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Commissioner’s Decision # 1355

Décision du Commissaire no 1355

 

 

 

 

 

 

 

TOPIC: J-00, J-10

SUJET : J-00, J-10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Application No: 2,493,971

Demande no : 2,493,971

 


 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

Ayant été rejetée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2,493,971 a fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le commissaire aux brevets. La recommandation de la Commission et la décision du Commissaire s'énoncent ainsi :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent de la demanderesse :

 

Norton Rose Fulbright Canada LLP

1, Place Ville-Marie, bureau 2500

Montréal (Québec)  H3B 1R1

 

 

 

 


Introduction

 

[1]               La présente décision traite d'une révision des conclusions de l'examinateur dans le cas de la demande de brevet canadien n2,493,971 intitulée « Processeur de protocole de ventes aux enchères automatisées » déposée le 3 décembre 1997 présentement attribuée à CFPH LLC; Cantor Fitzgerald, L.P. La demande porte sur un système informatisé d'enchères (ou cotation) à la criée, tel qu'utilisé sur le marché des titres à revenu fixe par lequel un négociant peut se prévaloir d'un « second regard » lui permettant de modifier son offre ou enchère à la lumière d'un changement récent dans les circonstances de la mise aux enchères.

 

[2]               L'examinateur responsable a rendu une décision finale (DF) le 7 avril 2009 dans laquelle il rejette la demande au motif qu'elle vise un objet non brevetable au sens de la Loi. Considérant que la réponse de la demanderesse à la DF ne corrigeait pas les irrégularités signalées, l'examinateur a, le 29 septembre 2011, acheminé à la Commission d'appel des brevets (« la Commission ») la demande et un résumé des motifs (RDM). Le RDM maintenait le rejet de la demande pour les mêmes motifs que ceux évoqués dans la DF, mais ajoutait de nouveaux motifs fondés sur l'absence d'étayage en vertu de l'article 84 des Règles sur les brevets. Le RDM a été acheminé à la demanderesse, le tout accompagné d'une invitation à une audience.

 

[3]               Au début de 2013, compte tenu de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Amazon.com, inc., 2011 CAF 328 (Amazon), le Bureau a publié deux énoncés de pratique portant sur l'interprétation téléologique et l'objet brevetable. En juin 2013, un comité de trois membres de la CAB a été formé (« le comité ») et a demandé à l'examinateur de soumettre une analyse supplémentaire (AS) afin de mettre à jour les motifs de rejet fondés sur une interprétation téléologique des revendications. L'analyse supplémentaire a été envoyée à la demanderesse le 28 juin 2013.

 

[4]               En réponse à l'analyse supplémentaire, la demanderesse a soumis des observations écrites avant la tenue d'une audience sur la demande, laquelle a eu lieu devant le comité le 20 septembre 2013.

 

[5]               À la conclusion de l'instruction décrite plus haut, deux questions doivent être tranchées par le comité :

 

·       Les revendications 1 à 58 visent-elles un objet non brevetable et sont-elles, par conséquent, non conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets?


·       Les revendications 1, 3 à 8, 10 à 18, 25 à 37, 43 à 46 et 48 à 57 ont-elles une portée plus étendue que la description et les dessins et sont-elles, par conséquent, non conformes à l'article 84 des Règles sur les brevets?

 

[3]               Pour les motifs énoncés plus bas, nous en arrivons à la conclusion que le rejet de la demande au motif qu'elle vise un objet non brevetable au sens de la Loi doit être maintenu; ce motif suffit donc pour statuer sur la demande. Il n'est donc pas nécessaire de trancher la seconde question. Toutefois, compte tenu de notre examen et de notre interprétation des revendications (ci-dessous), nous aurions conclu que les motifs de rejet fondés sur l'article 84 des Règles sur les brevets auraient été infirmés.

 

Contexte

 

[4]               La demande porte sur les méthodes et les systèmes associés pour l'exécution d'un processus de cotation ou de ventes aux enchères à la criée, comportant une fonctionnalité appelée « état de second regard ». Comme l'explique la présentation du contexte de l'invention (pages 2 à 5), une vente aux enchères à la criée est une méthode de négociation réunissant acheteurs et vendeurs, traditionnellement en un même lieu, et souvent menée par un courtier ou un encanteur. Les offres (enchères) sont déposées verbalement par de multiples acheteurs jusqu'à ce que l'article soit vendu à l'enchérisseur le plus offrant, ce qui établit un prix courant pour l'article.

 

[5]               Les premières enchères à la criée vendaient des articles, tels que meubles, œuvres d'art ou biens durables. Au fil du temps, les ventes aux enchères à la criée ont été modifiées pour la négociation de produits et de contrats financiers, y compris des valeurs à revenu fixe telles que les obligations et les bons du Trésor. De tels contextes d'échanges mettent en présence un grand nombre de participants et un fort volume de transactions se déroulant à un rythme rapide.

 

[6]               L'état de second regard est un processus d'enchère additionnel conçu pour déceler un changement très récent dans une transaction (p. ex. un volume supplémentaire) par un second participant après qu'un premier participant a déjà accepté la transaction originale. Cela donne au premier participant la possibilité d'accepter, refuser ou modifier sa transaction en attente, et ce, même s'il a déjà signifié son acceptation. D'aucuns pourraient considérer ce second regard comme étant un moyen de « se dérober » à une transaction engagée que l'acheteur/vendeur pourrait ne pas avoir eu l'intention de conclure ou voulu accepter. De cette manière, le récent changement de position n'a pas nécessairement pour effet de nuire au négociateur ou de le désavantager sur le plan financier.

