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Décision du commissaire no 1373

Commissioner’s Decision #1373

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS : J-00, J-10

TOPICS : J-00, J-10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no 2,312,726

Application No: 2,312,726

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

                La demande de brevet numéro 2,312,726, ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, a fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le commissaire aux brevets, conformément aux dispositions de l'alinéa 30(6)(c) des Règles sur les brevets. Les conclusions de la Commission et la décision du commissaire suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent du demandeur :

 

RICHES, MCKENZIE & HERBERT LLP

1800 - 2, rue Bloor Est

Toronto (Ontario)  M4W 3J5


Introduction

 

[1]               La présente décision fait suite à une révision des conclusions de l'examinateur relativement à la demande de brevet canadienne no 2,312,726, intitulée - « Système de consultation financière », déposée le 3 décembre 1997 et actuellement inscrite au nom de Financial Engines, Inc. La demande concerne un système mis en œuvre par ordinateur visant à conseiller un utilisateur quant à un portefeuille de placement optimal.

 

[2]               L'examinateur responsable a transmis la décision finale au demandeur le 23 août 2010; il a refusé la demande au motif qu'elle ne vise pas un objet prévu par la loi et que les revendications sont évidentes. Ayant jugé que la réponse du demandeur à la décision finale ne remédiait pas aux irrégularités, l'examinateur a transféré la demande ainsi qu'un résumé des motifs à la Commission d'appel des brevets (« la Commission ») le 18 mars 2013. Dans son résumé des motifs, l'examinateur a maintenu le refus de la demande sur la base de la non-brevetabilité de l'objet revendiqué, mais a abandonné le motif de l'évidence. Deux nouvelles irrégularités ont été relevées (nouvelle matière et caractère indéfini) à la suite des modifications aux revendications soumises par le demandeur.

 

[3]               Un comité formé de trois membres de la Commission a été créé (« le comité »), lequel, après avoir procédé à une révision préliminaire de la demande, a invité le demandeur à participer à une audience et lui a demandé de fournir des renseignements supplémentaires, dans une lettre en date du 1er avril 2014. La réponse écrite du demandeur a été reçue le 2 juin 2014.

 

[4]               Le demandeur a décliné l'offre du comité de se faire entendre lors d'une audience et a demandé que la recommandation du comité soit fondée sur les documents au dossier. Ainsi, les trois questions que le comité doit trancher aux fins de la présente recommandation sont les suivantes :

 

1.      Les revendications 1 à 69 visent-elles un objet non prévu par la loi et sont-elles, par conséquent, non conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets?

2.      Les revendications 55 et 65 définissent-elles de la nouvelle matière ne pouvant raisonnablement s'inférer de la demande telle que déposée à l'origine et sont-elles, par conséquent, non conformes à l'article 38.2 de la Loi sur les brevets?

 

3.      Les revendications 55 et 65 ont-elles un caractère indéfini et sont-elles, par conséquent, non conformes à l'article 27(4) de la Loi sur les brevets?

 

[5]               Pour les raisons exposées ci-dessous, nous concluons que le refus de la demande au motif que les revendications 1 à 69 ne sont pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets doit être maintenu. Cette conclusion étant suffisante pour disposer de la présente affaire, il n'est pas nécessaire que nous tranchions la deuxième et la troisième question.

 

La demande

 

[6]               La demande relève du domaine des services-conseils financiers et porte, plus particulièrement, sur des outils logiciels ou des progiciels destinés aux investisseurs qui prennent leurs propres décisions en matière de placements. La demande divulgue des méthodes, des systèmes et des produits-programmes informatiques destinés à conseiller un investisseur (ou un utilisateur) quant aux allocations praticables optimales pour un portefeuille de placement en fonction des rendements attendus de diverses classes d'actifs, des produits financiers disponibles qui correspondent à ces classes d'actifs, et de scénarios économiques et de rendement du capital investi réalistes.

 

[7]               Les classes d'actifs peuvent correspondre à des catégories de placement courantes, tels les placements en espèces, les obligations, les actions, etc. Les produits financiers peuvent correspondre à l'ensemble des produits qui sont offerts à l'utilisateur par son institution financière, tels les fonds de placement équilibrés, les fonds d'obligations ou les placements garantis, lesquels peuvent chacun regrouper des actifs de différentes classes. L'invention génère un ou plusieurs scénarios praticables en établissant une correspondance entre les produits financiers disponibles qu'un investisseur peut acheter et les classes d'actifs qui sont envisagées, à l'aide de scénarios économiques et de rendement du capital investi prospectifs réalistes. L'invention établit ensuite un portefeuille optimal à partir de ces scénarios praticables, en tenant compte des exigences personnelles de l'utilisateur, telles la tolérance au risque, les cotisations prévues, le temps restant avant la retraite, etc. L'optimisation est obtenue au moyen d'une [traduction] « fonction d'utilité moyenne-variance », qui est calculée pour déterminer le portefeuille qui convient le mieux à un investisseur en fonction de ses besoins.

 

[8]               De cette façon, le système fait le pont entre le choix des classes d'actifs et le choix des produits financiers, en déterminant les expositions praticables aux classes d'actifs qui sont réalisables pour l'investisseur particulier à la lumière de la performance future des produits financiers disponibles que l'investisseur peut sélectionner. De plus, le système permet à l'utilisateur de surveiller en continu la valeur de son portefeuille pour un horizon temporel donné et de savoir ainsi si son objectif financier (p. ex., date de la retraite) est en voie d'être atteint ou non. Dans l'ensemble, l'invention a pour but de fournir des conseils en matière de placement plus réalistes et plus personnalisés que ceux qui sont fournis par les outils de conseil financier existants.

 

Les Revendications

 

[9]               Le dossier comprend 69 revendications, dont 10 revendications indépendantes. Les revendications 1 à 37 figuraient au dossier au moment où la Décision finale a été rédigée; les revendications 38 à 69 ont été ajoutées par la voie de modifications produites en réponse à la Décision finale. Les revendications visées par la présente révision sont :

 

a)      les revendications 1 à 27, qui définissent des revendications de système et de produit informatiques ayant trait à la détermination d'un portefeuille praticable optimal en fonction des classes d'actifs, des produits financiers disponibles et des paramètres de l'utilisateur (risque, horizon temporel, cotisations, etc.);

b)      les revendications 28 à 37, qui définissent des revendications de produit informatique supplémentaires ayant trait à la prévision de la valeur projetée d'un produit financier en fonction des rendements futurs d'une classe d'actifs;

c)      les revendications 38 à 69, qui définissent des revendications de méthode comprenant des éléments identiques ou similaires à ceux des revendications 1 à 27.

