Brevets

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Décision du Commissaire no 1360

Commissioner’s Decision #1360

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : O00

TOPIC: O00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2,269,368

Application no: 2,269,368


 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

La demande de brevet no 2,269,368 ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, elle a fait l’objet d’une révision, conformément à l'alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets par un comité constitué de la Commission d'appel des brevets et du commissaire aux brevets. Les conclusions de la Commission et la décision du commissaire sont les suivantes :

 

 

 

 

 

Représentant de la demanderesse

MACPHERSON LESLIE & TYERMAN LLP

1500 – 1874, rue Scarth

REGINA (Saskatchewan)  S4P 4E9



 

INTRODUCTION

 

[1]               La présente recommandation porte sur une révision effectuée par le commissaire aux brevets de la demande de brevet no 2,269,368 intitulée « SYSTÈME ET MÉTHODE DE GUIDAGE DE SEMOIR POUR SEMIS DIRECT PERMETTANT D'ÉVITER LES RAYONS DE CHAUME DE LA RÉCOLTE PRÉCÉDENTE ». La demanderesse est STRAW TRACK MANUFACTURING INC. et l'inventeur est Norbert Beaujot.

 

[2]               À la suite d’observations produites par la demanderesse en réponse à la décision finale de l'examinateur et accompagnées de modifications au mémoire descriptif, ce dossier a été transmis à la Commission d'appel des brevets qui a mis sur pied un comité pour procéder au présent examen (le comité). Dans le résumé des motifs qu'il a préparé, l'examinateur a indiqué que la demande n'était pas conforme à la Loi sur les brevets, puisque les revendications auraient été évidentes. L'examinateur a mentionné dans le résumé des motifs que toutes les autres irrégularités précédemment relevées avaient été corrigées, suite aux observations susmentionnées de la demanderesse et aux modifications soumises.

 

[3]               Pour les raisons qui suivent, le comité recommande que la demande soit rejetée au motif qu'elle est évidente et donc non conforme à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

CONTEXTE

 

[4]               La présente demande concerne les semis agricoles, particulièrement un type de semis appelé « semis dense direct».

 


[5]               Dans les cultures ensemencées en semis denses l'espace entre les « lignes » est généralement de 6 à 12 pouces, ce qui donne une culture très dense ne permettant pas de distinguer les lignes. Cette technique d'ensemencement est généralement utilisée pour les céréales, les légumineuses et les oléagineux. En revanche, les cultures en lignes comme le maïs ou le coton sont généralement organisées selon des lignes espacées de 24 à 36 pouces. Un tel espacement permet d’effectuer des opérations subséquentes, comme la culture et la pulvérisation, sans perturber les plants en croissance.

 

[6]               Dans le cas du semis dense direct, le travail du sol nécessite moins d'étapes par rapport aux cultures en lignes. Les cultures en semis direct sont généralement ensemencées à l'aide d'un traceur de sillon à houe ou à disque sans préparation du sol. Lorsque cette méthode est utilisée, il arrive souvent qu'on laisse derrière le chaume sur pied de la dernière culture de l'année précédente après la récolte pour qu'elle emprisonne le plus de neige possible (pour retenir l'humidité) et pour assurer la protection des nouvelles cultures contre le vent et l'évaporation.

 

[7]               Étant donné l'espace étroit entre les lignes d'une culture par semis dense, les roues des tracteurs types utilisées pour tirer le semoir sont plus larges que l'espace entre les chaumes sur pied. C'est pourquoi le tracteur est généralement conduit sans égard aux chaumes sur pied, lesquels sont fréquemment écrasés.

 

[8]               Comme la longueur des chaumes sur pied peut être supérieure à l'espacement des organes ouvreurs généralement utilisés sur les semoirs, le chaume déplacé est souvent traîné le long du champ puisqu'il s'étend sur les organes ouvreurs adjacents. Comme la quantité de chaume sur pied augmente au fur et à mesure que le tracteur avance, le semoir devient engorgé.

 

[9]               Selon la demanderesse, d'autres tentatives ont déjà été faites pour résoudre ce problème, comme augmenter l'espace entre les organes ouvreurs et accroître la longueur des organes ouvreurs eux-mêmes.

 

[10]           Comme le souligne la demanderesse dans la section du mémoire descriptif qui présente le contexte de l’invention présumée (voir à la page 5), étant donné le problème de blocage causé par le contact avec les chaumes sur pied, il serait possible de grandement réduire ce problème en guidant le semoir entre ces lignes. La demanderesse mentionne aussi que des systèmes de guidage sont souvent utilisés dans les cultures en lignes afin de veiller à ce que des opérations comme la culture et la pulvérisation ne perturbent pas les plants en croissance.


 

[11]           Au moyen des revendications présentées dans cette demande, la demanderesse propose une méthode pour réduire le problème de blocage pendant l'ensemencement par semis dense direct, selon laquelle un système guide est utilisé pour entraîner les organes ouvreurs du semoir entre les lignes de chaumes sur pied, évitant ainsi de les écraser.

 

HISTORIQUE DE LA DEMANDE

 

[12]           La présente demande, déposée le 19 avril 1999, revendique la priorité fondée sur une demande de brevet canadien précédemment déposée le 12 juin 1998, date qui a été utilisée comme date de revendication pertinente pour les besoins de l'examen des critères relatifs à l'évidence.

 

[13]           Comme il a précédemment été souligné, toutes les irrégularités autres que celles liées à l'évidence ont été mises de côté par l'examinateur dans le résumé des motifs, lequel a été transmis à la demanderesse le 10 décembre 2012.

