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Décision du commissaire no 1376

Commissioner’s Decision #1376

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS : B00, F00, O00

TOPICS: B00, F00, O00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2,619,449

Application No: 2,619,449

 


 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet no 2 619 449 a fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le commissaire aux brevets, conformément aux dispositions de l'alinéa 30(6)c) des mêmes Règles. La recommandation de la Commission et la décision du commissaire suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

Demandeur

 

M. Ronald W. Cook

24-140 Elmview St.

Welland (Ontario)

L3C 4K7


INTRODUCTION

 

[1]               La présente décision a pour objet la révision de la demande de brevet no 2 619 449 [« la demande ‘449 »], intitulée [traduction] « Production d'électricité en harmonie avec l'environnement ». L'inventeur et demandeur, M. Ronald W. Cook, se représente lui-même.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, nous recommandons que la demande soit rejetée.

 

CONTEXTE DE L'INVENTION

 

[3]               La demande ‘449 concerne un procédé de production d'électricité à partir d'apports en vent, en eau et en rayonnement solaire, et l'utilisation de l'électricité ainsi produite pour propulser des véhicules et pour produire de l'énergie dans des installations de production d'énergie.

 

HISTORIQUE DU TRAITEMENT DE LA DEMANDE

 

[4]               La demande ‘449 a été déposée le 4 février 2008.

 

[5]               Le 26 octobre 2012, l'examinateur a transmis une décision finale en vertu du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets. Dans sa décision finale, l'examinateur a indiqué que la revendication 1,  l'unique revendication au dossier de cette demande, était irrégulière pour les motifs suivants :

 

         non-conformité au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets en raison de son caractère indéfini;

         non-conformité à l'alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets, parce qu'elle comprend un objet qui est antériorisé;

         non-conformité à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, parce qu'elle comprend un objet qui est évident.

 

[6]               Dans une réponse à la décision finale en date du 7 décembre 2012, le demandeur a présenté des arguments à l’appui de la nouveauté, de la non-évidence et de la clarté de la revendication.

 

[7]               Puisque l'examinateur était d’avis que la revendication n'était toujours pas conforme à la Loi sur les brevets, en vertu du paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, la demande a été transférée à la Commission d'appel des brevets [« la Commission »] pour révision, le 29 juillet 2013; elle était accompagnée du résumé des motifs expliquant pourquoi la revendication 1 était considérée comme non conforme au paragraphe 27(4), à l'alinéa 28.2(1)b) et à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[8]               Dans une lettre datée du 8 novembre 2013, la Commission a transmis au demandeur une copie du résumé des motifs et a offert à ce dernier l'occasion de participer à une audience. Dans une réponse en date du 4 février 2014, le demandeur a décliné l'occasion qui lui était offerte de se faire entendre et a indiqué qu'il souhaitait que la révision soit effectuée sur la foi du dossier écrit.

 

[9]               À la suite d'une révision préliminaire, le présent comité de la Commission a envoyé au demandeur une lettre en date du 31 mars 2014, dans laquelle il formulait des observations préliminaires quant aux irrégularités afférentes au paragraphe 27(4), à l'alinéa 28.2(1)b) et à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets et offrait au demandeur l'occasion de présenter des arguments relativement à ces observations. Des copies des documents d’antériorité cités dans la décision finale étaient jointes à la lettre. Dans une réponse en date du 1er mai 2014, le demandeur a présenté des arguments en lien avec les observations préliminaires.

 

QUESTIONS

 

[10]           Les questions en litige sont celles qui sont énoncées dans la décision finale, le résumé des motifs et la lettre de la Commission en date du 31 mars 2014, à savoir si la revendication au dossier est :

 

         non conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets en raison de son caractère indéfini;

         non conforme à l'alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets, parce qu'elle définit un objet qui est antériorisé;

         non conforme à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, parce qu'elle comprend un objet qui aurait été évident pour une personne versée dans l'art à la date de la revendication.

 

LE MÉMOIRE DESCRIPTIF AU DOSSIER

 

[11]           La description n'étant pas très longue, nous la reproduisons dans son intégralité :

 

[traduction]
Mémoire descriptif

 

[001]       La nature générale du procédé en cause concerne la production d'électricité dans une installation de production d'énergie, et la production d'électricité à titre de force motrice pour propulser des véhicules terrestres et/ou ferroviaires et/ou se déplaçant sur l'eau.

 

[002]     Le problème que pose la production actuelle d'énergie électrique tient à la pollution et au réchauffement climatique qu'elle occasionne. L'énergie nucléaire génère des déchets radioactifs pour lesquels une solution d'élimination satisfaisante (permanente) n'a pas encore été mise au point, et est associée à la libération potentielle de quantités massives de radioactivité destructrice provoquée par un accident de fusion du cœur ou des actes terroristes. Lorsque l'électricité est produite par combustion, des émissions thermiques et des polluants sont libérés dans l'atmosphère et ont des conséquences néfastes pour les êtres humains.

 

[003]     Le procédé de production d'électricité en harmonie avec l'environnement ne génère aucune radioactivité nucléaire, n'entraîne aucun rejet nocif pour l'environnement, car l'eau chaude (qui peut entraîner la mort de la végétation et des insectes) peut, dans le cas d'une installation de production d'énergie, être réinjectée par pompage dans la chaudière, puis convertie en vapeur, tandis que si le procédé est utilisé pour propulser un véhicule, elle peut être réinjectée par pompage dans le réservoir à eau afin d'être convertie en hydrogène et pour empêcher l'eau de geler. L'électricité de source éolienne et/ou solaire peut être utilisée pour empêcher l'eau de geler dans le réservoir. De plus, lorsque la source d'énergie est l'hydrogène, aucune batterie n'est requise pour les véhicules de transport.