 

[10]           Nous reproduisons en premier lieu les revendications 27 et 65, qui sont représentatives des revendications de méthode et de système de conseil financier de portée plus large, et qui sont respectivement rédigées comme suit :

 

[traduction]
27.     Un système comprenant :

 

un module de modèle factoriel servant à générer des scénarios de rendement pour chacune des classes d'actifs d'une pluralité de classes d'actifs en fonction de scénarios futurs d'un ou plusieurs facteurs économiques;

un module de mise en correspondance servant à déterminer les expositions praticables à une pluralité de classes d'actifs réalisables pour un investisseur particulier en déterminant une combinaison formée d'une ou de plusieurs classes d'actifs d'une pluralité de classes d'actifs et les proportions d'une ou plusieurs classes d'actifs d'une pluralité de classes d'actifs qui caractérisent la performance future de chacun des produits financiers d'un ensemble de produits financiers disponibles pour l'investisseur particulier aux fins de placement dans un ou plusieurs comptes financiers;

un module d'optimisation servant à déterminer un portefeuille praticable optimal constitué d'un ou de plusieurs produits financiers de l'ensemble de produits financiers disponibles pour l'investisseur particulier aux fins de placement [ensemble de produits financiers disponibles] en fonction des expositions praticables déterminées par le module de mise en correspondance et en tenant compte des paramètres de l'investisseur, c'est-à-dire la tolérance au risque, le taux d'épargne, l'objectif financier, l'horizon temporel, ainsi que les cotisations et les prélèvements prévus à un ou plusieurs comptes financiers.

 

65.      Une méthode mise en œuvre par ordinateur comprenant :

 

une étape, accomplie par un module de mise en correspondance de produits financiers qui est exécuté par un ou plusieurs processeurs d'un ou plusieurs systèmes informatiques, visant à déterminer les expositions praticables à une pluralité de classes d'actifs réalisables pour un investisseur particulier à partir d'un ensemble restreint de produits financiers disponibles pour l'investisseur aux fins de placement, où l'ensemble restreint de produits financiers disponibles pour l'investisseur est un sous-ensemble adéquat d'un ensemble comprenant tous les produits financiers disponibles aux fins de placement par l'entremise des marchés publics;

une étape, accomplie par un module d'optimisation de portefeuille qui est exécuté par un ou plusieurs processeurs, visant à recommander un portefeuille efficient de produits financiers sélectionnés parmi l'ensemble restreint de produits financiers.

 

[11]           Nous avons mis le passage « ensemble de produits financiers disponibles » entre crochets dans la revendication 27 ci-dessus, car ce passage nous semble redondant au vu du reste de la revendication telle qu'elle est rédigée. Faire abstraction de ce passage n'a pas d'incidence sur la signification de la revendication ni sur le résultat de notre recommandation.

 

[12]           Les autres revendications indépendantes définissent d'autres réalisations qui incorporent des étapes de méthode similaires (ou, subsidiairement, des caractéristiques de produit informatique). Nous en reproduisons deux de plus à titre d'exemple : la première, la revendication 1, qui est une revendication de produit informatique, est représentative de la dimension mathématique du système de conseil, y compris de la fonction d'utilité moyenne-variance divulguée :

           

[traduction]
1.        Dans un système de conseil financier, une mémoire lisible par ordinateur dans laquelle est stockée une pluralité d'instructions qui, lorsqu'elles sont exécutées par un processeur, amènent le processeur à accomplir les étapes consistant à :

            générer des scénarios de rendement pour chacune des classes d'actifs d'une pluralité de classes d'actifs en fonction de scénarios futurs d'un ou plusieurs facteurs économiques;

            établir des correspondances entre chaque produit financier d'un ensemble de produits financiers disponibles et une ou plusieurs classes d'actifs d'une pluralité de classes d'actifs en déterminant les expositions de l'ensemble de produits financiers disponibles à chacune des classes d'actifs de la pluralité de classes d'actifs;

            simuler des scénarios de rendement pour un ou plusieurs portefeuilles comprenant des combinaisons de produits financiers sélectionnés parmi l'ensemble de produits financiers disponibles en fonction des correspondances établies;

            déterminer un portefeuille praticable optimal constitué d'un ou de plusieurs des produits financiers de l'ensemble de produits financiers disponibles en se fondant sur l'étape de la simulation de scénarios de rendement et en tenant compte des cotisations prévues et des prélèvements prévus;

                maximiser la fonction d'utilité moyenne-variance de la formule :

 

où pour un scénario donné,

E(WT) est la valeur attendue de l'avoir au moment T,

Var(WT) est la variance de l'avoir au moment T,

τ est la tolérance au risque d'un utilisateur, et

 

           

où :

Xi représente la proportion constante recommandée pour chaque cotisation nette qui devrait être allouée au produit financier i,

Ct représente une cotisation nette au moment t,

Rji représente les rendements attendus du produit financier i au cours de l'année j,

n est le nombre de produits financiers qui sont disponibles aux fins d'optimisation, et

g est la valeur des actifs assujettis à des restrictions dans un scénario donné

 

[13]           Enfin, la revendication 28 est représentative de la dimension « surveillance » du système de conseil financier, qui comprend la présentation de la valeur projetée d'un portefeuille particulier :

 

28.         Un progiciel, comprenant :

 

une mémoire dans laquelle est intégré un code lisible par ordinateur aux fins de l'exécution par un processeur central d'un système informatique dans le but de prévoir la valeur d'un produit financier détenu, ledit code comprenant :

un moyen de code d'analyse de l'exposition pour réaliser une analyse de l'exposition à l'égard d'un produit financier dans lequel un investisseur a des intérêts pour déterminer comment le produit financier se comporte par rapport à un ensemble de classes d'actifs;

un moyen de code de prévision pour générer une prévision concernant le produit financier détenu à un horizon temporel configurable en fonction de scénarios prospectifs d'une ou plusieurs des classes d'actifs de l'ensemble de classes d'actifs;

un moyen de code d'interface utilisateur pour faire en sorte que de l'information soit présentée concernant la valeur projetée du produit financier détenu à un horizon temporel configurable en fonction de la prévision.

