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Décision du commissaire no 1383

Commissioner’s Decision #1383

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : K11, O00

TOPIC : K11, O00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no 2 476 327

       Application No : 2,476,327


 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2 476 327 a fait l’objet d’une révision, conformément aux dispositions de l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission et la décision suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

MACRAE & co.

C.P. 806, succursale B

Ottawa (Ontario) K1P 5T4

 

INTRODUCTION

 

[1]          La présente recommandation fait suite à une révision du refus, en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, de la demande de brevet no 2 476 327 ayant pour titre « PROCÉDÉ D’ADMINISTRATION D’ANTIBIOTIQUE INJECTABLE DANS L’OREILLE D’UN ANIMAL », déposée le 19 mars 2003. Le demandeur est ZOETIS P & U LLC et l’inventeur est Scott A. Brown.

 

[2]          La présente demande a trait à une méthode d’administration d’un médicament, en particulier un antibiotique, à un animal d’une manière précise, en un emplacement précis. L’antibiotique doit être administré par voie sous-cutanée à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne de l’animal, l’emplacement d’injection étant plus précisément défini comme ayant un positionnement [traduction] « caudal par rapport aux muscles cervico-auriculaires et dorsocaudaux par rapport aux glandes parotides ». Cet emplacement est illustré de façon précise à la Figure 1 de la demande, reproduite ci-dessous, qui montre une injection près de l’oreille d’une vache.

 

                  

[3]          Pour les raisons exposées ci-après, nous recommandons que la demande soit rejetée au motif que l’invention revendiquée vise une méthode de traitement médical, et donc un objet non prévu par la Loi, et que l’invention revendiquée aurait été évidente pour la personne versée dans l’art.

 

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

 

[4]          La présente demande, qui a été déposée en vertu des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets (« PCT »), comporte une revendication de priorité fondée sur une demande déposée aux États-Unis le 21 mars 2002; cette date étant la date de la revendication qui s’applique pour l’appréciation de l’évidence aux termes de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[5]          La demande a été refusée dans une décision finale en date du 18 février 2013, au motif que les revendications visaient une méthode de traitement médical et étaient, par conséquent, non conformes à l’art. 2 de la Loi sur les brevets; les méthodes de traitement médical n’entrant pas dans la définition de « réalisation » ou de « procédé ».

 

[6]          Dans sa réponse à la décision finale, en date du 15 août 2013, le demandeur a de nouveau fait valoir les arguments qu’il avait déjà présentés, et soumis une interprétation personnelle de la jurisprudence pertinente à l’appui de sa prétention selon laquelle les revendications ne visent pas une méthode de traitement médical.

 

[7]          Le dossier a été transféré à la Commission d’appel des brevets (CAB) le 7 novembre 2013, accompagné d’un Résumé des motifs exposant les raisons pour lesquelles l’examinateur considérait les revendications comme étant toujours non conformes à l’art. 2 de la Loi sur les brevets. Le présent comité a été constitué dans le but de procéder à une révision de la demande en vertu des dispositions de l’alinéa 30(6)(c) des Règles sur les brevets.

 

[8]          Le Résumé des motifs a été transmis au demandeur le 18 décembre 2013, accompagné d’une lettre dans laquelle la possibilité de se faire entendre a été offerte au demandeur.

 

[9]          Dans une lettre en date du 19 mars 2014, le demandeur a fait connaître son désir de procéder par voie d’audience.

 

[10]      Dans une lettre en date du 25 novembre 2014, le comité, en plus de proposer une date pour la tenue de l’audience, a exposé son opinion préliminaire quant à l’interprétation des revendications qui serait utilisée pour évaluer la brevetabilité. Le comité a également signalé une irrégularité au titre du par. 27(4) de la Loi concernant la revendication 3.

 

[11]      À la demande du demandeur, l’audience a été reportée au 29 avril 2015.

 

[12]      Avant la tenue de l’audience, le demandeur a soumis des observations écrites en date du 15 avril 2015 dans lesquelles il a proposé de nouvelles revendications visant [traduction] « une méthode d’administration d’un antibiotique à un animal… ». Le demandeur a également proposé des revendications visant [traduction] « l’utilisation d’un antibiotique pour traiter ou prévenir une infection bactérienne chez un animal… pour la fabrication d’un médicament liquide… »; une revendication d’utilisation de type « suisse ». Il a, par la suite, été proposé de supprimer la revendication 3 afin d’éliminer l’irrégularité au titre du par. 27(4) de la Loi signalée par le comité.

 

[13]      Dans une lettre en date du 23 avril 2015, le comité a avisé le demandeur que des revendications de la portée de celles proposées dans les observations susmentionnées avaient déjà été examinées par l’examinateur dans le cadre du traitement de la demande et qu’elles avaient été écartées en raison des irrégularités décelées pendant le traitement. Le comité a également avisé le demandeur qu’une telle proposition sortait du cadre de ce qui serait considéré comme « nécessaire » aux termes du par. 30(6.3) des Règles sur les brevets. Le comité a néanmoins indiqué que, par souci d’exhaustivité, les revendications proposées seraient prises en considération advenant que les revendications au dossier se révèlent non conformes à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 

[14]      Le comité a également indiqué que les revendications d’utilisation de type suisse proposées avaient déjà été jugées irrégulières, pendant le traitement, du fait de leur caractère évident. Le comité a, en outre, avisé le demandeur que, par suite d’un examen de l’art antérieur, il était d’avis que l’irrégularité liée à l’évidence s’appliquerait aussi bien aux revendications au dossier qu’aux revendications d’une « méthode d’administration… » proposées. Le comité a réalisé une interprétation préliminaire et une analyse de la brevetabilité des revendications, y compris des revendications proposées.

