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Commissioner’s Decision/Décision du Commissaire n1357

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TOPIC/SUJET : F01, G00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

         Application No./Demande no: 2,266,261


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU DES BREVETS DU CANADA

 

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2,266,261 a fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le commissaire aux brevets, conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets. Les conclusions de la Commission et la décision du commissaire sont les suivantes :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent de la Demanderesse :

 

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA LLP/S.E.N.C.R.L., S.R.L.

1, Place Ville-Marie, bureau 2500

Montréal (Québec)  H3B 1R1


INTRODUCTION                                                                                                               

 

[1]        L'Université McGill a déposé la demande de brevet 2,266,261 portant sur l'utilisation de solutions salines comme herbicide. La demande est intitulée « Solution saline pour l'élimination sélective de mauvaises herbes par pulvérisation foliaire ». Plus précisément, il est affirmé que les solutions éliminent de manière sélective les mauvaises herbes, notamment l'herbe à poux, tout en ne causant que des dommages temporaires aux autres plantes, notamment le gazon.

 

[2]        Il s’agit ici de la révision de la demande de brevet, conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets, à la suite du refus de celle-ci par un examinateur de brevets.

 

[3]        Les inventeurs énumérés dans la présente demande sont M. André Grégoire, M. Gérard Lupien, M. Alan Watson et M. Antonio Ditommaso. Deux des inventeurs, M. Grégoire et M. Lupien, ont déposé une demande de brevet précédente au Canada le 7 mars 1996, laquelle divulguait également l'emploi de solutions au chlorure de sodium (NaCl) comme herbicides. Après sa mise à la disponibilité du public le 8 septembre 1997, la demande a été abandonnée. Après avoir mené d'autres tests portant sur l'élimination de l'herbe à poux par des solutions salines, la Demanderesse a déposé la présente demande le 22 mars 1999, revendiquant la priorité fondée sur sa demande de brevet américain, déposée le 23 mars 1998.

 

[4]        L'examinateur a refusé la présente demande au motif que l'objet de certaines revendications avait été divulgué par la demande canadienne abandonnée (Grégoire et coll.), interdisant ainsi l'octroi des revendications visant l'objet divulgué. Toutefois, l'examinateur a estimé que les revendications qui comprenaient l’ajout d’un adjuvant étaient nouvelles.

 

[5]        Du fait que la réponse de la Demanderesse à la décision finale n'a pas convaincu l'examinateur de retirer sa décision de refus, ce dernier a préparé un résumé des motifs explicitant les raisons du maintien du refus et a déféré la demande à la Commission d'appel des brevets en vue d'une révision. Le refus a été maintenu au seul motif que certaines revendications avaient été antériorisées par Grégoire et coll.

 


[6]        Dans le cadre d’un examen initial, la Commission a soulevé des questions concernant d’autres irrégularités. À la demande de la Commission, l'examinateur a effectué une étude plus approfondie et a préparé une analyse supplémentaire précisant les irrégularités additionnelles alléguées et réexaminant une question qui avait été précédemment mise de côté par l'examinateur, mais qui devait être revue à la lumière de faits nouveaux sur le plan judiciaire survenus durant la poursuite. Plus précisément, il est allégué dans l'analyse supplémentaire que les revendications qui décrivent des solutions contenant un sel chloré (c.-à-d. tout sel contenant un atome de chlore), quel qu’il soit, comme étant utiles dans la lutte contre les mauvaises herbes ne sont pas valablement prédites. En outre, les revendications qui décrivent l'inclusion d’un adjuvant, quel qu’il soit, dans ces solutions ne sont pas non plus valablement prédites. L'examinateur a également fourni des analyses de l'évidence des revendications considérées comme présentant une absence de nouveauté et a allégué que l'inclusion d'un adjuvant équivalait à un résultat souhaité. La Commission a indiqué à la Demanderesse qu’elle devait ignorer l'analyse relative au résultat souhaité et plutôt aborder les arguments portant sur l'évidence en plus de l'autre irrégularité liée à l'évidence signalée par l'examinateur dans l'analyse supplémentaire.

 

[7]        En plus de soutenir que Grégoire et coll. ne font pas suffisamment état de l'objet revendiqué de la présente demande, la Demanderesse fait valoir que la révision doit se limiter aux questions soulevées dans le résumé des motifs et qu'aucune autre étude n'est admissible.

 

[8]        Par conséquent, la présente révision doit aborder les quatre questions suivantes :

 

1) La Commission peut-elle examiner les motifs invoqués dans l'analyse supplémentaire?

2) Est-ce que certaines revendications ont été antériorisées par Grégoire et coll.?

3) Est-ce que les revendications décrivant un sel chloré, quel qu'il soit, sont valablement prédites?

4) Est-ce que les revendications décrivant un adjuvant, quel qu'il soit, sont valablement prédites?

 

[9]        Comme nous le verrons ci-dessous, il n'est pas nécessaire d'examiner les questions relatives à l'évidence.

 

LA COMMISSION PEUT-ELLE EXAMINER LES MOTIFS INVOQUÉS DANS L'ANALYSE SUPPLÉMENTAIRE?

 

[10]      Comme il a été mentionné plus haut, l'analyse supplémentaire produite par l'examinateur a soulevé des motifs qui n'avaient pas été invoqués dans la décision finale.

 

[11]      Le 5 juin 2013, la Commission a fait parvenir l'analyse supplémentaire à la Demanderesse pour l'aviser des nouvelles questions et a invité la Demanderesse à y répondre par écrit ou dans le cadre d'une audience.

 

[12]      La Demanderesse a communiqué avec la Commission une semaine avant la tenue de l'audience prévue pour le 6 septembre 2013 afin de lui faire connaître ses préoccupations quant à la pertinence de signaler de nouvelles irrégularités au cours du processus de révision. La Commission a pris bonne note de ces préoccupations et a invité la Demanderesse à présenter à l’audience ses observations sur la question de procédure, lesquelles seraient examinées au même titre que ses autres observations.