 

[14]           Les revendications dépendantes ajoutent des limitations supplémentaires qui clarifient plusieurs des étapes de l'optimisation financière et des variables financières définies dans les revendications indépendantes. Étant donné que ni le demandeur ni l'examinateur n'ont soulevé de considérations précises concernant la conformité des revendications dépendantes avec l'article 2 de la Loi sur les brevets, nous axerons notre analyse sur les revendications indépendantes.

 

[15]           Il ressort d'une lecture littérale des revendications représentatives reproduites ci-dessus que les réalisations revendiquées définissent toutes deux des composantes informatiques et des processus financiers qui impliquent certains calculs mathématiques. Les processus financiers et les calculs concernent la prévision des rendements pour les classes d'actifs, la mise en correspondance des produits financiers, la détermination des expositions praticables, la détermination d'un portefeuille optimal, la maximisation de la fonction d'utilité moyenne-variance, et la comparaison des valeurs actualisées avec les objectifs financiers. Les composantes informatiques des revendications se rapportent à la mise en œuvre par ordinateur et prennent la forme de processeurs, de mémoires, de moyens de code, de modules et d'instructions stockées. Notre interprétation téléologique, présentée dans les paragraphes qui suivent, détermine si ces composantes informatiques sont ou non essentielles au fonctionnement de l'invention revendiquée.

 

Interprétation téléologique

 

[16]           Dans la foulée de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Amazon.com Inc., 2011 CAF 328 [Amazon], le Bureau a publié deux  notes concernant l’examen qui clarifient la pratique d'examen et l'approche du Bureau en ce qui concerne l'interprétation téléologique (PN2013-02) et les inventions mises en œuvre par ordinateur (PN2013-03), à la lumière de la jurisprudence canadienne pertinente. Ces notes sont toutes deux citées dans le résumé des motifs et dans la lettre qui a fait suite à notre révision préliminaire.

 

[17]           L'interprétation téléologique d'une demande de brevet vise à déterminer la signification des termes employés dans les revendications et les éléments qui sont essentiels au fonctionnement de l'invention : Free World Trust c Electro Sante Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust]. L'interprétation téléologique est réalisée du point de vue de la personne versée dans l'art et tient compte du mémoire descriptif dans son ensemble, à la lumière des connaissances générales courantes (CGC), y compris une compréhension du problème et de la solution visés par la demande. Comme indiqué dans  la note PN2013-02, il est admis également « qu'une invention brevetable est une solution ingénieuse à un problème concret » et « qu'une invention doit être divulguée (puis revendiquée) pour pouvoir être utilisée par la personne versée dans l'art ».

 

[18]           Une fois définie, la solution éclaire la détermination des éléments qui sont essentiels à l'invention revendiquée. L'avis PN 2013-02 indique également que « tous les éléments qui ont un effet concret sur le fonctionnement d'une réalisation d’invention donnée ne sont pas nécessairement essentiels au fonctionnement de cette invention. Certains éléments d'une revendication définissent simplement le contexte ou l'environnement d'une réalisation fonctionnelle spécifique, mais ne modifient pas la nature de la solution au problème. »

 

                La personne versée dans l'art et ses connaissances générales courantes pertinentes

 

[19]           L'identification de la personne versée dans l'art et de ses connaissances générales courantes (CGC) ne faisait l'objet d'aucun désaccord entre l'examinateur et le demandeur. Nous avons exposé notre  définition de la personne versée dans l'art et des CGC dans la lettre que nous avons envoyée au demandeur à la suite de notre révision préliminaire. Le demandeur n'a pas contesté cette définition et, par conséquent, nous la conservons aux fins de notre révision.

[20]           En résumé, dans notre lettre, nous caractérisons la personne versée dans l'art comme une équipe formée d'un conseiller financier (p. ex. un conseiller, un planificateur, un analyste ou un spécialiste des placements), qui connaît les produits financiers, les marchés, les classes d'actifs, les placements, etc., et un programmeur de systèmes informatiques qui connaît les produits logiciels financiers.

 

[21]           Comme nous l'avons expliqué dans notre lettre de révision préliminaire, nous estimons, à la lumière de la section Contexte de l'invention (pages 1 à 3), que cette personne posséderait au moins les connaissances suivantes :

a)      connaissances des systèmes de conseil financier, et des progiciels financiers de l'art antérieur;

b)      connaissance des concepts relatifs aux placements : classes d'actifs, allocation d'actifs, portefeuilles, rendement du capital investi, cotisations/prestations déterminées, les projections en fonction de l'horizon de retraite, les risques, la praticabilité, les rendements attendus, l'inflation, les taux d'intérêt, les rendements réels, les prévisions économiques, les valeurs capitalisées et divers autres termes et concepts financiers, ou paramètres mathématiques, estimés ou calculés;

c)      connaissances des objectifs, des intentions, des ambitions, des décisions ou des choix courants des investisseurs/utilisateurs typiques (p. ex., dates de retraite, différentes tolérances au risque, attentes en matière de croissance, cotisations, etc.) qui se rapportent à la prestation de conseils financiers;

d)     connaissance des techniques de programmation et des processus logiciels couramment employés dans la mise au point de logiciels financiers exécutés à l'aide soit de matériel informatique spécialisé soit d'un ordinateur générique à usage général.

 

                Le problème et la solution visés par l'invention

 

[22]           Il est indiqué dans le Contexte de l'invention (description, pages 1 à 3) que des progiciels permettant à l'utilisateur de planifier et de gérer ses propres portefeuilles de retraite étaient couramment offerts, mais que ces outils comportaient plusieurs lacunes. Premièrement, les suggestions qu'ils font en ce qui concerne l'allocation des actifs sont généralement génériques, si bien que l'utilisateur doit lui-même accomplir la tâche complexe consistant à sélectionner parmi les produits financiers disponibles ceux qui correspondent à l'allocation d'actifs suggérée. Ces outils logiciels antérieurs laissent également à l'utilisateur la tâche d'entrer lui-même des estimations en ce qui concerne les taux d'inflation et d'intérêt futurs et les rendements attendus du capital investi, ce qui se solde par des portefeuilles irréalisables. Enfin, les outils logiciels de l'art antérieur ne fournissent pas d'estimations réalistes des rapports risque-rendement en fonction des circonstances propres à l'utilisateur et, par conséquent, peuvent suggérer des portefeuilles dont la performance ne sera pas optimale. En raison de ces lacunes, les utilisateurs de ces progiciels de l'art antérieur créent souvent des portefeuilles irréalisables en se fondant sur des facteurs économiques irréalistes. En résumé, les systèmes de l'art antérieur ne sont pas aptes à fournir des conseils financiers satisfaisants.

