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Décision du Commissaire #1330

Commissioner’s Decision #1330

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJETS L04, L40

TOPICS: L04, L40

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

         No de brevet : 2,413,004

       Patent No: 2,413,004

 

 


 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

Une demande de redélivrance du brevet numéro 2,413,004 a été jugée non conforme au paragraphe 47(1) de la Loi sur les brevets, et elle a donc été examinée par la Commission d’appel des brevets et par le commissaire aux brevets. Voici les conclusions de la Commission et la décision du commissaire :

 

 

 

 

Agent du demandeur

OYEN WIGGS GREEN & MUTALA LLP  

The Station

480 ‑ 601 West Cordova Street

VANCOUVER (Colombie-Britannique)

V6B 1G1

 

INTRODUCTION

 

[1]    La présente recommandation porte sur l’examen, par le commissaire aux brevets, d’une demande de redélivrance du brevet numéro 2,413,004 intitulé « ATTELAGE À ALIGNEMENT AUTOMATIQUE ». Le breveté et inventeur est Ivan Boaler Slatten.

 


[2]    La présente demande de redélivrance est jugée non acceptable par le Conseil de redélivrance (ci-après le « Conseil »). Le Conseil est un groupe au sein de la Direction de l’examen des brevets composé d’examinateurs principaux de brevets chargés d’effectuer l’examen initial des demandes de redélivrance. À l’heure actuelle, l’examen d’une demande de redélivrance se fait en deux étapes, la première étant un examen de la requête en redélivrance et des documents qui l’accompagnent pour s’assurer que les motifs de redélivrance sont suffisants pour justifier les changements apportés et que les changements eux-mêmes sont acceptables au regard des dispositions relatives à la redélivrance de l’article 47 de la Loi sur les brevets. La deuxième étape, le cas échéant, comporte un examen visant à déterminer si le brevet redélivré avec le mémoire descriptif modifié serait conforme aux autres dispositions de la Loi et des Règles (p.ex. nouveauté, évidence, etc.).

 

[3]    Comme l’illustration de la figure 1 le montre, le brevet porte, de manière générale, sur un dispositif d’attelage pour un véhicule tracteur et un véhicule tracté, ledit dispositif comprenant un boîtier de flèche d’attelage (12) qui est fixé au véhicule tracteur et une flèche d’attelage (14) dont la position permet son mouvement dans une gorge (23) [non illustrée] du boîtier de flèche d’attelage. Un tourillon (32) empêche le retrait complet de la flèche d’attelage du boîtier. Comme le boîtier et la flèche d’attelage comportent un dispositif à cames supplémentaire, une fois que la flèche d’attelage a été solidement fixée à un véhicule tracté, tout mouvement du véhicule tracteur entraînera un mouvement de la flèche d’attelage qui la fait passer d’une position de désalignement en extension à une position d’alignement en retrait, comme l’illustre la figure 1, ci-après (voir les figures 7 à 10 de la demande de brevet, pour une illustration du processus d’alignement). Une goupille de calage (80) assure le verrouillage de la flèche d’attelage (14) lorsque celle‑ci atteint une position de retrait maximum dans le boîtier et d’alignement adéquat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[4]    La flèche d’attelage est solidement fixée à un véhicule tracté par un attelage, lequel est illustré sous forme de chape (36) à la figure 1. La chape (36) comporte une goupille d’attelage (44) qui peut être insérée dans l’orifice (48) et ainsi solidement fixer le véhicule tracté au véhicule tracteur, le mouvement de la goupille d’attelage étant restreint par un élément d’insertion de la goupille qui est en position oblique (94), comme l’illustre la figure 6, ci-après.

 

 

 

[5]    Telles qu’établies dans le document pertinent, les revendications indépendantes numéros 1, 42 et 43 de la demande de brevet portent principalement sur la capacité d’auto‑alignement de l’attelage, y compris la flèche d’attelage, la gorge et le dispositif à cames. La chape (36) n’est expressément mentionnée que dans les revendications dépendantes. Dans le cadre de la présente demande de redélivrance, le breveté souhaite ajouter une nouvelle série de revendications (revendications numéros 44 à 49) visant un attelage qui comporte le dispositif d’assemblage du type chape lui-même, et ce, indépendamment de la capacité d’auto‑alignement. La chape, considérée comme un élément indépendant, est illustrée à la figure 16 de la demande de brevet, laquelle est reproduite ci-après.