 

[14]           Dans une lettre datée du 26 septembre 2013, à la suite d'un premier examen du dossier, le comité a offert à la demanderesse la possibilité d'être entendue par voie d'observations écrites ou orales. Dans la même lettre, le comité a tenté de préciser les questions relatives à l'évidence des revendications en discutant de certaines étapes de l'analyse selon la démarche en quatre étapes énoncées dans l'affaire Apotex Inc. c. SanofiSynthelabo Canada Inc., 2008 SCC 61 (Sanofi) afin de donner à la demanderesse l'occasion de commenter sur les points soulevés.

 

[15]           Dans une communication du 5 novembre 2013 transmise au comité, la demanderesse a refusé l'occasion qui lui a été offerte de présenter des observations et a demandé que la décision soit fondée sur l'actuel dossier écrit.

 

[16]           Cette recommandation tient compte du dossier écrit en date d'aujourd'hui, y compris tout point non contesté soulevé par le comité dans la lettre du 26 septembre 2013.

 


QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           L'unique question à résoudre en l'espèce est la suivante :

 

Les revendications 1 à 15 auraient-elles été évidentes pour une personne versée dans l'art à la date de la revendication, à la lumière de l'art antérieur cité par l'examinateur?

 

EST-CE QUE LES REVENDICATIONS 1 À 15 AURAIENT ÉTÉ ÉVIDENTES?

 

Interprétation de la revendication

 

[18]           Dans le cas qui nous occupe, même s'il n'y a aucun conflit entre l'examinateur et la demanderesse concernant l'interprétation de la revendication, nous estimons qu'il est nécessaire de commenter brièvement l'importance de certains éléments des revendications avant d'en considérer la validité à la lumière de l'art antérieur.

 

[19]           L'interprétation téléologique a pour but de départager les éléments que l'inventeur considère comme essentiels de ceux qui n'ont pas été considérés comme tels (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 SCC 67). L'interprétation téléologique nécessite aussi que les revendications soient interprétées du point de vue de la personne versée dans l'art, laquelle possède les connaissances générales courantes associées à cet art (Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 SCC 66).

 

[20]           Puisque, comme il est indiqué ci-dessus, les revendications doivent être considérées du point de vue de la personne versée dans l'art à la lumière de ses connaissances générales courantes, il est d'abord nécessaire d'identifier cette personne et ses connaissances.

 

 

 


La personne versée dans l’art

 

[21]           Dans la lettre du 26 septembre 2013 envoyée à la demanderesse, le comité a accepté le point soulevé par la demanderesse, à savoir que la personne versée dans l'art serait mieux décrite comme « [Traduction] une personne versée dans l'art des pratiques agricoles, particulièrement dans l'ensemencement de cultures par semis dense direct ». Le comité a précisé qu'il considérait que cette personne, dans le cadre de ses connaissances des pratiques agricoles, détenait aussi des compétences concernant l'ensemencement de cultures en lignes. Cette précision rejoint les observations précédentes de la demanderesse, selon lesquelles une personne versée dans l'art connaîtrait les différences entre le semis dense et le semis en ligne (voir les observations datées du 22 novembre 2007).

 

[22]           Puisqu'aucune des observations ci-dessus n'a été contestée par la demanderesse, le comité utilise cette caractérisation de la personne versée dans l'art pour les besoins de la présente analyse.

 

Les connaissances générales courantes

 

[23]           Dans la lettre envoyée à la demanderesse le 26 septembre 2013 (dans le cadre d’analyse de l’affaire Sanofi), le comité a énoncé ce qu'il considérait comme ayant été des connaissances générales courantes pertinentes pour la personne versée dans l'art, à la lumière de l'instruction de la demande et de la discussion sur le contexte dans la demande. Comme nous en avons informé la demanderesse dans cette lettre, puisque ces points n'ont pas été contestés, nous estimons qu'ils faisaient partie des connaissances générales courantes pertinentes. Par conséquent, pour les besoins du présent examen, les connaissances générales courantes comprennent :

 

Connaissance de l'ensemencement par semis dense direct et de l'ensemencement par semis en ligne ainsi que des différences entre les deux, et connaissance de l'équipement utilisé pour l'exécution de chaque méthode.

Connaissance des paramètres communs de l'ensemencement par semis dense comme la formation de lignes espacées de 6 à 12 pouces et des paramètres communs de l'ensemencement par semis en ligne comme la formation de lignes espacées de 24 à 36 pouces.

Connaissance de l'importante évolution de l'art vers l'ensemencement par semis direct pour les cultures comme les céréales, les légumineuses et les oléagineux.


Connaissance de la pratique courante utilisée pour conduire un tracteur afin d'effectuer un ensemencement par semis dense sans égard aux lignes de chaumes sur pied, puisque les roues du tracteur et probablement aussi le semoir sont plus larges que l'espacement entre les lignes.

Connaissance du fait qu'un des objectifs de l'ensemencement par semis direct est de laisser le reste de la plante ou le chaume sur pied de la dernière récolte à la hauteur la plus élevée possible dans certains environnements, afin d'emprisonner la neige et de réduire au minimum la quantité de matière qui n'est pas du grain passant dans la machine de récolte. Cette pratique permet aussi de réduire l'érosion du sol et d'augmenter la rétention d'eau.