 


[13]      Lors de l'audience, la Demanderesse a présenté ses observations sur la pertinence de soulever de nouvelles questions et a demandé qu'une décision préliminaire soit rendue sur la question de procédure de manière à éviter d'avoir à préparer des observations pouvant s'avérer inutiles. Après la présentation par la Demanderesse de ses observations sur la question de l'antériorité soulevée dans la décision finale, l'audience a été ajournée. Subséquemment, la Commission a communiqué avec la Demanderesse pour l'informer du fait que la question de procédure serait tranchée par le commissaire dans le cadre de sa décision sur les questions de fond. La Demanderesse a accepté une invitation à une seconde audience afin de traiter de nouvelles questions; l'audience a été tenue par vidéoconférence le 13 septembre 2013.

 

[14]      Pour étayer sa position, selon laquelle l'examinateur ne peut pas soulever de nouvelles irrégularités après le prononcé de la décision finale, la Demanderesse a cité deux décisions récentes de la Cour fédérale (Belzberg c. Canada, 2009 CF 657 et Bartley c. Canada, 2011 CF 873), trois décisions précédentes du commissaire des brevets et le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB).

 

Belzberg et Bartley

 

[15]      Après examen de ces décisions, la Commission conclut qu'elles n'exigent pas du commissaire qu'il ignore de possibles irrégularités qui n'avaient pas été signalées précédemment ou des irrégularités déjà signalées devant être réexaminées à la lumière de faits nouveaux sur le plan judiciaire. De plus, la présente espèce se distingue à la fois de Belzberg et de Bartley.

 

[16]      Belzberg traite d'une instruction ultérieure par un examinateur, à la suite d’une décision du commissaire, dans laquelle la Commission n'avait pas recommandé que de nouveaux éléments soient soumis à une enquête. En ce qui concerne une demande refusée à l'étude, la Cour a statué que le commissaire doit rendre l’une des deux décisions suivantes : accueillir ou refuser la demande de brevet; voir Belzberg au paragr. 44. La Cour a également statué que la décision finale doit être exhaustive et que, sauf si la Commission signale que de nouveaux éléments doivent être soumis à une enquête, l'examinateur ne peut procéder à aucune instruction ultérieure à l'examen par le commissaire; voir Belzberg aux paragraphes 44 et 46.

 

[17]      La Demanderesse soutient qu'il est inapproprié, du fait que Belzberg exige que toutes les irrégularités non corrigées soient signalées dans une décision finale, d'examiner maintenant des irrégularités qui n'avaient pas été soulevées dans la décision finale.

 

[18]      Dans Bartley, un examinateur a rendu une décision finale sur la question de modifications censément inadmissibles apportées au mémoire descriptif. La décision finale n'a soulevé aucune des autres irrégularités que l'examinateur tenait en suspens jusqu'au dénouement d'une révision par le commissaire. La Demanderesse n'avait pas été informée par l'examinateur qu'il tenait en suspens certaines irrégularités; elle n'en a été informée qu'après que le dossier a été confié à la Commission. Le commissaire a infirmé le refus et a enjoint à l'examinateur de procéder à une instruction ultérieure afin de trancher les questions en suspens. La Cour a statué qu'une décision finale doit être exhaustive et qu'il n'était pas approprié que des irrégularités en soient exclues. De plus, la Demanderesse aurait dû avoir la possibilité d'être entendue sur la question de procédure relative à la demande de procéder à une autre instruction pour trancher les questions tenues en suspens.

 


[19]      En revanche, en la présente espèce, de nouvelles questions ont été soulevées au cours du processus de révision par la Commission. Et parce que, comme il a été statué dans Belzberg, les seuls choix offerts au commissaire à la suite d'une révision étant d'accepter ou de refuser une demande, il est crucial, si la demande de brevet est accueillie, que la révision soit exhaustive de manière à assurer la conformité à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets, comme l'exige le paragraphe 27(1) de la Loi.

 

Décisions précédentes du commissaire

 

[20]      La Demanderesse a aussi attiré l'attention de la Commission sur trois décisions du commissaire dans lesquelles des irrégularités avaient été signalées initialement par un examinateur dans la décision finale et où la Commission a refusé d'examiner les nouvelles irrégularités : Affaire intéressant la demande de Kinker et autres (maintenant le brevet no 1,174,362) (1983), DC 1012, 5 CPR (3d) 483; Affaire intéressant la demande de design industriel no 1998-2348, 14 CPR (4th) 63 et Affaire intéressant la demande no 158,764 maintenant le brevet 1,047,383) (1978), DC 453, 53 CPR (2d) 277.

 

[21]      La Commission conclut que ces décisions du commissaire n'interdisent pas l'examen de questions nouvelles en l'espèce. Ces décisions ne reflètent pas les faits nouveaux dans la pratique du Bureau survenus depuis. Qui plus est, à la suite de Belzberg et des trois décisions citées par la Demanderesse, il est arrivé, au moins dans un cas, qu'il a été demandé à un examinateur d'examiner de nouvelles irrégularités au cours de la révision d'une demande refusée; voir p. ex. l’Affaire intéressant la demande no 2,388,807 (2012), DC 1329.

 

RPBB

 

[22]      Lors de la première audience, la Demanderesse a soutenu que, selon les lignes directrices du Bureau énoncées dans le RPBB, un examinateur ne peut signaler des irrégularités autres que celles signalées dans la décision finale.

 

[23]      En effet, la version actuelle du RPBB précise qu'une décision finale doit être exhaustive, que le processus de révision est limité aux questions signalées dans la décision finale, et que l'examinateur ne peut soulever des irrégularités qui auraient pu échapper à la décision finale; voir le RPBB, mars 1998, paragraphe 21.02.

 

[24]      Bien que le RPBB soit un guide utile, il reflète, comme il est mentionné dans son avant-propos, l'interprétation de la Loi donnée par le Bureau à la date à laquelle chaque chapitre est entré en vigueur. Étant donné que le chapitre 21 a été publié en 1998, il ne reflète pas Belzberg, Bartley et les décisions subséquentes du commissaire dans lesquelles des questions nouvelles sont traitées.

