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Décision du Commissaire no 1364

Commissioner’s Decision #1364

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : O00

TOPIC: O00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande no : 2,150,781

Application No. : 2,150,781



 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

La demande de brevet 2,150,781 ayant été refusée en vertu de la règle 30(3) des Règles sur les brevets, la Commission d'appel des brevets et le Commissaire aux brevets l’ont révisée conformément à l’alinéa 30(6)c) des Règles sur les brevets. Les conclusions de la Commission et la décision du Commissaire sont les suivantes :

 

 

 

 

 

 

           

 

 

                                                           

 

 

 

Agent du demandeur :

 

Fetherstonhaugh

55, rue Metcalfe 
Bureau 900, case postale 2999, 
Succursale D 
Ottawa (Ontario)  K1P 5Y6


 


                    

 

Introduction

                                   

[1]   L’examinateur a refusé la demande de brevet 2,150,781, intitulée « Composition herbicide sélective », au motif que l’invention revendiquée était considérée comme étant évidente à la lumière de plusieurs antériorités.

  

[2]   La demande a été soumise à la Commission d’appel des brevets pour révision fondée sur le dossier de l’instance, y compris les rapports communiqués entre l’examinateur et le demandeur, les présentations écrites du demandeur et les présentations soumises à l’audience qui s’est tenue le 6 décembre 2013.  

 

[3]   Nous recommandons que la demande soit rejetée, pour les raisons qui suivent.

 

Contexte

 

[4]   La présente demande concerne une combinaison herbicide du phytoprotecteur bénoxacor et de l’herbicide S-métolachlore, qui opère une lutte sélective des mauvaises herbes dans les récoltes de plantes cultivées. L’emploi d’herbicides chimiques pour lutter contre les mauvaises herbes est un élément important de la production agricole, mais l’exposition aux herbicides peut aussi gravement endommager les récoltes. Les phytoprotecteurs sont des agents de protection des cultures contre les dommages causés par les herbicides. Ils agissent à l’interne (c.-à-d. à l’intérieur de la plante protégée) de manière à augmenter la tolérance à l’herbicide de la plante cultivée, entraînant une réduction des dommages aux récoltes lorsque l’herbicide et le phytoprotecteur sont appliqués ensemble aux mauvaises herbes et aux cultures.

 

[5]   Selon le résumé des motifs de l’examinateur, il aurait été évident à toute personne versée dans l’art, à la date de revendication, de protéger les cultures contre les dommages attribuables au S-métolachlore en l’employant en combinaison avec le bénoxacor. Le demandeur a contesté cette allégation et, de plus, produit une déclaration contenant la preuve d’un avantage imprévu offert par la combinaison. Cependant, le demandeur a soutenu tout au long de la poursuite  que même en l’absence de cette preuve supplémentaire, l’invention revendiquée n’aurait pas été évidente. L’examinateur a refusé d’accorder du poids à cette preuve, parce que l’avantage démontré dans la déclaration n’était pas divulgué dans le mémoire descriptif original.

 


[6]   Deux points litigieux principaux doivent être examinés. Le premier est de déterminer si l’avantage démontré dans la déclaration a été divulgué dans la demande originale; le deuxième est le caractère évident de l’invention revendiquée.

 

Les questions en litige

 

[7]   Cette révision porte sur deux questions :

 

                        (1) L’avantage énoncé dans la déclaration est-il divulgué dans la demande?

                        (2) Les revendications sont-elles évidentes?

  

[8]   Comme l’admissibilité de la déclaration est contestée, nous traiterons de la preuve dans la déclaration avant de mener notre analyse du caractère évident.

 

[9]   Étant donné que l’évidence de l’invention est établie en fonction de l’objet défini par les revendications, nous commencerons par une interprétation téléologique des revendications.

 

Interprétation téléologique

 

[10]     Les revendications sont interprétées suivant une approche éclairée et téléologique, du point de vue de la « personne versée dans l'art » fictive, à la lumière des connaissances générales courantes de cette personne. Le but est de déterminer avec objectivité la portée des revendications, selon ce que les termes employés dans la revendication donneraient à croire à une personne versée dans l’art. Ce n’est qu’à ce stade que les éléments de l’invention revendiquée peuvent être jugés essentiels ou non essentiels (Free World Trust c. Electro Santé Inc., 2000 CSC 66, [Free World Trust] au paragraphe 50). L’interprétation se fonde sur la description du brevet lui-même, sans recourir à des éléments de preuve extrinsèques (Free World Trust, para. 66).

 

[11]     De même que pour l’interprétation téléologique, la démarche en quatre étapes du caractère évident énoncée par la Cour suprême dans Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi] oblige à procéder à une analyse du point de vue de la personne versée dans l’art, à la lumière de ses connaissances générales courantes. Pour ne pas répéter la discussion sur la personne versée dans l’art et sur ses connaissances générales courantes, nous renverrons simplement à ce paragraphe durant notre analyse du caractère évident de Sanofi.

  

[12]     Il ressort clairement d’un examen des arguments que plusieurs termes doivent être examinés. Pour fournir un contexte, nous commencerons par présenter les revendications.

 

Les revendications

 

[13]     Il y a 4 revendications au dossier, mais seules les nos 1 et 2 sont indépendantes. Voici la revendication 1 de la demande :                                                                                                                                 

 


1. Une composition pour le contrôle sélectif des mauvaises herbes dans les récoltes de plantes cultivées qui contient, outre les excipients et adjuvants inertes, et à titre de composant actif, un mélange de ce qui suit :

 

a) une quantité herbicide efficace d’une paire diastéréo-isomérique de α-RS-1'S(-)N-(1'-méthyle-2'-méthoxyéthyl)-N-chloroacétyle-2-éthyle-6-méthylaniline de composés de formule (I)

 

 

dans lesquels R0 est l’éthyle, et

b) comme antagoniste de l’herbicide, une quantité à efficacité antidotique d’un composé de formule III à titre de phytoprotecteur.                                