 


[7]               On comprend mieux cette caractéristique de l'étape de second regard eu égard à l'invention revendiquée : la revendication 1 est représentative de la méthode proposée mise en œuvre par un système d'enchères informatisé :

 

1. [TRADUCTION] Une méthode, mise en œuvre par un système informatique programmé en vue de négocier une quantité d'articles entre divers participants, comprenant :

a) la fourniture d'un système d'enchères/offres pour permettre aux participants d'accéder au système d'enchères et d'offres aux prix et quantités choisis pour l'article en vente;

b) la présentation des enchères et des offres aux participants;

c) la réception d'une prise de position (achat ou vente) de la part d'un premier participant, en réponse aux enchères et offres présentées, en vue d'effectuer une transaction portant sur une quantité désirée d'articles au prix désiré;

d) en réponse au premier ordre de négociation, passage de l'état de système d'enchères/offres à un état de système de négociation afin d'effectuer une transaction portant sur l'article à un prix déterminé correspondant au prix désiré, et d'effectuer la transaction en réponse à un ordre de négociation additionnel concernant une quantité supplémentaire d'articles au prix déterminé;

e) la transition, si une enchère ou offre qui a trouvé preneur à la suite du premier ordre de négociation n'est pas échue, à un état de système de second regard permettant au premier participant de refuser de négocier au moins une partie de la quantité d'articles associée à l'enchère ou à l'offre non échue.

 

[8]               Aux étapes a) et b), un état d'enchère/offre est fourni aux fins de présentation et de réception d'enchères et d'offres entre les participants, une fonctionnalité commune à plusieurs méthodes de vente aux enchères. À l'étape c), un processus d'enchères reçoit un ordre de prise de position de la part d'un premier participant (l'« attaquant » du marché) pour une quantité donnée d'un article et à un prix donné. Un ordre de vente (« hit ») est un ordre signalant l'acceptation d'une enchère en instance tandis qu'un ordre d'achat (« lift ») est un ordre signalant l'acceptation d'une offre en instance. À la suite de cette étape, au début de l'étape d), le processus passe dans un état de négociation au sein duquel les transactions décrites plus haut sont exécutées avec le premier participant au volume et au prix de l'enchère. Si rien n'est modifié dans un laps de temps préétabli, cela conclut cette transaction.

 


[9]               L'étape d) précise davantage la situation pour tenir compte d'un ordre de négociation additionnel qui est signalé dans le processus des enchères en cours. Le second ordre de négociation prend une position sur un volume additionnel à la quantité couverte par la transaction (enchère ou offre). Il est possible que le premier participant ignorait le volume additionnel lorsqu'il a lancé son premier ordre de négociation (vente ou achat) puisque le second ordre de négociation a été lancé immédiatement avant que le premier participant ne fasse état de sa prise de position (vente ou achat).

 

[10]           Ainsi, à l'étape e), le processus des enchères passe dans un état de second regard de manière à prendre en compte le volume additionnel à la condition que cela survienne dans un certain laps de temps après le premier ordre de négociation (c.-à-d. que le premier ordre ne soit pas arrivé à échéance). Dans l'état de second regard, l'attaquant pourrait choisir de refuser au moins une part du volume additionnel. Cela offre la possibilité à l'attaquant de modifier une transaction qui n'était pas voulue et qui était le résultat d'une modification récente.

 

Question :       Les revendications 1 à 58 visent-elles un objet non brevetable et sont-elles, par conséquent, non conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets?

 

[11]           Dans l'arrêt Amazon, la Cour a examiné la question de l'identification d'un objet brevetable et a souligné (au para. 43) que la jurisprudence de la Cour suprême requiert que l’identification de l’invention réelle par le commissaire soit fondée sur une interprétation téléologique des revendications du brevet. Par conséquent, avant de trancher la question en litige, le comité doit d'abord examiner la question de l'interprétation téléologique des revendications 1 à 58.

 

[12]           Comme l'indique la revendication 1 présentée plus haut, l'invention revendiquée concerne un processus de ventes aux enchères, défini pour un ou plusieurs états mis en œuvre sur divers composants informatiques. Notre interprétation, présentée dans les paragraphes qui suivent, cherche à savoir si ces composants informatiques sont essentiels à l'invention revendiquée. Parce que nous en sommes arrivés à la conclusion que ces composants sont non essentiels (voir para. 55 ci-après), nous n'avons pas à effectuer l'interprétation des éléments additionnels des revendications portant sur le processus de vente aux enchères puisque nous sommes en mesure d'en arriver à une conclusion sur la question de la brevetabilité sans une telle interprétation.

 

Interprétation téléologique :

 

Aperçu

 


[13]           Comme il a déjà été mentionné, le Bureau a publié deux énoncés de pratique au début de 2013 à la lumière de l'arrêt Amazon. L'énoncé de pratique 2013-02 « Pratique d’examen au sujet de l'interprétation téléologique » daté du 8 mars 2013 [PN2013-02] fournit une orientation sur la manière d'effectuer l'interprétation téléologique des revendications fondées sur les conclusions de l'arrêt Amazon. L'énoncé de pratique 2013-03 « Pratique d'examen au sujet des inventions mises en œuvre par ordinateur » daté du 8 mars 2013 [PN2013-03] fournit une mise à jour sur la question de la détermination de la brevetabilité d'un objet à la lumière d'une interprétation téléologique des revendications. Les énoncés de pratique sont préparés à l'intention des employés selon les instructions du commissaire aux brevets. Les deux énoncés visent aussi à informer les requérants et les inventeurs de l'interprétation que fait le Bureau de la jurisprudence sur ces deux questions.

