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Décision du commissaire no 1371

Commissioner’s Decision #1371

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : O00

TOPIC: O00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no :   2,438,942

Application No.: 2,438,942




 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

La demande de brevet numéro 2,438,942, ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, a fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le Commissaire aux brevets conformément aux dispositions de l'alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Les conclusions de la Commission et la décision du commissaire suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

 

NORTON ROSE CANADA S.E.N.C.R.L., S.R.L./LLP 

1, Place Ville-Marie, bureau 2500

Montréal (Québec)

H3B 1R1

 


 



Introduction

 

[1]La demande de brevet numéro 2,438,942 intitulée Formulations d’un vaccin contre la grippe pour livraison intradermale »déposée le 21 février 2002 a été refusée parce que l'examinateur considère  que l'invention revendiquée est évidente à la lumière  de publications de l'art antérieur.

  

[2]   La demande a donc été référée à la Commission d'appel des brevets pour révision, et un comité composé de trois membres de la Commission a été créé. La présente révision se fonde  sur le  traitement de la demande, y compris les rapports échangés entre l'examinateur et le demandeur, les observations écrites soumises au comité par le demandeur  et celles présentées à l'audience tenue le 28 mars 2014.

 

[3]   Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons que la demande soit rejetée.

 

Contexte

 

[4]   L'influenza A et B sont les deux types du virus de la grippe  qui provoquent des épidémies chez l'humain. Dans le cas de l’influenza, les antigènes — les structures capables de déclencher la production d'anticorps — se présentent sous la forme de spicules à la surface extérieure de la particule virale. Lorsqu'une personne est exposée au virus grippal, soit par vaccination soit par infection, son système immunitaire produit des anticorps contre les antigènes spécifiques à la surface de la souche particulière d’influenza. Les anticorps sont alors capables de neutraliser la souche en se liant aux antigènes spécifiques de surface, empêchant ainsi l'infection de se propager davantage.

 

[5]   À la différence de l'influenza de type B, l'influenza de type A comprend des sous-types liés aux deux principaux antigènes de surface, soit l'hémagglutinine (HA) et la neuraminidase (NA). Au moment du dépôt de la présente demande, les sous-types d'influenza A-H1N1 et A-H3N2 et l'influenza de type B cocirculaient à l'échelle mondiale depuis 1977. Les virus grippaux de type A et de type B sont constamment l'objet de mutations spontanées, un phénomène qu'on appelle « glissement antigénique » et qui peut modifier les antigènes de surface au point de les rendre méconnaissables pour le système immunitaire, ce qui explique en partie pourquoi l'influenza est un virus des plus persistants dans le monde. À titre d'exemple, la souche spécifique A-H1N1 utilisée dans un vaccin saisonnier ne sera généralement pas la même l'année suivante en raison du glissement antigénique qui se produira  à l'intérieur de ce sous-type. La vaccination annuelle est recommandée parce que, outre le glissement antigénique qui se produit, en règle générale, l'immunité diminue au cours des années qui suivent la vaccination. 

 

[6]   La présente demande combine un vaccin antigrippal avec un dispositif d'administration intradermique (ID) à aiguille courte pour l'administration intradermique du vaccin, ce qui constitue un changement par rapport à la voie d'administration intramusculaire (IM) qui était la norme à l'époque. L'injection ID cible le derme, lequel se situe à seulement 1 à 2 mm sous la surface de la peau. Au moment où la demande a été déposée, les vaccins antigrippaux saisonniers contenaient généralement trois souches (c.-à-d. que les vaccins étaient « trivalents ») et reposaient sur l'utilisation d'un virus inactivé, c'est-à-dire un virus « tué » et, donc, non infectieux. Il s'agissait soit de vaccins à virus entier, soit de vaccins à virus fragmenté; le terme « fragmenté » signifiant que les particules du virus ont été rompues au moyen d'un détergent — un processus qui atténue les effets secondaires au site d'injection. Le vaccin visé par la présente demande est un vaccin de ce type, soit un vaccin trivalent à virus fragmenté inactivé.

 

[7]   Selon la décision finale de l'examinateur, combiner le dispositif ID à aiguille courte avec un vaccin antigrippal trivalent fragmenté n'aurait nécessité aucune inventivité à la date de la revendication. À l'appui de cet argument, l'examinateur a cité sept documents, ci-après appelés les documents D2[1] à D8 (références complètes fournies au para. [63]). Le demandeur a contesté cette allégation, faisant valoir qu'il n'y avait aucune preuve que la vaccination antigrippale par voie intradermique fonctionnerait, qu'un expert du domaine s'intéressant à la voie intradermique n'aurait jamais employé un vaccin trivalent fragmenté, et que la personne versée dans l'art n'aurait jamais eu de motif d'opter pour une voie d'administration différente de la voie IM conventionnelle.    

 

Question en litige

 

[8]   La présente révision porte sur la question suivante :

 

(1) Les revendications sont-elles évidentes?

 

L'évidence de l'invention est déterminée en fonction des revendications en cause, par conséquent, nous commencerons par examiner les revendications.

 

Interprétation des revendications

 

 

[9]         L'interprétation téléologique a pour but de déterminer de manière objective la compréhension qu'aurait la personne versée dans l'art de la portée des revendications, en fonction des termes particuliers qui sont employés dans les revendications : Free World Trust c. Electro Sante Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], para. 51. Lors de l'interprétation téléologique, les éléments de l'invention revendiquée sont identifiés soit comme essentiels, soit comme non essentiels (Free World Trust, para. 50). Les revendications sont interprétées de manière téléologique et éclairée, du point de vue de la « personne versée dans l'art » théorique, à la lumière de ses connaissances générales courantes (Free World Trust, para. 51). Un élément est considéré comme non essentiel si, suivant une interprétation téléologique, la personne versée dans l'art constaterait qu'un élément de la revendication peut être omis ou substitué sans que cela n'ait d'effet important sur le fonctionnement de l'invention (Free World Trust, para. 55).

 

[10]     Les connaissances générales courantes sont les connaissances que possèdent généralement les personnes versées dans l'art pertinent à la date pertinente (Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi], para. 37). La personne versée dans l'art est raisonnablement diligente dans ses efforts pour se tenir au courant des progrès réalisés dans le domaine dont relève l'invention, et ses connaissances générales courantes évoluent constamment (Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, para. 74). L'information contenue dans des ouvrages de référence, tels les manuels contemporains qui étaient déjà publiés à la date de la revendication peuvent aider à déterminer si telle ou telle information faisait ou non partie des connaissances générales courantes (Eli Lilly and Company c. Apotex Inc, 2009 CF 991, au para. 100, citant un passage de Simon Thorley et al. Terrell on the Law of Patents, 16e éd. (London : Sweet & Maxwell, 2006), à la page 6-39; Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc [(1995), 60 CPR (3d) 58 (On Ct G D)], à la page 83).

 

[11]     Avant d'examiner les revendications, nous devons d'abord caractériser la personne versée dans l'art et ses connaissances générales courantes.

 

La personne versée dans l’art

 

[12]     Dans la décision finale, l'examinateur caractérise la personne versée dans l'art comme [traduction] « une personne ou un groupe de personnes travaillant dans le domaine de l'immunologie et de la vaccinologie, y compris les professionnels de la santé ». Étant donné que le demandeur n'a pas contesté cette caractérisation et que cette dernière est raisonnable au vu des enseignements contenus dans la description, nous acceptons cette définition.

 

Connaissances générales courantes

 

[13]     Dans la décision finale, l'examinateur caractérise les connaissances générales courantes comme comprenant généralement :

 

[traduction] …une connaissance adéquate de l'efficacité et de la réactogénicité des vaccins antigrippaux existants et de leurs voies d'administration appropriées. 

 

[14]     Le demandeur et l'examinateur ne s'entendaient pas quant à ce que ces connaissances englobaient à la date pertinente. Afin de déterminer l'étendue des connaissances qu'impliquent l'énoncé ci-dessus, le comité a examiné un certain nombre de publications soumises et/ou citées par le demandeur et l'examinateur, ainsi que les observations que le demandeur a présentées dans sa description. Trois références mentionnées dans la lettre du demandeur du 2 juillet 2010 et consignées au dossier sont considérées comme particulièrement pertinentes pour établir les connaissances générales courantes à la date de la revendication :

 

       un manuel de Plotkin et Orenstein, « Vaccines », 3e édition, Philadelphie, W.B. Saunders Company, 1999 [manuel de Plotkin];

 

       un article de synthèse de Seiho Nagafuchi et al., « Intradermal Administration of Viral Vaccines », Reviews in Medical Virology, 8, 1998, pages 97 à 111 [article de Nagafuchi];

 

       la notice de produit du vaccin commercialisé Fluzone™ [notice du Fluzone] utilisée pendant la saison grippale de 1999-2000, « Influenza Virus Vaccine USP Trivalent Types A and B, Fluzone », A.H.F.S. Category 80:12, Connaught Laboratories Inc., Swiftwater, Pennsylvanie, É-U, avril 1999.