 

[15]      Le 29 avril 2015, le comité a entendu les observations verbales du demandeur.

 

QUESTIONS

 

[16]      Le comité résoudra les deux questions suivantes :

 

         Les revendications au dossier (et les revendications proposées) visent-elles une méthode de traitement médical et, conséquemment, un objet non prévu par la Loi?

         Les revendications au dossier (et les revendications proposées) auraient-elles été évidentes?

 

[17]      Avant d’entreprendre de répondre à ces questions, le comité doit d’abord procéder à une interprétation des revendications. Par souci d’efficacité, nous considérerons conjointement l’ensemble des revendications, aussi bien les revendications au dossier (revendications 1 à 11) que les revendications proposées (revendications 1 à 19).

 

PRINCIPES JURIDIQUES

 

Interprétation des revendications

 

[18]      L’interprétation téléologique vise à distinguer les éléments de l’invention revendiquée qui sont considérés comme essentiels de ceux qui sont considérés comme non essentiels (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, par. 45). Cette distinction doit être établie du point de vue de la personne versée dans l’art, qui possède les connaissances générales courantes relatives à l’art pertinent (Free Word Trust c. Électro-Santé inc., 2000 CSC 66, au par. 31 [« Free World Trust »]).

 

[19]      La personne versée dans l’art du point de vue de laquelle les revendications doivent être interprétées est dépourvue d’imagination; elle est toutefois réputée être raisonnablement diligente dans ses efforts pour se tenir au courant des progrès réalisés dans le domaine dont relève l’invention. Cette personne normalement versée dans son art est réputée avoir une connaissance suffisante du domaine dont relève le brevet pour comprendre la nature de l’invention et connaître les brevets et les articles pertinents qu’une recherche raisonnable et diligente permettrait de découvrir (Newco Tank Corp c Canada (Procureur général), 2014 CF 287, par. 28).

 

[20]      Pour qu’un élément soit considéré comme non essentiel, il doit être démontré que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être omis ou substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention (Free World Trust, par. 55).

 

[21]      Dans l’Énoncé de pratique PN 2013-02 du Bureau des brevets, il est spécifié que le caractère essentiel ou non essentiel des éléments doit être déterminé sur la base du problème et de la solution exposés, et donc, à la lumière de l’ensemble de la demande.

 

Méthode de traitement médical

 

[22]      L’article 2 de la Loi sur les brevets définit une « invention » comme suit :

 

Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[23]      Ce ne sont pas tous les « procédés » qui constituent une « invention » brevetable. Les procédés associés à des méthodes de traitement médical ou de traitement chirurgical ont été jugés non brevetables par les tribunaux (voir Tennessee Eastman Co c. Commissaire des brevets [1974] RCS 111, p. 119 (« Tennessee Eastman »), Imperial Chemical Industries ltées c. Commissaire des brevets (1986), 9 CPR (3d) 289, p. 296 (CAF) (« ICI »), Janssen Inc c Mylan Pharmaceuticals, 2010 CF 1123, par. 53, Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB), sections 12.05.02 et 17.02.03).

 

Évidence

 

[24]      L’article 28.3 de la Loi sur les brevets énonce les conditions dans lesquelles une revendication peut être considérée comme évidente :

 

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[25]      Dans Sanofi, la Cour suprême du Canada a établi une démarche en quatre étapes fort utile pour évaluer l’évidence :

 

(1) (a)   Identifier la « personne versée dans l’art »;

      (b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)          Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3)       Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4)          Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

ANALYSE

 

Interprétation des revendications

 

[26]      Dans nos lettres du 25 novembre 2014 et du 23 avril 2015, nous avons exposé notre opinion préliminaire quant à l’interprétation des revendications, aussi bien les revendications 1 à 11 au dossier que les revendications 1 à 19 proposées.

 

[27]      Le demandeur n’a pas contesté ces opinions; nous les utiliserons donc aux fins de notre évaluation ci-dessous.

 

 

La personne versée dans l’art

 

[28]      Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre du 25 novembre 2014, nous définissons la personne versée dans l’art comme [traduction] « une personne spécialiste des méthodes d’administration de médicaments aux animaux, tels un vétérinaire ou un éleveur ».

 

Les connaissances générales courantes pertinentes

 

[29]                      Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre du 25 novembre 2014, le comité considère que ce qui suit faisait partie des connaissances générales courantes pertinentes (nous faisons référence aux points de vue qui ont été échangés au sujet de la technique antérieure dans le cadre de la présente demande) :

 

         L’injection d’antibiotiques provoque une irritation et possiblement une accumulation de résidus de médicament au point d’injection chez les animaux destinés à l’alimentation humaine, ce qui contrevient à la réglementation (page 1, lignes 9 et 10).

         La tendance à la date du dépôt de la demande est de délaisser l’injection intramusculaire au profit de l’injection sous-cutanée afin d’éviter la présence de résidus de médicament dans la viande comestible (page 1, lignes 10 à 13).

