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BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Ayant été rejetée aux termes du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet no 2,248,228 a par conséquent fait l'objet d'une révision par la Commission d'appel des brevets et le commissaire aux brevets conformément au paragraphe 30(6) des mêmes Règles. Les conclusions de la Commission et la décision du commissaire suivent ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

Agent de la demanderesse :

NORTON ROSE CANADA S.E.N.C.R.L., S.R.L./LLP                           

1, Place Ville-Marie, bureau 2500

Montréal (Québec) H3B 1R1

 


INTRODUCTION

 

[1]               La présente décision porte sur la révision par le commissaire aux brevets de la demande no 2,248,228, intitulée « PROCÉDÉ DE PRODUCTION DE MOUSSES RIGIDES DE POLYURÉTHANNE EXPANSÉES AUX HYDROCARBURES ». La demanderesse est BAYER AKTIENGESELLSCHAFT. Les inventeurs sont Norbert Eisen, Torsten Heinemann, Dennis McCullough et Walter Klän.

 

[2]               Comme le titre le suggère, cette invention concerne les méthodes de production de mousses rigides de polyuréthanne expansées aux hydrocarbures utilisées, par exemple, comme matériau isolant dans les espaces vides des réfrigérateurs ménagers.

 

[3]               Comme il est indiqué par la demanderesse dans la présente demande, de telles mousses peuvent être produites avec des alcanes à un point d’ébullition bas, particulièrement des alcanes cycliques, comme le cyclopentane, qui contribuent à produire un matériau expansé à conductivité thermique faible. Cependant, l’utilisation de cyclopentane comporte certains désavantages, comme l’exigence d’une qualité précise de récipients intérieurs de réfrigérateur en polystyrène en raison des propriétés de solvant du cyclopentane. La condensation du cyclopentane se fait également à basse température, telle que celle utilisée dans les réfrigérateurs ménagers, entraînant une pression réduite dans les cellules du matériau qui doit être compensée par une résistance élevée de la mousse ou une densité accrue.

 

[4]               Comparativement à l’utilisation du cyclopentane comme agent d’expansion, l’utilisation de composés comme le n-pentane ou l’isopentane permet d’éviter des coûts de fabrication plus élevés. Comme il est indiqué par la demanderesse, ces composés sont utilisés depuis un certain temps dans le domaine de la mousse de polyuréthanne, mais leur utilisation comporte le désavantage d’une conductivité thermique gazeuse plus élevée, ce qui entraîne une capacité d’isolation thermique plus faible de la mousse expansée.


 

[5]               L’objectif de la présente invention est de créer une mousse rigide expansée de n-pentane ou d’isopentane qui évite les désavantages associés à l’utilisation du cyclopentane et à l’utilisation conventionnelle du n-pentane et de l’isopentane comme agent d’expansion. Cet objectif s’avère important plus tard quand nous examinons l’utilité de la présente invention. Plus particulièrement, comme il est révélé plus loin dans ces motifs, la discussion entre l’examinateur et la demanderesse porte sur la question de savoir si l’utilité de l’invention par rapport à deux plages de tension interfaciale indiquées dans les revendications a été démontrée ou peut être valablement prédite.

 

Historique du traitement de la demande

 

[6]               La demande de brevet a été déposée le 3 mars 1997 et revendique la priorité sur la base d’une demande allemande déposée le 15 mars 1996. La demande a été rejetée par l’examinateur dans une décision finale du 1er février 2011, laquelle citait des irrégularités relatives à l’absence d’utilité en vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevets et pour étaiement insuffisant en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi. Les deux irrégularités ont trait aux plages des valeurs de tension interfaciale revendiquées du n-pentane ou du isopentane comme agent d’expansion en ce qui concerne les composantes polyols et polyisocyanates. 

 

[7]               Dans sa réponse du 28 juillet 2011à la décision finale, la demanderesse n’a pas modifié la demande et a continué à présenter des arguments en faveur de la conformité avec l’article 2 et le paragraphe 27(3) de la Loi.