Connaissance du fait que les traceurs de sillon à houe sont généralement privilégiés par rapport aux traceurs de sillon à disque et de la raison pour laquelle il en est ainsi.

Connaissance du fait que, pour l'ensemencement par semis dense, il arrive souvent que les chaumes sur pied s'enroulent autour des organes ouvreurs, parce que le semoir passe sur les lignes de chaumes sur pied, lesquelles sont traînées sur le champ, bloquant ainsi le semoir.

Connaissance du fait qu'en raison de ce qui précède, les traceurs de sillons à houe et à disque fonctionnent mieux lorsqu'ils passent dans des zones où il y a moins de résidus de récolte.

Connaissance des solutions généralement connues pour résoudre le problème de blocage lors de l'ensemencement par semis dense direct, par exemple : augmenter l'espace entre les organes ouvreurs; augmenter le nombre de rangées d'organes ouvreurs afin d'accroître l'espacement; rallonger les organes ouvreurs afin d'accroître la distance entre le châssis du semoir et le sol; et la pratique courante selon laquelle, lors de l'ensemencement par semis dense, on laisse le chaume sur pied à une hauteur inférieure à l'espacement entre les organes ouvreurs afin de prévenir les blocages.

Connaissance du fait que les systèmes de guidage sont fréquents dans les cultures en ligne afin de maintenir les organes ouvreurs enlignés avec les sillons ou les lignes (puisque l'espacement doit demeurer constant pour les activités ultérieures de culture, de pulvérisation et de récolte).

Connaissance du fait que ces systèmes guidage fonctionnent avec des capteurs qui détectent les plants en croissance afin d'orienter précisément les organes ouvreurs entre les lignes.

Connaissance du fait qu'il n'a jamais été nécessaire d'obtenir une telle précision pour l'ensemencement par semis dense puisque les plants ne sont pas cultivés, et les pulvérisateurs et les moissonneuses-batteuses sont généralement dirigés, sans égard aux lignes de culture.

 

Problèmes de formulation des revendications

 

[24]           La demande contient trois revendications indépendantes, lesquelles visent toutes une « méthode permettant de réduire les blocages dans un semoir à cause de résidus de plants provenant d'une culture de l'année précédente », en liaison avec un « ensemencement par semis dense direct ».

 

[25]           La revendication 1 est représentative des revendications indépendantes et elle est présentée ci-dessous :

 


1. Dans le cas d'un ensemencement par semis dense direct, une méthode permettant de réduire le blocage du semoir par les résidus de plants provenant d'une culture de l'année précédente comprend les étapes suivantes :

 

détecter l'emplacement des lignes de chaumes sur pied issues de la récolte de l'année précédente qui sont espacées d'au plus 12 pouces;

 

guider les organes ouvrants du semoir entre lesdites lignes de chaumes sur pied.

 

[26]           Bien que les caractéristiques des revendications indépendantes sont semblables et contiennent des éléments communs comme la détection des lignes de chaumes sur pied et le guidage des organes ouvrants entre ces lignes, la manière dont l'ensemencement des cultures et les chaumes sont décrits varie.

 

[27]           Par exemple, la revendication 1 décrit les lignes de chaumes comme étant « espacées d'au plus 12 pouces ». La revendication 6 ajoute ceci à cette description de l'ensemencement : « conduire le tracteur sans égard à l'emplacement des chaumes sur pied, de sorte que le tracteur traverse les lignes de chaumes sur pied pendant qu'il avance sur tout le champ ».

 

[28]           La revendication 11, bien qu'elle précise un fonctionnement du tracteur semblable à ce qui est indiqué dans la revendication 6, précise l'espacement des lignes de chaumes sur pied comme étant « moins large d'au moins une roue de tracteur ».

 

[29]           Comme il est indiqué ci-dessus dans la discussion sur les connaissances générales courantes, les caractéristiques qui, à première vue, distinguent les revendications indépendantes les unes des autres concernent toutes un ensemencement type par semis dense direct. Un espacement maximal de 12 pouces, la conduite d'un tracteur sans égard à l'emplacement des chaumes sur pied et les roues du tracteur étant généralement plus larges que les lignes (qui, comme l'a divulgué la demanderesse dans la section de la demande portant sur le contexte, est la raison pour laquelle le tracteur n'avance pas de manière à suivre la ligne) sont toutes des caractéristiques inhérentes à l'ensemencement par semis dense direct.

 


[30]           Par conséquent, comme les revendications indépendantes font toutes référence à une culture par semis dense direct, nous ne percevons pas la présence de ces caractéristiques inhérentes à un ensemencement par semis dense direct comme modifiant la portée des revendications. Par exemple, en comparant les revendications avec l'art antérieur, il n'est pas nécessaire d'indiquer de manière explicite ces caractéristiques dans une référence à l'art antérieur, à condition que la référence concerne « le semis dense direct ». Ainsi, de telles différences peuvent être considérées comme « non essentielles », puisqu'elles sont déjà comprises dans les mots « ensemencement d'une culture par semis dense direct ».

 

[31]           En ce qui concerne les revendications dépendantes, nous ne voyons aucun problème relatif au libellé qui nécessiterait des précisions.

 

[32]           Ayant compris ces revendications, nous nous penchons maintenant sur la question de l'évidence.

