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Décision du Commissaire no 1375

Commissioner’s Decision #1375

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

SUJETS : B22, F01

TOPICS: B22, F01

 

 

 

 

 

 

 

Demande no: 2,563,893

Application No.: 2,563,893


 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

 

La demande de brevet numéro 2,563,893, ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, a fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le Commissaire aux brevets, conformément aux dispositions de l'alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. La recommandation de la Commission et la décision du Commissaire suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

Agent de la Requérante :

 

SMART & BIGGAR

Case postale 11115, Royal Centre

2300-1055, rue Georgia Ouest

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6E 3P3

 

 

Introduction

 

[1]      La présente recommandation concerne l'examen du refus de la demande de brevet no 2,563,893 intitulée « Utilisation d'une membrane poreuse pour appuyer le développement d'embryons somatiques de conifères » produite le 12 octobre 2006 par la Requérante, Weyerhaeuser Company.

 

[2]      Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons que cette demande soit acceptée. 

 

Contexte

 

[3]      La pratique de la foresterie durable nécessite la plantation et la croissance de nouveaux arbres à grande échelle pour remplacer ceux qui ont été récoltés. La reforestation est un processus lent qui requiert de nombreuses années. La réalisation de progrès pour améliorer ou accélérer ce processus permettrait d'accroître considérablement la productivité. L'embryogenèse somatique, ou clonage somatique comme l'appelle la Requérante, est un processus in vitro qui permet de produire des clones de conifères génétiquement identiques qui possèdent des propriétés souhaitables, comme un taux de croissance supérieur.  

 

[4]      Le clonage somatique des conifères se fait à l'aide d'un milieu de croissance pour induire la transformation des cellules somatiques prélevées sur un arbre en embryons matures possédant des « cotylédons », des structures essentielles qui deviendront les premières feuilles d'une semence en germination. Après transformation, ces embryons matures sont capables de germer et de produire des semis qui sont des clones de l'arbre original.

 

Historique de la demande

 

[5]      Cette demande a été refusée dans une décision finale rendue le 5 septembre 2012, sur la base que  l'ensemble des 11 revendications alors au dossier contiennent des irrégularités, pour les raisons suivantes :

       Antériorité (alinéa 28.1(1)b) de la Loi sur les brevets);

       Insuffisance de fondement (article 84 des Règles sur les brevets).

 

[6]     En réponse à la décision finale du 4 mars 2013, la Requérante a modifié la demande afin d'aborder les deux motifs de refus en remplaçant les revendications par 11 revendications modifiées. Elles constituent les plus récentes revendications au dossier, lesquelles font l'objet du présent examen. L'examinateur n'a pas jugé que les modifications étaient suffisantes pour infirmer la décision de refus et, le 23 août 2013, a renvoyé la demande devant la Commission d'appel des brevets (la Commission), accompagnée d'un résumé des motifs (RM) expliquant en détail la raison pour laquelle la décision était maintenue. 

 

[7]     Ce comité de révision de la Commission a procédé à un examen interne du dossier et a demandé une analyse supplémentaire contenant une interprétation téléologique des revendications et une mise à jour de l'analyse des antériorités, à la lumière de la démarche en deux étapes établie par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi]. Cette analyse supplémentaire a été remise à la Requérante le 5 juin 2014, avec une lettre contenant les observations du comité de révision ainsi qu'une invitation à assister à une audience, si elle le désire.

 

[8]      La Requérante n'a fourni aucune réponse écrite au RM, à l'analyse supplémentaire ou à notre lettre. Bien que la Requérante ait initialement indiqué qu'elle souhaitait la tenue d'une audience, elle a confirmé le 17 septembre 2014 qu'elle n'assisterait pas à l'audience et qu'elle comprenait que la recommandation du comité de révision serait fondée sur un dossier écrit.

 

Les questions

 

[9]      À la lumière des motifs de refus, les deux questions suivantes seront abordées :

       Les revendications 1 à 11 sont-elles antériorisées?

       Les revendications 1 à 11 se fondent-elles sur la description?

 

Question 1 : Les revendications 1 à 11 sont-elles antériorisées?