 

[14]           Comme résumé dans PN2013-02, l'interprétation téléologique d'une demande de brevet détermine le sens des termes employés dans les revendications ainsi que les éléments qui sont essentiels à l'invention. L'interprétation téléologique repose sur une approche équilibrée et éclairée en tenant compte de l'ensemble du mémoire descriptif tel que lu par la personne versée dans l'art, à la lumière des connaissances générales courantes (CGC) dans le ou les domaines auxquels l'invention a trait, et en se fondant sur une compréhension du problème et de la solution identifiés par la demande. Une fois identifiée, la solution éclaire la détermination des éléments qui sont essentiels à l'invention revendiquée. Bien que certains éléments d'une revendication puissent avoir une influence appréciable sur le fonctionnement de la matérialisation de l'invention revendiquée, ils peuvent ne pas être essentiels (c.-à-d. qu'ils peuvent être absents ou modifiés) au fonctionnement de l'invention et dans l'atteinte de la solution au problème.

 

[15]           La demanderesse a soutenu que l'examinateur avait erré en ignorant la primauté du libellé de la revendication et en centrant l'examen sur une certaine « invention réelle » qui excluait certains des éléments explicitement mentionnés dans les revendications. La demanderesse soutient qu'il est erroné de simplement extraire des caractéristiques des revendications et qu'une interprétation téléologique éclairée présumerait que la volonté de l'inventeur de revendiquer certains éléments signifie qu'ils sont présumés essentiels et ne peuvent donc pas être omis.

 


[16]           Comme la pratique du Bureau le confirme, l'interprétation téléologique est ancrée dans le libellé des revendications; toutefois, comme cela est expliqué dans Amazon (para. 43), une conclusion tirée quant à ce qui constitue l’invention ne peut être fondée uniquement sur une lecture littérale des revendications. Un élément n'est pas automatiquement considéré comme étant essentiel, en raison de sa seule mention dans le libellé de la revendication telle que rédigée par l'inventeur. Une telle approche ignorerait l'orientation donnée par la CAF dans Amazon. Le comité ne partage pas l'avis de la demanderesse selon laquelle l'intention de l'inventeur est un facteur dominant pour trancher la question de savoir si un élément est essentiel ou non (voir PN2013-02, note de bas de page 19). Nous pouvons plutôt, comme l'indique l'énoncé de pratique, déterminer si un élément est essentiel en voyant s'il peut être modifié ou omis sans que cela ait une influence appréciable sur l'invention. Un élément peut être considéré comme étant non essentiel si son omission n'avait aucune influence appréciable sur le fonctionnement de l'invention.

 

[17]           En ce qui concerne la conclusion de l'examinateur quant à une « invention réelle », nous nous appuyons encore à Amazon (para. 42) pour affirmer que le commissaire peut demander ou déterminer ce que l'inventeur a réellement « inventé », mais que toute conclusion tirée sur la nature de l'invention doit être fondée sur une interprétation téléologique des revendications. Comme le montre la pratique habituelle du Bureau, on comprend l'invention réelle comme étant la solution utilisable à un problème concret. Les éléments ou la combinaison d'éléments divulgués dans une revendication qui sont requis pour fournir la solution utilisable au problème concret constituent les éléments essentiels de l'invention réelle.

 

[18]           Après analyse des arguments présentés par la demanderesse, nous appliquons les principes de l'interprétation téléologique exposés plus haut aux faits dans la présente affaire. Par conséquent, nous analysons le mémoire descriptif dans son ensemble afin de comprendre le contexte de l'invention, les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art au moment de la revendication et, enfin, le problème et la solution mise de l'avant dans la demande.

 

La personne versée dans l'art et les connaissances générales courantes (CGC)

 

[19]           La question des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art n'a pas été abordée au cours de l'examen de la demande. Toutefois, compte tenu des affirmations à la page 1 du mémoire descriptif et à la page 2 de l'analyse supplémentaire de l'examinateur, le comité estime que cette personne a des connaissances dans les domaines des processus et pratiques d'échanges financiers ainsi que dans les systèmes de traitement informatisé de données financières.

 

[20]           Les CGC de cette personne incluraient l'utilisation d'ordinateurs et de réseaux dans un environnement financier, notamment de postes de travail reliés à des serveurs centraux au sein d'un réseau ou sur une liaison de communication. Les CGC comprendraient également une connaissance des méthodes classiques de vente aux enchères à la criée telles que décrites aux pages 1 à 5 du mémoire descriptif dans le cadre de la présentation du contexte de l'invention. Cela inclurait une connaissance de la terminologie et des processus d'échanges financiers (enchères, offres, ventes, achats, conditions normales du marché, etc.) associés au marché des titres à revenu fixe. Les CGC comprendraient, en dernier lieu, l'utilisation d'ordinateurs pour la saisie de données relatives aux ventes aux enchères à la criée (page 4 du mémoire descriptif).


 

[21]           L'analyse supplémentaire affirme qu'il est bien connu que les ordinateurs pilotent des systèmes d'échanges évolués qui automatisent les transactions lorsque des critères préétablis sont satisfaits. Pour étayer ces affirmations, l'analyse supplémentaire cite cinq (5) documents d'antériorité à titre de références pertinentes (D1 à D5); l'analyse supplémentaire affirme que l'ensemble de ces références montre que les systèmes informatisés en réseau prenant en charge ou pilotant les échanges financiers (y compris les enchères) font partie des CGC. L'examinateur en tire la conclusion que le matériel divulgué dans la demande est courant.

 

[22]           La demanderesse soutient que les références ne font que confirmer que les systèmes d'échanges informatisés étaient connus et qu'ils ne rendent pas « courante » la plateforme matérielle revendiquée comportant une logique de pilotage complexe. De plus, la demanderesse se demande si l'analyse supplémentaire n'avance pas des arguments sur la nouveauté ou l'évidence pour soulever le problème de la brevetabilité.