 

Évidence : Principes juridiques

 

[33]           L’article 28.3 de la Loi sur les brevets énonce les conditions dans lesquelles une revendication peut être considérée comme évidente :

 

28.3 L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

[34]           Dans l’affaire Sanofi, la Cour suprême a présenté une démarche utile en quatre étapes pour procéder à l'examen des critères relatifs à l'évidence, démarche que nous avons utilisée dans notre propre analyse ci-dessous :

 

(1)a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

 b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;


(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[35]           Pour qu'une invention soit évidente, elle doit être « très claire » (Sanofi, au paragraphe 65).

 

[36]           Dans l'analyse ci-dessous, nous avons suivi les quatre étapes du cadre d'analyse de l'affaire Sanofi, comme nous l'avions mentionné à la demanderesse dans la lettre du 26 septembre 2013.

 

Analyse

 

(1)a) La personne versée dans l’art

 

[37]           Cette personne a déjà été identifiée dans le contexte de l'interprétation de la revendication au paragraphe [21].

 

(1)b) Connaissances générales courantes pertinentes

 

[38]           Ces connaissances ont également été déterminées précédemment et figurent au paragraphe [23].

 

(2) Définir l’idée originale des revendications en cause, au besoin par voie d'interprétation

 


[39]           Dans sa lettre datée du 26 septembre 2013, le comité a énoncé son point de vue concernant le concept inventif des revendications indépendantes, sur la base de la solution au problème de blocage du semoir énoncée dans les revendications. Ce blocage est causé par le fait que les chaumes sur pied sont plus longs que la distance qui sépare les organes ouvrants.

 

[40]           La demanderesse a été informée dans notre lettre que nous utiliserions cette caractérisation du concept inventif dans notre analyse, à moins que d'autres commentaires nous soient transmis. Comme ce ne fut pas le cas, nous avons appliqué ladite caractérisation ci-dessous. La caractérisation est énoncée comme suit :

 

intégrer dans le processus d'ensemencement par semis dense direct un système de guidage capable de détecter les lignes de chaumes sur pied et d'orienter les organes ouvrants entre ces lignes, réduisant ainsi le problème de blocage.

 

[41]           En ce qui concerne les caractéristiques supplémentaires des revendications dépendantes, comme il est reproduit ci-dessous à l'étape (3), peu importe si ces caractéristiques viennent compléter le concept inventif des revendications indépendantes, elles ne représentent pas de différences dans la relation avec l'état de la technique et donc, ne sont pas considérées à l'étape (4).

 

(3) Différences entre « l’état de la technique » et l’idée originale

 

[42]           Dans sa lettre du 26 septembre 2013, le comité a avisé la demanderesse que, malgré les arguments contraires qu'elle a présentés, il considère que « l'état de la technique » comprend les documents relatifs aux activités de culture en ligne ainsi qu'aux activités d'ensemencement par semis dense, selon la définition de « personne versée dans l'art » qui désigne une personne compétente relativement aux pratiques agricoles en général. À nouveau, cela n'a pas été contesté par la demanderesse et donc, ces documents sont inclus ci-dessous dans notre analyse.

 

[43]           Dans la décision finale et le résumé des motifs, l'examinateur a cité les six documents de brevet ci-dessous à l'encontre des revendications :

 

Brevets américains       Date de publication       Inventeur

4,624,197             25 novembre 1986            Drake

4,771,713             20 septembre 1988       Kinzenbaw


4,616,712             14 octobre 1986         Jorgensen

4,821,807             18 avril 1989          Trumm

4,930,581             5 juin 1990            Fleischer et al.

5,181,572             26 janvier 1993         Andersen et al.

 

[44]           Après avoir revu les références, nous estimons que deux d'entre elles ne peuvent être considérées davantage dans notre analyse, puisqu'elles ne nous aident pas à répondre à la question de savoir si l'invention revendiquée aurait été évidente.

 

[45]           Le document Drake concerne de l'équipement agricole permettant un travail minimal du sol. La création d'un tel équipement vise à combiner l'ensemble des étapes de préparation du sol essentiellement dans un seul appareil. On ne peut, toutefois, dire qu'il s'agit d'une réalisation pour l'ensemencement « par semis dense direct ». Le document fait souvent référence à l'utilisation de l'appareil en liaison avec l'ensemencement par semis en ligne. Les dessins illustrent aussi un fonctionnement selon lequel les roues du tracteur sont plus étroites que l'espace entre les lignes de culture, ce qui est conforme à l'environnement de culture en ligne. En outre, la référence Drake ne mentionne pas l'utilisation d'un type de système de guidage, quel qu'il soit, contrairement aux revendications en instance. Bien que le document Drake mentionne l'idée de ne pas perturber les chaumes sur pied de la dernière récolte de l'année précédente, l'invention concerne toujours une culture en ligne. Comme la référence Drake ne porte pas non plus sur l'ensemencement par semis dense direct, ni ne mentionne un système de guidage utilisé pour éviter de perturber les chaumes, il s'agit simplement d'un exemple d'art antérieur concernant l'ensemencement de cultures en lignes, qui ne divulgue rien de plus pertinent que ce que nous avons déjà souligné comme étant une connaissance générale courante.

 

[46]           Le document Kinzenbaw a été cité par l'examinateur pour illustrer le fait que les cultures en lignes et les cultures par semis dense sont des domaines d'activité connexes. Le document Kinzenbaw présente une planteuse munie d'un espace ajustable pour l'ensemencement, de sorte que l'espace peut être réduit à aussi peu que 10 pouces, une dimension qui s'inscrit dans la gamme type des espacements pour les cultures par semis dense. Bien que ce document illustre une planteuse qui pourrait être utilisée pour effectuer un ensemencement de culture en ligne ou par semis dense, il ne présente aucun système de guidage permettant d'éviter le contact avec les chaumes sur pied ou les lignes de culture.