                                         

 

[14]     Le composé de formule (I) dans les revendications peut être désigné de façon de plus pratique par son appellation chimique « S-métolachlore », et le composé de formule III, par « bénoxacor ». On peut donc présenter la revendication sous la forme pratique suivante :

 


1. Une composition pour le contrôle sélectif des mauvaises herbes dans les récoltes de plantes cultivées qui contient, outre les excipients et adjuvants inertes et, à titre de composant actif, un mélange de ce qui suit :

a) une quantité herbicide efficace d’une paire diastéréo-isomérique de composés de

S-métolachlore, et

b) comme antagoniste de l’herbicide, une quantité à efficacité antidotique de bénoxacor à titre de phytoprotecteur.

 


[15]     Dans cette même forme abrégée, la revendication 2 porte sur ce qui suit :      

 


2. Une méthode de contrôle sélectif de mauvaises herbes et graminées, dans les récoltes de plantes cultivées, méthode qui comprend le traitement desdites plantes, des graines ou de leur locus, ensemble ou séparément, au moyen d’une quantité efficace de la paire diastéréo-isomérique de composés de S-S-métolachlore et, comme antagoniste de l’herbicide, une quantité à efficacité antidotique de bénoxacor à titre de phytoprotecteur.

 


[16]     Nous notons que la revendication 2 emploie des termes plus larges qui permettent de formuler et d’appliquer le S-métolachlore et le bénoxacor soit séparément, soit ensemble, au contraire de la revendication 1, dans laquelle les agents actifs sont nécessairement formulés ensemble.

 

[17]     Les revendications 3 et 4 sont des revendications dépendantes, qui renvoient à la revendication 2. La revendication 3 définit des quantités précises de bénoxacor et de S-métolachlore, et la revendication 4 restreint la définition de plante cultivée au terme « maïs ».

 

[18]     Le demandeur a proposé, avant l’audience, une revendication dépendante supplémentaire, la revendication 5. Conformément aux souhaits exprimés par le demandeur à l’audience, la brevetabilité de la revendication proposée ne sera envisagée que si les revendications au dossier sont jugées défectueuses.

 

La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes

 

[19]     L’examinateur a préparé une décision finale qui se guide sur la démarche en quatre étapes de l'affaire Sanofi. Selon cette décision finale, la personne versée dans l’art est [traduction] « Un biologiste ou chimiste qui connaît la phytotechnie ». Nous acceptons cette définition, puisque le demandeur n’a pas contesté cette qualification de la personne versée dans l’art, et que la définition est raisonnable à la lumière des enseignements de la description.

 

[20]     La décision finale contient deux énoncés relatifs aux connaissances générales courantes. Le premier est que [traduction] « Une personne versée dans l’art saurait que le bénoxacor protège les plantes cultivées contre les effets phytotoxiques du métolachlore racémique. » Le deuxième, que la personne versée dans l’art [traduction] « saurait que le métolachlore racémique se compose de R- et S-métolachlore. » Le demandeur n’a contesté ni l’un ni l’autre de ces énoncés.

 

[21]     Nous acceptons ces énoncés des connaissances générales courantes. Le premier énoncé est étayé par chacun des documents D2 à D6 cités par l’examinateur dans l’analyse du caractère évident dans la section qui suit (la discussion de ces documents débute au paragraphe [61]). Pour le deuxième énoncé, nous convenons qu’il était de connaissance générale courante que le métolachlore est un mélange racémique composé de quatre composés individuels, deux en R et deux en S, et que la personne versée dans l’art connaissait les structures de ces quatre composés. Cela ressort clairement de la partie contextuelle du document D1, une divulgation du S-métolachlore qui est citée dans la description du demandeur, et qui est qualifiée d’art antérieur par l’examinateur dans la section qui suit (la discussion de ce document débute au paragraphe [59]). Ce deuxième énoncé est étayé encore par une publication antérieure du même auteur, qui est mentionnée sur la couverture du D11. Ce document montre que les structures individuelles de ces quatre composés étaient connues en 1982. Désignés composés αS,1'S, αR,1'S, αR,1'R et αS,1'R, ces composés sont illustrés à la Figure 1 ci-dessous.     

                       

?S,1'R?R,1'S?R,1'R?S,1'S

 

Figure 1 — Les quatre composés du métolachlore racémique

 

[22]     Nous fournissons ici une courte explication de la signification et de la portée du S-métolachlore dans les revendications, et de la relation entre le S-métolachlore et le métolachlore racémique. Le mot « racémique » désigne un mélange de composés dont la seule différence est qu’ils sont l’image miroir les uns des autres. Le composé de métolachlore contient deux points d’asymétrie, un « centre chiral » (dénoté par l’astérisque dans la formule I ci-dessus et en [13]) et un « axe chiral » qui suit la liaison entre l’atome de nitrogène et le cycle phénylique. En vertu de ses deux points d’asymétrie, le métolachlore racémique contient quatre composés distincts, or diastéréoisomères, comme ils sont qualifiés dans l’art. Ils sont illustrés à la figure 1.

 

[23]     Comme indiqué dans les revendications, le S-métolachlore est constitué de deux composés, une paire de diastéréoisomères, qui constituent 50 % du métolachlore racémique : les composés αS,1'S et αR,1'S illustrés du côté gauche de la figure 1. Par contraste, le R-métolachlore contient les composés αR,1'R et αS,1'R illustrés du côté droit de la figure 1, tandis que le métolachlore racémique les contient tous les quatre.   