 

Modifications apportées aux Règles sur les brevets

 


[25]      Les Règles sur les brevets relatives à l'examen des demandes refusées ont été substantiellement modifiées en décembre 2013. Désormais, le paragraphe 30(6.1) des Règles sur les brevets habilite explicitement le commissaire à signaler des irrégularités autres que celles indiquées dans l'avis de décision finale et permet que la Demanderesse soit, par conséquent, invitée à présenter ses observations. Comme cela a été mentionné au paragraphe [11], la Demanderesse a été informée, au cours du présent processus de révision, des irrégularités nouvelles et de son droit de produire des observations. La présente révision est donc conforme non seulement à la version précédente des Règles sur les brevets, mais aussi avec leur version actuelle.

 

Conclusion

 

[26]      Les questions soulevées dans l'analyse supplémentaire seront examinées dans la présente révision en vue d'atteindre l'objectif visé du processus de révision exigé par Belzberg et afin d'assurer la conformité au paragraphe 27(1) de la Loi.

 

[27]      Avant d'aborder les questions d'antériorité et de prédiction valable, il convient d'abord d'examiner celle de l'interprétation des revendications.

 

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

 

[28]      Les revendications doivent faire l'objet d'une interprétation téléologique. L'interprétation téléologique consiste à interpréter la signification des termes et des expressions utilisés dans les revendications ainsi qu’à différencier « [TRADUCTION] les caractéristiques essentielles ("l’essence") de celles qui ne sont pas essentielles » (voir Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 RCS 1067, paragr. 48). Cette interprétation doit être effectuée à partir d'une lecture éclairée de l'ensemble du mémoire descriptif (qui englobe à la fois la divulgation et les revendications) par une personne versée dans l'art.

 

[29]      Dans son analyse supplémentaire, l'examinateur a décrit la personne versée dans l'art comme suit :

 

[TRADUCTION]... une personne ayant de l'expérience dans le domaine des pesticides, possiblement un technologue spécialisé dans la mise au point de formulations de pesticides ou un spécialiste de l'entretien de pelouses voulant fournir des formulations utiles à la lutte contre les mauvaises herbes, respectueuses de l'environnement, pour application sur du gazon.

 

[30]      La Demanderesse n'a produit aucune observation sur la caractérisation de la personne versée dans l'art.

 

[31]      Des deux divulgations énoncées par l'examinateur, nous préférons la première; en effet, un spécialiste de l'entretien de pelouses ne posséderait pas, fort probablement, les connaissances en chimie qu'exige selon nous la présente divulgation. La Commission est d'avis que la caractérisation proposée par l'examinateur est raisonnable; la personne versée dans l'art est un « [TRADUCTION] technologue spécialisé dans la mise au point de formulations de pesticides (y compris d'herbicides) ».

 


[32]      Il n'y a aucun litige entre l'examinateur et la Demanderesse sur le caractère essentiel de tous les éléments, et nous ne voyons aucune raison d'en arriver à une conclusion contraire. Aux fins des présents motifs, il suffit de présumer que tous les éléments sont essentiels. Après avoir mené notre analyse à partir de cette présomption, nous notons aussi que le fait qu'un des éléments ait pu être jugé non-essentiel n'aurait pas modifié nos conclusions. Les revendications et la signification de leur libellé seront abordées dans l'analyse ci-après, selon le besoin.

 

EST-CE QUE CERTAINES REVENDICATIONS ONT ÉTÉ ANTÉRIORISÉES PAR GRÉGOIRE ET COLL.?

                                                                             

[33]      Dans la décision finale, l'examinateur a conclu que les revendications 20, 22, 24, 26, 28 et 30 avaient été antériorisées par Grégoire et coll. Le désaccord sur l'antériorité entre l'examinateur et la Demanderesse réside dans les différences entre les concentrations de sel utilisées dans les solutions et dans la question de savoir si le travail de Grégoire et coll. était fondé sur de la spéculation et n'avait donc pas un caractère réalisable.

 

Législation applicable

 

[34]      L'objet revendiqué dans un brevet doit être nouveau. Si l'information obtenue directement d'un demandeur (ce qui inclut l'inventeur) est divulguée publiquement plus d'un an avant la date de dépôt de la demande, elle peut être prise en compte aux fins d'analyse de l'antériorité; voir l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi.

 

[35]      Pour être considérée comme étant antérieure, une divulgation précédente doit à la fois divulguer et réaliser l'objet d'une revendication; Apotex Inc c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61.

 

[36]      Pour satisfaire à l'exigence de divulgation en matière d'antériorité, il doit y avoir divulgation d'un objet dont la réalisation serait nécessairement une contrefaçon de la ou des revendications. Il est présumé que la personne versée dans l'art tenterait de comprendre ce que l'auteur de la divulgation a voulu dire; des essais successifs ne sont pas admis pour établir le respect du critère de divulgation. Si le critère de divulgation est satisfait, il convient alors d'analyser la question du caractère réalisable.

 

[37]      En ce qui concerne le caractère réalisable, la question est de savoir si la personne versée dans l'art serait en mesure de faire fonctionner l'invention. Des essais successifs sont admis à cette étape dans la mesure où ils ne nécessitent pas une étape inventive ni n'imposent un fardeau indu.

 

[38]      Enfin, il n'est pas nécessaire que la totalité d'une revendication soit antériorisée; il suffit qu'un seul modèle soit divulgué et réalisé; voir Baker Petrolite Corp c. Canwell Enviro-Industries Ltd, 2002 CAF 158 au paragr. 42.

 


Revendications contestées

 

[39]      La revendication 20 se lit comme suit :

 

[TRADUCTION] Une méthode d'élimination sélective de l'herbe à poux, comprenant une étape de pulvérisation de l'herbe à poux jusqu'à un point d'écoulement avec une solution comportant entre 8 % et 20 % (poids-volume) de NaCl.

 

[40]     De même, la revendication 26 se lit comme suit :

 

[TRADUCTION] Utilisation d'une solution comportant entre 8 % et 20 % (poids-volume) de NaCl pour l'élimination sélective de mauvaises herbes et où ladite solution est dans une quantité suffisante pour mouiller les mauvaises herbes jusqu'à un point d'écoulement.