 

[004]     La meilleure façon de mettre en pratique le procédé dans des installations de production d'énergie serait la suivante : des turbines éoliennes et des panneaux solaires produiraient de l'électricité qui serait appliquée à de l'eau, qui serait soit acheminée par canalisation soit stockée dans un réservoir, ce qui permettrait d'obtenir de l'hydrogène, lequel serait stocké dans des réservoirs (souterrains ou de surface) d'une capacité suffisante pour compenser les périodes sans apport en vent et/ou en rayonnement solaire. L'hydrogène serait acheminé vers les piles à combustible où l'électricité produite serait appliquée à un élément chauffant situé sous la chaudière afin de produire de la vapeur, laquelle s'écoulerait vers une turbine appropriée, produisant de l'électricité pour un réseau. L'eau chaude provenant des piles à combustible serait réinjectée par pompage dans la chaudière.

 

[005]     La meilleure façon de mettre en pratique le procédé pour la propulsion de véhicules serait la suivante : dans le cas de voitures, de camions, de véhicules terrestres (autres que ferroviaires), le toit serait recouvert de panneaux solaires posés sur le dessus d'une plateforme grillagée dans laquelle le vent pourrait s'engouffrer en provenance de toute direction et ferait tourner des aubes, qui, à leur tour, feraient tourner un essieu pour produire de l'électricité conjointement avec une dynamo. De là, l'électricité servirait en premier lieu, au besoin, à empêcher l'eau contenue dans le réservoir de geler et/ou serait appliquée à l'eau afin de produire de l'hydrogène qui serait stocké dans un réservoir d'une capacité suffisante. L'hydrogène serait ensuite acheminé à une pile à combustible produisant de l'électricité pour un ou des moteurs électriques de manière à entraîner la ou les roues moyennant un raccord approprié.

 

[006]     Dans le cas de locomotives de chemins de fer, là encore des panneaux solaires seraient installés sur le dessus des moteurs et pourvus d'entrées d'air telles que celles décrites précédemment en rapport avec les autres véhicules terrestres, de manière à produire de l'hydrogène à partir de l'eau contenue dans le réservoir, lequel pourrait ensuite être acheminé à une pile à combustible produisant de l'électricité pour produire de la vapeur et ainsi actionner les pistons, puis la ou les roues. Subsidiairement, l'électricité fournie par la pile à combustible pourrait alimenter un ou des moteurs électriques de manière à fournir une force motrice moyennant un raccord approprié avec la ou les roues.

 

[007]     Dans le cas du transport par voie d'eau, une turbine éolienne sur plateforme fournirait de l'électricité à l'eau contenue dans un réservoir afin de produire de l'hydrogène qui alimenterait une pile à combustible qui, à son tour, fournirait de l'électricité à un ou des moteurs électriques afin d'entraîner l'arbre d'hélice. Des panneaux solaires pourraient être installés sur les parties en hauteur du navire pour un approvisionnement supplémentaire en électricité. Le ou les réservoirs à hydrogène devraient être d'une capacité suffisante.

 

[12]           Le para. [004] décrit un procédé de production d'électricité pour des installations de production d'énergie. Les para. [005] à [007] indiquent de quelles façons le procédé peut être adapté pour alimenter des véhicules routiers, des locomotives de chemins de fer et des véhicules se déplaçant sur l'eau, respectivement.

 

[13]           La description est suivie d'une seule revendication, qui vise un procédé. La revendication est libellée comme suit :

 

[traduction]
Un procédé pour produire de l'électricité en harmonie avec l'environnement fondé sur l'utilisation d'apports en vent, en eau et en rayonnement solaire ne générant aucune pollution, et sur la spécification de la façon dont l'électricité fournie par la pile à combustible doit être appliquée pour produire de l'énergie dans le cas d'installations de production d'énergie, et pour propulser des véhicules, des locomotives et des navires.

 

Interprétation téléologique

 

[14]           L'interprétation téléologique est un exercice d'interprétation qui vise à déterminer la signification et la portée des revendications. L'interprétation des revendications précède l'examen de la validité : Whirlpool Corp c. Camco Inc., 2000 CSC 67, para. 43 [« Whirlpool »]. L'interprétation téléologique exige que les revendications soient interprétées du point de vue de la personne versée dans l'art, qui possède les connaissances générales courantes relatives à l'art dont relève l'invention : Whirlpool au para. 53. L'interprétation est fondée sur le mémoire descriptif du brevet lui-même, sans le recours à des éléments de preuve extrinsèques : Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, para. 66 [« Free World Trust »]. En outre, il y a lieu de recourir à la description pour bien comprendre le sens que l'auteur a voulu donner à tel mot ou telle expression. Autrement, la portée de la revendication ou des revendications telles qu'elles sont libellées ne peut être ni restreinte ni élargie : Purdue Pharma c. Pharmascience Inc., 2009 CF 726, para.13. L'interprétation téléologique a également pour fonction de déterminer quels éléments de l'invention revendiquée sont essentiels et quels éléments sont non essentiels : Free World Trust, para. 31. Un élément est considéré comme non essentiel si, suivant une interprétation téléologique, la personne versée dans l'art qui prendrait connaissance de cette invention constaterait qu'un élément de la revendication peut être omis ou substitué sans que cela n'ait d’effet substantiel sur le fonctionnement de l'invention : Free World Trust, para. 55. Selon la Pratique d'examen au sujet de l'interprétation téléologique - PN2013-02, les éléments essentiels d'une revendication sont ceux qui contribuent à la solution proposée au problème exposé dans la demande.

