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Commissioner’s Decision #1329

Décision du Commissaire #1329

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TOPIC: F00, O00, B00, B22, C00

SUJET : F00, O00, B00, B22, C00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Application No : 2,388,807

Demande no : 2,388,807

 

                                                                                                                                                           

 


 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU DES BREVETS DU CANADA

 

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

 

La demande de brevet no 2,388,807 ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, elle a donc fait l’objet d’une révision par la Commission d’appel des brevets et par le commissaire aux brevets, conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets. Voici les conclusions de la Commission et la décision du commissaire :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent pour la demanderesse :

 

Torys , s.r.l.

79, rue Wellington Ouest, B.P. 270

Centre TD

Toronto (Ontario)

M5K 1N2

 

 

 

 

 

 


Introduction

 

[1]   La présente décision porte sur l’examen du refus de la demande de brevet no 2,388,807.

 

[2]   La demanderesse est Oncolytics Biotech Inc., les inventeurs sont Matthew C. Coffey et Bradley G. Thompson, et l’invention s’intitule « VIRUS POUR LE TRAITEMENT DES TROUBLES DE LA PROLIFÉRATION CELLULAIRE ».

 

Contexte

 

[3]   La demande concerne l’utilisation de virus génétiquement modifiés dans le traitement de tumeurs (c.-à-d. maladies prolifératives cellulaires) chez les mammifères. Elle vise particulièrement le traitement des maladies prolifératives cellulaires « médiées par Ras » dans lesquelles les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la protéine kinase R (PKR).

 

[4]   Un virus est un petit agent infectieux qui ne peut se répliquer qu’à l’intérieur des cellules d’un organisme. Les virus peuvent être libérés de la cellule hôte par lyse, un processus qui entraîne l’éclatement de la membrane, ce qui tue la cellule. Chez les animaux, les infections virales provoquent une réponse immunitaire qui élimine habituellement le virus infectieux.

 

[5]   La PKR est une composante des mécanismes de défense antivirale de l’hôte. Une fois activée, elle empêche la réplication virale dans la cellule hôte par inhibition de la synthèse des protéines.

 

[6]   La protéine Ras intervient dans les réseaux de signalisation intracellulaire. L’activation de la signalisation de cette protéine provoque la croissance, la différenciation et la survie des cellules. L’activation inappropriée ou déréglée de Ras peut entraîner l’apparition de maladies prolifératives cellulaires comme le cancer. Selon la description de la demande, environ 30 p. cent de l’ensemble des tumeurs humaines seraient attribuables à une mauvaise signalisation Ras.

 

[7]   Fait important, la description en l’espèce indique un autre événement cellulaire dirigé par Ras : l’activation de la PKR est bloquée dans les cellules où Ras est activée, comme les cellules tumorales médiées par Ras.

 

[8]   Certains virus continuent de se répliquer efficacement dans les cellules malgré l’activité de la PKR parce qu’ils génèrent des produits pouvant inhiber l’activité de la PKR : les adénovirus produisent un élément de l’ARN VA1 qui agit comme un inhibiteur compétitif de la PKR; les virus de la vaccine produisent les protéines K3L et E3L qui régulent négativement la PKR; les virus de l’herpès simplex produisent la protéine ICP34.5 (infected‑cell protein 34.5) qui inhibe les effets antiviraux de la PKR; enfin, les virus parapox codent le gène OV20.0L, qui bloque l’activité de la PKR. De tels virus tueraient sans distinction les cellules normales et les cellules tumorales.

 

[9]   Toutefois, si les gènes viraux antagonistes de la PKR sont rendus non fonctionnels par des mutations, ces virus mutants ne pourront pas se répliquer dans les cellules normales en raison de l’activité antivirale de la PKR.

 

[10]     Dans le cas de cellules où la protéine Ras est activée de façon inappropriée ou constitutivement (p. ex. les cellules tumorales), les mêmes virus mutants peuvent se répliquer efficacement et provoquer la mort cellulaire puisque la PKR est incapable d’exercer ses fonctions antivirales.


 

[11]     Par conséquent, les virus mutants qui ne génèrent pas de produits anti-PKR peuvent tuer spécifiquement les cellules tumorales tout en épargnant les cellules normales.

 

historique du traitement de la demande

 

[12]     La demande d’enregistrement en cause a été déposée le 8 novembre 2000 et l’examinateur saisi de la demande a rendu une décision finale le 24 mai 2006. Dans sa décision finale, l’examinateur a rejeté la demande au motif que toutes les revendications étaient antériorisées, évidentes, non entièrement justifiées par la description ou vagues.

 

[13]     Dans sa réponse à la décision finale, la demanderesse s’est opposée à ces conclusions. L’examinateur n’a pas été convaincu par les arguments présentés par la demanderesse et il a confirmé le rejet de la demande. Par la suite, le résumé des motifs a été transmis à la Commission d’appel des brevets dont un exemplaire a été expédié à la demanderesse le 22 août 2007. Conformément à la directive énoncée dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, une première analyse supplémentaire de l’examinateur abordant la question de l’évidence concernant les revendications alors pendantes a été expédiée à la demanderesse le 4 juin 2010.

 

[14]     Dans une lettre datée du 28 octobre 2010, la demanderesse a de plein gré proposé le retrait d’un certain nombre de revendications de façon à réduire le nombre de questions à trancher lors de l’audience du 3 novembre 2010. La Commission a accepté de procéder à l’examen en se fondant sur une série de revendications regroupant 30 revendications qui correspondaient aux revendications 52 à 73 et 75 à 82 de la demande initialement rejetée. Sauf indication contraire, toutes les références aux revendications sont des références aux revendications proposées.

 

[15]     Lors de l’audience, la Commission a indiqué à la demanderesse qu’elle trancherait toutes nouvelles questions concernant l’évidence qui seraient soulevées pendant l’examen. À la suite de l’audience, la Commission a demandé une deuxième analyse supplémentaire de l’examinateur en ce qui a trait au caractère inventif des revendications. L’analyse a été expédiée à la demanderesse le 14 mars 2011. La réponse de la demanderesse a été reçue le 14 juin 2011.

 

Les questions en litige

 

[16]     Dans la décision finale, l’objet des revendications proposées 1 à 6 et 8 à 30 n’avait pas été jugé, conformément à l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets, comme étant antériorisé par le document d’antériorité de Roberts  et al. L’examinatrice a également conclu que l’objet des revendications proposées 3 et 28 était antériorisé par les documents Molnar-Kimber et al., de Toda et al. et de Chahlavi et al. La revendication indépendante 7 n’a pas été jugée comme antériorisée au regard des documents d’antériorité cités.

 

[17]     L’examinatrice a également jugé que la demande comportait des irrégularités aux motifs que l’objet des revendications proposées 1 à 30 n’était pas conforme à l’article 84 de la Loi sur les brevets et que le mémoire descriptif n’était pas conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets en ce qui concerne l’utilisation des virus mutants aux fins proposées.

 


[18]     Enfin, l’examinatrice a jugé que l’objet des revendications 1 à 30 n’était pas conforme au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, étant vague en ce qui concerne le virus et ses mutations décrits dans les revendications.

 

[19]     Eu égard aux facteurs susmentionnés, la Commission des appels des brevets doit répondre aux quatre questions suivantes :

 

(1) L’objet des revendications 1 à 6 et 8 à 30 est-il antériorisé  par les documents d’antériorité cités?

 

(2) L’objet des revendications 1 à 6 et 8 à 30 est-il évident à la lumière des documents d’antériorité cités?

 

(3) Le présent mémoire descriptif fournit-il une divulgation appropriée et suffisante pour l’utilisation des virus visés par les revendications?

 

(4) Les virus compris dans la portée des revendications sont-ils suffisamment définis?

 

Revendications en litige

 

[20]     Les questions litigieuses énoncées ci-dessus exigent l’examen de l’ensemble des revendications,  à l’exception de la revendication 7 dont la nouveauté et l’inventivité ne sont pas remises en question. Les revendications indépendantes se lisent comme suit :

 

[Traduction]

1.  Lutilisation dune composition pharmaceutique pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras chez un mammifère qui, daprès des tests, est atteint dune telle maladie dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables dactiver une réponse de la PKR, ladite composition comprenant une quantité efficace dun ou de plusieurs adénovirus porteurs dune mutation dans le gène codant lARN VA1, où lARN VA1 nest pas transcrit en raison de la mutation.

 

3.  Lutilisation dune composition pharmaceutique pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras chez un mammifère qui, daprès des tests, est atteint dune telle maladie dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables dactiver une réponse de la PKR, ladite composition comprenant une quantité efficace dun ou de plusieurs virus de lherpès simplex (VHS) porteurs dune mutation dans le gène γ134.5, où ledit gène nest pas transcrit en raison de la mutation.

 

4.  Lutilisation dune composition pharmaceutique pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras chez un mammifère qui, daprès des tests, est atteint dune telle maladie dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables dactiver une réponse de la PKR, ladite composition comprenant une quantité efficace dun ou de plusieurs virus de la vaccine porteurs dun gène mutant choisi dans le groupe constitué des gènes E3L et K3L, où ledit gène mutant nest pas transcrit en raison de la mutation.

 

7.  Lutilisation dune composition pharmaceutique pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras chez un mammifère qui, daprès des tests, est atteint dune telle maladie dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables dactiver une réponse de la PKR, ladite composition comprenant une quantité efficace dun ou de plusieurs virus de lorf (virus parapox) porteurs dune mutation dans le gène OV20.0L, où ledit gène nest pas transcrit en raison de la mutation.


28.   Lutilisation dune composition pharmaceutique pour inhiber les métastases dune néoplasie comportant une voie Ras activée chez un mammifère qui, daprès des tests, est atteint dune maladie proliférative cellulaire médiée par Ras dans laquelle les cellules néoplasiques sont incapables dactiver une réponse de la PKR, ladite composition comprenant une quantité efficace dun ou de plusieurs virus choisis dans le groupe constitué dadénovirus modifiés, de VHS modifiés, de virus de la vaccine modifiés et de virus de lorf (virus parapox) modifiés, où ladénovirus modifié porte une mutation dans le gène codant lARN VA1, le VHS modifié porte une mutation dans le gène γ134.5, le virus de la vaccine modifié porte une mutation dans le gène E3L ou K3L et le virus de lorf (virus parapox) modifié porte une mutation dans le gène OV20.0L, lesdits gènes nétant pas transcrits en raison de la mutation.