         L’injection sous-cutanée pose tout de même un problème, car une irritation au point d’injection et des résidus de médicament peuvent être présents sur la carcasse elle-même (qui est également comestible) (page 1, lignes 17 à 19)

         Le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) exige des « tissus cibles » pour la surveillance des résidus (p. ex. rein, fois, muscle, gras) (page 1, lignes 20 à 23), l’injection dans des tissus comestibles ne satisfait pas aux critères applicables aux tissus cibles (page 1, lignes 24 à 26), des tissus-cibles de substitution sont utilisés lorsque les antibiotiques laissent des résidus au point d’injection (page 2, lignes 1 à 3), et les niveaux de résidus présents dans les tissus de substitution doivent être inférieurs à ceux normalement considérés comme acceptables pour un tel point d’injection, étant donné qu’il s’agit de substituts (page 2, lignes 7 à 10).

         Le CCFA-SS, un antibiotique à libération prolongée connu, est utilisé comme traitement à injection unique pour les maladies bactériennes chez les animaux (page 2, lignes 11 à 13).

         Toutes les compositions injectables à libération prolongée de ce genre présentent le même problème, qui tient à l’impossibilité d’utiliser des tissus de substitution, car des concentrations supérieures de résidus de médicaments demeurent présentes au site d’injection pendant une plus longue période (page 2, lignes 13 à 19).

         Injection d’antibiotiques par voie sous-cutanée dans la partie de l’oreille.

         Injection de l’antibiotique CCFA-SS par voie sous-cutanée dans le cou, dans le flanc, dans la partie postérieure de l’oreille ou en d’autres points d’injection sous-cutanée sur les parties de la carcasse qui comprennent des tissus comestibles, aux fins du traitement des maladies bactériennes (page 3, lignes 3 à 7).

         Administration d’hormones par voie sous-cutanée auriculaire (c.-à-d. dans l’oreille) au moyen d’implants à dose solide (page 3, lignes 7 et 8).

         Implants d’antibiotiques, mais généralement administrés par voie intramusculaire (page 3, lignes 8 à 10)

         Des vaccins à faible volume ont été administrés avec succès par voie intradermique dans les oreilles de chiens et de porcs (page 3, lignes 10 et 11).

         Des allergènes à visée diagnostique et un vaccin à faible volume ont été administrés par voie sous-cutanée dans la partie dorsale ou le côté postérieur de l’oreille chez des porcs (page 3, lignes 11 à 13)

         Injection du CCFA-SS dans la partie postérieure de l’oreille (page 3, lignes 13 et 14).

 

Le problème à résoudre et la solution fournie par l’invention

 

[30]      Dans notre lettre du 25 novembre 2014, nous avons énoncé le problème à résoudre, à la lumière de la section Contexte de la présente demande, de la façon suivante [traduction] :

 

fournir une méthode pour injecter un antibiotique à un animal d’une façon qui permet d’éviter que des résidus de médicament demeurent dans les parties comestibles de la carcasse.

 

[31]      Dans cette même lettre, nous avons décrit comme suit la solution fournie par l’invention [traduction] :

 

injecter un antibiotique (ayant pour but de traiter ou de prévenir une infection bactérienne) en un poids spécifique du corps d’un animal, à savoir « à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne de l’animal, l’injection étant effectuée selon un positionnement caudal par rapport aux muscles cervico-auriculaires et dorsocaudaux par rapport à la glande parotide ». L’essentiel, voire la totalité, de la partie où est réalisée l’injection est éliminé lors de l’abattage, ce qui permet d’éviter la contamination des parties comestibles.

 

[32]      Le demandeur n’a pas contesté les énoncés reproduits ci-dessus.

 

Les éléments essentiels des revendications

 

[33]      La revendication 1 des revendications au dossier (qui est la seule revendication indépendante) est formulée comme suit [traduction] :

 

1.      Une méthode pour traiter ou prévenir une infection bactérienne chez un animal sélectionné parmi un groupe composé de bovins, de porcins, d’ovins et de caprins, comprenant l’étape consistant à injecter une quantité efficace d’antibiotique par voie sous-cutanée à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne de l’animal, l’injection étant effectuée selon un positionnement caudal par rapport aux muscles cervico-auriculaires et dorsocaudaux par rapport à la glande salivaire parotide.

 

[34]      Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre du 25 novembre 2014, nous sommes d’avis, à la lumière de la solution fournie par l’invention, que la personne versée dans l’art considérerait l’étape consistant à injecter l’antibiotique à un animal à l’emplacement particulier spécifié dans les revendications comme essentielle à la méthode visant à traiter ou à prévenir l’infection bactérienne. Étant donné que la revendication 1 est la seule revendication indépendante, cette caractéristique est commune à l’ensemble des revendications au dossier. Les autres revendications (exception faite de la revendication 3, qu’il a été suggéré de supprimer) exposent les détails relatifs à l’antibiotique à injecter et au type d’infection bactérienne à traiter dans le cadre de la méthode, deux éléments que nous considérons comme essentiels à ces revendications.