 

[41]     Comme cela a été mentionné plus haut, la Commission présume que chaque élément est essentiel aux fins de la présente analyse.

 

[42]      Les différences entre les revendications 20 et 26 ne sont pas pertinentes en ce qui a trait au désaccord portant sur la question de l'antériorité, du fait que les plages des concentrations de NaCl (chlorure de sodium) sont identiques dans les deux revendications. Le terme « élimination sélective » signifie que l'herbe à poux est éliminée et que « [TRADUCTION] l'effet sur le gazon est seulement temporaire »; voir la présente demande à la p. 10.

 

[43]      Les revendications 22 et 28 réduisent la concentration de NaCl à des valeurs de 8 % à 12 %, alors que les revendications 24 et 30 font état d'une concentration de 12 %.

 

[44]      Les revendications 21, 23, 25, 27, 29 et 31 n'étaient pas contestées, car elles nécessitent un « adjuvant ». Étant donné qu'aucun adjuvant n'est mentionné dans Grégoire et coll., ces revendications ont été considérées comme étant nouvelles (c.-à-d. non antériorisées) par l'examinateur.

 

Position de l'examinateur

 

[45]      Selon l'examinateur, Grégoire et coll. décrivent une méthode de pulvérisation d'une solution aqueuse de NaCl pour éliminer des mauvaises herbes tout en causant un brunissement temporaire du gazon. L'examinateur soutient que Grégoire et coll. décrivent la variante privilégiée comme présentant une concentration de 9,5 % à 14,5 % de NaCl. Toutefois, le document cité en référence décrit également une plage plus étendue de concentrations de NaCl, allant de 0,1 % à 35,8 %. En ce qui concerne cette plage plus étendue, l'examinateur affirme que la référence indique que des concentrations inférieures à 9,5 % nécessiteraient simplement plusieurs traitements et que la concentration maximale utile en vue d'atteindre la sélectivité voulue pourrait être facilement déterminée par la personne versée dans l'art.

 


[46]      L'examinateur était d'avis que le document de Grégoire et coll. n'était pas spéculatif ni inopérant, et que des essais successifs indus n'auraient pas été nécessaires pour réaliser les enseignements de Grégoire et coll. comme l’avait allégué la Demanderesse.

 

Position de la Demanderesse

 

[47]      D’après les observations de la Demanderesse, l'analyse d'antériorité doit permettre de déterminer si le travail de Grégoire et coll. satisfait au critère de caractère suffisant de la divulgation qui, selon la Demanderesse, tient compte de la question de l'utilité. S'appuyant sur Sanofi, la Demanderesse soutient que le caractère réalisable aux fins d'antériorité et le caractère suffisant de la divulgation sont équivalents.

 

[48]      La Demanderesse fait remarquer que, comme Grégoire et coll. ne fournissent aucune information pour établir l'utilité, leurs enseignements ne sont que spéculatifs et, par conséquent, l’antériorité ne peut être invoquée.

 

[49]      Enfin, la Demanderesse soutient que Grégoire et coll. font erreur en suggérant qu’en réalité, toute concentration de NaCl serait efficace pour l'élimination sélective de l'herbe à poux poussant sur du gazon.

 

Analyse

 

Caractère suffisant de la divulgation relatif à l'antériorité

 

[50]      Les critères d'utilité et de caractère suffisant de la divulgation sont distincts de celui d'antériorité. Pour décider de l'antériorité de Grégoire et coll., il convient d'appliquer le critère énoncé dans Sanofi (voir plus haut aux paragr. 36 et 37).

 

[51]      Bien que la Loi exige qu'une invention soit utile (article 2) et que les demandes décrivent l'invention de manière suffisante (paragraphe 27(3)), il s'agit d'exigences pour l'obtention d'un brevet; elles ne sont pas équivalentes aux critères pour l'antériorité. Le critère d'antériorité énoncé plus haut n'est pas le même que ceux d'utilité et de caractère suffisant de la divulgation.    

 

[52]      Contrairement à ce que soutiennent les observations de la Demanderesse, la Cour suprême n'a pas assimilé le caractère réalisable au caractère suffisant de la divulgation; la Cour a explicitement refusé de trancher la question de savoir si le caractère réalisable relatif à l'antériorité est équivalent au caractère suffisant de la divulgation en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi; voir Sanofi au paragr. 26. Cette question demeure non résolue.

 


[53]      Néanmoins, si nous devions souscrire au point de vue de la Demanderesse, selon lequel le caractère réalisable est assimilable au caractère suffisant de la divulgation en vertu du paragraphe 27(3), cela ne servirait pas d'appui au postulat de la Demanderesse. Le caractère réalisable aux fins du caractère suffisant de la divulgation en vertu du paragraphe 27(3) exige qu'un mémoire descriptif permette à la personne versée dans l'art « [TRADUCTION] d'utiliser l'invention avec le même succès que l'inventeur, au moment du dépôt de sa demande »; voir Teva Canada Ltd c. Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60, [2012] 3 SCR 625 aux paragr. 70 et 74.

 

[54]      La Commission doit trancher la question de l'antériorité et doit, par conséquent, appliquer le critère énoncé dans Sanofi (voir les paragr. 36 et 37 plus haut).

 

Est-ce que Grégoire et coll. divulguent et réalisent les concentrations revendiquées?

 

[55]      La Commission conclut que Grégoire et coll. divulguent et réalisent les concentrations indiquées aux revendications 20, 22, 24, 26, 28 et 30. Même si aucun résultat expérimental n'est divulgué, les enseignements sont, aux fins de l'utilité pratique, équivalents à ceux de la présente demande.

 

[56]      De l'avis de la Commission, la personne versée dans l'art aurait compris, à la lecture de Grégoire et coll., que les concentrations de 0,1 % à 35,8 % de NaCl incluraient des modèles qui élimineraient les mauvaises herbes et en empêcheraient la croissance alors que la plage plus étroite « privilégiée » de 9,5 % à 14,5 % permettrait une destruction sélective de l'herbe à poux tout en causant, dans le pire des cas, des dommages temporaires au gazon.