 

[10]    Le paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets définit l'information dont il faut tenir compte au moment de déterminer si une revendication est antériorisée :

Lobjet que définit la revendication dune demande de brevet ne doit pas :

a) plus dun an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou dun tiers ayant obtenu de lui linformation à cet égard de façon directe ou autrement, lobjet dune communication qui la rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part dune autre personne, lobjet dune communication qui la rendu accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[11]    Dans Sanofi, la Cour suprême a appuyé l'utilisation d'une démarche en deux étapes selon laquelle les exigences de « divulgation antérieure » et de « caractère réalisable » doivent toutes deux être satisfaites. Dans l'affaire Free World Trust c Electro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust, au paragraphe  25), la Cour suprême du Canada a également précisé qu'une seule publication de l'art antérieur doit divulguer l'ensemble des éléments essentiels de l'invention revendiquée de manière réalisable pour qu'il y a anticipation. Il s'ensuit que si une publication de l'art antérieur omet de divulguer un seul élément essentiel de l'invention revendiquée, elle ne peut pas constituer une antériorité.

 

[12]    Conformément à l'affaire Free World Trust, les éléments essentiels sont désignés dans une interprétation téléologique des revendications par un examen de l'ensemble de la divulgation, y compris le mémoire descriptif et les dessins : voir aussi Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 SCC 67 aux paragraphes 49(f) et (g) et 52. Conformément à l'énoncé de pratique du Bureau intitulé Pratique dexamen au sujet de l'interprétation téléologique (PN2013-02), la première étape de l'interprétation téléologique d'une revendication consiste à identifier la personne versée dans l'art et ses connaissances générales courantes (CGC) pertinentes. L'étape suivante consiste à définir le problème abordé par les inventeurs et la solution proposée dans la demande. Les éléments essentiels peuvent ensuite être définis comme étant ceux qui sont requis pour obtenir la solution décrite telle qu'elle est revendiquée.

 

La personne versée dans l'art et ses connaissances générales courantes

 

[13]    Une interprétation téléologique des revendications a été effectuée dans le cadre de l'analyse supplémentaire, caractérisant la personne versée dans l'art comme « une équipe qui comprend un biologiste des végétaux qui travaille dans le domaine de la culture des tissus et un biologiste des arbres qui est spécialisé dans la propagation des conifères ». L'analyse supplémentaire a également révélé que les CGC de cette personne comprendraient « une connaissance spécialisée des méthodes de culture des tissus, y compris d'autres recettes et formes de milieux de culture des tissus généralement utilisés pour la culture des tissus de conifères (p. ex. liquides, solides), des compétences particulières dans l'optimisation dudit milieu pour des conditions particulières de culture des tissus et une connaissance spécialisée de l'identification des diverses phases du développement cotylédonaire ». 

 

[14]    Même si nous sommes d'accord avec les connaissances susmentionnées, nous sommes d'avis que les CGC pertinentes sont plus vastes et comprendraient une connaissance des méthodes de clonage somatique des embryons de conifères. Ces méthodes sont résumées dans la section « Contexte » de l'invention, de la ligne 15 de la page 1 à la ligne 2 de la page 2. Le clonage somatique est obtenu en trois phases principales, chacune durant plusieurs semaines et se terminant par la phase du développement. Pendant cette dernière phase, les embryons immatures (ceux qui n'ont pas de cotylédons) sont développés jusqu'à ce qu'ils aient produit un ou plusieurs cotylédons et soient prêts pour la germination et la croissance subséquente en conifères génétiquement identiques.

 

[15]    La section « Contexte » de l'invention ne présente pas expressément d'autres détails sur les méthodes généralement connues du clonage somatique des conifères. Cependant, le reste de la description et les autres publications sont utiles pour déterminer les CGC pertinentes. Parmi ces autres publications, on compte par exemple la technique antérieure à laquelle on renvoie dans le document d'antériorité EP1063881 (D1), y compris un brevet américain fondamental, US 5,563,061 (US '061) et un rapport de synthèse publié avant la date de dépôt de la présente demande (Gupta et al. Advances in Conifer Tree Improvement Through Somatic Embryogenesis; 2000, Ch 29, pages 303 à 309 du document Proceedings of the 12th Toyota Conference: Challenge of Plant and Agricultural Sciences to the Crisis of Biosphere on the Earth in the 21st Century. Ed. K. Watanabe et A. Komamine; ci-après « Gupta »). À partir de ces sources, il est possible de résumer les CGC comme comprenant les connaissances suivantes 