 

[15]           Étant donné que les revendications doivent être considérées du point de vue de la personne versée dans l'art à la lumière de ses connaissances générales courantes, il convient en premier lieu d'établir le profil de cette personne et de déterminer ses connaissances.

 

La personne versée dans l'art

 

[16]           Dans sa lettre du 31 mars 2014, le présent comité a cité le passage de la décision finale qui est reproduit ci-dessous :

 

[traduction]
. . . le domaine dont relève la présente invention est le domaine de la production et de la distribution d'énergie. Une personne versée dans l'art serait un technicien dans ce même domaine de la production et de la distribution d'énergie.

 

[17]           Dans sa réponse du 1er mai 2014, le demandeur n'a pas contesté cette caractérisation.

 

[18]           Nous considérons que cette caractérisation de la personne versée dans l'art est adéquate et nous l'adoptons pour les besoins de notre analyse.

 

Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art

 

[19]           Dans sa lettre du 31 mars 2014, le présent comité a indiqué qu'il estimait a priori que les connaissances générales courantes comprendraient les suivantes :

 

         l'utilisation de cellules photovoltaïques [apports en rayonnement solaire], d'éoliennes [apports en vent] et d'hydrogénérateurs [apports en eau] pour la production d'électricité

         les méthodes de stockage de l'énergie, telles que les réserves d'eau pompée, les batteries, et l'emmagasinage de l'hydrogène produit par électrolyse

         les systèmes de production d'énergie, tels que les piles à combustible et les moteurs à combustion interne fonctionnant à l'hydrogène

         l'utilisation de générateurs de vapeur pour produire de l'électricité au moyen d'un ensemble turbine-générateur

         l'utilisation de l'énergie électrique (au moyen de moteurs électriques) comme source d'énergie pour des véhicules

         la production de vapeur (au moyen d'une source de chaleur) pour fournir une force motrice aux locomotives à vapeur

 

[20]           Dans sa réponse du 1er mai 2014, le demandeur n'a pas contesté cette caractérisation.

 

[21]           Nous considérons que cette caractérisation des connaissances générales courantes à la date de production de la demande est adéquate et nous l'adoptons pour les besoins de notre analyse.

 

Le problème et la solution

 

[22]           Il est fait état dans la description (au para. [002]) de problèmes associés à certains procédés antérieurs de production d'électricité. Ces problèmes sont décrits dans la description de la manière suivante :

 

Le problème que pose la production actuelle d'énergie électrique tient à la pollution et au réchauffement climatique qu'elle occasionne. L'énergie nucléaire génère des déchets radioactifs pour lesquels une solution d'élimination satisfaisante (permanente) n'a pas encore été mise au point, et est associée à la libération potentielle de quantités massives de radioactivité destructrice provoquée par un accident de fusion du cœur ou des actes terroristes. Lorsque l'électricité est produite par combustion, des émissions thermiques et des polluants sont libérés dans l'atmosphère et ont des conséquences néfastes pour les êtres humains.

 

[23]           Les para. [003] à [007] exposent de façon générale la solution que le demandeur propose d'apporter à ces problèmes, à savoir un procédé de production d'énergie qui peut être employé dans les installations de production d'énergie et pour assurer la propulsion de véhicules, de locomotives et de navires, et qui élimine le problème de la production de déchets radioactifs (associé aux centrales nucléaires) et le problème de la libération de chaleur et de polluants dans l'atmosphère (associé à la combustion).

 

[24]           Nous passons maintenant à l'interprétation de la revendication.

 

Les éléments essentiels de l'invention revendiquée

 

« Un procédé pour produire de l'électricité... fondé sur l'utilisation d'apports en vent, en eau et en rayonnement solaire »

 

[25]           La revendication 1 commence par l'expression « [un] procédé pour produire de l'électricité ». Le procédé comprend l'étape active de « l'utilisation d'apports en vent, en eau et en rayonnement solaire ». La personne versée dans l'art comprendrait que la conjonction « et » restreint le procédé à un procédé faisant intervenir les trois types d'apports. Le fait de pouvoir compter à la fois sur des apports en vent et des apports en rayonnement solaire procure une redondance pour les situations où une des deux sources n'est pas disponible et, par conséquent, il s'agit d'éléments essentiels de la revendication. Nous examinerons la question des « apports... en eau » plus loin dans notre analyse. Nous nous pencherons d'abord sur la signification de « apports... en vent » et « apports... en rayonnement solaire ».

 

[26]           En ce qui concerne les « apports... en vent », selon la description, la meilleure façon de mettre en pratique le procédé dans des installations de production d'énergie comprendrait l'utilisation de « turbines éoliennes » (para. [004]), et la meilleure façon de mettre en pratique le procédé pour la propulsion de véhicules impliquerait d'installer sur le toit du véhicule « une plateforme grillagée dans laquelle le vent pourrait s'engouffrer en provenance de toute direction et ferait tourner des aubes, qui, à leur tour, feraient tourner un essieu pour produire de l'électricité conjointement avec une dynamo » (para. [0005]). Cette description de turbines éoliennes et d'aubes raccordées à un essieu lui-même raccordé à une dynamo est compatible avec la signification de l'expression « apports... en vent » dans son sens ordinaire, c'est-à-dire celui qui serait perçu par la personne versée dans l'art.