 

[57]      En effet, ce n'est qu'au dernier paragraphe de la page 3 de Grégoire et coll. qu'il est fait mention de sélectivité. Avant cette mention, le mémoire descriptif ne traite que de l'élimination des mauvaises herbes et de l'inhibition de leur croissance. Le dernier paragraphe de la page 3 décrit, par ailleurs, la « plage privilégiée » de 120 +/- 25 grammes de NaCl par 100 grammes d'eau (de 9,5 % à 14,5 % de NaCl), tout en précisant que « [TRADUCTION] des concentrations supérieures pourraient avoir un effet dommageable sur d'autres plantes comme le gazon ».

 

[58]      Ainsi donc, pour éliminer l'herbe à poux de manière sélective, Grégoire et coll. orientent le lecteur versé dans l'art vers l'utilisation de solutions de 9,5 % à 14,5 % de NaCl. Peu importe la concentration qu'il choisirait à l'intérieur de cette plage, le lecteur versé dans l'art contreferait les revendications 20 et 26; ce qui satisfait au critère du caractère suffisant de divulgation relatif à l'antériorité.

 

[59]      En ce qui a trait au caractère réalisable, nous sommes en désaccord avec la Demanderesse qui soutient que la personne versée dans l'art aurait eu à mener des expériences afin de délimiter la plage permettant d'atteindre la sélectivité voulue – comme nous l'avons mentionné, Grégoire et coll. divulguent que les solutions de 9,5 % à 14,5 % de NaCl sont sélectives. De plus, les énoncés à la page 7 de Grégoire et coll. semblent montrer que les solutions de NaCl dans la plage de 9,5 % à 14,5 % se « sont avérées les plus efficaces ». Selon nous, cela suggère à la personne versée dans l'art que les essais menés sur de telles solutions en ont confirmé l'efficacité.

 


[60]      De même, la plage de 8 % à 12 % présentée dans les revendications 22 et 28, ainsi que la concentration de 12 % de NaCl énoncée aux revendications 24 et 30 sont toutes deux divulguées et réalisées par Grégoire et coll. Bien que des concentrations aussi faibles que 8 % soient énoncées aux revendications 20, 22, 26 et 28, la présente divulgation révèle que la concentration de 8 % est moins efficace que celle de 12 %. Cela concorde avec le document de Grégoire et coll. à la page 4, où il est indiqué à la personne versée dans l'art que plusieurs traitements pourraient être nécessaires si une faible concentration de NaCl est employée. Comme c’est le cas des revendications 24 et 30, Grégoire et coll. précisent qu'une concentration de 12 %, plus ou moins 2,5 %, est privilégiée.

 

[61]      Enfin, la Demanderesse soutient que l’invention de Grégoire et coll. ne pouvait pas avoir été réalisée, puisque, après le dépôt de la demande de Grégoire et coll., il a fallu plus de deux ans à ces derniers pour mettre la présente invention à l'essai. En effet, bien que le critère relatif au caractère réalisable admette des essais courants, « [TRADUCTION] les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants »; Sanofi au paragr. 37.

 

[62]      Puisque Grégoire et coll. indiquent la plage effective des concentrations de sel requises pour éliminer les mauvaises herbes de manière sélective, le critère relatif au caractère réalisable exige seulement que la personne versée dans l'art soit en mesure de préparer une solution saline à l'intérieur de la plage des concentrations indiquée par Grégoire et coll. et de la pulvériser sur des cultures. La Commission conclut que la personne versée dans l'art n'aurait eu aucune difficulté à mettre l'invention en œuvre en suivant les instructions de Grégoire et coll. Les observations de la Demanderesse quant à la durée de la période d'essai ne constituent pas une preuve péremptoire du contraire. La Demanderesse a remis à la Commission les résultats d'essais sur la variation des concentrations de NaCl, la fréquence des applications de la solution, les espèces d'herbes et l'inclusion de l'adjuvant. Ces essais, bien qu'utiles pour comprendre la nature et la portée de l'invention, n'ont aucune incidence sur la question étroite de la réalisation des revendications en question aux fins de l'analyse de l'antériorité. Dans ces revendications, la fréquence des applications et la concentration des solutions sont délimitées de manière étroite, aucun adjuvant n'est présent et l'herbe à poux est la seule variété traitée.

 

Conclusion

 

[63]      La Commission conclut que le travail de Grégoire et coll. satisfait aux critères du caractère suffisant de la divulgation et du caractère réalisable, et que, par conséquent, il est antérieur à l'objet des revendications 20, 22, 24, 26, 28 et 30 de la présente demande.

 

[64]      Étant donné que les revendications antériorisées devront être supprimées, il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si ces revendications auraient été évidentes comme l'allègue l'analyse supplémentaire.

 

EST-CE QUE LES REVENDICATIONS DÉCRIVANT UN SEL CHLORÉ, QUEL QU'IL SOIT, SONT VALABLEMENT PRÉDITES?

 

[65]      La troisième question est de savoir si les revendications 1, 2 et 4 à 19 ne sont pas conformes en vertu de l'article 2 de la Loi, du fait que l'utilité de « sels chlorés » autres que le NaCl n'a été ni démontrée, ni valablement prédite. La Commission constate que la seule revendication de l'ensemble mentionné plus haut qui était conforme selon l'examinateur est la revendication 3 qui décrit le sel comme étant du chlorure de sodium (NaCl).


 

[66]      Au cours de l'instruction, l'examinateur avait relevé cette même irrégularité, mais avait été convaincu par une réponse de la part de la Demanderesse, dans laquelle des résultats d'essais menés après la date de dépôt de la demande avaient été communiqués pour étayer la prédiction. Subséquemment, dans Eli Lilly c. Apotex, 2009 CAF 97, la Cour a statué que « [TRADUCTION] la divulgation doit inclure la prédiction ». Aussi, la Commission a-t-elle demandé à l'examinateur de réévaluer la question à la lumière d’Eli Lilly et de produire une analyse supplémentaire, au besoin.