 

[23]           La description (page 2, para. 3) indique qu'il est possible de remédier à ces lacunes grâce à un système amélioré de conseil financier qui emploie des techniques financières de pointe pour fournir aux utilisateurs des conseils réalistes sur la façon d'atteindre leurs objectifs financiers, en :

 

a) générant des scénarios économiques et de rendement du capital investi prospectifs réalistes pour les classes d'actifs de manière à proposer un portefeuille praticable à l'utilisateur;

b) créant un portefeuille praticable optimal en maximisant la « fonction d'utilité » de l'utilisateur, c.-à-d. la préférence de l'utilisateur pour différentes combinaisons de produits disponibles en fonction d'une ou de plusieurs caractéristiques des produits et d'un ou plusieurs paramètres propres à l'utilisateur;

c) en permettant une surveillance en continu du plan afin de fournir une rétroaction/des conseils à l'utilisateur quant aux mesures à prendre pour améliorer ses chances d'atteindre ses objectifs financiers.

 

[24]           Un des aspects clés du système financier divulgué tient à ce que les scénarios de prévision concernant les classes d'actifs sont générés en fonction de facteurs économiques futurs et à ce que des correspondances sont ensuite établies entre les produits financiers disponibles pour un investisseur et ces classes d'actifs. Des scénarios de rendement du capital investi sont ensuite simulés dans le but de générer des portefeuilles praticables composés de combinaisons de produits financiers sélectionnés parmi les produits disponibles. Un autre aspect de la solution tient à ce qu'elle emploie un module d'optimisation de portefeuille qui repose sur le calcul d'une fonction d'utilité « moyenne-variance » pour un utilisateur. La fonction d'utilité tient compte à la fois des caractéristiques de l'utilisateur (p. ex., tolérance au risque, horizon de placement et niveau d'épargne) et des caractéristiques du produit financier (rendement attendu, variance, etc.) et, de ce fait, détermine le portefeuille optimal pour un utilisateur donné.

 

[25]           À la lecture du mémoire descriptif, la personne versée dans l'art constaterait qu'une part considérable de la description porte sur les détails des processus financiers qui impliquent certains calculs mathématiques réalisés par le système de conseil. À partir de la page 9, la description renseigne le lecteur sur les modèles analytiques exemplaires : un module de fixation des prix, un module factoriel, un module de mise en correspondance des produits financiers, un module de rajustement fiscal, un module de conversion en rentes, un module de traitement des simulations, un module d'optimisation des portefeuilles, un module d'interface-utilisateur, et un module de surveillance des plans. Les modèles représentent le traitement mathématique qui est entrepris pour établir, surveiller et rajuster les portefeuilles de placement. Le module d'interface-utilisateur est décrit comme un mécanisme permettant l'entrée et la sortie de données, cependant il est indiqué que les détails de l'interface font l'objet d'une demande de brevet distincte. Pour l'essentiel, les pages restantes de la description (pages 16 à 23) exposent les calculs mathématiques qui sous-tendent les scénarios d'actifs, les modèles factoriels, les expositions liées aux produits, et les routines d'optimisation de portefeuilles.

[26]           De la même manière, à la lecture du mémoire descriptif, la personne versée dans l'art constaterait qu'aucun problème de taille lié à la mise en œuvre par ordinateur du système de conseil n'est mentionné, pas plus qu'un quelconque autre problème technique concernant la mise en œuvre des caractéristiques consistant à générer des scénarios de rendement, à réaliser une mise en correspondance, à simuler des scénarios praticables et à déterminer un portefeuille optimal. Il est fait mention (voir la description, pages 8 et 9) de diverses composantes d'ordinateur exemplaires qui pourraient être employées dans une réalisation exemplaire de l'invention, notamment des processeurs, des mémoires, des unités de stockage, d'entrée et de sortie de données et des moyens de communication de données classiques. L'architecture « client-serveur » bien connue est désignée comme une configuration possible pour un système de conseil réparti. Le mémoire descriptif n'indique pas que l'invention requiert d'employer des composantes ou une architecture informatiques spécifiques, pas plus qu'il ne spécifie de modifications ou de changements uniques à ces composantes, qui ne seraient pas déjà connus de la personne versée dans l'art.

 

[27]           Par conséquent, la personne versée dans l'art comprendrait que le problème visé par la demande n'est pas un problème informatique lié à la mise en œuvre d'un système ou d'une méthode de conseil financier, mais bien un problème qui concerne les processus et les calculs financiers utilisés pour déterminer un portefeuille de placement optimal. La solution proposée est une amélioration de la façon de déterminer et de surveiller un portefeuille de placement optimal à l'aide de techniques mathématiques de pointe qui permettent de maximiser la fonction d'utilité des objectifs de placement d'un particulier, en tenant compte des classes d'actifs et des produits financiers disponibles. Les diverses composantes informatiques exposées dans la description ne font pas partie de la solution au problème visé.

 

                Éléments essentiels

 

[28]           Conformément à l'orientation donnée dans l'avis PN2013-02, l'examinateur a résumé l'interprétation de toutes les revendications (résumé des motifs, page 2) en indiquant que les caractéristiques informatiques n'étaient pas considérées comme un élément essentiel à la résolution du problème auquel étaient confrontés les inventeurs. Dans le résumé des motifs, l'examinateur affirme que bien que bon nombre des revendications visent des composantes informatiques (p. ex., mémoire ou système lisible par ordinateur), lesdites composantes informatiques ne font que définir le contexte dans lequel la solution au problème est réalisée. L'examinateur conjecture que les composantes informatiques pourraient être substituées et que la solution consistant à fournir des conseils financiers améliorés ne s'en trouverait pas modifiée.