 


[47]           À la lumière des connaissances générales courantes mentionnées plus tôt, nous savons déjà que la personne versée dans l'art est au courant des deux méthodes d'ensemencement et de l'équipement utilisé pour chaque méthode. Le document Kinzenbaw n'ajoute rien de plus que ce qui est déjà connu comme faisant partie des connaissances générales courantes. Par conséquent, nous n'utilisons pas le document Kinzenbaw pour établir des différences relativement à l'état de la technique.

 

[48]           Les autres documents, à savoir Jorgensen, Trumm, Fleischer et al. et Andersen et al. concernent tous des systèmes de guidage utilisés pour une culture en ligne.

 

[49]           Le document Jorgensen décrit un accessoire d'équipement, comme une planteuse ou un cultivateur. L'accessoire est utilisé pour détecter l'emplacement d'un billon pendant la plantation ou des plants en croissance pendant la culture, ayant pour résultat l'ajustement latéral de l'équipement afin qu'il soit centré entre les billons ou les plants de la culture en ligne. L'accessoire comprend des capteurs pour repérer les lignes (10, 10'), et un ajusteur de position du semoir (12) afin de déplacer latéralement une barre (20) par rapport au tracteur.

 

[50]           Un « premier élément d'attache » et un « deuxième élément d'attache » (particulièrement le tube (136) et le manchon (132), le manchon étant fixé à la barre (20)) se déplacent latéralement l'un par rapport à l'autre en réponse aux signaux reçus des capteurs (10, 10'). Ce mouvement est actionné par un cylindre hydraulique (86), qui est lui-même actionné par une vanne électromagnétique (92).

 

[51]           De la même façon, le document Trumm présente un appareil qui permet de déplacer latéralement une barre à laquelle sont fixées une ou plusieurs unités aratoires. La barre est déplacée en réponse à un signal envoyé par un capteur qui détecte les lignes de culture. L'appareil comprend un ajusteur de position sous forme de guide transversal (38) déplacé par un cylindre hydraulique (48), lequel est actionné par une vanne de commande hydraulique (100). Selon le libellé des revendications, l'invention comprend aussi un dispositif qui détecte l'emplacement des lignes (56) qui permet de repérer les tiges des plants en ligne. Le document Trumm indique qu'un tel système convient également à la plantation sur billon (voir la colonne 5, lignes 7 à 15).

 


[52]           Le document Fleischer et al. présente un système de guidage utilisé avec un instrument agricole, lequel peut être un cultivateur ou un semoir sur billon pour les cultures en ligne. Le système utilise une attache de commande (20) installée sur l'attelage trois-points d'un tracteur, le cadre ou la barre étant installés derrière l'attache de commande de sorte qu'ils peuvent pivoter sur un axe vertical. En faisant pivoter la barre (c.-à-d. « le deuxième élément d'attache » selon le libellé des revendications de la présente demande) autour d'un tel axe, elle est aussi déplacée latéralement le long d'un axe qui suit la direction dans laquelle avance tracteur. Le système utilise un capteur (21) afin de détecter, entre autres, la ligne médiane entre les lignes de culture. Ce capteur (21) actionne un « dispositif d'ajustement du semoir » (c.-à-d. l'attache de commande (20)). Le dispositif d'ajustement est déplacé par des cylindres hydrauliques (35, 37) qui sont eux-mêmes activés par une électrovanne hydraulique (84).

 

[53]           Même si le principal mode de réalisation dans le document Fleischer et al. est centré sur un mécanisme qui fait tourner la barre autour d'un point, le document décrit aussi un mode de réalisation qui utilise un dispositif de connexion à quatre barres déplacé par un cylindre hydraulique (135) pour assurer un mouvement latéral.

 

[54]           Le document Andersen et al. est semblable aux documents Jorgensen, Trumm et Fleischer et al. Cependant, plutôt que de déplacer latéralement une portion de l'équipement par rapport à une attache de commande fixée à l'attelage trois-points d'un tracteur, le système Andersen permet de déplacer latéralement l'un des bras de l'attelage trois-points du tracteur lui-même (lequel est en prise sur la barre (36) attachée à l'équipement). Le bras de l'attelage trois-points est fixé à une extrémité du cylindre hydraulique (106), dont l'autre extrémité est fixée à la barre de traction stationnaire (14). Le mouvement du piston du cylindre et le mouvement correspondant du bras de l'attelage trois-points exécutent le mouvement latéral de l'équipement. Malgré cette disposition différente, nous estimons que le document Andersen et al. présente un « premier élément d'attache » sous forme d'une barre de traction (14) et un « deuxième élément d'attache » sous la forme d'un bras et d'une barre (36) se déplaçant latéralement par rapport au premier élément d'attache.

 


[55]           Comme nous l'avons noté plus tôt dans la définition du concept inventif, les documents Jorgensen, Trumm, Fleischer et al. et Andersen et al. présentent tous les détails des systèmes de détection et de guidage, comme il est précisé dans les revendications dépendantes, les caractéristiques correspondantes ayant été présentées ci-dessus. Cependant, nous reconnaissons que ces systèmes ont été employés en liaison avec de l'équipement associé à des modes de réalisation de cultures en lignes, plutôt que pour des cultures ensemencées par semis dense.