 

       L'induction du développement cotylédonaire d'embryons immatures nécessite l'utilisation d'un milieu liquide ayant une forte osmolarité (Gupta, page 304, colonne de gauche, 2e et dernier paragraphes; présente description, page 4, ligne 13; US '061, colonne 16, lignes 25 à 27). Dans cet esprit, le contexte du brevet D1 indique également qu'une forte osmolarité peut causer un stress pour les embryons immatures, ce qui déclenche le développement et la maturation (voir le paragraphe 3);

       « La maturation n'a pas été obtenue chez les embryons immergés dans un milieu liquide » (Gupta, page 305, colonne de droite) et les embryons de conifères immatures se développent donc généralement sur des tampons absorbants situés par-dessus la surface du milieu de croissance (Gupta, page 306, colonne de gauche; présente description, page 2, lignes 18 à 20; US '061, colonne 21, lignes 17 à 22).

       « La culture des tissus constitue globalement une science hautement imprévisible. Cette déclaration s'applique davantage à l'embryogenèse somatique » (US '061, colonne 26, lignes 11 à 13).

 

Le problème et la solution

 

[16]    D'après la section « Contexte » de l'invention, les antériorités comportent des problèmes qui concernent généralement « la stimulation efficace de la formation d'embryons somatiques viables, capables de germer pour produire des plantes » (page 2, lignes 3 à 4) et « le besoin continu de méthodes permettant de produire des embryons somatiques de conifères viables » (page 2, lignes 8 et 9).

 

[17]    Contrairement aux méthodes à base de liquide généralement connues, lesquelles s'appuient sur la disposition d'embryons immatures sur le dessus d'un tampon absorbant, le sommaire de l'invention indique que les inventeurs ont « découvert qu'une membrane poreuse, comme une membrane en nylon, peut être utilisée pour soutenir le tissu végétal pendant la phase de développement de la production d'embryons végétaux somatiques » (page 2, lignes 10 à 12). Contrairement au tampon absorbant, la membrane non absorbante est « suffisamment robuste pour résister aux déchirures lorsqu'elle est soulevée pour transférer les embryons somatiques de la phase de développement aux phases subséquentes du processus de production d'embryons somatiques » (page 2, lignes 21 à 24). La personne versée dans l'art comprendrait que les inventeurs affirment que le développement d'embryons de conifères sur une membrane non absorbante constitue une amélioration des méthodes connues, étant donné que les diverses phases du processus de production nécessitent de nombreuses semaines et que l'offre d'un support qui demeure solide et stable pendant toute cette période serait souhaitable. Des exemples de la description (pages 10 à 15) montrent que des embryons de conifères cotylédonaires et viables peuvent, en effet, se développer lorsqu'ils sont placés directement sur des membranes non absorbantes, et que l'utilisation de tampons absorbants peut être éliminée.

 

[18]    Par conséquent, compte tenu du problème, du mémoire descriptif et des CGC, la solution proposée par les inventeurs constitue une méthode améliorée pour développer des embryons de conifères cotylédonaires à l'aide d'un milieu liquide, par la disposition des embryons sur la surface supérieure d'une membrane poreuse et non absorbante.

 

Éléments essentiels des revendications

 

[19]    La revendication 1 est représentative des 11 revendications au dossier, et elle comprend trois étapes :

1. Une méthode pour développer des embryons de conifères somatiques et cotylédonaires, ladite méthode comportant les étapes suivantes :

(a) disposer des embryons de conifères somatiques précotylédonaires sur la surface supérieure d'une membrane poreuse, où ladite membrane poreuse n'absorbe pas le milieu de développement liquide.

 (b) assurer un contact intermittent entre la surface inférieure de la membrane poreuse et le milieu de développement liquide, de sorte que le milieu de développement liquide humecte une portion de chaque embryon somatique disposé sur la membrane poreuse, sans toutefois immerger complètement lesdits embryons dans le milieu de développement liquide;

(c) cultiver les embryons de conifères somatiques précotylédonaires sur la membrane poreuse pendant une période suffisante pour développer des embryons de conifères somatiques cotylédonaires à partir des embryons somatiques précotylédonaires.  