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HISTORIQUE DE LA DEMANDE

 


[6]    Le brevet numéro 2,413,004 a été délivré le 11 mai 2004, et la demande de redélivrance qui est l’objet du présent examen a été déposée le 9 mai 2008. Dans la requête en redélivrance, le breveté soutient que le brevet est défectueux ou inopérant en ce qu’il ne comporte pas de revendications protégeant l’invention visée par les revendications 21-26 de son brevet américain numéro 6,286,852, dont le breveté soutient qu’elles sont étayées par la description et les dessins du brevet canadien délivré. Dans le mémoire descriptif modifié accompagnant la demande de redélivrance, le breveté a inclus les revendications proposées 44-49, qui correspondent aux revendications 21-26 de son brevet américain. Le breveté a également cherché à corriger certaines erreurs typographiques dans le mémoire descriptif au moyen de modifications proposées à la description.

 

[7]    Dans une lettre adressée au breveté datée du 23 juillet 2009, le Conseil indiquait que la demande de redélivrance était non acceptable aux motifs qu’il n’y avait aucune preuve objective de l’intention originale du breveté de revendiquer l’objet des revendications proposées 44-49 et que les revendications que le breveté souhaitait ajouter par voie de redélivrance ne visaient pas la « même invention » que le brevet délivré. Le Conseil indiquait également que les corrections d’erreurs typographiques dans le mémoire descriptif du brevet étaient non acceptables parce qu’elles n’étaient pas liées à la défectuosité alléguée du brevet.

 

[8]    Dans une réponse datée du 22 janvier 2010, le breveté a retiré les corrections typographiques du mémoire descriptif du brevet et a communiqué des renseignements additionnels relatifs à des procédures de demande de brevet correspondant au dossier canadien dans des pays étrangers. Ces renseignements visaient à étayer la prétention originale du breveté selon laquelle l’intention de protéger l’objet des revendications proposées 44-49 était illustrée par la protection demandée et obtenue aux États-Unis. En rapport avec la question de la même invention, le breveté soutenait que, selon l’exigence de « même invention » du paragraphe 47(1) de la Loi, les revendications modifiées devaient viser une invention divulguée dans le brevet original, et il citait de la jurisprudence à l’appui de cette prétention. Le breveté soutenait également que, puisque le bureau américain des brevets et des marques de commerce (US Patent and Trademark Office ou « USPTO ») avait délivré un brevet pour les deux types d’attelage, le commissaire ne devrait pas agir différemment.

 

[9]    Dans un résumé des motifs (« RDM ») présenté à la Commission d’appel des brevets (ci-après « la Commission »), le Conseil concédait que le brevet était défectueux en ce que le breveté avait prouvé, au moyen d’une preuve objective (c.-à-d. ce pour quoi il avait demandé et obtenu une protection aux États-Unis), qu’il avait eu l’intention de protéger l’objet des revendications proposées 44-49, mais qu’il avait omis de le faire. Le Conseil concédait également que le mémoire descriptif original étayait l’objet des revendications proposées 44-49. Cependant, le Conseil soutenait que la demande de redélivrance n’était pas conforme aux exigences des paragraphes 47(1) et 36(1) de la Loi parce que les nouvelles revendications ne visaient pas la « même invention » que le brevet délivré, pour des raisons qui seront examinées plus loin.

 

[10]  Le RDM a été communiqué au breveté avec une lettre de la Commission datée du 20 septembre 2011, dans laquelle celle­‑ci offrait au breveté la possibilité de faire valoir son point de vue.


 

[11]  Dans une lettre datée du 19 décembre 2011, le breveté indiquait qu’il n’y aurait pas d’autres observations écrites et qu’une audience ne serait pas requise. Le présent examen a donc porté sur la documentation versée au dossier à ce jour.