                                

[24]     Comme mentionné dans le contexte, les phytoprotecteurs sont des agents qui protègent les cultures contre les dommages causés par les herbicides. À titre de clarification, le bénoxacor est défini dans les revendications comme un « phytoprotecteur » utilisé comme « antagoniste » de l’herbicide et présent en quantité à efficacité « antidotique ». Ces termes de l’art sont synonymes et interchangeables. Cela va dans le sens de la première page de la description déposée à l’origine, qui établit une équivalence entre les termes « phytoprotecteur » et « antidote », et déclare que le phytoprotecteur peut [traduction] « antagoniser l’action délétère de l’herbicide sur la plante cultivée, c’est-à-dire protéger la plante cultivée quasiment sans entraver l’action herbicide sur la mauvaise herbe qu’on veut contrôler. » Ces définitions sont conformes à celles dans le Dictionnaire de l’Académie sous « antidote » et « antagoniste », soit « Substance propre à neutraliser un poison » et « Qui est opposé, qui agit en sens contraire », respectivement. La personne versée dans l’art prendrait immédiatement conscience que le phytoprotecteur a pour fonction de neutraliser les effets de l’herbicide en vue de protéger les cultures.

 

[25]     Le sens et la portée de « sélectivité » ou du « contrôle sélectif des mauvaises herbes dans les récoltes de plantes cultivées », employés dans les revendications, étaient contestés. Selon l’examinateur, la « sélectivité » se limitait au pouvoir de cette combinaison de protéger les plantes cultivées — mais non les mauvaises herbes — contre l’herbicide, comme en témoigne le premier paragraphe de la description originale :                                      


[traduction] 

La présente invention concerne une composition herbicide composée qui contrôle les graminées et les mauvaises herbes dans les récoltes de plantes cultivées... composition qui comprend un herbicide et un phytoprotecteur (antidote), et protège les plantes cultivées — mais non les mauvaises herbes — contre les effets phytotoxiques de l’herbicide.


 


[26]     Cette interprétation est trop restreinte, selon le demandeur. À l’audience, le demandeur a aussi mentionné la page 1 de la description originale, qui renvoie sans cesse à la sélectivité. Le demandeur fait valoir qu’une personne versée dans l’art à la date de revendication aurait donné à « sélectivité » l’interprétation « activité herbicide différentielle », soit une indication générale que « l’un est choisi de préférence à l’autre »; les mauvaises herbes sont tuées, mais non les plantes.

 

[27]     Nous acceptons la présentation du demandeur et nous en concluons que la personne versée dans l’art, à la date de revendication, aurait interprété le mot « sélectivité » comme une indication de la différence dans l’action herbicide envers la mauvaise herbe et les cultures. Cela va dans le sens des enseignements du document D1 (ci-dessus au [21], ci-dessous au [59]) qui qualifie un herbicide ayant une action herbicide différentielle envers les mauvaises herbes et les cultures de « sélectif » même s’il ne contient pas de phytoprotecteur ou ne fournit aucune mesure de protection.

 

Idée originale ou éléments essentiels

 

[28]     La formulation convenable de « l’idée originale » des revendications, comme elle est employée dans le cadre de l’analyse du caractère évident dans Sanofi, était contestée. Dans la décision finale, l’examinateur a ainsi décrit l’idée originale des revendications [traduction] : « L’utilisation de bénoxacor à titre de phytoprotecteur des plantes cultivées, mais non des mauvaises herbes, contre les effets phytotoxiques du S-métolachlore ».

 

[29]     En réponse à la décision finale, le demandeur a fait valoir qu’il avait droit à un examen de l’objet défini par le texte en clair des revendications, jugeant inutile de s’appuyer sur « une notion abstraite d’une idée originale ». Selon le demandeur, le langage clair des revendications indépendantes fait ressortir ce qui suit :

 


[traduction]

La revendication 1 porte sur un composé pour le « contrôle sélectif des mauvaises herbes dans les récoltes de plantes cultivées », ce composé englobant le S-métolachlore et le bénoxacor. La revendication 2 concerne une méthode de « contrôle sélectif de mauvaises herbes et graminées dans les récoltes de plantes cultivées », ce qui comprend le traitement des plantes, des graines ou de leur locus, ensemble ou séparément, au S-métolachlore S- et au bénoxacor.

 


[30]     En particulier, l’idée originale présentée par l’examinateur ne fait aucune référence au « contrôle sélectif des mauvaises herbes dans les récoltes de plantes cultivées » et la paraphrase des revendications par le demandeur passe sous silence le rôle phytoprotecteur de bénoxacor à titre d’antagoniste de l’herbicide. Le demandeur allègue aussi ce qui suit :


 


[traduction]

Selon une interprétation téléologique, la personne versée dans l’art comprendrait sans peine que l’invention revendiquée concerne l’emploi en combinaison du S-métolachlore et du bénoxacor dans les cultures pour qu’elles puissent pousser sans que l’herbicide leur nuise, mais qu’au contraire il empêche la prolifération des mauvaises herbes. Cela pourrait consister, par exemple, à tuer les mauvaises herbes qui émergent ou inhiber la germination des graines des mauvaises herbes. La revendication 2, portant sur une méthode de contrôle sélectif de mauvaises herbes et graminées dans les récoltes de plantes cultivées, précise que le S-métolachlore et le bénoxacor peuvent servir à traiter les plantes, les graines ou leur locus. La personne versée dans l’art comprend que cela signifie qu’on peut appliquer les composés aux plantes ayant surgi du sol, aux graines des plantes avant l’ensemencement ou (par exemple) au sol.

     


[31]     Une fois encore, aucune mention expresse n’a été faite du rôle phytoprotecteur joué par le bénoxacor. À l’audience, le demandeur a allégué que le bénoxacor serait plus correctement considéré comme un agent d’augmentation de la sélectivité de l’herbicide que comme un phytoprotecteur, expliquant que « phytoprotéger » les cultures aussi bien que la mauvaise herbe ne donne aucun résultat. Le but est d’améliorer la sélectivité.   