 

[35]      La revendication 1 des revendications 1 à 19 proposées qui ont été soumises le 15 avril 2015 est ainsi formulée :

 

1.      Un procédé pour administrer un antibiotique à un animal sélectionné parmi un groupe composé de bovins, de porcins, d’ovins et de caprins, comprenant l’étape consistant à injecter l’antibiotique par voie sous-cutanée à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne de l’animal, l’injection étant effectuée selon un positionnement caudal par rapport aux muscles cervico-auriculaires et dorsocaudaux par rapport à la glande salivaire parotide.

 

[36]      Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre du 23 avril 2015, bien que la revendication 1 proposée vise une méthode pour « administrer » un médicament, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait, à la lumière du mémoire descriptif dans son ensemble, que le résultat de l’administration demeure le traitement ou la prévention d’un état pathologique (c.-à-d. une infection bactérienne telle que la maladie respiratoire du bovin et la maladie respiratoire du porc). Le demandeur n’a pas contesté cette opinion. Les revendications 2 à 10 proposées ont une portée similaire à celle des revendications dépendantes au dossier.

[37]      La revendication indépendante 11 des revendications 1 à 19 proposées est reproduite ci-dessous [traduction] :

 

11.  Utilisation d’un antibiotique efficace pour traiter ou prévenir une infection bactérienne chez un animal sélectionné parmi un groupe composé de bovins, de porcins, d’ovins et de caprins pour la fabrication d’un médicament liquide aux fins de l’injection de l’antibiotique par voie sous-cutanée à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne de l’animal, l’injection étant effectuée selon un positionnement caudal par rapport aux muscles cervico-auriculaires et dorsocaudaux par rapport à la glande salivaire parotide.

 

[38]      La revendication 11 proposée est formulée à la manière d’une revendication d’utilisation de type suisse dans laquelle l’utilisation est axée sur la fabrication d’un médicament plutôt que sur son emploi à des fins de traitement ou de prévention en soi. Bien qu’il soit manifeste que la revendication vise une utilisation plutôt qu’une méthode, il est tout de même spécifié dans la revendication d’effectuer une injection au même emplacement que celui spécifié dans la revendication 1 au dossier. Compte tenu de la solution qui est proposée dans la demande, nous sommes d’avis qu’en l’espèce, la personne versée dans l’art comprendrait que l’injection à l’emplacement spécifié est un élément essentiel de cette revendication également. À l’instar de la Cour fédérale dans Novartis Pharmaceuticals Canada inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985, par. 101, nous ne tiendrons pas compte de la [traduction] « nature artificielle » des revendications de type « suisse » et nous concentrerons sur [traduction] « l’objet véritable de la revendication ».

 

[39]      En l’espèce, la demande est axée sur une méthode d’administration du médicament (c.-à-d. à un emplacement particulier), qui a pour but de traiter ou de prévenir une infection bactérienne. Ainsi, conformément à l’opinion que nous avons formulée dans notre lettre du 23 avril 2015, la personne versée dans l’art considérerait que la revendication 11 proposée, malgré son format, vise, elle aussi, une méthode de traitement. Les revendications dépendantes 12 à 19 ont une portée similaire à celle des revendications dépendantes au dossier.

 

[40]      Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que les revendications au dossier et les revendications 11 à 19 proposées visent une méthode de traitement ou de prévention d’une infection bactérienne chez un animal, qui comprend l’étape consistant à injecter un antibiotique à l’emplacement particulier qui est spécifié dans les revendications.

 

Les revendications au dossier (et les revendications proposées) visent-elles une méthode de traitement médical et, conséquemment, un objet non prévu par la Loi?

 

[41]      Le demandeur a fait valoir, aussi bien dans le cadre de ses observations verbales que de ses observations écrites du 15 avril 2015 et du 12 octobre 2011, que l’interdiction concernant le brevetage des méthodes de traitement médical comportait deux volets; le premier étant lié à l’ancien art. 41 de la Loi sur les brevets (abrogé depuis). Le second volet est lié à une branche de la common law, comme l’illustre le renvoi par la Cour suprême dans Tennessee Eastman à une décision du Patents Appeal Tribunal du Royaume-Uni dans Re Schering A.G.’s Application [1971] RPC 337 (Patents Appeal Tribunal), à la page 345 (« Schering »).

 

[42]      Dans le passage extrait de l’affaire Schering qu’elle a cité dans sa décision, la Cour suprême du Canada a mis en italique la partie portant que [traduction] « il faille exclure les brevets couvrant un traitement médical au sens strict. » Le demandeur soutient que « au sens strict » doit être interprété de façon restrictive comme signifiant que le brevetage des méthodes de traitement médical est interdit uniquement lorsque l’expertise et le jugement d’un professionnel de la santé, tel un médecin, sont nécessaires pour mettre en œuvre l’invention (voir les observations écrites du demandeur du 15 avril 2015, aux pages 5 et 6). Nous sommes d’avis que cette position ne correspond pas à celle de nos tribunaux.

 

[43]      En l’espèce, conformément à notre caractérisation de la personne versée dans l’art, bien que l’invention puisse s’adresser à un professionnel de la santé (p. ex. un vétérinaire), elle peut également s’adresser à une personne qui n’est pas un professionnel de la santé tel un éleveur.