 

[20]    Dans la première étape de la méthode revendiquée, les embryons précotylédonaires sont « disposés » sur « la surface supérieure d'une membrane poreuse ». La personne versée dans l'art considérerait cela comme un élément essentiel, puisqu'il ne peut pas être substitué ou omis pour obtenir la solution indiquée au paragraphe 18. Cette étape, dans le contexte du mémoire descriptif, serait davantage comprise par la personne versée dans l'art comme signifiant que les embryons sont disposés sur la surface supérieure de la membrane et qu'ils sont soutenus par cette dernière. Comme il a été mentionné précédemment, la solution fournie par la présente demande consiste à offrir une méthode permettant de développer des embryons sur la surface supérieure d'une membrane poreuse et non absorbante. De plus, les exemples contenus dans la description décrivent la disposition des embryons en développement directement sur la surface d'une membrane en nylon non absorbante et concluent que « des embryons de bonne qualité (zygotiques) sont développés » (page 15, ligne 21).

 

[21]    Bien que le terme « membrane » dans le contexte d'un système biologique puisse souvent faire référence à une couche mince et sélectivement perméable, dans cette demande, la personne versée dans l'art comprendrait plutôt qu'il s'agit d'un type de support physique sur lequel les embryons sont développés.

 

[22]    Le terme « membrane » est utilisé dans la présente demande pour faire référence à un matériau entièrement perméable qui « peut être utilisé pour soutenir un tissu végétal pendant la phase de développement de la production d'embryons végétaux somatiques » (page 2, lignes 11 et 12). Dans la figure 1, laquelle montre un système représentatif de l'application des méthodes revendiquées, la membrane poreuse est un mince écran en nylon suspendu au-dessus d'un milieu liquide. Comme il est susmentionné au paragraphe 17, la description indique que la membrane doit être assez robuste et stable pour résister aux déchirures lorsqu'elle est transportée lors des différentes phases du processus de production. Par conséquent, un examen éclairé du mémoire descriptif dans son ensemble, y compris la description et les dessins, indique à la personne versée dans l'art que l'expression « membrane poreuse où ladite membrane poreuse n'absorbe pas le milieu de développement liquide » désigne un mince écran capable de soutenir des embryons en croissance; suffisamment robuste pour résister aux déchirures; qui comporte des pores de taille adéquate pour permettre au milieu liquide de circuler librement et, contrairement aux tampons généralement utilisés, qui n'a aucune capacité d'absorption ou de rétention dudit milieu. 

 

[23]    La personne versée dans l'art considérerait qu'une membrane poreuse non absorbante est essentielle parce que la solution au problème nécessite que la membrane soit à la fois poreuse et non absorbante. La membrane doit également être poreuse pour permettre au milieu liquide d'atteindre les embryons en développement disposés à sa surface.

 

[24]    L'utilisation d'un milieu de développement liquide serait également comprise par la personne versée dans l'art comme étant essentielle, parce qu'elle est nécessaire au développement des embryons. Cet élément est commun à la première et à la deuxième étape de la méthode revendiquée. Comme il a été mentionné précédemment au paragraphe 15, le développement cotylédonaire d'embryons de conifères nécessite généralement un milieu de développement liquide qui présente une forte osmolarité et qui déclenche la maturation des embryons.

 

[25]    Dans la deuxième et la troisième étape de la méthode revendiquée, les embryons sont partiellement humectés, mais ne sont pas immergés, et ce, jusqu'à ce que le stade cotylédonaire soit atteint. Comme il n'y a pas de tampon absorbant entre les embryons et le milieu de développement liquide, les embryons sont exposés directement au milieu, plutôt qu'à travers un tampon absorbant. L'humectage partiel des embryons serait compris par la personne versée dans l'art comme étant essentiel, puisque l'immersion des embryons empêche le développement cotylédonaire, comme il est indiqué au paragraphe 15.

 

[26]    Tenant compte des points susmentionnés, nous estimons que la personne versée dans l'art jugerait que les éléments suivants de la revendication 1 sont essentiels :

1)      Disposer les embryons de conifères somatiques précotylédonaires sur la surface supérieure d'une membrane poreuse et non absorbante;

2)      Utiliser un milieu de développement liquide;

3)      Humecter partiellement les embryons pendant une période suffisante pour produire des embryons de conifères cotylédonaires.   