 

[23]           Or, sur ce dernier point, le comité ne partage pas les inquiétudes de la demanderesse. L'énoncé de pratique PN 2013-02 énonce clairement que la prise en compte des CGC vise uniquement à éclairer la compréhension du problème et de la solution décrits dans une demande et non pas à retirer d'une demande des éléments considérés comme étant connus ou évidents. La question de la détermination de la brevetabilité d'un objet est distincte de celle de l'évidence ou de la nouveauté. Selon nous, l'analyse de l'examinateur a respecté cette distinction.

 

[24]           Le comité est d'accord avec la caractérisation du matériel comme étant « courant ». Nous constatons que la demande divulgue (page 12) que l'invention considère faire appel à des systèmes pilotés par microprocesseur courants, notamment un « PC piloté par un processeur Pentium® » utilisant le système d'exploitation OS/2®. La demande ne donne aucune autre description d'un matériel en particulier (à l'exception d'une référence à un clavier spécialisé qui fait l'objet d'une demande en co-instance). Le fait qu'une logique de programmation donnée tourne ou non sur un quelconque matériel informatique ne rend pas automatiquement le matériel non courant.

 


[25]           Quant aux références citées, nous estimons qu'elles sont pertinentes pour établir que les CGC incluaient l'utilisation de composants informatiques dans une diversité de systèmes informatiques évolués pour la négociation et la vente aux enchères de valeurs mobilières. Nous sommes d'avis qu’à la date de publication de la demande, les règles traditionnelles de la vente aux enchères à la crée étaient connues, que des ordinateurs et des réseaux étaient employés à grande échelle dans les systèmes informatisés d'échanges financiers, y compris dans des systèmes de vente aux enchères et que, de plus, les processus et règles pour le pilotage de ventes aux enchères par des méthodes informatisées étaient bien établis. Il s'agissait là de connaissances générales courantes.     

 

Le problème concret

 

[26]           Aux pages 3 à 5 du mémoire descriptif, on trouve un exposé de divers problèmes liés aux méthodes de vente aux enchères de titres à revenu fixe. À mesure que ces marchés de titres à revenu fixe ont cru et se sont diversifiés, la vitesse et le volume des échanges ont augmenté. De plus, les premières ventes aux enchères se faisaient « à la criée », mettant physiquement en présence des négociants, ce qui permettait aux personnes parlant le plus fort de dominer et d'influencer indûment le marché. Enfin, à mesure que le volume et la vitesse des échanges augmentaient, et que les systèmes informatisés ont été déployés, des erreurs humaines pouvaient survenir lors de la saisie de données, ce qui pouvait entraîner d'importantes répercussions sur le plan financier. Comme nous l'avons démontré plus haut, plusieurs approches, s'appuyant sur les connaissances générales courantes, ont fait appel à des ordinateurs pour automatiser plusieurs des processus des ventes aux enchères; la personne versée dans l'art se serait généralement attendue à ce que de telles méthodes automatisées soient mises en œuvre afin de réduire les erreurs humaines dans le processus des échanges financiers.

 

[27]           Toutefois, la demande (page 5) détecte un autre problème auquel les négociants sont confrontés dans un environnement d'enchères automatisées et qui est soulevé dans les présentes revendications. Il y est mentionné que les participants à une enchère peuvent changer d'avis ou leurs intentions concernant une transaction, dont la position a été modifiée (tel que le volume offert ou demandé). Cela crée une situation où un participant, ayant déjà annoncé une demande ou une offre, pourrait vouloir modifier sa position ou son engagement antérieur à acheter ou à vendre une transaction donnée à la lumière d'une récente modification effectuée par un autre participant. Le mémoire descriptif affirme (page 5) que [TRADUCTION] « changer de position ou se retirer d'une transaction à laquelle on s'est engagé à très court préavis est souvent difficile dans un processus traditionnel de vente aux enchères ».

 


[28]           On trouve à la page 24 du mémoire descriptif une clarification plus poussée du problème : [TRADUCTION] « On comprendra que les décisions des clients dans le marché sont souvent prises rapidement - et il arrive à l'occasion que des changements de position surviennent simultanément... une telle situation peut s'avérer très perturbatrice sur un marché à évolution rapide ». À titre d'exemple, supposons qu'un premier participant accepte une enchère (achète) d'une grandeur donnée de la part d'un second participant immédiatement après que le second participant ait considérablement augmenté la taille de l'enchère. Cela serait perturbateur dans le sens où le fait d'acheter (ou de vendre) une quantité plus grande que prévu peut entraîner d'importantes répercussions ou difficultés financières.

 

[29]           La demanderesse soutient que ces conditions peuvent créer un problème concret, dans le monde réel, lorsque des méthodes et systèmes de vente aux enchères automatisés sont utilisés. Nous sommes d'accord en partie : il est possible, dans une vente aux enchères à la criée à rythme rapide, que surviennent des changements simultanés de positions, entraînant des problèmes pour les négociants si un changement dans la position survient après qu'ils se soient engagés à la transaction.

 

[30]           Cependant, nous ne considérons pas que ce problème soit nécessairement lié à un quelconque aspect de l'informatisation du processus de la vente aux enchères. Il semble plutôt qu'il s'agisse d'un problème inhérent aux protocoles et aux règles de la vente aux enchères : plus la cadence et la grandeur de la vente augmentent, plus les probabilités qu'il y ait des enchères non voulues sur des positions modifiées sont élevées (pages 5 et 24 du mémoire descriptif). Nous considérons que, même dans une vente aux enchères à la criée non automatisée se déroulant dans un grand lieu, le problème d'une enchère non voulue à la suite d'un changement de volume ou de position peut très bien se présenter, malgré l'absence d'un environnement informatisé. De plus, le mémoire descriptif ne semble pas relier le problème à aucune défaillance particulière des systèmes d'échanges informatisés, mais aborde plutôt une lacune du processus de vente aux enchères comme tel.

