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Décision du commissaire no 1379

Commissioner’s Decision #1379

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : O00, A11, B00

TOPIC: O00, A11, B00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2,474,188

Application No: 2,474,188


 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2,474,188 a fait l'objet d'une révision, conformément aux dispositions de l'alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission et la décision suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

BERESKIN & PARR LLP/S.E.N.C.R.L.,S.R.L.

Scotia Plaza

40 King Street West, 40th Floor

TORONTO, Ontario

M5H 3Y2


INTRODUCTION

 

[1]               La présente décision concerne une révision de la demande de brevet no 2,474,188 [« la demande ‘188 »] ayant pour titre [traduction] « Procédé et dispositif destinés à empêcher l'encrassement par des mollusques et crustacés ». Le demandeur est Nederlandse Organisatie voor Toegepast-Natuurwetenschappelijk Onderzoek TNO.

 

[2]               Le demandeur revendique un procédé visant à prévenir l'encrassement par des mollusques et crustacés (c.-à-d. l'accumulation de mollusques et crustacés sur des surfaces mouillées) dans les systèmes de refroidissement d'installations industrielles, tels que les appareils de refroidissement utilisés dans les centrales électriques et dans l'industrie chimique, qui sont alimentés avec de l'eau de mer ou de l'eau douce chargée de larves de mollusques et de crustacés qui se fixent sur les appareils. Selon l'invention, l'eau de surface qui est destinée au système de refroidissement de l'installation industrielle est guidée le long d'un substrat approprié sur lequel des mollusques et crustacés sont cultivés, de sorte que l'eau qui parvient au système de refroidissement est appauvrie en éléments nutritifs nécessaires à la croissance des larves. Ainsi, l'encrassement de ce dernier s'en trouve réduit.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, nous recommandons que le refus de la demande soit annulé et que la demande soit acceptée.

 

CONTEXTE

 

[4]               La demande ‘188 est fondée sur une demande PCT déposée le 29 janvier 2003, c'est donc cette date qui lui tient lieu de date de dépôt. La demande est fondée sur une demande de priorité déposée le 30 janvier 2002 aux Pays-Bas. C’est donc cette dernière date qui est pertinente pour l'analyse de l'évidence.

 

[5]               La Décision finale, qui est datée du 28 janvier 2013, stipule que les revendications ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, parce qu'elles visent un objet qui aurait été évident pour la personne versée dans l'art à la date de la revendication. La Décision finale stipule également que plusieurs revendications ont un caractère indéfini et, de ce fait, ne sont pas conformes aux dispositions du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

 

[6]               Dans une réponse à la Décision finale, en date du 22 juillet 2013, le demandeur, en vertu du paragraphe 30(5) des Règles sur les brevets, a annulé les revendications qui figuraient dans la demande à ce moment et les a remplacées par les revendications 1 à 10 qui sont alors devenues les « revendications au dossier ». Le demandeur a fait valoir que les revendications au dossier étaient claires et précises et qu'elles définissaient un objet non évident.

 

[7]               Ayant déterminé que les modifications et les arguments du demandeur ne rendaient pas la demande acceptable, l'examinateur, conformément aux dispositions du paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, a transféré le dossier à la Commission d'appel des brevets. Le dossier contenait un Résumé des motifs énonçant les raisons pour lesquelles la demande était toujours considérée comme non conforme à la Loi sur les brevets. Le Résumé des motifs indiquait que les revendications n'étaient plus visées par l'objection pour caractère indéfini soulevée à l'égard du premier ensemble de revendications, mais que la nouvelle revendication 1 n'était pas conforme à l'article 38.2 de la Loi sur les brevets, parce qu'elle contenait de la nouvelle matière et que les revendications au dossier étaient évidentes. Une copie du Résumé des motifs a été transmise au demandeur le 15 octobre 2013.

 

QUESTIONS

 

[8]               Au regard des motifs de refus exposés dans le Résumé des motifs, les questions à trancher sont les suivantes :

 

         La revendication 1 comprend-elle de la nouvelle matière irrégulièrement ajoutée?

         Les revendications 1 à 10 définissent-elles un objet évident?

 

PRINCIPES JURIDIQUES

 

Interprétation téléologique

 

[9]               L'interprétation téléologique est un exercice d'interprétation qui vise à déterminer la signification et la portée des revendications. L'interprétation des revendications précède l'examen de la validité : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, para. 43 [« Whirlpool »]. L'interprétation téléologique exige que les revendications soient interprétées du point de vue de la personne versée dans l'art, qui possède les connaissances générales courantes relatives à l'art dont relève l'invention : Whirlpool, para. 53. L'interprétation téléologique a également pour fonction de déterminer quels éléments de l'invention revendiquée sont essentiels et quels éléments sont non essentiels : Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, para. 31 [« Free World Trust »]. Un élément est considéré comme non essentiel si, suivant une interprétation téléologique, le destinataire versé dans l'art constaterait qu'il peut être omis ou substitué sans que cela n'ait d'effet substantiel sur le fonctionnement de l'invention (Free World Trust, para. 55). Selon l'énoncé de pratique intitulé « Pratique d'examen au sujet de l'interprétation téléologique - PN2013-02 », les éléments essentiels d'une revendication sont ceux qui contribuent à la solution proposée au problème exposé dans la demande.