 

interprétation des revendications

 

[21]     Après avoir examiné comment la demande avait été traitée, nous avons établi les points de désaccord décrits ci-dessous existant entre l’examinatrice et la demanderesse en ce qui concerne le sens qu’il convient de donner à certaines expressions employées dans les revendications :

 

i) Que comprend vraiment l’expression « maladie proliférative cellulaire médiée par Ras »?

 

ii) Comment faut‑il interpréter l'étape préalable des « tests »?

 

iii) Les compositions pharmaceutiques définies dans les revendications contiennent‑elles uniquement des virus?

 

Les conclusions tirées par la Commission en ce qui concerne le sens des expressions susmentionnées seront appliquées, le cas échéant, dans le cadre des analyses et des conclusions qui suivent.

 

[22]     Les principes d’interprétation sont bien établis dans la jurisprudence canadienne, notamment dans les arrêts Free World Trust c. Electro Santé Inc., 2000 CSC 66 (Free World Trust), et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67 (Whirlpool). À la lumière d’une interprétation téléologique, le sens technique des termes et des concepts utilisés dans les revendications sont interprétés de manière équitable et éclairée (Free World Trust, au par. 51).

 

[23]     L’interprétation d’une revendication se fait du point de vue de la personne versée dans l’art à la lumière des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et en interprétant chaque revendication en fonction de l’ensemble du mémoire descriptif.

 

Application des principes juridiques

 

[24]     À la lumière des principes énoncés ci-dessus, il convient dans un premier temps d’identifier la personne versée dans l’art. L’examinatrice a déclaré dans la première analyse supplémentaire que la personne versée dans l’art est un médecin virologiste doté d’une expérience dans le domaine des virus oncolytiques. La demanderesse n’a pas contesté la désignation de la personne versée dans l’art telle que proposée par l’examinatrice.

 


i) Que comprend vraiment l'expression « maladie proliférative cellulaire médiée par Ras »?

 

[25]     Dans l’ensemble, l’examinatrice considère qu’une voie activée par Ras constitue une caractéristique connue et inhérente à plusieurs néoplasies et que de nombreux types de tumeurs sensibles  aux traitements décrits dans les documents d’antériorité, bien qu’ils ne soient pas nécessairement qualifiés de maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras, tombent dans la définition de  « maladies prolifératives  cellulaires médiées

par Ras  ».

 

[26]     Par ailleurs, les observations présentées par la demanderesse dans sa réponse à la décision finale et lors de l’audience indiquent que la maladie proliférative cellulaire médiée par Ras décrite dans les revendications proposées ne devrait pas être interprétée comme englobant les tumeurs visées par les documents d’antériorité.

 

[27]     Pour nous permettre de comprendre la nature exacte de la maladie en cause, nous avons recouru à la partie descriptive du mémoire descriptif. Il est écrit aux lignes 26 à 29 de la page 19 de la description que la maladie proliférative cellulaire médiée par Ras résulte :

 

[traduction] du moins en partie, par lactivation de Ras, un élément en amont de Ras, ou dun élément de la voie de signalisation de Ras [...]

 

[28]     Dans la partie  intitulée « état de la technique » de la présente description, on trouve ce qui suit aux lignes 14 à 25 de la page 3 :

 

[traduction]

Environ 30 p. cent de lensemble des tumeurs humaines seraient attribuables à une altération génétique du proto-oncogène Ras. Le rôle de Ras dans la pathogenèse des tumeurs humaines est spécifique du type de tumeur. Des mutations dactivation de Ras lui-même sobservent dans la plupart des types de tumeurs malignes humaines et sont très présentes dans le cancer du pancréas (80 %), les carcinomes colorectaux sporadiques (40 à 50 %), les adénocarcinomes pulmonaires humains (15 à 24 %), les tumeurs de la thyroïde (50 %) et la leucémie myéloïde (30 %). Lactivation de Ras est également démontrée par des éléments de signalisation mitogènes en amont, notamment par les récepteurs tyrosine kinase (RTK). Ces éléments en amont, sils sont amplifiés ou surexprimés, entraînent une activité accrue de Ras en raison de lactivité de transduction des signaux de Ras. À titre d'exemple, on peut citer la surexpression du PDGFR dans certaines formes de glioblastome, ainsi que de c‑erbB‑2/neu dans le cancer du sein.  [Citations omises]

 

[29]     Ces deux passages particuliers vont dans le même sens, et la Commission estime que la personne versée dans l’art, à la lecture de l’expression « maladie proliférative cellulaire médiée par Ras », aurait lu et compris que cette expression englobe les tumeurs et les néoplasies qui présentent une activité élevée de Ras découlant d’une mutation ou de l’activation d’un élément de signalisation en amont. La personne versée dans l’art aurait également compris que la présence d’une activité élevée de Ras constituait une caractéristique inhérente d’une proportion relativement élevée de nombreux types de tumeurs humaines.

 

ii) Comment faut-il interpréter létape préalable des « tests »?

 


[30]     Selon la décision finale, la réponse de la demanderesse à la décision finale et les arguments avancés par la demanderesse durant l’audience, il est évident que l’étape préalable des  « tests » visant à déceler la présence d’une « maladie proliférative cellulaire médiée par Ras dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR » constitue un autre objet de litige.

 

[31]     D’après le mémoire descriptif, différents types de tumeurs devraient être particulièrement sensibles au traitement divulgué en raison de la fréquence de l’activation de la voie Ras dans ces tumeurs.

 

[32]     Il est aussi évident, d’après différents passages de la description en l’espèce et d’après la nature des virus sélectionnés (c.-à-d. des virus dont les mécanismes d’inhibition de l’activation de la PKR sont perturbés), que l’utilisation réussie de la composition pharmaceutique mentionnée dépend de l’incapacité des tumeurs ciblées d’activer la réponse antivirale médiée par la  PKR, et non de l’activation ou non de Ras. Le passage suivant, qui se trouve à la page 6 (lignes 20 à 24) de la description, est pertinent à cet égard :

 

[traduction]

Toutefois, si les cellules infectées sont incapables dactiver la réponse antivirale médiée par la PKR (c.-à-d. les cellules tumorales médiées par Ras), ces virus mutants devraient se répliquer sans obstacle et causer la mort cellulaire. Par conséquent, ces virus mutants peuvent se répliquer de façon préférentielle dans des cellules transformées par Ras où il est déterminé que la PKR ne peut fonctionner.

 

[33]     On peut donc déduire que toutes les maladies prolifératives cellulaires dans lesquelles les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR, et non seulement les maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras, devraient être sensibles aux virus mutants énumérés.

 

[34]     D’après le libellé des revendications, et dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif, l’étape des tests pourrait englober l’analyse des cellules tumorales visant à détecter l’activation de Ras et de la PKR avant l’utilisation du virus défini.

 

[35]     Toutefois, les seules mentions précises d’un test quelconque se trouvent dans la section de la description intitulée « EXEMPLES » aux pages 32 à 39. Ce passage pertinent enseigne que différentes lignées cellulaires tumorales de différents types de cancer devraient être analysées afin qu’on puisse déterminer leur sensibilité à l’oncolyse virale, qui est l’effet thérapeutique recherché. Fait important, les différentes lignées cellulaires n’ont pas fait l’objet des tests  visant expressément à déceler la présence de Ras activé ou à évaluer leur capacité d’activer une réponse de la PKR, et il n’est pas suggéré de le faire.

 

[36]     Par conséquent, il semble qu’il n’y ait pas lieu de restreindre la portée de l’expression « d’après des tests, est atteint d’une maladie proliférative cellulaire dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR » à la détermination de l’état d’activation de Ras ou de la PKR.

 


[37]     Après avoir examiné le mémoire descriptif et la façon dont les inventeurs eux-mêmes proposent de déterminer les tumeurs qui pourraient faire l’objet du traitement, nous sommes d’avis que l’expression « d’après des tests, est atteint d’une maladie proliférative cellulaire dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR » englobe non seulement les tests visant la détection de tumeurs et de néoplasies ayant une activité élevée de Ras et une PKR non fonctionnelle, mais également l’évaluation directe de la sensibilité des cellules tumorales et néoplasiques à l’égard de l’activité oncolytique des virus énumérés.

 

iii) Les compositions pharmaceutiques définies dans les revendications contiennent-elles uniquement des virus?

 

[38]     Selon la demanderesse, il faut interpréter la composition pharmaceutique définie dans les revendications comme une composition pharmaceutique ne contenant qu’un virus modifié.

 

[39]     Dans l’arrêt Novopharm Limited c. Abbott Laboratories Limited, 2007 CAF 251, la Cour d’appel fédérale, alors qu’elle analysait un argument similaire, a formulé une mise en garde contre l’interprétation d’une revendication visant l’utilisation d’un médicament qui excluerait l’utilisation simultanée d’autres composés par l’importation de restrictions puisées dans la description :

 

Par conséquent, même sil existait une restriction implicite ou explicite dans la divulgation, elle ne pourrait pas sappliquer aux revendications. Dans bien des cas, les médicaments ne sont pas administrés à létat pur, mais plutôt sous forme de mélange avec un excipient ou dautres médicaments et, de ce fait, lutilisation de tels médicaments serait grandement restreinte si on devait interpréter que la mention de lutilisation dun médicament signifie quil doit être utilisé seul. À moins que lutilisation revendiquée ne comporte des termes comme «  seul  » ou «  non mélangé avec dautres composés  », il serait erroné de supposer que la revendication comporte une telle restriction. []

 

 

[40]     Les revendications indépendantes proposées ne contiennent pas les mots « seul » ou « non mélangé avec d’autres composés » et le sens ordinaire des mots [traduction] « dans lesquels la composition pharmacologique comprend un volume efficace de » n’empêche pas la présence d’éléments ou de constituants additionnels.

 

[41]     En outre, de nombreux passages de la présente description indiquent que les compositions pharmacologiques en cause contiennent d’autres éléments qu’un simple virus. Ceci est illustré par le passage suivant tiré des lignes 1 à 6 de la page 25 de la description :

 

[traduction]

La présente invention comprend également des compositions pharmaceutiques contenant, en tant quingrédient actif, un ou plusieurs des virus associés à des  « transporteurs ou des excipients pharmaceutiquement acceptables ». La présente invention comprend également des compositions pharmacologiques contenant, en tant quingrédient actif, un ou plusieurs immunosuppresseurs ou immunoinhibiteurs ainsi quun ou plusieurs virus associés à des  « transporteurs ou des excipients pharmaceutiquement acceptables ».

