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Décision du commissaire no 1384

Commissioner’s Decision #1384

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : G00

TOPIC: G00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2 389 321

Application No: 2,389,321

 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DE LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 389 321 a fait l'objet d'une révision, conformément aux dispositions de l'alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission et la décision suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

Borden Ladner Gervais s.r.l.

World Exchange Plaza

1100, rue Queen

Ottawa (Ontario)

K1P 1J9


Introduction

[1]          La demande de brevet numéro 2 389 321 (ci-après la demande 321) intitulée « Peptides antigéniques de Neisseria » a été déposée le 30 octobre 2000 par Chiron S.P.A. et appartient actuellement à Novartis Vaccines and Diagnostics. La demande a été refusée dans une décision finale, parce que l'invention revendiquée était considérée comme dépourvue d’utilité.

[2]          Les modifications apportées par le demandeur et ses arguments en réponse à la décision finale n'ont pas été considérés comme convaincants; la demande 321 a donc été renvoyée à la Commission d'appel des brevets.

[3]          Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons que la demande 321 soit rejetée.

Contexte

[4]          Neisseria meningitidis est une bactérie qui peut causer la méningite, une inflammation des membranes qui recouvrent le cerveau et la moelle épinière. Plusieurs sérogroupes différents de Neisseria meningitidis ont été identifiés sur la base de différences structurelles dans le polysaccharide capsulaire. À la date de dépôt de la demande 321, des vaccins polysaccharidiques efficaces avaient été mis au point contre certains sérogroupes, mais pas contre le sérogroupe B (méningite B, ci-après « menB »). Les vaccins à base de polysaccharides ne sont pas efficaces contre menB parce que le polysaccharide du menB est identique à un polysaccharide humain et est donc faiblement immunogène. Par conséquent, menB demeure une importante cause de morbidité et de mortalité.

[5]          La demande 321 porte sur l'identification de nouveaux antigènes du menB par un séquençage à grande échelle du génome du menB. Ces travaux sont centrés sur l'identification de nouveaux antigènes du menB qui pourraient faire partie d'un éventuel vaccin.

Historique de la procédure

[6]          La décision finale a été rédigée le 8 avril 2013. Le 23 septembre 2013, en réponse à cette décision, le demandeur a soumis un ensemble de revendications modifiées contenant huit revendications (les revendications au dossier) ainsi que des observations écrites. Il n'a pas été conclu que les revendications modifiées corrigeaient les irrégularités soulevées dans la décision finale. Par conséquent, le 15 janvier 2014, le dossier a été transféré, de pair avec un résumé des motifs, à la Commission d'appel des brevets. Le 31 janvier 2014, le comité de révision a fourni au demandeur le résumé des motifs. Le demandeur a produit d'autres observations écrites en guise de réponse le 14 avril 2014.

[7]          Au terme d'un premier examen du dossier, une lettre a été envoyée au demandeur le 23 juillet 2014 résumant les premières observations du comité de révision. Dans cette lettre, d'autres irrégularités sont soulevées en ce qui concerne la clarté des revendications 7 et 8 et le chevauchement de toutes les revendications au dossier et des revendications de la demande canadienne 2 650 642 en coinstance. On a aussi demandé au demandeur de préciser si les revendications 3 et 6, qui portent sur les compositions pharmaceutiques, promettent une utilité thérapeutique.

[8]          Le 22 septembre 2014, en réponse à la lettre du comité de révision, le demandeur a soumis des modifications proposées aux revendications au dossier, des plaidoyers écrits et d'autres documents à l'appui de sa perception des connaissances générales courantes (CGC) de la personne versée dans l'art.

[9]          Le 4 novembre 2014, le comité de révision a envoyé une deuxième lettre au demandeur, l'informant de deux autres documents considérés comme faisant partie des CGC et l'invitant à commenter sur la pertinence de ces documents. Le 17 novembre 2014, le demandeur a fourni des commentaires et a soumis plusieurs autres documents qu'il considère comme propres aux CGC.

[10]      Une audience a été tenue le 18 novembre 2014. À la suite de l'audience, le 2 décembre 2014, le demandeur a produit d'autres revendications proposées, des arguments et plusieurs autres documents relatifs aux CGC.

Revendications proposées

[11]      Comme il a été mentionné précédemment, à la suite d'un premier examen, dans la lettre du 23 juillet 2014, le comité de révision a demandé au demandeur d'aborder les revendications 3 et 6 portant sur l'utilité promise de la composition pharmaceutique et a relevé une irrégularité concernant la clarté des revendications 7 et 8. Le comité de révision a fait valoir que les revendications 7 et 8 n'étaient pas claires, car elles portent sur les polypeptides de 100 acides aminés ou moins, alors que les revendications 1 et 4 desquelles elles dépendent se limitent aux polypeptides de 21 acides aminés ou moins. Dans la réponse du demandeur datée du 22 septembre 2014, aucun argument n'est fourni pour aborder le manque d'utilité des revendications 3 et 6 ou le manque de clarté des revendications 7 et 8. Le demandeur propose plutôt de supprimer ces revendications. Il en découle donc les revendications proposées 1 à 4, lesquelles sont identiques aux revendications 1, 2, 4 et 5 au dossier.