 

Nouvelle matière

 

[10]           Les conditions auxquelles des modifications peuvent être apportées au mémoire descriptif et aux dessins faisant partie d'une demande de brevet sont énoncées à l'article 38.2 de la Loi sur les brevets, lequel est libellé comme suit :

 

38.2 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3) et des règlements, le mémoire descriptif et les dessins faisant partie de la demande de brevet peuvent être modifiés avant la délivrance du brevet.

 

Limite

(2) Le mémoire descriptif ne peut être modifié pour décrire des éléments qui ne peuvent raisonnablement s’inférer de celui-ci ou des dessins faisant partie de la demande, sauf dans la mesure où il est mentionné dans le mémoire qu’il s’agit d’une invention ou découverte antérieure.

 

Idem

(3) Les dessins ne peuvent être modifiés pour y ajouter des éléments qui ne peuvent raisonnablement s’inférer de ceux-ci ou du mémoire descriptif faisant partie de la demande, sauf dans la mesure où il est mentionné dans le mémoire qu’il s’agit d’une invention ou découverte antérieure.

 

[11]           La question de savoir si la matière ajoutée au mémoire descriptif par voie de modification est conforme aux dispositions de l'article 38.2 de la Loi sur les brevets doit être envisagée du point de vue de la personne versée dans l'art au moment où la demande a été déposée : Re Demande 315,073 (1981), DC 904 (CAB et Commissaire aux brevets).

 

[12]           Pour déterminer s'il y a présence de nouvelle matière, il faut donc comparer le mémoire descriptif et les dessins à l'étude avec le mémoire descriptif et les dessins faisant partie de la demande déposée originalement, et déterminer si la matière introduite par les modifications est de celle qu'une personne versée dans l'art, à la date du dépôt, aurait pu raisonnablement inférer du mémoire descriptif ou des dessins déposés originalement.

 

Évidence

 

[13]           L'objet visé par une revendication ne doit pas être évident, à la date pertinente, pour les personnes versées dans l'art ou la science. L'article 28.3 de la Loi sur les brevets porte que :

 

28.3 L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[14]           Dans Sanofi, la Cour suprême du Canada a indiqué qu'il était utile, pour évaluer l'évidence, de suivre la démarche en quatre étapes suivante :

 

(1)           a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)          Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)          Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)          Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

REVENDICATIONS AU DOSSIER : 1 À 10

 

[15]           Les revendications au dossier, qui font l'objet de la présente révision, comprennent la revendication indépendante 1 et les revendications dépendantes 2 à 10, qui dépendent toutes directement ou indirectement de la revendication 1. La première question à trancher, celle de la nouvelle matière, concerne uniquement la revendication 1. Quant à la seconde question, l'évidence, elle doit être analysée au regard de chacune des revendications prises individuellement, en commençant par la revendication indépendante 1. Dans toute analyse de l'évidence, les revendications dépendantes doivent être évaluées uniquement si la revendication dont elles dépendent est jugée évidente. En l'espèce, puisque nous avons déterminé que la revendication 1 n'aurait pas été évidente, il n'est pas nécessaire que nous examinions les revendications 2 à 10.

 

[16]           La revendication 1 est formulée comme suit :

 

[traduction]
1. Un procédé d'obtention d'un flux d'eau de refroidissement industriel, comprenant les étapes consistant à :

 

(i)                   fournir des précurseurs de mollusques et crustacés sur un substrat,

(ii)                 mettre un flux d'eau en contact avec lesdits précurseurs de mollusques et crustacés,

(iii)                laisser lesdits précurseurs croître jusqu'à devenir des mollusques et crustacés récoltables,

(iv)               récolter au moins une partie desdits mollusques et crustacés récoltables alors que ledit flux d'eau est épuré et peut être utilisé comme flux d'eau de refroidissement épuré,

(v)               exécuter au moins une étape supplémentaire parmi celles consistant à ajouter audit flux d'eau des éléments nutritifs qui sont essentiels aux mollusques et crustacés et à hausser la température dudit flux d'eau afin d'améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés.

 

Revendication 1, interprétée téléologiquement

 

[17]           Étant donné que les revendications doivent être envisagées du point de vue de la personne versée dans l'art à la lumière de ses connaissances générales courantes, il convient en premier lieu d'identifier cette personne et de déterminer ses connaissances.

 

La personne versée dans l'art et les connaissances générales courantes pertinentes

 

[18]           Dans la Décision finale, la personne versée dans l'art est définie comme étant [traduction] « une équipe composée de spécialistes des flux d'eau industriels et de spécialistes des mollusques et crustacés ».

 

[19]           Au sujet des connaissances générales courantes, l'examinateur a indiqué ce qui suit dans la Décision finale [traduction] :

 

En conséquence, une équipe de spécialistes des flux d'eau industriels connaît les problèmes liés à l'encrassement par les mollusques et crustacés (D1 [on devrait plutôt lire « description »], page 1, lignes 4 à 23) et les moyens permettant de remédier au problème. Une équipe de spécialistes des mollusques et crustacés sait comment cultiver des mollusques et crustacés, et connaît les éléments nutritifs requis, les exigences relatives à la température et les substrats sur lesquels les mollusques et crustacés peuvent se fixer, de manière à maximiser la croissance des mollusques et crustacés.

 

[20]           Dans sa réponse à la Décision finale, le demandeur s'est dit en désaccord avec la composition de l'équipe établie par l'examinateur, affirmant que [traduction] :

 

Les « spécialistes des mollusques et crustacés » qui sont concernés dans le contexte de la présente invention sont généralement des pêcheurs de moules. En règle générale, ces personnes ne font pas équipe avec des spécialistes des flux d'eau industriels. Cette équipe est donc d'une nature purement fictive et il est injuste que l'évaluation de l'activité inventive soit fondée sur une interprétation à ce point fictive.