 

[27]           Pour ce qui est des « apports... en rayonnement solaire », selon la description, la meilleure façon de mettre en pratique le procédé dans des installations de production d'énergie comprendrait l'utilisation de « panneaux solaires » (para. [004]), et la meilleure façon de mettre en pratique le procédé pour la propulsion de véhicules impliquerait d'installer des « panneaux solaires » sur le toit des voitures, des camions et des véhicules terrestres (para. [005]), sur le dessus des moteurs de locomotives (para. [006]), et sur les parties en hauteur des navires (para. [007]). Cette description de « panneaux solaires » est compatible avec la signification de l'expression « apports... en rayonnement solaire » dans son sens ordinaire, c'est-à-dire celui qui serait perçu par la personne versée dans l'art.

 

« en harmonie avec l'environnement... ne générant aucune pollution »

 

[28]           Les expressions « en harmonie avec l'environnement » et « ne générant aucune pollution » seraient perçues par la personne versée dans l'art comme reflétant le résultat implicite d'un procédé qui, comme nous l'avons établi ci-dessus, est fondé sur l'utilisation d'apports en vent, en eau et en rayonnement solaire. Dans la description (aux para. [002] et [003]), le procédé de production d'électricité à partir d'apports en vent et en rayonnement solaire est présenté comme le « procédé de production d'électricité en harmonie avec l'environnement ». Dans la description, ce procédé est comparé à des procédés antérieurs connus fondés sur l'utilisation de sources telles que l'énergie nucléaire ou la combustion de combustibles à base de carbone, qui sont décrits comme produisant de la pollution, des déchets radioactifs et/ou des émissions thermiques dans l'atmosphère.  La personne versée dans l'art considérerait donc que les expressions « en harmonie avec l'environnement » et « ne générant aucune pollution » sont implicites dans les caractéristiques de la revendication déjà interprétées.

 

« fondé... sur la spécification de la façon dont l'électricité fournie par la pile à combustible doit être appliquée »

 

[29]           Nous analyserons maintenant l'expression « fondé... sur la spécification de la façon dont l'électricité fournie par la pile à combustible doit être appliquée » et, plus particulièrement, le terme « spécification ». Bien que la description (para. [004] à [007]) expose la façon dont l'électricité fournie par la pile à combustible serait appliquée pour produire de l'énergie dans une installation de production d'énergie et pour propulser des véhicules, les principes qui régissent l'interprétation des revendications interdisent de [traduction] « recourir à des passages isolés du corps du mémoire descriptif dans le but de restreindre ou d'élargir l'étendue du monopole imposé par le sens ordinaire des mots employés dans une revendication » : Procter & Gamble Co c. Calgon Interamerican Corp (1982), 61 CPR (2d) 1 (CAF), p. 9. Il serait, par conséquent, inadmissible d'attribuer à la revendication le sens qui ressort de ces parties de la description, le recours à la description n'étant autorisé que dans le but de faciliter la compréhension des termes employés dans les revendications.

 

« pour produire de l'énergie dans le cas d'installations de production d'énergie, et pour propulser des véhicules, des locomotives et des navires »

 

[30]           La revendication se termine par l'expression « pour produire de l'énergie dans le cas d'installations de production d'énergie, et pour propulser des véhicules, des locomotives et des navires ». La personne versée dans l'art ne saurait pas à la lecture de ce passage de la revendication si la revendication vise deux réalisations distinctes : la production d'énergie dans une installation de production d'énergie; et l'alimentation en énergie de véhicules, de locomotives et de navires. Étant donné que la description ne décrit pas ces réalisations de façon combinée, la personne versée dans l'art considérerait que la revendication présente ces deux réalisations comme des options distinctes.

 

[31]           En ce qui concerne la réalisation relative à l'alimentation en énergie de divers types de véhicules, l'expression « et pour propulser des véhicules, des locomotives et des navires » serait considérée par la personne versée dans l'art comme désignant des sous-réalisations, à savoir les cas distincts de véhicules terrestres, de locomotives et de navires dans lesquels l'électricité fournie par la pile à combustible serait appliquée à la propulsion de ces moyens de transport. Cette interprétation concorde avec la description (para. [004] à [007]), car cette dernière présente les réalisations relatives aux installations de production d'énergie, aux véhicules, aux locomotives et aux navires séparément, plutôt qu'en combinaison les unes avec les autres. Par conséquent, la personne versée dans l'art considérerait que la revendication présente les sous-réalisations relatives aux véhicules, aux locomotives et aux navires comme des options distinctes.

 

[32]           La dernière expression qu'il nous faut interpréter est « apports... en eau ». La personne versée dans l'art considérerait que cette expression, dans son sens ordinaire, fait référence à l'énergie hydroélectrique. Cette source d'énergie, comme les aubes éoliennes et les panneaux solaires, est une ressource énergétique renouvelable. Or, la description ne suggère d'aucune manière une telle signification.

 

[33]           La description fait état de deux réalisations dans lesquelles de l'eau est utilisée, mais ni l'une ni l'autre de ces réalisations ne seraient considérées par la personne versée dans l'art comme décrivant un « apport » en énergie.

 

[34]           En ce qui a trait à la première de ces réalisations, qui concerne les installations de production d'énergie, il est indiqué dans la description (au para. [004]) que l'eau serait utilisée de la manière suivante :

 

des turbines éoliennes et des panneaux solaires produiraient de l'électricité qui serait appliquée à de l'eau, qui serait soit acheminée par canalisation soit stockée dans un réservoir, ce qui permettrait d'obtenir de l'hydrogène, lequel serait stocké dans des réservoirs (souterrains ou de surface) d'une capacité suffisante pour compenser les périodes sans apport en vent et/ou en rayonnement solaire. L'hydrogène serait acheminé vers les piles à combustible où l'électricité produite serait appliquée à un élément chauffant situé sous la chaudière afin de produire de la vapeur, laquelle s'écoulerait vers une turbine appropriée, produisant de l'électricité pour un réseau. L'eau chaude provenant des piles à combustible serait réinjectée par pompage dans la chaudière.

