Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Décision du Commissaire no 1374

Commissioners Decision #1374

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 SUJET : C00, O00

TOPIC: C00, O00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2,582,572

Application No: 2,582,572

 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet no 2,582,572 a fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le commissaire aux brevets, conformément aux dispositions de l'alinéa 30(6)c) des mêmes Règles. La recommandation de la Commission et la décision du commissaire suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

BERESKIN & PARR LLP/S.E.N.C.R.L.,S.R.L.

Scotia Plaza

40 King Street West, 40th Floor

TORONTO (Ontario)  M5H 3Y2

Canada

INTRODUCTION

[1]          La présente décision fait suite à la révision du refus de la demande de brevet no 2,582,572 intitulée « Compositions encapsulées et procédés de préparation » déposée le 30 septembre 2005 par le demandeur Cadbury Adams USA LLC.

[2]          Selon le résumé des motifs transmis à la Commission d'appel des brevets [la Commission] le 29 juillet 2014, la présente demande a été refusée pour les motifs suivants :

         les revendications 1 à 26 sont évidentes;

         les revendications 11 et 21 ont un caractère indéfini.

 

[3]          Il est à noter que l'examinateur a reconnu que les revendications 27 à 35 étaient acceptables.

 

[4]          En conformité avec le paragraphe 30(6.1) des Règles sur les brevets, la Commission a également relevé les irrégularités suivantes lors de son examen initial de la demande :

         la revendication 16 renvoie à elle-même;

         la description ne décrit pas l'invention d'une façon exacte et complète.

 

[5]          Pour les raisons exposées ci-dessous, nous recommandons que la demande soit modifiée et subséquemment acceptée.

CONTEXTE

[6]          La présente demande concerne la production de compositions d'édulcorant encapsulé comprenant des complexes de sucralose thermostabilisés. Le fait d'encapsuler un édulcorant procure l'avantage particulier d'étaler la libération de ce dernier sur une plus longue période lorsqu'il est contenu dans des produits alimentaires, tels que la gomme à mâcher. De façon générale, les édulcorants intenses, tels l'aspartame et l'acésulfame-potassium, sont utilisés sous forme de compositions encapsulées. Étant donné que le procédé d'encapsulage implique le recours à des techniques d'extrusion qui sont exécutées à température élevée, il est commercialement impraticable d'encapsuler des édulcorants qui ne sont pas thermostables, tel le sucralose.

[7]          La présente description expose une méthode pour la préparation d'un complexe de sucralose thermostabilisé. Le complexe en question est un co-cristal de cyclodextrine et de sucralose qui se forme au cours d'un procédé utilisant de l'eau comme solvant. Cette méthode constitue une amélioration par rapport aux méthodes antérieurement décrites qui nécessitaient d'utiliser un solvant organique tel le méthanol, une substance hautement toxique qui doit être retirée, aux fins de la co-cristallisation de la cyclodextrine et du sucralose.

[8]          À la différence du sucralose pur, qui tend à se décomposer et à se décolorer en réaction à des températures élevées, ce complexe co-cristallisé et thermostabilisé de cyclodextrine et de sucralose peut être combiné avec un polymère d'encapsulage par fusion-extrusion et utilisé dans la préparation de compositions d'édulcorant encapsulé commercialement acceptables.

HISTORIQUE DU TRAITEMENT DE LA DEMANDE

[9]          La présente demande a été refusée dans une décision finale datée du 27 août 2012 qui faisait suite à quatre actions du Bureau. La demande a été jugée irrégulière au motif que toutes les revendications de produit, qui définissent les compositions d'édulcorant encapsulé, sont considérées comme évidentes. La décision finale indiquait également que toutes les revendications de procédé concernant la production des compositions d'édulcorant sont considérées comme acceptables.

[10]      En réponse à la décision finale, le demandeur a choisi de modifier les revendications de produit de manière à énoncer les étapes du procédé. Plus précisément, les revendications se rapportant à la composition d'édulcorant encapsulé ont été modifiées de façon à inclure le procédé au moyen duquel le complexe est obtenu. Le demandeur a fait valoir que le fait d'incorporer les étapes du procédé, qui avaient déjà été reconnues comme acceptables par l'examinateur, rendait l'objet des revendications modifiées à la fois nouveau et non évident.

[11]      N'étant pas de cet avis, l'examinateur a maintenu l'objection pour cause d'évidence et a indiqué dans le résumé des motifs transmis à la Commission que [traduction] « la méthode de fabrication ne différencie pas le produit final (c.-à-d. un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose) de l'art antérieur ». L'examinateur a également indiqué que les modifications apportées aux revendications indépendantes de produit 11 et 21 avaient eu pour effet d'introduire des ambiguïtés dans les revendications.

[12]      Un comité formé de trois membres de la Commission a été créé. Pendant le processus de révision, il nous est apparu que certaines questions nécessitaient des éclaircissements. Le demandeur a été avisé de ces irrégularités dans une lettre en date du 21 août 2014. Le comité a notamment signalé que la description contenait des passages donnant à penser que les revendications avaient une portée plus large que les enseignements présentés dans la description et qu'une des revendications était formulée de telle sorte qu'elle renvoyait à elle-même. Le comité a également informé le demandeur de son intention d'interpréter les revendications téléologiquement, conformément aux plus récentes directives de pratique.