 

[15]     Après examen des observations du demandeur, de la demande et des références au dossier, nous sommes d'avis qu'à la date de la revendication, les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art auraient compris les suivantes : 

 

         la pratique conventionnelle consistait à utiliser des vaccins trivalents, en règle générale à virus fragmenté, administrés par voie IM;

 

         les vaccins trivalents étaient recommandés parce que, à la date de la revendication, trois types de virus grippaux cocirculaient dans le monde : les types A-H1N1, A-H3N2 et B;

 

         les vaccins à virus fragmenté étaient recommandés pour tous les groupes d'âge, tandis que les vaccins à virus entier étaient recommandés uniquement pour les personnes de plus de 12 ans;

 

         l'immunogénicité (c.-à-d. la capacité de provoquer une réponse immunitaire protectrice) des vaccins à virus entier et à virus fragmenté était similaire chez les adultes, mais les vaccins à virus entier étaient davantage immunogènes chez les aînés;

 

         dans le cas des vaccins trivalents à virus fragmenté conventionnels, deux doses étaient recommandées pour les sujets qui n'avaient pas été antérieurement exposés au virus, soit par vaccination soit par infection antérieure acquise par exposition, tandis que tous les autres ne recevaient qu'une seule dose. Les recommandations étaient fondées sur l'âge et sur la présomption que toutes les personnes âgées de neuf ans ou plus avaient déjà été exposées au virus; 

 

         l'immunogénicité diminuait à chaque ajout d'une souche supplémentaire dans un vaccin;

 

         lorsque les souches d'influenza en circulation s'apparentaient étroitement à celles contenues dans le vaccin, le vaccin avait un taux d'efficacité de 70 à 90 % chez les personnes en bonne santé âgées de moins de 65 ans, et même si son taux d'efficacité dans la prévention de la grippe était seulement de 30 à 40 % chez les aînés vivant dans des unités pour malades chroniques ou des centres de soins de longue durée, la vaccination était expressément recommandée pour ce groupe d'âge parce que le vaccin prévenait efficacement les complications secondaires liées à la grippe; 

 

         la technique d'injection « Mantoux » était la méthode standard pour l'administration par voie ID, même si l'on savait qu'elle nécessitait l'intervention de préposés hautement qualifiés, ce qui rendait son utilisation impraticable lors des campagnes annuelles de vaccination de masse;

 

         l'administration par voie ID avait l'avantage de nécessiter une quantité moindre de vaccin (seulement 1/5 de la dose standard qui était utilisée pour les injections parentérales[2]), et permettait de cibler l'immunité à médiation cellulaire par les cellules de Langerhans présentes dans le derme;

 

         on se serait attendu à ce qu'un vaccin antigrippal administré par voie ID soit aussi efficace chez les sujets sensibilisés par une infection ou une vaccination antérieures qu'un vaccin administré par voie IM;

 

         aucun organisme d'homologation n'avait encore approuvé un vaccin antigrippal saisonnier pour administration intradermique;

 

         les vaccins antigrippaux étaient immunogènes lorsqu'ils étaient administrés par voie ID, mais la voie IM était recommandée par les autorités sanitaires, et l'évaluation de la performance des vaccins lorsqu'ils étaient administrés par d'autres voies suscitait très peu d'intérêt au sein de la communauté scientifique.

 

Vaccins antigrippaux existants

 

[16]     Les vaccins antigrippaux peuvent varier considérablement les uns par rapport aux autres. Le demandeur et l'examinateur s'entendaient sur le fait que les vaccins antigrippaux étaient connus dans l'art antérieur comme : (i) employant des souches vivantes ou inactivées, (ii) étant constitués d'un virus entier ou d'un virus fragmenté, (iii) contenant d'une à trois souches (c.-à-d. mono, bi ou trivalent), et (iv) étant administré par injection IM, sous-cutanée (SC) ou ID. Dans sa lettre du 23 mai 2012, le demandeur a toutefois fait observer qu'à l'époque, c'est-à-dire avant le dépôt de la demande, la pratique conventionnelle consistait à opter pour une [traduction] « injection intramusculaire d'un vaccin trivalent inactivé, généralement un vaccin à virus fragmenté ».

 

[17]     Par souci de commodité et afin de mettre en contexte le contenu de la présente section, le tableau contenant les recommandations du comité national des États-Unis pour la saison grippale de 1997-1998 qui est présenté à la page 537 du manuel de Plotkin, est reproduit ci-dessous. Ces recommandations sont identiques à celles contenues dans la notice du Fluzone pour la saison grippale de 1999-2000. Le comité souligne que le manuel de Plotkin et la notice du Fluzone ont tous deux été ajoutés au dossier par le demandeur et ont tous deux été cités pendant le traitement à la fois par le demandeur et par l'examinateur.

 


 

Dosage du vaccin antigrippal selon l'âge des patients aux États-Unis (1997-1998)

Groupe d'âge

Produit

Dosage

Nombre de doses

Voie

6 à 35 mois

virus fragmenté seulement

0,25 ml

1 ou 2

IM

3 à 8 ans

virus fragmenté seulement

0,50 ml

1 ou 2

IM

9 à 12 ans

virus fragmenté seulement

0,50 ml

1

IM

plus de 12 ans

virus entier ou fragmenté

0,50 ml

1

IM

 

[18]     Ces recommandations concordent avec les observations du demandeur. La personne versée dans l'art aurait su, à la date de la revendication, que la pratique conventionnelle consistait à administrer par injection IM des vaccins antigrippaux trivalents, généralement constitués d'un virus fragmenté.

 

[19]     Il est expliqué dans le manuel de Plotkin que les vaccins trivalents étaient recommandés parce que, à la date de la revendication, trois (sous-)types de virus grippaux cocirculaient : les souches A-H1N1, les souches A-H3N2 et les souches de type B (page 535). La notice du Fluzone explique également que les souches précises de chaque (sous-)type que le vaccin saisonnier devait contenir étaient celles que l'Organisation mondiale de la santé [OMS] considérait comme les plus susceptibles de circuler au cours de l'hiver à venir.

 

[20]     Aussi, le manuel de Plotkin et la notice du Fluzone indiquent tous deux que les vaccins connus sont cultivés sur embryon de poulet, sont fragmentés à l'aide d'un tensioactif Triton™, et contiennent 15µg d'hémagglutinine de chacune des souches grippales (c.-à-d. 45µg au total) dans chaque dose de 0,5 ml.

 

Efficacité (immunogénicité) et réactogénicité (effets secondaires)

 

[21]     Selon la notice du Fluzone, lorsque les souches grippales en circulation s'apparentaient étroitement à celles contenues dans le vaccin, le vaccin prévenait la grippe avec un taux d'efficacité de 70 à 90 % chez les personnes en bonne santé âgées de moins de 65 ans, mais son taux d'efficacité était seulement de 30 à 40 % chez les aînés vivant dans des unités pour malades chroniques ou des centres de soins de longue durée. La vaccination était tout de même expressément recommandée pour ce groupe d'âge, car le vaccin prévenait très efficacement les complications secondaires liées à la grippe (notice du Fluzone).

 

[22]     À l'audience, le demandeur a fait observer que les connaissances générales courantes auraient inclus la connaissance du fait que les vaccins à virus entier sont davantage immunogènes que les vaccins à virus fragmenté. Bien que cette affirmation soit vraie de manière générale, elle ne concorde pas parfaitement avec ce qui était généralement connu et admis au sujet des vaccins antigrippaux trivalents à la date de la revendication. Selon la notice du Fluzone, qui fait référence aux recommandations du comité national, les vaccins trivalents à virus fragmenté et les vaccins trivalents à virus entiers avaient une immunogénicité et des effets secondaires similaires chez les adultes. Cet énoncé concorde avec l'information contenue dans le manuel de Plotkin, dans lequel il est précisé qu'une étude réalisée auprès d'aînés avait démontré que les vaccins à virus entier étaient davantage immunogènes chez ce groupe d'âge que les vaccins à virus fragmenté (page 540). La personne versée dans l'art aurait donc su que les vaccins à virus entier étaient susceptibles d'avoir un effet immunogène plus grand chez les aînés, mais que, chez les adultes, leur immunogénicité était équivalente à celle des vaccins à virus fragmenté.