 

PRINCIPES JURIDIQUES

 

[12]  Le paragraphe 47(1) de la Loi sur les brevets énonce les critères de redélivrance d’un brevet :

 

Lorsquun brevet est jugé défectueux ou inopérant à cause dune description et spécification insuffisante, ou parce que le breveté a revendiqué plus ou moins quil navait droit de revendiquer à titre dinvention nouvelle, mais quil apparaît en même temps que lerreur a été commise par inadvertance, accident ou méprise, sans intention de frauder ou de tromper, le commissaire peut, si le breveté abandonne ce brevet dans un délai de quatre ans à compter de la date du brevet, et après acquittement dune taxe réglementaire additionnelle, faire délivrer au breveté un nouveau brevet, conforme à une description et spécification rectifiée par le breveté, pour la même invention et pour la partie restant alors à courir de la période pour laquelle le brevet original a été accordé.

 

[13]  La Commission a récemment examiné la jurisprudence relative à la disposition précitée dans Re demande de redélivrance par Leurdijk (2009, décision du commissaire no 1289, ci-après la « DC1289 ») (voir aussi Re demande de redélivrance par Novo Nirdisk A/S (2009), décision du commissaire no 1297, ci-après la « DC1297 »). Comme le commissaire l’a mentionné dans la DC1289 et la DC1297, l’octroi d’un brevet redélivré est discrétionnaire, mais il doit être satisfait aux exigences du paragraphe 47(1) avant que ce pouvoir discrétionnaire puisse être exercé.

 

[14]  Par souci de commodité, les exigences du paragraphe 47(1) sont décomposées comme suit :

 

a) le brevet doit être défectueux ou inopérant à cause d’une description et spécification insuffisante, ou parce que le breveté a revendiqué plus ou moins qu’il n’avait droit de revendiquer à titre d’invention nouvelle

b) l’erreur doit avoir été commise par inadvertance, accident ou méprise, sans intention de frauder ou de tromper

c) le breveté doit avoir abandonné ce brevet dans un délai de quatre ans à compter de la date du brevet et avoir acquitté une taxe réglementaire additionnelle

d) le brevet redélivré doit l’être pour la même invention que le brevet original.

 

[15]  Dans la présente affaire, le Conseil soutient que la demande de redélivrance est également non conforme au paragraphe 36(1) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

 


Un brevet ne peut être accordé que pour une seule invention, mais dans une instance ou autre procédure, un brevet ne peut être tenu pour invalide du seul fait quil a été accordé pour plus dune invention.

 

QUESTIONS

 

[16]  Comme nous l’avons indiqué plus haut dans la section relative à l’historique de la présente demande, le Conseil a admis que le breveté avait eu l’intention de déposer des revendications de la portée des revendications proposées 44-49 dans la demande originale de brevet, compte tenu de la protection qu’il avait demandée et obtenue dans un brevet américain correspondant. On a donc considéré que la preuve présentée à cet égard prouvait que l’erreur ou l’omission avait été commise par inadvertance, accident ou méprise, sans intention de frauder ou de tromper. De plus, puisque la taxe exigible a été payée et que la demande de redélivrance a été déposée dans les quatre ans suivant la date de délivrance du brevet (voir Curl-Master Manufacturing Co. Ltd. v. Atlas Brush Ltd. (1967), 52 C.P.R. 51 (C.S.C.) à la page 74), il est satisfait aux exigences (a), (b) et (c) du paragraphe 47(1) décrites ci-dessus.

 

[17]  La seule question qui subsiste en rapport avec le paragraphe 47(1) est celle du point (d) ci-dessus, à savoir si les revendications proposées aux fins de redélivrance visent la « même invention » que le brevet original.

 

[18]  Dans le RDM, le Conseil a avancé plusieurs motifs pour lesquels les revendications que le breveté souhaitait inclure dans le brevet par voie de redélivrance étaient non acceptables :

—    Bien qu’une exigence de « même invention » au regard du paragraphe 47(1) soit étayée par le mémoire descriptif original (comme le commissaire le mentionnait dans la DC1289), il est une autre exigence selon laquelle, au titre du critère de la « même invention », les revendications proposées aux fins de redélivrance doivent viser la même idée originale que les revendications du brevet délivré.

—    La jurisprudence indique que les revendications modifiées demandées par voie de redélivrance ne peuvent pas définir une autre invention que celle qui a été revendiquée dans le brevet original (voir Fuso Electric v. Canadian General Electric, [1940] 2 D.L.R. 1 (C.S.C.)). Il faut que l’inventeur ait décrit et revendiqué l’objet de la demande de redélivrance dans le brevet original.