 

[56]           La différence entre l'état de la technique et le concept inventif repose donc dans le fait que l'art antérieur ne divulgue pas l'utilisation de ces systèmes de guidage connus en liaison avec un ensemencement par semis dense direct, réduisant ainsi le problème de blocage. Il s'agit là du concept inventif tel que nous l'avons précédemment défini.

 

[57]           Il est important de noter que la différence relevée ci-dessus n'est en réalité que la simple idée d'utiliser les systèmes de guidage connus pour l'ensemencement par semis dense  direct pour résoudre le problème de blocage. Comme nous l'avons découvert, il n'existe aucune différence par rapport à la mise en place d'une telle idée (puisque les caractéristiques du système de détection et de guidage revendiqué étaient connues). Par conséquent, il faut donc déterminer à l'étape 4 si l'idée d'utiliser de tels systèmes connus pour l'ensemencement par semis dense direct aurait été évidente à la date de revendication, et non si une adaptation particulière ou une méthode d'application de l'idée l'aurait été.

 

(4) Les différences constituent-elles des étapes qui auraient été évidentes?

 

[58]           Nous commençons au point de développement de l'invention actuellement revendiquée.

 

[59]           Comme nous le révèlent les connaissances générales courantes (énoncées plus tôt en liaison avec l'interprétation de la revendication), une personne versée dans l'art connaît l'ensemencement par semis en ligne et l'ensemencement par semis dense direct. Elle connaît aussi l'équipement utilisé en liaison avec chacune de ces méthodes, y compris l'utilisation courante des systèmes de guidage dans une culture en ligne pour maintenir l'alignement des équipements le long des sillons et des lignes de plants (en vue de l'éventuelle culture, pulvérisation et récolte).

 


[60]           La personne versée dans l'art connaît aussi les problèmes communs associés à l'ensemencement par semis dense direct, notamment l'engorgement du semoir en raison des chaumes sur pied de la récolte précédente qui sont écrasés pendant l'ensemencement et qui finissent par engorger le semoir. Ce problème est issu de la pratique commune et inévitable qui consiste à conduire le tracteur sans égard aux chaumes sur pied (puisque les roues du tracteur sont plus larges que l'espace entre les lignes de la culture par semis direct).

 

[61]           Nous reconnaissons que, comme l'a déclaré la demanderesse, diverses méthodes ont été essayées pour résoudre ce problème, comme : l'augmentation de l'espace entre les organes ouvreurs; l'augmentation du nombre de rangées d'organes ouvreurs pour accroître l'espacement entre les organes individuels sur une rangée; le prolongement des organes ouvreurs eux-mêmes; et s'assurer que la longueur des chaumes sur pied est inférieure à l'espace entre les organes ouvreurs.

 

[62]           Toutefois, étant donné que la source du problème de blocage était bien connue, nommément l'écrasement des chaumes sur pied pendant l'ensemencement, nous sommes d'avis qu'une solution logique et immédiatement apparente aurait été de ne pas croiser les lignes, évitant ainsi d'écraser les chaumes sur pied (du moins pas avec les organes ouvreurs, les roues des tracteurs demeurant problématiques, peu importe la solution). Le problème que pose l'obligation de ne pas croiser les lignes était également commun dans les activités d'ensemencement par semis en ligne. Pour ce type d'ensemencement, ce problème était évité par l'utilisation de systèmes de guidage, qui détectent les tiges des plantes et orientent l'instrument de sorte à les contourner.

 

[63]           Par conséquent, nous estimons qu'à la date de la revendication, une personne versée dans l'art aurait immédiatement eu l'idée d'utiliser un système de guidage pour éviter de croiser les lignes, cette personne étant au courant des deux environnements, de la différence entre ceux-ci étant une question d'espacement entre les lignes. C'est cette idée (ou sa simple utilisation) qui a été revendiquée dans la présente demande. Nous la caractérisons de cette façon puisque comme nous l'avons vu à l'étape 3, les caractéristiques du système de commande de l'équipement énoncé dans les revendications étaient déjà connues et mentionnées dans plusieurs documents concernant la culture en ligne. La différence était que l'on ne savait pas qu'un tel système était utilisé pour l'ensemencement par semis dense direct.

 


[64]           Les revendications ne présentent aucun détail concernant l'élément de détection ni adaptation particulière d'un mécanisme de détection conventionnel pour la culture en ligne, permettant à un tel dispositif d'être utilisé pour guider un instrument entre des billons pour l'ensemencent par semis dense direct. L'élément de détection est revendiqué en des termes très généraux en tant que « capteur pour repérer les lignes ».

 

[65]           Par conséquent, même s'il y a eu des difficultés apparentes pour la personne versée dans l'art concernant l'utilisation d'un système de guidage associée à la culture en ligne pour l'ensemencement par semis dense direct (et à la lumière des preuves présentées ci-dessous dans la section « Réussite commerciale », cela semble le cas), les revendications n'abordent pas de telles difficultés de mise en œuvre.

 

[66]           Les revendications représentent, à notre avis, l'utilisation d'un appareil connu dans un domaine analogue. Dans Burt Business Form Ltd. c. Autographic Register System Ltd. [1933] S.C.R. 230, la Cour a déclaré ce qui suit :

 

[Traduction] Sans doute, la simple petitesse ou la simplicité d'un brevet ne l'empêchera pas d'être valide, mais si l'on applique un dispositif généralement connu à une utilisation analogue, sans ajouter de nouveauté au mode d'application, il est possible que l'on obtienne un produit utile, un produit qui, en un sens, est amélioré et nouveau, mais à moins de faire preuve d'inventivité, c'est-à-dire qu'en adaptant l'ancien dispositif il a fallu surmonter certaines difficultés ou il a fallu être ingénieux pour mettre au point le mode d'adaptation, on ne peut démontrer un objet de brevet valide.