 

[32]     À notre avis, cette déclaration n’est pas conforme au langage clair employé dans les revendications indépendantes, où le bénoxacor est explicitement défini comme un antidote, un antagoniste et un phytoprotecteur. Étant donné que trois synonymes ont été employés dans les revendications pour faire valoir cet argument, il faut tenir dûment compte du rôle phytoprotecteur du bénoxacor.

 

[33]     En l’espèce, nous ne jugeons pas que l’idée originale soit différente des éléments essentiels de l’objet défini par les revendications. Comme l’examinateur n’a jamais allégué que n’importe lequel des éléments de l’invention revendiquée n’était pas essentiel, et que rien ne nous mène à une autre conclusion, nous partirons du principe que tous les éléments des revendications sont essentiels. L’examinateur a conclu que les revendications 1 à 4 au dossier étaient toutes défectueuses. Comme ni l’examinateur ni le demandeur n’a établi de distinction entre ces revendications, nous fonderons notre analyse sur le langage clair de la revendication indépendante 2, que nous estimons représentative des autres revendications. Les revendications seront accueillies ou rejetées en bloc, en fonction du résultat de notre analyse.

 

[34]     Conformément à l’objet défini par le langage clair de la revendication, nous estimons que la revendication 2 comporte les éléments essentiels qui suivent : i) une méthode de contrôle sélectif de mauvaises herbes et graminées dans les récoltes de plantes cultivées, ii) le traitement simultané ou distinct des plantes, des graines et de leur locus, au moyen iii) d’une quantité efficace de S-métolachlore, et iv) à titre d’antagoniste de l’herbicide, une quantité à efficacité antidotique de bénoxacor en tant que phytoprotecteur.

 

Question (1) L’avantage dans la déclaration est-il divulgué dans la demande?

 

[35]     Tel que mentionné, le demandeur a présenté des preuves d’un avantage imprévu au cours de la poursuite. En vertu des conditions de l’expérience menée dans ce qui a pris le nom de « déclaration de Ruegg  », du nom de son expérimentateur, il a été établi que le bénoxacor amplifiait l’effet herbicide du S-métolachlore, et réduisait la germination de la mauvaise herbe à l’étude, C. album (ou chénopode blanc), de moitié par comparaison avec l’utilisation du S-métolachlore seul.

 

[36]     Selon le résumé des motifs, la preuve dans la déclaration de Ruegg est inadmissible, parce qu’elle divulgue un avantage qui n’a aucun fondement dans le mémoire descriptif déposé à l’origine, cet avantage étant la capacité de la combinaison de réduire la germination de la mauvaise herbe. De plus, il ressort clairement de la déclaration que les expériences ont été exécutées après la date de revendication, et qu’ainsi les résultats [traduction] « décrits dans la déclaration ne pouvaient être connus à la ou aux dates de la revendication ».

 

[37]     Nous avons invité le demandeur à faire des présentations sur ce deuxième point relativement à Novopharm Ltd c. Janssen-Ortho Inc, 2007 CAF 217 [Novopharm] et au poids accordé aux avantages d’une invention revendiquée qui ne sont reconnus qu’après la date de l’invention lors de l’examen de l’inventivité.

 

[38]     Dans Janssen-Ortho Inc c. Novopharm Ltd, 2006 CF 1234, la cause portée en appel dans Novopharm, le juge Hughes a proposé une liste de facteurs qui guideraient l’examen du caractère évident. Il inscrit « avantages reconnus ultérieurement » comme des facteurs secondaires, mais avertit que « ce facteur est d'utilité limitée pour apprécier l'inventivité et qu'on ne devrait lui accorder que peu de poids ». Cette liste de facteurs a été reproduite dans Novopharm, mais le juge Sharlow a retiré les « avantages reconnus ultérieurement », et fourni l’explication suivante au paragraphe 26 :

 


Il me semble difficile d’imaginer un cas où un avantage relevé après la date de l’invention supposée serait d’une quelconque utilité pour établir si elle a nécessité l’exercice d’esprit inventif… J’admets qu’il est impossible d’imaginer toutes les situations possibles, mais, étant donné l’état actuel de la jurisprudence, j’inclinerais à n’accorder aucun poids à ce facteur, sauf dans le plus extraordinaire des cas.


 


[39]     Le demandeur a allégué qu’il est clair que la loi n’exige pas que la demande contienne toutes les données sur les avantages divulgués, et que la preuve confirmant un avantage qui est divulgué dans le mémoire descriptif original est admissible sans distinction du moment où les essais ont été effectués. Le demandeur a fait une distinction entre sa cause et Novopharm, qui se penche sur les preuves d’une utilisation du composé différente de celle divulguée dans la demande. Selon le demandeur, il convient de tenir compte de la déclaration de Ruegg, car elle témoigne d’un avantage divulgué dans la demande originale, cet avantage étant la sélectivité avec laquelle la combinaison tue très efficacement les mauvaises herbes tout en protégeant les cultures contre l’herbicide. De surcroît, il allègue que la preuve constitue indépendamment un fondement à la brevetabilité.

 

[40]     La question est donc de savoir si la preuve dans la déclaration de Ruegg démontre ou non un avantage divulgué dans le mémoire descriptif original. Mais avant de pouvoir y procéder, nous devons cerner la nature de l’avantage, puisque cela aussi est en litige.

 

Identification de l’avantage

 

[41]     Selon l’examinateur, l’avantage est la capacité imprévue de la combinaison d’inhiber la germination des mauvaises herbes, ce qui, d’après l’examinateur, ne figure pas dans le mémoire descriptif.

 

[42]     Par contraste, le demandeur a soutenu que l’avantage démontré dans la déclaration est la sélectivité, ou plus exactement la sélectivité supérieure de la combinaison, attribuée à la divulgation que le bénoxacor améliore l’action herbicide du S-métolachlore sur la mauvaise herbe. À l’audience, le demandeur a souligné que c’est l’amplification ou l’augmentation de l’action herbicide du bénoxacor qu’il convient d’apprécier. Loin d’être un phytoprotecteur de la mauvaise herbe, le bénoxacor élimine en fait davantage cette mauvaise herbe. Cela est contraire à ce qu’on attendrait, à savoir que le bénoxacor soit serait sans effet sur la mauvaise herbe, soit aurait un effet phytoprotecteur.