 

[42]     Par conséquent, la Commission conclut que rien ne justifie d’interpréter la portée des revendications comme étant limitée à l’utilisation de composition pharmacologique ne comprenant que des virus.

 


Question (1) : L'objet des revendications 1 à 6 et 8 à 30 est‑il antériorisé par les documents d'antériorité cités?

 

Fondement et principes juridiques

 

[43]     La disposition législative qui s’applique au rejet d’une demande au motif de l’antériorité se trouve au paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets dont le libellé est le suivant :

 

Lobjet que définit la revendication dune demande de brevet ne doit pas :

 

a)   plus dun an avant la date de dépôt de celle‑ci, avoir fait, de la part du demandeur ou dun tiers ayant obtenu de lui linformation à cet égard de façon directe ou autrement, lobjet dune communication qui la rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b)  avant la date de la revendication, avoir fait, de la part dune autre personne, lobjet dune communication qui la rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

[44]     Aux paragraphes 23 à 37 de l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a examiné le droit applicable en matière d’antériorité. La Cour a conclu que deux exigences  devaient être satisfaites de façon à ce que l’antériorité soit établie : la divulgation et le caractère réalisable.

 

[45]     Dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359 (Abbott), le juge Hughes a résumé les exigences en matière d’antériorité de la façon suivante :

 

1.  Pour quil y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de linvention revendiquée.

 

2.  Il nest pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de linvention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsquelle est lue par une personne versée dans lart qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

 

3.  Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans lart de lexécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité dessais successifs du type de ceux auxquels on sattendrait habituellement.

 

4.  La divulgation, lorsquelle est exécutée, peut lêtre sans quune personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

 

5.  Si linvention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée nest pas antériorisée. Cependant, si lutilisation revendiquée est la même que lutilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

 

6.  La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi‑criminelle.

 

7.  Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

 

 


Analyse

 

[46]     La demanderesse a fait valoir lors de l’audience que les inventeurs avaient découvert que les maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras sont sensibles à l’activité oncolitique des virus décrits en raison de leur incapacité  à activer une réponse PKR. Cette découverte permet la présélection de  patients atteints du cancer susceptibles de devenir de bons candidats en vue d’être soumis au traitement divulgué grâce à la détection de l’activité Ras. Selon la demanderesse, une telle présélection constitue nécessairement une nouveauté vu que le rôle que joue Ras dans l’inactivation d’une réponse PKR était inconnu auparavant. 

 

[47]     L’objet des revendications vise cependant un usage thérapeutique, et non une méthode de présélection des patients en vue d’identifier de bons candidats destinés à l’usage thérapeutique d’une composition pharmacologique. C’est cet usage thérapeutique qui doit être comparé à l’art antérieur, et non une méthode de présélection.

 

[48]     La Commission reconnaît que la découverte du mécanisme d’action d’un ancien composé pourrait mener à de nouveaux usages pour cet ancien composé. Toutefois, pour donner lieu à une nouveauté il ne suffit pas de restreindre la portée d’une revendication en fonction de la simple découverte d’une explication scientifique d’une performance révélée dans la documentation antérieure ou du mécanisme d’action sous-jacent à un usage déjà décrit dans les antériorités (voir Biovail Corporation c. Canada (Santé), au par. 99). Si le mécanisme d’action est inhérent au composé et à la tumeur sensible, il n’est pas pertinent de savoir si le mécanisme était décrit avec précision dans les documents d’antériorité.

 

[49]     Compte tenu des exigences en matière d’antériorité et de l’interprétation des revendications susmentionnée, le  document d’antériorité doit divulguer et permettre l’utilisation des virus mutés énumérés dans les revendications pour traiter un mammifère atteint d’une maladie qui entre dans la catégorie des tumeurs et des néoplasies ayant une activité élevée de Ras ou dont les cellules tumorales et néoplasiques sont sensibles à l’activité oncolytique des virus énumérés.

 

Roberts et al.

 

[50]     Le premier des documents d’antériorité cité par l’examinatrice est celui de Roberts et al., une demande PCT (OÉ 99/18799) publiée le 22 avril 1999. Ce document a été publié avant la date de la demande de priorité du 12 novembre 1999 et il est opposable à la demande en vertu de l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets.

 

[51]     En réponse à la décision finale, la demanderesse a fait valoir, en partie, ce qui suit en ce qui concerne la publication de Roberts et al. :

 

[traduction]

Roberts décrit lutilisation de virus sensibles à linterféron (IFN) dans le traitement de cellules néoplasiques. Roberts décrit lutilisation de ces virus pour traiter des cellules présentant une déficience de la  réponse antivirale médiée par IFN. Il ne divulgue ni ne propose lidée dévaluer un mammifère en vue de déterminer si celui-ci est atteint dune maladie proliférative cellulaire médiée par Ras.

 


Comme lindique le résumé suivant, Malmgaard, J. Interferon Cytokine Res. 24(8):439‑54 (2004) (résumé en annexe) (« Malmgaard »), en réponse à une infection virale, lIFN active de nombreux facteurs antiviraux intrinsèques, notamment les voies de la PKR, du système 2‑5A, des protéines Mx et la voie apoptotique. Ainsi, les cellules présentant une déficience de la réponse antivirale médiée par IFN  nactivent pas ces facteurs. Comme il est décrit dans la présente demande, du moins à la page 5, dans les cellules tumorales médiées par Ras, la PKR est induite en présence dIFN. Toutefois, Ras activée inhibe la PKR. Par conséquent, les cellules tumorales médiées par Ras ne sont pas intrinsèquement des cellules présentant une déficience de lactivité antivirale médiée par IFN. En outre, Roberts ne permet pas à une personne versée dans lart de fabriquer et dutiliser des adénovirus, des VHS, des virus de la vaccine ni des virus parapox pour traiter des maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras. Il ne fournit suffisamment dindications à une personne versée dans lart que pour lutilisation du virus de la maladie de Newcastle dans le traitement de cellules présentant une déficience de la réponse antivirale médiée par IFN. Roberts ne permet pas non plus à une telle personne de fabriquer et dutiliser une quantité efficace dun virus pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras. Cela sexplique par le fait qu il ne reconnaît pas que les cellules présentant une déficience de la réponse antivirale médiée par IFN ne sont pas toutes nécessairement des cellules tumorales médiées par Ras. Par conséquent, Roberts nantériorise ni ne rend évidentes les revendications de la présente demande. [Souligné dans l’original.]

 

[52]     Lors de l’audience, la demanderesse a admis que les virus génétiquement modifiés divulgués dans le tableau 2 du document de Roberts et al. sont d’anciens virus qui sont visés par certaines de ses revendications. En outre, la demanderesse a reconnu que certaines des lignées cellulaires tumorales sensibles au traitement de Roberts et al. étaient médiées par Ras, mais  que d’autres ne l’étaient pas. Elle a aussi fait valoir que, étant donné que Roberts et al. ne reconnaissaient pas le rôle joué par Ras et PKR dans leur traitement, la divulgation de ces auteurs n’amènera pas nécessairement et inévitablement la personne versée dans l’art à utiliser les virus mutés énumérés par Roberts et al. pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras sans risquer l’échec. Selon la demanderesse, puisque Roberts et al. ne font aucune mention de Ras, il est impossible qu’ils puissent divulguer que les virus mutés devraient être utilisés pour traiter les maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras et, par le fait même, ils n’ont pas pu divulguer l’étape décrite dans leur invention qui consiste à déterminer si une maladie proliférative est médiée par Ras.

 

[53]     Enfin, la demanderesse a soutenu lors de l’audience que la divulgation de Roberts et al. n’est pas réalisable en ce qui concerne l’utilisation des adénovirus mutés, parce que les revendications correspondantes ayant fait l’objet de poursuites au Canada ont été contestées en raison de leur caractère non réalisable par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada et annulées par la suite par Roberts et al.

 

Divulgation

 

[54]     Roberts et al. divulguent l’utilisation d’une quantité efficace d’un adénovirus porteur d’une mutation dans le gène codant l’ARN VA1, d’un VHS porteur d’une mutation dans le gène gamma 34.5 ou d’un virus de la vaccine porteur d’une mutation dans le gène E3L ou K3L pour tuer de façon sélective des cellules néoplasiques présentant une déficience de la réponse antivirale médiée par IFN. Ces virus mutants, qui sont des virus génétiquement modifiés connus, sont énumérés au tableau 2, à la page 27.

 


[55]     Le traitement divulgué repose sur le fait que les cellules normales, dont la réponse antivirale médiée par INF est intacte, limitent la réplication des virus génétiquement modifiés et qu’elles ne sont pas tuées. Par contre, les cellules néoplasiques présentant une déficience de la réponse antivirale médiée par IFN sont sensibles au traitement.

 

[56]     Aux pages 23 à 27, Roberts et al. divulguent la façon de déterminer la sensibilité d’une tumeur donnée au traitement viral proposé. Aux pages 30 à 35, les auteurs divulguent les divers types de néoplasies traitables, la façon de formuler une dose de virus efficace sur le plan thérapeutique, le mode d’administration de la composition thérapeutique comprenant le virus, ainsi que les différents traitements supplémentaires pouvant être associés de façon facultative au traitement viral.

 

[57]     L’activité antivirale d’IFN dans une cellule résulte de l’intervention de nombreuses voies biologiques, mais pas nécessairement d’une voie qui utilise la PKR. Par conséquent, la Commission est d’accord avec la demanderesse pour dire que les cellules tumorales pourraient présenter une déficience globale de la réponse antivirale médiée par INF, mais une activation adéquate de la PKR. Toutefois, la Commission conclut également que les cellules tumorales sélectivement sensibles à l’activité oncolytique des virus génétiquement modifiés divulgués dans Roberts et al. présentent une déficience globale de la réponse antivirale médiée par IFN parce qu’elles sont incapables d’activer la PKR, que ce soit ou non en raison de l’activité Ras.

 

[58]     Cette conclusion repose sur la nature des gènes altérés chez les virus génétiquement modifiés du tableau 2, dans la divulgation de Roberts et al. à la page 14, deuxième paragraphe, et à la page 5, lignes 7 à 14 de la description en l’espèce. Si, comme l’a soutenu la demanderesse, les cellules tumorales présentaient une déficience globale de la réponse antivirale médiée par IFN, mais une activation adéquate de la PKR, elles ne seraient pas sensibles aux virus génétiquement modifiés du tableau 2, qui ne sont pas dotés de fonctions antagonistes de la PKR.