 


[8]               Le dossier a été transmis à la Commission d'appel des brevets (la Commission) le 21 novembre 2011 avec le résumé des motifs précisant les irrégularités non corrigées. Dans le résumé des motifs, l’examinateur a affirmé que les revendications 1 à 11 ne présentaient pas le caractère de l'utilité, mais ne posait plus problème en ce qui concerne l’étaiement suffisant. Notre révision se limite par conséquent uniquement aux questions concernant l’utilité.

 

[9]               Dans une lettre du 16 mai 2012, en réponse à une offre d’audience devant la Commission, la demanderesse a indiqué qu’elle ne souhaitait pas se faire entendre lors d’une audience, pas plus qu’elle ne souhaitait fournir des observations écrites supplémentaires. De son point de vue, le dossier était clair et la Commission pouvait procéder à la révision en se fondant sur celui-ci.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           La demanderesse conteste qu’il soit nécessaire de faire une prédiction valable en l’espèce. La demanderesse affirme avoir démontré l’utilité de son invention avec les exemples révélés. Que cela soit le cas ou non devient la première question à régler.

 

[11]           La demanderesse affirme en outre que même si une prédiction valable est requise pour justifier les plages revendiquées, une telle prédiction, fondée sur le mémoire descriptif et la compréhension de la tension interfaciale par les personnes versées dans l'art, est possible. Par conséquent, si l'utilité de l'invention revendiquée n’a pas été démontrée, notre deuxième question est de savoir si une telle prédiction valable est justifiée.

 

[12]           Compte tenu des facteurs susmentionnés, la Commission doit répondre à deux questions :

 

1) Est-ce un cas d’utilité démontrée ou d’utilité prédite?

 

2) Si l’invention est fondée sur l’utilité prédite, les exigences pour une prédiction valable sont-elles respectées?


LES REVENDICATIONS

 

[13]           En l’espèce, il y a 11 revendications, et la revendication 1 est la seule revendication indépendante. Les autres revendications dépendantes 2 à 11 sont liées à l’affinage des polyéthers ou des polyesters du composé A et des polyisocyanate du composé B, dont l’affinage n’est pas lié aux plages de tension interfaciale contestées. Par conséquent, il est suffisant dans le cadre de cette révision, de traiter la revendication 1, laquelle comprend les plages de tension interfaciale contestées communes à toutes les revendications. Si la revendication 1 est rejetée, toutes les revendications sont rejetées. Si la revendication 1 est jugée acceptable, toutes les revendications seront jugées acceptables. La revendication 1 est reproduite ci-dessous :

 

[traduction]

1.         Un procédé de production de mousses rigides de polyuréthanne à partir de polyols et de polyisocyanates, ainsi que dagents d'expansion, et le cas échéant, d'auxiliaires de moussage est obtenu par réaction de

A)      un composant polyol comportant au moins 3 atomes dhydrogène réactifs à l'isocyanate et contenant :

1.      60 à 100 % de polyéthers et/ou de polyesters présentant un poids moléculaire compris entre 250 et 1 500 et au moins 2 groupes hydroxyle, qui ont une tension interfaciale de 6 à 14 mN/m par rapport à lisopentane et/ou au n-pentane utilisés(s) comme agent dexpansion, où le polyéther est obtenu par la polyaddition de 70 à 100 % en poids doxyde d'éthylène et de 0 à 30 % en poids doxyde de propylène aux composés de départ;

2.      de l'isopentane et/ou du n-pentane servant d'agent d'expansion;

3.      de leau;

4.      et éventuellement des auxiliaires et additifs, avec


B)      un polyisocyanate présentant une teneur en NCO comprise entre 20 et 48 % en poids et, par rapport à l'isopentane et/ou au n-pentane utilisé(s) comme agent d'expansion, une tension interfaciale de 4,0 à 8 mN/m.

[14]          En l’espèce, il n’y avait pas de discussion à propos du caractère essentiel des éléments revendiqués. Nous acceptons donc les revendications telles quelles avec tous les éléments qui sont considérés comme essentiels. Le point central de la contestation porte sur une partie précise des revendications, nommément les plages des valeurs de tension interfaciale.

 

QUESTION no 1 : UTILITÉ DÉMONTRÉE OU UTILITÉ PRÉDITE?