[44]      Selon le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (« RPBB »), aux sections 12.05.02 et 17.02.03, une méthode « qui assure à un sujet un bénéfice thérapeutique pratique est réputée être une méthode de traitement médical et n’est donc pas brevetable ». La méthode doit « avoir pour objet de guérir, prévenir ou atténuer un trouble ou un état pathologique, ou de traiter une anomalie physique ou une difformité, notamment par la physiothérapie ou la chirurgie ».

 

[45]      Les passages du RPBB cités ci-dessus sont fondés sur les décisions rendues dans les affaires Tennessee Eastman et ICI (toutes deux mentionnées dans le cadre des observations verbales et écrites du demandeur). Dans ICI, l’invention avait trait à une méthode de nettoyage des dents par l’application d’une composition favorisant l’hygiène bucco-dentaire. La Cour d’appel fédérale, après examen de Tennessee Eastman, a conclu que la Cour suprême, à la page 207 de sa décision, avait fait [traduction] :

 

une affirmation claire et sans équivoque selon laquelle « les méthodes de traitement médical ne sont pas visées comme “procédés” par la définition d’“invention” ».

 

[46]      Sur cette base, et du fait qu’une [traduction] « fonction prépondérante de l’invention était médicale », la Cour a conclu que la méthode de nettoyage des dents n’était pas brevetable, bien qu’elle n’ait pas à être pratiquée par un médecin

 

[47]      Le présent comité a également passé en revue l’affaire Schering, mentionnée par la Cour suprême du Canada et citée par le demandeur à l’appui de sa prétention voulant que seules les méthodes de traitement médical nécessitant l’expertise et le jugement d’un médecin ne soient pas brevetables. 

 

[48]      Dans l’affaire Schering, qui avait trait à une méthode de contraception, le Tribunal, en concluant à la brevetabilité de la méthode en question, a établi une distinction entre les méthodes de traitement médical au sens strict (non brevetable) et les méthodes de traitement médical dans un sens plus large (brevetable) [traduction] :

 

À moins que tous les traitements du corps humain, par opposition aux traitements destinés à guérir ou à prévenir une maladie, ne soient considérés comme exclus de la protection conférée par le brevet, je ne vois aucune raison de ne pas accepter une telle revendication. [Soulignement ajouté]

 

[49]      Comme dans ICI, il n’y a rien qui dicte que, pour être considérée comme exclue de la protection conférée par le brevet, il est impératif qu’une méthode de traitement médical doive être pratiquée par un médecin. Il est seulement nécessaire qu’elle ait pour but de « guérir ou prévenir une maladie ».

 

Conclusions

 

[50]      À la lumière de ce qui précède, étant donné que les revendications ont été interprétées comme comprenant une étape essentielle d’administration ou de traitement ayant pour but de traiter ou de prévenir une infection bactérienne (un état pathologique), nous concluons que les revendications visent une méthode de traitement médical et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’art. 2 de la Loi sur les brevets.

 

 Les revendications au dossier (et les revendications proposées) auraient-elles été évidentes?

 

[51]      Dans notre lettre du 23 avril 2015, nous avons exposé notre analyse préliminaire des revendications (autant les revendications 1 à 11 au dossier que les revendications 1 à 19 proposées), laquelle était fondée sur la démarche établie dans Sanofi. Le demandeur n’a pas contesté, ni dans ses observations écrites du 27 avril 2015 ni lors de ses observations verbales, l’opinion du comité à l’égard des étapes 1 à 3 de cette démarche, que nous utilisons aux fins de notre analyse ci-dessous.

 

(1)(a) Identifier la « personne versée dans l’art »

 

[52]      La personne versée dans l’art est définie au paragraphe [28].

 

(1)(b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[53]      Les connaissances générales courantes pertinentes sont exposées au paragraphe [29].

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[54]      Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre du 23 avril 2015, le comité considère que les revendications 1 à 11 au dossier exposent les détails relatifs à l’antibiotique à injecter et au point d’injection, conformément à la solution déterminée dans le cadre de l’interprétation des revendications ci-dessus. Pour cette raison, nous estimons que les caractéristiques des revendications au dossier sont essentielles eu égard à la solution et qu’elles sont le reflet de leur concept inventif respectif. De même, nous estimons que les caractéristiques 1 à 19 sont, elles aussi, le reflet de leur concept inventif respectif.

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

[55]      Comme nous l’avons indiqué dans notre lettre du 23 avril 2015, l’irrégularité liée à l’évidence découle de l’existence du brevet américain no 6 074 657 (« le brevet ‘657 »), qui a été octroyé au demandeur lui-même le 13 juin 2000. De plus, en ce qui concerne l’ensemble des revendications au dossier et les revendications 1 à 19 proposées, le comité n’a décelé qu’une seule différence entre les concepts inventifs des revendications et l’état de la technique représenté par le brevet ‘657, à savoir le point exact d’injection qui est spécifié dans les revendications [traduction] :

 

injection d’une quantité efficace d’un antibiotique par voie sous-cutanée à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne de l’animal, le point d’injection ayant un positionnement caudal par rapport aux muscles cervico-auriculaires et dorsocaudaux par rapport à la glande salivaire parotide. [Soulignement ajouté]

 