 

[59]     La question de savoir si les cellules tumorales médiées par Ras sont des cellules qui présentent intrinsèquement une déficience de l’activité antivirale médiée par IFN est sans importance pour la personne versée dans l’art qui lit la divulgation de Roberts et al. Toute cellule tumorale incapable d’activer une réponse de la PKR n’arriverait pas à réduire la réplication des virus génétiquement modifiés énumérés au tableau 2 et, ainsi, les tumeurs constituées de telles cellules seraient considérées par la personne versée dans l’art comme de bons candidats au traitement viral divulgué dans Roberts et al.

 

[60] La demanderesse soutient que la portée de ce qui est décrit comme des cellules tumorales présentant une déficience de la réponse antivirale médiée par IFN dans Roberts et al. est plus large qu’une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR. Toutefois, cela ne change rien au fait que le traitement par les virus génétiquement modifiés divulgués par Roberts et al. englobe en fait n’importe quelle maladie proliférative cellulaire dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR. Compte tenu de la description en l’espèce, le groupe de tumeurs sensibles aux virus génétiquement modifiés du tableau 2 comprend nécessairement les maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras dans lesquelles les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR.

 


[61]     Roberts et al. divulguent à la page 23, au dernier paragraphe, des indications précises sur la façon d’évaluer si une tumeur découverte chez un patient est sensible au traitement divulgué. Il s’ensuit qu’il serait évident pour la personne versée dans l’art, dotée d’un esprit désireux de comprendre que l’évaluation de la sensibilité à l’activité oncolytique des virus génétiquement modifiés divulgués au tableau 2 de tissus ou cellules issus d’une tumeur primitive prélevée par biopsie chez des patients précède tout traitement. Encore une fois, nous répétons que, puisque les virus du tableau 2 sont dépourvus de fonction antagoniste de la PKR, seules les cellules tumorales ayant la capacité intrinsèque d’activer une réponse de la PKR seraient sensibles au traitement de Roberts et al., ce qui comprend, comme sous-ensemble, toutes les maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras dans lesquelles les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR.

 

[62]     La demanderesse a également fait valoir que la divulgation de Roberts et al. n’amènerait pas nécessairement et inévitablement la personne versée dans l’art à utiliser les virus mutés énumérés par ces auteurs pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras sans risquer l’échec. Dans l’arrêt Sanofi, aux paragraphes 23 et 25, le juge Rothstein a fait remarquer qu’il ne faut pas exagérer la rigueur du critère de l’antériorité.

 

[63]     Pour répondre à l’exigence de divulgation, il n’est pas obligatoire que la divulgation de Roberts et al. soit une « description exacte » de l’invention revendiquée proposée, mais le document doit divulguer l’objet qui, une fois réalisé, mènerait nécessairement à la contrefaçon des revendications proposées si la demande en l’espèce donnait lieu à un brevet. La divulgation de Roberts et al. amènerait la personne versée dans l’art à utiliser les virus mutés figurant au tableau 2 de Roberts et al. pour traiter toute maladie proliférative cellulaire qui, d’après les tests, serait jugée sensible à l’activité oncolytique desdits virus, ce qui englobe nécessairement, mais sans toutefois s’y limiter, une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras dans laquelle les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR.

 

[64]     Par conséquent, nous concluons que Roberts  et al. divulgue un objet qui, s’il était réalisé par une personne versée dans l’art, mènerait nécessairement à la contrefaçon des revendications 1 à 6, 8 à 10, 12 à 15, 17 à  20, 23, 24, 26 et 28 à 30 si la demande en l'espèce donnait lieu à un brevet, et que l’exigence concernant la divulgation en matière d’antériorité a été satisfaite.

 

Le caractère réalisable

 

[65]     En ce qui concerne l’exigence relative au caractère réalisable, la demanderesse soutient que la divulgation de Roberts et al. n’est pas réalisable en ce qui concerne l'utilisation des adénovirus mutés parce que l'Office de la propriété intellectuelle du Canada a jugé que l’objet de cette  revendication n’offrait aucun caractère réalisable et a été annulé  par la suite par Roberts et al.

 

[66]     Le simple fait, sans plus, qu’une irrégularité  possible ait pu être décelée dans le cadre de l’examen d’un autre cas ne peut permettre de répondre à la question de savoir si la demande contenait des irrégularités. Nous examinerons ci-dessous si la divulgation dans  Roberts et al. satisfait au  critère relatif au caractère réalisable en matière d’antériorité.

 


[67]     Lors de l’analyse de l’exigence du caractère réalisable en matière d’antériorité, il convient d’examiner s’il aurait été possible à  la personne versée dans l’art de réaliser ce qui fait l’objet de la divulgation dans les documents d’antériorité au moyen d’essais successifs, mais sans trop de difficultés. Roberts et al. dévoile la nature d’anciens virus génétiquement modifiés connus (voir, par ex., le tableau 2) pouvant être utilisés par le traitement viral divulgué, fournit des enseignements clairs et des directives précises sur la façon de déterminer la sensibilité d’une néoplasie donnée au traitement viral proposé et fournit des indications claires à la personne versée dans l’art sur la façon de formuler et d’administrer les compositions contenant les virus et comment des traitements additionnels peuvent être combinés au choix avec le traitement viral.

 

[68]     On ne saurait retenir l’argument de la demanderesse, selon lequel Roberts et al. ne permet pas à une personne dotée de compétences ordinaires de fabriquer et d’utiliser une quantité efficace de virus pour le traitement d’une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras principalement en raison du fait que  Roberts et al. ne reconnaît pas que les cellules présentant une déficience de la réponse antivirale médiée par IFN ne sont pas toutes nécessairement des cellules tumorales médiées par Ras. Dans Abbott, la Cour fédérale a statué que lorsqu’une déclaration antérieure est exécutée, elle peut l'être sans qu'une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe (voir le point 4 au paragraphe 45 de la présente recommandation).

 

[69]     Compte tenu de ce qui précède, la Commission conclut que Roberts et al. divulgue et permet d’utiliser les virus mutés visés par la description pour le traitement d’un mammifère atteint d’une maladie qui tombe dans la sphère des tumeurs et néoplasies présentant un niveau élevé d’activité Ras ou des cellules tumorales et de néoplasies sensibles à l’activité oncolytique des virus décrits et qu’en conséquence, ces documents antériorisent les revendications 1 à 6, 8 à 10, 12 à 15, 17 à 20, 23, 24, 26 et 28 à 30.

 

[70]     La Commission conclut que Roberts et al. ne divulgue pas précisément que les neurofibromatoses, les cancers hématopoïétiques et les métastases sont traitables par les virus génétiquement modifiés énumérés dans les revendications, qu’ils ne divulguent pas l’immunoprotection des virus modifiés et qu’ils ne divulguent pas le prétraitement des virus par une protéase. Par conséquent, les revendications 11, 16, 21, 22, 25 et 27 énoncent un nouvel objet à la lumière de Roberts et al.

 

Molnar-Kimber et al.

 

[71]     Le deuxième documente d’antériorité cité  par l’examinatrice à l’encontre de l’objet des revendications 3 et 28 est celui de Molnar‑Kimber et al., une demande PCT (OÉ 99/45783) publiée le 16 septembre 1999, date qui précède la date de priorité de la demande présentée le 12 novembre 1999. Molnar‑Kimber et al. peuvent être cités en vertu du paragraphe 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets.

 

[72]     En ce qui concerne la divulgation de Molnar‑Kimber et al., la demanderesse a déclaré, en partie, ce qui suit en réponse à la décision finale :

 

[traduction]


Le document de Molnar-Kimber décrit ladministration de cellules productrices à un sujet pour traiter des cellules tumorales dans lesquelles la cellule productrice contient un virus oncolytique. Par conséquent, il ne divulgue ni ne suggère des compositions pharmaceutiques comprenant seulement un virus. De plus, Molnar-Kimber ne divulgue ni ne suggère ladministration dune quantité suffisante dun virus modifié seul pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras. Comme il décrit ladministration de cellules productrices, cela ne permet pas à une personne versée dans lart dadministrer le virus seul. De plus, les auteurs ne reconnaissent pas la différence entre des cellules tumorales médiées par Ras et dautres types de cellules tumorales. Ils ne permettent donc pas à une personne versée dans lart de savoir comment produire et utiliser une quantité efficace dun virus modifié pour traiter des maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras. Par conséquent, le document de Molnar‑Kimber nantériorise ni ne rend évidentes les revendications 3, 29, 54 et 80. [Souligné dans l’original.]

 

[73]     En résumé, la demanderesse soutient que Molnar‑Kimber et al. ne divulgue ni ne suggère l’administration d’un virus seul (c.-à-d., sans cellules productrices) et ne divulgue ni ne suggère l’administration d’un virus modifié tel que décrit dans les revendications pour traiter des maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras parce que  Molnar‑Kimber et al. ne reconnaît pas la différence entre des cellules tumorales médiées par Ras et d’autres types de cellules tumorales.

 

Divulgation

 

[74] Molnar‑Kimber et al. divulgue un virus de l’herpès simplex de type 1 (VHS‑1) génétiquement modifié dont le gène gamma 34.5 est muté, de sorte que ledit gène n’est pas transcrit. Selon le mémoire descriptif, à la page 4, lignes 20 à 23, il s’avère que ces mutants du VHS-1 se répliquent de préférence dans les cellules tumorales, entraînant ainsi un effet oncolytique direct tout en épargnant les cellules normales. En outre, la divulgation de Molnar‑Kimber et al. illustre l’utilisation d’un desdits mutants du VHS-1 dans le traitement de souris porteuses d’un fibroblaste muté par Ras (c.-à-d. la lignée cellulaire EJ-62) dans leur péritoine. Des tumeurs intrapéritonéales confirmées ont été traitées par des injections d’un ou de plusieurs virus et une survie prolongée a été observée dans tous les groupes traités.

 

[75]     À l’audience, lorsqu’on a posé à la demanderesse des questions sur l’exemple 3 de Molnar‑Kimber et al., elle a reconnu que ces derniers divulguaient le traitement d’une lignée cellulaire tumorale mutée par Ras, mais elle a souligné que le virus choisi avait également été utilisé contre d’autres lignées cellulaires sans que le choix ne soit nécessairement porté sur des lignées cellulaires tumorales médiées par Ras et que, par conséquent, l’utilisation de cette lignée cellulaire particulière faisait partie d’une approche « d’essai » et ne découlait pas du choix délibéré des cellules proliférantes médiées par Ras comme cibles du virus.