 

[35]           Pour ce qui est de la seconde réalisation, qui concerne l'alimentation en énergie de véhicules, il est indiqué dans la description (au para. [005] à [007]) que l'eau est utilisée de la manière suivante : l'électricité produite par les aubes éoliennes et les panneaux solaires est appliquée à l'eau afin d'obtenir de l'hydrogène; l'hydrogène est subséquemment fourni à une pile à combustible; la pile à combustible produit de l'électricité pour un moteur électrique; et le moteur électrique fournit la force motrice moyennant un raccord approprié avec les roues du véhicule terrestre ou de la locomotive, ou avec l'arbre d'hélice du moyen de transport par voie d'eau. Il est également indiqué dans la description que, dans le cas d'une locomotive, l'électricité fournie par la pile à combustible peut subsidiairement être utilisée pour produire de la vapeur afin d'actionner les pistons, puis les roues.

 

[36]           Pour les raisons qui suivent, la personne versée dans l'art considérerait que l'expression « apports... en eau » n'est pas suffisamment distincte et explicite et qu'elle n'est, par conséquent, pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

 

LA DEMANDE EST-ELLE CONFORME AU PAR. 27(4) DE LA LOI SUR LES BREVETS?

 

[37]           Cette question nous amène à examiner l'irrégularité, signalée dans la décision finale, dans le résumé des motifs et dans la lettre de la Commission en date du 31 mars 2014, qui rend la revendication 1 non conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, lequel est ainsi libellé :

 

Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif. [soulignement ajouté]

 

[38]           Dans Minerals Separation North American Corp c. Noranda Mines Ltd, [1947] R.C. de l'Éch. 306, 12 CPR 99, p. 146 [« Minerals Separation »], la Cour a insisté sur le fait que l'étendue du monopole que le demandeur cherche à obtenir doit apparaître clairement à la lecture de ses revendications et que les termes employés dans les revendications doivent être clairs et précis :

 

En formulant ses revendications, l'inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l'avertissement nécessaire, et seule la propriété de l'inventeur doit être clôturée. La teneur d'une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque. [soulignement ajouté]

 

[39]           L'affaire Minerals Separation a finalement abouti devant le Comité judiciaire du Conseil privé, (1952), 15 CPR 133, chargé de trancher. Dans les motifs de son jugement, le Conseil du Comité judiciaire s'est attardé plus longuement encore à la question de l'ambiguïté en droit, à la page 142 :

 

[traduction]
Le droit est clair quant à la question de l'ambiguïté, et il suffit à Leurs Seigneuries de se référer à un passage bien connu des propos tenus par Sa Seigneurie Loreburn dans Natural Colour Kinematograph Co Ltd c. Bioschemes Ltd (1915), 32 RPC 256, lequel va comme suit :

 

Il est du devoir du breveté d'énoncer clairement et distinctement, soit par l'emploi de mots directs soit au moyen de références claires et distinctes, la nature et les limites de ce qu'il revendique. S'il emploie des termes qui, suivant une interprétation raisonnable, se révèlent être d'une obscurité ou d'une ambiguïté qui auraient pu être évitées, le brevet s'en trouve invalidé, que l'irrégularité découle d'un problème de formulation, ou de l'incurie ou de l'impéritie du breveté. Lorsque l'invention est difficile à expliquer, il sera, bien entendu, dûment tenu compte de toute difficulté dans la formulation et le choix des termes qui est susceptible d'en résulter. Toutefois, rien ne saurait excuser l'emploi de termes ambigus dans un contexte où il aurait été facile d'employer des termes simples, et la seule voie sûre pour le breveté consiste à s'efforcer de formuler les choses d'une façon claire et intelligible. [soulignement ajouté]

 

[40]           La question à trancher est celle de savoir si l'expression « apports... en eau » définit l'objet de l'invention distinctement et en des termes explicites, tel que l'exige le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

 

[41]           Comme nous l'avons mentionné au para. [32], l'expression « apports... en eau » évoquerait dans l'esprit de la personne versée dans l'art une énergie dérivée de l'énergie hydroélectrique. Or, la personne versée dans l'art découvrirait que cette idée ou cette signification n'est présente nulle part dans la description. Elle lirait la description pour voir si ce terme y est défini et constaterait que non. La personne versée dans l'art constaterait qu'il est question d'eau dans la description, mais pas d'apports en eau. Elle considérerait que la façon dont l'eau intervient dans les procédés exposés dans la description ne constitue pas un « apport » au même titre que les apports en énergie qui sont fournis par le soleil et par le vent. À la lecture de la description, la personne versée dans l'art se demanderait si la présence du mot « eau » dans la revendication avait pour but de renvoyer à : (a) l'eau qui est décrite comme étant stockée dans des réservoirs, puis convertie en hydrogène au moyen de l'électricité produite par les apports en vent et en rayonnement solaire, lequel hydrogène étant ensuite acheminé à la pile à combustible; ou (b) l'eau qui est décrite comme étant contenue dans une chaudière servant à produire de la vapeur au moyen de l'électricité fournie par la pile à combustible. Elle ne saurait pas exactement quelle signification attribuer à l'expression « apports... en eau ».