 

Législation applicable

 

[67]      L'exigence voulant qu'une invention soit utile est énoncée à l'article 2 de la Loi :

 

« invention » signifie toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

 

[68]      À la date de la demande, il doit y avoir une démonstration de l'utilité de l'invention ou une prédiction valable de son utilité : Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 (AZT). En l'espèce, la Demanderesse s'appuie sur une prédiction valable pour établir l'utilité des « sels chlorés » en tant qu’herbicides pour l'élimination de mauvaises herbes.

 

 

[69]      Une invention qui s'appuie sur une prédiction valable d'utilité doit satisfaire à trois exigences (AZT – voir CSC77, 2002, au paragr. 70) :

 

(1) la prédiction doit avoir un fondement factuel;

(2) à la date de la demande de brevet, l'inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

(3) il doit y avoir divulgation suffisante.

 

Revendications contestées

 

[70]      La revendication indépendante 1 se lit comme suit :

 

[TRADUCTION] Une solution saline pour l'élimination de mauvaises herbes par pulvérisation foliaire, ladite solution comprenant entre 8 % et 20 % (poids-volume) d'au moins un sel chloré, en combinaison avec au moins un adjuvant.

 


[71]      Dans l'interprétation de cette revendication, la Commission note que le sens du terme « sels chlorés » est large et n'est pas défini dans le mémoire descriptif. En solution, les sels se dissocient en leurs ions positifs (ou « cations ») et ions négatifs (ou « anions »). Le NaCl, par exemple, se dissocie en ions de sodium (Na+) et en ions de chlorure (Cl-). Une définition vraisemblable de « sels chlorés » serait tout sel organique ou inorganique contenant un atome de chlore, anion ou cation. Il comprend au moins le chlorure (Cl-), la chlorite (ClO2-) et l'hypochlorite (ClO-) contenant les sels indiqués dans la revendication 2.

 

[72]      La revendication dépendante 2 limite le « sel chloré » aux sels suivants : chlorure d'aluminium, chlorure de calcium dihydraté, chlorure de calcium hexahydraté, chlorure de calcium anhydride, hypochlorite de calcium, chlorure ferrique hexahydraté, chlorure ferrique, chlorure ferreux tétrahydraté, chlorure d'iode, chlorure de lithium, chlorure de magnésium hexahydraté, chlorure de manganèse, chlorure de potassium, chlorure de sodium, chlorite de sodium et chlorure de zinc.

 

[73]      Les revendications 4 à 19 renvoient toutes aux revendications 1 et 2, en ce qui concerne leur définition de « sel chloré ». Les autres différences entre ces revendications n'ont aucune pertinence en ce qui concerne la portée du terme « sels chlorés »; ainsi donc, les revendications seront valides ou invalides dans leur ensemble sur la base des résultats de notre analyse des revendications 1 et 2.

 

[74]      Comme cela a été mentionné plus haut, la Commission présume que chaque élément est essentiel aux fins des présentes analyses.

 

Position de l'examinateur dans l'analyse supplémentaire

 

[75]      Selon l'analyse supplémentaire, l'utilité du NaCl pour l'élimination de mauvaises herbes a été indûment élargie au genre des « sels chlorés », étant donné que la prédiction se fondait sur des exemples limités au seul NaCl. Il n'y a pas suffisamment d'éléments pour étayer l'hypothèse que, malgré une grande variance sur le plan de leur structure, divers « sels chlorés » sont équivalents et on peut les substituer les uns aux autres tout en s'attendant à ce que l'effet herbicide soit maintenu. De plus, étant donné qu'il n'est pas clair quelles sont les propriétés du NaCl qui expliquent l'effet herbicide promis, il n'y a rien sur quoi fonder une prédiction. Pour ces motifs, les volets (2) et (3) des critères relatifs à l’AZT n'ont pas été satisfaits; en effet, la divulgation n'incluait pas le raisonnement requis pour que la prédiction puisse être valable.

 

Position de la Demanderesse

 

[76]      S'appuyant sur Teva Canada Limited v. Novartis AG, 2013 CF 141, la Demanderesse soutient que le fardeau de démontrer l'inutilité incombe au Bureau et que, de toute manière, sa divulgation est suffisante pour étayer une prédiction valable.

 


[77]      Selon la Demanderesse, une personne versée dans l'art saurait que, puisqu'il a été démontré que le NaCl fonctionne, celui-ci pourrait de toute évidence être remplacé par d'autres sels chlorés. La personne versée dans l'art saurait que c'est le chlorure ou l'ion chloré en solution qui est à la base de l'effet herbicide et reconnaîtrait immédiatement que tout sel chloré équivalent manifesterait le même effet, puisque tous les sels chlorés agissent de la même manière et possèdent la même force ionique. Ce raisonnement rend la prédiction valable et était bien ancré dans les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art avant la date de dépôt de la demande. La Demanderesse soutient également que les informations supplémentaires fournies au cours de l'instruction démontrent que la prédiction était bel et bien valable.

 

[78]      Notamment, la Demanderesse s'est attachée à l'équivalence des ions de chlorure et des sels de chlorure dans ses observations, sans expliquer pourquoi d'autres sels sans chlorure qui relèvent des « sels chlorés » seraient équivalents ou interchangeables. Les revendications 1 et 2 décrivent des réalisations dont la portée dépasse les sels de chlorure.

 

Analyse

 

Fardeau

 

[79]      La Commission ne reconnaît pas que Teva impose au Bureau le fardeau de démontrer l'inutilité; dans l'affaire Teva, la Cour traitait d'un brevet et non pas d'une demande de brevet. Alors qu'un brevet bénéficie d'une présomption de validité en vertu du paragraphe 43(2) de la Loi, ce n'est pas le cas d'une demande. Pour que le Commissaire accorde un brevet, la Demanderesse doit convaincre le Commissaire que sa demande est conforme à la Loi. Du fait que l'examinateur a fourni une base raisonnée pour alléguer que la prédiction n'est pas valable, il incombe à la Demanderesse de convaincre le Commissaire que les revendications sont valablement prédites et, par conséquent, satisfont à l'exigence d'utilité aux termes de l'article 2 de la Loi.