 

Les principes juridiques applicables

 

[15]           L'obligation d'utilité de l'invention figure à l'article 2 de la Loi sur les brevets (soulignement ajouté) :

 

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

 

 

[16]           Pour respecter l’exigence d’utilité de l'article 2 de la Loi, l’invention décrite dans le brevet doit faire ce que le brevet dit qu’elle fera (c.-à-d. que la promesse de l’invention sera respectée, voir Teva Canada Ltd. c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC au paragr. 38 [Teva (CSC)]).

 


[17]           À la date pertinente (la date de dépôt de la demande du 3 mars 1997), l’utilité de l’invention doit être démontrée ou fondée sur une prédiction valable (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 197 au paragr. 74; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 au paragr. 46 [AZT]).  

 

[18]           En ce qui concerne une situation d’utilité démontrée, la Cour d'appel fédérale a récemment affirmé que (Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc., 2010 CAF 242 au paragr. 82) :

 

[traduction]il nest pas nécessaire que le brevet démontre lutilité dans lexposé de linvention, dès lors que larbitre des faits estime que cette preuve a été faite en cas de contestation juridique.

 

[19]           Quand l’utilité d’une invention ne peut en fait être démontrée par des tests ou des expériences, il devient nécessaire de fonder l’utilité sur une « prédiction valable » (Teva (CSC), précitée au paragr. 37).

 

L’analyse

 

[20]           Comme nous le disions au paragraphe 16 ci-dessus, l’utilité doit être évaluée en fonction de la promesse de l’invention. À ce titre, dans la section qui suit, nous avons procédé à une brève analyse pour souligner clairement l’utilité promise. Comme il est indiqué ci-dessous, l’utilité promise, lorsqu’elle est considérée en se fondant sur l’élément de preuve intrinsèque du mémoire descriptif comme un tout, est cohérente avec les commentaires de l’examinateur et de la demanderesse pendant le traitement de la demande.

 

L’utilité promise

 

[21]           Les allégations de la demanderesse en ce qui concerne la promesse de l’invention se reflètent dans la réponse du 28 juillet 2001 à la décision finale :

 


[traduction]Les demandeurs revendiquent un procédé de production dune mousse rigide de polyuréthanne. Dans le procédé revendiqué, un isocyanate respectant un critère précis, un polyol respectant un critère précis, de leau et un agent dexpansion, de lisopentane ou du n-pentane, sont mis en réaction pour produire une mousse rigide de polyuréthanne.

 

Ces mousses compensent les désavantages de lart antérieur [des mousses] qui utilise lisopentane ou le n-pentane comme agent dexpansion. Plus particulièrement, les mousses rigides de linvention possèdent une conductivité thermique faible, offrant ainsi une isolation thermique. Les mousses antérieures possédaient une conductivité thermique élevée (voir la page 1 de la divulgation).

 

 

[22]           Dans le résumé des motifs, l’examinateur parle de façon similaire des [traduction] « mousses rigides de polyuréthanne promises avec une conductivité thermique améliorée ». La décision finale parle également [traduction] « d’avantages promis en ce qui concerne la valeur de la conductivité thermique ».

 

[23]           Dans notre introduction précédente de l’espèce, nous avons souligné les problèmes liés à l’antériorité citée par la demanderesse dans la présente demande. La demande indique, après les observations sur l’antériorité :

 

[traduction]

Lobjet de la présente invention était de créer une mousse rigide expansée de n-pentane ou disopentane dans laquelle les désavantages susmentionnés sont compensés et qui, plus particulièrement, présente une conductivité thermique faible.

 

Étonnamment, il a maintenant été découvert que les préparations de polyols fondées sur des polyéthers et/ou des polyesters et des polyisocyanates précis, lesquels ont une tension interfaciale précise en ce qui concerne le n-pentane ou lisopentane comme agent dexpansion, produisent des matériaux dont la conductivité thermique est particulièrement faible.

 


[24]           La demande se poursuit en indiquant en page 3 que l’invention fournit un [traduction] « procédé de préparation de mousses rigides de polyuréthanne à partir de polyols et… », une déclaration qui comprend également les plages de tension interfaciale particulières indiquées dans les revendications. Quoique, dans les points ultérieurs de la description, l’invention est désignée comme ayant [traduction] « préférablement » ces valeurs de tension interfaciale, la demanderesse fournit, dans la description, des exemples qui illustrent l’importance de valeurs de tension interfaciale particulières dans la production d’une faible conductivité thermique désirée.