 

[31]           Nous reconnaissons, à la lumière de notre lecture du mémoire descriptif, que le problème est identifié dans le contexte de systèmes de vente aux enchères automatisés connus à la date de publication. Nous reconnaissons que le recours à des systèmes informatisés automatisés ait pu, à ce moment-là, exacerber le problème signalé, mais le problème concret, tel qu'il est présenté dans le mémoire descriptif, semble confiné au seul processus de la vente aux enchères et non pas relié intrinsèquement au système informatisé.

 

[32]           En conséquence, le problème est le suivant : dans un processus de vente aux enchères à la criée, mené à forte cadence et où surviennent des changements de position simultanés, dès qu'une transaction est acceptée, un participant pourrait ne pas pouvoir aisément se désister ou modifier cette transaction, et ce, malgré que la transaction ait été fraîchement modifiée. Il peut s'ensuivre que le participant échange un volume plus grand que prévu.

 


La solution proposée par la demande

 

[33]           Nous nous appuyons principalement sur notre lecture du mémoire descriptif pour comprendre, à la lumière des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art, la nature de la solution apportée au problème concret. À la page 24 et à la figure 9, on trouve une description d'un état de second regard présenté comme étant la solution au problème. Dans l'éventualité où, au cours du traitement, survient un changement de position, tel qu'une augmentation du volume de l'enchère immédiatement avant que le premier participant ait accepté l'enchère, le système distingue l'enchère/offre la plus récente des entrées précédentes au moyen d'une « minuterie d'ancienneté ». Cette minuterie logique suit les enchères/offres en instance et crée un état de second regard dès que l'écart entre la première enchère/offre et le changement de position est inférieur, par exemple, à deux secondes (des variantes de cette temporisation sont envisagées comme lorsqu'une transaction est arrivée ou non à échéance, a été récemment modifiée ou non, ou encore est survenue dans un laps de temps prédéterminé, etc.).

 

[34]           Le mémoire descriptif s'attarde aux particularités de la logique activant diverses règles et procédures du processus des enchères et, en particulier pour ce qui est de la présente demande, la logique et les règles sous-jacentes à la fonctionnalité de second regard. Le mémoire descriptif ne divulgue aucun problème technique épineux ne concernant ni la mise en œuvre informatisée des processus d'enchères ni l'automatisation d'une fonctionnalité de second regard.

 

[35]           À la page 2 de l'analyse supplémentaire, il est affirmé que la solution proposée est un ensemble de règles d'échange, employées et mises en application par un système automatisé. L'ensemble de règles comporte cinq états, chacun avec son propre protocole pour le comportement des échanges et le passage à un autre état. L'état de second regard est un de ces états.

 

[36]           L'examinateur a conclu que, bien que la solution soit appliquée ou utilisable sur un système informatisé (y compris des serveurs et de terminaux en réseau), ces composants ne forment que l'environnement de travail pour la réalisation la plus probable ou courante du processus d'enchère. L'examinateur est arrivé à la conclusion que la solution est, par conséquent, la règle ou le protocole d'échange proposé.

 

[37]           La demanderesse soutient (observations écrites, pages 9 et 10) que la solution comprend un « dispositif matériel personnalisé » avec une « logique de programmation » en vue de configurer le matériel pour fournir un ou plusieurs aspects de l'état de second regard.


 

[38]           La différence entre ces deux affirmations concernant la solution apportée au problème est le fait que la demanderesse propose que la solution réside dans un matériel spécialement configuré. Alors que l'invention est divulguée en lien avec une « logique de contrôle », nous concluons que la logique concerne divers protocoles ou règles pour les étapes des échanges ou des enchères, et n'est liée au contrôle d'aucun matériel personnalisé. La logique est décrite spécifiquement pour un état de second regard qui détermine si une enchère/offre a été modifiée immédiatement avant que le participant ne conclue la transaction. Cela permet au participant de modifier la transaction (p. ex., « se désister »). Cela contourne le problème d'échanges effectués à cadence rapide au sein desquels peuvent survenir des changements de position simultanés.

 

[39]           Nous ne sommes pas d'accord avec l'affirmation voulant qu'un quelconque matériel représente une part de la solution. À la lumière de notre analyse, nous partageons l'avis de l'examinateur : la solution réside dans les protocoles ou les règles encadrant le processus d'enchère ou d'échange, y compris un état de second regard.

 

Les matérialisations revendiquées      

 

[40]           Le dossier comporte 58 revendications. Nous nous reportons à la revendication 1 (para. 10 ci-dessus) pour fonder une interprétation téléologique : la revendication 1 représente une réalisation du concept de second regard. La première observation consiste en une référence explicite à une méthode mise en œuvre par ordinateur et mettant en présence ce qui semble être des « états » d'ordinateur. Toutes les revendications indépendantes définissent de manière générale un processus de vente aux enchères à la criée en termes de divers « états » dans une méthode mise en œuvre par ordinateur. Les revendications 8, 14, 20, 25, 29, 34, 38 48, 49, 50, 51 et 52 définissent toutes, de manière explicite, une méthode « mise en œuvre par un ordinateur programmé ». Les revendications 43, 46, 53, 54, 55 et 58 définissent toutes des systèmes para-informatiques comprenant des postes de travail, des réseaux et des serveurs. Comme nous l'avons déjà mentionné, la description n'attribue aucune caractéristique ou qualité unique à ces éléments autres que leurs significations traditionnelles. Bien que la demanderesse prétend que le matériel est spécialement configuré, nous en sommes arrivés à la conclusion que le matériel est composé de composants d'ordinateur classiques utilisés pour prendre en charge une logique de programmation représentant les règles de mise aux enchères.