 

[29]           Dans sa réponse au résumé des motifs (pages 3 à 10), le demandeur soulève plusieurs points en rapport avec l'interprétation que l'examinateur a faite des revendications. Citant Free World Trust, le demandeur fait valoir que l'interprétation qui figure dans le résumé des motifs est incorrecte pour les raisons suivantes (nous paraphrasons) :

 

a)      l'intention de l'inventeur était que les composantes informatiques soient essentielles puisqu'elles sont revendiquées et qu'il n'y a aucune indication selon laquelle elles ne sont pas essentielles;

b)      la personne versée dans l'art ne considérerait pas que les composantes informatiques peuvent être omises ou substituées sans que cela n'ait d'effet significatif sur la structure ou le fonctionnement de l'invention;

c)      les caractéristiques de « simulation » [simulation] et de « mapping » [mise en correspondance] revendiquées sont par définition informatisées et, par conséquent, requièrent la présence d'un processeur et d'une mémoire.

 

a)      L'intention de l'inventeur rend-elle les composantes informatiques essentielles?

 

[30]           En ce qui concerne le point a), nous ne sommes pas d'accord pour dire que l'intention de l'inventeur est un facteur primordial lorsqu'il s'agit de déterminer si un élément est essentiel ou non (concernant la Demande 2,237,438 d'IGT, Décision du commissaire no 1346 (2013) [DC1346], aux para. 26 à 33). Bien que l'interprétation téléologique s'appuie sur le langage des revendications, l'analyse ne peut pas être fondée uniquement sur une lecture littérale des revendications (voir Amazon, para. 43); un élément n'est pas automatiquement considéré comme essentiel du simple fait de sa présence dans le langage des revendications qui sont rédigées par l'inventeur. Comme l'indique à juste titre l'avis de pratique, pour déterminer si un élément est essentiel ou non, il faut déterminer si cet élément peut être omis ou substitué sans que cela n'ait d'effet significatif sur l'invention.

 

b)      Les composantes informatiques pourraient-elles être omises ou substituées?

 

[31]           Relativement au point b) ci-dessus, le demandeur fait spécifiquement valoir dans sa réponse (page 6) que, à moins qu'il existe quelque preuve [traduction] « que la personne versée dans l'art reconnaîtrait que le système de revendication 27 ou la méthode de la revendication 38 “fonctionneraient à l'évidence de la même manière” avec ou sans les éléments informatiques », ces composantes doivent être considérées comme essentielles.

 

[32]           En réponse, nous avons dans un premier temps fait observer que ni la revendication 27 ni la revendication 38 ne définissent explicitement d'éléments ou de composantes informatiques. Ces revendications définissent toutes deux des processus financiers fondamentaux de l'invention divulguée et les calculs qui leur sont associés, tels que la mise en correspondance et l'optimisation, et qui permettent d'en arriver à un portefeuille optimal. À la revendication 27, le terme « module » est compris comme définissant des sous-composantes de la solution globale. La personne versée dans l'art ne considérerait pas que le langage de ces revendications recèle des limitations informatiques.

 

[33]           S'agissant de la question de fond qui est soulevée au point b) ci-dessus (c.-à-d. les composantes informatiques pourraient-elles être omises ou substituées?), nous soulignons qu'il appert clairement de la description et des CGC définies précédemment que l'utilisation de processeurs, de logiciels, de mémoire d'ordinateur, d'interfaces ou d'une architecture client-serveur pour mettre en œuvre des méthodes de planification financière et de conseil financier tel qu'il est divulgué dans le mémoire descriptif faisait partie des connaissances générales courantes. Une personne versée dans l'art considérerait que ces caractéristiques définissent un environnement d'exploitation classique parmi un nombre limité d'environnements d'exploitation classiques possibles pour un progiciel, un outil ou un système de conseil financier.

 

[34]           Bien que les processeurs, les serveurs, les mémoires ou les étapes exécutées par ordinateur procurent une architecture de soutien pratique (environnement technique) permettant de calculer, de communiquer et de diffuser efficacement les données et l'information de conseil financier, les composantes informatiques elles-mêmes n'ont pas d'effet significatif sur les concepts financiers qui impliquent de recourir à certains calculs mathématiques aux fins de l'optimisation d'un portefeuille de placement. Les composantes informatiques ne font que fonctionner comme elles sont censées fonctionner, à l'image d'un ordinateur à usage général qui effectue des calculs et d'unités d'entrée, d'unités de sortie et d'architectures réseau qui traitent des données. Les composantes informatiques revendiquées ne modifient pas ou n'ont pas d'effet sur la nature des calculs ou des algorithmes spécifiques.  Bien qu'elles fassent partie de la réalisation fonctionnelle de l'invention, les composantes informatiques « ne modifient pas la nature de la solution au problème » (voir le para. [18], ci-dessus). Conséquemment, la personne versée dans l'art n'interpréterait pas les composantes informatiques comme des éléments essentiels de cette solution.

 

[35]           De même, les concepts financiers impliquant de recourir à certains calculs ou algorithmes mathématiques aux fins de l'optimisation d'un portefeuille de placement n'ont pas d'effet significatif sur le fonctionnement des composantes informatiques revendiquées. Les calculs et les processus financiers ne fournissent aucune solution spécifique à un problème informatique, pas plus qu'ils n'améliorent ou ne modifient la façon dont fonctionnent les composantes informatiques revendiquées. Comme nous l'avons établi, la solution proposée par l'invention divulguée consiste à utiliser des processus financiers spécifiques comprenant certains calculs mathématiques pour optimiser un portefeuille réalisable. Les éléments essentiels de cette solution sont donc les calculs, les algorithmes ou les formules mathématiques qui définissent les processus financiers nécessaires à l'optimisation d'un portefeuille. La personne versée dans l'art n'interpréterait pas les composantes informatiques comme étant essentielles à la mise en œuvre de cette solution. 

 

c)      La « simulation » et la « mise en correspondance » sont-elles, par définition, des processus informatisés?

 

[36]           En ce qui concerne le point c) ci-dessus, bien qu'ils soient souvent employés en lien avec des opérations informatiques, les termes « simulation » [simulation] et « mapping » [mise en correspondance] qui figurent dans les revendications, peuvent, à la lumière de la description, être interprétés comme désignant des opérations plus générales dont la mise en œuvre n'est pas obligatoirement informatisée. La mise en correspondance suppose de déterminer comment les produits financiers disponibles représentent, ou sont représentés, par certaines classes d'actifs de manière à révéler comment les produits se comportent par rapport aux rendements des classes d'actifs; cette mise en correspondance pourrait être réalisée par une simple comparaison mentale. La « mise en correspondance » dont il est question dans le mémoire descriptif peut être réalisée sans le recours à un ordinateur.