—    Le libellé du paragraphe 74(1) de la Loi porte à croire qu’il doit y avoir une seule invention puisque « la même invention » est au singulier, et non au pluriel.

—    Les revendications 44-49 proposées aux fins de redélivrance ne visent pas la même idée originale / invention que les revendications 1-43 du brevet délivré, contrairement aux exigences du paragraphe 36(1) de la Loi.

—    Le fait qu’un brevet américain correspondant ait été délivré et comportait les deux inventions n’oblige pas l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC ») à reconnaître que cela est acceptable parce que les exigences relatives à « l’unité d’invention » ne sont pas les mêmes au Canada et aux États-Unis.


—    Il serait porté préjudice aux droits du public si un brevet était redélivré et comportait une invention additionnelle à l’invention originale.

 

[19]  Nous croyons que les points susmentionnés peuvent être traités en répondant aux questions suivantes :

 

Question — : La demande de redélivrance est-elle non conforme au paragraphe 47(1) de la Loi parce que les revendications proposées aux fins de redélivrance ne visent pas la « même invention » que le brevet délivré?

 

Question — : La demande de redélivrance est-elle non conforme au paragraphe 36(1) de la Loi?

 

Question — : S’agit-il d’un cas où le commissaire devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 47(1) de la Loi de ne pas accorder la redélivrance parce qu’en l’espèce l’octroi de la redélivrance porterait préjudice au public?

 

Analyse

 

Première question : « Même invention » au sens du paragraphe 47(1) de la Loi

 

[20]  Tel qu’indiqué précédemment dans la section relative aux principes juridiques applicables, le paragraphe 47(1) exige qu’un brevet redélivré soit « pour la même invention et pour la partie restant alors à courir de la période pour laquelle le brevet original a été accordé ».

 

[21]  Dans la décision Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc., (1994), 57 C.P.R. (3d) 488 à la page 499 (C.F., 1re inst.), infirmée pour d’autres motifs par (1995), 63 C.P.R. (3d) 473 (C.A.F.), citée par le breveté dans sa réponse du 22 janvier 2010 et par le Conseil dans le RDM, la Cour a affirmé que :

 

Larticle 47 permet la rectification des revendications de façon que ces dernières soient conformes à l'intention de l'inventeur. Cela étant, les revendications du brevet redélivré et celles du brevet original seront différentes. Pour satisfaire à l'exigence selon laquelle il doit s'agir de la « même invention », les revendications rectifiées doivent viser l'invention qui a été divulguée d'une façon quelque peu imparfaite dans le mémoire descriptif du brevet original.

 

[22]  Dans le RDM, le Conseil a laissé entendre que ce passage fait état d’[traduction] « une exigence de même invention » et qu’il était une autre exigence selon laquelle les revendications d’un brevet redélivré devaient viser la même idée originale. Le breveté a laissé entendre que ce passage signifiait que [traduction] « "même invention" [devait] recevoir une interprétation libérale et non une interprétation excessivement technique ou stricte. »

 


[23]  Le passage précité de la décision Mobil Oil indique que les revendications modifiées doivent se rapporter à une invention divulguée dans le brevet, en supposant évidemment que l’intention du breveté de protéger un tel objet puisse être établie. Bien que le Conseil soutienne qu’il devrait y avoir une exigence additionnelle au paragraphe 47(1) de la Loi selon laquelle les revendications modifiées doivent se rapporter à la même idée originale que les revendications du brevet délivré, nous ne voyons aucune exigence semblable à la lumière de la décision Mobil Oil ni à la lumière de l’examen qui suit des autres décisions judiciaires relatives aux autres motifs exposés par le Conseil en rapport avec le paragraphe 47(1) de la Loi.

 

[24]  Le Conseil a laissé entendre que la jurisprudence indiquait qu’afin d’obtenir une redélivrance, [traduction] « l’inventeur devait avoir décrit et revendiqué l’objet de la demande de redélivrance dans le brevet original. » Au soutien de cette affirmation, le Conseil a cité l’arrêt Fuso Electric, précité, et l’affirmation selon laquelle :

 

[traduction] La redélivrance nest pas loctroi dun nouveau brevet; elle doit être limitée à linvention que linventeur a tenté de décrire et de revendiquer dans le brevet original.