[13]      En réponse au résumé des motifs et à la lettre du comité, le demandeur a soumis, le 12 septembre 2014, les modifications qu'il entendait apporter à la description conjointement avec un nouvel ensemble de revendications destiné à remédier à l'ensemble des irrégularités devant être corrigées.

LES QUESTIONS

[14]      Quatre questions découlent des motifs de refus cités par l'examinateur et des constatations que nous avons effectuées lors de notre examen initial. Cependant, compte tenu des modifications proposées par le demandeur, qui consistent à supprimer les revendications 1 à 26, il n'est pas nécessaire que nous nous penchions sur les questions liées au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets et au paragraphe 87(2) des Règles sur les brevets, car nous estimons que ces modifications sont nécessaires pour rendre la demande conforme à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, tel qu'il appert de notre analyse ci-dessous. Par conséquent, nous examinerons uniquement les deux questions suivantes :

          (1)  Les revendications 1 à 26 sont-elles évidentes?   

          (2)  La description décrit-elle l'invention d'une façon exacte et complète?

LES REVENDICATIONS

[15]      Les revendications 1 à 26 à l'étude comprennent quatre revendications indépendantes qui définissent des compositions d'édulcorant et des compositions d'édulcorant encapsulé. La revendication 1 est représentative des revendications de produit qui sont jugées irrégulières :

1.       [traduction]
Une composition d'édulcorant comprenant :

(a)     un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose; le complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose étant obtenu en :

(i)       préparant une solution de sucralose et de cyclodextrine dans de l'eau;

(ii)     exposant ladite solution à la chaleur pendant une période suffisante pour permettre la formation du complexe de sucralose/cyclodextrine;

(iii)    asséchant ladite solution afin de rendre possible la collecte dudit complexe de sucralose/cyclodextrine co-cristallisé/précipité;

(iv)   amenant ledit complexe de sucralose/cyclodextrine co-cristallisé/précipité à une taille de particule convenable;

(b)     un encapsulant comprenant un polymère.

INTERPRÉTATION TÉLÉOLOGIQUE

[16]      Comme l'enseigne la jurisprudence, les revendications doivent être interprétées téléologiquement. L'interprétation téléologique a pour but de déterminer de manière objective la compréhension que la personne versée dans l'art aurait de la portée des revendications à la lumière de ses connaissances générales courantes, en fonction des termes particuliers qui sont employés dans les revendications : Free World Trust c Electro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust].

[17]      L'interprétation est fondée sur le mémoire descriptif de la demande de brevet elle-même, sans le recours à des éléments de preuve extrinsèques (Free World Trust, para. 66). De plus, [traduction] « il y a lieu de recourir à la divulgation pour avoir un aperçu de la signification dun terme ou dune expression. Sinon, la portée de la revendication ou des revendications telles quinterprétées à partir de leur libellé ne peut être ni limitée ni élargie » (Purdue Pharma c Pharmascience Inc, 2009 CF 726, para. 13). Ainsi, lorsqu'il y a lieu de le faire, les revendications doivent être interprétées à la lumière de la description. La clé d'une interprétation téléologique consiste à déterminer ce que l'inventeur considère comme les éléments « essentiels » de l'invention revendiquée, et à discerner ce qui n'est pas essentiel (Free World Trust, para. 31; Alcon Canada c Cobalt Pharmaceuticals, 2014 CF 462, para. 47). Un élément est considéré comme non essentiel si, suivant une interprétation téléologique, le destinataire versé dans l'art considérerait qu'un élément de la revendication peut être omis ou substitué sans que cela n'ait d'effet appréciable sur le fonctionnement de l'invention (Free World Trust, para. 55).

[18]      Il est entendu également [traduction] « qu'une invention brevetable est une solution ingénieuse à un problème concret » et [traduction] « qu'une invention doit être divulguée (et ultimement revendiquée) de manière à fournir à la personne versée dans l'art une solution réalisable » : Avis du Bureau des brevets publié le 8 mars 2013 intitulé [traduction] « Directives sur la pratique à la suite de larrêt Amazon CAF » et Note PN 2013-02 correspondante.

La personne versée dans l'art et ses connaissances générales courantes pertinentes

[19]      La décision finale comprend le passage suivant :

[traduction]
[l']examinateur considère que la personne versée dans l'art est un chimiste en alimentation possédant une connaissance des glucides. L'examinateur détermine que le niveau de connaissances générales courantes est fonction, d'une part, des renseignements généraux contenus dans le brevet [la demande] et, d'autre part, de la connaissance de la chimie alimentaire et, plus particulièrement de la production des édulcorants. Par conséquent, la « personne versée dans l'art » aurait très bien su que les produits de sucralose présentent une instabilité thermique indésirable sur le plan commercial.