 

[37]           Quant au terme « simulations », notre lecture de la description (page 7) nous amène à conclure que la personne versée dans l'art interpréterait le terme comme désignant le processus itératif de manipulation de divers scénarios et paramètres de placement (p. ex. risque, taux d'épargne, etc.) utilisé pour exposer et déterminer les impacts que les changements apportés ont sur un portefeuille. Bien qu'il puisse être plus commode d'utiliser un processeur pour automatiser la simulation de scénarios, la simple présence du terme « simulate » [simuler] dans les revendications n'implique pas nécessairement qu'un processeur est requis, tel qu'il appert à la lecture du mémoire descriptif. Les composantes informatiques ne font que fournir l'environnement d'exploitation qui permet d'effectuer de manière efficiente et automatisée les calculs financiers novateurs, de même que le ferait n'importe quel ordinateur à usage général.

 

[38]           En somme, la personne versée dans l'art considérerait que les composantes informatiques revendiquées ne font pas partie de la solution au problème qui est revendiquée, et que, par conséquent, elles ne sont pas des éléments essentiels de l'invention. Les éléments essentiels des revendications indépendantes sont ceux qui se rapportent aux concepts financiers impliquant le recours à certains calculs mathématiques aux fins de l'optimisation d'un portefeuille de placement, telles l'analyse d'exposition, la mise en correspondance des produits, la simulation de scénarios, l'optimisation de portefeuilles, la détermination de la valeur capitalisée des avoirs ou la surveillance des portefeuilles en vue de réaliser les objectifs de placement.

 

[39]           Dans la présente demande, les composantes informatiques classiques qui sont utilisées pour effectuer les calculs sont employées conformément à leur utilisation prévue et le résultat obtenu consiste simplement en de l'information. Dans de telles circonstances, nous sommes d'avis que, à moins que la solution revendiquée ne résolve un problème informatique ou ne fournisse une amélioration pratique supplémentaire à un processus de mise en œuvre par ordinateur ou à un problème en rapport avec les ordinateurs, le simple fait d'utiliser un ordinateur pour exécuter un algorithme (p. ex. exécuter des calculs ou des fonctions logiques) n'est pas suffisant pour faire de l'ordinateur un élément essentiel de l'invention revendiquée. 

 

[40]           Pour en revenir aux revendications représentatives (voir les para. [10] à [13] ci-dessus), les éléments essentiels du système de la revendication 27 sont les caractéristiques consistant à : générer des scénarios de rendement, déterminer les expositions praticables aux classes d'actifs et déterminer un portefeuille optimal.

 

[41]           Quant à la revendication de méthode 65, ses éléments essentiels sont les étapes de conseil financier définies, en l'absence du langage relatif à la mise en œuvre par ordinateur, par l'étape consistant à déterminer les expositions praticables à une pluralité de classes d'actifs, et l'étape consistant à recommander un portefeuille efficient de produits financiers sélectionnés parmi l'ensemble restreint de produits financiers.

 

[42]           À la revendication 1, les éléments essentiels sont les étapes consistant à générer un scénario de rendement, à réaliser une mise en correspondance, à simuler un scénario de rendement, à déterminer un portefeuille praticable optimal et à maximiser la fonction d'utilité moyenne-variance revendiquée.

 

[43]           Enfin, les éléments essentiels de la revendication 28 sont les opérations financières liées à l'exécution d'une analyse de l'exposition liée à un produit par rapport à un ensemble de classes d'actifs, la génération d'une prévision concernant le produit financier à un horizon temporel configurable, et la présentation de l'information sur la valeur projetée du produit à cette date.

 

[44]           Bien que nous ayons lu et interprété toutes les revendications, il n'est pas nécessaire que nous exposions ici les résultats obtenus pour chaque revendication indépendante. Les questions pertinentes concernant l'interprétation ont été abordées dans le cadre de notre examen des revendications 27, 65, 1 et 28 ci-dessus. Nos conclusions quant à l'absence de toute composante informatique essentielle s'appliquent également aux autres revendications indépendantes, à savoir les revendications 18, 25, 26, 37, 38 et 55.

 

[45]           Aucune des revendications dépendantes (revendications 2 à 17, 19 à 24, 29 à 36, 39 à 54, 56 à 64, ou 66 à 69) ne définit de composantes informatiques essentielles non plus. Nous soulignons, en outre, que l'historique du traitement de la demande ne révèle aucun différend entre le demandeur et l'examinateur quant à la signification ou à la compréhension des revendications dépendantes. Par conséquent, nos conclusions, exposées ci-dessus, concernant le caractère non essentiel des composantes informatiques s'appliquent à toutes les revendications.

 

Question 1        Les revendications 1 à 69 visent un objet non prévu par la loi et sont-elles, par conséquent, non conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets?

 

                Principes et balises juridiques

 

[46]           Les catégories d'objets brevetables sont énoncées à l'article 2 de la Loi sur les brevets : 

 

                « invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

[47]           Dans Amazon, la Cour d'appel fédérale a invoqué la décision rendue dans Schlumberger Canada Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1982] 1 C.F. 845 (C.A.F.) [Schlumberger], indiquant que la conclusion dans cette affaire était conforme aux principes de l'interprétation téléologique. Schlumberger est la seule affaire canadienne, avant Amazon, à avoir porté sur la brevetabilité des inventions de nature informatique et, non sans importance pour notre révision, sur la brevetabilité d'une invention impliquant un ordinateur programmé pour exécuter des calculs. Schlumberger pourrait être décrite comme une affaire dans laquelle ce qui avait, au départ, l'apparence d'une revendication de méthode informatisée pour exécuter certains calculs s'est révélé n'être en réalité que la revendication d'un principe abstrait et d'un processus mental non brevetables. Tel qu'il est indiqué dans Amazon (para. 69), les revendications dans Schlumberger n'ont pas échappé à l'exclusion du simple fait qu'elles définissaient l'emploi d'un outil matériel (un ordinateur) comme moyen de conférer une application pratique à la nouvelle formule mathématique.