 

Le brevet D1 décrit-il tous les éléments essentiels?

 

[27]    Nous déterminerons maintenant si les éléments essentiels sont décrits de manière à permettre leur mise en œuvre au moyen de D1.

 

[28]    L'art antérieur cité par l'examinateur est le brevet EP1063881 (D1), publié le 3 janvier 2001, ce qui précède la date de revendication de la présente demande. Si l'on se rappelle le paragraphe 15 ci-dessus, on croyait que l'utilisation d'un milieu de développement liquide à forte osmolarité imposait un stress sur les embryons, induisant ainsi le développement cotylédonaire. De façon générale, D1 est centré sur d'autres méthodes permettant d'induire ce stress chez les embryons de conifères en maturation, nommément par l'utilisation d'un milieu solide contenant une forte concentration de gélifiant, ou par l'utilisation de supports épais qui absorbent et retiennent le liquide et qui séparent physiquement les embryons du milieu liquide d'osmolarité normale non conventionnel. Ces deux méthodes induisent un stress en limitant la quantité d'eau disponible pour les embryons en développement. 

 

[29]    Les méthodes décrites dans D1, lesquelles supposent l'utilisation de fortes concentrations de gélifiant dans un milieu solide, ne s'appliquent pas à l'analyse parce que la solution proposée concerne des méthodes à base de liquides.

 

[30]    Bien que D1 décrive d'autres supports pour les embryons de conifères pouvant être utilisés dans un milieu de culture liquide, la personne versée dans l'art estimerait que ces supports sont différents, sur les plans du fonctionnement et du matériel, des membranes poreuses et non absorbantes de la revendication 1. Dans D1, ces supports sont utilisés pour séparer physiquement les embryons en croissance du milieu liquide, selon une distance qui limite la disponibilité de liquide pour lesdits embryons. Cette séparation est obtenue à l'aide d'un support épais qui se prolonge du fond du contenant du milieu liquide jusqu'à une distance désirée au-dessus de la surface du milieu (voir les figures 2 et 3). Le milieu liquide atteint les embryons seulement une fois qu'il a été absorbé à travers tout le support. Autrement dit, il doit circuler, par action capillaire, à travers l'épaisse matrice interne du support. Il est décrit au paragraphe 97 de D1 que les supports sont faits en « mousse ». Bien que le type de « mousse » ne soit pas décrit, la personne versée dans l'art considérerait que ces supports sont des blocs épais et absorbants, ne ressemblant pas aux membranes poreuses et non absorbantes de la revendication 1. En outre, l'utilisation d'un milieu conventionnel à forte osmolarité dans ces méthodes n'est pas enseignée.

 

[31]    L'analyse supplémentaire souligne (à la page 5, lignes 3 à 7) un exemple dans D1 où une membrane poreuse et non absorbante est utilisée de pair avec un milieu liquide. Cet exemple est résumé au tableau 12. Cependant, dans cet exemple, les embryons ne sont pas disposés sur la surface supérieure d'une membrane poreuse non absorbante. Ils sont plutôt disposés sur une membrane absorbante qui elle, est placée sur un support non absorbant, ce qui est noté dans l'analyse supplémentaire. En effet, dans le tableau 12 de D1, il est indiqué que « des données sont fournies pour le développement d'embryons d'épinettes sur du papier filtre, lequel est placé sur un écran en nylon dont la taille des pores est de 500 um, ledit écran étant placé sur le milieu liquide » (accent ajouté).

 

[32]    Il est évident, à la lumière de l'analyse ci-dessus, que D1 ne décrit pas la disposition d'embryons de conifères somatiques cotylédonaires sur la surface supérieure d'une membrane poreuse et non absorbante, ce qui constitue le premier élément essentiel de la revendication 1 susmentionné au paragraphe 30. Comme il a été mentionné précédemment au paragraphe 11, si une publication de l'art antérieur omet de divulguer un seul élément essentiel de l'invention revendiquée, elle ne peut pas constituer une antériorité. Comme D1 omet de divulguer un élément essentiel de la revendication 1, nous pouvons conclure en nous appuyant sur ce fait que la revendication 1 n'est pas antériorisée par D1.