 

[21]           Dans le Résumé des motifs, l'examinateur cite la section 9.02.02 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets, qui porte que la personne versée dans l'art peut être représentative d'une équipe de personnes dont les connaissances combinées se rapportent à l'invention en cause.

 

[22]           Nous convenons que la personne versée dans l'art peut prendre la forme d'une équipe. À titre d'exemple, dans AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2014 CF 638, le juge Rennie a déterminé que l'expertise de la personne versée dans l'art comprenait plusieurs domaines d'activité (chimie, pharmacologie et médecine). À cet égard, le juge a cependant précisé au para. 53 que [traduction] « la personne collective versée dans l’art, en l’espèce, est représentative de l’équipe pluridisciplinaire d’experts à laquelle ont vraisemblablement recours les sociétés pharmaceutiques pour mettre au point des médicaments [...] et pour mener les essais nécessaires ». On comprend, à la lecture de cette décision, qu'une telle équipe est représentative d'une équipe qui aurait réellement existé à la date pertinente, c.-à-d. une équipe d'experts qui aurait été employée par le type de société en cause. En l'espèce, nous convenons avec le demandeur que l'équipe qui est définie dans la Décision finale n'est pas raisonnable, car elle est d'une nature fictive et n'est pas représentative d'une équipe qui aurait réellement existé.

 

[23]           À notre avis, la personne versée dans l'art est un spécialiste des systèmes de refroidissement d'installations industrielles; elle possède une connaissance de ces systèmes, ainsi qu'une connaissance des systèmes et procédés d'alimentation des appareils en eau de mer ou en eau douce de surface, des problèmes liés à ces systèmes, y compris l'accumulation de mollusques et crustacés dans les appareils, et les procédés classiques utilisés pour enlever ces dépôts non désirés. Selon la description, les procédés classiques utilisés pour remédier à l'accumulation de mollusques et crustacés dans les systèmes de refroidissement comprennent l'ajout de produits chimiques dans l'eau, le chauffage de l'eau et le recours à des moyens mécaniques tels que des brosses [p. 1, lignes 13 à 23].

 

[24]           La personne versée dans l'art n'est pas une équipe comprenant un « spécialiste des mollusques et crustacés ». Il n'y a rien au dossier qui donne à penser qu'à l'époque de l'invention du demandeur, il existait des équipes constituées à la fois de personnes spécialisées dans les systèmes de refroidissement d'installations industrielles alimentées avec de l'eau de mer ou de l'eau douce de surface et de personnes spécialisées dans la culture des mollusques et crustacés. Ainsi, les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art des systèmes de refroidissement d'installations industrielles n'incluent pas toutes les connaissances que possède la personne versée dans l'art de la culture des mollusques et crustacés.

 

Signification de certains termes des revendications

 

[25]           Avant de déterminer quels sont les éléments essentiels des revendications, il importe d'éclaircir, par voie d'interprétation, la signification de certains termes des revendications, à savoir : « précurseurs de mollusques et crustacés »; « ledit flux d'eau est épuré »; et « peut être utilisé comme flux d'eau de refroidissement épuré »

 

[26]           En ce qui concerne l'expression « précurseurs de mollusques et crustacés », la définition suivante est fournie à la page 3 de la description [traduction] : « Le terme “précurseurs” s'entend d'organismes qui en sont à un stade de croissance plus précoce que celui des mollusques et crustacés éventuellement à récolter ».

 

[27]           Quant au terme « épuré » compris dans l'expression « ledit flux d'eau est épuré », on retrouve le passage suivant à la page 2 de la description [traduction] : « Ce qui se produit lorsqu'on laisse les précurseurs croître et devenir des mollusques et crustacés récoltables, c'est que pendant leur croissance sur le substrat, les mollusques et crustacés absorbent les éléments nutritifs présents dans l'eau de surface. L'eau de surface est ainsi épurée et, si cette eau est utilisée comme eau de refroidissement, la quantité de mollusques et crustacés qui arrive à survivre en se nourrissant de cette eau est très faible, voire nulle, car l'eau est devenue spécialement appauvrie en éléments nutritifs essentiels à ces organismes, en particulier » [soulignement ajouté]. Conséquemment, la personne versée dans l'art estimerait que « épurée » renvoie au fait que les éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés, c.-à-d, les [traduction] « particules de biomasse » (page 3, ligne 12) telles que les algues et le phytoplancton, ont été retirés de l'eau. La personne versée dans l'art s'attendrait à ce que l'eau « épurée » contienne encore des larves de mollusques et de crustacés.

 

[28]           Enfin, s'agissant de l'expression « peut être utilisé comme flux d'eau de refroidissement épuré », la page 1 de la description fournit le contexte suivant [traduction] : « l'eau de surface qui est destinée au système de refroidissement de l'installation industrielle est guidée le long d'un substrat approprié... »  Cela signifie que le procédé revendiqué est exécuté avant que le flux d'eau de refroidissement obtenu soit utilisé dans des installations industrielles. Autrement dit, la personne versée dans l'art comprendrait, eu égard aux étapes consistant à fournir des précurseurs de mollusques et crustacés sur un substrat et à mettre un flux d'eau en contact avec lesdits précurseurs de mollusques et crustacés, que le substrat est installé au point d'entrée d'eau du système de refroidissement d'une installation industrielle.