 

[48]           Comme la Cour l'a fait observer dans Amazon [para. 62 à 69], puisqu'il ne peut être octroyé de brevet pour une idée abstraite, il est implicite dans la définition d’« invention » que l'objet de la revendication doit être une chose dotée d’une existence physique ou une chose qui produit un effet ou changement discernable : le simple fait que l’invention revendiquée ait une application pratique, en raison de la présence d’un ordinateur, n’est pas suffisant pour satisfaire à l’exigence du caractère physique.

 

[49]           L'énoncé de pratique PN-2013-03 aborde les conclusions de la Cour dans Amazon et dans d'autres décisions pertinentes des tribunaux canadiens quant au sens qu'il convient de donner au terme « invention » à la lumière de l'article 2 de la Loi sur les brevets, considéré conjointement avec le paragraphe 27(8) de la Loi. L'énoncé de pratique présente, à la page 2, un résumé général des inventions qui n'entrent pas dans la définition d'invention qui est énoncée dans la Loi sur les brevets :

 

a)      inventions qui s’inscrivent dans une catégorie définie d'exclusions de brevetabilité;

·       p. ex., beaux-arts (c.-à-d. choses « qui tiennent uniquement à la réflexion intellectuelle ou au sens esthétique »), méthodes de traitement médical, etc.

 

b)      inventions non manifestées concrètement (y compris les inventions sans méthode d'application pratique);

·       p. ex., inventions sans présence physique (c.-à-d. qui ne sont pas « quelque chose avec une existence physique ou quelque chose qui manifeste un effet ou un changement discernable »);

·       p. ex., inventions où l'objet revendiqué est simplement une idée, un projet, un plan ou une série de règles.

 

                Analyse

 

[50]           Dans le résumé des motifs, l'examinateur a indiqué que les seuls éléments essentiels des revendications 1 à 69 se rapportaient au projet de fournir des conseils financiers ou de prévoir la valeur capitalisée d'un produit financier grâce aux algorithmes (calculs mathématiques) divulgués. L'examinateur n'a relevé dans les revendications ni caractéristiques ni éléments physiques essentiels. L'examinateur a conclu que les revendications définissaient un projet ou un plan pour fournir des conseils financiers, et qu'elles ne correspondaient pas à une catégorie d'invention brevetable au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[51]           En considérant les revendications indépendantes en premier, après avoir procédé à une interprétation téléologique, nous avons de même conclu que les éléments essentiels de l'invention revendiquée avaient trait à des concepts financiers impliquant le recours à certains calculs mathématiques aux fins de l'optimisation d'un portefeuille de placement. Nous n'avons relevé aucune caractéristique ou aucun élément physique essentiel dans les revendications. Pour les raisons exposées ci-dessous, nous convenons avec l'examinateur que les éléments essentiels sont des règles servant à fournir des conseils financiers fondés sur certains calculs, qui, à l'instar des calculs en cause dans Schlumberger, sont considérés comme définissant des principes abstraits et des processus mentaux non brevetables.

 

[52]           Dans sa lettre en réponse (pages 10 à 13), le demandeur, en plus de se dire en désaccord avec la conclusion de l'examinateur selon laquelle les composantes informatiques ne sont pas essentielles, avance des arguments selon lesquels les revendications définissent un objet prévu par la loi pour les raisons suivantes (nous paraphrasons) :

 

a)   les revendications visent une catégorie d'inventions brevetables;

b)  la simple présence de calculs n'est pas déterminante en ce qui concerne la brevetabilité;

c)   l'invention revendiquée manifeste un effet ou un changement discernable.

 

a)      Les revendications sont-elles conformes parce qu'elles définissent une catégorie d'inventions brevetable?

 

[53]           En ce qui concerne le point a) ci-dessus, le comité ne considère pas que la simple présence de mots, tels que mémoire lisible par ordinateur, support lisible par machine, progiciel, méthode mise en œuvre par ordinateur constitue une preuve suffisante que les revendications définissent un objet prévu par la loi. Une telle approche équivaudrait à accorder à tort la préséance à une interprétation littérale au détriment d'une interprétation téléologique. Pour paraphraser la Cour dans Amazon (para. 44), il se peut qu'une invention qui, à première vue, semble être la revendication d'une « méthode mise en œuvre par ordinateur », d'un « progiciel » ou d'un « système informatique » soit délibérément ou par inadvertance formulée dans un langage trompeur, et qu'il appert à la suite d'une interprétation téléologique qu'il s'agit de la revendication d'un principe abstrait ne constituant pas un objet brevetable. 

 

[54]           Conformément au raisonnement suivi dans Schlumberger (à la page 206), l'utilisation d'un ordinateur (ou d'une mémoire, ou d'un moyen de code) pour réaliser des mises en correspondances, des prévisions, des simulations ou autrement optimiser un portefeuille de placement ne peut pas avoir pour effet de transformer en un objet brevetable quelque chose qui autrement ne l'est clairement pas, c'est-à-dire des calculs abstraits ou des processus mentaux.

 

b)      La simple présence de calculs est-elle déterminante en ce qui concerne la brevetabilité?

 

[55]           S'agissant du point b) ci-dessus, le comité convient que la présence de calculs ou d'autres algorithmes en soi dans les revendications interprétées téléologiquement n'est pas déterminante en ce qui concerne la question de la brevetabilité. Conformément à la recommandation de la Cour dans Amazon, le Bureau considère plutôt que c'est l'interprétation téléologique des revendications qui permet de déterminer si les calculs, les algorithmes ou les formules mathématiques [traduction] « ne constitue[nt] pas l’invention entière, mais seulement un élément essentiel parmi d’autres dans une nouvelle combinaison » (Amazon, para. 63). Tel que nous l'avons conclu à l'issue de notre interprétation des revendications, les composantes informatiques qui sont définies dans l'ensemble des revendications ne sont pas essentielles à l'invention. Il ne reste que les concepts financiers comprenant des calculs mathématiques spécifiques qui sont utilisés pour optimiser un portefeuille de placement.

 

c)      L'invention revendiquée manifeste-t-elle un effet ou un changement discernable?