[12]      Comme le demandeur n'a pas contesté le fait que les revendications 7 et 8 ne sont pas claires (et propose plutôt de les retirer), nous sommes d'avis qu'au vu de leur incompatibilité avec les revendications desquelles elles dépendent, ces revendications ne sont pas conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[13]      Comme le demandeur n'a pas répondu à nos questions sur le manque d'utilité des revendications 3 et 6 et compte tenu de notre conclusion ci-dessous concernant l'utilité des autres revendications, qui contiennent un plus faible seuil d'utilité promise, nous sommes d'avis que les revendications 3 et 6 sont dépourvues d’utilité et sont non conformes à la Loi sur les brevets.

[14]      Dans la lettre du comité de révision datée du 23 juillet 2014, il est indiqué que les revendications au dossier chevauchent les revendications de la demande 2 650 642 en coinstance. Dans sa réponse du 22 septembre 2014, le demandeur a informé le comité de révision que les revendications de la demande en coinstance avaient été modifiées afin d'éviter le chevauchement. Le comité de révision est d'avis que cette modification apportée à la demande en coinstance était suffisante pour éliminer le chevauchement avec les revendications au dossier.

[15]      À l'audience, le demandeur a indiqué qu'il souhaiterait peut-être produire d'autres observations pour aborder les questions soulevées pendant l'audience. Après l'audience, le 19 novembre 2014, une lettre a été envoyée au demandeur l'invitant à produire ces observations et lui indiquant que s’il souhaite produire de nouvelles revendications, il doit s'assurer que : i) il existe un lien clair entre toute nouvelle revendication proposée et l'une des revendications au dossier; et ii) les nouvelles revendications n'introduisent pas de nouvelles irrégularités ni ne réintroduisent des irrégularités qui ont été corrigées à l'aide des revendications proposées soumises le 22 septembre 2014.

[16]      Le demandeur a produit des commentaires écrits le 2 décembre 2014 et a proposé 5 nouvelles revendications. Contrairement aux directives du comité de révision énoncées ci-dessus, ces revendications proposées ne correspondent pas toutes aux revendications au dossier, et des irrégularités précédemment corrigées ont été réintroduites. Plus précisément, la revendication 5 ne correspond à aucune des revendications au dossier, car elle porte sur un polypeptide comprenant une séquence ayant seulement 85 % d'identité avec SEQ ID NO 11067 (le troisième polypeptide revendiqué) alors que les revendications au dossier sont définies comme ayant 95 % d'identité avec ladite séquence. En outre, les revendications proposées 1 à 4 ont été élargies dans la mesure où elles chevauchent encore les revendications de la demande 2 650 642 en coinstance.

[17]      Comme ces modifications aux revendications proposées effectuées après l'audience ne correspondent pas aux revendications précédentes versées au dossier, et qu'elles réintroduisent des irrégularités qui avaient été corrigées par la suppression des revendications précédemment proposées, elles ne sont pas considérées comme « nécessaires » au titre de l'article 30(6.3) des Règles sur les brevets et ne seront donc pas prises en considération aux étapes ultérieures. Néanmoins, compte tenu de la conclusion ci-dessous selon laquelle les revendications au dossier sont dépourvues d’utilité, comme ces revendications proposées plus générales auraient eu la même utilité que celles au dossier, elles auraient aussi été considérées comme dépourvues d’utilité.

[18]      Bref, la seule question à trancher est celle qui concerne l'utilité des revendications 1, 2, 4 et 5 des revendications au dossier. Ce sont ces revendications qui font l'objet de l'analyse qui suit. Comme les revendications proposées 1 à 4 sont identiques aux revendications 1, 2, 4 et 5 au dossier, elles ne nécessitent pas d'analyse distincte.

Problème

[19]      La présente révision porte sur la question suivante :

  Les revendications 1, 2, 4 et 5 sont-elles dépourvues d'utilité?

Principes juridiques

Interprétation des revendications

[20]      L'interprétation téléologique est un exercice d'interprétation visant à déterminer la signification et la portée des revendications. L’interprétation des revendications précède l’examen des questions de validité : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au paragraphe 43 [« Whirlpool »]. L'interprétation téléologique nécessite aussi que les revendications soient interprétées du point de vue de la personne versée dans l'art, laquelle possède les connaissances générales courantes associées à cet art : Whirlpool au paragraphe 53. L'interprétation est fondée sur le mémoire descriptif du brevet lui-même, sans recourir à des preuves extrinsèques : Free World Trust c Electro Sante Inc, 2000 CSC au paragraphe 66 [« Free World Trust »]. De plus, il y a lieu de recourir à la divulgation pour avoir un aperçu de la signification d’un terme ou d’une expression. Pendant l'interprétation téléologique, on détermine si les éléments de l'invention revendiquée sont indiqués comme essentiels ou non essentiels : Free World Trust au paragraphe 31. Un élément est considéré comme non essentiel si, suivant une interprétation téléologique, le destinataire versé dans l'art concevrait l'élément de la revendication comme pouvant être omis ou substitué sans avoir d'incidence importante sur le fonctionnement de l'invention : Free World Trust au paragraphe 55. Selon l'énoncé de pratique intitulé « Pratique d'examen au sujet de l'interprétation téléologique – PN2013-02 », les éléments essentiels d'une revendication sont ceux qui contribuent à la solution proposée au problème exposé dans la demande.

Utilité

[21]      L'article 2 de la Loi sur les brevets exige qu'il y ait utilité. On y définit une invention brevetable comme suit :

Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[22]      Dans Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd, [1981] 1 SCR 504, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la signification du terme « utile » dans la définition d'une invention brevetable énoncée à l'article 2. . . La Cour a confirmé qu'une demande peut être considérée comme dépourvue d'utilité si [traduction] « l'invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu'elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu'elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu'elle fera » (citation de Halsbury’s Laws of England, (3e ed.), vol. 29, p. 59). Les tribunaux se sont donc ensuite penchés sur « la promesse du brevet ».