[20]      Le demandeur n'a pas contesté les définitions de la personne versée dans l'art et des connaissances générales courantes établies par l'examinateur. Nous considérons, en outre, que ces définitions sont compatibles avec le contexte présenté dans la description, lequel fournit suffisamment d'indications quant à la personne visée par la demande de brevet. Comme indiqué précédemment (para. [5]), la présente demande a trait à la production de compositions d'édulcorant encapsulé comprenant des complexes thermostabilisés de sucralose. À ce titre, la caractérisation de la personne versée dans l'art établie par l'examinateur, c'est-à-dire un chimiste en alimentation possédant une connaissance des glucides, est raisonnable. Dans Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 SCC 67, la Cour a indiqué, au para. 74, qu'elle estimait que la personne versée dans l'art doit être raisonnablement diligente dans ses efforts pour se tenir au courant des progrès réalisés dans le ou les domaines dont relève l'invention. Ainsi, la personne versée dans l'art concernée par la demande se doit d'être raisonnablement instruite en ce qui concerne la production et l'utilisation de compositions d'édulcorant commercialement acceptables et posséderait, par conséquent, les connaissances générales courantes établies par l'examinateur.

Le problème et la solution apportée par l'invention

[21]      D'après la description (page 2, lignes 17 et 18), le problème visé par l'invention revendiquée a trait à [traduction] « un besoin de disposer d'une composition de sucralose encapsulé qui peut être utilisée dans diverses compositions, y compris des compositions de gomme à mâcher ». Comme indiqué précédemment (para. [6]), les compositions d'édulcorant encapsulé connues contiennent des édulcorants intenses tels l'aspartame et l'acésulfame-potassium. Or, les techniques d'extrusion utilisées pour préparer ces compositions d'édulcorant encapsulé ne peuvent pas être utilisées à des fins commerciales avec du sucralose pur, car ce dernier se dégrade lorsqu'il est exposé à la chaleur. Il s'ensuit que [traduction] « [l]a composition d'édulcorant encapsulé doit être préparée au moyen d'un procédé qui permet d'éviter la dégradation thermique du sucralose » (page 2, lignes 18 à 20). La solution proposée par l'invention revendiquée prend la forme de compositions d'édulcorant encapsulé qui contiennent un complexe de sucralose/cyclodextrine thermostabilisé et un encapsulant comprenant un polymère.

Revendication 1, interprétée téléologiquement

[22]      La revendication vise une composition d'édulcorant comprenant un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose, et un encapsulant comprenant un polymère. En l'espèce, le complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose est défini de façon plus précise comme étant obtenu au moyen d'un procédé spécifique en quatre étapes. Fait notable, la première étape de ce procédé implique de préparer une solution de sucralose et de cyclodextrine dans de l'eau. Les trois autres étapes consistent à chauffer la solution pour permettre la formation du complexe, à sécher la solution et à amener le complexe à une taille de particule convenable.

[23]      Dans le cas de la revendication 1, il s'agit de déterminer si le procédé particulier qui est utilisé pour préparer le complexe spécifié dans la revendication a un quelconque effet appréciable sur les propriétés pertinentes de la composition d'édulcorant encapsulé qui contient un complexe de sucralose/cyclodextrine thermostabilisé et un encapsulant comprenant un polymère.

[24]      La description indique de façon générale que [traduction] « [l]a composition d'édulcorant encapsulé doit être préparée au moyen d'un procédé qui permet d'éviter la dégradation thermique du sucralose ». Comme indiqué précédemment (para. [7]), il est clairement mentionné dans le contexte de la description que la thermostabilité du sucralose a déjà été obtenue au moyen d'une co-cristallisation avec de la cyclodextrine. Le procédé de l'art antérieur qui est mentionné dans la description nécessite d'utiliser un solvant organique tel que le méthanol, une substance hautement toxique qui doit être retirée, pour la préparation d'un complexe de cyclodextrine et de sucralose. Bien que la présente description prévoit le recours à une méthode à base d'eau pour la préparation du complexe, elle n'indique pas ou ne donne pas à penser que les étapes du procédé spécifique qui sont énoncées dans la revendication peuvent servir à différencier le complexe ainsi obtenu des complexes de l'art antérieur. En effet, à la page 2 de la description, aux lignes 25 et 26, il est indiqué que [traduction] « [l]e complexe co-cristallisé/précipité peut être préparé avec de l'eau afin d'éviter l'étape du retrait des solvants organiques indésirables » (soulignement ajouté). En l'absence de tout enseignement contraire, la personne versée dans l'art considérerait que les deux procédés produisent des résultats finaux équivalents. Le fait que le complexe soit obtenu au moyen d'un procédé à base d'eau ou au moyen d'un procédé à base de méthanol n'a aucune incidence — les produits obtenus sont identiques.