 

[42]           En conséquence, la personne versée dans l'art conclurait que l'expression « apports... en eau » n'est pas distincte et explicite, mais plutôt caractérisée par un défaut de clarté ou une ambiguïté qui aurait pu être évité, car l'invention n'est pas difficile à expliquer et il aurait été facile d'employer des termes simples. Il s'ensuit que la revendication 1 n'est pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

 

[43]           Compte tenu de la conclusion à laquelle nous sommes arrivés relativement à cette question, nous ne sommes pas en position de trancher les questions de la nouveauté ou de l'évidence sur la base de cette revendication. En effet, puisqu'il s'avère que l'unique revendication au dossier est non conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, nous pourrions arrêter là notre révision.

 

[44]           Cependant, il est permis de croire que le demandeur, un inventeur se représentant seul, avait l'intention de revendiquer les réalisations énoncées au para. [41] ci-dessus. On peut supposer également que, si le demandeur avait été représenté par un agent de brevets qualifié, la revendication aurait pu être modifiée de façon à corriger l'irrégularité et à la rendre ainsi conforme au paragraphe 27(4).

 

[45]           Vu ces circonstances, bien que nous n'y soyons pas obligés, nous allons examiner les questions restantes de la nouveauté et de l'évidence en considérant la revendication comme si elle avait été modifiée de manière à inclure les réalisations exposées dans la description qui sont mentionnées ci-dessus. Une telle revendication viserait deux réalisations. La première réalisation concernerait les installations de production d'énergie et comprendrait un procédé comprenant les étapes suivantes : production d'électricité à partir d'aubes éoliennes et de panneaux solaires; utilisation de cette électricité pour produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau afin de faciliter le stockage de l'énergie; et utilisation ultérieure de l'électricité pour alimenter un élément chauffant situé sous la chaudière d'une installation de production d'énergie afin de produire de la vapeur, qui s'écoulerait dans une turbine et produirait ainsi de l'énergie. Le procédé comprendrait également l'étape consistant à utiliser l'eau chaude provenant de la pile à combustible pour alimenter la chaudière et produire ainsi plus de vapeur pour faire tourner la turbine. La seconde réalisation aurait trait à la propulsion de véhicules et comprendrait un procédé comprenant les étapes suivantes : production d'électricité à partir d'aubes éoliennes et de panneaux solaires situés sur le toit des véhicules; utilisation de cette électricité pour produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau afin de faciliter le stockage de l'énergie; et utilisation ultérieure de l'électricité pour propulser des véhicules terrestres, des locomotives de chemins de fer et des navires.

 

NOUVEAUTÉ

 

Principes juridiques

 

[46]           La disposition législative pertinente pour l'analyse de l'antériorité est le paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets. Ce paragraphe porte, entre autres, que :

 

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

 

a)         plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(b)        avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[47]           Dans Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc.., 2008 CSC 61, la Cour suprême du Canada a revu les principes relatifs à la nouveauté. La Cour a statué que deux critères devaient être remplis pour que l'on puisse conclure à l'absence de nouveauté ou à l'antériorité : la divulgation antérieure et le caractère réalisable. En d'autres termes, une divulgation soi-disant antériorisante ne doit pas seulement décrire les caractéristiques de l'invention revendiquée, elle doit également permettre à la personne versée dans l'art de réaliser l'invention revendiquée.

 

Analyse

 

[48]           Dans la décision finale et dans le résumé des motifs, les références suivantes ont été citées par l'examinateur comme faisant partie de l'état de la technique :

 

Brevet

D1 : US 7,248,018 B2                                                            délivré le 24 juillet 2007

                                                                                                Sanders

 

            Autre document

D2 : « Grid energy storage »                                                  consulté le 2 février 2008

                                                                                                article Wikipedia

 

http://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Grid_energy_storage&oldid=188650875

 

[49]           Le document D1 divulgue un poste de ravitaillement dans lequel l'électricité provenant d'un module de batteries solaires, d'une éolienne, d'un hydrogénérateur et/ou d'un système biothermique est utilisée pour produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau, lequel est utilisé par le poste de ravitaillement pour ravitailler un véhicule propulsé par une pile à hydrogène, le véhicule étant une voiturette, une voiture ou un aéroglisseur.

 

[50]           Le document D2 divulgue un système qui utilise l'électricité obtenue à partir d'apports en vent et en rayonnement solaire pour produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau, l'hydrogène ayant pour fonction de faciliter le stockage d'énergie. Il est également divulgué dans le document D2 que l'hydrogène peut être employé dans des moteurs à combustion interne classiques utilisés dans des voitures ou d'autres moyens de transport, ou dans des piles à combustible, à partir desquelles l'énergie est subséquemment introduite dans un réseau électrique.

 

[51]           Nous allons analyser une revendication hypothétique visant les deux réalisations décrites au para. [45] qui concernent respectivement les installations de production d'énergie et la propulsion de véhicules. S'il appert que l'une ou l'autre de ces deux réalisations, ou les deux, sont enseignées dans D1 ou dans D2, la revendication serait antériorisée.

 

 

 

Le document D1 comparé à la revendication

 

            La réalisation relative aux installations de production d'énergie

 

[52]           La réalisation relative à la production d'électricité pour des installations de production d'énergie n'est pas enseignée dans D1, car la revendication comprend des étapes qui ne sont pas divulguées dans D1, soit celles consistant à appliquer l'électricité de la pile à combustible à un élément chauffant situé sous la chaudière d'une installation de production d'énergie de façon à produire de la vapeur qui s'écoule ensuite dans une turbine appropriée et produit, ce faisant, de l'électricité pour un réseau, et à utiliser l'eau chaude provenant de la pile à combustible pour alimenter la chaudière et ainsi produire plus de vapeur pour faire tourner la turbine.