 

Les éléments essentiels de l'invention revendiquée

 

            Le problème exposé dans la demande

 

[29]           La description, à la page 1, expose plusieurs problèmes liés aux systèmes et procédés classiques qui sont utilisés pour enlever les dépôts de mollusques et crustacés dans les systèmes de refroidissement d'installations industrielles alimentés avec de l'eau de mer ou de l'eau douce de surface. La description est ainsi formulée [traduction] :

 

Selon la saison, l'eau de surface (l'eau de mer comme l'eau douce) peut contenir des quantités parfois importantes de larves de mollusques et crustacés (palourdes, huîtres, anatifes, etc.). Si cette eau est utilisée pour alimenter, par exemple, un appareil technique de refroidissement, des larves peuvent se fixer aux surfaces de l'appareil, puis croître jusqu'à devenir des mollusques et crustacés. Cette accumulation de mollusques et crustacés sur l'appareil entraîne, entre autres choses, une perturbation du profil d'écoulement de l'eau et/ou une réduction de la transmission de la chaleur dans l'appareil de refroidissement. En outre, l'adhérence qui lie les mollusques et crustacés à la surface de l'appareil est très forte, ce qui rend l'enlèvement des mollusques et crustacés difficile.

 

Les procédés classiques utilisés pour enlever les dépôts non désirés de mollusques et crustacés, ou prévenir la formation de tels dépôts, comprennent, à titre d'exemple, l'emploi de pesticides. Or, ces produits sont coûteux et impliquent généralement un fardeau environnemental. On peut également tenter de provoquer le détachement des mollusques et crustacés fixés en haussant périodiquement la température de l'eau. Toutefois, une hausse de la température de l'eau entraîne des coûts et n'est pas nécessairement réalisable dans tous les appareils. Une autre possibilité consiste à enlever mécaniquement les dépôts qui se sont formés, par exemple, à l'aide de brosses. Or, pour ce faire, il faut généralement interrompre le flux d'eau de refroidissement. Qui plus est, la plupart des parties de l'appareil sont difficilement accessibles avec de tels moyens mécaniques.

 

            La solution proposée au problème

 

[30]           Aux pages 1 et 2, la description expose de façon générale la solution du demandeur à ces problèmes, à savoir un procédé qui empêche les larves de mollusques et crustacés qui entrent avec l'eau de mer dans le système de refroidissement de se déposer/croître, en appauvrissant l'eau en éléments nutritifs essentiels à la croissance des mollusques et crustacés [traduction] :

 

La présente invention implique de fournir un système qui ne présente pas ces inconvénients. Il a été constaté qu'en faisant passer l'eau destinée aux installations industrielles le long d'un substrat approprié sur lequel croissent des mollusques et crustacé, il est possible d'atteindre cet objectif. Ainsi, la présente invention concerne, dans un premier temps, un procédé d'obtention d'un flux d'eau de refroidissement industriel, qui comprend les étapes suivantes :

(i)                   fournir des précurseurs de mollusques et crustacés sur un substrat,

(ii)                 mettre un flux d'eau en contact avec lesdits précurseurs de mollusques et crustacés,

(iii)                laisser lesdits précurseurs croître jusqu'à devenir des mollusques et crustacés récoltables,

(iv)               récolter au moins une partie desdits mollusques et crustacés récoltables alors que le flux d'eau est épuré et peut être utilisé comme flux d'eau de refroidissement épuré;

les conditions de croissance desdits mollusques et crustacés étant améliorées par l'ajout d'éléments nutritifs audit flux d'eau et/ou par la hausse de la température dudit flux d'eau.

 

[31]           À la lumière des problèmes susmentionnés auxquels le demandeur cherche à remédier grâce à l'invention revendiquée, et compte tenu de la façon dont la personne versée dans l'art comprendrait les termes utilisés dans les revendications, nous sommes d'avis que la personne versée dans l'art déterminerait que les éléments essentiels de la revendication 1 sont les étapes énumérées ci-dessous qui font partie d'un procédé permettant d'obtenir un flux d'eau de refroidissement industriel appauvri en éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés, et d'éliminer, ce faisant, les conditions propices à la croissance des mollusques et crustacés dans l'appareil de refroidissement :

 

         fournir des précurseurs de mollusques et crustacés sur un substrat situé au point d'entrée d'eau du système de refroidissement d'une installation;

         mettre un flux d'eau en contact avec les précurseurs;

         laisser les précurseurs croître jusqu'à ce qu'ils deviennent des mollusques et crustacés récoltables;

         laisser les mollusques et crustacés appauvrir l'eau en éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés, et fournir ainsi un flux d'eau de refroidissement épuré; et

         améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés en ajoutant au flux d'eau des éléments nutritifs qui sont essentiels aux mollusques et crustacés et/ou en haussant la température du flux d'eau.

 

[32]           Les étapes de procédé susmentionnées sont considérées comme essentielles, car elles sont nécessaires à la mise en œuvre de la solution qui permet de remédier aux problèmes que présentent les systèmes classiques de l'art antérieur en « épurant » l'eau qui entre dans le système de refroidissement d'une installation industrielle, et ne peuvent pas être substituées ou omises sans que cela ait d'effet substantiel sur le fonctionnement de l'invention.