 

[43]     Le demandeur conteste l’interprétation donnée par l’examinateur, et déclare que l’inhibition de la « germination des mauvaises herbes » est une analyse très étroite de cette invention, qui comprend l’élimination des mauvaises herbes à tous leurs stades de croissance. Le demandeur allègue, par ailleurs, que les applications aux graines et au sol avant l’émergence figurent dans le mémoire descriptif. De même, l’examinateur conteste l’interprétation du demandeur, déclarant que qualifier cet avantage de « sélectivité » est trop large.

 

[44]     Nous sommes d’accord à la fois avec le demandeur et l’examinateur, mais pas complètement avec l’un ou l’autre. Nous convenons avec le demandeur que l’examinateur donne une interprétation trop étroite. À notre avis, une personne versée dans l’art qui lirait le mémoire descriptif original estimerait que « contrôler les mauvaises herbes et graminées » englobe l’élimination des mauvaises herbes à tout stade de croissance, y compris à celui de la germination. Par contre, nous convenons aussi avec l’examinateur que l’interprétation du demandeur, à savoir que l’avantage est la sélectivité, est trop large.

 

[45]     Selon le demandeur, la déclaration de Ruegg démontre la [traduction] « sélectivité de la combinaison revendiquée — c.-à-d. sa capacité de cibler les mauvaises herbes tout en protégeant les plantes cultivées d’intérêt spécial —, qui est un avantage divulgué dans la demande sous sa forme déposée ». Le demandeur fait valoir que l’accroissement de l’action herbicide sur les mauvaises herbes, alliée à l’excellente phytoprotection du maïs, est la source de la sélectivité surprenante et imprévue de la composition revendiquée. Le demandeur a allégué que l’avantage démontré dans la déclaration de Ruegg est la supériorité de la sélectivité, ou le degré de sélectivité, et qu’il est incontestable que la sélectivité est divulguée dans la demande originale.

 

[46]     Ces déclarations ne nous paraissent pas cohérentes avec le mémoire descriptif. Nous n’avons pu trouver dans la description aucun passage portant sur la supériorité de la sélectivité, le degré de sélectivité de la combinaison, ou toute indication faisant le lien entre la sélectivité et une action herbicide accrue de la combinaison contre les mauvaises herbes. De plus, l’argument du demandeur, à savoir que la sélectivité—à titre d’avantage divulgué dans la demande déposée—est démontrée en partie par la capacité du bénoxacor d’amplifier l’action herbicide contre les mauvaises herbes  n’est pas compatible avec la réalisation préférentielle de la description, qui encourage la prévention du contact entre la mauvaise herbe et le bénoxacor durant le traitement. La description indique à la page 15 que le traitement des semences ou des plantes germées sont les [traduction] « méthodes d’application naturelle préférées », parce que le bénoxacor et le S-métolachlore sont appliqués séparément de manière à éviter le contact entre la mauvaise herbe et le bénoxacor. De la sorte, tout le phytoprotecteur est concentré exclusivement sur les cultures.

 


[47]     Au cours de notre examen, nous avons invité le demandeur à fournir des observations pour concilier son enseignement avec sa position que l’amplification de l’action herbicide réalisée en appliquant à la fois le S-métolachlore et le bénoxacor sur les mauvaises herbes, comme en fait foi sa déclaration, était un avantage fondé sur la description originale. Selon le demandeur, le [traduction] « mémoire descriptif soutient que cette méthode est naturellement préférable, puisque le phytoprotecteur est entièrement concentré sur la culture cible. Comme toutefois cela n’est peut-être pas toujours réalisable à la lumière d’autres considérations » (nous soulignons), d’autres méthodes d’application, comme le mélange en cuve du S-métolachlore et du bénoxacor, sont également divulguées.

 

[48]     À notre avis, si la sélectivité divulguée dans la description originale était attribuable à la capacité du bénoxacor à la fois de protéger les cultures et d’amplifier l’effet herbicide du S-métolachlore sur les mauvaises herbes, comme indiqué, il est peu probable que la description donnerait au lecteur compétent le conseil d’éviter le contact entre les mauvaises herbes et le bénoxacor dans la mesure du « possible ».

 

[49]     Dans l’ensemble du mémoire descriptif, un lien est constamment établi entre la sélectivité et la protection contre l’action phytotoxique de l’herbicide sur les plantes cultivées, mais non sur les mauvaises herbes. À partir de ces enseignements, le lecteur compétent ne jugerait pas que la « sélectivité » englobe l’accroissement de l’action herbicide; il attribuerait la sélectivité à la protection différentielle des cultures, mais non de la mauvaise herbe. Nous ne pouvons donc accorder aucun poids à l’argument voulant que l’avantage démontré dans la déclaration de Ruegg concerne la « sélectivité » décrite dans le mémoire descriptif original.

 

[50]     Nous en concluons que la personne versée dans l’art jugerait que l’avantage démontré par la déclaration serait l’amplification de l’action herbicide du S-métolachlore sur les mauvaises herbes, attribuable au bénoxacor. Cela correspond à la déclaration du demandeur, à l’audience, qu’il faut comprendre que loin d’être un phytoprotecteur de la mauvaise herbe, le bénoxacor élimine en fait davantage cette mauvaise herbe (voir [42] ci‑dessus).

 

 

L’avantage a-t-il été divulgué?