 

            La réalisation relative à la propulsion de véhicules

 

[53]           En ce qui concerne la réalisation relative à la propulsion de véhicules, D1 divulgue et rend réalisable un procédé qui comprend les étapes consistant à produire de l'électricité à partir d'aubes éoliennes et de panneaux solaires, à utiliser cette électricité pour produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau afin de faciliter le stockage de l'énergie; et à utiliser ultérieurement l'électricité pour propulser des voiturettes, des voitures et des aéroglisseurs. Cependant, D1 n'enseigne pas la caractéristique du véhicule qui transporte avec lui le système de production d'énergie (dans D1 le poste de ravitaillement est indépendant et séparé du véhicule).

 

[54]           Ni l'une ni l'autre de ces deux autres réalisations n'étant enseignées dans D1, il s'ensuit que, si la revendication avait été modifiée de façon à corriger l'irrégularité qui la rend non conforme au paragraphe 27(4), elle n'aurait pas été antériorisée par D1.

 

Le document D2 comparé à la revendication

 

            La réalisation relative aux installations de production d'énergie

 

[55]           La réalisation relative à la production d'électricité pour des installations de production d'énergie n'est pas enseignée dans D2, car la revendication proposée comprendrait les étapes consistant à appliquer l'électricité de la pile à combustible à un élément chauffant situé sous la chaudière d'une installation de production d'énergie de façon à produire de la vapeur qui s'écoule ensuite dans une turbine appropriée et produit ce faisant de l'électricité pour un réseau, et D2 n'inclut pas ces étapes; l'électricité de la pile à combustible étant directement introduite dans le réseau électrique. La revendication proposée comprendrait également les étapes consistant à utiliser l'eau chaude provenant de la pile à combustible pour alimenter la chaudière de l'installation de production d'énergie et ainsi produire plus de vapeur pour faire tourner la turbine, alors que D2 n'inclut pas ces étapes.

 

            La réalisation relative à la propulsion de véhicules

 

[56]           En ce qui concerne la réalisation relative à la propulsion de véhicules, D2 divulgue et rend réalisable un procédé qui comprend les étapes consistant à produire de l'électricité à partir d'aubes éoliennes et de panneaux solaires, à utiliser cette électricité pour produire de l'hydrogène par électrolyse de l'eau afin de faciliter le stockage de l'énergie; et à employer ultérieurement l'hydrogène dans des moteurs à combustion interne classiques utilisés dans des voitures et d'autres moyens de transport. Cependant, D2 n'enseigne pas la caractéristique du véhicule qui transporte avec lui le système de production d'énergie

 

[57]           Ni l'une ni l'autre de ces deux autres réalisations n'étant enseignées dans D2, il s'ensuit que, si la revendication avait été modifiée de façon à corriger l'irrégularité qui la rend non conforme au paragraphe 27(4), elle n'aurait pas été antériorisée par D2.

 

ÉVIDENCE

 

Principes juridiques

 

[58]           L'information à prendre en compte pour déterminer si l'objet d'une revendication est évident est énoncée à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets :

 

28.3 L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[59]           Dans Sanofi, précité, la Cour suprême du Canada a indiqué qu'il y avait lieu, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'évidence, de suivre la démarche en quatre volets suivante [traduction] :

 

(1)        a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

Analyse

 

(1)a) La personne versée dans l’art

 

[60]           Comme nous l'avons indiqué précédemment au para. [16], la personne versée dans l'art est un technicien dans le domaine de la production et de la distribution d'énergie.

 

(1)b) Les connaissances générales courantes pertinentes

 

[61]           Les connaissances générales courantes pertinentes de la personne versée dans l'art sont celles énoncées au para. [19] ci-dessus.

 

(2) L’idée originale de la revendication

 

La réalisation relative aux installations de production d'énergie

 

[62]           L'idée originale de cette revendication est un procédé qui comprend les étapes consistant à produire de l'électricité à partir d'aubes éoliennes et de panneaux solaires, à utiliser cette électricité pour produire de l'hydrogène par électrolyse, à stocker l'hydrogène dans un réservoir, à acheminer l'hydrogène à une pile à combustible produisant de l'électricité, et à appliquer cette électricité à un élément chauffant situé sous la chaudière d'une installation de production d'énergie afin de produire de la vapeur qui s'écoule ensuite dans une turbine appropriée et produit, ce faisant, de l'électricité pour un réseau. L'eau chaude provenant des piles à combustible serait réinjectée par pompage dans la chaudière.

 

            La réalisation relative à la propulsion de véhicules

 

[63]           L'idée originale de cette revendication est un procédé qui comprend les étapes consistant à produire de l'électricité à partir d'aubes éoliennes et de panneaux solaires installés sur un véhicule, à utiliser cette électricité pour produire de l'hydrogène par électrolyse, à stocker l'hydrogène dans un réservoir, à acheminer l'hydrogène à une pile à combustible produisant de l'électricité, ladite électricité étant utilisée pour alimenter un moteur électrique qui entraîne les roues ou un autre dispositif de propulsion du véhicule au moyen d'un raccord approprié.

 

(3) Différences entre « l'état de la technique » et l'idée originale

 

[64]           D2 peut être utilisé pour établir l'état de la technique pertinente, car D1 ne nous apprend rien de plus que ce qui est divulgué dans D2.