 


[41]           La revendication 1 (de même que toutes les revendications indépendantes) définit divers « états » tels qu’ « état d'enchère/offre » et l'« état de second regard ». Le mémoire descriptif (pages 8 et 14) énumère cinq états qui déterminent les choix dont disposent les participants à l'enchère; au moment du passage à un état donné, les protocoles sont modifiés et de nouvelles règles encadrant l'enchère s'appliquent. Le but visé est de contrôler de manière efficace le flux de la vente enchères. Même si les états sont aussi décrits en termes de logique de contrôle pour des postes de travail informatiques, il est possible de considérer les états comme définissant les diverses étapes du processus de la vente aux enchères, chaque étape ayant ses propres protocoles.

 

[42]           Il s'ensuit que la revendication représentative 1 définit la solution que nous avons identifiée lorsque mise en œuvre par un ordinateur : un processus de vente aux enchères qui fournit un état de second regard, lequel s'active lorsqu'une modification à une enchère/offre est survenue immédiatement avant qu'un participant ait lancé un ordre d'échange.

 

[43]           Les autres revendications indépendantes définissent d'autres modèles de réalisation de l'invention en ce qui concerne les méthodes mises en œuvre par ordinateur et de systèmes informatiques. Les revendications incluent diverses combinaisons de postes de travail informatiques et de terminaux distants connectés à des serveurs centraux, par le truchement de réseaux informatiques.

 

[44]           Avant de conclure l'interprétation des revendications, il convient d'aborder une question soulevée par l'examinateur, à savoir l'utilisation dans les revendications indépendantes de définitions variables des états. L'examinateur, lorsqu'il a abordé une question de conformité avec l'article 84 des Règles sur les brevets, a établi que certaines de revendications au dossier ne définissent pas l'état de second regard de la même manière que le fait le libellé de la page 24 du mémoire descriptif. Cela contraste avec les propos de la demanderesse qui, dans toutes ses observations, semblait mettre l'accent sur la solution du second regard pour toutes les revendications.

 


[45]           Dans le cadre de son interprétation téléologique, le comité a examiné le mémoire descriptif pour y trouver un appui à l'objet revendiqué et comprendre le processus de vente aux enchères spécifique revendiqué. Nous appuyant sur une interprétation large de l'objet divulgué à la page 24 du mémoire descriptif, nous concluons que chaque revendication indépendante définit une variante de l'état de second regard. Chaque revendication définit une condition où un échange est échu ou non, est modifié ou non, modifié dans un certain laps de temps ou non, ou encore où un échange est survenu alors qu'il n'était pas voulu. Le mémoire descriptif (page 24) fait référence à des changements de position qui surviennent presque simultanément, ce que l'on comprend comme voulant dire presque en même temps qu'un échange récent ou précédemment accepté par un attaquant. Enfin, ce qui concerne les diverses manières qu'il y a de modifier la transaction à la suite du second regard (acheter/vendre toute la quantité, une certaine quantité, etc.), nous concluons que chaque revendication indépendante définit ces variantes à la lumière de l'interprétation large de l'état de second regard divulgué à la page 24.

 

[46]           Bien que nous ayons lu et interprété toutes les revendications, il n'est pas nécessaire d'énumérer ici les résultats pour chaque revendication indépendante. Les questions pertinentes à l'interprétation ont été abordées à la lumière de l'examen de la revendication 1. De même, les revendications dépendantes ajoutent des restrictions claires concernant la quantité additionnelle négociée, certaines actions d'échange (échanger tout/une partie, refuser tout/une partie), la définition de « non échu », la question de savoir si tout/une partie du second volume est échangé, etc. L'historique de la demande ne révèle aucun désaccord entre la demanderesse ou l'examinateur quant à la signification ou la compréhension de ces revendications.

 

Les éléments essentiels

 

[47]           Nous avons conclu, après une lecture attentive du mémoire descriptif et à la lumière des connaissances générales courantes, que la solution divulguée par la demande et revendiquée dans chacune des revendications indépendantes est une méthode de vente aux enchères comportant divers protocoles ou états, dont un état de second regard.

 

[48]           Compte tenu de l'analyse des CGC ci-dessus, nous constatons que l'utilisation d'ordinateurs, de postes de travail, de serveurs et de réseaux en vue de mettre en œuvre le processus de vente aux enchères était connue à la date de publication de la demande. Une personne versée dans l'art considérerait que ces caractéristiques définissent l'environnement opérationnel classique d'un système ou d'une méthode pour des systèmes automatisés d'échanges financiers. Bien que les ordinateurs, postes de travail, serveurs ou réseaux fournissent un moyen technique de communiquer et de distribuer des données d'échanges, ils n’influent pas de manière appréciable sur la nature générale du processus de vente aux enchères y compris les divers protocoles et règles, tels que définis par l'état de second regard dans chaque revendication indépendante. Comme nous ne trouvons aucun matériel ni aucune structure d'ordinateur spécifique dans la solution apportée au problème concret (voir para. 41), nous ne pouvons nous attendre à ce qu'aucun matériel ni structure ne constituent un élément essentiel.

 


[49]           La demanderesse admet que l'objet revendiqué n'a aucune signification hors du contexte ou de la structure de machines (c.-à-d. les composants informatiques); une personne ne pourrait exécuter la transition entre les états d'ordinateur définis dans les revendications ni exécuter les étapes sans ordinateurs, par exemple, mentalement dans sa tête. Il en découle que les revendications portent intégralement sur des méthodes ou des machines informatisées.