 

[25]  Bien que l’affirmation précitée ait été faite par une minorité de juges de la Cour, il importe de la placer dans le contexte des faits de l’affaire. Dans l’affaire Fuso Electric, une redélivrance avait été obtenue sur le fondement de deux des revendications originales et de deux nouvelles revendications, alors que le reste du mémoire descriptif était demeuré inchangé. Les juges minoritaires aussi bien que les juges majoritaires ont tous reconnu qu’il n’y avait aucun fondement, dans le brevet original, aux caractéristiques liées à l’élimination des reflets et à la résistance aux chocs découlant de la manutention commerciale, lesquelles caractéristiques avaient été introduites au moyen des nouvelles revendications du brevet redélivré. Autrement dit, les nouvelles revendications introduisaient un nouvel objet dans le brevet. Comme l’a affirmé le juge s’exprimant au nom de la majorité de la Cour :

 

[traduction] Jarrive à la conclusion que [les revendications 3 et 4] auraient été invalides si elles avaient été introduites dans le brevet original, pour des motifs que jexposerai, quelles constituent une tentative de conférer un caractère nouveau à linvention de Pipkin, et que le brevet redélivré est en conséquence invalide.

 

[26]  Ainsi, selon les faits de l’affaire Fuso Electric, l’objet des nouvelles revendications n’était ni décrit ni revendiqué (c.-à-d., la Cour n’était pas saisie d’un cas où l’objet des revendications recherchées par voie de redélivrance avait été décrit mais non revendiqué, comme c’est le cas en l’espèce).

 


[27]  Dans l’arrêt plus récent Curl-Master, précité, la Cour suprême a indiqué que le juge de première instance avait invalidé le brevet redélivré en suivant le même raisonnement que dans l’arrêt Fuso Electric, précité, où les juges minoritaires avaient exprimé l’avis que la redélivrance devait être limitée à ce qui avait été décrit et revendiqué dans le brevet original. Le juge de première instance avait cité une affirmation du juge MacLean dans Northern Electric Co. et al. v. Photo Sound Corp. [1936] 2 D.L.R. 711 aux pages 723-724, [1936] Ex.C.R. 75, qui était très proche du passage de l’arrêt Fuso Electric cité par le Conseil.

 

[28]  Avant d’infirmer la conclusion du juge de première instance, la Cour suprême a examiné les dessins afin de trouver un fondement à l’objet des revendications recherchées par voie de redélivrance. Dans l’affaire Curl-Master, les caractéristiques importantes des revendications recherchées par voie de redélivrance n’étaient présentes ni dans les revendications originales ni dans la description de l’invention. Dans le contexte de l’affaire Curl-Master, la Cour suprême a décrit comme suit les exigences de l’art. 50 de la Loi sur les brevets (maintenant l’art. 47) :

 

[traduction] Y a-t-il eu, en rapport avec le brevet 554,826, une omission complète de divulguer linvention de Marchessault, de telle sorte que ce brevet est invalide parce quil ne divulgue aucune invention, ou y a-t-il eu une description imparfaite de linvention de lappelant qui rendrait le brevet défectueux, mais tout de même susceptible dêtre corrigé par voie de redélivrance, si une telle imperfection résultait dune erreur ou dune méprise.

 

[29]  Il ressort du passage précité que, pour décider si une redélivrance est justifiée, il faut considérer ce qui a été divulgué dans le brevet original, en tenant compte encore une fois, évidemment, de l’exigence selon laquelle une erreur ou méprise doit être établie.

 

[30]  Dans Curl-Master, l’importance des différences entre les revendications du brevet original et les revendications du brevet redélivré ne faisait pas obstacle à l’obtention d’une redélivrance. La revendication 1 d’ordre général du brevet original portait sur un balai de curling de configuration étagée à deux longueurs de fibres. Par contraste, la revendication 1 d’ordre général du brevet redélivré portait sur une méthode particulière de fixation des fibres du balai qui comprenait une bordure inférieure à piqûre lâche consolidée par des attaches flexibles reliées à la tête du balai. La configuration étagée n’était pas une caractéristique de la revendication 1 du brevet redélivré.