 

[51]     L’avantage d’utiliser le bénoxacor pour amplifier l’action de l’herbicide n’est décrit nulle part dans le mémoire descriptif original. En fait, le bénoxacor est décrit sans exception comme un phytoprotecteur. Cela est particulièrement évident dans le libellé des revendications indépendantes, qui emploie trois synonymes pour définir l’utilisation du bénoxacor à titre de phytoprotecteur de l’herbicide. Nous sommes donc amenés à conclure que l’avantage démontré dans la déclaration de Ruegg est un avantage distinct, qui dépasse les limites du mémoire descriptif.

 


[52]     Il nous reste à répondre à un dernier argument. Le demandeur allègue que la revendication 5 proposée se fonde sur la preuve tirée de la déclaration de Ruegg, et que, comme elle correspond entièrement à la description, elle se rapporte obligatoirement à un avantage divulgué dans la demande sous sa forme déposée. Voici la revendication 5 proposée :

 


[traduction]

La méthode selon l’une quelconque des revendications 2 à 4, méthode qui comprend le traitement, au stade préalable à l’émergence, desdites plantes, des graines et de leur locus avec une formulation aqueuse formée de la paire diastéréoisomère de composés de S-métolachlore et de bénoxacor.

 


[53]     Nous sommes d’accord avec le demandeur que la revendication 5 proposée correspond entièrement à la description, mais non qu’elle se rapporte à l’avantage divulgué dans la déclaration de Ruegg. Cette proposition de revendication 5 est muette sur l’amplification de l’action herbicide, attribuable au bénoxacor, sur les mauvaises herbes. De plus, la revendication 5 dépend de la revendication 2, qui définit explicitement et distinctement le rôle phytoprotecteur du bénoxacor, de manière à antagoniser l’herbicide en quantité à efficacité antidotique.

 

[54]     À la lumière de la preuve qui nous est soumise, nous estimons que l’avantage démontré dans la déclaration n’était pas divulgué dans le mémoire descriptif original. Il est donc raisonnable d’en conclure qu’il s’agit d’un avantage reconnu ultérieurement. Comme le demandeur n’a pas fourni de présentation faisant valoir qu’il s’agit d’un des « cas exceptionnels » visés dans Novopharm, aucun poids ne sera accordé à cet élément de preuve dans l’analyse du caractère évident qui suit.

 


 

Question (2) Les revendications sont-elles évidentes?  

                                                                                                                                                           

[55]     L’article 28.3 de la Loi sur les brevets présente l’information susceptible d’être prise en compte dans l’évaluation du caractère évident d’une revendication :                                                           

 


L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 


[56]     Notre évaluation du caractère évident respecte la démarche à quatre étapes exposée dans Sanofi :

 


(1)  (a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

      (b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?


  

Analyse

 

Étape 1 : Identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

 

[57]     Cette première étape, liée à notre interprétation de la revendication, a été définie à la section précédente, aux paragraphes [19], [20] et [21].

 

Étape 2 : Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[58]     Comme décrit dans la section précédente, au paragraphe [34], voici les éléments essentiels de la revendication 2 :

   i) Une méthode de contrôle sélectif de mauvaises herbes et graminées dans les récoltes de          plantes cultivées,

   ii) le traitement simultané ou distinct des plantes, des graines et de leur locus, au moyen

   iii) d’une quantité efficace de S-métolachlore,

   iv) à titre d’antagoniste de l’herbicide, une quantité à efficacité antidotique de bénoxacor en tant que phytoprotecteur

 

Étape 3 : Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation

 

Document D1

 

[59]     Le document D1 est la demande de brevet américain 5,002,606 accordé à Moser et al. Dans ce document, le S-métolachlore est isolé et comparé au métolachlore racémique (la demande renvoie au D1, à la page 11, pour des instructions de préparation du S-métolachlore, conformément à la présente invention). Les inventeurs du D1 ont découvert que les composés αS,1'S et αR,1'S, qui est le S-métolachlore, offrent une action herbicide sur les mauvaises herbes qui est supérieure à celle du mélange des quatre composés du métolachlore racémique, toutefois sans phytotoxicité accrue envers les plantes cultivées (col. 3, lignes 50 à 57). Il est proposé que le S-métolachlore [traduction] « puisse donc être formulé d’une manière connue en des compositions herbicides qui serviraient au contrôle des mauvaises herbes dans les plantes cultivées ». Par ailleurs, il est dit que le S-métolachlore est beaucoup plus sélectif que le métolachlore racémique, puisque de plus le maïs et le soja le tolèrent mieux. Dans la plupart des taux d’application testés, le S-métolachlore a attaqué les mauvaises herbes sans nuire aux tests relatifs aux cultures en question. Les applications préalables et postérieures à l’émergence ont été divulguées dans le document D1.

 

[60]     La différence fondamentale entre les éléments essentiels de la revendication et le D1 est l’absence de bénoxacor et, en fait, de tout phytoprotecteur. Le S-métolachlore est employé seul.

 

Documents D2 à D6

 

[61]     L’examinateur déclare, dans le résumé des motifs, que les documents de l’art antérieur D2 à D62,3 montrent chacun indépendamment l’utilisation de l’herbicide métolachlore racémique en combinaison avec le bénoxacor en vue de protéger les cultures de maïs contre les effets phytotoxiques du métolachlore. Nous observons que même si le terme « sélectivité » est employé pour décrire uniquement la combinaison en D2, la personne versée dans l’art se rendrait tout de suite compte, du fait de l’effet protecteur du bénoxacor sur les cultures de maïs, que les combinaisons ci-dessus ont toutes un caractère sélectif. Nous observons en outre que ces documents enseignent les traitements tant simultanés que séparés des plants de maïs au métolachlore racémique et au bénoxacor.

 

[62]     Par ailleurs, la Commission fait observer que chacun des documents D2 à D5 décrit comment le bénoxacor protège les cultures de maïs contre les dégâts au moyen des composés de métolachlore racémique : l’exposition au bénoxacor augmente l’activité des enzymes glutathion S-transférase (GST) dans le maïs; ces enzymes GST catalysent la réaction entre le composé glutathion (GSH), que les plants de maïs sécrètent naturellement, et les composés de métolachlore phytotoxique absorbés par le plant; la réaction qui s’ensuit convertit les composés de métolachlore racémique en des conjugués non toxiques qui sont traités et éliminés de façon sécuritaire, sans dommage à la plante cultivée. Ce processus porte le nom de détoxification.