 

[33]    La revendication 10 est la seule autre revendication indépendante au dossier. Elle concerne la même méthode de développement d'embryons de conifères somatiques cotylédonaires que la revendication 1, mais ajoute deux étapes au début de la méthode. Ces étapes sont nécessaires à la production d'embryons précotylédonaires utilisés dans les étapes suivantes. Ainsi, la revendication 10 partage tous les éléments essentiels relevés pour la revendication 1. Par conséquent, elle n'est pas non plus antériorisée par D1. Comme les revendications 2 à 9 et 11 sont dépendantes des revendications 1 et 10 respectivement, elles partagent aussi les mêmes éléments essentiels susmentionnés et ne sont pas antériorisées par D1.

 

Conclusion

 

[34]    Les revendications 1 à 11 ne sont pas antériorisées par D1.

 

Les revendications sont-elles néanmoins évidentes?

 

[35]    Bien que cette question n'ait pas été soulevée dans la décision finale ni dans le RM, par souci d'exhaustivité nous déterminerons aussi si les revendications sont évidentes eu égard au brevet D1.

 

[36]    L'information qui peut être prise en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si une revendication est évidente est énoncée à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets :

 

L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus dun an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui linformation à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle quelle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle quelle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

 

[37]    Une démarche en quatre étapes pour évaluer lévidence a été établie par la Cour suprême dans Sanofi; cette démarche est la suivante :

(1)   a) Identifier la « personne versée dans lart »;

        (b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)   Définir lidée originale de la revendication en cause, au besoin par voie dinterprétation;

(3)   Recenser les différences, sil en est, entre ce qui ferait partie de « létat de la technique » et lidée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4)   Abstraction faite de toute connaissance de linvention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans lart ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

Analyse selon la démarche en quatre étapes énoncée dans Sanofi

 

Étape 1 : Identifier la « personne versée dans l'art » et les connaissances générales courantes de cette personne.

 

[38]    La personne versée dans l'art et ses CGC ont déjà été déterminées aux paragraphes 13 à 15.

 

Étape 2 : Définir lidée originale de la revendication en cause, au besoin par voie dinterprétation.

 

[39]    La présente description énonce à la page 2  qu'il existe un « besoin continu de méthodes permettant de produire des embryons somatiques de conifères viables à partir de cellules embryogéniques de conifères ». Le sommaire de l'invention poursuit en décrivant que la formation efficace d'embryons somatiques, capables de germer pour produire des plants, est possible si l'on dispose des embryons de conifères sur la surface supérieure d'une membrane poreuse et non absorbante.

 

[40]    Selon la description, les embryons somatiques en développement sont disposés sur la surface supérieure d'une membrane poreuse non absorbante qui est ensuite mise en contact avec le milieu de développement liquide. La membrane poreuse est suffisamment robuste pour résister aux déchirures lorsqu'elle est soulevée pour transférer les embryons somatiques de la phase de développement aux phases subséquentes du processus de production d'embryons somatiques. Comme il a été mentionné précédemment au paragraphe 17, la personne versée dans l'art percevrait cela comme une amélioration par rapport aux méthodes classiques selon lesquelles on dispose les embryons sur des tampons absorbants.

 

[41]    Par conséquent, il est évident à la lecture du mémoire descriptif dans son ensemble que le concept inventif des revendications indépendantes constitue une méthode améliorée pour développer des embryons de conifères cotylédonaires à l'aide d'un milieu liquide, par la disposition des embryons sur la surface supérieure d'une membrane poreuse et non absorbante. 

 

Étape 3 : Recenser les différences, sil en est, entre ce qui ferait partie de « létat de la technique » et le concept inventif qui sous-tend la revendication ou son interprétation.

 

[42]    Comme nous l'avons établi dans notre analyse de l'antériorité, la référence D1 citée ne divulgue pas l'élément essentiel que constitue la disposition d'embryons sur la surface supérieure d'une membrane poreuse qui n'absorbe pas le milieu de développement liquide. Il semblerait alors que la différence entre D1 et le concept inventif soit que l'invention revendiquée nécessite la disposition des embryons de conifères sur la surface supérieure d'une membrane poreuse non absorbante. 

Étape 4 : Ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans lart ou dénotent-elles quelque inventivité?