 

[25]           Nous constatons que, bien que la jurisprudence récente ait mis en garde contre l’interprétation d’un objectif, telle que celui qui est cité précédemment et qui provient de la demande, comme une promesse en soi (voir p. ex., Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada Inc., 2012 CFA 109 au paragr. 26), en l’espèce, le reste du mémoire descriptif, y compris les exemples et les revendications, est cohérent avec les objectifs énoncés dans celui-ci.

 

[26]           L’utilité promise est, par conséquent, comme la demanderesse l’a affirmé dans la réponse à la décision finale et comme il est indiqué dans la demande elle-même, la compensation des désavantages de l’art antérieur des mousses, qui utilise le n-pentane et l’isopentane comme agent d’expansion, pour produire une mousse rigide ayant une conductivité thermique faible.

 

[27]           Nous nous penchons maintenant vers l’utilité promise afin de déterminer si celle-ci est démontrée par les valeurs de la plage de tension interfaciale ou si elle doit être fondée sur une prédiction valable.

 

L’utilité est-elle démontrée?

 

[28]           Dans la réponse à la décision finale, la demanderesse a affirmé :

 

[traduction]

Les demandeurs ont démontré dans leurs exemples que les matériaux compris dans la portée de leur invention revendiquée produisent effectivement des mousses rigides.

 

Les exemples démontrent également que les mousses rigides de linvention ont une conductivité thermique faible.

 


Les demandeurs ont également démontré dans leurs exemples que lutilisation de matériaux hors de la portée de linvention revendiquée produit des mousses rigides qui ont une conductivité thermique élevée (exemples 1 et 3).

 

[29]        Des affirmations similaires ont été faites dans la lettre précédente du 21 juillet 2008 :

 

[traduction]

Les exemples 4 et 5 sont plus quadéquats pour appuyer la plage revendiquée de tension interfaciale de 4,0 à 8 mN/m, et il ny a aucune exigence pour que le mémoire descriptif comprenne un exemple pour démontrer lutilité de chaque caractéristique possible de la tension interfaciale à lintérieure de cette plage étroite.

Effectivement, comme il est expliqué précédemment dans le traitement de la demande, la valeur de 4,0 ne représente quune variation denviron 20 % de la valeur de 5 dans lexemple 4 et la valeur de 8 ne représente quune variation denviron 20 % de la valeur de 6,4 dans lexemple 5.

Pour ce qui est de la composante polyol, les exemples 4 et 5 illustrent une valeur denviron 12,4 de tension interfaciale et ceci est adéquat pour appuyer la plage de 6 à 14 mN/m.

 

[30]           La demanderesse ne donne aucun motif dans le passage ci-dessus quant à la raison pour laquelle les exemples 4 et 5 sont « plus qu’adéquats » ou « adéquats » pour appuyer la plage revendiquée. La demanderesse précise que les points extrêmes revendiqués pour l’isocyanate ne représentent qu’une valeur de 20 % par rapport aux valeurs de 5 et de 6,4 tirées des exemples 4 et 5, mais aucun fondement n’a été établi pour confirmer qu’un écart de 20 % donnerait tout de même les résultats promis.

 


[31]           Comme nous le disions dans la décision finale et le résumé des motifs, les exemples ne démontrent l’utilité de l’invention revendiquée pratiquement qu’à un point (12,4 et 12,38 (où la composante A est 80 parties en poids d’un polyéther avec une tension interfaciale de 12,4 et 20 parties en poids d’un polyéther-ester avec une tension interfaciale de 12,3 dans l’exemple 5)) dans la plage revendiquée pour la composante polyol, associée à deux points (5 et 6,4) dans la plage revendiquée pour la composante isocyanate. L’utilité de l’invention aux limites inférieure et supérieure des plages revendiquées n’a pas été démontrée. En fait, l’absence d’utilité a été démontrée à des valeurs tout juste sous la valeur inférieure des plages revendiquées (4,4 pour les polyols et 3.3 pour les isocyanates), ce qui indique que la limite inférieure de la plage exploitable se trouve quelque part entre 4,4 et 12,3 pour les polyols et 3,3 et 5 pour les isocyanates. Une telle limite inférieure exploitable doit être fondée sur une prédiction, en fonction de l’absence de résultats démontrés.