 

[80]      De plus, il appartient à la Demanderesse de rédiger une demande qui satisfasse aux critères de prédiction valable relatifs à l’AZT, en présentant le fondement factuel et un raisonnement valable. Si l'un ou l'autre de ces éléments est absent de la demande, celle-ci n'est pas conforme à l'article 2 de la Loi et le Commissaire ne peut accorder de brevet.

 

La prédiction

 

[81]      La prédiction indique qu'une solution saline contenant au moins un « sel chloré » dans une concentration de 8 % à 20 % p.-v. en combinaison avec au moins un adjuvant sera, par pulvérisation foliaire, efficace pour éliminer des mauvaises herbes.                  

 

Fondement factuel

 

[82]      Les divers essais divulgués dans les exemples 2 à 5 démontrent l'emploi effectif du NaCl, à diverses concentrations (seul ou en combinaison avec un adjuvant) pour éliminer des mauvaises herbes. Dans les exemples 3 à 5, il est fait état d'essais avec un second sel, le nitrate de potassium, qui agit sur l'herbe à poux, bien qu'il ne soit pas aussi efficace qu'aucune des solutions de NaCl. Notamment, le second sel ne contient pas de chlore.

 


Raisonnement et divulgation suffisante                      

 

[83]      Nous souscrivons à la conclusion de l'examinateur voulant que le raisonnement présenté plus haut par la Demanderesse au paragr. 75 n'est pas divulgué dans la divulgation. Cependant, si le raisonnement avait été clair pour la personne versée dans l'art sur la base des connaissances générales courantes, une divulgation explicite n'aurait pas été nécessaire (voir le RPBB aux points 9.04.01b et 12.08.04b/c; et Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2013 C.F.A. 219 au paragr. 154).

 

[84]      La première question à trancher est celle de savoir si les propriétés du sel qui expliquent leur utilité promise sont clairement déterminées. La Demanderesse soutient que la personne versée dans l'art reconnaîtrait immédiatement que c'est l'ion de chlorure qui est responsable de l'action herbicide et que, par conséquent, tous les ions de chlorure seraient équivalents et interchangeables puisqu'ils ont tous la même force ionique et agissent de la même manière.

 

[85]      De notre avis, nous ne pouvons admettre qu'une personne versée dans l'art reconnaîtrait que c'est l'ion de chlorure qui est à la base de l'action herbicide. La divulgation ne présente aucun élément pour étayer ce raisonnement et aucune preuve n’a été fournie démontrant que cela faisait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art. De même, la divulgation est muette à l'égard de tout lien entre la force ionique et l'action herbicide, et aucune preuve n'est présentée pour démontrer que la personne versée dans l'art aurait été au fait du lien entre la force ionique et l'action herbicide.

 

[86]      La seconde question est de savoir s'il y a suffisamment de preuves pour étayer l'hypothèse selon laquelle malgré une grande variance sur le plan de leur structure, divers « sels chlorés » sont équivalents et on peut les substituer les uns aux autres tout en s'attendant à ce que l'effet herbicide soit maintenu.

 

[87]      Sur la base des éléments qui nous sont présentés, nous ne pouvons souscrire à la généralisation voulant que tout « sel chloré » soit efficace pour éliminer les mauvaises herbes, généralisation tirée d'exemples faisant état d'essais effectués sur un seul sel chloré, à savoir le chlorure de sodium. Le fondement factuel et le raisonnement divulgués ne sont pas suffisants pour prédire que des « sels chlorés », autres que le NaCl des revendications 1 ou 2, seraient des herbicides efficaces pour l'élimination de mauvaises herbes.

 

[88]      Finalement, la Commission note que les informations supplémentaires présentées au cours de l'instruction incluaient les résultats d'essais menés après le dépôt de la demande. À la suite de l’affaire de l’AZT, une prédiction valable ne peut être fondée sur de tels résultats. La Commission constate que même si ces informations avaient été présentées avant la date de dépôt de la présente demande, le seul sel contenant du chlore ayant été mis à l'essai était le chlorure de sodium; cela n'aurait donc pas modifié notre conclusion.

 


Conclusion

 

[89]      En résumé, la Commission conclut que les revendications 1, 2 et 4 à 19 ne sont pas conformes en vertu de l'article 2 de la Loi, parce que la prédiction voulant que tous les « sels chlorés » puissent servir à éliminer des mauvaises herbes n'est pas valable.

 

EST-CE QUE LES REVENDICATIONS DÉCRIVANT UN ADJUVANT, QUEL QU'IL SOIT, SONT VALABLEMENT PRÉDITES?

 

[90]      La divulgation indique que l'inclusion d'un surfactant améliore l'efficacité de la solution. Les revendications 1-11, 13-19, 21, 23, 25, 27, 29 et 31 mentionnent toutes l'inclusion d'un « adjuvant » – un terme plus large que « surfactant », mais pouvant l’englober – dans la solution saline. Quelques revendications énumèrent divers adjuvants envisagés par la Demanderesse, dont certains ne sont pas des surfactants non ioniques ou ne sont même pas des surfactants.

 

[91]      Un exemple de ces revendications, la revendication 1, est énoncé dans la section précédente. Ici encore, dans son interprétation des revendications, la Commission présume que tous les éléments sont essentiels aux fins de ces analyses. En ce qui a trait au terme « adjuvant », la Commission le comprend comme désignant « [Traduction] un composé qui améliore le rendement d'un ingrédient actif », comme l'a noté la Commission dans sa lettre à la Demanderesse datée du 5 juin 2013. La Demanderesse n'a pas contesté cette définition. Dans le mémoire descriptif, le terme adjuvant recouvre précisément plus de 90 substances, énumérées dans la revendication 7, comme des huiles.

 

[92]      Compte tenu de la conclusion sur l'antériorité énoncée plus haut, la présence d'un adjuvant est nécessaire pour que l'invention se distingue de Grégoire et coll. La prédiction indique que l'ajout d'un adjuvant améliorera la couverture de la solution saline; voir le mémoire descriptif aux pp. 16 et 19.