[43]    Comme il a été mentionné précédemment dans l'analyse de l'antériorité, D1 porte généralement sur les méthodes de clonage somatique qui utilisent un milieu solide, ou une combinaison d'épais blocs de mousse avec un milieu liquide non conventionnel d'osmolarité normale. Ainsi, ces divulgations ne s'appliquent pas aux présentes revendications qui concernent un milieu liquide et des membranes minces, poreuses et non absorbantes. Cependant, comme il est souligné dans l'analyse supplémentaire, le tableau 12 de D1 décrit une méthode de développement d'embryons sur un support constitué de papier filtre absorbant qui est maintenu sur un écran en nylon non absorbant. 

 

[44]    Comme il a été mentionné précédemment, les méthodes de clonage somatique généralement connues supposent la culture d'embryons directement sur des tampons absorbants. À cet égard, la méthode décrite dans le tableau 12 de D1 est donc semblable aux méthodes issues des CGC. En effet, elle est utilisée dans D1 pour comparer le rendement des méthodes fondées sur le nouveau milieu solide par rapport à la méthode établie dans les CGC. Cependant, rien n'indique dans D1 que le papier filtre absorbant sur lequel sont disposés les embryons (tableau 12) pourrait être retiré et que les embryons pourraient alors croître directement sur l'écran en nylon situé dessous. En outre, étant donné que, selon les CGC, les méthodes de culture de tissus en général sont très imprévisibles, et que les méthodes de clonage somatique le sont davantage (voir le paragraphe 15 ci-dessus), la personne versée dans l'art n'aurait pas été incitée par D1, à la lumière de ses CGC, à retirer le support absorbant pour développer les embryons directement sur l'écran de nylon. Nous concluons donc que les revendications ne sont pas évidentes, parce que la personne versée dans l'art aurait eu besoin d'un certain degré d'ingéniosité pour en arriver au concept inventif des revendications.

 

Conclusion

 

[45]    Les revendications ne sont pas évidentes, eu égard au brevet D1 et aux CGC de la personne versée dans l'art.

 

Question 2 : Les revendications 1 à 11 SE FONDENT-ELLES  SUR la description?

 

[46]    L'article 84 des Règles sur les brevets stipule que :

 

Les revendications sont claires et concises et se fondent entièrement sur la description, indépendamment des documents mentionnés dans celle-ci.

 

[47]    Concluant que les revendications 1 à 11 ne sont pas conformes à l'article 84 des Règles sur les brevets, la décision finale énonce que « la vaporisation ou l'atomisation du milieu liquide sur le dessous de la membrane poreuse constitue une caractéristique essentielle de l'invention alléguée et, par conséquent, doit être intégrée dans les revendications ».   

 

[48]    Nous sommes d'avis que la personne versée dans l'art estimerait que la caractéristique relative à la vaporisation ou à l'atomisation du milieu liquide sur le dessous de la membrane poreuse ne représente qu'une des nombreuses façons décrites dans la demande pour mettre les embryons en contact avec le milieu liquide. En fait, il ne semble s'agir qu'un d'un moyen secondaire, puisque la description met davantage l'accent sur le système décrit aux pages 5 à 7 et utilisé dans l'exemple 3, selon lequel une pompe est utilisée pour remplir une chambre d'un milieu liquide jusqu'à un niveau équivalent à la partie inférieure de la membrane poreuse. De plus, aucun des modes de réalisation cités en exemple n'utilise la méthode de vaporisation ou d'atomisation. Nous estimons que, d'après la description, la caractéristique relative à la vaporisation et à l'atomisation du milieu liquide sur le dessous de la membrane poreuse n'est pas essentielle, et que les revendications se fondent entièrement sur la description.

 

Conclusion

 

Les revendications 1 à 11 ne contiennent pas d’irrégularités en vertu de larticle 84 de la Loi sur les brevets.

 

 

Recommandation de la Commission

 

[49]    Nous recommandons que le refus soit retiré et que la demande soit acceptée, conformément au paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets.

 

 

 

Michael OHare                           Ed MacLaurin                              Christine Teixeira

Membre                                       Membre                                        Membre

 


Décision du commissaire

 

[50]    Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Conformément au paragraphe 30(6.2) des Règles sur les brevets, le refus de la demande est retiré et la demande sera donc acceptée.

 

 

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

En ce 5e jour de février 2015

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