[25]      Ainsi, il ressort d'une interprétation téléologique de la revendication 1 et du mémoire descriptif dans son ensemble que les limitations liées au procédé utilisé pour préparer le complexe ne confèrent au produit aucune propriété pertinente en dehors de la thermostabilité. Le produit obtenu est le même indépendamment du solvant qui est utilisé à l'étape 1. Il s'ensuit que dans la composition visée par la revendication 1, les éléments suivants sont essentiels à la réalisation de la solution consistant à produire une composition de sucralose encapsulé :

(i)                 un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose;

(ii)               un encapsulant comprenant un polymère.

Autres revendications indépendantes

[26]      Les autres revendications indépendantes en cause définissent d'autres modes de réalisation de l'invention. Les revendications indépendantes 11, 21 et 24 sont aussi des revendications de composition, mais comportent les caractéristiques supplémentaires suivantes :

         revendication 11 : la composition d'édulcorant de la revendication 1 est contenue dans une composition de gomme à mâcher qui comprend, en outre, une base de gomme à mâcher;

         revendication 21 : la composition d'édulcorant de la revendication 1 est assortie de la limitation de procédé consistant à amener le complexe à une taille de particule convenable;

         revendication 24 : la composition de la revendication 1, mais comprenant en outre un extrudat.

Nous nous pencherons sur les caractéristiques supplémentaires de ces revendications indépendantes dans notre analyse de l'évidence.

Revendications dépendantes

[27]      Les revendications dépendantes ajoutent des caractéristiques telles que les propriétés du polymère, le pourcentage de cyclodextrine contenu dans le complexe, la présence d'un édulcorant intense supplémentaire, et la taille des particules du complexe. L'historique du traitement de la demande ne révèle aucun désaccord entre le demandeur et l'examinateur quant à la signification ou à la compréhension de ces revendications. Nous examinerons les caractéristiques supplémentaires des revendications dépendantes dans notre analyse de l'évidence.

QUESTION 1 :          LES REVENDICATIONS 1 À 26 SONT-ELLES ÉVIDENTES?

Cadre juridique

[28]      L'information qui peut être prise en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si une revendication est évidente est énoncée à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets :

L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus dun an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui linformation à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle quelle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle quelle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[29]      Une démarche en quatre volets pour évaluer l'évidence a été établie par la Cour suprême dans Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi]; cette démarche est la suivante :

(1)   a) Identifier la « personne versée dans lart »;

        (b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)   Définir lidée originale de la revendication en cause, au besoin par voie dinterprétation;

(3)   Recenser les différences, sil en est, entre ce qui ferait partie de « létat de la technique » et lidée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4)   Abstraction faite de toute connaissance de linvention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans lart ou dénotent-elles quelque inventivité?

Références citées

[30]      Dans la décision finale, l'examinateur a cité les références suivantes :

           Demande de brevet canadienne

           D1 : 2,006,304                             22 juin 1990                      Cherukuri et al.

           Brevet américain :

           D2 : 5,154,939                             13 octobre 1992                Broderick et al.

           Analyse suivant la démarche en quatre volets établie dans Sanofi

             Étape 1 : Identifier la « personne versée dans l'art » et les connaissances générales courantes de cette personne

[31]      La personne versée dans l'art et les connaissances générales courantes ont déjà été établies aux paragraphes [19] et [20].

             Étape 2 : Définir lidée originale de la revendication en cause, au besoin par voie dinterprétation

[32]      Il est indiqué dans la décision finale que [traduction] « [l]e concept inventif de la présente demande consiste à utiliser un complexe de sucralose/cyclodextrine co-cristallisé/précipité dans une composition d'édulcorant encapsulé qui présente une thermostabilité améliorée et est dérivée d'une solution aqueuse ».

[33]      Le demandeur n'a pas contesté cette caractérisation du concept inventif. Toutefois, dans notre lettre faisant suite à notre examen initial, nous avons indiqué que, conformément à l'arrêt Sanofi, le concept inventif serait défini en relation avec les revendications en cause. Tel qu'il appert du raisonnement exposé ci-dessous, la personne versée dans l'art, à la lumière du mémoire descriptif dans son ensemble, reconnaîtrait que la co-cristallisation du sucralose avec la cyclodextrine procure la thermostabilité nécessaire pour un encapsulage par fusion-extrusion; cependant, elle ne considérerait pas le procédé au moyen duquel le complexe est obtenu comme faisant partie du concept inventif du produit lui-même.

[34]      Comme indiqué précédemment (para. [21]), il est mentionné dans la description de la présente demande qu'il existe [traduction] « un besoin de disposer d'une composition de sucralose encapsulé qui peut être utilisée dans diverses compositions, y compris des compositions de gomme à mâcher ». Bien que des compositions d'édulcorants encapsulés contenant des édulcorants intenses tels l'aspartame et l'acésulfame-potassium soient connues, les techniques d'extrusion utilisées pour préparer ces compositions d'édulcorants encapsulés ne peuvent pas être utilisées commercialement avec du sucralose pur, car ce dernier se dégrade lorsqu'il est exposé à la chaleur. Il s'ensuit que [traduction] « [l]a composition d'édulcorant encapsulé doit être préparée au moyen d'un procédé qui permet d'éviter la dégradation thermique du sucralose » (page 2, lignes 18 à 20).