 

[32]           Dans la lettre du 21 juillet 2008, la demanderesse a également affirmé que la question de la prédiction valable [traduction] « relève davantage de situations où il n’y a aucune utilité démontrée ». Nous ne pouvons être d’accord avec un tel principe. En page 6 de la décision finale, l’examinateur a fait référence à un cas similaire à celui en l’espèce, nommément Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2009 CF 235, dans lequel la Cour a été confrontée à une situation où, pour une plage revendiquée, deux points de données ont été fournis, un vraiment à l’extérieur de la plage et l’autre bien à l’intérieur de la plage. La Cour a affirmé (soulignements ajoutés) :

 

[traduction]

[107]      Un seul point ne peut pas définir une plage. Il nexiste pas de données aux limites ou près des limites de la plage, il nest pas non plus fourni de données sur un certain nombre de points à lintérieur de cette plage de façon à établir quil existe dans la plage une étonnante cohérence. Un seul point dans la plage ne peut constituer une preuve de cohérence dans toute la plage.

 

[108]      Par conséquent, il faut donc rechercher si le brevet 191 contient suffisamment de renseignements permettant à la personne versée dans lart de « prédire valablement » la cohérence à lintérieur de la plage.

 

[33]          Nous attirons également l’attention sur Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2010 CF 230 aux paragr. 71 et 72 à titre d’exemple supplémentaire d’une situation où l’utilité d’une plage revendiquée n’avait été que partiellement démontrée, l’étendue complète de la revendication requérant ensuite une prédiction valable.

 


[34]          La demanderesse fait également référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans Burton Parsons Chemicals Inc. et al. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd. et al. (1974), 17 CPR (2d) 97 pour le point où [traduction] « une demanderesse doit avoir la permission de revendiquer adéquatement son invention, sinon, son brevet sera inutile » (voir la lettre du 21 juillet 2008, à la page 4). La demanderesse affirme également que [traduction] « exiger que les revendications soient limitées aux exemples de travail précis, ce qui correspond essentiellement à ce qui est exigé dans la demande rendrait le brevet sans valeur ». Nous sommes d’accord qu’une invention revendiquée ne doit pas être limitée à des exemples de travail précis. Cependant, comme nous le disions ci-dessus, la jurisprudence exige que si l’utilité d’une invention n’a pas été démontrée, elle doive alors être fondée sur une prédiction valable, qui, comme il est indiqué plus loin dans cette recommandation, exige un raisonnement pour justifier la généralisation à partir de la démonstration précise de l’utilité.

 

[35]          Compte tenu des facteurs susmentionnés et de la jurisprudence liée, la réponse à notre première question est que les plages revendiquées des valeurs de tension interfaciale doivent être fondées sur une prédiction valable. L’utilité n’est pas démontrée.

 

QUESTION no 2 : LES EXIGENCES POUR UNE PRÉDICTION VALABLE SONT-ELLES RESPECTÉES?

 

Les principes juridiques applicables

 

[36]          Comme il est indiqué dans AZT, précitée, une invention qui doit s’appuyer sur une prédiction valable d’utilité pour justifier sa portée doit respecter trois critères :

 

(1)        la prédiction doit avoir un fondement factuel :

(2)        à la date de la demande de brevet, l'inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

(3)        il doit y avoir divulgation suffisante.

 


[37]           Une « prédiction valable », comme le disait la demanderesse dans la réponse du 21 juillet 2008, ne signifie pas qu’il s’agit d’une certitude. Cela n’exclut pas tous les risques qu’une partie du domaine visé puisse s’avérer dépourvue d’utilité. Il y a deux motifs pour rejeter des revendications fondées sur une prédiction valable : (1) il y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé; (2) ce n’est pas une prédiction valable (Monsanto Co. c. Canada (Commissaire des brevets), (1979) 42 CPR (2d) 161 à 176 (CSC)).