 

[76]     Il est vrai que la description de Molnar-Kimber et al. divulgue aux pages 33 à 36 que le même virus a une action oncolytique in vivo sur la lignée cellulaire A2780 (c.-à-d. une lignée cellulaire mutée par Ras, bien connue), mais également sur la lignée cellulaire SKOV3 (c.-à-d. une lignée cellulaire dans laquelle, à ce qu’on sache, Ras n’était pas mutée ni constitutivement active). Vu la nature du virus utilisé dans les épreuves (c.-à-d. un VHS mutant dépourvu de fonction antagoniste de la PKR), ces résultats ne sont pas contradictoires, mais plutôt conformes au passage de la page 6, lignes 20 à 24, de la propre description de la demanderesse. Une tumeur donnée qui est incapable d’activer une réponse de la PKR serait sensible à un tel virus, indépendamment de la voie de signalisation menant à cette incapacité (c.-à-d. médiée ou non par Ras).

 


[77]     La demanderesse aurait découvert que la voie de signalisation Ras peut inhiber la réponse de la PKR et, par conséquent, elle a choisi de restreindre la portée des revendications aux maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras. Toutefois, la démonstration faite par Molnar-Kimber et al. de l’utilisation réussie du même VHS mutant, ancien et connu, dans le traitement d’un genre plus vaste de tumeurs n’empêche clairement pas de considérer ce document comme un document d’antériorité, surtout si le mécanisme d’action à la base des traitements est la réplication préférentielle d’un virus génétiquement modifié dépourvu de la fonction antagoniste de la PKR dans les cellules tumorales prolifératives qui sont incapables d’activer une réponse de la PKR.

 

[78]     Là encore, pour répondre aux exigences de divulgation, le document de Molnar-Kimber et al. n’est pas obligé de fournir une « description exacte » de l’invention revendiquée, mais il doit divulguer un objet dont la réalisation entraînerait nécessairement la contrefaçon des revendications si la demande en l’espèce donnait lieu ultérieurement à un brevet. De plus, la personne versée dans l’art pourrait réaliser l’objet de la divulgation antérieure de Molnar‑Kimber et al. sans nécessairement reconnaître ce qui est présent ou ce qui se passe. Les caractéristiques intrinsèques d’un traitement antérieur connu (c.-à-d. le mécanisme d’action) ne sont pas brevetables (voir Biovail, points 2, 4 et 7 aux paragraphes 45 et 48 de la présente recommandation).

 

[79]     La Commission estime que la divulgation de Molnar-Kimber et al. aurait amené la personne versée dans l’art  à utiliser un VHS génétiquement modifié porteur d’une mutation dans le gène gamma 34.5 seul pour traiter toute maladie proliférative cellulaire sensible à l’activité oncolytique dudit virus, ce qui comprend nécessairement, sans toutefois s’y limiter, la tumeur mutée par Ras confirmée dans l’exemple 3. La personne versée dans l’art ne reconnaîtrait pas nécessairement pourquoi le virus mutant utilisé dans Molnar‑Kimber et al. possède une activité oncolytique, mais les cellules proliférantes de la tumeur sont inévitablement incapables d’activer une réponse de la PKR puisqu’elles sont spécifiquement sensibles au VHS mutant dépourvu de fonction antagoniste de la PKR.

 

[80]     Compte tenu de ce qui précède, Molnar-Kimber et al. divulgue  un objet dont l’exécution entraînerait nécessairement la contrefaçon si l’objet revendiqué donnait lieu à un brevet. La Commission conclut que l’exigence en matière de divulgation de l’antériorité a été satisfaite.

 

Caractère réalisable

 

[81]     La divulgation de Molnar-Kimber et al. doit permettre à une personne versée dans l’art de réaliser ce qui est divulgué sans trop de difficultés.

 

[82]     Molnar-Kimber et al. divulgue l’identité d’un VHS mutant, ancien et connu, porteur d’une mutation dans le gène gamma 34.5, qui est utilisé dans le traitement viral divulgué, fournissent des enseignements clairs et des directives précises sur la façon de déterminer la sensibilité d’une tumeur donnée au traitement viral (voir pages 30 à 36 et pages 45 et 46) et fournissent à la personne versée dans l’art des directives précises quant à la manière de formuler et d’administrer les compositions renfermant le VHS mutant. Par conséquent, la Commission estime que la personne versée dans l’art aurait été en mesure de réaliser ce qui a été divulgué par Molnar-Kimber et al. par essais et erreurs ou par expérimentation courante sans trop de difficultés.

 

[83]     Par conséquent, la Commission conclut que Molnar-Kimber et al. divulgue et permet l’utilisation d’un VHS mutant pour traiter un mammifère atteint d’une maladie qui entre dans la catégorie des tumeurs et des néoplasies ayant une activité élevée de Ras ou dont les cellules tumorales ou néoplasiques sont sensibles à l’activité oncolytique des virus énumérés et que, par conséquent, il antériorise les revendications 3 et 28.

 


Toda et al. et Chahlavi et al.

 

[84]     Les articles de Toda et al. (Hum Gene Ther 9(15):217-2185) et de Chahlavi et al. (Neoplasia 1(2):162-169) ont été publiés respectivement le 10 octobre 1998 et en juin 1999. Ils ont donc été rendus accessibles au public avant la date de revendication et peuvent être invoqués en vertu de l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets. Les deux documents divulguent l’utilisation de G207, un VHS-1 génétiquement modifié dont le gène gamma 34.5 est muté de sorte que ledit gène n’est pas transcrit, dans le but de tuer des lignées cellulaires humaines malignes in vitro et in vivo.

 

[85]     En ce qui concerne la divulgation de Toda et al. et de Chahlavi et al., la demanderesse soutient que ces documents divulguent pas une quantité efficace d’une composition pharmaceutique comprenant un virus modifié servant à traiter des maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras et que les lignées cellulaires malignes divulguées ne sont pas intrinsèquement des maladies de cette sorte.

 

Divulgation

 

[86]     Ces deux documents divulguent l’utilisation d’un VHS-1 mutant visés par les revendications indépendantes 3 et 28 proposées pour traiter une maladie proliférative cellulaire. Toutefois, rien dans ces documents ou au dossier n’indique que les lignées cellulaires tumorales particulières utilisées dans les essais de mortalité étaient des lignées cellulaires tumorales médiées par Ras. Cela constitue la principale différence entre les divulgations de Toda et al. et Chahlavi et al. et la divulgation de Molnar‑Kimber et al. présentée ci-dessus.

 

[87]     Selon la Commission, la divulgation de Toda et al. ou de Chahlavi et al. amènerait de façon indépendante la personne versée dans l’art à utiliser un VHS génétiquement modifié porteur d’une mutation dans le gène gamma 34.5 dans le traitement clinique d’une tumeur mammaire maligne humaine ou d’un carcinome épidermoïde humain sensible au virus oncolytique testé ex vivo. Selon les arguments de la demanderesse et la description en l’espèce, seules les cellules incapables d’activer une réponse de la PKR seraient touchées par un VHS génétiquement modifié porteur d’une mutation dans le gène gamma 34.5 dépourvu de la fonction antagoniste de la PKR.

 

[88]     Encore une fois, la personne versée dans l’art ne comprendrait pas nécessairement pourquoi le virus mutant utilisé dans Toda et al. et Chahlavi et al. possède une activité oncolytique. Toutefois, les cellules proliférantes des tumeurs sensibles au traitement de Toda et al. et de Chahlavi et al. sont inévitablement incapables d’activer une réponse de la PKR puisqu’elles sont spécifiquement sensibles au virus mutant G207 qui est dépourvu de fonction antagoniste de la PKR. La personne versée dans l’art qui aurait lu Toda et al. ou Chahlavi et al. aurait compris que toute tumeur mammaire maligne humaine ou tout carcinome épidermoïde humain sensible au G207 ex vivo pourrait être traité et ce, indépendamment des résultats des épreuves concernant l’état d’activation de Ras dans la maladie proliférative cellulaire à traiter.

 

[89]     Toutefois, et contrairement à Roberts et al., les divulgations de Toda et al. et de Chahlavi et al. sont très précises en ce qui concerne le groupe de tumeurs traitables par le virus, et rien n’indique que ce groupe particulier comprend nécessairement, comme sous-ensemble, les maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras.

 


[90]     Par conséquent, nous ne pouvons pas conclure que Toda et al. ou Chahlavi et al. divulguent indépendamment un objet dont l’exécution entraînerait nécessairement la contrefaçon des revendications 3 et 28 si la demande en l’espèce donnait lieu ultérieurement à un brevet.

 

[91]     Compte tenu de tout ce qui précède, la Commission conclut que les documents de Toda et al. et de Chahlavi et al. n’antériorise pas les revendications 3 et 28.

 

Conclusions relatives à l’anticipation

 

[92]     Compte tenu des analyses qui précèdent, nous concluons que les revendications 1 à 6, 8 à 10, 12 à 15, 17 à 20, 23, 24, 26 et 28 à 30 sont antériorisées par les documents d’antériorité cités. La revendication 7 qui n’était pas litigieuse, ainsi que les revendications 11, 16, 21, 22, 25 et 27 ne sont pas antériorisées.

 

Question (2) : Lobjet des revendications 1 à 6 et 8 à 30 est-il évident à la lumière des documents dantériorité cités?

 

[93]     Au cas où nous serions dans l’erreur sur la question de l’antériorité et en raison du fait qu’il s’agissait d’un point de litige important, nous jugeons qu’il convient, par souci d’exhaustivité, de trancher la question de savoir si les documents d’antériorité cités, dans la mesure où ils n’établissaient pas le caractère d’antériorité recherché, ne rendent pas évident l’objet des revendications.

 

[94]     Lors de la deuxième analyse supplémentaire, l’examinatrice a considéré que l’objet des revendications 1 à 6 et 8 à 30 aurait été évident à la date de la revendication pour une personne versée dans l’art compte tenu du document de Roberts et al. et des connaissances générales courantes dans le domaine. De plus, selon l’examinatrice, l’objet des revendications 3 et 8 à 30 aurait été évident à la date de la revendication pour une personne versée dans l’art compte tenu du document de Molnar-Kimber et al. et des connaissances générales courantes dans le domaine.

 

[95]     En réponse aux analyses supplémentaires, la demanderesse a soutenu que l’objet des revendications était inventif compte tenu des antériorités citées.