[23]      Il a été question de la promesse du brevet dans Apotex Inc c Sanofi-Aventis Canada Inc 2013 CAF 186 [« Plavix FCA »], où la Cour a mentionné que la détermination de la norme en regard de laquelle l'utilité sera mesurée :

[...] oblige la Cour à interpréter le brevet de manière à rechercher si la personne versée dans l’art conclurait qu’il promet explicitement que l’invention produira un résultat spécifique. Si tel est le cas, l’inventeur aura tenu sa promesse. Si aucun résultat spécifique n’est explicitement promis, la moindre parcelle d’utilité suffira.

[24]      La nature d'une promesse explicite a été précisée dans Apotex Inc c Pfizer Canada Inc 2014 CAF 250 au paragraphe 67 : « il ne suffit pas de qualifier la promesse "d'explicite" si cette promesse ne peut être étayée que par des déductions équivoques ou des indications ambiguës (Plavix CAF, aux paragraphes 64 à 66). »

[25]      Dans AstraZeneca Canada Inc c Apotex 2014 FC 638, confirmée par 2015 CAF 158 [“AstraZeneca”], aux paragraphes 96 à 99, la Cour a déterminé que la promesse d'utilité d'un composé doit être liée à la manière dont le brevet sera ultimement utilisé plutôt qu'à une propriété de ce composé :
[traduction]

[97] ... Il convient de rappeler que la promesse du brevet concerne l’utilité du brevet. Par conséquent, la promesse doit être liée à la façon dont le brevet sera ultimement utilisé (en supposant que l’on exprime clairement une promesse, ce dont les deux experts conviennent). En l’espèce, le composé visé par le brevet n’est pas utile parce qu’il possède la propriété chimique de résister à la racémisation : il est utile en tant que médicament à des fins thérapeutiques. La stabilité contre la racémisation rend une telle utilisation possible et ne constitue pas une utilisation en soi.

[99] Avant de clore la discussion concernant ce point, je souligne que, dans l’affaire AC Nexium , le juge Hughes fait la même observation en ce qui concerne le brevet 653 :

[traduction] Il est important de bien distinguer l’utilité promise par le brevet – « un profil thérapeutique amélioré, par exemple une variation interindividuelle moins importante » – et la propriété grâce à laquelle cela devient possible « une grande stabilité contre la racémisation » (AC Nexium, au paragraphe 84; souligné dans l’original).

[26]      Une invention revendiquée doit être utile sur la base de son utilité démontrée ou prédite de manière valable : Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 (« AZT »). Dès qu'une invention revendiquée n'est pas fondée sur une utilité démontrée, il devient nécessaire de déterminer si l'utilité fait l'objet d'une prédiction valable.

[27]      Comme il a été souligné dans AZT, pour une prédiction valable de l'utilité, il faut satisfaire à trois critères :

1)             la prédiction doit avoir un fondement factuel;

2)             il doit y avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

3)             il doit y avoir divulgation suffisante.

Interprétation téléologique des revendications

La personne versée dans l’art

[28]      La demande 321 est centrée sur l'identification, par un séquençage génomique, de nouvelles protéines de Neisseria qui pourraient être utiles pour diagnostiquer, traiter ou prévenir une infection au Neisseria meningitides. La personne versée dans l'art a donc de l'expérience relativement au séquençage de génomes bactériens, à l'identification de protéines potentielles codant les séquences dans lesdits génomes et à la recherche de nouvelles méthodes pour diagnostiquer, traiter ou prévenir les infections bactériennes.

Les CGC de la personne versée dans l’art

[29]      Les paragraphes suivants énoncent les grandes lignes de ce qu'étaient les CGC de la personne versée dans l'art au moment où la demande 321 a été déposée.

[30]      De nouvelles protéines peuvent être identifiées à partir des données d'une séquence génomique, grâce à une recherche de cadres de lecture ouverts (ORF); il s'agit de séquences d'ADN qui s'étendent d'un codon de départ jusqu'à un codon de fin. Une fois que l'on a confirmé qu'un ORF code pour une protéine, on l'appelle un gène.

[31]      Dans le cas des bactéries, la plupart des ORF de plus de 300 nucléotides codent pour les protéines (Alimi et al. Genome Research, 2000 juillet; 10(7), pages 959 à 966, fourni par le demandeur avec sa correspondance du 2 décembre 2014). En outre, un ORF bactérien qui est hautement conservé entre des espèces ou entre différents sous-types d'une espèce est plus susceptible d'être un gène, car la possibilité qu'un ORF qui ne code pas pour une protéine soit conservé pendant l'évolution est faible.

[32]      Les protéines exposées à la surface potentielles peuvent être détectées par la recherche d'une séquence d'un peptide signal dans un ORF ((Pugsley, Microbio. Rev. 1993 p. 53 : 959 à 966, fourni par le demandeur avec sa correspondance du 22 septembre 2014). Des peptides signaux bactériens se trouvent à une extrémité de la protéine (N-terminal) et possèdent une structure hautement conservée (Pugsley, p. 53).