 

L’analyse

 

(1) Le fondement factuel

 

[38]           Le seul fondement factuel présenté est celui des exemples montrés dans la description. Comme nous le disions plus haut, ils ont indiqué que l’utilité promise est atteinte à un point où la tension interfaciale du polyol est de 12,4 mN/m et la tension interfaciale du polyisocyanate est de 5 mN/m (exemple 4), et à un point où la tension interfaciale du polyol est également de 12,4 (arrondi en tenant compte que 20 parties en poids du polyol a une tension interfaciale de 12.3 mN/m et 80 parties n poids a une tension interfaciale de 12,4 mN/m) et que la tension interfaciale du polyisocyanate est de 6,4 mN/m (exemple 5). Le tableau à la page 14 de la description présente les valeurs de la conductivité thermique produite, montrant que les exemples 1 à 3 ne démontrent pas l’utilité promise (la structure de l’exemple 2 s’étant effondrée).

 


(2) et (3) Le raisonnement et sa divulgation

 

[39]           Dans la lettre du 21 juillet 2008, la demanderesse a affirmé :

 

[traduction]

Le raisonnement et la validité de la prédiction doivent être en date du dépôt de la demande. Les inventeurs étaient au courant des résultats obtenus selon différentes caractéristiques de tension interfaciale dans les réactifs, y compris la tension interfaciale qui a produit le résultat désiré, et des tensions interfaciales ayant obtenu de moins bons résultats. Ces résultats sont compris dans le mémoire descriptif. Les inventeurs et les personnes effectivement versées dans lart avaient une compréhension de la tension interfaciale et du fait que les effets de la tension interfaciale jouent un rôle dans la formation de la mousse. Les données dans le mémoire descriptif montrent quà une faible tension interfaciale, de [moins bons] résultats sont obtenus. Les personnes versées dans lart avaient également une compréhension de leffet dun changement unitaire dans la tension interfaciale. Les inventeurs ont expliqué que les variations ou les ajustements dans la tension interfaciale des composantes fourniraient tout de même des mousses acceptables, ce quils ont exposé dans leur mémoire descriptif.

Comme il est indiqué dans la décision Apotex c. Wellcome, [la dépendance] envers la « certitude » nest pas requise.

De plus, une demanderesse peut adopter une approche conservatrice et formuler ses revendications de manière plus étroite quexigée dans la définition de linvention.

 

[40]           Nous constatons que le raisonnement donné dans le passage ci-dessus ne fait pas partie du mémoire descriptif du brevet en cause.

 

[41]           La Cour d’appel fédérale, dans Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CFA 97 (décision évoquée par l’examinateur dans la décision finale) s’est penchée sur une situation liée à la présente où les renseignements nécessaires pour faire une prédiction valable (l’étude de Hong Kong qui a fourni un fondement factuel à la prédiction) ne faisaient pas partie du mémoire descriptif. La Cour s’est prononcée sur les exigences en matière de divulgation à la fois pour le fondement factuel et pour le raisonnement (soulignement ajouté) :

 


[traduction]

[14]                 Larrêt AZT de la Cour suprême est particulièrement important à légard de lissue du présent appel. Selon larrêt AZT, les exigences de la règle de la prédiction valable sont au nombre de trois : la prédiction doit avoir un fondement factuel; à la date de la demande de brevet, linventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette dinférer du fondement factuel le résultat souhaité; et, enfin, il doit y avoir une divulgation suffisante (arrêt AZT, précité, paragraphe 70). Comme il a été dit dans larrêt : « la prédiction valable est, jusquà un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet ». Dans les décisions en matière de prédiction valable, lobligation de divulguer les faits sous-jacents et le raisonnement est plus élevée pour les inventions contenant la prédiction.

 

[15]                 En toute déférence, jestime que le juge de la Cour fédérale sest fondé sur le principe approprié lorsquil a conclu, en sappuyant sur larrêt AZT, que lorsquun brevet est fondé sur une prédiction valable, la divulgation doit inclure la prédiction. Puisque la prédiction devenait valable grâce à létude de Hong Kong, cette étude devait être divulguée.