 

[67]           La même chose a été exprimée ultérieurement par la Cour de l'échiquier dans l'affaire Sommerville Paper Boxes Ltd. v. Cormier (1939), 2 CPR 181; conf. (1940), 2 CPR 206 (SCC) :

 

Pour qu'une nouvelle utilisation d'un dispositif connu constitue un objet d'invention, il est indispensable que le nouvel usage soit tout à fait distinct de l'ancien et porte sur des difficultés pratiques que le breveté a, grâce à son ingéniosité inventive, réussi à surmonter; si le nouvel usage n'exige pas d'ingéniosité, mais qu'il est en quelque sorte analogue à l'ancien usage, bien qu'il ne soit pas exactement le même, il n'y a pas invention.

 


[68]           Le fait que l'invention peut reposer dans l'idée sous-jacente, ou dans l'application pratique de cette idée, est un principe bien connu du droit des brevets (Canadian Gypsum Co. v. Gypsum, Lime & Alabastine, Canada Ltd., [1931] Ex.C.R. 180).

 

[69]           Dans le cas qui nous occupe, nous sommes d'avis que le nouvel emploi n'est pas très distinct de l'ancien. Il s'agit d'un domaine très analogue, puisque, conformément à l'identification de la personne versée dans l'art comme étant « une personne compétente dans l'art des pratiques agricoles » et aux connaissances générales courantes de cette personne, celle-ci aurait été au courant des deux pratiques d'ensemencement, par semis en ligne et par semis dense direct, et de l'équipement connexe. Nous remarquons aussi que dans les observations du 22 novembre 2007, la demanderesse a fait référence à un document de janvier 1998 intitulé « Crop Rotations for Increased Productivity » (la rotation des cultures pour une productivité accrue), dans lequel il est question des avantages que procure la rotation des cultures pour les activités d'une entreprise agricole. On encourage la rotation entre les cultures en ligne et les cultures ensemencées par semis dense (voir la page 6 du document). Dans de tels cas, les deux méthodes sont exécutées pour une même exploitation agricole.

 

[70]           Quant aux difficultés pratiques, ou à l'application pratique inventive, les revendications ne précisent que l'utilisation de systèmes de guidage connus dans les activités de culture en ligne dans une application de culture ensemencée par semis dense direct.     

 

[71]           Dans les observations du 22 novembre 2007, la demanderesse a soutenu que, comme les cultures en ligne et les cultures ensemencées par semis dense sont des domaines d'activité distincts :

 

il ne serait donc pas évident de prendre une pratique courante dans la culture en ligne, comme l'équipement de guidage entre des lignes largement espacées, et de l'adapter à des cultures ensemencées par semis dense.

 

[72]           Dans le même ordre d’idées, la demanderesse a soutenu ceci dans ses observations du 25 novembre 2009 :

 

le guidage d'organes ouvrants entre des lignes de chaumes sur pied... s'avérait une tâche difficile à l'époque où le principe a été élaboré, et l'idée a été accueillie avec beaucoup de scepticisme.

 


[73]           Cependant, les revendications ne précisent aucune adaptation des systèmes de culture en ligne en vue d'un emploi pour l'ensemencement par semis dense, et si la tâche s'est avérée ardue, les revendications n'indiquent aucunement comment ces difficultés ont été surmontées.

 

[74]           Avant de tirer une conclusion définitive à l'étape 4 sur la question de l’évidence, nous abordons ci-dessous les autres points présentés par la demanderesse à l'appui du caractère non évident des revendications. Ces points concernent l'application de l'évaluation de la question de « l’essai allant de soi », tel qu'il est énoncé dans Sanofi, et des facteurs particuliers qui ont été désignés par les tribunaux comme s'appliquant à l'examen des critères relatifs à l'évidence.

 

Essai allant de soi

 

[75]           Dans les observations du 25 novembre 2009, la demanderesse a présenté des arguments concernant l'évaluation de la question de « l'essai allant de soi » énoncée dans Sanofi. Cependant, l'examinateur n'avait jamais appliqué une telle analyse pendant l’instruction d'une demande. Nous ne voyons pas comment une telle évaluation serait nécessaire en l'espèce, puisqu’aucun élément revendiqué n'indique qu'une expérimentation a été requise pour en arriver à l'invention. Comme nous l'avons indiqué, les revendications ne précisent aucune adaptation aux systèmes de guidage connus qui supposerait une quelconque expérimentation. Même si une adaptation était nécessaire, cela ne suppose pas nécessairement qu'une évaluation de la question de « l'essai allant de soi » est requise (Wenzel Downhole Tools Ltd. v. National Oil Well Canada Ltd 2012 FCA 333, au paragraphe 97).

 

[76]           Nous notons également dans les mêmes observations que la demanderesse formule des commentaires sur des facteurs comme « le domaine d'activité concerné » et « la motivation », facteurs qui ont été présentés comme faisant partie de l'examen des critères relatifs à l'évidence dans l'affaire Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 FCA 217 au paragraphe 25 (« Janssen »).