 (4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[56]      Le brevet ‘657 divulgue l’administration par voie sous-cutanée d’un antibiotique injectable (suspension huileuse stérile d’acide libre cristallin de ceftiofur – CCFA-SS – le même médicament que le médicament préférentiel dans la présente demande) dans la partie postérieure de l’oreille d’un animal tel qu’un bovin, un porcin, un ovin ou un caprin. Plus particulièrement, le brevet ‘657 divulgue des sites d’injection; l’un d’eux correspondant à la ligne médiane de l’oreille, dans le tiers médian de l’oreille (voir col. 8, lignes 5 à 12, et Figure 1). Dans le cadre d’une méthode préférentielle, l’oreille est pliée en deux le long de son axe longitudinal et l’injection est effectuée environ à mi-chemin entre la base et l’extrémité de l’oreille, à environ ½ po à 1 po du bord supérieur de l’oreille (voir col. 8, lignes 23 et 34, et Figure 2). Bien que la réalisation susmentionnée soit expressément donnée en exemple, la partie postérieure de l’oreille est généralement décrite comme un site d’injection souhaitable, car l’oreille n’est pas comestible et, par conséquent, l’introduction d’un antibiotique à libération prolongée, tel que le CCFA-SS, à cet emplacement ne pose pas problème du point de vue de l’innocuité des parties destinées à l’alimentation humaine (voir col. 9, lignes 1 à 4). 

 

[57]      Comme nous l’avons indiqué à l’étape (1)(b), l’importance d’éviter d’injecter des substances, par exemple des antibiotiques, dans les parties comestibles des animaux faisait partie des connaissances générales courantes de l’époque. L’injection d’antibiotiques dans la partie postérieure de l’oreille faisait également partie des connaissances générales courantes. En outre, un problème bien connu des antibiotiques à libération prolongée était que des concentrations élevées de résidus de médicament demeuraient présentes pendant une plus longue période au site d’injection.

 

[58]      Le brevet ‘657 visait à remédier aux problèmes liés à la contamination des parties comestibles en délaissant le procédé classique consistant à injecter une formulation de suspension stérile antimicrobienne à libération prolongée (p. ex. le CCFA-SS) par voie sous-cutanée dans le cou, le flanc ou d’autres parties du corps de l’animal, au profit d’une injection d’antibiotique par voie sous-cutanée dans la partie postérieure de l’oreille. L’oreille étant retirée lors de l’abattage, le risque de contamination de la partie comestible s’en trouve éliminé. 

 

[59]      La présente demande vise à remédier aux mêmes problèmes (voir page 4, lignes 13 et 14). Bien que le point d’injection se trouve plus précisément à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne, ainsi qu’en position caudale par rapport aux muscles cervico-auriculaires et dorsocaudaux par rapport à la glande salivaire parotide, cet emplacement (illustré aux Figures 1 et 2 de la présente demande) est tout de même adjacent à la partie postérieure de l’oreille. Étant donné que la personne versée dans l’art sait que la concentration d’antibiotique demeure plus élevée pendant plus longtemps au site d’injection, on peut présumer que la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que plus le site d’injection se rapproche de la carcasse, plus le potentiel de contamination augmente. 

 

[60]      Le brevet ‘657 suggère, de façon générale, qu’une injection à n’importe quel emplacement dans la partie postérieure de l’oreille est préférable à une injection dans la carcasse elle-même (voir col. 6, lignes 6 à 11). Cela donne à penser qu’un point situé à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne, ou à proximité immédiate de la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne, était envisagé comme site d’injection possible. L’emplacement précis qui est spécifié dans la présente demande, c’est-à-dire « à la jonction » du pavillon de l’oreille et du crâne, ne constitue donc qu’un très léger changement d’emplacement. Cela tend à confirmer que la personne versée dans l’art aurait considéré cet emplacement comme une possibilité évidente, tout en ayant conscience que le fait de rapprocher le site d’injection de la carcasse entraîne un risque de contamination.

 

Avantages liés au site d’injection

 

[61]      Il est deux fois fait mention (voir page 4, lignes 15 à 19 et page 5, lignes 24 à 30 de la présente demande) dans la demande d’un avantage susceptible de découler du site d’injection revendiqué, à savoir qu’il pourrait ne pas être nécessaire d’immobiliser la tête de l’animal pendant l’injection. L’injection pourrait donc avoir lieu au pâturage et la main libre, c’est-à-dire celle ne tenant pas la seringue, pourrait être utilisée pour agripper l’oreille et stabiliser la tête.

 

[62]      Or, la méthode d’administration divulguée dans le brevet ‘657 ne requiert pas non plus d’immobiliser la tête de l’animal (voir col. 8, lignes 2 à 4), même s’il ne l’empêche pas. La méthode d’administration spécifique qui est divulguée à la col. 8, lignes 23 à 62 du brevet ‘657 comprend les étapes consistant à agripper l’oreille avec la main qui ne tient pas la seringue et à plier l’oreille en deux le long de l’axe longitudinal avant d’effectuer l’injection. Dans tous les cas, étant donné que le brevet ‘657 ne limite pas le site d’injection à la partie médiane du côté postérieur de l’oreille, on peut présumer que la personne versée dans l’art, sachant le site d’injection plus proche du crâne, se serait attendue à ce qu’une plus grande partie de l’oreille puisse être agrippée pour stabiliser la tête de l’animal pendant l’injection.