 

[31]  L’arrêt Curl-Master illustre en outre qu’il n’est pas nécessaire qu’une invention revendiquée dans un brevet redélivré vise la même invention que celle décrite et revendiquée dans le brevet original. Ce qui importe, c’est que l’invention ait été divulguée et que le breveté puisse démontrer que l’invention n’a pas été revendiquée par inadvertance, accident ou méprise.

 

[32]  À la suite de l’arrêt Curl-Master, la Section de première instance de la Cour fédérale a rappelé, dans la décision Burton Parsons Chemicals Inc. v. Hewlett-Packard (Canada) Ltd. (1972), 7 C.P.R. (2d) 198,, après avoir examiné l’arrêt Curl-Master, l’importance de ce qui avait été divulgué pour déterminer si une redélivrance était justifiée. Selon la Cour, la Cour suprême :


 

[TRADUCTION] se borne à déterminer si une invention brevetable est présente, encore quelle ne soit pas nécessairement décrite ni même revendiquée, parce que lénoncé de linvention au début du brevet original dans Curl-Master ne mentionnait même pas la caractéristique dont la Cour a conclu plus tard quelle constituait linvention sur laquelle le brevet redélivré pouvait se fonder.

 

[33]  Mentionnons également que dans l’affaire Burton Parsons, précitée, l’intention du breveté a été inférée de la protection qui avait été demandée aux États-Unis, comme dans la présente affaire.

 

[34]  La Cour d’appel a infirmé la décision de la Section de première instance, mais la Cour suprême l’a ensuite rétablie ([1976] 1 R.C.S. 555). Au sujet de la validité de la redélivrance, la Cour suprême a affirmé :

 

[c]e qui importe, cest que la bonne foi de linventeur ne soit pas mise en doute; il nest pas contesté sérieusement que le brevet initial divulguait la même invention que le brevet redélivré.

 

Conclusions quant à la « même invention »

 

[35]  Le Conseil, après avoir admis que le breveté avait l’intention de revendiquer l’objet des revendications proposées dans la demande de redélivrance et que cet objet avait été divulgué par le brevet original, a considéré que le paragraphe 47(1) de la Loi exigeait également, au titre du critère de la « même invention », que l’idée originale de l’invention visée par la demande de redélivrance soit la même que celle que visaient les revendications du brevet original. Nous concluons, au terme de notre examen de la jurisprudence pertinente, qu’il n’est pas nécessaire que l’invention visée par une demande de redélivrance soit liée à la même idée originale que celle visée par les revendications du brevet original. En outre, nous n’avons relevé aucune exigence additionnelle imposée par les tribunaux canadiens au titre du critère de la « même invention » du paragraphe 47(1) de la Loi. Cette conclusion s’applique également au motif du Conseil portant que « même invention » est au singulier au paragraphe 47(1) de la Loi.

 

[36]  Pour les motifs qui précèdent, nous concluons que la présente demande de redélivrance satisfait à l’exigence de « même invention » du paragraphe 47(1) de la Loi. Mentionnons que cette conclusion s’accorde avec l’interprétation de « même invention » retenue dans les DC1289 et DC1297 précitées.

 

Deuxième question : Conformité au paragraphe 36(1) de la Loi

 


[37]  Dans le RDM présenté à la Commission, le Conseil a souligné deux points en rapport avec le paragraphe 36(1) de la Loi : (1) puisque les revendications 44-49, introduites dans le mémoire descriptif modifié, visent une autre idée originale que celle que visent les revendications 1-43, la redélivrance ne peut pas être accordée avec les deux séries de revendications, et (2) puisque les exigences relatives à l’unité d’invention au Canada et aux États-Unis sont différentes, l’OPIC n’est pas tenu d’adopter la même position que les autorités américaines et de délivrer un brevet pour les deux inventions.

 

[38]  Pour ce qui concerne le premier point, comme nous l’avons dit précédemment au paragraphe [2], le présent processus d’examen d’une demande de redélivrance comporte deux étapes, la première étant un examen de la requête en redélivrance et des documents qui l’accompagnent pour en vérifier la conformité à l’article 47 de la Loi, et la deuxième étape étant un examen par l’examinateur compétent du mémoire descriptif pour en vérifier la conformité aux autres dispositions de la Loi et des Règles. Compte tenu de la portée de l’examen de la première étape, nous estimons qu’il est plus approprié que toute évaluation de la conformité au paragraphe 36(1) de la Loi soit effectuée par l’examinateur, au moment d’évaluer la conformité aux autres dispositions de la Loi et des Règles.