 

[93]      Dans l'analyse supplémentaire, l'examinateur a estimé que ces revendications n'étaient pas valablement prédites ni conformes à l'article 2 de la Loi. L'examinateur a soutenu qu'il n'y avait aucune base pour valablement prédire que des composés autres que des surfactants non ioniques amélioreraient l'action herbicide des solutions de NaCl en améliorant la couverture.

 

[94]      La Demanderesse a fait valoir que l'invention consiste en des solutions salines avec ou sans adjuvant et, comme cela été mentionné plus haut, qu’il incombe à l'examinateur de démontrer l'inutilité. Cet argument a été traité plus haut, et il n'est pas nécessaire d'en reprendre l'analyse.

 


[95]      Les deux surfactants non ioniques mis à l'essai ont amélioré le rendement des solutions salines en augmentant leur couverture, si bien qu'une solution à 8 % de NaCl était aussi efficace qu'une solution à 12 %. Ainsi, l'ajout d'un surfactant non ionique à la solution permet l'emploi soit d'une concentration moindre de sel, soit d'une quantité moindre de solution. Il s'agit là du fondement factuel. Toutefois, il ne semble pas y avoir de raisonnement étayant la prédiction selon laquelle que des surfactants autres que non ioniques manifestent la même utilité que les surfactants non ioniques mis à l'essai. De plus, la prédiction selon laquelle n'importe quel adjuvant autre que des surfactants, y compris ceux énumérés dans la revendication 7, produira ce résultat a encore moins de fondement.

 

[96]      Lors de l'audience, la Demanderesse a soutenu que l'adjuvant sert aussi à prolonger le temps de contact du sel sur les herbes. Toutefois, il n’est aucunement mentionné dans la divulgation que l'ajout d'un adjuvant prolonge le temps de contact et on n'y trouve aucun élément démontrant que la personne versée dans l'art l'aurait su. Il semble n'y avoir aucun lien entre un adjuvant qui prolonge le temps de contact et le fondement factuel montrant que deux surfactants non ioniques améliorent la couverture.

 

[97]      Après avoir établi que deux surfactants non ioniques distincts produisent le résultat souhaité, il est raisonnable d'extrapoler que la prédiction selon laquelle tous ses surfactants non ioniques sont efficaces est valable. Toutefois, le mémoire descriptif ne contient aucune preuve de connaissances générales ni ne divulgue un raisonnement clair permettant d’étayer une prédiction selon laquelle des types d'adjuvants ou de surfactants autres que les deux surfactants non ioniques produiront le même résultat.

 

[98]      Par conséquent, la Commission conclut que le terme « adjuvant » devrait être remplacé par « surfactant non ionique » pour que les revendications soient conformes à l'article 2 de la Loi.

 

L’ÉVIDENCE

 

[99]      Compte tenu de nos conclusions exposées dans la section précédente, il n'est pas nécessaire de traiter de la question de l'évidence relativement à l'ajout d'un adjuvant en raison du remplacement demandé de ce terme par « surfactant non ionique ». Comme cela a été mentionné dans la lettre de la Commission à la Demanderesse et discuté lors de la seconde audience, la question de l'évidence ne se pose que lorsque le terme « adjuvant » est pris dans son sens le plus large, à savoir « [TRADUCTION] un composant qui améliore le rendement d'un ingrédient actif ».

 

CONCLUSION

 

[100]    À la lumière des motifs exposés plus haut, la Commission conclut que :

 

– les irrégularités signalées dans l'analyse supplémentaire sont à prendre en considération dans la présente révision;

 

– les revendications 20, 22, 24, 26, 28 et 30 sont antériorisées par Grégoire et coll.;

 

– les revendications 1, 2 et 4-19 ne sont pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets, car elles visent un objet qui n'est pas valablement prédit en ce qui concerne les sels décrits;

 


– les revendications 1-11, 13-19, 21, 23, 25, 27, 29 et 31 ne sont pas conformes à l'article 2 de la Loi sur les brevets, car elles visent un objet qui n'est pas valablement prédit en ce qui concerne la mention des adjuvants.

 

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

 

[101]    À la lumière des conclusions présentées plus haut, la Commission recommande que la demande soit refusée, à moins que la Demanderesse n'apporte les modifications suivantes conformément au paragraphe 31(b) des Règles sur les brevets :

 

– supprimer les revendications 20, 22, 24, 26, 28 et 30, parce qu'elles sont antériorisées;

 

– modifier la revendication 1 pour indiquer que la solution contient du NaCl et supprimer la revendication 3;

 

– supprimer la revendication 2, car elle vise plus que ce qui a été valablement prédit à l'égard des sels mentionnés;

 

– modifier les revendications 9 et 10 en remplaçant « said at least one salt » (ledit au moins un sel) par « NaCl »;

 

– modifier la revendication 1 en supprimant « adjuvant » et en y insérant « non-ionic surfactant » (surfactant non ionique);

 

– modifier les revendications 7, 21, 23, 25, 27, 29 et 31 de manière à supprimer les adjuvants autres que les surfactants non ioniques;

 

– supprimer la revendication 8, car elle vise des adjuvants autres que des surfactants non ioniques;

 

– renuméroter les autres revendications en conséquence.

 

 

 

 

 

Mark Couture                          Christine Teixeira                    Cara Weir

Membre                                   Membre                                   Membre

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

 


[102]    Je souscris aux recommandations de la Commission d'appel des brevets. Conformément au paragraphe 30(b) des Règles sur les brevets, j'invite la Demanderesse à apporter les modifications recommandées par la Commission dans les trois mois suivant la date de la présente décision.

 

[103]    J'informe la Demanderesse que :

 

(i) si les modifications susmentionnées, et ces seules modifications, sont effectuées dans le délai imparti, je considérerai les questions en litige comme ayant été résolues;

 

(ii) si les modifications susmentionnées, et ces seules modifications, ne sont pas effectuées dans le délai imparti, j'entends refuser la demande.

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire des brevets

 

Fait à Gatineau (Québec)

ce 15e jour de janvier 2014

 

 

 

 

 

 

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