 

Les déclarations soumises le 27 avril 2015

 

[63]      Avant la tenue de l’audience, le demandeur a soumis trois déclarations visant à démontrer l’inventivité des revendications; ces déclarations ont été soumises alors que la demande de brevet américaine correspondante était en cours de traitement.

 

La déclaration de Merlyn J. Lucas

 

[64]      La première de ces déclarations est le fait de Merlyn J. Lucas, un vétérinaire exerçant les fonctions de directeur, Développement clinique pharmaceutique, au sein de la Division de la santé animale de Pfizer. Après examen de la déclaration de M. Lucas, bien que ce dernier corresponde assez bien au profil de la personne versée dans l’art que nous avons établi, nous ne considérons pas que sa déclaration pèse en faveur de la non-évidence des revendications.

 

[65]      M. Lucas soutient que les différentes entre le brevet ‘657 et l’invention revendiquée sont 1) [traduction] « l’emplacement des sites d’injection » et 2) [traduction] « le profil d’innocuité inattendu du point de vue de la tolérance du site d’injection lorsque de plus grandes quantités d’antibiotique sont injectées à la jonction du pavillon de l’oreille et du crâne de l’animal, en particulier lorsque l’antibiotique injecté est l’acide libre cristallin de ceftiofur » (déclaration de M. Lucas, page 3). 

 

[66]      En ce qui concerne la première différence, M. Lucas soutient que le brevet ‘657 enseigne d’injecter l’antibiotique dans le tiers médian de l’oreille, tandis que la demande enseigne de l’injecter à la base de l’oreille. À cet égard, dans sa déclaration, M. Lucas n’expose aucun raisonnement à savoir pourquoi cet emplacement différent n’est pas évident; il se contente d’affirmer qu’il s’agit d’une différence. 

 

[67]      En ce qui a trait à la seconde différence, M. Lucas affirme que l’emplacement précis qui est spécifié dans les revendications présente un profil d’innocuité inattendu, et cite à l’appui la pièce B de sa déclaration. La pièce B est un rapport en date du 2 juin 2006 associé à une « SUPPLEMENTAL NEW ANIMAL DRUG APPLICATION » américaine se rapportant à l’injection d’un antibiotique à des vaches laitières en lactation. Il est vrai que le document indique qu’une injection à la base de l’oreille est plus sécuritaire et mieux tolérée qu’une injection dans le tiers médian de l’oreille (voir la page 18 de la pièce B), mais ce résultat concerne un groupe d’animaux précis (c.-à-d. les vaches laitières en lactation, lesquelles requièrent de plus grandes quantités d’antibiotiques). Nous soulignons que les quantités injectées variaient de 15 à 30 ml par vache, et que dans le cas des injections effectuées dans le tiers médian de l’oreille qui se sont révélées problématiques, la quantité injectée était supérieure à 19,5 ml (voir la page 18 de la pièce B). Or, la présente demande prévoit l’injection de quantités moindres (c.-à-d. 1 à 15 ml) à une concentration similaire (6,6 mg CE/kg PC). Ainsi, bien que le document expose des avantages par rapport aux problèmes liés aux quantités d’antibiotique requises pour les vaches laitières en lactation, il ne corrobore pas l’existence d’avantages liés à l’injection de quantités moindres telles que celles envisagées dans la présente demande.

 

[68]      Nous soulignons en outre que ces résultats sont ceux d’une étude qui a été menée de janvier 2004 à avril 2004, et qu’ils sont donc postérieurs à la présente demande. Ils constitueraient donc des « avantages découverts ultérieurement ». Nous ne considérons pas que la présente espèce correspond au [traduction] « plus extraordinaire des cas » qui est évoqué dans Novopharm ltée c. Janssen-Ortho inc., 2007 CAF 217, au par. 26 et, par conséquent, nous n’accordons aucun poids à ces résultats.

 

[69]      Dans les autres parties de sa déclaration, M. Lucas expose les raisons pour lesquelles la combinaison du brevet ‘657 (également cité aux États-Unis) et d’un document par Forg et coll. portant sur la vaccination par ADN ne rend pas les revendications évidentes. Étant donné que le document de Forg et coll. n’a pas été cité à l’encontre de la présente demande, les arguments se rapportant à cette référence ne sont pas pertinents.

 

La déclaration de Rodney K. Frank

 

[70]      M. Frank est chercheur en sciences de l’innocuité au sein de la Division de la recherche et du développement en médecine vétérinaire chez Zoetis LLC et vétérinaire, et correspond en cela au profil de la personne versée dans l’art que nous avons établi. Nous avons examiné la déclaration de M. Franck, et nous concluons qu’elle ne pèse pas en faveur de la non-évidence des revendications. 

 

[71]      M. Frank est d’avis que la méthode d’administration exposée dans la présente demande est [traduction] « contre-intuitive » par rapport au brevet ‘657, qui, selon lui, enseignait à la personne versée dans l’art de choisir un site d’injection situé à distance des tissus comestibles, de manière à ce que ce dernier soit retranché de la carcasse lors de l’abattage (déclaration de M. Frank, par. 14 et 15). Plus particulièrement, le brevet ‘657 enseignait d’effectuer l’injection dans la partie médiane de l’oreille du côté postérieur. De l’avis de M. Frank, la perception d’un [traduction] « préjudice manifeste » aurait milité contre le déplacement du site d’injection plus près de la carcasse (déclaration de M. Frank, par. 18).