[33]      La personne versée dans l'art sait également que les polypeptides et les protéines sont tous deux composés de chaînes d'acides aminés. Les chaînes de polypeptides sont généralement plus courtes que celles des protéines. Les protéines et les polypeptides sont généralement antigéniques, car ils peuvent agir comme antigènes en induisant une réaction immune lorsqu'injectés dans un animal hôte, à condition que la protéine ou le polypeptide soit étranger à cet hôte. Les réactions immunes induites par une protéine ou un polypeptide peuvent comprendre la production d'anticorps qui lient précisément ladite protéine ou ledit polypeptide.

[34]      Les déterminants antigéniques, également appelés épitopes, sont les petites régions dans une protéine ou un polypeptide qui sont précisément reconnues par des anticorps ou d'autres éléments du système immunitaire et qui induisent la production desdits anticorps. Ce ne sont pas toutes les régions d'une protéine qui sont également capables de former des déterminants antigéniques. Les protéines sont des structures tridimensionnelles pliées de façon complexe, certains des composés d'acides aminés étant enfouis profondément dans la structure, et d'autres étant exposés à la surface. Ce sont les régions exposées à la surface qui contiennent les déterminants antigéniques qui se lient aux anticorps.

[35]      Les fragments de polypeptides qui contiennent un déterminant antigénique d'une protéine peuvent induire la production d'anticorps qui réagiront de façon croisée avec cette protéine (page 1, colonne de droite, dernier paragraphe de Van Regenmortel et Pellequer, Peptide Research, 1994; 7(4): 224-8, dont il est question ci-dessous au paragraphe 61 et fourni au comité de révision dans la correspondance du 4 novembre 2014). En revanche, ces fragments peuvent aussi se lier à certains anticorps induits par la protéine elle-même.

[36]      Plusieurs algorithmes différents peuvent servir à prédire quelles régions d'une protéine sont considérées comme plus susceptibles de contenir des déterminants antigéniques (voir les pages 34 et 35 de la description). Ces algorithmes, et les différences d'opinions qui existaient concernant la fiabilité de leurs prédictions à la date de dépôt, forment une partie essentielle de l'analyse de l'utilité et feront l'objet d'une discussion en détail plus loin.

Le problème et la solution apportée par l'invention

[37]      Comme il a été mentionné précédemment, au moment de la production de la demande, aucune protéine menB n'était connue comme étant capable de générer un vaccin efficace. Par conséquent, il était nécessaire d'identifier de nouvelles protéines menB. Au moment de la production de la demande 321, la technologie qui permettait le séquençage rapide de génomes complets était relativement nouvelle. Le demandeur a employé cette technologie pour séquencer de grandes portions du génome du menB (ainsi que de grandes portions des génomes du menA de la Neisseria gonnoroheae connexe). Une partie importante des données de séquence a été obtenue et plus de 2 000 ORF, chacun représentant une protéine nouvelle potentielle, ont été identifiés. Ces données sont incluses dans les demandes de brevet internationales WO9957280 et WO0022430 (publiées moins d'un an avant la demande 321 et ci-après appelées les « demandes internationales »).

[38]      Dans la demande 321, il est déclaré que [traduction] « l'invention fournit des fragments de protéines divulgués dans les demandes de brevet internationales WO99/57280 et WO00/22430… ces fragments contenant au moins un déterminant antigénique » (page 1, avant dernier paragraphe). Ces fragments ont été identifiés à l'aide des algorithmes de prédiction de l'épitope mentionnés précédemment au paragraphe 36. Par conséquent, la personne versée dans l'art comprendrait que le problème que résout la demande 321 est le suivant :

         La nécessité de fournir des fragments de nouvelles protéines menB qui comprennent au moins un déterminant antigénique.

[39]      La demande 321 relève plus de 37 000 fragments de polypeptides différents qui, selon ce qui est prédit, contiennent des déterminants antigéniques de plus de 2 000 ORF du menB identifiés dans les demandes internationales antérieurement déposées. Au cours de la procédure, les revendications ont été précisées de manière à n'inclure qu'un seul fragment d'un seul ORF. Le fragment actuellement revendiqué est défini par SEQ IQ NO 11076. C'est l'un des 33 fragments prédits, à l'aide d'au moins 1 algorithme distinct sur 3, à partir d'un ORF relevé dans WO9957280 (voir les pages 1205 à 1207) appelé aux présentes l'ORF 741. La personne versée dans l'art comprendrait donc la solution fournie par l'invention revendiquée.

         L'identification du fragment défini par SEQ IQ NO 11076, qui comprend un déterminant antigénique prédit de l'éventuelle protéine menB définie par l'ORF 741.

Les revendications interprétées de manière téléologique

[40]     Les revendications 1, 2, 4 et 5 se lisent comme suit :

 

1.       Un polypeptide recombinant contenant un épitope antigénique de la Neisseria et ayant une identité avec SEQ ID NO 11076 d'au moins 95 %, où SEQ ID NO : 11706 et ledit polypeptide recombinant comprend un déterminant antigénique de la Neisseria.

2.       Le polypeptide recombinant de la revendication 1 comprend la séquence d'acides aminés SEQ ID NO 11076.

4.       Un polypeptide purifié contenant un épitope antigénique de la Neisseria et ayant une identité avec SEQ ID NO 11076 d'au moins 95 %, où SEQ ID NO : 11706 et ledit polypeptide purifié comprend un déterminant antigénique de la Neisseria.