 

[33]           En ce qui concerne l'étape finale consistant à améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés, il est indiqué dans la description que [traduction] « [l]es mollusques et crustacés vont croître plus rapidement et une épuration plus efficace de l'eau est obtenue » (page 4, lignes 15 à 17). Ce résultat est décrit comme [traduction] « surprenant » puisque, par exemple [traduction] « [l]'ajout d'éléments nutritifs semble être en contradiction directe avec l'objectif visé, soit de réduire l'encrassement, lequel est, effectivement, causé par la présence de trop grandes quantités d'éléments nutritifs dans l'eau » (page 4, lignes 17 à 19). La croissance plus rapide des mollusques et crustacés semble toutefois compenser entièrement les inconvénients possibles.

 

[34]           L'étape consistant à récolter au moins une partie des mollusques et crustacés récoltables [au point d'entrée d'eau] n'est pas considérée comme un élément essentiel de la revendication, car elle n'est pas nécessaire à la mise en œuvre de la solution consistant en un procédé d'épuration de l'eau qui entre dans le système de refroidissement d'une installation industrielle et pourrait être omise sans que cela ait d'effet substantiel sur le fonctionnement du procédé. Cela ne veut pas dire qu'en pratique, les mollusques et crustacés n'ont pas à être récoltés et/ou retirés, car ils vieillissent et finissent par mourir, mais simplement que cette étape est extérieure à la solution proposée par l'inventeur.

 

NOUVELLE MATIÈRE

 

Analyse

 

[35]           Il est indiqué, à la page 2 du Résumé des motifs, que la revendication 1 n'est pas conforme à l'article 38.2 de la Loi sur les brevets. Les raisons invoquées sont les suivantes [traduction] :

 

L'objet de la revendication 1 telle que modifiée par le demandeur dans sa lettre reçue le 2013-07-22, n'est pas conforme à l'article 38.2 de la Loi sur les brevets parce qu’il ne peut raisonnablement s’inférer du mémoire descriptif ou des dessins tels que déposés. Le passage « qui sont essentiels aux mollusques et crustacés » qui a été ajouté à la revendication 1 constitue de la nouvelle matière. Le terme « essentiels » n'était pas présent dans le mémoire descriptif ou les dessins déposés originalement et ne peut raisonnablement s'en inférer pour les raisons suivantes :

 

         Seuls trois éléments nutritifs étaient décrits dans le mémoire descriptif original – l'azote, le phosphore et l'oxygène.

         Bien que l'azote, le phosphore et l'oxygène puissent être considérés comme essentiels à la croissance des mollusques et crustacés, ils ne sont pas les seuls éléments nutritifs qui sont essentiels à la croissance des mollusques et crustacés.

         En introduisant cette limitation dans la revendication 1, le demandeur a, à la fois, élargi (plus large que les 3 éléments nutritifs spécifiques qui étaient mentionnés) et restreint (plus étroit que le terme « élément nutritif ») la portée des revendications au-delà de ce qui a été soumis originalement.

 

[36]           Comme nous l'avons mentionné au para. [12], nous devons, pour déterminer s'il y a présence de nouvelle matière, comparer le mémoire descriptif et les dessins à l'étude avec le mémoire descriptif et les dessins faisant partie de la demande déposée originalement, et déterminer si la matière introduite par les modifications est de celle qu'une personne versée dans l'art, à la date du dépôt, aurait pu raisonnablement inférer du mémoire descriptif ou des dessins déposés originalement.

 

[37]           Ce faisant, nous soulignons que dans le passage « éléments nutritifs qui sont essentiels aux mollusques et crustacés… afin d'améliorer les conditions de croissances des mollusques et crustacés », l'expression « qui sont essentiels aux mollusques et crustacés » se fonde sur le mémoire descriptif déposé originalement. Il est indiqué à la page 2, lignes 12 à 16, de la description que [traduction] « les mollusques et crustacés absorbent les éléments nutritifs présents dans l'eau de surface. L'eau de surface est ainsi épurée… car l'eau est devenue spécialement appauvrie en éléments nutritifs essentiels à ces organismes. » Il est également indiqué à la page 4, lignes 17 à 20, de la description que [traduction] « à priori, l'ajout d'éléments nutritifs semble être en contradiction directe avec l'objectif visé », qui est de réduire l'encrassement occasionné par « la présence de trop grandes quantités d'éléments nutritifs dans l'eau », en retirant ces éléments nutritifs. Ce que la personne versée dans l'art retiendrait de cette contradiction, c'est que les éléments nutritifs qui sont ajoutés sont les mêmes que ceux que l'invention vise à retirer, c.-à-d. des éléments qui sont essentiels aux mollusques et crustacés.

 

[38]           En outre, si l'examinateur, dans le Résumé des motifs, affirme que seuls trois éléments nutritifs sont expressément mentionnés dans le mémoire descriptif original, nous soulignons, pour notre part, que dans le passage en cause de la description, qui se trouve à la page 4, aux lignes 22 à 24, soit « [l]es conditions de croissance des mollusques et crustacés peuvent, par exemple, être améliorées par l'ajout d'éléments nutritifs dans l'eau, tels que de l'azote… du phosphore… et de l'oxygène », il est simplement fait référence aux « éléments nutritifs » et non à l'expression soi-disant problématique « éléments nutritifs qui sont essentiels aux mollusques et crustacés ».

 

[39]           Compte tenu de ce qui précède, la personne versée dans l'art comprendrait que la revendication 1, telle qu'elle a été modifiée en réponse à la Décision finale, ne contient pas de nouvelle matière, et que l'objet revendiqué est conforme à l'article 38.2 de la Loi sur les brevets.