 

[50]           Nous constatons que la solution d'un processus de vente aux enchères comprenant un état de second regard n'a pas nécessairement à être confinée à sa seule mise en œuvre par ordinateur. Nous avons évoqué (para. 33) le fait que le problème concret pourrait tout aussi bien survenir dans un environnement de vente à la criée non informatisé. Les règles de la vente aux enchères activant un état de second regard dans le cadre de la solution proposée s'appliqueraient alors également à un processus de vente aux enchères non informatisé. Par exemple, à mesure que des enchères/offres sont faites, si un second participant annonce un changement de position dans un délai de deux secondes, il serait tout à fait raisonnable que le courtier/encanteur permette au premier participant de modifier son enchère tandis qu'il serait demandé aux autres participants de cesser la négociation pendant un certain laps de temps jusqu'à ce que le premier participant ait pu évaluer la position modifiée.

 

[51]           Un tel processus serait une vente aux enchères exécutée mentalement/verbalement : de cette manière, les composants informatiques peuvent être omis. Quoique ce processus soit fort probablement plus lent et moins commode, l'absence d'un processus informatisé n'aurait pas une influence appréciable sur la solution apportée au problème concret, c.-à-d. les règles de la vente aux enchères activant un état de second regard. Comme nous l'avons déjà mentionné, les « états » sont considérés comme étant autant d'étapes de la vente aux enchères, chacun avec ses protocoles pour les participants. Le « passage » d'un état à un autre peut se faire sans un ordinateur.

 

[52]           À la lumière de ce qui précède, le comité estime que les composants d'ordinateur sont partie prenante du contexte dans lequel la solution agit et par lesquels les processus de la vente aux enchères pour un état de second regard est activé dans les réalisations revendiquées. Ces caractéristiques ne font pas partie de la solution apportée au problème concret et, par conséquent, ne sont pas des éléments essentiels à l'invention réelle.

 

[53]           Les éléments essentiels des revendications indépendantes sont ces éléments qui réalisent la solution que représente le second regard. Dans la revendication 1, les éléments essentiels des revendications comportent les étapes (a) à (e), à savoir le processus de vente aux enchères incluant les étapes ajoutées pour appliquer une règle de second regard. Toutefois, la limitation d'être « mise en œuvre par un ordinateur programmé » ne s'avère pas essentielle à l'invention divulguée dans la revendication 1.


 

[54]           Par conséquent, le comité conclut qu'aucun des composants d'ordinateur ou aucune des réalisations informatiques de l'invention ne sont essentiels à l'invention réelle. Pour paraphraser la Cour dans Amazon (voir para. 44), nous concluons qu'il s'agit d'un cas où, à la lumière d'une interprétation téléologique, l'invention n'est pas « ce qui à première vue semble être la revendication » d'une méthode mise en œuvre par ordinateur ou d'un système informatique.

 

Est-ce que les revendications, suivant une interprétation téléologique, définissent un objet brevetable?

 

Principes juridiques et lignes directrices

 

[55]           L'article 2 de la Loi sur les brevets définit les catégories d'un objet brevetable :

 

« invention » signifie toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

 

[56]           Dans Amazon, la Cour d'appel fédérale a fourni des précisions sur l'interprétation de l'article 2, se référant à l'arrêt Schlumberger Canada Ltd c .Canada (Commissaire aux brevets) [1982] 1 C.F. 845 (C.A.F.) [Schlumberger]. On pourrait raisonnablement conclure que Schlumberger est un cas où ce qui, à première vue, semblait être une revendication visant une méthode informatisée a néanmoins été identifié comme étant une revendication ne portant que sur un principe abstrait et un processus mental. Comme cela a été énoncé dans Amazon (para. 62 à 69), puisqu’un brevet ne peut être octroyé pour une idée abstraite, il est implicite dans la définition d’« invention » qu’un objet brevetable doit être une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui manifeste un effet ou changement discernable : l'exigence du caractère matériel ne peut être satisfaite simplement par le fait que la revendication est limitée à une application pratique telle que par la présence d'un ordinateur.

 

[57]           L'énoncé de pratique PN-2013-03 aborde les conclusions de la cour dans Amazon et dans d'autres décisions pertinentes des tribunaux canadiens quant au sens du terme « invention » en vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevets, lu de concert avec le paragraphe 27(8) de la Loi. L'énoncé de pratique fournit un résumé de ces inventions qui ne relèvent pas de la définition d'« invention » qu'en donne la Loi sur les brevets :

 


·    inventions qui s'inscrivent dans une catégorie définie d'exclusions de brevetabilité;

·    p. ex., beaux-arts (c.-à-d. choses « qui tiennent uniquement la réflexion intellectuelle ou au sens esthétique »), méthodes de traitement médical, etc.

 

·    inventions non manifestées concrètement (y compris les inventions sans méthode d'application pratique);

·    p. ex., inventions sans présence physique (c.-à-d. qui ne sont pas « quelque chose avec une existence physique ou quelque chose qui manifeste un effet ou un changement discernable »);

·    p. ex., inventions où l'objet revendiqué est simplement une idée, un projet, un plan ou une série de règles.

 

[61]           Bien que le comité n'entend pas que ce résumé soit vu comme définissant un critère isolé suffisant, nous considérons qu'il établit de manière succincte les types d'inventions qui ne définissent pas un objet brevetable. Dans notre lettre du 28 juin 2013, nous avons attiré l'attention de la demanderesse sur cet énoncé de pratique; nous estimons donc que la demanderesse savait que ces types d'inventions ne tombent pas sous le coup de la définition d'« invention » telle que résumée plus haut. La demanderesse n'a pas soumis de commentaires explicites sur ce résumé, mais, dans ses observations sur les points soulevés dans l'analyse supplémentaire, elle a avancé des arguments sur les raisons pour lesquelles l'objet revendiqué n'était pas exclu ni non manifesté concrètement ou abstrait. Par conséquent, nous aborderons maintenant la question de savoir si, oui ou non, les revendications, suivant une interprétation téléologique, satisfont à ces critères définissant une invention, tels que résumés plus haut, et répondrons aux arguments supplémentaires présentés par la demanderesse.