5.       Le polypeptide purifié de la revendication 4 comprend la séquence d'acides aminés SEQ ID NO 11076.

[41]     Ces revendications visent soit un polypeptide recombinant (revendications 1 et 2), soit un polypeptide purifié (revendications 4 et 5). La personne versée dans l'art comprendrait qu'un polypeptide recombinant est simplement un polypeptide qui est produit en laboratoire à l'aide de techniques de clonage moléculaire bien connues, alors qu'un polypeptide purifié est celui qui est extrait ou isolé de cellules ou de tissus qui l'expriment. Il n'y a aucune différence dans la structure d'acides aminés d'un polypeptide recombinant et d'un polypeptide purifié lorsqu'ils sont tous deux définis par la même séquence, comme c'est le cas dans les revendications 1, 2, 4 et 5.

[42]     Les revendications 1 et 4 se limitent aux polypeptides « ayant une identité avec SEQ ID NO 11076 d'au moins 95 % ». L'identité en pourcentage d'une séquence de polypeptide donnée avec SEQ ID NO 11076 est déterminée par l'examen du nombre de différences dans les acides aminés entre les deux séquences. Tout acide aminé supprimé ou ajouté est considéré comme une différence. SEQ ID NO 11076 a une longueur de 20 acides aminés. Un polypeptide de 20 acides aminés de long et contenant une différence par rapport à SEQ ID NO 11076 serait identique à 95 % (19/20 = 95 %), l'ajout d'une autre différence ferait chuter la valeur de l'identité en deçà de 95 %. Un polypeptide de 21 acides aminés de long, et dont la seule différence par rapport à SEQ ID NO 11076 est l'acide aminé supplémentaire, serait identique à 95,2 % (20/21 = 95,2 %). L'ajout d'autres acides aminés ferait baisser la valeur de l'identité sous les 95 %. De la même façon, un polypeptide de 19 acides aminés serait identique à 95 %, mais si l'on enlève un seul acide aminé, la valeur de l'identité tomberait sous les 95 %. Pour ces raisons, les polypeptides compris dans les revendications 1 et 4 doivent avoir une longueur d'au moins 19 acides aminés et d'au plus 21 acides aminés.

[43]     Les revendications 1 et 4 utilisent les termes « épitope antigénique » et « déterminant antigénique ». La personne versée dans l'art considérerait ces termes comme des équivalents. Comme il a été mentionné précédemment au paragraphe 34, les termes « épitope » et « déterminant antigénique » sont utilisés de manière interchangeable dans l'art. L'ajout du terme « antigénique » à « épitope » ne change pas sa signification puisque tout épitope est considéré comme antigénique.

[44]      Les revendications 1 et 4 indiquent que le polypeptide revendiqué comprend un « déterminant antigénique de la Neisseria ». D'après les CGC résumées ci-dessus aux paragraphes 34 et 35, la personne versée dans l'art comprendrait que cela signifie que le polypeptide revendiqué possède un déterminant antigénique d'une protéine de la bactérie Neisseria, et pour cette raison, il est possible qu'il soit capable d'induire la production d'anticorps, et de se lier à ceux-ci, contre cette protéine de la Neisseria.

[45]     Selon le comité de révision, la personne versée dans l'art considérerait les éléments suivants comme étant essentiels à la solution du problème relevé dans la demande 321 en ce qui a trait aux revendications 1 et 4;

  un polypeptide dont l'identité avec SEQ ID NO 11076 est de 95 % et

  comportant un épitope antigénique de la Neisseria.

[46]     Les revendications dépendantes 2 et 5 sont centrées de façon plus restreinte sur le polypeptide défini par SEQ ID NO 11076 plutôt que sur un polypeptide dont l'identité avec cette séquence est de 95 %. Par conséquent, ces revendications visent un polypeptide qui présente les caractéristiques suivantes :

               un polypeptide dont l'identité avec SEQ ID NO 11076 est de 100 %

               comportant un épitope antigénique de la Neisseria.

Quelle est la promesse du brevet?

 

[47]     Bien que le problème et la solution, comme il en a été question précédemment aux paragraphes 37 à 39, soient liés à la recherche d'un nouvel agent thérapeutique (c.-à-d. un vaccin) contre la menB, le demandeur peut seulement être tenu à cette utilité s’il l'a explicitement promis. À notre avis, la personne versée dans l'art ne trouverait pas de promesse explicite d'utilité thérapeutique dans les revendications 1, 2, 4 et 5. Pareillement, aucune promesse explicite d'utilité thérapeutique n'est faite dans la description. Une discussion générale sur les modes de réalisations possibles aux pages 2 à 4 de la description est reflétée dans la déclaration selon laquelle les polypeptides « peuvent convenir en tant que vaccins, par exemple, ou comme réactif de diagnostic, ou en tant que compositions immunogènes » (page 3, avant dernier paragraphe, non souligné dans l'original). Comme les utilisations sont toutes présentées comme d'autres modes de réalisations possibles, et puisque le terme « peuvent » est utilisé, la personne versée dans l'art ne considérerait pas ces utilisations comme des promesses explicites d'une utilité thérapeutique ou de toute autre utilité.

[48]      À notre avis, conformément au libellé de la revendication, la personne versée dans l'art interpréterait les revendications comme promettant explicitement que le polypeptide comprend « un déterminant antigénique de la Neisseria » (non souligné dans l'original). Comme il a été mentionné plus tôt au paragraphe 44, pour la personne versée dans l'art, cette expression signifie que le polypeptide revendiqué comprend un déterminant antigénique d'une protéine de la Neisseria et serait donc capables de générer des anticorps qui réagiraient de façon croisée avec ladite protéine de la Neisseria, ainsi qu'avec des anticorps générés par ladite protéine de la Neisseria.