 

ÉVIDENCE

 

Analyse

 

(1)a) Identifier la « personne versée dans l’art »

 

[40]           La personne versée dans l'art des systèmes de refroidissement d'installations industrielles alimentés avec de l'eau de mer ou de l'eau douce de surface a été définie au para. [23].

 

(1)b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[41]           Nos conclusions quant aux connaissances générales courantes de cette personne sont énoncées au para. [23].

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[42]           Il est indiqué, à la page 3 de la Décision finale, que l'idée originale est [traduction] « un procédé permettant d'obtenir un flux d'eau de refroidissement industriel par l'utilisation d'un substrat sur lequel sont fixés des mollusques et crustacés capables d'épurer un flux d'eau ».

 

[43]           Dans sa réponse du 22 juillet 2013 à la Décision finale, le demandeur a fait valoir, à la page 3, que l'analyse de l'évidence doit être fondée sur le libellé des revendications, et non sur un concept abstrait. Il a ajouté ce qui suit [traduction] :

 

Dans tous les cas, les commentaires de l'examinateur témoignent du fait que ce dernier n'accorde pas suffisamment de mérite à l'activité inventive qui sous-tend la présente invention. Ainsi qu'il ressort de la page 2, lignes 11 à 16, de la présente demande, il ne s'agit pas simplement d'« épurer » un flux d'eau; l'invention fournit un flux d'eau qui est spécialement appauvri en éléments responsables du problème, c'est-à-dire en éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés. Le fait qu'une telle épuration soit obtenue par l'utilisation des mêmes mollusques et crustacés ou de mollusques et crustacés similaires, mais à un endroit différent où ils ne peuvent causer aucun dommage, créé en réalité une grande valeur et est extrêmement utile et non évident.

 

[44]           Dans sa réponse à la Décision finale, le demandeur a également modifié la revendication 1 par l'ajout de l'étape (v) qui consiste à améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés.

 

[45]           Compte tenu des problèmes que le demandeur souhaite corriger au moyen de l'invention revendiquée, lesquels sont exposés au para. [29] ci-dessus, la personne versée dans l'art comprendrait que l'idée originale est un procédé qui permet d'obtenir un flux d'eau de refroidissement industriel appauvri en éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés, qui comprend les étapes considérées comme des éléments essentiels de la revendication 1 qui sont énumérées au para. [31], avec pour résultat que l'appauvrissement de l'eau en éléments nutritifs empêche les larves de mollusques et crustacés présentes dans l'eau de se déposer/croître dans le système de refroidissement.

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

[46]           Une seule antériorité a été citée dans la Décision finale et dans le Résumé des motifs; il s'agit du brevet américain no 3,996,895, délivré à John Wiegardt, le 14 décembre 1976. Ce document, qui a pour titre « System for Growing Concentrated Populations of Oysters and Related Shellfish » [Système de culture de populations concentrées d'huîtres et autres mollusques et crustacés apparentés] est identifié dans la Décision finale et dans le Résumé des motifs comme le document D1.

 

[47]           Il est indiqué à la page 2 de la Décision finale que les revendications étaient évidentes eu égard au document D1, à la lumière des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art.

 

Document D1 : le brevet de Wiegardt

 

[48]           On peut lire à la page 2 de la Décision finale que [traduction] « le document D1 divulgue un procédé et un dispositif destinés à être utilisés dans un flux d'eau industriel qui comprennent les étapes consistant à fournir des précurseurs de mollusques et crustacés sur un substrat, mettre un flux d'eau en contact avec les précurseurs de mollusques et crustacés, laisser les précurseurs se développer jusqu'à ce qu'ils deviennent des mollusques et crustacés, et récolter les mollusques et crustacés ». Il est également indiqué dans la Décision finale [à la page 5] que la personne versée dans l'art, à la lecture du document D1, reconnaîtrait d'emblée que l'ajout d'éléments nutritifs au flux d'eau et/ou la hausse de la température du flux d'eau ont pour effet d'améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés.

 

[49]           Dans sa réponse du 22 juillet 2013 à la Décision finale, le demandeur a fait valoir, à la page 2, que le document D1 avait trait à un système permettant de cultiver artificiellement des mollusques et crustacés, et a ajouté que la personne versée dans l'art [traduction] « ne serait guère portée à conclure que les mollusques et crustacés peuvent être utilisés pour épurer l'eau de refroidissement industriel ».

 

[50]           Vu les faits uniques de la présente espèce, et le profil de la personne versée dans l'art, la question se pose à savoir si l'antériorité citée constitue un document d'antériorité pertinent aux fins de l'analyse de l'évidence. Le demandeur fait valoir que le document D1 [traduction] « est dénué de pertinence par rapport à l'invention du demandeur, telle qu'elle est revendiquée » [page 3 de la réponse du demandeur en date du 19 septembre 2012 à une précédente lettre du Bureau], bien qu'il ait également fait valoir, relativement à la question de l'évidence, que la personne versée dans l'art aurait trouvé le document D1.

