plusieurs documents de référence (p. ex. divers brevets et sections d’ouvrages) pour établir l’état de la technique relativement à l’humanisation d’anticorps à la date de dépôt de la présente demande de brevet.

 

[43]      Selon la présente description et les observations du demandeur, nous sommes convaincus que l’état de la technique d’humanisation d’anticorps a évolué depuis les premiers rapports de production réussie d’anticorps humanisés, mais que les étapes générales de leur production demeurent essentiellement les mêmes :

 

i)        Produire et isoler une cellule d’hybridome qui peut sécréter un anticorps monoclonal propre à l’antigène cible.

 

ii)      Cloner les régions variables de l’anticorps monoclonal produit par l’hybridome et obtenir l’information de séquençage pour identifier les RDC.

 

iii)    Greffer les RDC dans les vecteurs d’expression appropriés en combinaison avec les échafaudages d’anticorps humains pour produire l’anticorps humanisé.

 

[44]      Ce qui a considérablement changé entre la date de publication de la demande en cause dans la D.C. 1296 et la date de publication en l’espèce est la mesure dans laquelle la production des anticorps monoclonaux humanisés est devenue routinière. Nous sommes convaincus que, à la date de publication de la présente demande en 2003, une personne versée dans l’art, ne disposant que du mémoire descriptif et commençant avec un antigène entièrement caractérisé, n’aurait pas à entreprendre une expérimentation excessive ni à faire preuve d’esprit inventif pour produire un anticorps humanisé propre au glypicane-3. Cette affirmation est corroborée par une compréhension du fait que de nombreux anticorps ont été humanisés avec succès avant 2002 (voir O’Brien et Jones, Humanising Antibodies by CDR Grafting, Antibody Engineering, 2001; pages 567 à 590, surtout la page 568).

 

Description exacte et complète au sens de l’alinéa 27(3)a) de la Loi

[45]      Quant à l’exigence relative à la description exacte et complète de l’invention au sens de l’alinéa 27(3)a) de la Loi sur les brevets, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire que le mémoire descriptif divulgue les RDC si les anticorps humanisés mentionnés dans les revendications sont adéquatement décrits en d’autres termes.

 

[46]      Comme il en a été question précédemment, dans la D.C. 1302, le commissaire a estimé qu’un anticorps monoclonal de souris était décrit de façon exacte et complète par référence à l’antigène auquel il se lie précisément, parce que l’antigène a été entièrement caractérisé (même si le mémoire descriptif ne fournir aucune preuve que l’anticorps monoclonal a été créé).

 

[47]      Nous croyons que le résultat dans la D.C. 1302 était au moins fondé sur la reconnaissance d’une relation structurelle directe et une identité fonctionnelle précise et significative entre l’antigène et l’anticorps correspondant. Une telle relation structurelle est unique à un anticorps et à l’antigène qui lui est propre lorsqu’exploitée pendant la préparation d’anticorps monoclonaux.

 

[48]      La différence clé entre les anticorps monoclonaux et leurs versions humanisées est la méthode de production; ils ne sont pas différents dans leurs régions de liaison critiques respectives parce que le processus d’humanisation préserve la relation structurelle avec l’antigène cible. Si la création d’anticorps humanisés à partir d’un antigène entièrement caractérisé était devenue une étape routinière à la date pertinente, nous sommes d’avis que le même raisonnement qui permet aux anticorps monoclonaux d’être adéquatement décrits par référence à l’antigène entièrement caractérisé auquel ils se lient précisément doit logiquement s’appliquer aussi pour satisfaire à l’exigence de description exacte et complète d’anticorps humanisés génériques.

 

[49]      En l’espèce, la portée des revendications relatives au polypeptide cible se limite à l’antigène glypicane-3 connu et entièrement caractérisé, et nous considérons que cela constitue une description exacte et complète des anticorps monoclonaux correspondants et, par extension, des dérivés humanisés.

 

[50]      Compte tenu de ce qui précède, nous estimons que le mémoire descriptif satisfait aux exigences énoncées aux alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi sur les brevets. Le mémoire descriptif décrit de façon exacte et complète l’invention comprise dans les revendications 5, 10, 15 et 20 refusées et permet à la personne versée dans l’art de produire les anticorps humanisés mentionnés afin de réaliser l’invention telle que revendiquée, sans faire preuve d’esprit inventif ni entreprendre une expérimentation excessive. Il s’ensuit de ces constatations que nous sommes également convaincus que les revendications 5, 10, 15 et 20 sont entièrement corroborées par la description et sont conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets.

 

Conclusion

[51]      D’après notre examen des faits de l’espèce, nous avons des motifs raisonnables de croire que la demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 


 

Recommandation

[52]      Pour les motifs énoncés ci-dessus, nous sommes d’avis que le refus n’est pas justifié sur la base des irrégularités énoncées dans l’avis de décision finale, et nous avons des motifs raisonnables de croire que la demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Nous recommandons que vous avisiez le demandeur, conformément au paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets.

 

 

 

 

 

Marcel Brisebois                        Ed MacLaurin                         T. Nessim Abu-Zahra

Membre                                      Membre                                   Membre

 


 

Décision

[53]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Conformément aux dispositions du paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, j’avise par les présentes le demandeur que le refus de la demande est annulé, que la demande a été considérée comme acceptable et que je demanderai à mes agents de publier un avis d’acceptation en temps et lieu.

 

 

 

 

Johanne Bélisle

Commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 10e jour de mai 2016

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