[49]     Le demandeur a fait valoir que l'utilité promise repose simplement sur le fait que le polypeptide revendiqué est antigénique. Par exemple, dans la correspondance du 17 novembre 2014, le demandeur affirme que [traduction] « l'utilité promise est que le peptide est antigénique, c.-à-d. capable d'être lié par un anticorps » (voir la correspondance à la page 1, 2e paragraphe). Cependant, nous estimons que ce point de vue n'est pas compatible avec le libellé de la revendication, qui ne se limite pas à dire qu'il est simplement antigénique, mais qui énonce clairement que le polypeptide revendiqué comprend « un déterminant antigénique de la Neisseria ».

[50]      Bien que le libellé de la revendication promette un polypeptide comprenant un déterminant antigénique d'une protéine de la Neisseria, une simple promesse d'antigénicité ne nécessiterait aucun lien avec une protéine de la Neisseria et donc, ne serait pas reliée à l'utilisation finale (AstraZeneca, supra). Bref, la promesse proposée du demandeur coupe effectivement le lien entre le polypeptide revendiqué et tout emploi lié à la bactérie Neisseria.

[51]     À notre avis, l'antigénicité, en tant que propriété inhérente de presque toutes les protéines et polypeptides, ne peut définir l'utilité d'une protéine ou d'un polypeptide. Comme c'était le cas dans AstraZeneca (voir le paragraphe 25 ci-dessus), l'utilité promise d'un brevet doit être liée à la manière dont le brevet sera ultimement utilisé et non à une propriété particulière qui rend possible l'utilisation finale. Si l'exigence en matière d'utilité peut être satisfaite pour les protéines ou les polypeptides au moyen seulement d'une propriété inhérente et non spécifique d'antigénicité, alors presque toutes les protéines et les polypeptides seraient utiles. Inversement, aucune protéine ni aucun polypeptide ou presque ne seraient considérés comme dépourvus d'utilité.

[52]     Nous concluons que la personne versée dans l'art trouverait une promesse explicite dans les revendications, soit que le polypeptide comprend un déterminant antigénique d'une protéine de la Neisseria. La personne versée dans l'art reconnaîtrait que la protéine de la Neisseria, de laquelle provient le déterminant antigénique, est la protéine prédite et définie par l'ORF 741, puisque la séquence de polypeptide SEQ ID 11076 revendiquée est un fragment extrait directement de cette protéine prédite.

L'invention revendiquée est-elle dépourvue d'utilité?

[53]     Le polypeptide revendiqué était prédit sur la base d'algorithmes qui feront l'objet d'une discussion ci-dessous. Il n'y a aucune preuve indiquant que des tests ont été effectués pour vérifier la prédiction avant la date de dépôt. Ainsi, comme l'utilité promise n'a pas été démontrée, le demandeur doit s'appuyer sur une prédiction valable pour satisfaire à l'exigence relative à l'utilité. L'utilité sera établie si la personne versée dans l'art, à la lecture de la description, est convaincue que la prédiction est valable. Comme il en a été question précédemment, la Cour suprême du Canada a précisé qu'une prédiction valable nécessite un fondement factuel, un raisonnement clair et valable ainsi qu'une divulgation suffisante.

Le fondement factuel

[54]      La personne versée dans l'art identifierait les faits suivants comme ayant été établis dans la demande 321 :

         menB est une bactérie pathogène qui cause la méningite (page 1, 2e paragraphe)

         Le fragment revendiqué défini par SEQ IQ NO 11076 est un fragment d'une séquence de protéine prédite définie par un ORF qui a été nommé « 741 » dans la demande internationale WO9957280 (pages 291 et 292).

         L'ORF 741 est une séquence d'ADN identifiée à partir de menB, dont la longueur est de 825 nucléotides et qui contient une séquence de peptide signal prédite immédiatement après le codon de départ (page 1205 de la demande internationale WO9957280).

         La séquence de la protéine pleine longueur prédite, définie par l'ORF 741, est hautement conservée entre menB et menA (95,6 % d'identité) et modérément conservée entre menB et Neisseria gonorrhoea (61,4 % d'identité) (pages 1206 et 1207 de la demande internationale WO9957280).

         La séquence du fragment de polypeptide revendiqué (SEQ ID NO 11076) de l'ORF 741 présente une identité de 95 % entre menB et menA, et de 85 % entre menB et Neisseria gonorrhoea (d'après les comparaisons de séquences entres les acides aminés 192-211 d'un 741.pep aux pages 1206 et 1207 de WO9957280).

Raisonnement clair et valable

[55]      Comme il a été mentionné précédemment, l'ORF 741 représente une protéine de la Neisseria prédite. Pour qu'il y ait raisonnement clair et valable, la personne versée dans l'art doit d'abord avoir un raisonnement clair et valable basé sur le fondement factuel susmentionné, indiquant que l'ORF 741 est un véritable gène codant pour une véritable protéine de la Neisseria. Elle doit aussi avoir un raisonnement clair et valable indiquant que le polypeptide revendiqué défini par SEQ ID NO 11076 comprend un déterminant antigénique de cette protéine de la Neisseria.