 

… dans le cas de la réalisation relative aux installations de production d'énergie

 

[65]           Comme nous l'avons mentionné au para. [55] dans notre analyse de la nouveauté, la différence entre D2 et l'idée originale de cette réalisation tient à ce que l'idée originale comprendrait la séquence supplémentaire consistant à appliquer l'électricité de la pile à combustible à un élément chauffant situé sous la chaudière d'une installation de production d'énergie de façon à produire de la vapeur qui s'écoule ensuite dans une turbine appropriée et produit ce faisant de l'électricité pour un réseau, alors que l'état de la technique n'inclut pas cette séquence supplémentaire, l'électricité de la pile à combustible étant directement introduite dans le réseau électrique; et la séquence consistant à utiliser l'eau chaude provenant de la pile à combustible pour alimenter la chaudière de l'installation de production d'énergie et ainsi produire plus de vapeur pour faire tourner la turbine.

 

… dans le cas de la réalisation relative à la propulsion de véhicules

 

[66]           Comme nous l'avons mentionné au para. [56] dans notre analyse de la nouveauté, la différence entre D2 et l'idée originale de cette réalisation tient à ce que l'idée originale comprendrait la caractéristique du véhicule qui transporte avec lui le système de production d'énergie.

 

(4) Les différences constituent-elles des étapes qui auraient été évidentes?

 

            … dans le cas de la réalisation relative aux installations de production d'énergie

 

[67]           Les différences énoncées au para. [65] n'auraient pas constitué une étape nécessitant de l'inventivité. L'étape de l'ajout d'une séquence supplémentaire consistant à appliquer l'électricité de la pile à combustible à un élément chauffant situé sous la chaudière d'une installation de production d'énergie de façon à produire de la vapeur qui s'écoule ensuite dans une turbine appropriée et produit, ce faisant, de l'électricité pour un réseau ne constitue pas une étape inventive par rapport aux systèmes existants dans lesquels l'électricité de la pile à combustible est introduite directement dans le réseau. La personne versée dans l'art, qui possède les connaissances courantes relatives à l'utilisation de générateurs de vapeur pour produire de l'électricité au moyen d'un ensemble turbine-générateur, reconnaîtrait que la séquence supplémentaire n'est qu'une solution de rechange, parmi un nombre limité de solutions de rechange évidentes, quoique moins efficientes, à un système n'intégrant pas la séquence, car une telle séquence d'étapes accroîtrait naturellement les pertes d'énergie. En conséquence, le fait d'inclure une telle réalisation ne peut pas être considéré comme une étape inventive.

 

[68]           L'étape de l'ajout de la séquence consistant à utiliser l'eau chaude provenant de la pile à combustible pour alimenter la chaudière de l'installation de production d'énergie et ainsi produire plus de vapeur pour faire tourner la turbine aurait été évidente pour la personne versée dans l'art. Le fait d'utiliser l'eau chaude disponible pour alimenter une chaudière dans le but d'accroître l'efficience de la production de vapeur fait partie du savoir-faire auquel on peut normalement s'attendre de la part de la personne versée dans l'art qui possède une connaissance des générateurs de vapeur.

 

            … dans le cas de la réalisation relative à la propulsion de véhicules

 

[69]           La différence énoncée au para. [66] n'aurait pas constitué une étape nécessitant de l'inventivité. Un procédé dans lequel le système de production d'énergie est installé directement sur le véhicule, par opposition à un procédé dans lequel le système de production d'énergie est indépendant et séparé du véhicule, est une solution de rechange à laquelle la personne versée dans l'art aurait pensé d'emblée. Une réalisation impliquant de fixer des aubes sur un véhicule ne serait pas très pratique, car le poids et la résistance supplémentaires qui seraient ainsi ajoutés au véhicule exigeraient qu'un surplus d'énergie soit fourni par le système d'approvisionnement en énergie. Cet inconvénient expliquerait pourquoi on ne voit pas de nos jours de véhicules équipés de tels systèmes sur nos routes, bien que des véhicules expérimentaux pourvus de panneaux solaires servant à produire de l'électricité pour actionner les roues existent depuis un certain temps déjà. Quoi qu'il en soit, nous sommes d'avis qu'adopter une telle réalisation ne peut pas être considéré comme une étape inventive.

 

[70]           Pour les motifs qui précèdent, la revendication, même si elle avait été modifiée de façon à corriger l'irrégularité la rendant non conforme au paragraphe 27(4), aurait été évidente pour la personne versée dans l'art à la date de la revendication et, de ce fait, aurait été non conforme à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

CONCLUSION

 

[71]           Nous avons conclu que la revendication au dossier n'est pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets. Nous avons examiné une revendication hypothétique remédiant à cette irrégularité (ainsi qu'à l'irrégularité afférente à l'alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets), qui aurait pu être proposée par le demandeur, mais il est apparu que cette revendication modifiée n’aurait changé en rien le résultat de la révision dans ce cas. Comme nous l'avons conclu, une telle revendication n'aurait pas été conforme à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets. En conséquence, il serait vain d'exiger du demandeur qu'il modifie la revendication en vertu de l'alinéa 31c) des Règles sur les brevets.

 

RECOMMANDATION DU COMITÉ

 

[72]           Compte tenu de ce qui précède, nous recommandons que la demande soit rejetée, parce que l'unique revendication au dossier n'est pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets et qu'une modification proposée ne rendrait pas la demande conforme à la Loi sur les brevets.

 

 

 

Paul Fitzner                                   Ed MacLaurin                             Stephen MacNeil

Membre                                         Membre                                       Membre


DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

[73]           Je souscris aux conclusions de la Commission d'appel des brevets ainsi qu'à sa recommandation de rejeter la demande au motif que l'unique revendication au dossier n'est pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets et qu'une modification proposée ne rendrait pas la demande conforme à la Loi sur les brevets.

 

[74]           En conséquence, je rejette l'octroi d’un brevet pour la présente demande. Conformément aux dispositions de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d'un délai de six mois pour appeler de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 11e jour de février 2015

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