 

 

Fondement et principes pertinents en matière dévidence

 

[96]     La disposition législative pertinente en matière d’évidence se trouve au paragraphe 28.3 de la Loi sur les brevets qui prévoit :

 

Lobjet que définit la revendication dune demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personneversée dans lart ou la science dont relève lobjet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus dun an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui linformation à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle quelle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle quelle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

 

[97]     Dans Sanofi, la Cour suprême du Canada a énoncé une méthode utile qu’il convient d’adopter lorsqu’il s’agit d’apprécier l’évidence :

 

(1)        a) Identifier la « personne versée dans lart ».

 


b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)       Définir lidée originale de la revendication en cause, au besoin par voie dinterprétation;

 

(3)       Recenser les différences, sil en est, entre ce qui ferait partie de « létat de la technique » et lidée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)       Abstraction faite de toute connaissance de linvention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans lart ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

Application des principes juridiques aux faits en lespèce

 

La « personne versée dans lart » et les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne au 12 novembre 1999, la date de priorité de la présente demande

 

[98]      Comme il a été déterminé au paragraphe 24 ci-dessus, la personne versée dans l’art est un médecin virologiste doté d’une expérience dans le domaine des virus oncolytiques.

 

[99]      En ce qui concerne les connaissances générales courantes de cette personne versée dans l’art, la demanderesse a déclaré ce qui suit dans sa réponse à la deuxième analyse supplémentaire :

 

[traduction]

À titre de remarque préliminaire, la demanderesse souligne que lexaminatrice na pas déterminé les connaissances générales courantes quune personne uvrant dans ce domaine devrait posséder. Lexaminatrice na pas non plus fourni de documents au soutien de sa position à légard de ce que devraient être les connaissances générales courantes. Privée de ces informations, la demanderesse ne peut savoir sil existe un différend entre ce que lexaminatrice estime être les connaissances générales courantes et ce que croit la demanderesse à cet égard. Par conséquent, la demanderesse ne peut souscrire à la position de lexaminatrice en ce qui concerne les connaissances générales courantes de la personne versée dans lart. 

 

[100]  Le passage suivant tiré de la deuxième analyse supplémentaire illustre ce que l’examinatrice estime être les connaissances générales courantes :

 

[traduction]

Notamment, Roberts et al. ne divulguent pas précisément que le virus est immunoprotégé (revendication 21), encapsulé dans une micelle (revendication 22) ni prétraité par une protéase (revendication 27). Toutefois, daprès les connaissances générales courantes, ces caractéristiques sont considérées comme des options bien connues pour la personne versée dans lart en ce qui concerne le mode dadministration du virus. En outre, le mémoire descriptif ne renferme nulle part aucun exemple pratique et le texte est présenté de façon à indiquer que les caractéristiques des revendications ne sont que des éléments envisagés et désirés, tirés de lart antérieur.

[...]


Molnar‑Kimber et al. ne divulguent pas précisément les formulations pharmaceutiques qui comprennent plus dun type de virus (revendication 8), plus de deux souches de virus (revendication 9) ni une quantité efficace dun agent chimiothérapeutique (revendications 26 et 30), ou dans lesquelles le virus a été prétraité par une protéase (revendication 27). Toutefois, une personne versée dans lart aurait compris que de telles modifications desdites compositions pharmaceutiques sinscrivaient dans les connaissances générales courantes.

 

[101]  Les passages suivants de la description en cause reprennent certaines des caractéristiques jugées par l’examinatrice dans le cadre de son analyse supplémentaire comme entrant dans le domaine des connaissances générales courantes :

 

[traduction]

Le virus peut être modifié de telle sorte que le virion soit encapsulé dans un liposome ou une micelle, ou que les protéines de la capside externe aient été mutées [voir page 7, lignes 16 et 17].

[...]

Le virus peut être un virus recombinant issu de deux types de virus ou plus présentant des phénotypes pathogènes différents de telle sorte quil contienne des déterminants antigéniques différents, réduisant ou empêchant ainsi une réponse immunitaire par un mammifère exposé au préalable à un sous-type du virus. Ces virions recombinants peuvent être produits par la co-infection de cellules mammifères par différents sous-types de virus qui entraîne un réassortiment et une incorporation de protéines de revêtement de différents sous-types dans les capsides de virion résultantes [voir page 18, ligne 24 à la page 19, ligne 2].

[...]

Le virus est de préférence un virus modifié de façon à ce que la réaction immunitaire à ce virus soit réduite ou éliminée (« virus immunoprotégé »). De telles modifications pourraient inclure lemballage du virus dans un liposome, une micelle ou un autre véhicule de façon que le virus ne soit pas décelé par le système immunitaire des mammifères [voir page 19, lignes 16 à 19].

[...]

Lorsque le virus est administré par voie générale à des mammifères immunocompétents, ceux-ci peuvent présenter une réponse immunitaire au virus. Une telle réponse peut être évitée si le virus est dun sous-type contre lequel le mammifère na pas développé dimmunité, ou si le virus a été modifié de la façon décrite précédemment de telle sorte quil soit immunoprotégé, par exemple sil y a eu digestion de la capside externe par une protéase ou emballage dans une micelle [voir page 21, lignes 16 à 21].

[...]

Il est également envisagé dadministrer le virus de la présente invention en concomitance ou en adjonction avec des composés anticancéreux ou des agents chimiothérapeutiques connus [voir page 29, lignes 24 à 26].

 

[102]  La description illustrait, du moins en partie, les voies d’administration envisagées et le dosage requis de la façon suivante :

 

[traduction]

La voie par laquelle le virus est administré ainsi que la formulation, lexcipient ou le véhicule dépendront du siège ainsi que du type de la néoplasie. Une grande variété de voies dadministration peut être employée [voir page 20, lignes 14 à 16].

[...]


De préférence, la quantité efficace est la quantité capable dinhiber la croissance des cellules tumorales. De préférence, la quantité efficace est denviron 1,0 unité formatrice de plages (ufp)/kg de poids corporel à environ 1015 ufp/kg de poids corporel, mais encore mieux denviron 102 ufp/kg de poids corporel à environ 1013 ufp/kg de poids corporel. Par exemple, pour le traitement dun humain, environ 102 à 1017 ufp de virus peuvent être utilisés en fonction du type, de la taille et du nombre de tumeurs présentes. La quantité efficace sera déterminée au cas par cas et peut être basée, du moins en partie, sur le type de virus, la voie dadministration choisie, la taille, lâge et le sexe du patient, la gravité des symptômes du patient, la taille et dautres caractéristiques de la néoplasie, etc. [voir page 28, lignes 16 à 25].

 

[103]  Il ressort clairement de la page 3, lignes 14 à 25, du mémoire descriptif qu’il était généralement admis que Ras activée joue un rôle dans une proportion importante des tumeurs humaines. De plus, la demanderesse a clairement indiqué au cours de l’audience et dans la réponse à la deuxième analyse supplémentaire que la détermination de l’état d’activation de la voie Ras (à savoir si elle est activée ou non) dans une néoplasie en particulier relève de l’expérimentation courante.

 

[104]  Compte tenu des directives très brèves et générales fournies par le mémoire descriptif concernant certaines caractéristiques et certains éléments présents dans les revendications, la Commission tient pour avéré ce qui suit à propos des connaissances générales courantes relatives aux maladies prolifératives cellulaires, à l’activité de Ras dans les tumeurs, ainsi qu’aux virus oncolytiques et à leur utilisation en date du 12 novembre 1999, date de la revendication de la demande en l’espèce :

 

La personne versée dans l’art connaît les traitements, les agents thérapeutiques et les combinaisons de ceux-ci qui sont couramment utilisés dans le traitement des maladies prolifératives cellulaires.

 

La personne versée dans l’art sait que la présence d’une activité élevée de Ras, à la suite d’une mutation ou de l’activation d’un élément de signalisation en amont, est une caractéristique intrinsèque d’une proportion relativement élevée de nombreux types de tumeurs humaines, et elle sait également comment évaluer l’activité de Ras dans n’importe quelle néoplasie.

 

La personne versée dans l’art connaît les avantages de masquer un virus oncolytique de façon qu’il ne soit pas détecté par le système immunitaire du receveur ainsi que les techniques courantes pour y parvenir.

 

La personne versée dans l’art sait comment formuler des compositions comprenant des virus oncolytiques et comment choisir entre les différentes voies d’administration.

 

La personne versée dans l’art sait que les doses d’un virus oncolytique à administrer sont déterminées sur une base individuelle, en fonction de différentes considérations comme le type de virus; le type, la taille et le nombre de tumeurs présentes; la voie d’administration choisie; et la taille, l’âge et le sexe du patient. Les doses à administrer sont aussi évaluées régulièrement lors des essais cliniques.

 

Lidée originale des revendications en cause

 

[110]  Voici ce l’examinatrice a reconnu comme étant l’idée originale établie par les revendications 1 à 6 et 8 à 30 :

 


[traduction]

La seule idée originale générale liant les revendications susmentionnées est lutilisation dun virus oncolytique choisi pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras ou pour inhiber les métastases dune néoplasie présentant une voie de signalisation Ras activée chez un mammifère qui, selon des tests réalisés avant lutilisation du virus oncolytique choisi, est atteint dune maladie proliférative cellulaire médiée par Ras. [Souligné dans l’original].

 

[111]  La demanderesse était d’accord sur l’appréciation faite par l’examinatrice de l’idée originale établie par les revendications en cause.

 

[112]   Gardant à l’esprit notre interprétation précédente de l’étape des tests, nous concluons que l’idée originale des revendications est l’utilisation d’un virus oncolytique choisi pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras ou pour inhiber les métastases d’une néoplasie présentant une voie de signalisation Ras activée chez un mammifère qui, d’après des tests réalisés avant l’utilisation du virus oncolytique choisi, est porteur d’une tumeur ou d’une néoplasie présentant une activité élevée de Ras et une PKR incapable de fonctionner ou dont les cellules tumorales ou néoplasiques sont sensibles à l’activité oncolytique des virus énumérés.

 

Les différences entre « létat de la technique » et lidée originale des revendications 1 à 6 et 8 à 30                    

[113] Il faut forcément déterminer ce qui a été divulgué et enseigné dans les antériorités citées.

 

[114]  Pour établir l’antériorité, la Commission a déjà déterminé ce qui a été divulgué et enseigné par Roberts et al. (paragraphes 54 à 61) et par Molnar‑Kimber et al. (paragraphe 74).