 

[56]           Relativement au point c) ci-dessus, le demandeur soutient que l'objet revendiqué manifeste un effet ou un changement discernable même sans la présence d'un ordinateur. De l'avis du demandeur, ce serait notamment le cas des méthodes visées par les revendications 38 à 69, dont les étapes consistant à générer des scénarios, mettre des produits en correspondance ou fournir des simulations interactives comprendraient toutes une manifestation d'un effet ou d'un changement discernable, et définiraient, par conséquent, un objet brevetable d'après la décision rendue dans Amazon.

 

[57]           Le comité estime, au contraire, que les revendications ne définissent aucune étape ou caractéristique physique entraînant un effet ou un changement discernable. Comme nous l'avons mentionné (para. [36]), les étapes de la mise en correspondance, de la simulation de scénarios et, par extension, de la génération de scénarios de rendement, impliquent toutes la manipulation et la présentation de données financières, de chiffres et d'autres renseignements connexes. Nous considérons que ces opérations sont des transactions et des calculs financiers. Ces opérations sont abstraites par nature et, par conséquent, on ne peut pas considérer qu'elles produisent un changement ou un effet discernable pour l'utilisateur, autre que l'intérêt ou la signification qu'elles peuvent avoir dans l'esprit de la personne qui prend connaissance de l'information.

 

[58]           De plus, nous ne considérons pas que les résultats définis par les revendications manifestent un effet ou un changement discernable.  Tous les résultats dérivent du même objet que celui examiné précédemment et concernent des nombres abstraits (c.-à-d. des données financières). Aux revendications 28 à 37, par exemple, le résultat obtenu est la valeur projetée d'un produit ou le revenu de retraite projeté. Aux revendications 1 à 27 et 38 à 69, le résultat est un portefeuille recommandé de produits financiers, qui s'accompagnent, dans certaines de ces revendications, du calcul d'une fonction d'utilité moyenne-variance. Nous ne considérons pas que le résultat de l'invention entraîne un quelconque changement ou effet physique; le résultat consiste simplement en de l'information (financière) ou en des données numériques. Toute transaction subséquemment effectuée par l'utilisateur sur la base des conseils obtenus (lesquels peuvent ou non entraîner un effet ou changement physique discernable) sort du cadre de l'invention revendiquée. Toute augmentation ou diminution de l'avoir du portefeuille optimisé observée consécutivement à de telles transactions n'a de signification, en soi, que sur le plan intellectuel, et est donc abstraite.

 

[59]           En conclusion, les revendications indépendantes définissent des concepts financiers qui impliquent le recours à certains calculs mathématiques aux fins de l'optimisation d'un portefeuille de placement. Il n'y a pas d'autres éléments essentiels. Les concepts financiers, et les équations ou calculs mathématiques qui sont exécutés pour mettre en œuvre ces concepts, sont considérés comme abstraits, car ils définissent un ensemble de règles. Par conséquent, nous souscrivons aux conclusions présentées dans le résumé des motifs selon lesquelles les revendications, interprétées téléologiquement, visent un plan ou un ensemble de règles pour optimiser un portefeuille de placement en fonction de certaines formules ou de certains calculs. Les revendications ne sont pas rendues valides du fait qu'elles prévoient l’utilisation d’un ordinateur, d’une mémoire lisible par ordinateur ou des étapes mises en œuvre par ordinateur pour conférer à l'ensemble des règles une application pratique.

 

[60]           L'objet des revendications consiste donc en un projet ou un ensemble de règles, tous deux abstraits, servant à fournir des conseils financiers, qui ne manifestent aucun effet ou changement discernable.

 

                Revendications dépendantes

 

[61]           Comme nous avons déjà conclu à l'issue de notre interprétation que les composantes informatiques ou les autres caractéristiques physiques (entrée de données, sorties de données) n'étaient pas des éléments essentiels à l'objet des revendications dépendantes, nous concluons qu'il n'y a rien dans ces revendications qui pourrait remédier au caractère abstrait des revendications indépendantes.

 

Conclusion quant à la question 1

 

[62]           Ainsi, tel qu'il a été conclu par le présent comité, les revendications 1 à 69 définissent un projet, un plan ou un ensemble de règles visant à fournir des conseils financiers qui sont considérés comme abstraits et non manifestés concrètement, et, par conséquent, ne définissent pas une invention au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Question 2 et question 3 : Nouvelle matière et caractère indéfini (revendications 55 à 69)

 

[63]           Le résumé des motifs indique que deux nouvelles irrégularités ont été relevées à la suite de l'introduction par le demandeur du terme « proper subset » [sous-ensemble adéquat] dans les revendications modifiées soumises en réponse à la Décision finale. L'examinateur a constaté que ce terme n'était pas employé dans le mémoire descriptif original et a jugé, de surcroît, qu'on ne savait pas ce qu'il fallait entendre par « sous-ensemble adéquat ». Le demandeur a contesté ces conclusions dans sa réponse au résumé des motifs.

 

[64]           Comme nous l'avons mentionné au début de la présente recommandation (para. [5]), étant donné que nous avons conclu que les revendications 1 à 69 ne définissent aucun objet prévu par la loi, il n'est pas nécessaire que nous examinions ces deux questions en détail. Nous convenons néanmoins que ces questions signalées par l'examinateur concernent des irrégularités présentes dans les revendications. Nous ne trouvons rien dans le mémoire descriptif original qui puisse appuyer l'utilisation de ce terme, et nous convenons, en outre, qu'il y a lieu de considérer ce terme comme ambigu; en effet, on ne sait pas exactement ce qui constitue un « sous-ensemble adéquat » de produits financiers, par opposition à un sous-ensemble « inadéquat » de produits financiers.

 

Recommandation

 

[65]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, la Commission recommande que la demande soit rejetée au motif que les revendications 1 à 69 ne définissent pas un objet prévu par la loi et sont, par conséquent, non conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

 

 

 

 

 

                Andrew Strong                               Stephen MacNeil                           Paul Sabharwal

Membre                                              Membre                                              Membre


Décision

 

[66]           Je souscris aux conclusions de la Commission ainsi qu'à sa recommandation de rejeter la demande au motif que les revendications 1 à 69 ne sont pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets. En conséquence, conformément aux dispositions de l'article 40 de la Loi sur les brevets, par les présentes, je rejette la demande de brevet.

 

[67]           Conformément aux dispositions de l'article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose d'un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

 

 

                Sylvain Laporte

                Commissaire aux brevets

 

 

                Fait à Gatineau (Québec),

                en ce 10e jour d'octobre 2014

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