 

[23]     Comme nous l'avons mentionné précédemment, les vaccins antigrippaux à virus fragmenté et à virus entier avaient des effets secondaires similaires chez les adultes, mais, tel qu'il est indiqué dans le tableau ci-dessus, les vaccins à virus entier étaient contre-indiqués chez les sujets de moins de 12 ans en raison de leurs effets secondaires prohibitifs chez les enfants (manuel de Plotkin, page 536; notice du Fluzone).  

 

[24]     À l'audience, le demandeur a également fait observer que la personne versée dans l'art aurait su que des doses multiples sont plus efficaces et plus immunogènes qu'une dose unique. Là encore, cette affirmation ne concorde pas parfaitement avec ce qui était connu au sujet des vaccins antigrippaux à l'époque où la demande a été déposée. On savait que le nombre de doses dépendait de ce que le sujet avait ou non été exposé aux virus grippaux contenus dans le vaccin. Tel qu'il est indiqué dans le tableau ci-dessus, les enfants de moins de neuf ans n'ayant jamais été vaccinés contre la grippe recevaient deux doses, mais tous les autres ne recevaient qu'une seule dose, car on présumait qu'ils avaient été « sensibilisés » (c.-à-d. antérieurement exposés au virus) par une vaccination ou une infection antérieure (notice du Fluzone; manuel de Plotkin, page 536). Étant donné que les sous-types d'influenza A-H1N1 et A-H3N2 et l'influenza de type B cocirculaient dans le monde à la date de la revendication, ce sont ces souches qui étaient contenues dans le vaccin. De plus, étant donné que ces (sous-)types de la grippe cocirculaient à l'échelle mondiale depuis 1977, on présumait qu'à l'âge de neuf ans, tout le monde avait été infecté au moins une fois par suite d'une exposition et était, par conséquent, sensibilisé. Dans le même ordre d'idées, la notice du Fluzone indique que des études avaient démontré que l'administration d'une seconde dose du vaccin trivalent à virus fragmenté au cours de la même saison n'améliorait guère, voire pas du tout, la réponse anticorps chez les adultes. En outre,  Plotkin nous indique que l'administration répétée, à six mois d'intervalle, d'un vaccin antigrippal chez des sujets sensibilisés n'accroissait pas le nombre de sujets présentant des taux protecteurs d'anticorps (page 537).

 

[25]     Il fût également  mentionné à l'audience que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art auraient inclus la connaissance du fait que chaque ajout d'une souche supplémentaire dans le vaccin accroît l'interférence des antigènes, ce qui entraîne une diminution de l'immunogénicité. Cela signifie qu'un vaccin monovalent serait davantage immunogène qu'un vaccin bivalent, et ainsi de suite. Ce fait n'a pas été remis en cause par l'examinateur et n'est contredit par aucune des références considérées. Nous acceptons cette observation.

 

Voies d'administration appropriées

 

[26]     Avant d'amorcer notre examen de l'administration par voie ID, il nous semble justifié, au vu du dossier, d'expliquer brièvement en quoi consiste une administration par voie ID effectuée à l'aide d'une aiguille et d'une seringue standard. Au cours du processus de révision, le comité a demandé au demandeur de préciser si la personne versée dans l'art interpréterait une injection ID décrite comme étant [traduction] « effectuée manuellement par un préposé à l'aide d'une aiguille et d'une seringue standard », comme faisant nécessairement référence à la « technique Mantoux » (une technique spéciale expliquée ci-dessous). Notre question était liée au document D4 (Di Pietro et al., référence complète fournie au para. [63]), que nous verrons plus en détail dans la prochaine section, mais cette précision influe également sur l'établissement des connaissances générales courantes et sur l’interprétation d’un nombre de références au dossier par la personne versée dans l'art.

 

[27]     À l'audience, le demandeur a répondu que rien dans le document D4 n'indiquait que les auteurs faisaient référence à la technique Mantoux. Ni le calibre de l'aiguille ni l'angle d'administration ne sont mentionnés et donc, compte tenu du peu d'information fournie, le lecteur ne pouvait pas extrapoler que les auteurs faisaient référence à la technique Mantoux. Lorsqu'on lui a demandé à quoi d'autre ce passage pouvait faire référence si ce n'était pas à la technique Mantoux, le demandeur a été incapable de fournir une réponse.

 

[28]     À la lumière de la preuve dont nous disposons, nous ne sommes pas convaincus que la personne versée dans l'art interpréterait la mention d'une injection ID effectuée manuellement à l'aide d'une aiguille et d'une seringue standard comme autre chose qu'une référence à la « technique Mantoux ». Le procédé général à suivre pour réaliser une injection ID à l'aide d'une aiguille et d'une seringue standard est expliqué dans le manuel de Plotkin : insérer la totalité du biseau de 3/8 à 3/4 de pouce d'une aiguille de calibre 25 à 27 dans l'épiderme selon un angle parallèle à l'axe longitudinal de l'avant-bras, puis s'assurer que la solution injectée provoque l'apparition d'une petite boursouflure (c.-à-d. une vésicule remplie de liquide), [traduction] « ce qui confirme que le vaccin a bien été injecté dans le derme et non simplement sous la peau » (page 52). Bien qu'elle ne soit pas explicitement identifiée comme telle, la technique décrite dans le manuel de Plotkin est celle de Mantoux. À l'audience, le demandeur a décrit la technique comme consistant à utiliser un angle peu prononcé de [traduction] « 5 à 10° parallèle à la peau », par opposition à l'expression [traduction] « un angle parallèle » utilisée dans le manuel de Plotkin, mais nous ne considérons pas qu'il s'agit là d'une différence. En outre, à la page 5 des observations écrites que le demandeur a présentées à l'audience, il est indiqué, en rapport avec le document D6 (Halperin et al., référence complète fournie au para. [63]) que le vaccin était [traduction] « fourni dans une seringue standard munie d'une aiguille standard (technique Mantoux) en vue d'une administration intradermique ». Fait notable, l'expression « Mantoux technique » n'est pas utilisée dans le document D6 et pourtant le demandeur a extrapolé qu'il s'agit de cette technique. Le demandeur emploie également le terme « Mantoux technique » à la page 4 de ces mêmes observations en rapport avec le document D2, dans lequel il est fait mention de l'injection ID, mais pas de la technique Mantoux. À notre avis, à la date de la revendication, la personne versée dans l'art aurait interprété [traduction] « injection ID réalisée à l'aide d'une aiguille et d'une seringue standard » comme un synonyme de « technique Mantoux ».

 

[29]     Il ressort clairement des références exposées ci-après qu'il était de connaissance générale courante pour la personne versée dans l'art, à la date de la revendication, que l'injection ID exige que le préposé possède des compétences spécialisées. Selon l'article de Nagafuchi (référence au para. [14]), le fait que l'injection ID nécessite des compétences spécialisées constitue un inconvénient de cette voie d'administration. Dans la description, le demandeur affirme, à la page 5, qu'il était largement admis que l'administration par cette voie comportait des difficultés et, à la page 19, que l'administration par voie ID à l'aide de seringues conventionnelles [traduction] « selon la [sic] méthode Mantoux classique requiert des préposés hautement qualifiés ». En outre, les auteurs du document D6 préviennent le lecteur que leur étude aurait pu ne pas produire de résultats aussi probants [traduction] « entre les mains de personnes moins compétentes en matière d'injection ID », soulignant, ce faisant, l'expérience considérable de leurs préposés. Qui plus est, il est indiqué dans le manuel de Plotkin, en rapport avec le vaccin antirabique, que si une pénurie de vaccins venait à survenir, la voie ID ne serait indiquée que dans la mesure où du personnel connaissant bien la technique d'injection ID serait disponible (page 751).

 

[30]     Dans les observations écrites qu'elle a présentées à l'audience, le demandeur soutient qu'il était de connaissance générale courante que la « norme » ou la pratique conventionnelle en matière d'administration ID, à la date de la revendication, consistait à utiliser la technique Mantoux, ajoutant que l'administration ID à l'aide d'un injecteur à jet[3] avait été [traduction] « exclue pour cause de contamination croisée ». Ces affirmations concordent avec les enseignements contenus dans le manuel de Plotkin selon lesquels, en 1999, l'OMS déconseillait l'utilisation des injecteurs à jet du fait de la possibilité que des pathogènes à diffusion hématogène soient transmis d'un patient à l'autre (page 52 et 53), même si les injecteurs à jet peuvent être utiles lors de campagnes de vaccination de masse qui, par leur nature, se prêtent mal à l'utilisation d'aiguilles et de seringues.

 

[31]     L'examinateur et le demandeur ne s'entendaient pas sur la question de savoir si les « voies d'administration appropriées », telles que mentionnées dans la définition des connaissances générales courantes fournie au para. [13], comprennent la voie intradermique. Un des aspects de ce désaccord était lié à la question de savoir si les avantages, énumérés ci-dessous, associés à l'administration intradermique des vaccins faisaient partie des connaissances générales courantes :

 

i) la capacité de cibler les cellules dendritiques (de Langerhans), qui sont présentes dans le derme, pour induire une immunité à médiation cellulaire;

 

ii) la possibilité d'étirer les stocks de vaccins en période de pénurie du fait que des quantités moindres du vaccin sont requises.