[35]      S'agissant des questions relatives à la thermostabilité du sucralose, il ressort clairement du contexte de l'invention que ce problème a déjà été abordé dans l'art antérieur. Plus précisément, il est indiqué dans la description (page 2, lignes 7 à 9) que [traduction] « Cherukuri divulgue une méthode de préparation d'un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose qui permet d'atténuer la dégradation du sucralose lorsque le complexe est exposé à la chaleur ». Bien que la méthode de l'art antérieur prévoit l'utilisation du solvant organique méthanol, comparativement au procédé à base d'eau qui est revendiqué en l'espèce, la description de la présente demande est muette quant à la question de savoir si les limitations liées au procédé confèrent à la structure ou à la composition du complexe quelque caractéristique distinctive. En l'absence de toute indication en ce sens, la personne versée dans l'art considérerait ces produits finaux comme équivalents pour la production d'une composition de sucralose encapsulé. Ce raisonnement rejoint la description et, plus particulièrement, le passage suivant (page 2, lignes 23 à 26), qui est le fait du demandeur lui-même : [traduction]
« [d]ans certaines réalisations, il y a une composition d'édulcorant qui comprend (a) un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose et (b) un encapsulant comprenant un polymère. Le complexe co-cristallisé/précipité peut être préparé avec de l'eau afin d'éviter l'étape du retrait des solvants organiques indésirables » (soulignement ajouté).

[36]      Ainsi, il est évident à la lecture du mémoire descriptif dans son ensemble que le concept inventif des revendications de produit est une composition d'édulcorant encapsulé qui comprend un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose et un encapsulant comprenant un polymère. La co-cristallisation de la cyclodextrine avec le sucralose est réalisée dans le but d'empêcher la dégradation thermique, c.-à-d. la décoloration du sucralose pendant l'encapsulage, et l'encapsulant est utilisé afin d'assurer une libération contrôlée de l'édulcorant. Ce concept inventif s'applique donc à l'ensemble des revendications de produits 1 à 26.

[37]      S'agissant des caractéristiques additionnelles des revendications exposées aux para. [26]-[27], nous soulignons qu'il n'y a au dossier aucune indication quant à la présence dans les revendications d'une quelconque caractéristique distinctive inventive supplémentaire. Bien qu'aucun autre concept inventif n'ait été recensé dans les revendications en cause, aussi bien par l'examinateur que par le demandeur, par souci d'exhaustivité, nous considérerons ces caractéristiques supplémentaires comme des différences dans le cadre de l'étape 4.

             Étape 3 : Recenser les différences, s'il en est, entre ce qui ferait partie de l'« état de la technique » et le concept inventif qui sous-tend la revendication ou son interprétation

[38]      De l'avis de l'examinateur, l'objet des revendications 1 à 26 aurait été évident à la date de la revendication pour la personne versée dans l'art ou la science dont il relève, eu égard au brevet de Broderick et al. à la lumière de la demande de Cherukuri et al. et des connaissances générales courantes.

[39]      En réponse à la décision finale, le demandeur a modifié les revendications de produit 1 à 26 afin d'inclure les limitations relatives au complexe. L'examinateur a cependant maintenu l'objection pour cause d'évidence et indiqué dans le résumé des motifs que [traduction] « la méthode de fabrication ne différencie pas le produit final (c.-à-d. un complexe co-cristallisé/précipité de cyclodextrine et de sucralose) de l'art antérieur ».

Le brevet de Broderick et al. et les différences par rapport au concept inventif

[40]      Le brevet de Broderick et al. divulgue une méthode améliorée pour encapsuler un ingrédient actif destiné à être utilisé dans de la gomme à mâcher. La méthode améliorée implique l'extrusion d'un mélange d'un ingrédient actif et l'utilisation d'un encapsulant et d'un sel. L'encapsulant utilisé était l'acétate de polyvinyle.

[41]      Comme il est expliqué à la colonne 4, aux lignes 23 à 32, l'ingrédient actif peut être un édulcorant intense, tel le sucralose. Il est également indiqué à la colonne 5, aux lignes 4 à 21, que l'acétate de polyvinyle, le sel et l'ingrédient actif, par exemple le sucralose, sont mélangés à sec et introduits dans une extrudeuse dans laquelle l'encapsulage par extrusion a lieu. De préférence, la température maximale du mélange dans l'extrudeuse doit avoisiner 100 °C. Le fait de mélanger du sel, de l'ingrédient actif et de l'acétate de polyvinyle en fusion dans l'extrudeuse, suivi d'un refroidissement subséquent, entraîne l'encapsulage de l'ingrédient actif dans la matrice d'acétate de polyvinyle et de sel.

[42]      Tel qu'il est indiqué à la colonne 5, aux lignes 24 à 37, le mélange encapsulé est mis en boulettes et/ou réduit en poudre à l'aide d'appareils de bouletage et de mouture. Le produit encapsulé peut ensuite être ajouté à une formule de gomme à mâcher dans le but d'accroître l'intensité, la qualité et la durée de la saveur. Des compositions de produit encapsulé comprenant les édulcorants intenses aspartame et acésulfame K sont présentées à titre d'Exemples 3 et 4, respectivement.