 

Analyse

 

[62]           Examinant d'abord les revendications indépendantes, nous en arrivons à la conclusion que les éléments essentiels de l'invention sont des protocoles ou des règles encadrant un processus de vente aux enchères, dont un état de second regard par lequel un négociant peut ajuster ou modifier la transaction après que celle-ci ait été engagée. Suivant une interprétation téléologique des diverses réalisations des revendications, on ne trouve aucun ordinateur ou élément informatisé qui soit essentiel.

 


[63]           Sans les composants d'ordinateur non essentiels, les revendications indépendantes définissent les protocoles ou les règles encadrant un processus de vente aux enchères. Nous n'avons relevé aucun autre élément essentiel. Nous concluons donc, suivant une interprétation téléologique, que les revendications sont non manifestées concrètement dans le sens qu'elles constituent un système ou des règles pour des échanges. Les revendications n'échappent pas à leur exclusion au motif qu'elles envisagent l'utilisation d'un ordinateur pour conférer aux règles une application concrète.

 

[64]           Dans ses observations, la demanderesse fait valoir que l'objet des revendications indépendantes vise intégralement et largement des machines et leur emploi, c.-à-d. « matériel personnalisé », systèmes informatiques ou méthodes mises en œuvre par ordinateur, et que, par conséquent, chacune des revendications présentes décrit une machine ou un art/processus, tous deux brevetables aux termes de l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[65]           À la lumière de son interprétation téléologique, le comité n'est pas d'accord. Nous avons déjà conclu que les composants d'ordinateur ne sont pas essentiels à l'atteinte de la solution apportée au problème concret. L'énumération omniprésente de composants d'ordinateur ou d'étapes mises en œuvre par ordinateur ne rend pas essentiels de tels éléments. Nous en arrivons à la conclusion, à l'instar de l'examinateur, que l'invention porte sur un processus d'enchères/échange comprenant un protocole ou une règle de second regard. Paraphrasant le libellé de Schlumberger (cité dans Amazon plus haut), l'utilisation d'un ordinateur, que ce soit de manière accessoire ou omniprésente, ne saurait avoir effet de rendre brevetable un objet qui autrement ne le serait clairement pas.

 

[66]           La demanderesse affirme également que l'objet revendiqué, indépendamment de la présence de composants d'ordinateur, manifeste néanmoins un effet ou un changement discernable. Cela se produit, par exemple, parce que le processus modifie des structures électromagnétiques du fait du stockage de données, ou, par exemple, puisque le processus a pour résultat l'échange d'éléments qui pourraient être physiques.

 


[67]           Toutefois, l'interprétation téléologique des revendications montre que les éléments physiques de l'ordinateur (étapes mises en œuvre par ordinateur, postes de travail, traitement des données, serveur, réseau, etc.) ne sont pas essentiels à l'invention. Les revendications interprétées ne font que définir des règles et des protocoles encadrant un processus de vente aux enchères. Toute donnée stockée ou tout signal modulé est considéré comme étant extrinsèque à la solution apportée au problème concret et non essentiel. Même si le processus était effectué à la main, l'enregistrement d'enchères, d'offres ou d'échanges à la suite d'un second regard sur support papier, par exemple, cela n'aurait aucune incidence sur notre conclusion puisque la présence d'un élément qui autrement serait brevetable (p. ex., le papier) ne confère pas un caractère matériel au processus non brevetable de vente aux enchères.

 

[68]           Quant à savoir si le résultat de la vente aux enchères (c.à-d. l'« échange d'articles ») confère un caractère matériel aux revendications, nous considérons que le résultat de l'objet revendiqué est une transaction financière. Tout résultat du processus de la vente aux enchères, comme une transaction financière (achat ou vente), ou toute perte ou tout gain de patrimoine lié à de telles transactions, présente un intérêt purement intellectuel. Par conséquent, le résultat de la solution proposée, même compte tenu de la suggestion de la demanderesse, demeure abstrait. Nous concluons, contrairement à ce que soutient la demanderesse, que le résultat de l'invention n'entraîne aucun effet ou changement matériel; il n'y a pas de transfert physique des biens définis dans les revendications, et tout possible effet physique ou changement discernable résultant du protocole de la vente aux enchères dépasse la portée de la présente demande.

 

Revendications dépendantes

 

[69]           Après avoir déjà conclu, suivant une interprétation téléologique, que les composants mis en œuvre par ordinateur ou les autres composants physiques du système n'étaient pas essentiels à l'objet ajouté des revendications dépendantes, le comité est d'avis que ces revendications ne contiennent rien pouvant rectifier la nature abstraite des revendications dépendantes.

 

Conclusion

 

[70]           Par conséquent, comme en a conclu le comité, les revendications 1 à 58 ne définissent qu'un schéma, un plan ou un ensemble abstrait de règles qui sont considérés non manifestés concrètement; par conséquent, ils ne définissent pas une invention aux termes de l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 


Recommandation

 

[71]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, la Commission recommande que la demande soit refusée au motif que les revendications 1 à 58 ne définissent pas un objet brevetable et sont donc non conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

 

 

 

 

 

Andrew Strong             Stephen MacNeil                     Paul Sabharwal           

Membre                                   Membre                             Membre

 

 

Décision

 

[72]           Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission d'appel des brevets, à savoir que la demande est refusée au motif que les revendications 1 à 58 ne sont pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[73]           En conséquence, je refuse d'accorder un brevet dans le cadre de la présente demande. En vertu de l'article 41 de la Loi sur les brevets, la demanderesse dispose d'un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire des brevets

 

 

Fait à Gatineau (Québec)

ce 29e jour de novembre 2013

 

 

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