 

[32]     En réponse à la décision finale, le demandeur a contesté l'affirmation de l'examinateur selon laquelle ces avantages faisaient partie des connaissances générales courantes, insistant sur le fait qu'aucune référence n'avait été fournie pour appuyer cette affirmation. Le demandeur a concédé que la personne versée dans l'art connaissait l'administration par voie ID, mais a contesté que [traduction] « il avait été démontré que l'administration intradermique présentait un avantage décisif » (page 5).        

 

[33]     Même si les affirmations de l'examinateur rejoignaient les affirmations faites dans la description du demandeur, le comité a demandé que l'examinateur fournisse une analyse supplémentaire sur cette question précise afin de faciliter son travail d'analyse.

 

[34]     Dans son analyse supplémentaire, l'examinateur a présenté un certain nombre de références dans le but d'établir que ces avantages faisaient partie des connaissances générales courantes, dont deux qui se sont avérées particulièrement pertinentes et qui étaient déjà consignées au dossier : l'article de Nagafuchi et le manuel de Plotkin. Au soutien du premier point, l'article de synthèse de Nagafuchi fournit une explication détaillée du mécanisme qui régit les réactions immunitaires à médiation cellulaire qui se produisent en réponse à une vaccination ID, y compris une description du rôle joué par les cellules dendritiques de Langerhans. Étant donné les nombreux détails techniques qui étaient connus au sujet de cette réaction en 1998, nous acceptons que le premier point faisait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art.

 

[35]     Au soutien du second point, l'examinateur a cité un passage du manuel de Plotkin, à la page 537. Cette référence confirme qu'il était de connaissance générale courante que la voie ID avait effectivement été utilisée pour l'administration de vaccins antigrippaux dans l'optique de [traduction] « conserver le vaccin pour les périodes de pénurie » (page 537).

 

[36]     Un autre aspect de ce désaccord portait sur la question de savoir si la personne versée dans l'art se serait attendue à ce que le fait d'administrer le vaccin trivalent fragmenté connu par voie ID plutôt que par voie IM entraîne une diminution de l'immunogénicité du vaccin trivalent fragmenté connu. Selon l'information présentée à la page 537 du manuel de Plotkin, même s'il était recommandé que les vaccins antigrippaux soient administrés par injection IM, on savait que ces derniers étaient immunogènes lorsqu'ils étaient administrés par d'autres voies, y compris la voie ID. Il est également indiqué dans le manuel de Plotkin que :

 

[traduction]
Il est généralement admis que la quantité limitée de vaccin qui peut être administrée par voie intradermique a une efficacité égale à celles des quantités plus importantes qui sont administrées par les voies parentérales seulement si elle est administrée dans le but de provoquer une réponse secondaire chez des sujets sensibilisés sur le plan immunologique (le soulignement a été ajouté).  

 

[37]     Comme nous l'avons mentionné précédemment, « sensibilisés sur le plan immunologique » s'entend de sujets qui ont déjà été exposés au virus du fait d'une infection ou d'une vaccination antérieure, ce qui explique pourquoi il est question de provoquer une « réponse secondaire ». Comme nous l'avons déjà établi au paragraphe [24], étant donné que les (sous-)types grippaux contenus dans le vaccin conventionnel cocirculaient dans le monde depuis 1977, il était de connaissance générale courante que la population était présumée sensibilisée aux (sous-)types contenus dans le vaccin trivalent fragmenté conventionnel dès l'âge de neuf ans, voire plus tôt dans le cas des personnes ayant été vaccinées avant cet âge. C'est la raison pour laquelle les recommandations de dosage présentées dans le tableau sont établies en fonction de l'âge ou des antécédents de vaccination (manuel de Plotkin, page 536). Dans ce contexte, la personne versée dans l'art se serait logiquement attendue à ce que le vaccin trivalent fragmenté soit aussi efficace par la voie ID qu'il l'était par la voie IM chez les sujets de plus de neuf ans et chez les enfants ayant déjà été vaccinés contre la grippe.

 

[38]     Dans son article, Nagafuchi appuie également la thèse selon laquelle une injection ID pourrait être aussi efficace que l'injection IM ou sous-cutanée habituelle, et cite trois articles : Brown et al.[4], Herbert et al.[5] et Halperin et al. (document D6, référence complète au para. [63]). À l'audience, le demandeur a demandé que le comité écarte l'article de Nagafuchi, en ce qui a trait à cette question, et considère les sources initiales directement puisqu'elle avait elle-même déjà commenté chacune de ces sources et que ses observations étaient consignées au dossier. Plus particulièrement, le demandeur a fait valoir que les conclusions tirées par Nagafuchi n'étaient pas crédibles en ce qui concerne l'influenza parce que les résultats des études citées étaient contradictoires. Nous acceptons de considérer directement les trois articles, ainsi que les arguments du demandeur consignés au dossier.

 

[39]     Pendant toute la durée du traitement, le demandeur a maintenu que les enseignements de Brown et al. et de Herbert et al. se contredisaient et que cela constituait une preuve que la personne versée dans l'art n'aurait pas su si un vaccin antigrippal administré par voie ID aurait ou non été efficace. Plus précisément, le demandeur a fait valoir que Herbert et al. étaient arrivés à la conclusion que la vaccination par voie ID produisaient de meilleurs résultats chez les sujets ayant déjà été exposés aux souches (c.-à-d. les sujets sensibilisés), tandis que Brown et al. avaient démontré que la vaccination par voie ID produisait de moins bons résultats chez les sujets sensibilisés. À l'audience, le demandeur a, de plus, fait observer que les résultats rapportés dans le document D6 qui avaient été obtenus après la première dose de ce qui était censé être un protocole à deux doses étaient si médiocres que le protocole avait dû être interrompu parce qu'il ne fonctionnait tout simplement pas. 

 

[40]     Le comité souligne que les études dont il est question dans les articles de Brown et al. et de Herbert et al. ainsi que dans le document D6 ont été réalisées aux alentours de 1976-1977, une époque à laquelle le sous-type A-H1N1 recommençait à circuler pour la première fois depuis 20 ans — ce sous-type était brusquement disparu de la circulation en 1957. C'est ce qui explique pourquoi un si grand nombre des sujets qui ont participé à ces études n'étaient pas sensibilisés au sous-type A-H1N1. 

 

[41]     Herbert et al. ont comparé l'administration par voie SC et l'administration par voie ID d'un vaccin bivalent à virus entier contenant les souches A/H1N1/New Jersey/76 (grippe porcine) et A/H3N2/Victoria/75. Les taux d'anticorps prévaccination indiquaient que les sujets avaient été largement exposés à la souche Victoria, mais pas à la souche porcine. Des résultats différents ont été obtenus pour chaque souche : dans le cas de la souche porcine, la réponse anticorps obtenue à la suite d'une administration SC était supérieure à celle obtenue par la voie ID, mais cette réponse était équivalente, peu importe la voie d'administration, dans le cas de la souche Victoria. Il a été conclu que l'efficacité du vaccin par la voie ID dépendait de ce que le sujet avait ou non été sensibilisé à la souche concernée, ce qui concorde avec l'argument du demandeur. Cette conclusion rejoint également les enseignements de Plotkin exposés précédemment.

 

[42]     Brown et al. ont comparé l'administration par voie IM et l'administration par voie ID d'un vaccin monovalent à virus entier contenant la souche A/H1N1/New Jersey/76 (porcine). Les résultats obtenus chez les sujets non sensibilisés variaient en fonction de l'âge de ces derniers : chez les sujets âgés de 18 à 24 ans, la réponse anticorps obtenue par la voie ID était moins que celle obtenue par la voie IM, mais pour les sujets âgés de plus de 24 ans, la réponse était la même par la voie ID et par la voie IM. Une dose de rappel (seconde dose) a entraîné une légère hausse du taux d'anticorps chez les sujets de 18 à 24 ans vaccinés par voie ID, mais aucune hausse de ce genre n'a été observée chez les sujets de 24 ans et plus ou chez les sujets ayant reçu le vaccin par injection IM. À l'époque, aucune explication n'a été fournie au sujet de cet écart, mais il semble que Plotkin aborde cette question à la page 536 de son manuel. Dans le contexte d'un exposé sur les populations non immunisées (non sensibilisées), Plotkin mentionne une étude sur la souche H1N1 (porcine) lors de laquelle une réponse anticorps adéquate a été obtenue à la suite de l'administration d'une dose unique par voie ID, mais seulement chez les sujets de plus de 24 ans [traduction] « qui étaient sans doute sensibilisés du fait d'une exposition antérieure à d'autres virus H1N1 ».