[43]      Ainsi donc, la caractéristique du concept inventif tenant au fait que la composition d'édulcorant comprend un encapsulant constitué d'un polymère qui assure la libération contrôlée de l'édulcorant est enseignée dans le brevet de Broderick et al. En effet, la description de la présente demande divulgue des compositions d'édulcorant encapsulé préparées à l'aide d'un encapsulant, c.-à-d. l'acétate de polyvinyle, et d'une méthode d'extrusion par fusion à haute température qui sont identiques à l'encapsulant et la méthode enseignée dans le brevet de Broderick et al.

[44]      Une autre caractéristique du concept inventif est que l'édulcorant est du sucralose qui a été thermostabilisé par co-cristallisation avec de la cyclodextrine. Cette caractéristique n'est pas expressément divulguée dans le brevet de Broderick et al., et il s'agit de la seule différence que présente le concept inventif par rapport aux enseignements contenus dans le brevet de Broderick et al.

Cherukuri et al. et les différences par rapport au concept inventif

[45]      La demande de brevet de Cherukuri et al. divulgue la préparation de compositions de sucralose rendu thermostable par co-cristallisation avec de la cyclodextrine. Comme il est expliqué à la page 2, aux lignes 24 à 32, dans des conditions parfaitement sèches, le sucralose, qui se présente sous une forme cristalline, tend à se décolorer lorsqu'il est exposé à des températures élevées. À titre d'exemple, le sucralose pur sec peut présenter une telle décoloration après une exposition de 20 minutes à une température de 100 °C; sa couleur initiale changeant alors pour le brun pâle. Cette décoloration rend le produit inacceptable sur le plan commercial.

[46]      Il est également indiqué à la page 3, aux lignes 31 à 38, que le complexe de sucralose et de cyclodextrine peut être obtenu par la dissolution d'un mélange de cyclodextrine et de sucralose dans un solvant non aqueux, tel le méthanol, et le retrait subséquent du méthanol préalablement à la précipitation du complexe. Le complexe ainsi obtenu présente une thermostabilité accrue et peut être incorporé à un large éventail d'aliments et de produits comestibles, y compris la gomme à mâcher. Comme en témoigne l'Exemple IV, l'intensité du goût sucrant du complexe de sucralose et de cyclodextrine, comparativement à celle du sucralose employé seul, a été évaluée dans une formulation de gomme.

[47]      Ainsi, la caractéristique du concept inventif consistant en un complexe co-cristallisé thermostable de sucralose et de cyclodextrine est enseignée dans la demande de brevet de Cherukuri et al. Bien que le solvant utilisé dans le cadre de la méthode de Cherukuri et al. soit différent, les produits sont identiques. En outre, tel qu'indiqué précédemment (para. [36]), les limitations liées au procédé ne font pas partie du concept inventif des revendications de produit. En effet, ce raisonnement rejoint le principe établi par la Cour suprême selon lequel le fait d'associer un produit à sa production par l'entremise d'un nouveau procédé constitue une attribution artificielle qui ne peut pas conférer au produit lui-même le caractère de la nouveauté ou de l'utilité : Hoffman-LaRoche & Co c Commissioner of Patents, [1955] RCS 414. Comme l'a souligné l'examinateur dans la décision finale, [traduction] « le demandeur ne fournit aucun élément de preuve quant aux différences entre un complexe de sucralose/cyclodextrine obtenu au moyen d'une solution aqueuseet un complexe de sucralose/cyclodextrine obtenu au moyen d'une solution non aqueuse. »

[48]      Une autre caractéristique du concept inventif est que l'édulcorant est encapsulé dans un encapsulant comprenant un polymère. Cette caractéristique n'est pas divulguée dans la demande de brevet de Cherukuri et al., et il s'agit de la seule différence que présente le concept inventif par rapport aux enseignements contenus dans la demande de brevet de Cherukuri et al.

Résumé des différences

[49]      Considérés conjointement, les enseignements contenus dans le brevet de Broderick et al. et la demande de brevet de Cherukuri et al. divulguent l'ensemble des caractéristiques du concept inventif des revendications en cause, et c'est la nécessité de combiner ces deux références qui constitue la différence par rapport à l'art antérieur.