 

[72]      Comme nous l’avons indiqué précédemment, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas le brevet ‘657 comme limitant le site d’injection à la partie médiane postérieure de l’oreille. Bien que cet emplacement soit décrit comme un site d’injection préférentiel, le brevet ‘657 suggère de façon générale que la partie postérieure de l’oreille constitue un site d’injection convenable pour prévenir la contamination des parties comestibles de la carcasse, l’oreille étant retirée lors de l’abattage. Nous estimons que l’effet du déplacement du site d’injection (en particulier, vers la carcasse), dans le contexte de l’enseignement général contenu dans le brevet ‘657, aurait été évident pour la personne versée dans l’art (p. ex. l’accroissement du risque que les parties comestibles contiennent des résidus de médicaments).

 

La déclaration de Duncan Mwangi                                                         

 

[73]      M. Mwangi est chercheur associé au sein de la Division de la technologie et de la recherche et du développement en médecine vétérinaire chez Zoetis LLC et vétérinaire, et correspond en cela au profil de la personne versée dans l’art que nous avons établi. Nous avons examiné la déclaration de M. Mwangi, et nous concluons qu’elle ne pèse pas en faveur de la non-évidence des revendications.

 

[74]      Pour l’essentiel, la déclaration de M. Mwangi est fondée sur l’opinion de ce dernier selon laquelle la personne versée dans l’art n’aurait pas combiné les enseignements du brevet ‘657 et avec ceux contenus dans le document de Forg et coll. (cité par l’Office des brevets des États-Unis) pour arriver à l’invention revendiquée. En ce qui concerne les arguments relatifs à l’applicabilité du document de Forg et coll., le document de Forg et coll. (ou un document comparable à celui de Forg et coll.) n’ayant pas été cité à l’encontre de la présente demande, il s’ensuit que ces arguments ne sont pas pertinents.

 

[75]      À un certain endroit dans sa déclaration, alors qu’il compare l’invention revendiquée avec le brevet ‘657, M. Mwangi mentionne [traduction] « l’absence de résidus dans les tissus à la suite de l’injection d’un antibiotique à cet emplacement » (celui revendiqué dans la présente demande) et donne son opinion relativement à cette situation, à savoir qu’il s’agit [traduction] « d’un résultat inattendu » (déclaration de M. Mwangi, par. 14) et qu’il est [traduction] « étonnant qu’il n’y ait qu’une diffusion minime de l’antibiotique dans les tissus comestibles environnants » (déclaration de M. Mwangi, par. 16). Comme nous l’avons déjà mentionné, nous sommes d’avis, à la lumière des enseignements contenus dans le brevet ‘657 et des connaissances générales courantes, que la personne versée dans l’art se serait attendue à ce qu’une injection réalisée au site d’injection de la présente invention se traduise par une quantité moindre de résidus dans les tissus de la carcasse, comparativement à une injection réalisée par voie intramusculaire, p. ex. dans le cou, comme le voulait la technique antérieure. Nous soulignons également que ce résultat attendu concorde avec les constatations que le demandeur a lui-même réalisées en ce qui concerne la concentration moyenne de résidus dans les tissus comestibles (voir la présente demande, page 9, lignes 14 à 19).

 

Conclusions

 

[76]      Après examen des antériorités au dossier, et compte tenu des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art et des observations du demandeur (y compris les déclarations soumises à l’appui de la non-évidence des revendications), nous concluons que les revendications 1 à 11 au dossier et les revendications 1 à 19 proposées auraient été évidentes et qu’elles sont, par conséquent, non conformes à l’art. 28.3 de la Loi sur les brevets.


 

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

 

[77]      Le comité recommande que la demande soit rejetée parce que les revendications au dossier, à savoir les revendications 1 à 11 :

         visent une méthode de traitement médical et sont, par conséquent, non conformes à l’art. 2 de la Loi sur les brevets;

         auraient été évidentes et sont, par conséquent, non conformes à l’art. 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[78]      En outre, les revendications 1 à 19 proposées souffrent des mêmes irrégularités et, conséquemment, ne sont pas considérées comme « nécessaires » aux termes du par. 30(6.3) des Règles sur les brevets.

 

 

 

 

Stephen MacNeil                              Paul Fitzner                                      Paul Sabharwal

Membre                                                  Membre                                              Membre


 

DÉCISION

 

[79]      Je souscris aux conclusions de la Commission d’appel des brevets ainsi qu’à sa recommandation de rejeter la demande au motif que les revendications au dossier, à savoir les revendications 1 à 11 :

 

         visent une méthode de traitement médical et sont, par conséquent, non conformes à l’art. 2 de la Loi sur les brevets;

         auraient été évidentes et sont, par conséquent, non conformes à l’art. 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[80]      Les modifications proposées ne remédient pas aux irrégularités et, conséquemment, ne sont pas considérées comme « nécessaires » aux termes du par. 30(6.3) des Règles sur les brevets.

 

[81]      Par conséquent, en application des dispositions de l’article 40 de la Loi sur les brevets, je refuse d’octroyer un brevet pour cette demande. Conformément aux dispositions de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d’un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

Agnès Lajoie

Sous-commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

ce 16e jour de juillet 2015

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