 

[43]     Contrairement à la prétention du demandeur selon laquelle Brown et al. ont démontré que la vaccination ID produisait de moins bons résultats chez les sujets sensibilisés, il est indiqué que, peu importe que le vaccin ait été administré par voie IM ou par voie ID, les hausses des taux d'anticorps qui ont été observées étaient plus importantes chez les sujets sensibilisés que chez les sujets non sensibilisés. Le vaccin était toutefois considérablement plus immunogène chez les sujets sensibilisés lorsqu'il était administré par la voie IM plutôt que par la voie ID : le taux de séroconversion était de 100 % pour le groupe vacciné par la voie IM, et de seulement 73 % pour le groupe vacciné par la voie ID. Il convient de souligner que ces valeurs se situent tout de même bien au-delà du taux de séroconversion de 40 % exigé par les normes européennes en matière de vaccins antigrippaux auxquelles il est fait référence à la page 7 de la description du demandeur.

 

[44]     Pendant toute la durée du traitement, le demandeur n'a cessé de citer le passage suivant de l'article de Brown :

 

[traduction]
Bien que les réactions systémiques observées après une vaccination intradermique soient moins fréquentes et moins graves que celles observées après une vaccination intramusculaire et qu'il s'agisse là d'une caractéristique souhaitable, les différences sur le plan de la réponse sérologique sont troublantes. Les réponses anticorps étaient inférieures après une vaccination intradermique chez les sujets ayant des anticorps préexistants et chez les sujets appartenant au groupe des plus jeunes.

 

[45]     Lorsqu'on replace ce passage dans son contexte, il apparaît clairement que les « différences sur le plan de la réponse sérologique » qui sont qualifiées de troublantes font référence, au moins en partie, aux différences dans la réponse observées au sein de deux groupes d'âge différents composés de sujets non sensibilisés. Qui plus est, les réponses anticorps plus faibles qui ont été observées se rapportent à une comparaison de la voie ID et de la voie IM chez des sujets sensibilisés, il ne s'agit pas d'une comparaison de la réponse anticorps chez des sujets sensibilisés par rapport à des sujets non sensibilisés.

 

[46]     Nous sommes d'accord avec le demandeur lorsqu'elle affirme que les résultats considérablement meilleurs observés chez les sujets sensibilisés vaccinés par voie IM comparativement aux sujets vaccinés par voie ID vont directement à l'encontre des enseignements de Plotkin selon lesquels les deux voies d'administration devraient produire des résultats équivalents chez les sujets sensibilisés. Il semble, cependant, que l'étude de Brown était considérée comme une aberration, un cas déviant. Nagafuchi et Plotkin mentionnent tous deux cette étude et tirent leurs propres conclusions en dépit des enseignements de Brown et al. Pour cette raison, nous concluons que, à la date de revendication, la personne versée dans l'art se serait attendue à ce que le vaccin trivalent fragmenté conventionnel soit tout aussi efficace par la voie ID, étant donné que la population était présumée sensibilisée aux types de virus grippaux qui étaient contenus dans le vaccin à la date de la revendication. 

 

[47]     En ce qui concerne le document D6, nous ne sommes pas d'accord avec l'affirmation du demandeur selon laquelle les résultats obtenus après l'administration de la première dose étaient à ce point médiocres qu'ils ont justifié d'interrompre le protocole. Le protocole a été interrompu en raison de l'annulation largement publicisée du programme national d'immunisation contre l'influenza le 16 décembre 1976 (page 1249), après qu'un lien ait été établi entre le vaccin et le Syndrome de Guillain-Barré. En réalité, après qu'une dose de vaccin bivalent fragmenté ait été administrée par injection ID, les résultats étaient médiocres dans le cas de la souche A/H1N1/New Jersey/76 (porcine), mais un taux de séroconversion de 54,7 % avait été obtenu pour la souche A/H3N2/Victoria/7. Étant donné que cette valeur est supérieure au taux de 40 % exigé par les normes européennes en matière de vaccins antigrippaux auxquelles il est fait référence à la page 7 de la description du demandeur, nous ne souscrivons pas à la prétention du demandeur selon laquelle la vaccination par cette voie ne fonctionnait pas. Les taux d'anticorps prévaccination démontraient qu'aucun des sujets ayant participé à l'étude n'était sensibilisé à la souche New Jersey, ce qui n'était pas le cas pour la souche Victoria. À la date de la revendication, la personne versée dans l'art aurait immédiatement compris que c'était ce qui expliquait les résultats médiocres obtenus pour la souche porcine. Par conséquent, la personne versée dans l'art n'aurait pas considéré que le document D6 détournait le lecteur du recours à la vaccination ID.

 

[48]     Toutefois, selon Nagafuchi, en 1998, aucun vaccin pour administration intradermique n'avait encore été approuvé par un organisme d'homologation (page 97). En outre, la personne versée dans l'art aurait été au courant que l'injection IM était le mode d'administration recommandé (notice du Fluzone; manuel de Plotkin, page 537). La notice du Fluzone indique que puisque [traduction] « les vaccins antigrippaux récents n'ont pas été adéquatement évalués en ce qui concerne leur administration par d'autres voies, la voie intramusculaire est recommandée ». Relativement à ce passage, le demandeur a fait valoir dans sa lettre du 23 janvier 2013 que cela indiquait une forte préférence pour la voie IM et un manque d'intérêt à l'égard de la performance des vaccins lorsqu'ils étaient administrés par d'autres voies (page 4). Nous sommes d'accord avec le demandeur, car il était de connaissance générale courante que la voie IM était la voie recommandée et que l'évaluation de la performance des vaccins lorsqu'ils étaient administrés par d'autres voies suscitait très peu d'intérêt. 

 

Revendications

 

[49]     Il y a quatre revendications indépendantes au dossier. Les revendications 1 et 20 sont des revendications indépendantes d'utilisation, et les revendications 12 et 15 sont des revendications indépendantes de produits qui définissent des trousses pharmaceutiques. Nous examinerons d'abord la revendication indépendante 15, qui est représentative des revendications de trousse :

 

[traduction]
15. Une trousse pharmaceutique comprenant :

 

(i) un dispositif d'administration intradermique à aiguille courte adapté à un emplacement se situant entre 1 mm et 2 mm sous la surface de la peau;

(ii) un vaccin antigrippal trivalent fractionné.

 

[50]     Dans la décision finale, l'examinateur a interprété le passage « un emplacement se situant entre 1 mm et 2 mm sous la surface de la peau » contenu dans les revendications indépendantes comme étant synonyme d'administration ID pour deux raisons : [traduction] « 1) sur le plan anatomique, l'emplacement indiqué se situe dans le derme, et 2) il est clairement indiqué dans la description que l'invention présumée concerne l'administration intradermique de formulations de vaccins antigrippaux ». Le demandeur n'a pas contesté cette interprétation. Nous convenons que c'est ainsi que la personne versée dans l'art interpréterait cet énoncé, à la lumière des enseignements contenus dans la description. Nous pouvons, par conséquent, interpréter la revendication 15 comme suit :

 

[traduction]
15. Une trousse pharmaceutique comprenant :

 

(i) un dispositif d'administration intradermique à aiguille courte;

(ii) un vaccin antigrippal trivalent fractionné.


  


[51]     Suivant le même canevas, la revendication indépendante 1, qui est représentative des revendications d'utilisation, est rédigée comme suit :

 

[traduction]
1. Utilisation d'une préparation trivalente d'antigènes de virus grippal fragmenté pour la fabrication d'un vaccin antigrippal à une dose destiné à une administration intradermique, ledit vaccin étant fourni dans un dispositif d'administration intradermique à aiguille courte.

 

[52]     Dans sa lettre du juillet 2010, le demandeur a indiqué qu'il importait de faire la distinction entre une forme posologique unitaire, qui se présente sous la forme d'une seringue remplie au préalable, et un vaccin à une dose qui confère une protection après seulement une dose, plutôt qu'après une série de doses (page 5). Le comité souligne, en rapport avec cette affirmation et au vu de la demande dans son ensemble, que la personne versée dans l'art comprendrait que la revendication 1 définit une forme posologique unitaire et indique qu'il s'agit d'un vaccin à une dose qui procurerait une protection après seulement une dose. Les revendications indépendantes de trousse ne mentionnent pas la forme posologique unitaire : la seringue et le vaccin peuvent se présenter séparément ou, selon la revendication dépendante19, le dispositif peut être fourni rempli au préalable avec le vaccin. En outre, ces revendications n'indiquent pas qu'il s'agit d'un vaccin à une dose. 