 

[63]     Le document D3 explique que ces conjugués sont produits au moyen d’une « réaction de substitution nucléophile » standard, c’est-à-dire qu’un « nucléophile » réactif riche en électrons attaque un « électrophile » pauvre en électrons et vulnérable, de manière à créer un composé plus stable. Le nucléophile est ici le GSH; il attaque le composé de métolachlore à l’atome de carbone, pauvre en électrons et substitué par un radical chloro (Cl), à la périphérie de la molécule illustrée dans la formule I (au paragraphe [13]). C’est ainsi qu’est réalisée la détoxification des composés de métolachlore racémique dans le maïs.

 

[64]     Le demandeur a retenu le document D4 comme la référence la plus pertinente parmi celles citées par l’examinateur. Ce document illustre les effets de la combinaison sur les cultures aussi bien que sur les mauvaises herbes. La Commission observe que la préparation contenant à la fois le bénoxacor et le métolachlore racémique, les applications au stade de préémergence et les quantités précises de l’herbicide et du phytoprotecteur sont toutes divulguées conformément aux revendications dépendantes.

 

[65]     La différence fondamentale entre les éléments essentiels de la revendication et les documents D2 à D6 est que le bénoxacor fait office de phytoprotecteur du métolachlore racémique au lieu du S-métolachlore. Aucun de ces documents ne fait mention du S-métolachlore ou de son utilisation.

 

Étape 4 : Ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

[66]     L’examinateur et le demandeur sont en désaccord sur la question de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art d’en conclure à l’objet des revendications.                                    

 

[67]     Selon la décision finale, il aurait été évident à une personne versée dans l’art de substituer le S-métolachlore au métolachlore racémique, qui est moins efficace, dans les combinaisons enseignées dans les documents D2 à D6 bénéficiant des effets phytoprotecteurs du bénoxacor. L’examinateur prend de plus la position, dans le résumé des motifs, que le mémoire descriptif n’enseigne aucun résultat autre que ce à quoi s’attendrait la personne versée dans l’art.

 

[68]     S’appuyant sur Beloit Canada Ltd c. Valmet OY (1986) 8 CPR (3d) 289 (CAF), le demandeur conteste que les références citées, ou toute combinaison de ces références, enseignent ou proposent la substitution du S-métolachlore en D1 au métolachlore racémique enseignés dans les combinaisons des D2 à D6. À l’audience, le demandeur a soutenu qu’étant donné que les documents ne font pas référence les uns aux autres, et qu’il n’est pas évident de les combiner au lieu de faire usage d’un phytoprotecteur ou herbicide différent, cette combinaison ne peut être faite qu’à la suite d’une analyse a posteriori de la présente invention. De plus, les résultats divulgués dans la demande déposée, montrant une réduction sensible des dommages au maïs lorsque le S-métolachlore est employé en combinaison avec le bénoxacor, n’auraient pu être prévus.

     

[69]     S’il est vrai que les documents ne renvoient pas les uns aux autres, nous estimons que la personne versée dans l’art aurait jugé évident de remplacer le métolachlore racémique par le S-métolachlore, plus actif, du D1 dans la combinaison faisant usage du phytoprotecteur bénoxacor, qui est enseignée dans chacun des documents D2 à D6.

 

[70]     Il est certain que le D1 enseigne et propose l’emploi du S-métolachlore en remplacement du métolachlore racémique; ils sont directement comparés, et le S-métolachlore est qualifié d’herbicide supérieur. De plus, nous concluons que la personne versée dans l’art se serait attendu à ce que le maïs traité au bénoxacor détoxifie le S-métolachlore tout comme il détoxifie le métolachlore racémique. Nous expliquons ci-après comment nous en sommes parvenus à cette conclusion.

 

Mode d’action protectrice : formation de conjugués

 

[71]     Durant notre examen, nous avons demandé au demandeur si la personne versée dans l’art aurait pensé que le mode d’action du bénoxacor serait le même pour le S-métolachlore que pour le métolachlore racémique, come divulgué dans les références citées.

 

[72]     Le demandeur a fait valoir que le mode d’action protectrice n’était pas pertinent au caractère évident de l’objet revendiqué. Selon lui, les documents sur l’art antérieur D2 à D5 divulguent que [traduction] « le bénoxacor stimule l’activité du GST, augmentant ainsi l’activité de conjugaison du métolachlore racémique au GSH, de manière à produire un conjugué ou métabolite GSH-métolachlore racémique ayant une action herbicide réduite (c’est-à-dire détoxifiée) » (nous soulignons). Le demandeur ajoute que la personne versée dans l’art aurait pu en conclure que le bénoxacor pourrait en principe obtenir le même résultat avec d’autres herbicides détoxifiés par la formation de conjugués avec le GSH, mais que cette conclusion ne peut être tirée, puisque le D1 ne décrit ou propose aucun mode d’action pour détoxifier le S-métolachlore. Au surplus, même si l’on suppose que le S-métolachlore est détoxifié par conjugaison avec le GSH, il n’aurait pas été évident que l’ajout du bénoxacor en vue d’amplifier l’activité du GST aurait eu un effet bénéfique, puisqu’on savait déjà que le S-métolachlore opère une sélection plus favorable que le mélange racémique.

 

[73]     Nous ne sommes pas d’accord que le mode de protection est sans pertinence pour la question du caractère évident. En outre, nous ne souscrivons pas à la façon dont le demandeur caractérise les conjugués formés selon l’art antérieur. Cela ne peut former un seul « conjugué GSH-métolachlore racémique », comme on le laisse entendre.