 


[77]           En ce qui concerne le domaine d'activité concerné, la demanderesse soutient que l'invention a été accueillie avec « scepticisme ». Cependant, comme il est indiqué ci-dessous dans la discussion sur la réussite commerciale, nous sommes d'avis que cette réaction était plutôt due au fait que le système de guidage était en réalité conçu pour l'ensemencement par semis dense direct et non à la simple idée d'utiliser un tel système.

 

[78]           En ce qui concerne la motivation, nous sommes d'accord pour dire qu'il y avait une motivation pour résoudre le problème de blocage. Comme nous l'avons déjà établi, cette motivation aurait mené une personne versée dans l’art à penser à utiliser le guidage entre les lignes de chaumes sur pied pour l'ensemencement par semis dense direct.

 

Réussite commerciale

 

[79]           La demanderesse soutient, dans ces récentes observations du 28 février 2012 ainsi que dans des observations précédentes datées du 29 août 2008, que la réussite commerciale de son semoir et du produit connexe « Smart Hitch » (qui consiste en une amélioration des étapes de détection et de guidage présentées dans les revendications) est indicative de l'esprit inventif des revendications.

 

[80]           Nous convenons du fait que la réussite commerciale est un facteur secondaire à évaluer dans un examen des critères relatifs à l'évidence (Janssen). Cependant, dans cette affaire, la Cour a indiqué que de tels facteurs secondaires ont généralement moins de poids que les autres.

 

[81]           Dans l'examen des publications soumises par la demanderesse, nous estimons que la réussite commerciale dont semble jouir le produit « Smart Hitch » semble liée aux détails du mécanisme de détection, lesquels font de l'appareil un outil qui convient particulièrement au guidage d'un semoir pour l'ensemencement par semis dense direct. Toutefois, ces détails ne figurent pas dans les revendications en instance.

 


[82]           Par exemple, l'extrait de Grainnews (juin 2005) intitulé « Seeding between rows boosts yields, cuts costs » explique comment l'inventeur Norbert Beaujot a essayé le mécanisme d'attache sur le terrain pendant six ans avant de le mettre sur le marché. Le produit qui a été lancé comprend un mécanisme de détection comportant deux disques en métal qui glissent le long du sol de manière indépendante, chevauchant des sillons espacés de 5 pouces. Le mouvement d'un disque envoie un signal de correction au cylindre hydraulique qui déplace le semoir.

 

[83]           Dans le même ordre d’idées, un article du magazine FARMING (14 juillet 2005) intitulé « Stop double stubble trouble » explique l'évolution du « Smart Hitch », y compris la nécessité de prévoir une précision de détection au pouce près afin que le système de détection puisse fonctionner pour l'ensemencement par semis dense direct. Cette exigence n'est aucunement mentionnée dans la demande de brevet. Selon à l'article, on a d'abord utilisé pour le mécanisme de détection une paire de pales en aluminium fixées à un bras chevauchant une ligne simple de chaumes sur pied, après quoi des disques ont été utilisés pour chevaucher des lignes de foin (comme il est présenté dans l'article susmentionné).

 

[84]           Un autre article du magazine WHEAT OATS & BARLEY (février 2006) intitulé « Seed between the stubble for a better crop start » porte sur les avantages du produit commercial « Smart Hitch ». Il y est question de l'attache relativement à son utilisation dans le semoir commercial de la demanderesse, le « Seed Master » qui, selon l'article, comporte des avantages par rapport aux autres semoirs.

 

[85]           La demanderesse a aussi produit un document avec ses observations du 29 août 2008, lequel illustre un dispositif mis en marché par Seed Hawk, un concurrent, qui utilise un mécanisme de détection semblable à celui du produit Smart Hitch.

 

[86]           Même si l'attache (c.-à-d. Smart Hitch) que la demanderesse a mis en marché semble avoir connu un certain succès commercial et qu'elle ait peut-être même été imité par un concurrent, le comité n'est pas d'avis que ces résultats découlent de la simple utilisation d'un système de guidage pour l'ensemencement par semis dense direct, comme il est revendiqué. Nous comprenons de ces publications qu'un mécanisme de détection particulier est nécessaire pour surmonter la difficulté associée à l'alignement avec les lignes de culture dont l'espacement peut être aussi étroit que 6 pouces.

 


[87]           Cependant, comme il a été indiqué précédemment aux paragraphes [64] et [65], les revendications ne fournissent aucun détail sur le mécanisme de détection, détails qui selon nous ont mené à la réussite commerciale de l'attache (à la lumière de notre analyse ci-dessus des publications soumises par la demanderesse). Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure d'établir un lien de cause à effet entre l'objet revendiqué et la réussite commerciale du dispositif mis en marché, ce qui pointerait vers le caractère inventif de la méthode revendiquée.

 

Conclusion

 

[88]           À la lumière de ce qui précède, nous concluons que les revendications 1 à 15 auraient été évidentes et donc non conformes à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION

 

[89]           À la lumière de ce qui précède, la Commission recommande que la demande soit rejetée, puisque les revendications 1 à 15 auraient été évidentes et donc non conformes à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

 

 

Stephen MacNeil             Andrew Strong              Cara Weir

Membre                   Membre                   Membre

 


DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

[90]           Je suis d'accord avec les conclusions de la Commission d’appel des brevets et ses recommandations, à savoir que la demande doit être rejetée, puisque les revendications 1 à 15 auraient été évidentes et donc non conformes à l'article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[91]           Par conséquent, je refuse d’accorder un brevet dans le cadre de la présente demande. En vertu de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur a six mois pour faire appel de ma décision auprès de la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

ce 24e jour de mars 2014

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.