 

[51]           On s'attend à ce que la personne versée dans l'art effectue une recherche normalement diligente, qu'elle cherche une solution, mais pas qu'elle connaisse la réponse à l'avance : Xerox of Canada Ltd c IBM Canada Ltd (1977), 33 CPR (2d) 24 (CF 1re inst.), citant General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (CA), pp. 499 et 500. L'idée que la personne versée dans l'art effectue une recherche d'antériorités sans connaître la solution que fournit l'invention revendiquée est également présente dans le libellé de la quatrième étape de la démarche de Sanofi pour évaluer l'évidence. Ainsi, la personne versée dans l'art qui cherche à résoudre un ou des problèmes propres à l'art existant est présumée ne pas axer ses recherches sur un procédé en particulier, mais s'efforcer d'atteindre l'objectif visé au moyen de tout procédé praticable qu'elle est susceptible de découvrir.

 

[52]           En l'espèce, comme nous l'avons indiqué au para. [23], la personne versée dans l'art posséderait une connaissance générale des procédés classiques qui sont utilisés pour enlever les dépôts non désirés de mollusques et crustacés dans les systèmes de refroidissement industriel, ou prévenir l'apparition de tels dépôts, ainsi que les limites de ces procédés.

 

[53]           La personne versée dans l'art chercherait donc une solution aux dépôts de mollusques et crustacés dans les systèmes de refroidissement industriels qui pourrait être mise en œuvre à un coût relativement faible, qui serait écologique et compatible avec tous les types d'appareils présents dans les systèmes de refroidissement, et qui permettrait de débarrasser efficacement toutes les parties des appareils des mollusques et crustacés accumulés sans interrompre le flux d'eau de refroidissement. La personne versée dans l'art, ignorant la solution apportée par l'objet revendiqué dans la présente demande, ne chercherait pas une solution en particulier, mais simplement une solution qui permettrait de remédier au plus grand nombre de problèmes parmi les problèmes susmentionnés.

 

[54]           Bien que nous ne soyons pas certains que la personne versée dans l'art aurait trouvé le document D1 dans le cadre d'une recherche raisonnable et diligente visant à découvrir une solution à ces problèmes, nous allons considérer que la personne versée dans l'art aurait bel et bien pu avoir connaissance du document D1. Par conséquent, nous tiendrons compte du document D1 dans notre analyse de l'évidence.

 

Les différences entre l’état de la technique et l’idée originale de la revendication 1

 

[55]           L'existence d'une première différence entre le document D1 et l'idée originale de la revendication 1 est reconnue dans la Décision finale, à la page 3 [traduction] : « le document D1 ne divulgue pas expressément un procédé permettant d'obtenir un flux d'eau de refroidissement industriel épuré au moyen de mollusques et crustacés, mais plutôt un système pour la culture de mollusques et crustacés ». Cette affirmation rejoint le point de vue du demandeur, exposé au para. [49] ci-dessus, quant à ce qui est divulgué dans le document D1.

 

[56]           Une deuxième différence tient à ce qu'il n'est nulle part fait mention dans le document D1 de réduire les dépôts de mollusques et crustacés sur l'équipement industriel, ni d'opérer cette réduction en purgeant l'eau des algues et du phytoplancton, même s'il est suggéré dans le document D1 que ce système pourrait avoir une application pratique dans un contexte industriel, pour purger l'eau des algues et du phytoplancton [col. 6, lignes 23 à 26 et col. 7, lignes 1 à 6].

 

[57]           Une troisième différence tient au fait qu'il est mentionné dans le document D1 que l'appareil peut être installé aussi bien au point d'entrée qu'au point d'évacuation du système de pompage d'une installation industrielle [col. 7, lignes 1 à 4], alors que le procédé revendiqué requiert que l'appareil soit placé au point d'entrée du système de refroidissement d'une installation industrielle.

 

[58]           Enfin, une quatrième différence est que le document D1 n'enseigne pas la caractéristique revendiquée qui consiste à ajouter des éléments nutritifs ou à hausser la température de l'eau dans le but d'améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés, et ainsi faciliter le processus d'épuration de l'eau, c'est-à-dire le retrait des éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés.

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[59]           Comme nous l'avons mentionné précédemment, la personne versée dans l'art comprendrait que les procédés classiques utilisés pour contrer le problème de l'encrassement par les mollusques et crustacés impliquent d'enlever ou d'éliminer les mollusques et crustacés. Une telle personne ne penserait pas qu'une solution au problème pourrait impliquer d'améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés, p. ex. en ajoutant des éléments nutritifs dans l'eau ou en haussant la température de l'eau.

 

[60]           Si la personne versée dans l'art avait trouvé le document D1, elle n'aurait pas considéré qu'il est question dans ce document d'éliminer les larves de mollusques et crustacés dans les systèmes de refroidissement d'installations industrielles en purgeant l'eau des éléments nutritifs dont ces dernières ont besoin pour vivre (les première et deuxième différences identifiées à l'étape 3). Seule une personne ayant pris connaissance de l'invention revendiquée et de son mode de fonctionnement pourrait, après coup, considérer que certaines phrases isolées pointent dans cette direction. Ce que la personne versée dans l'art qui ne possède aucune connaissance de l'invention revendiquée retiendrait du document D1, c'est que [traduction] « filtration » décrit la façon dont les mollusques et crustacés se nourrissent, c.-à-d. en extrayant leur nourriture de l'eau, et que c'est là la raison pour laquelle un flux d'eau constant est nécessaire, afin que leur « garde-manger » se regarnisse continuellement. Si l'eau était stagnante, ils auraient tôt fait de « filtrer » la nourriture présente et mourraient en un rien de temps. L'idée suggérée d'utiliser l'appareil à proximité d'installations industrielles [col. 6, lignes 17 à 23] et l'idée complémentaire suggérée de le positionner en travers soit du point d'entrée ou du point d'évacuation du système de pompage d'une installation [col. 7, lignes 1 à 4] seraient simplement perçues comme des suggestions quant à la façon de profiter d'un flux d'eau existant pour cultiver des mollusques et crustacés pour la revente.