 

[42]            Ce raisonnement a été suivi dans Eli Lilly & Co. c. Teva Canada Ltd., 2011 CFA 220 :

 

[traduction]

[47]           Lilly fait valoir que ni la Loi sur les brevets, ni la jurisprudence de la Cour suprême nexigent une telle divulgation dans le brevet comme condition nécessaire pour invoquer avec succès la prédiction valable comme fondement de lutilité de linvention revendiquée. Cependant, bien que le juge Binnie nait peut-être pas tranché cette question de manière définitive dans larrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153, au paragr. 70, il a été décidé en Cour fédérale, et confirmée par notre Cour, quun breveté doit divulguer dans le brevet une étude qui fournit un fondement factuel à la prédiction valable : Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 CPR (4th) 406, confirmée par 2009 CFA 97, 78 CPR (4th) 388 (Eli Lilly Canada). 

 


[43]           En l’espèce, il n’y a également aucun élément de preuve disponible sous la forme, par exemple, d’un affidavit, que ces facteurs de logique faisaient partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art, des connaissances qui pourraient combler l'écart entre le fondement factuel et une prédiction valable (voir Teva Canada Limited c. Novartis AG, 2013 CF 141 au paragr. 326). Nous n’avons par conséquent aucune preuve quant à ce qu’une personne versée dans l’art aurait déduit en se fondant sur les données factuelles présentées dans la demande.

 

[44]           Bien que l’exigence de divulgation accrue dans le cas d’une prédiction valable ait été observée dans Teva (CSC), précitée, ce n’était pas un enjeu dans cette affaire et cela n’a par conséquent pas été abordé (voir Teva (CSC), précité au paragr. 43). Nous appliquons par conséquent les principes énoncés ci-dessus par les tribunaux (aux paragr. 41 à 43) par rapport à la divulgation du fondement factuel et du raisonnement.

 

[45]           La demanderesse affirme dans la lettre du 21 juillet 2008 adopter peut-être une [traduction] « approche conservatrice » en définissant l’invention compte tenu des exemples et du fait que les plages de tension interfaciale revendiquées représentent une [traduction] « variation mineure des paramètres de tension interfaciale testés avec succès dans les exemples 4 et 5, prenant en considération les exemples ». Quoique le comité convienne que, compte tenu du fondement factuel, une certaine variation est possible tout en offrant tout de même l’utilité promise, sans un raisonnement, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art n’aurait aucun moyen de savoir ce qu’est une variation de prédiction valable à partir des paramètres démontrés des exemples 4 et 5.

 

[46]           En l’espèce, même si la demanderesse a affirmé que le raisonnement qu’elle considérait valable dans ses observations était suffisant, ce n’est pas révélé dans la demande, et la demanderesse n’a pas déposé d’éléments de preuve indiquant que cela fait partie des connaissances générales de la personne versée dans l’art. Par conséquent, un tel raisonnement ne peut justifier la prédiction nécessaire fondée sur les exemples donnés dans la description.

 

[47]           Spécifiquement, nous sommes d’avis que la personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de prédire si la portée complète des plages de tension interfaciale revendiquées de 6 à 14 mN/m pour la composante polyol associée avec 4,0 à 8 mN/m pour la composante polyisocyanate fournirait l’utilité promise.


 

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

 

[48]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, la Commission recommande que la demande soit refusée puisque l’utilité de l’objet revendiqué n’est pas démontrée pas plus qu’elle n’est valablement prédite, la demande étant par conséquent non conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

 

 

Stephen MacNeil                    Paul Fitzner                             Christine Teixeira

Membre                                   Membre                                   Membre

 


DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

[49]           Je souscris aux conclusions de la Commission d’appel des brevets et ses recommandations indiquant que la demande soit refusée puisque l’utilité de l’objet revendiqué n’est pas démontrée pas plus qu’elle n’est valablement prédite, la demande étant par conséquent non conforme à l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

[50]           En conséquence, je refuse d’accorder un brevet dans le cadre de la présente demande. Conformément à l'article 41 de la Loi sur les brevets, la demanderesse dispose d'un délai de six mois pour interjeter appel de ma décision devant la Cour fédérale du Canada.

 

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau, Québec

Ce 28e jour de mars 2013

 

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