 

[74]     Il est déjà établi que la personne versée dans l’art à la date de revendication savait que le métolachlore racémique est formé des quatre composés différents illustrés à la figure 1 (au paragraphe [21]). Ce sont ces quatre composés de métolachlore qui réagissent individuellement avec le GSH pour constituer quatre conjugués GSH-métolachlore distincts. Comme les D2 à D5 indiquaient que les composés de métolachlore racémique réagissent ainsi avec le GSH, et que les composés du S-métolachlore comptent parmi les composés du métolachlore racémique, il est effectivement raisonnable de conclure que la personne versée dans l’art aurait prévu le même mode d’action pour la détoxification du S-métolachlore. Cela est confirmé par les enseignements de la voie réactionnelle dans le D3 : puisque les quatre composés — y compris des deux du S-métolachlore — contiennent le même site vulnérable et pauvre en électrons à la périphérie de la molécule, la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que la détoxification procède de la même façon pour les quatre composés.

 

[75]     À la lumière des références citées, et de notre analyse ci-dessus, l’objet des revendications aurait été évident à une personne versée dans l’art à la date de la revendication.

 

[76]     Avant d’examiner la revendication proposée et de conclure notre analyse, nous devons répondre à un dernier argument avancé par le demandeur.

 

Période de trois ans avant la date de la revendication : 1991 à 1994

  

[77]     Le demandeur a présenté un dernier argument. Les documents D1 et D4 — qui sont les références les plus pertinentes selon le demandeur — ont tous été publiés en 1991. Le demandeur fait valoir que s’il était évident de combiner le S-métolachlore et le bénoxacor, l’examinateur aurait dû pouvoir trouver une référence qui enseignait ou proposait cette combinaison dans l’intervalle entre la publication de ces documents en 1991 et la date de
priorité la plus ancienne de la demande, soit le 3 juin 1994.

 


[78]     Selon nous, un examen de toutes les références sur l’art antérieur citées ne nous permet pas de constater un délai important entre la publication de l’art antérieur invoqué et la date de revendication. En réalité, les documents D2 et D3 au dossier, qui étaient cités dans l’analyse ci-dessus, ont tous deux été publiés en 1993, soit durant la période en question. Comme l’état de la technique pertinente était en évolution jusqu’en 1993, le critère juridique correct est de déterminer si l’invention était évidente à la date de revendication en 1994, et non en 1991.

 

Revendication 5 proposée

     

[79]     Les revendications au dossier ayant été jugées non conformes, nous nous penchons sur la revendication 5 supplémentaire proposée par le demandeur.

 

[traduction]

Revendication 5. La méthode selon l’une quelconque des revendications 2 à 4, méthode qui comprend le traitement, au stade préalable à l’émergence, desdites plantes, des graines et de leur locus avec une formulation aqueuse formée de la paire diastéréoisomère de composés de S-métolachlore et de bénoxacor.

 

[80]     La seule caractéristique propre à la revendication 5 par rapport aux revendications au dossier est le fait que le traitement est appliqué au stade préalable à l’émergence. Comme cette caractéristique est enseignée dans les références citées, sa combinaison avec les autres caractéristiques de la méthode revendiquée ne constitue pas une étape inventive.

        

Conclusions relatives au caractère évident

 

[81]     À la date de revendication, les revendications au dossier, et la revendication 5 proposée, auraient eu un caractère évident, au vu des références citées, pour la personne versée dans l’art.

 

 

 

 

Recommandation de la Commission              

 

[82]     Nous recommandons le rejet de la demande pour cause de non-conformité à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, puisque les revendications ont un caractère évident.

  

  

 

                  Cara Weir                             Mark Couture                          Christine Teixeira

                  Membre                                Membre                                   Membre

 

 

Décision du Commissaire             

 

[83]     Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission. Je rejette par les présentes la demande.

 

[84]     En vertu de l'article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur dispose de six mois pour interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada.

 

                                                            

 

         Sylvain Laporte

         Commissaire aux brevets

        

        

 

        

         Fait à Gatineau (Québec)

         ce 17e jour d’avril 2014

 

 

Annexe

 

Articles de périodiques cités dans la décision

 

D2 :     Fuerst et al., « Partial Characterization of Glutathione S-Transferase Isozymes Induced by            the Herbicide Safener Benoxacor in Maize », Plant Physiol., vol. 102, 1993, p. 795 à 802.

 

D3 :     Irzyk et al., « Purification and Characterization of a Glutathione S-Transferase from          Benoxacor-Treated Maize (Zea Mays) », Plant Physiol., vol. 102, 1993, p. 803 à 810.

 

D4 :     Rowe et al., « Efficacy and Mode of Action of CGA-154281, A Protectant for Corn (Zea            mays) from Metolachlor Injury », Weed Science, vol. 39, 1991, p. 78 à 82.

 

D5 :     Viger et al., « Effects of CGA-154281 and Temperature on Metolachlor Absorption and   Metabolism, Glutathione Content, and Glutathione-S-Transferase Activity in Corn (Zea    mays) », Weed Science, vol. 39, 1991, p. 324 à 328.  

           

D6 :     Viger et al., « Influence of Available Soil Water Content, Temperature, and CGA-154281            on Metolachlor Injury to Corn », Weed Science, vol. 39, 1991, p. 227 à 231.

 

D7 :     Edwards et al., « Regulation of glutathione S-transferases of Zea mays in plants and cell   cultures », Planta, vol. 175, 1998, no 1, p. 99 à 106.



            1Moser et al., Z. Naturforsch, 87B, p. 451 à 462 (1982)

            2Voir à l’annexe les citations complètes tirées de ces articles dans les revues.

                3Conformément aux présentations écrites du demandeur du 16 janvier 2014, notre analyse n’a pas tenu compte du document D7, puisqu’il ne fait aucune mention du bénoxacor.

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