 

[115]  L’examinatrice a reconnu que Roberts et al. et Molnar‑Kimber et al. ne divulguent pas l’analyse des cellules néoplasiques visant à détecter l’activation de Ras avant l’utilisation des virus oncolytiques connus, et que Roberts et al. ne considèrent pas clairement les maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras comme un sous-groupe des maladies prolifératives cellulaires sensibles au traitement par les virus oncolytiques connus.

 

[116]  Selon la demanderesse, le traitement spécifique d’une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras une fois qu’on a confirmé que la néoplasie est médiée par Ras, plutôt que le traitement de n’importe quelle maladie proliférative cellulaire sensible aux virus oncolytiques connus énumérés, constitue la différence entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale.

 

[117]  À notre avis, la différence principale réside dans le choix, dans les présentes revendications, de définir la maladie proliférative à traiter en fonction de la découverte d’un mécanisme d’action qui rationalise l’activité oncolytique connue des virus connus.

 

Abstraction faite de toute connaissance de linvention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans lart ou dénotent-elles quelque inventivité?

 


[118]  Étant donné que la découverte du mécanisme d’action qui sous-tend l’activité oncolytique des virus mutés connus contre les tumeurs et les néoplasies ayant une activité élevée de Ras n’est pas en soi brevetable, la question est de savoir s’il était évident, en date du 12 novembre 1999, que les virus oncolytiques mutants énumérés pouvaient être utiles pour traiter des maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras ou pour inhiber les métastases d’une néoplasie présentant une voie de signalisation Ras activée chez un mammifère.

 

[119]  Selon la demanderesse, les revendications 1 à 6 et 8 à 30 se distinguent par leur inventivité de Roberts et al. et les revendications 3 et 8 à 30 se distinguent également par leur inventivité de Molnar‑Kimber et al. Voici les arguments que la demanderesse avance :

 

Il y a des avantages à confirmer la présence d’une activation Ras dans une néoplasie. Lorsque l’activation de Ras est confirmée, on peut établir un traitement sur mesure en choisissant comme agent antinéoplasique spécifique un virus oncolytique qui agit sur les cellules activées par Ras. Un traitement adapté à un patient porteur d’une néoplasie permet d’épargner du temps et de l’argent, qui sont sinon gaspillés lorsqu’on applique un traitement généralisé.

 

S’il est vrai que les cellules tumorales sensibles divulguées dans Roberts et al. ou Molnar‑Kimber et al. sont visées par la définition établie par la demanderesse d’une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras, les cellules tumorales divulguées dans les antériorités ne sont pas toutes activées par Ras, et ni Roberts et al. ni Molnar‑Kimber et al. ne divulguent ou ne suggèrent l’analyse des cellules visant à détecter l’activation de Ras comme l’exigent les revendications.

 

Roberts et al. encouragent l’utilisation de tout virus oncolytique pour traiter toute maladie proliférative cellulaire, sans toutefois motiver une personne versée dans l’art à confirmer l’activation de Ras avant l’administration du virus oncolytique choisi pour traiter des cellules néoplasiques activées par Ras.

 

Contrairement aux cellules faisant l’objet des revendications 1 à 6 et 8 à 30, les cellules tumorales de Roberts et al. ont été traitées par des virus oncolytiques, indépendamment de  l’implication de Ras dans la tumorigenèse. Le fait de simplement fournir une liste des cellules tumorales pouvant être tuées par des virus néoplasiques ne permet pas à une personne versée dans l’art d’administrer un virus oncolytique spécifiquement choisi pour le traitement d’une néoplasie activée par Ras, comme il est indiqué dans les revendications.

 

Roberts et al. et Molnar‑Kimber et al. encouragent l’utilisation de virus mutants pour traiter toute maladie proliférative cellulaire, mais ne décrivent pas expressément l’utilisation d’un virus oncolytique qui tue le sous-ensemble spécifique de néoplasies activées par Ras afin d’offrir un traitement personnalisé contre ce type précis de néoplasie.

 

Bien que la détermination de l’état d’activation de la voie Ras dans une néoplasie en particulier relève de l’expérimentation courante, rien dans Roberts et al. ni dans Molnar‑Kimber et al. n’indique le recours à des évaluations de l’activation de Ras, encore moins à des évaluations de l’activation de Ras en vue d’administrer un virus oncolytique qui tuera les cellules activées par Ras.

 


[126]  Nous commençons en abordant la section [traduction] « Préparer la voie pour la présente invention » des observations de la demanderesse en réponse à la deuxième analyse supplémentaire. Dans cette section, la demanderesse met l’accent sur les avantages susmentionnés de choisir les candidats admissibles au traitement viral divulgué en fonction de la détection de l’activité de Ras dans la tumeur du patient. En résumé, une telle méthode de sélection des candidats épargnerait des ressources et du temps précieux, car les virus mutés énumérés ne seraient pas administrés aux patients porteurs d’une tumeur qui n’est pas médiée par Ras d’après les résultats des tests. Toutefois, c’est l’utilisation réelle des virus mutants connus dans le traitement d’un sous-groupe des maladies prolifératives cellulaires qui est revendiquée. En outre, au paragraphe 37, nous avons conclu que l’étape des tests définie ne se limite pas à la détection de l’activité de Ras, mais qu’elle englobe plutôt la détection des tumeurs et des néoplasies présentant une activité élevée de Ras et une PKR incapable de fonctionner, en plus de l’évaluation directe de la sensibilité des cellules tumorales et néoplasiques à l’activité oncolytique des virus énumérés.

 

[127]  Il semble également que, pour la demanderesse, le fait de réaliser des tests spécifiques pour détecter une maladie médiée par Ras en vue d’offrir un traitement personnalisé contre un type précis de néoplasie rend les revendications 1 à 6 et 8 à 30 inventives par rapport à l’art antérieur puisque les néoplasies ne sont pas toutes médiées par Ras. Encore une fois, ce n’est pas une méthode de sélection de patients admissibles à un traitement donné qui est revendiqué, mais l’utilisation de composés visant à traiter un sous-groupe des maladies prolifératives cellulaires. Nous ne voyons pas très bien pourquoi la reconnaissance d’un sous-groupe de néoplasies au sein d’un groupe plus vaste de néoplasies qui sont toutes sensibles à un traitement donné serait inventive simplement parce que les néoplasies ne font pas toutes partie de ce sous-groupe. Il est important de rappeler que la simple découverte d’un mécanisme d’action inhérent d’un traitement connu ne rend pas l’utilisation de ce traitement inventive, et elle n’est pas brevetable.

 

[128]  Selon les arguments présentés par la demanderesse, l’étape visant à confirmer la présence d’une activation de Ras confère certains avantages; en effet, si un virus oncolytique spécifique de néoplasies activées par Ras est administré à un patient porteur d’une néoplasie qui n’est pas activée par Ras, des ressources et du temps précieux seront gaspillés. Toutefois, il ressort clairement du mémoire descriptif en l’espèce que les virus mutés énumérés dans les revendications posséderaient une activité oncolytique spécifique non seulement contre les néoplasies activées par Ras, mais également contre toute néoplasie incapable d’activer une réponse de la PKR. Il semble que les candidats sensibles à l’activité oncolytique des virus auraient été exclus à cette étape de la sélection. Dans cette optique, il est difficile de voir comment l’administration des virus énumérés à un patient porteur d’une néoplasie qui n’est pas activée par Ras, mais qui, néanmoins, est porteur d’une néoplasie incapable d’activer une réponse de la PKR et qui est sensible auxdits virus, pourrait se traduire par un gaspillage de ressources et de temps précieux.

 

Roberts et al.

 

[129]  La personne versée dans l’art est consciente que la caractérisation et l’identification d’une tumeur donnée précèdent tout traitement.

 

[130]  En outre, les tumeurs ou néoplasies dont l’activation de Ras a déjà été évaluée ou dont on savait qu’elles étaient médiées par Ras ne sont pas exclues du traitement divulgué par Roberts et al.

 


[131]  Par conséquent, il aurait été évident qu’il était possible d’utiliser un ou plusieurs des virus oncolytiques mutés divulgués dans Roberts et al. pour traiter une maladie proliférative cellulaire ou pour inhiber les métastases d’une néoplasie chez un mammifère qui, d’après des tests réalisés avant l’utilisation du virus oncolytique sélectionné, notamment les tumeurs qui causent des maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras, présente des cellules tumorales ou néoplasiques sensibles à l’activité oncolytique des virus énumérés.

 

Molnar‑Kimber et al.

 

[132]  Le document Molnar‑Kimber et al. illustre l’utilisation d’un VHS-1 génétiquement modifié connu dont le gène gamma 34.5 est muté pour traiter des souris porteuses d’un fibroblaste murin muté par Ras dans leur péritoine.

 

[133]  Compte tenu de la réussite du traitement chez les souris porteuses de cellules tumorales médiées par Ras divulgué dans Molnar‑Kimber et al., la personne versée dans l’art aurait été encore plus motivée à déterminer si une tumeur donnée fait partie de celles qui causent une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras avant d’utiliser ce traitement.

 

[134]  Par conséquent, nous estimons que, abstraction faite de toute connaissance de invention alléguée telle qu’elle est revendiquée, il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’il était possible d’utiliser un ou plusieurs VHS-1 oncolytiques connus porteurs d’une mutation dans le gène gamma 34.5 pour traiter une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras ou pour inhiber les métastases d’une néoplasie ayant une voie Ras activée chez un mammifère qui, d’après des tests réalisés avant l’utilisation du virus oncolytique sélectionné, est porteur d’une tumeur ou d’une néoplasie présentant une activité élevée de Ras ou dont les cellules tumorales ou néoplasiques sont sensibles à l’activité oncolytique du VHS-1 connu.

 

[135]  Les caractéristiques et les éléments qui se trouvent dans les revendications dépendantes, mais qui ne sont pas présents dans l’idée originale définie ci-dessus ne sont pas considérés comme étant inventifs. Ces caractéristiques et éléments comprennent l’utilisation de plus d’une souche de virus, la voie d’administration, l’immunoprotection et l’encapsulation du virus, les doses requises, le prétraitement du virus par une protéase et l’adjonction d’un agent chimiothérapeutique. Cela est conforme aux directives générales fournies par la description en l’espèce concernant ces caractéristiques et éléments.