 

[39]  Pour ce qui concerne le deuxième motif évoqué plus haut, dans la réponse du 22 janvier 2010, le breveté a évoqué les démarches auprès de l’USPTO et le fait que celui-ci avait délivré un brevet correspondant visant les deux inventions revendiquées. Comme le Conseil l’a souligné dans son RDM, les pratiques respectives de l’USPTO et de l’OPIC en ce qui a trait à l’unité d’invention ne sont pas identiques. En outre, les décisions d’un office étranger ne lient pas l’OPIC et ne sauraient donc en aucun cas dicter la réponse à une question relative à l’unité d’invention. Comme la Cour d’appel fédérale l’indiquait récemment dans l’arrêt Amazon.com c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 328, au paragraphe 60 :

 

[] chaque pays a ses propres lois et pratiques administratives en matière de brevets et [] celles-ci ne concordent pas les unes avec les autres à certains égards importants. Le fait quun brevet est accordé pour une invention particulière dans un ou plusieurs pays ne permet pas de trancher la question de savoir si linvention constitue un objet brevetable au Canada.

 

Conclusions au sujet de la conformité au paragraphe 36(1) de la Loi

 

[40]  Pour les motifs exposés ci-dessus, nous concluons qu’il est plus approprié que toute évaluation de la conformité au paragraphe 36(1) de la Loi soit faite par l’examinateur à la deuxième étape de l’examen de la présente demande de redélivrance. Lorsqu’il procède à cette évaluation, l’examinateur n’est pas lié par les conclusions d’un organisme étranger.

 

Troisième question : Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 47(1) de la Loi

 

[41]  Dans le RDM, le Conseil a laissé entendre que la redélivrance d’un brevet pour une invention additionnelle non revendiquée dans le brevet original pourrait porter préjudice aux droits du public.

 


[42]  Mentionnons tout d’abord que lorsqu’une redélivrance est accordée, il est souvent possible qu’un tiers qui, croyant que le monopole est le même qu’au moment de la délivrance du brevet original, entreprenne des activités qui pourraient être considérées plus tard comme une contrefaçon du brevet redélivré ultérieurement. Cela pourrait être le cas chaque fois que la portée de la protection est étendue par la redélivrance, comme le permet le paragraphe 47(1) de la Loi. Cela pourrait également être le cas lorsque l’invention revendiquée dans le brevet redélivré est très différente de celle revendiquée dans le brevet délivré, comme c’était le cas dans l’affaire Curl-Master, précitée. La possibilité qu’une redélivrance porte préjudice à un tiers n’est donc pas propre à la présente situation. Néanmoins, le législateur a prévu, au paragraphe 47(1) de la Loi, la possibilité pour un breveté de modifier un brevet dès lors qu’il est satisfait aux exigences de cette disposition.

 

[43]  Bien qu’il n’y ait aucune décision judiciaire qui traite directement des facteurs qui doivent guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 47(1) de la Loi, l’article 8 de la Loi prévoit un pouvoir discrétionnaire similaire. Dans la décision Repligen Corporation c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1288, la Cour a récemment indiqué, en rapport avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire de corriger un brevet prévu à l’article 8 de la Loi (souligné dans l’original), que :

 

[l]e simple fait dinvoquer les droits éventuels des tiers, sans plus, diminuerait essentiellement, à mon avis, le pouvoir que le législateur a conféré à la commissaire de corriger les erreurs décriture. La raison est évidente : dans le cas dun brevet délivré, la  divulgation aura été faite; dans le cas dune demande de brevet, celle-ci peut être consultée après une date déterminée. Dans larrêt Bristol-Myers, la juge Desjardins na pas accepté la conclusion hypothétique relative aux droits de tiers. Elle disposait de faits indéniables indiquant que des tiers étaient susceptibles de subir un préjudice []

 

[44]  Dans la décision Repligen, la Cour a également déclaré :

 

Lexercice dun pouvoir discrétionnaire repose sur un autre principe important de droit administratif. Il doit être compatible avec lobjet de la loi ou dune disposition législative et promouvoir cet objet (voir Delisle c. Canada (Procureur général), 2006 CF 933, par. 129 à 131).