Étape 4 : Ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans lart ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[50]      Comme indiqué ci-dessus, il n'y a aucune différence entre l'état de la technique combiné et le concept inventif des revendications. Cependant, nous devons également nous demander si, devant la nécessité de fournir une composition de sucralose encapsulé, la personne versée dans l'art aurait combiné ces deux références pour en arriver au concept inventif des revendications en cause. En effet, dans sa réponse du 8 novembre 2011, le demandeur a fait valoir l'argument selon lequel [traduction] « l'examinateur doit nécessairement avoir recours à de l'information rétrospective pour en arriver à l'invention exposée par le demandeur, car le brevet de Broderick et al. n'enseigne pas la thermostabilisation de l'ingrédient actif ou n'indique pas que l'ingrédient actif peut être instable à la chaleur, et, de façon similaire, la demande de brevet de Cherukuri et al. n'enseigne pas le contrôle de la libération du complexe de sucralose/cyclodextrine par son encapsulage dans un polymère. Par conséquent, une personne versée dans l'art ne serait pas portée à combiner les enseignements contenus dans le brevet de Broderick et al. et dans la demande de brevet Cherukuri et al. ». Pour les raisons exposées ci-dessous, nous ne souscrivons pas à l'argument du demandeur.

[51]      Tel qu'il est indiqué précédemment (para. [6]), la présente demande a trait à la production de compositions d'édulcorant encapsulé comprenant un complexe thermostabilisé de sucralose. Selon la page 5 (lignes 30 et 31) et la page 8 (lignes 25 à 28), la raison d'être de l'encapsulage est que ce dernier permet d'assurer une libération contrôlée de l'édulcorant contenu dans des produits tels que les gommes à mâcher et, conséquemment, de contrôler le profil de sucrosité de ces produits. Dans le brevet de Broderick et al., il est suggéré d'encapsuler les édulcorants intenses pour les mêmes raisons. En fait, comme nous l'avons souligné précédemment, la même méthode d'encapsulage par fusion-extrusion à l'aide d'acétate de polyvinyle est enseignée dans le brevet de Broderick et al., et, de surcroît, aux fins d'une utilisation dans des gommes à mâcher. Qui plus est, le brevet de Broderick et al. [traduction] « est principalement axé sur l'encapsulage amélioré d'édulcorants, de saveurs et d'ingrédients exhausteurs de saveurs à l'aide d'acétate de polyvinyle » (col. 3, lignes 62 à 64). Il n'y a aucune limitation en ce qui concerne l'édulcorant actif qui est encapsulé. En effet, le brevet de Broderick et al. divulgue l'encapsulage de sucralose à titre d'édulcorant actif.

[52]      Quant à l'utilisation du sucralose aux fins de la production de compositions d'édulcorants commercialement acceptables, comme nous l'avons mentionné précédemment (para. [20]), les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art incluent la connaissance du fait que le sucralose pur présente une instabilité thermique qui est indésirable dans un contexte commercial. Partant, la personne versée dans l'art serait consciente que le sucralose pur n'est pas un ingrédient actif qui se prête à un encapsulage au moyen de la méthode de fusion-extrusion à haute température enseignée dans le brevet de Broderick et al. la décoloration thermique du sucralose rendant le produit commercialement inacceptable. La personne versée dans l'art considérerait, toutefois, que les produits de sucralose tels que le complexe co-cristallisé et thermostabilisé de sucralose et de cyclodextrine mentionné dans la demande de brevet de Cherukuri et al. constituent un choix évident d'édulcorants actifs à encapsuler au moyen de la méthode de fusion-extrusion à haute température enseignée dans le brevet de Broderick et al. Le fait de remplacer l'édulcorant de Broderick et al. par l'édulcorant de Cherukuri et al. dans le but d'obtenir le même résultat ne dénote aucune inventivité.

[53]      La personne versée dans l'art désireuse de produire une composition de sucralose thermostabilisé encapsulé permettant la libération contrôlée du sucralose n'aurait, à la lumière du brevet de Broderick et al., considéré conjointement avec la demande de brevet de Cherukuri et al., à faire preuve d'aucune inventivité pour préparer une composition de sucralose encapsulé constituée d'un complexe co-cristallisé et thermostabilisé de sucralose et de cyclodextrine et d'un encapsulant comprenant un polymère.

[54]       Tel qu'il est indiqué précédemment (para. [37]), aucun autre concept inventif n'a été recensé, ni par l'examinateur ni par le demandeur. Néanmoins, par souci d'exhaustivité, nous nous pencherons sur la question de savoir si les caractéristiques additionnelles comprises dans les revendications sont inventives.

Caractéristiques additionnelles comprises dans les revendications

[55]      Il convient de souligner que même si elles n'étaient pas considérées comme faisant partie du concept inventif, toutes les caractéristiques additionnelles des revendications (énoncées aux para. [26] et [27]), sont enseignées soit dans la demande de brevet de Cherukuri et al., soit dans le brevet de Broderick et al. En effet, les quantités et les types spécifiques de cyclodextrine sont enseignés dans la demande de brevet de Cherukuri et al. De façon similaire, la présence d'une base de gomme ou d'un extrudat, le type et le poids moléculaire du polymère spécifiés pour l'encapsulant, et la taille des particules de la composition rejoignent les enseignements contenus dans le brevet de Broderick et al. Nous sommes d'avis que la personne versée dans l'art n'aurait à faire preuve d'aucune inventivité pour incorporer une ou plusieurs de ces caractéristiques additionnelles. Qui plus est, comme nous l'avons souligné précédemment, il n'y a au dossier aucune indication selon laquelle une quelconque caractéristique additionnelle, en dehors de celles recensées comme faisant partie du concept inventif, n'était considérée comme différenciant davantage les revendications de l'art antérieur.