[56]      Comme il a été mentionné précédemment au paragraphe 31, le fait que les ORF bactériens de plus de 300 nucléotides ou qui sont conservés entre les espèces ou les sous-types sont susceptibles de coder une protéine relève des CGC. Le fait que l'ORF 741 compte plus de 300 nucléotides et qu'il est conservé entre menB, menA et Neisseria gonorrhoea indique à la personne versée dans l'art qu'il code probablement une protéine.

[57]      De plus, la présence d'une séquence de peptide signal, immédiatement après le codon de départ, serait perçue par la personne versée dans l'art comme un autre facteur augmentant la probabilité que l'ORF 741 code une protéine. Dans une séquence non codante, il est peu probable que la chance explique la localisation d'une séquence de peptide signal dans un ORF. Il serait encore moins probable qu'on l'ait trouvé aléatoirement, à l'emplacement précis où elle doit être, immédiatement après le codon de début, de façon qu'on puisse la trouver dans le N-terminal de la protéine codée.

[58]      Étant donné la longueur de l'ORF 741, son fort niveau de conservation dans la bactérie Neisseria et la présence d'un peptide signal dans la région codante N-terminal, nous concluons que la personne versée dans l'art déduirait raisonnablement qu'il s'agit d'un gène codant une protéine de la Neisseria, que nous appellerons maintenant « la protéine 741 ».

[59]      Passons à la deuxième prédiction, soit que SEQ ID NO 11076 comprend un déterminant antigénique de cette protéine de la Neisseria; dans la décision finale, il est soutenu qu'une prédiction d'utilité fondée sur des algorithmes de prédiction d'antigénicité pouvait être valable. Le demandeur a fait valoir que les résultats des algorithmes sont plutôt une certitude qu'une prédiction. Par exemple, le demandeur affirme que [traduction] « il ne fait aucun doute que ces prédictions étaient exactes et que la protéine m741 était en effet un antigène exposé à la surface » (correspondance du 22 septembre 2014, page 2). Cependant, le libellé de la description en soi confirme que ces algorithmes sont des outils de prédiction. À la page 34 de la description, il est indiqué ceci : [traduction] « les séquences de protéines divulguées dans les demandes internationales ont entre autres fait l'objet d'une analyse informatique afin de prédire les fragments de peptides antigènes contenus dans les protéines pleine longueur (non souligné dans l'original). À la page 35, l'algorithme de Jameson et Wolf est décrit comme [traduction] « un nouvel algorithme pour prédire les déterminants antigéniques » et l'algorithme de Hopp et Woods est décrit comme un outil pour [traduction] « la prédiction des déterminants antigéniques de la protéine à partir de séquences d'acides aminés » (non souligné dans l'original pour les deux cas). Ces deux méthodes ont indépendamment prédit SEQ ID NO 11076 et la description indique que les fragments qui sont prédits par plus d'un algorithme de prédiction d'antigénicité sont privilégiés (page 35).

[60]      Il est donc nécessaire de considérer la valeur prédictive des algorithmes de prédiction d'antigénicité utilisés. En réponse à la décision finale, le demandeur a produit une référence de Hopp (Peptide Research, 1993, 6(4): 183-90 « Hopp »), un article de synthèse rédigé par l'un des chercheurs qui fut le premier à mettre au point l'algorithme de Hopp et Woods. Le demandeur affirme que Hopp [traduction] « conclut que la méthode fonctionne bien » (correspondance du 23 septembre 2013, page 2). Cette référence explique que l'algorithme de Hopp et Woods fonctionne par l'identification des régions d'une protéine qui sont les plus hydrophiles et donc les plus susceptibles d'être exposées à la surface externe de la structure tridimensionnelle des protéines. Hopp défend l'algorithme de Hopp et Woods contre sept articles précédemment publiés dans lesquels soit on conclut que l'algorithme n'est pas fiable, soit on décrit des méthodes de prédiction des déterminants antigéniques qui fonctionnent mieux (page 185). Le tableau 1 contient les résultats de Hopp et montre que les 3 premières prédictions issues de l'algorithme de Hopp et Woods sont effectivement des déterminants antigéniques, à 84 % du temps (Hopp, page 184).

[61]      Dans la correspondance du 4 novembre 2014, le comité de révision a porté à l'attention du demandeur les deux références suivantes :

D1: Van Regenmortel et Pellequer, Peptide Research, 1994; 7(4): 224-8

D2: Pellequer et al, Methods in Enzymology, 1991; 203: 176-201.

[62]      D1 critique les algorithmes de prédiction des antigènes de façon générale, et critique plus précisément l'algorithme de Hopp et Woods, ainsi que les données sur précision de cette méthode et 21 autres algorithmes. La précision de l'algorithme de Hopp et Woods calculée à partir de ces données est de seulement 53 %. L'algorithme de Jameson et Wolf est en fait un indice composite de 5 algorithmes différents et la précision calculée pour chacun varie de 50 % à 62 %.

[63]      D2 est une publication du même groupe de recherche que D1 et présente un résumé semblable de la précision en termes de prédiction de 22 algorithmes différents pour la prédiction des déterminants antigéniques, la méthode de Hopp et Woods étant exacte à 51 % et celle de Jameson et Wolf entre 48 % et 58 % (tableau VII, page 200).

[64]      Il serait évident pour la personne versée dans l'art qui lit Hopp, D1 et D2 que les CGC relatives aux algorithmes de prédiction de l'antigénicité sont discutables et fragiles. D1 est une critique directe de Hopp, alors que Hopp se défend dans son propre article contre les critiques de la méthode Hopp et Woods publiée en D2 et dans d'autres documents (Hopp, page 185, colonne de gauche).