 

Conclusions relatives à l’évidence

 

[136]  Par conséquent, nous concluons que les revendications 1 à 6 et 8 à 30 sont évidentes compte tenu de Roberts et al. et des connaissances générales courantes dans le domaine, et nous concluons aussi que les revendications 3 et 8 à 30 sont évidentes compte tenu de Molnar‑Kimber et al. et des connaissances générales courantes dans le domaine. L’évidence de la revendication 7 n’a jamais été contestée. Il convient de souligner que la revendication 7 est donc la seule qui n’est ni antériorisée ni évidente.

 

Question (3) : Le présent mémoire descriptif fournit-il une divulgation appropriée et suffisante pour lutilisation des virus visés par les revendications?

 


[137]  Selon l’examinatrice, l’utilisation revendiquée ne donne pas lieu à une prédiction valable parce qu’aucune démonstration n’est faite de l’utilisation d’un des virus spécifiques énumérés dans les revendications proposées pour traiter sélectivement une maladie proliférative cellulaire médiée par Ras et parce que cette utilisation ne repose sur aucun fondement factuel. En outre, l’examinatrice estime que le mémoire descriptif ne permet pas de réaliser l’invention puisqu’une expérimentation excessive aurait été requise pour ce faire.

 

[138]  Afin de situer en contexte les éléments précédemment notés par l’examinatrice, qui s’appliquent à toutes les revendications, nous souhaitons attirer l’attention sur le libellé de la revendication 7, étant donné qu’aucune antériorité n’a été citée en opposition. Dans cette revendication, l’examinatrice considère que les virus visés par la phrase « un ou plusieurs virus de l’orf (virus parapox) porteurs d’une mutation dans le gène OV20.0L, où ledit gène n’est pas transcrit en raison de la mutation » n’ont pas un caractère réalisable et que leur activité oncolytique souhaitée ne repose sur aucun fondement factuel.

 

Prédiction valable          

 

[139]  La Commission estime que le mémoire descriptif contient suffisamment de renseignements pour supposer que les virus modifiés énumérés auraient l’activité oncolytique spécifique souhaitée. Par ailleurs, le fondement factuel amènerait la personne versée dans l’art à conclure que lesdits virus modifiés seraient utiles pour traiter des maladies prolifératives cellulaires médiées par Ras dans lesquelles les cellules proliférantes sont incapables d’activer une réponse de la PKR. Le fondement factuel et le raisonnement ayant mené à cette conclusion sont énoncés ci-après.

 

[140]  Généralement, le mémoire descriptif divulgue le fondement factuel suivant :

 

la PKR est inhibée dans les cellules médiées par Ras;

 

la fonction de la PKR dans les cellules normales est de défendre l’organisme contre les infections virales;

 

des virus mutés de façon à être sensibles à l’activité de la PKR étaient connus.

 

[4]    D’après le fondement factuel, le mémoire descriptif divulgue un raisonnement selon lequel les virus mutés se répliqueraient sans obstacle dans les cellules tumorales médiées par Ras tout en épargnant les cellules normales. Quant à la divulgation, le raisonnement est clairement formulé à la page 6, lignes 15 à 24, de la description :

 

[traduction]

Par conséquent, on a constaté que des virus ayant acquis certains mécanismes qui empêchent lactivation de la PKR deviennent probablement incapables de réplication lorsque ces mêmes mécanismes sont bloqués ou mutés. La mutation ou la délétion des gènes qui antagonisent la PKR devrait empêcher la réplication virale dans les cellules où lactivité de la PKR est normale (c.‑à‑d. les cellules normales). Toutefois, si les cellules infectées sont incapables dactiver la réponse antivirale médiée par la PKR (c.-à-d. les cellules tumorales médiées par Ras), ces virus mutants devraient se répliquer sans obstacle et causer la mort cellulaire. Par conséquent, ces virus mutants peuvent se répliquer de façon préférentielle dans des cellules transformées par Ras où il est déterminé que la PKR ne peut fonctionner.

 


Caractère suffisant de la divulgation

 

[5]    La Commission est d’avis que la personne versée dans l’art serait en mesure d’arriver directement à l’objet revendiqué sans inventivité ou expérimentation excessive.

 

[6]    En ce qui concerne les virus modifiés visés par les revendications proposées, il ressort clairement du mémoire descriptif qu’ils étaient connus et accessibles à la date de publication. De plus, le mémoire descriptif identifie, pour chaque type de virus, au moins un gène qui devrait être ciblé par une mutation pour empêcher sa transcription et, ainsi, inhiber le mécanisme qui empêche l’activation de la PKR du virus. Nous estimons que la personne versée dans l’art est tout à fait capable de produire des virus mutés fonctionnellement équivalents à ceux connus dans le domaine en faisant subir aux gènes décrits des mutations additionnelles ou différentes. Le type et la nature des mutations entraînant la non-transcription d’un gène donné sont bien connus dans le domaine (p. ex. une mutation non-sens qui aboutit à un codon d’arrêt prématuré). Nous concluons également que la personne versée dans l’art pourrait employer des techniques courantes pour évaluer la capacité d’un virus muté de lyser des cellules activées par Ras.

 

Conclusions relatives à la divulgation

 

[7]    En conséquence, les présentes revendications reposent sur une prédication valable correctement étayée, et la divulgation était suffisamment habilitante.

 

Question (4) : Les virus visés par les revendications sont-ils suffisamment définis?

 

[8]     Le fait que les virus énumérés ne sont pas assez bien définis pour qu’on puisse les distinguer des virus mutants qui n’ont pas été divulgués par la demanderesse ou qui sont déjà connus dans l’art  préoccupe au plus haut point l’examinatrice.

 

[9]    La Commission accepte les arguments de la demanderesse selon lesquels ce sont les utilisations de virus connus qui sont revendiquées dans la présente demande et non les virus à proprement parler. Il est donc inutile de faire la distinction entre les virus mutés et ceux déjà connus dans l’art. Il faut plutôt établir de façon exceptionnelle et sans ambiguïté une distinction entre les utilisations et l’art antérieur. Dans la mesure où les termes et les expressions servant à définir les virus envisagés sont compris par la personne versée dans l’art et qu’ils permettent d’établir des limites claires pour les revendications proposées, celles-ci sont bien définies en ce qui concerne les virus.

 

[10]      Chaque type de virus défini dans les revendications proposées (adénovirus, virus de l’herpès simplex, virus de la vaccine et virus parapox) est compris par la personne versée dans l’art. Chaque virus énuméré est aussi défini comme étant porteur d’une mutation dans un gène particulier de telle sorte que l’ARN correspondant n’est pas transcrit. Les revendications proposées identifient le gène cible, et la personne versée dans l’art peut rapidement se faire une idée du grand nombre de mutations qui entraîneraient la non‑transcription du gène cible et prédire ces mutations.

 

Conclusions relatives à la clarté des revendications

 


[11]    Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que la personne versée dans l’art n’aurait aucune difficulté à comprendre et à prédire lesquels parmi les virus modifiés sont visés par les revendications proposées et, en conséquence, les revendications soumises sont précises et sont conformes aux dispositions du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

 

 

 

 

Conclusions

 

[12]      L’objet des revendications proposées 1 à 6, 8 à 10, 12 à 15, 17 à 20, 23, 24, 26 et 28 à 30 est antériosé par Roberts et al. L’objet des revendications proposées 3 et 28 est antériorisé par Molnar‑Kimber et al., mais ne l’est pas par Toda et al. ni par Chahlavi et al. En conséquence, les revendications proposées 1 à 6, 8 à 10, 12 à 15, 17 à  20, 23, 24, 26 et 28 à 30 ne sont pas conformes à l’alinéa 28.2(1)b) de la Loi sur les brevets.

 

[13]      L’objet des revendications proposées 1à 6 et 8 à 30 est évident à la lumière de Roberts et al. et les connaissances générales courantes dans le domaine ainsi que le l’objet des revendications proposées 3 et 8 à 30 sont évidents à la lumière de Molnar‑Kimber et al. et des connaissances générales courantes dans le domaine. En conséquence, les revendications proposées 1 à 6 et 8 à 30 ne sont pas conformes au paragraphe 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[14]      Le présent mémoire descriptif fournit suffisamment de matière pour étayer l’utilisation des virus visés par les revendications proposées. Celles-ci sont conformes à l’article 84 des Règles sur les brevets, et le mémoire descriptif, dans la mesure où il concerne les revendications proposées 1 à 30, est conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[15]      Les revendications proposées énoncent distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention à l’égard de laquelle est revendiquée la propriété ou le privilège exclusif et, en conséquence, les revendications proposées 1 à 30 sont conformes au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

 

[16]      Seule la revendication 7 n’a pas été jugée antériorisée ou évidente par l’examinatrice. Elle demeure la seule revendication indépendante qui, compte tenu des conclusions qui précèdent, soit brevetable. Dans la mesure où elles concernent uniquement la revendication 7, les revendications dépendantes sont également brevetables. Enfin, la revendication indépendante 28 peut devenir brevetable dans la mesure où elle ne vise que le virus de la revendication 7.

 

Recommandations

 

[17]      Compte tenu des conclusions qui précèdent, la Commission recommande que la demanderesse soit informée, conformément à l’alinéa 31c) des Règles sur les brevets, que les modifications suivantes, et seulement les modifications suivantes, à la demande sont nécessaires pour qu’elles soit conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets :

 

Remplacement des revendications actuellement versées au dossier par les revendications 1 à 30 proposées dans la lettre de la demanderesse datée du 28 octobre 2010, dans laquelle il est prévu que :

 

a) les revendications 1 à  6 sont supprimées;

 

b) la revendication  28 est restreinte de façon à en limiter la portée à l’utilisation d’un virus de l’orf (virus parapox) modifié qui est porteur d’une mutation dans le gène OV20.0L, où ledit gène n’est pas inscrit en raison de la mutation;

 

c) les revendications 7 à  30 sont renumérotées 1 à  24, ainsi que les revendications dépendantes, en conséquence.

 

 

 

 


Marcel Brisebois              Mark Couture                 Stephen MacNeil

Membre                           Membre                           Membre

 

 

 

Décision du commissaire

 

[18]      Je souscris aux conclusions et à la recommandation de la Commission d’appel des brevets. Par conséquent, j’invite la demanderesse à apporter les modifications précisées ci‑dessus, et seulement ces modifications, dans les trois mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends refuser la demande.

 

 

 

 

 

Sylvain Laporte

Commissaire aux brevets

 

Fait à  Gatineau (Québec)

Le 17 juillet 2012

 

 

 

 

 

 

 

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