 

[45]  La Cour suprême du Canada a examiné l’objet de l’article 47 de la Loi dans l’arrêt Farbwerke Hoechst AG. v. Comr of Patents, 50 C.P.R. 220, 33 Fox Pat. C. 99, [1966] R.C.S. 604, en rapport avec la disposition américaine correspondante. La Cour a cité l’arrêt Mahn v. Harwood (1884), 112 U.S. 354, à la page 362, où la Cour suprême des États-Unis avait affirmé que la disposition relative à la redélivrance avait pour objet :  

 

[traduction] doffrir le type de redressement que les cours dequity ont toujours accordé dans les cas manifestes daccident ou de méprise dans la rédaction dactes.

 


[46]  En l’espèce, aucun fait ne permet actuellement d’établir que la redélivrance du brevet comprenant la série additionnelle de revendications aurait des incidences négatives pour un tiers. Le breveté a également suffisamment prouvé qu’un accident ou une méprise était survenu dans la préparation du brevet et qu’il avait tenté de modifier le brevet afin de corriger la situation, des actes qui s’accordent avec l’objet susmentionné des dispositions relatives à la redélivrance. Il n’y a donc pas de raison que nous recommandions en l’espèce que le commissaire exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder la redélivrance.

 

Conclusions au sujet du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 47(1) de la Loi

 

[47]  Pour les motifs qui précèdent, nous concluons qu’en rapport avec la question du préjudice à des tiers, il n’y a aucune preuve à ce stade-ci qui commanderait l’exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 47(1) confère au commissaire de rejeter la demande de redélivrance.

 

RÉSUMÉ

 

[48]  Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que la présente demande de redélivrance est conforme à l’exigence de « même invention » du paragraphe 47(1) de la Loi. En outre, compte tenu de l’absence actuelle de faits au dossier établissant un préjudice à un tiers, nous ne voyons aucune raison en l’espèce de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder la redélivrance sur ce fondement.

 

[49]  En outre, puisqu’une demande de redélivrance est examinée en deux étapes, comme nous l’avons indiqué aux paragraphes [2] et [40], et qu’à l’issue de la première étape du processus, la présente demande est jugée acceptable, la prochaine étape consiste à examiner le mémoire descriptif modifié pour en vérifier la conformité aux autres dispositions de la Loi et des Règles et pour déterminer si le commissaire devrait exercer à cet égard le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 47(1) de la Loi de ne pas redélivrer le brevet.

 

[50]  Mentionnons toutefois que si des faits nouveaux relatifs à un préjudice à un tiers devaient être révélés au deuxième stade du processus d’examen, il faudrait examiner en conséquence la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire susmentionné.

 

RECOMMANDATION DE LA COMMISSION

 

[51]   


Compte tenu des conclusions qui précèdent selon lesquelles la présente demande de redélivrance est conforme à l’exigence de « même invention » du paragraphe 47(1) de la Loi sur les brevets et de la conclusion selon laquelle il n’y a aucun fait à ce stade-ci sur lequel fonder une décision discrétionnaire de ne pas accorder la redélivrance, la Commission recommande que la demande de redélivrance soit renvoyée à la Direction des brevets afin que celle-ci examine le mémoire descriptif modifié afin d’en évaluer la conformité aux autres dispositions de la Loi et des Règles.

 

 

 

Stephen MacNeil    Andrew Strong      Christine Teixeira

Membre             Membre             Membre


DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

[52]  Je souscris aux conclusions de la Commission d’appel des brevets ainsi qu’à sa recommandation selon laquelle la demande de redélivrance devrait être renvoyée à la Direction de l’examen des brevets pour que celle-ci examine le mémoire descriptif modifié afin d’en évaluer la conformité aux autres dispositions de la Loi et des Règles.

 

[53]  En conséquence, je renvoie par les présentes la demande de redélivrance à la Direction de l’examen des brevets pour que celle-ci examine le mémoire descriptif modifié afin d’en évaluer la conformité aux autres dispositions de la Loi et des Règles.

 

 

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec)

le 17 juillet 2012

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