[65]      Dans sa réponse du 17 novembre 2014, le demandeur fournit des arguments pour répondre aux conclusions et aux données de D1 et D2 (pages 7 à 10 de la réponse). Essentiellement, le demandeur soutient que la méthode utilisée par D1 et D2 pour évaluer la précision des algorithmes était incorrecte et fondée sur des données incomplètes.

[66]      Pour évaluer la précision, D1 et D2, ainsi que Hopp, ont analysé la capacité des algorithmes à prédire correctement des déterminants antigéniques déjà validés dans un petit groupe de protéines sources bien caractérisées. La manière dont cette analyse a été effectuée était toutefois différente en D1 et D2 par rapport à Hopp. Le demandeur fait valoir que D1 et D2 ont incorrectement exécuté l'analyse parce qu'ils ont considéré comme erronées les prédictions dans des régions des protéines sources qui n'avaient pas de déterminant antigénique connu. Par exemple, le demandeur affirme que [traduction] « l'absence d'un épitope déclaré ne veut pas dire la même chose qu'une conclusion selon laquelle la région d'une protéine n'est pas antigénique du tout » (haut de la page 8, réponse du 17 novembre 2014). Le demandeur appuie l'analyse de Hopp, qui considère les prédictions dans les régions sans déterminant antigénique déclaré comme étant de certitude inconnue et ne les inclut pas dans le calcul de la précision.

[67]      Selon le comité de révision, la personne versée dans l'art accorderait moins de poids à la cote de précision rapportée dans Hopp par rapport aux évaluations de précision inférieures de D1 et D2 parce que l’évaluation de Hopp ne concerne que les 3 premières prédictions. Selon la description du demandeur, le fragment SEQ ID NO 11076 faisait partie de 15 déterminants antigéniques différents prédits par l'algorithme de Hopp et Woods pour l'ORF 741 (pages 291 et 292), mais leurs notes et classements n'ont pas été divulgués. Par conséquent, la personne versée dans l'art ne saurait pas quelle était  la précision de la prédiction, selon Hopp. Inversement, D1 et D2 estiment  la précision en tenant compte de toutes les prédictions faites par l'algorithme, pas seulement celles ayant la plus haute note.

[68]      Si l'on se tourne vers D1 et D2, nous devons alors déterminer si la personne versée dans l'art considérerait que les évaluations de précision qu’ils rapportent pour les algorithmes suffisent pour soutenir un raisonnement clair et valable selon lequel le polypeptide revendiqué comprend un déterminant antigénique de la Neisseria. D1 et D2 ne considèrent pas ces valeurs comme étant suffisamment élevées pour formuler des prédictions fiables de déterminants antigéniques. Par exemple, D2 conclut que [traduction] « aucun des algorithmes de prédiction actuellement utilisés ne donne un niveau élevé de prédiction juste » (page 197) et « en l'absence de toute supériorité nette de l'une ou l'autre des méthodes de prédiction actuellement utilisées (tableau VII), il est évidemment nécessaire d'améliorer les algorithmes existants et les échelles de prédiction » (page 201).

[69]      Étant donné la nature discutable des CGC relativement aux algorithmes de prédiction de l'antigénicité disponibles à la date de dépôt, la plus faible pertinence de la cote de précision de Hopp par rapport à celle de D1 et D2, et l'opinion exprimée dans D1 et D2 selon laquelle les algorithmes ne sont généralement pas fiables en raison du faible niveau de précision rapporté (de 48 % à 62 %, conformément aux paragraphes 62 et 63 ci-dessus), la personne versée dans l'art ne considérerait pas comme clair et valable le raisonnement selon lequel le polypeptide revendiqué contiendrait un déterminant antigénique de la protéine 741 pleine longueur.

[70]      Par conséquent, nous sommes d'avis que la personne versée dans l'art ne considérerait pas l'utilité du polypeptide revendiqué comme étant prédite de façon valable.

 

Conclusion

 

[71]      Les exigences relatives à une prédiction valable de l'utilité des revendications 1, 2, 4 et 5 ne sont pas satisfaites et donc, ces revendications ne sont pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

[72]      Pareillement, les revendications 7 et 8, qui dépendent des revendications 1 et 4respectivement, ne contiennent pas une prédiction valable de l'utilité et ne sont donc pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

[73]      Les revendications 3 et 6 comprenant chacune une  composition pharmaceutique, promettent au moins le même niveau d'utilité que les revendications 1, 2, 4 et 5 mais ne contiennent pas une prédiction valable de l'utilité et ne sont donc pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

RECOMMANDATION DU COMITÉ DE RÉVISION

[74]      Le comité de révision recommande que la demande 321 soit rejetée parce que les revendications au dossier sont dépourvues d'utilité et ne sont pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Michael O’Hare                                  Cara Weir                                            Stephen MacNeil       

Membre                                               Membre                                               Membre

DÉCISION

[75]      Je souscris aux conclusions de la Commission d'appel des brevets ainsi qu'à sa recommandation de rejeter la demande 321 au motif que les revendications au dossier ne sont pas conformes à la Loi sur les brevets.

[76]      Conformément à l'article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d'octroyer un brevet pour cette demande. Conformément aux dispositions de l'article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d'un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

Agnès Lajoie

Sous-commissaire aux brevets

Fait à Gatineau (Québec),

ce 21e jour de juillet 2015

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