Conclusions

[56]      Les revendications 1 à 26 sont évidentes à la lumière du brevet de Broderick et al. considéré conjointement avec la demande de brevet de Cherukuri et al. Par conséquent, la modification consistant spécifiquement à supprimer les revendications 1 à 26, telle qu'elle a été proposée par le demandeur dans les soumissions au comité, est indispensable pour rendre la demande conforme à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

QUESTION 2 :       LA DESCRIPTION DÉCRIT-ELLE L'INVENTION D'UNE FAÇON EXACTE ET COMPLÈTE?

Cadre juridique

[57]      Conformément au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, dont l'alinéa pertinent est ainsi libellé :

Le mémoire descriptif doit :

(a) décrire d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur.

[58]      Comme l'a fait observer la Cour suprême dans l'arrêt Free World Trust, ce sont les termes employés dans les revendications, interprétés téléologiquement, qui définissent le monopole, et on ne peut s'en remettre à des notions imprécises, telles que « l'esprit de l'invention » pour accroître l'étendue de ce monopole. Ce principe est repris à la section 9.05.06 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets qui établit une distinction supplémentaire entre les énoncés inacceptables qui élargissent la portée des revendications d'une façon vague et indéfinie et les énoncés acceptables en ce qui a trait à la portée des revendications :

Comme les revendications dun brevet doivent être fondées sur la description, tout énoncé affirmant que les revendications sont plus larges que ne lindique la description est incorrect et doit être supprimé. Un tel énoncé donne à penser que la description ne divulgue pas « dune façon exacte et complète » linvention et ne respecte pas le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

À linverse, est acceptable un énoncé tel que « les revendications ne doivent pas être limitées dans leur portée par les réalisations préférentielles illustrées dans les exemples, mais doivent recevoir linterprétation la plus large qui soit conforme à la description dans son ensemble », qui souligne seulement que les revendications ne sont pas limitées aux réalisations préférentielles ou aux exemples démonstratifs de linvention.

                Analyse

[59]       Dans une lettre en date du 21 août 2014, le comité a signalé que la description ne décrit pas l'invention de façon exacte et complète, et qu'elle est, en cela, non conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Plus précisément, l'énoncé présenté au para. [0070] laisse entendre que, dans les faits, l'invention est, d'une manière ou d'une autre, différente de la description qui est donnée et doit, pour cette raison, être retiré.

[60]      Le para. [0070] est rédigé comme suit :

[traduction]
Bien qu'ait été décrit ce qui est considéré présentement comme constituant les réalisations préférentielles de l'invention, les personnes versées dans l'art réaliseront que des changements et des modifications peuvent être apportés sans s'écarter de l'esprit de l'invention, et il est entendu que ces changements et modifications incluent toutes les modifications qui entrent dans la véritable portée de l'invention.

[61]      À notre avis, la suggestion au para. [0070] voulant que l'invention puisse inclure des changements et des modifications par rapport à ce qui a été décrit sans pour cela s'écarter de « l'esprit de l'invention » et cesser d'entrer dans « la véritable portée de l'invention » donne à penser que la portée des revendications s'étend au-delà de ce qui a été décrit et implique que la description ne décrit pas de façon complète l'objet que le demandeur veut que ses revendications couvrent.

[62]      Dans les observations qu'elle a soumises au comité, le demandeur a proposé de modifier le para. [0070] précité de la manière suivante :

[traduction]
[0070] Les revendications ne doivent pas être limitées dans leur portée par les réalisations préférentielles illustrées dans les exemples, mais doivent être interprétées conformément à la description dans son ensemble.

[63]      Ainsi, la modification spécifique que le demandeur, dans les observations qu'elle a soumises au comité, propose d'apporter au para. [0070] de la description est indispensable pour rendre la demande conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

[64]      Le comité convient que les modifications proposées par le demandeur sont nécessaires pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. Par conséquent, nous recommandons que le demandeur soit informé, conformément aux dispositions de l'alinéa 31(b) des Règles sur les brevets, que les modifications à la demande proposées dans la correspondance du 12 septembre 2014, et uniquement ces modifications, sont nécessaires pour rendre la demande conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets.

 

 

 

 

Christine Teixeira                                Owen Terreau                                     Cara Weir       

Membre                                              Membre                                               Membre


DÉCISION DU COMMISSAIRE

[65]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission d'appel des brevets. Conformément aux dispositions du paragraphe 30(6.3) des Règles sur les brevets, j'avise, par les présentes, le demandeur que les modifications susmentionnées doivent être apportées dans les trois (3) mois suivant la date de la présente décision, sans quoi j'entends rejeter la demande. Conformément aux dispositions de l'alinéa 31(b) des Règles sur les brevets, ces modifications, et seules ces modifications, peuvent être apportées à la demande.

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire aux brevets

 

 

Fait à Gatineau (Québec),

en ce 29e jour d'octobre 2014

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.