 

[61]           Le document D1 suggère que le fait de purifier l'eau des algues et du phytoplancton pourrait présenter un avantage potentiel pour une installation industrielle [col. 6, lignes 23 à 26 et col. 7, lignes 1 à 6], lequel serait, sans doute, considéré comme constituant un incitatif pour les installations industrielles  pour autoriser la mise en place d'un système de pisciculture à proximité du point d'entrée ou du point d'évacuation de leurs systèmes de pompage. Les avantages d'un tel procédé pour une installation industrielle ne sont pas divulgués, mais l’utilisation d’une eau exempte d'algues et de phytoplancton dans un processus chimique pourrait s’avérer avantageuse. Il est concevable que l'on puisse vouloir, pour diverses raisons, exploiter un tel système de pisciculture à proximité d'installations industrielles, mais rien dans le document D1 n'évoque le problème d'encrassement par les mollusques et crustacés pour lequel la personne versée dans l'art cherche une solution. Il n'est nulle part fait mention, dans le document D1, de la question des larves de mollusques et crustacés qui sont présentes dans l'eau utilisée pour alimenter le système de refroidissement d'une installation. Dépourvue d'intuition et de créativité, la personne versée dans l'art, à la lecture du document D1, se dirait : « Cela ne règle pas mon problème d'encrassement par les mollusques et crustacés. Il est question dans ce document de purifier l'eau des algues et du phytoplancton qu'elle contient, pas des mollusques et crustacés. »

 

[62]           En outre, le document D1 n'explique pas en quoi le fait de positionner l'appareil en travers du point d'entrée du système de refroidissement d'une installation, plutôt qu'au point d'évacuation (la troisième différence identifiée à l'étape 3) permettrait de remédier au problème de l'encrassement par les mollusques et crustacés. La personne versée dans l'art n'aurait pas, par elle-même, eu l'idée d'éliminer les larves de mollusques et crustacés présentes dans le système de refroidissement d'une installation en épurant l'eau des éléments nutritifs dont les larves ont besoin, et le fait qu'il soit indiqué dans le document D1 que l'appareil peut être positionné aussi bien au point d'entrée qu'au point d'évacuation des systèmes de pompage n'aurait pas orienté la personne versée dans l'art sur cette voie.

 

[63]           En plus, ajouter des éléments nutritifs à l’eau ou hausser sa température afin d'améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés, et ainsi faciliter le processus de son épuration par le retrait des éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés (la quatrième différence identifiée à l'étape 3), sont des caractéristiques revendiquées qui auraient pu être évidentes pour un spécialiste de la culture des mollusques et crustacés, mais qui n'auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l'art, c'est-à-dire un spécialiste des systèmes de refroidissement d'installations industrielles. D'expérience, la personne versée dans l'art aurait jugé qu'améliorer les conditions de croissance des mollusques et crustacés n'était pas du tout la chose à faire, encore moins si le but était d'appauvrir l'eau de refroidissement en éléments nutritifs essentiels aux mollusques et crustacés. Le fait que l'inventeur ait choisi de miser sur ces caractéristiques peut donc, à juste titre, être considéré comme surprenant.

 

[64]           Nous considérons que l'invention revendiquée dans la présente demande résulte d'une idée originale : celle d'utiliser les mollusques et crustacés pour résoudre le problème de l'encrassement par les mollusques et crustacés, en positionnant ces derniers en amont du point d'entrée d'eau d'une installation industrielle et en profitant de leur capacité à appauvrir l'eau afin d'« épurer » l'eau qui s'écoule vers l'appareil du système de refroidissement, et ainsi empêcher les larves de mollusques et de crustacés présentes dans l'eau de se déposer/croître à l'intérieur du système de refroidissement. L'inventeur, animé par cette idée, a trouvé un moyen de la mettre en pratique qui existait déjà, mais dans un domaine non apparenté et à une fin différente. Or, étant dépourvue d'intuition et de créativité, la personne versée dans l'art n'aurait pas eu cette idée toute seule, même si elle avait trouvé le document D1 dans le cadre d'une recherche.

 

[65]           À la lumière de l'analyse qui précède, nous concluons que l'objet de la revendication 1 n'aurait pas été évident à la date de la revendication.

 

[66]           Il s'ensuit que les revendications dépendantes 2 à 10, qui dépendent toutes directement ou indirectement de la revendication 1, sont, elles aussi, non évidentes.

 

RECOMMANDATION DU COMITÉ

 

[67]           Les questions en suspens et qui concernent l’ajout de la nouvelle matière et l'évidence ayant été tranchées en faveur du demandeur, nous recommandons que le refus de la demande soit annulé et que celle-ci passe à l'étape de l'acceptation.

 

 

 

 

Paul Fitzner                                Ed MacLaurin                                  Cara Weir

Membre                                      Membre                                            Membre

 


 

DÉCISION

 

[68]           Je souscris aux conclusions et aux recommandations de la Commission d'appel des brevets. Conformément aux dispositions du paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, j'informe le demandeur que, puisque je considère que les questions en suspens ont été résolues, le refus de la demande est annulé et celle-ci passera à l'étape de l'acceptation.

 

 

 

 

Agnès Lajoie

Sous-commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

ce 14e jour de mai 2015

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