 

[53]     Le comité souligne que la revendication 1 est rédigée selon le format « suisse », car, plutôt que de définir une utilisation médicale, elle est axée sur « la fabrication » du vaccin à administration intradermique. Dans une décision récente, la Cour Fédérale a fait observer qu'il importait de ne pas se laisser berner par la [traduction] « nature artificielle » des revendications de type « suisse » et de se concentrer plutôt sur [traduction] « l'objet véritable de la revendication », qui dans cette affaire s'est avéré être une utilisation médicale : Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985, para. 101. La conclusion de la Cour fédérale dans cette affaire est en droite ligne avec d'autres décisions dans lesquelles des revendications de type « suisse » ont été judiciairement interprétées comme des revendications d'utilisation médicale : voir GD Searle & Co c. Canada (ministre de la Santé), 2008 CF 437, conf. par 2009 CAF 35; Eli Lilly Canada Inc c. Apotex Inc, 2008 CF 142; et Pfizer Canada Inc c. Apotex Inc, 2007 CF 971, conf. par 2009 CAF 8. À notre avis, le véritable objet des revendications d'utilisation a trait à l'utilisation médicale d'un vaccin à administration intradermique destiné à prévenir la grippe et, conséquemment, nous interprétons la revendication 1 de la manière suivante :

 

1. Utilisation d'un vaccin antigrippal trivalent fragmenté à une dose fourni dans un dispositif d'administration intradermique à aiguille courte pour la prévention de la grippe.

 

[54]     La revendication dépendante 2 précise que l'antigène est dérivé de l'œuf. Les revendications 5 à 7 précisent la présence  de tensioactifs /d'acides biliaires. Les revendications 8 et 18 définissent les volumes de dosage. La revendication 9 précise la quantité d'hémagglutinine, et les revendications 10 et 11 indiquent l'ajout d'un adjuvant. La revendication 19 précise que le dispositif fourni est déjà rempli du vaccin[6].

 

[55]     Les revendications dépendantes 3, 4, 13, 14, 16, 17, 21 et 22 définissent un vaccin capable d’induire un taux de protection minimal précis, un taux de séroconversion ou un facteur de conversion chez des personnes appartenant à l’un des deux groupes d'âge : les 18 à 60 ans, et les plus de 60 ans. Plus particulièrement, les revendications 4, 14, 17 et 22 sont plus restrictives en ce que le taux de protection, le taux de séroconversion et le facteur de conversion sont tous trois induits par le vaccin dans l'un ou l'autre des groupes d'âge, alors que dans les revendications  3, 13, 16 et 21 seulement un des trois doit être induit pour un des groupes d'âge.

 

[56]     L'interprétation des revendications s’effectue dans le but de distinguer les éléments de l’invention dits « essentiels » des éléments « non-essentiels ». Le caractère essentiel des revendications n'a jamais été en cause. Comme nous le verrons dans la section qui suit, le demandeur et l'examinateur se sont entendus sur un concept inventif fondé sur le libellé de la revendication 1 comprenant tous les éléments de la revendication : à savoir i) un dispositif d'administration intradermique à aiguille courte, et ii) un vaccin antigrippal, prenant la forme d'un vaccin fragmenté trivalent  à une dose. Nous convenons que ces éléments sont tous essentiels et que la nature des composantes spécifiques du vaccin a un effet important sur le fonctionnement de l'invention puisqu’elle a une incidence sur les personnes à traiter et sur  l'étendue de la protection conférée par la vaccination intradermique.          

 

Question (1) Les revendications sont-elles évidentes?

 

[57]     L'information dont il convient de tenir compte pour déterminer si une revendication est évidente est énoncée à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, lequel est libellé comme suit :

 

L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[58]     Notre analyse de l'évidence est fondée sur la démarche en quatre étapes établie dans l'arrêt Sanofi :

 


(1)  (a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

         (b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation;

 

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?


  

Analyse

 

Étape 1 : Identifier la « personne versée dans l'art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[59]     La personne versée dans l'art et les connaissances générales courantes de cette personne sont établies en fonction de notre interprétation des revendications. La personne versée dans l'art est définie au paragraphe [12], et ses connaissances générales courantes sont résumées aux paragraphes [13] et [15].

 

Étape 2 : Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[60]     Dans la décision finale, l'examinateur a caractérisé le concept inventif des revendications indépendantes comme étant équivalent à — et comme incluant tous les éléments de — la revendication 1. Le demandeur n'a pas contesté cette caractérisation du concept inventif des revendications indépendantes. Étant donné qu'au paragraphe [53], nous avons interprété la revendication 1 comme visant une utilisation directe, indépendamment de son libellé de type « suisse », nous ré-énonçons ci-dessous le concept inventif d'une manière qui est conforme à notre interprétation de la revendication 1 :

 

Utilisation d'un vaccin antigrippal trivalent fragmenté à une dose fourni dans un dispositif d'administration intradermique à aiguille courte pour la prévention de la grippe.

 

[61]     Pour les raisons exposées au paragraphe [52], nous ne croyons pas que ce concept inventif devrait s'appliquer pareillement aux revendications indépendantes d'utilisation et aux revendications indépendantes de trousse. À la différence des revendications d'utilisation, la trousse ne définit pas (i) une forme posologique unitaire, ou (ii) un vaccin à une dose. À notre avis, le concept inventif des revendications indépendantes de trousse serait plus adéquatement caractérisé de la manière suivante :

 

Une trousse pharmaceutique comprenant (i) un dispositif d'administration intradermique, et (ii) un vaccin antigrippal trivalent fragmenté.

 

[62]     Nous analyserons en premier lieu les deux concepts inventifs des revendications indépendantes, puis examinerons ensuite les caractéristiques supplémentaires des revendications dépendantes.

 

Étape 3 : Recenser les différences, s'il en est, entre ce qui ferait partie de l'« état de la technique » et le concept inventif qui sous-tend la revendication ou son interprétation

 

[63]     Les antériorités suivantes sont citées dans la décision finale :

 

Documents de brevet :

 

D3 :        WO 98/15287, 16 avril 1998, Garcon N. et al.

D4 :     WO 99/34850, 15 juillet 1999, Di Pietro A.

D5 :     WO 94/19013, 1er septembre 1994, Dillon S. et al.

Articles de journaux

 

D2 :     Lawee D. et al., « Efficacy of Influenza Innoculation: Intradermal versus Subcutaneous Route », Can. Fam. Physician, vol. 27, mars 1981, pages 411 à 414.

D6 :        Halperin W. et al., « A Comparison of the Intradermal and Subcutaneous Routes of Influenza Vaccination with A/New Jersey/76 (Swine Flu) and A/Victoria/75: Report of a Study and Review of the Literature », AJPH, vol. 69, no. 12, décembre 1979, pages 1247 à 1251.

D7 :        Vasil’eva R. I. et al., « Summing Up the Results of the Study of New Inactivated Whole-Virion Influenza Vaccines in the USSR », Zh. Mikrobiol. Epidemiol. Immunobiol., vol. 3, 1987, page 42.

D8 :        Niculescu E. Z. et al., « Efficacy of an Adsorbed Trivalent Split Influenza Vaccine Administered by Intradermal Route », Arch. Roum. Path. Exp. Microbiol., vol. 40, no. 1, janvier-mars 1981, pages 67 à 70.

 

[64]     À notre avis, après avoir pris connaissance de l'ensemble des références, la personne versée dans l'art estimerait que les documents D2, D6, D7 et D8 reflètent les connaissances générales courantes, et non l'état de la technique. Étant donné que nous avons déjà traité des connaissances générales courantes à l'étape 2, il n'est pas nécessaire que nous examinions plus avant ces documents. À notre avis, l'état de la technique est représenté dans le document D4, ainsi que dans les documents D3 et D5, qui divulguent des éléments de la formulation qui sont pertinents du point de certaines des revendications dépendantes.

 

[65]     Même si le document D2 est exclu de notre analyse, par souci d'exhaustivité, nous examinerons l'argument que le demandeur a présenté relativement à cette référence, avant d'entamer notre analyse proprement dite. À l'audience, le demandeur a fait valoir que les documents D2 et D6 — qu'elle a reconnu comme étant les références principales — détournaient tous deux le lecteur de l'objet revendiqué. Nous avons déjà traité des enseignements contenus dans le document D6 au paragraphe [47].   

 

Document D2

 

[66]     Le document D2 divulgue un vaccin antigrippal trivalent à virus entier à une dose administré par voie intradermique à l'aide d'une aiguille et d'une seringue à des personnes âgées vivant dans un centre de soins de longue durée. Selon le demandeur, il serait évident pour la personne versée dans l'art que le vaccin s'est avéré inefficace; citant à l'appui un passage de la conclusion : [traduction] « chez au moins 60 % des participants, l'inoculation du Fluviral par l'une ou l'autre des voies n'a pas produit de preuve sérologique claire d'une protection contre la grippe ». De plus, les auteurs  s’interrogent pour  [traduction] « si la vaccination annuelle est justifiée », ce qui, selon le demandeur, indique clairement qu'une réponse immunitaire efficace n'a pas été obtenue.

 

[67]     Or, lorsque l'on situe ces citations dans leur contexte, il appert que 60 % des participants chez qui le taux d'anticorps n'avait pas atteint un niveau protecteur faisaient partie d'un groupe de sujets non sensibilisés. Compte tenu de ses connaissances générales courantes, la personne versée dans l'art à la date de la revendication ne se serait pas attendue à ce qu’on observe des taux protecteurs d'anticorps chez des sujets non sensibilisés après une seule dose de vaccin. Plus particulièrement, il semblait évident qu'une protection avait été acquise au niveau des sujets sensibilisés. Aussi, les auteurs se questionnaient à savoir si la vaccination annuelle était justifiée pour les sujets dont les anticorps avaient atteint un plateau, ce qui signifie que les sujets sensibilisés présentaient déjà des taux élevés d'anticorps avant la vaccination. Ce facteur fût considéré par le document D2, car les sujets sont des personnes âgées et, donc, plus susceptibles d'avoir des taux élevés d'anticorps avant la vaccination. La personne versée dans l'art saurait que des taux élevés d'anticorps avant la vaccination sont directement liés aux sujets et qu'ils ne sont pas affectés par le vaccin ou la voie d'administration. Notons que dans l'exemple 6 du demandeur (description, page 42), une population de personnes âgées vaccinées présentait elle aussi des taux très élevés d'anticorps à la pré-vaccination. Sachant que les vaccins conventionnels de l'époque étaient expressément recommandés pour ce groupe d'âge afin de prévenir les complications secondaires, la personne versée dans l'art à la date de la revendication ne se serait pas posé la question  à savoir si la vaccination était justifiée pour ce groupe d'âge. Pour ces raisons, nous ne sommes pas d'accord pour dire que le document D2 éloigne la personne versée dans l'art de l'administration ID des vaccins antigrippaux.

 

Document D4

 

[68]     Le document D4 est une demande de brevet au nom de Di Pietro qui a été publiée environ 19 mois avant la première date de priorité de la présente de demande. La demande de Di Pietro concerne un dispositif qui s'installe sur une seringue pour contrôler la profondeur de pénétration de l'aiguille lors d'injections intradermiques. Comme il est expliqué dans le document D4, il est difficile d'obtenir une profondeur de pénétration adéquate lors d'une injection intradermique, car la profondeur à laquelle l'aiguille est enfoncée dépend de l'habileté manuelle du préposé (page 1). Le dispositif peut être utilisé avec des seringues existantes, ce qui élimine la nécessité qu'un préposé qualifié exécute des opérations de contrôle manuellement (page 3). Le dispositif, qui peut être facilement fabriqué à l'aide de matériaux et d'éléments disponibles sur le marché, est spécifiquement conçu pour être installé sur une seringue d'injection intradermique (pages 1 et 2). Il convient de souligner qu'il n'est nulle part fait mention dans le document D4 d'utiliser le dispositif pour l'administration de vaccins de quelque nature que ce soit.

 

[69]     La différence entre le document D4 et le concept inventif des revendications indépendantes d'utilisation tient à ce que le document D4 ne mentionne pas de combiner le dispositif à aiguille courte avec un vaccin antigrippal qui procure une protection après une seule dose.

 

[70]     La différence entre le document D4 et le concept inventif des revendications indépendantes de trousse tient à ce que le document D4 ne mentionne pas de combiner le dispositif à aiguille courte avec un vaccin antigrippal.  

 

Étape 4 : Ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[71]     Comme nous l'avons établi au paragraphe [18], le vaccin antigrippal trivalent fragmenté faisait partie des connaissances générales courantes à la date du dépôt de la demande. Il était recommandé de l'administrer par voie IM, mais, comme nous l'avons établi au paragraphe [37], la personne versée dans l'art se serait attendue à ce que le vaccin soit tout aussi efficace lorsqu'administré par voie ID chez les sujets sensibilisés, c'est-à-dire toutes les personnes âgées de plus de 9 ans, ou les enfants plus jeunes ayant déjà été vaccinés contre la grippe. De plus, en ce qui a trait au concept inventif des revendications d'utilisation, la personne versée dans l'art aurait su que le vaccin aurait eu un effet protecteur chez les sujets sensibilisés après seulement une dose. 

 

[72]     Dans la décision finale, l'examinateur a expliqué que puisque le vaccin spécifique était connu de la personne versée dans l'art et qu'il avait déjà été administré par voie ID en une seule dose, la principale différence entre les concepts inventifs et l'art antérieur tenait à ce qu'un dispositif d'injection ID à aiguille courte n'avait encore jamais été utilisé pour l'administration d'un vaccin antigrippal. L'examinateur a indiqué que puisque les avantages de l'administration ID étaient connus de la personne versée dans l'art — y compris la capacité d'induire une immunité à médiation cellulaire en ciblant les cellules dendritiques présentes dans le derme, et l'économie de doses — et que les inconvénients liés au fait que l'administration d'un vaccin selon la technique Mantoux nécessitait des compétences particulières étaient également connus, il y avait lieu de conclure que : 

 

[traduction]
…utiliser un dispositif d'administration intradermique à aiguille courte faisant partie de l'état de la technique pour administrer par voie intradermique un vaccin antigrippal trivalent fragmenté tel que défini dans les revendications indépendantes 1, 11, 12 et 15 ne requiert aucune inventivité. (page 4)

 

[73]     Nous sommes du même avis que l'examinateur. Dès le moment où elle aurait pris connaissance du concept inventif des revendications indépendantes d'utilisation, non seulement la personne versée dans l'art se serait attendue à ce que le vaccin trivalent fragmenté connu soit immunogène par la voie ID après seulement une dose chez les sujets sensibilisés, mais elle aurait su que le fait de changer le dispositif d'administration (aiguille courte c. injecteur à jet, ou technique Mantoux) n'aurait changé en rien la manière dont le vaccin était administré ou l'emplacement où il était administré, et encore moins le vaccin lui-même. Ce sont ces facteurs qui influent sur l'immunogénicité, et non le type de dispositif d'administration utilisé.

 

[74]     Étant donné que le concept inventif des revendications indépendantes de trousse est encore moins restrictif que celui des revendications d'utilisation, en ce qu'il ne comporte aucune restriction quant au nombre de doses, les revendications indépendantes de trousse sont également considérées comme ne dénotant aucune inventivité. 

 

Arguments du demandeur

 

[75]     Pendant toute la durée du traitement, le demandeur a fait valoir qu'il n'y avait pas d'incitatif ou de motif justifiant de passer de la voie IM à la voie ID. À cet égard, le demandeur a fait valoir en réponse à la décision finale que s'il y avait vraiment eu un désir d'utiliser un dispositif à aiguille courte pour l'administration d'un vaccin antigrippal, un tel dispositif aurait été utilisé bien avant le dispositif dont il est question dans le document D4, car [traduction] « il existait déjà des dispositifs appropriés pour l'administration de masse de vaccins par voie intradermique », faisant référence à l'injecteur à jet du document D8 et au dispositif à aiguille courte visé par le brevet américain 4,886,499, qui avait été publié en décembre 1989.

 

[76]     Nous ne sommes pas d'accord pour dire qu'il n'existait pas de motif d'utiliser la voie ID pour la vaccination antigrippale. La motivation a toujours existé et reposait sur la nécessité d'économiser de précieuses doses de vaccin dans certaines circonstances. Mais, souvent l'administration ID n'était pas praticable étant donné la compétence qui était nécessaire pour exécuter la technique Mantoux à grande échelle et/ou n'était pas souhaitable compte tenu des risques liés à l'utilisation d'un injecteur à jet. Avec l'avènement du dispositif à aiguille courte dont il est question dans le document D4, ces obstacles étaient écartés et la personne versée dans l'art aurait compris qu'il existait un moyen pratique d'administrer par voie intradermique des vaccins trivalents fragmentés. 

 

[77]     Nous ne souscrivons pas non plus à l'argument du demandeur selon lequel des dispositifs appropriés pour la vaccination de masse existaient déjà depuis longtemps lorsque le document D4 a été publié. Nous avons déjà établi au paragraphe [30] que la personne versée dans l'art aurait su que les injecteurs à jet n'étaient pas recommandés par l'OMS en raison du risque de transmission de pathogènes à diffusion hématogène entre les vaccinés. Quant au dispositif visé par le brevet américain, il s'agit d'un dispositif personnel portatif qui est porté par le patient et qui comporte un moyen de contrôle de l'aiguille et une pompe assurant une libération graduelle du médicament sur une longue période. Nous ne sommes pas d'accord pour dire que la personne versée dans l'art aurait considéré ce dispositif comme un moyen pratique pour l'administration de masse d'un vaccin antigrippal. Ces arguments ne changent en rien notre conclusion selon laquelle la personne versée dans l'art aurait considéré le dispositif du document D4 comme une solution de rechange pratique par rapport à la technique Mantoux ou à l'injecteur à jet.

 

[78]     L'autre argument principal avancé par le demandeur est que si la personne versée dans l'art avait voulu délaisser la voie IM conventionnelle recommandée au profit de la voie ID, elle n'aurait pas utilisé le vaccin trivalent fragmenté à une dose qui était connu, parce que : (i) les virus entiers sont connus pour être plus immunogènes que les virus fragmentés, (ii) les vaccins trivalents sont moins immunogènes que les vaccins bi- ou monovalents, et (iii) l'efficacité d'une seule dose administrée par voie ID, sans dose de rappel, n'était pas connue. Selon le demandeur, la personne versée dans l'art se serait attendue à ce que chacune de ces modifications réduise l'efficacité du vaccin. S'appuyant sur ces affirmations, le demandeur suggère que la personne versée dans l'art aurait plus vraisemblablement opté pour un vaccin mono ou bivalent à bacilles entiers qui aurait été administré en deux doses.  

 

[79]     Nous ne sommes pas d'accord. La personne versée dans l'art à la date de la revendication savait que l'OMS exigeait que les vaccins antigrippaux saisonniers contiennent trois souches, soit le sous-type A-H1N1, le sous-type A-H3N2 et le type B. Pour cette raison, la personne versée dans l'art à la date de revendication n'aurait pas préparé, aux fins d'une vaccination de masse, un vaccin antigrippal saisonnier contenant autre chose que ces trois souches. De plus, sachant que les vaccins à virus entier étaient plus immunogènes chez les adultes que les vaccins à virus fragmenté, mais que les vaccins à virus entier étaient contre-indiqués chez les sujets de moins de 12 ans, la personne versée dans l'art n'aurait pas fait le choix d'utiliser un vaccin à virus entier au lieu d'un vaccin à virus fragmenté. Enfin, la personne versée dans l'art se serait attendue à ce qu'une seule dose de vaccin soit suffisante pour procurer une protection aux sujets de plus de 9 ans (et aux enfants plus jeunes ayant déjà été vaccinés contre la grippe). Il convient de souligner que ce dernier point ne s'applique pas aux revendications de trousse puisque ces dernières ne comportent pas de restriction quant au nombre de doses requises pour obtenir une protection. Pour ces raisons, nous concluons que, selon la prépondérance des probabilités, la personne versée dans l'art aurait utilisé le vaccin trivalent fragmenté conventionnel avec le dispositif du document D4.  

 

[80]     Pour les raisons exposées ci-dessus, nous estimons qu'aucune des revendications indépendantes 1, 12, 15 et 20 ne dénote une quelconque inventivité.

 

Les revendications dépendantes

 

[81]     Pour les raisons exposées ci-dessous, nous sommes également d'avis qu'aucune des revendications dépendantes 2 à 11, 13, 14, 16 à 19, 21 et 22 ne dénote d'inventivité.

 

[82]     Comme nous l'avons mentionné précédemment, les documents D3 et D5 divulguent des éléments qui sont présents dans certaines des revendications dépendantes. Le document D3 enseigne l'utilisation d'une combinaison formée de cholestérol, d'une saponine et de l'adjuvant 3D-MPL aux fins de la formulation de vaccins antigrippaux. Ces agents de formulation sont définis dans les revendications 10 et 11. Le document D5 enseigne l'utilisation de désoxycholate de sodium et de Tween™ 80 aux fins de l'élaboration de préparations d'antigènes fragmentés pour des vaccins antigrippaux trivalents à virus fragmenté à une dose qui peuvent être administrés par voie intradermique. Ces agents de fragmentation sont définis dans les revendications 5, 6 et 7.

 

[83]     Le comité souligne que les caractéristiques supplémentaires des revendications 2, 8, 9, 18 et 19, qui incluent le fait que les antigènes sont dérivés de l'œuf, que des volumes de dosage ID standard sont utilisés et que le dispositif est rempli du vaccin antigrippal, faisaient partie des connaissances générales courantes.   

 

[84]     Étant donné que nous avons conclu que les revendications indépendantes étaient évidentes, nous concluons que les revendications dépendantes 2, 5-11, 18 et 19 auraient été évidentes, elles aussi. Ces revendications ne font que fournir des détails standard concernant la fragmentation, la formulation et le dosage intradermique des vaccins antigrippaux qui avaient déjà été divulgués dans l'art antérieur et/ou faisaient partie des connaissances générales courantes. Qui plus est, le demandeur n'a jamais prétendu que les caractéristiques de ces revendications menaient à une activité inventive supplémentaire.

 

[85]     À l'audience, le demandeur a distingué les revendications dépendantes (3, 4, 13, 14, 16, 17, 21 et 22) qui définissent de façon plus précise les taux de protection, le taux de séroconversion et les facteurs de conversion que le vaccin était prétendument capable d'induire chez deux groupes d'âge distincts (les 18 à 60, et les 60 ans et plus). Plus particulièrement, le demandeur a fait valoir que la présente demande démontre pour la première fois que la vaccination intradermique permet d'atteindre les seuils d'immunogénicité élevés qui sont indiqués dans les revendications dépendantes 3 et 16, soulignant que l'art antérieur ne comprend aucun enseignement qui aurait porté la personne versée dans l'art à la recherche d'un vaccin à choisir une méthode intradermique pour atteindre ces seuils.

 

[86]     Comme nous l'avons déjà établi, la personne versée dans l'art ne serait pas attendue à ce que le fait d'administrer le vaccin connu par voie intradermique plutôt que par injection IM ait une incidence sur son efficacité. À notre avis, l'efficacité serait inhérente à la formulation vaccinale spécifique utilisée, et non à la méthode d'administration. Qui plus est, il n'y aurait aucun lien entre l'efficacité et son inclusion dans une trousse.  

 

[87]     Nous concluons, par conséquent, qu'aucune des revendications 3, 4, 13, 14, 16, 17, 21 et 22 n'implique une activité inventive. 

 

Conclusions

 

[88]     Comme nous avons conclu qu'il n'y a aucune activité inventive par rapport à l'art antérieur, il s'ensuit que les revendications 1 à 22 sont évidentes et donc non conformes à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

Recommandation de la Commission  

 

[89]     L'objet défini par les revendications étant évident, nous recommandons que la demande soit rejetée pour non-conformité à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.   

 

 

 

 

 

 

 

            Cara Weir                             Ed MacLaurin                         Andrew Strong

            Membre                               Membre                                   Membre


 

Décision du commissaire

 

[90]     Je souscris aux conclusions de la Commission et à sa recommandation de rejeter la demande pour non-conformité à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets. En conséquence, conformément aux dispositions de l'article 40 de la Loi sur les brevets, je rejette la demande.

 

[91]     Conformément aux dispositions de l'article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d'un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

 

 

         Sylvain Laporte

         Commissaire aux brevets

 

 

 

 

         Fait à Gatineau (Québec),

         En ce 18e jour de septembre 2014



[1] l'examinateur a retiré le document D1 pendant le traitement après que le demandeur ait contesté sa pertinence du fait qu'il ne divulgue pas l'administration ID.

[2] « parentérale » s'entend d'une administration par voie intramusculaire (IM) ou sous-cutanée (SC)

[3] les injecteurs à jet administrent des doses liquides en intradermique au moyen d'un jet haute pression, sans le recours à une aiguille

[4] Brown et al., « The Immunizing Effect of Influenza A/New Jersey/76 (Hsw1N1) Virus Vaccine Administered Intradermally and Intramuscularly to Adults », J. Infect. Dis., vol. 136, Supplément, décembre 1977, pages S466 à S471.

[5] Herbert et al., « Comparison of Responses to Influenza A/New Jersey/76-A/Victoria/75 Virus Vaccine Administered Intradermally or Subcutaneously to Adults with Chronic Respiratory Disease », J. Infect. Dis., vol. 140, no. 2, août 1979, pages 234 à 238.

[6] étant donné que les éléments individuels de la trousse sont assemblés dans la revendication 19, on peut se demander s'il demeure approprié d'utiliser le terme « trousse » pour désigner l'objet de la revendication — même si cette question ne porte pas à conséquence

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