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Décision de la Commissaire #1305

Commissioner’s Decision #1305

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : J00, K10

TOPIC: J00, K10

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

Demande no : 2094511

Application No: 2,094,511

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE LA COMMISSAIRE

 

 

 

 

D.C. 1305,  Demande no 2094511


La demande en cause a trait à des analogues de semences végétales constituées d’une unité de tissus végétaux totipotents, d’une unité de tissus végétaux embryonnaires ou d’un embryon végétal comprenant tige et radicule ainsi que d’un revêtement de gel hydraté formant une capsule enveloppant ces unités ou embryon, aux capsules constituées par le gel hydraté en l’absence de matériel vivant ainsi qu’aux méthodes servant à fabriquer les analogues de semences végétales. Dans sa décision finale, l’examinatrice a rejeté les revendications 1 à 28 parce qu’elles visaient des formes supérieures de vie et n’étaient donc pas conformes à la définition d’« invention » figurant à l’article 2 de la Loi sur les brevets. L'examinatrice convient que la forme des revendications 41 à 68 relatives à la capsule et des revendications 29 à 40 relatives à la méthode était acceptable. La Commission a recommandé que le rejet des revendications 1 à 28 soit maintenu.

 

La commissaire aux brevets a accepté la recommandation de la Commission et les revendications 1 à 28 ont été rejetées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DE LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

La demande de brevet 2094511 ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la décision finale de l'examinatrice a été révisée. Le rejet des revendications a été examiné par la Commission d'appel des brevets et la commissaire aux brevets. Les conclusions de la Commission et la décision de la commissaire sont les suivantes :

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent de la demanderesse

Smart & Biggar      

Case postale 11560, Vancouver Centre

2200-650, rue Georgia Ouest

VANCOUVER (Colombie-Britannique)

V6B 4N8


 

 

 

 

 

INTRODUCTION :

 

(1)     La présente décision porte sur la révision de la décision finale de l'examinatrice concernant la demande de brevet no 2094511 intitulée « Analogues de semences végétales ». La demanderesse est Weyerhaeuser et les inventeurs sont William C. Carlson, Jeffery E. Hartle et Barbara K. Bower.  L'examinatrice C. Bruce-Payne a rendu une décision finale le 24 mai 2006 rejetant les revendications 1 à 28, car elles visaient des formes de vies supérieures, ce qui est contraire à l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

(2)    Linvention revendiquée dans la demande en cause a trait à des analogues de semences végétales constituées dune unité de tissus végétaux totipotents, dune unité de tissus végétaux embryonnaires ou dun embryon végétal comprenant tige et radicule ainsi que dun revêtement de gel hydraté formant une capsule enveloppant ces unités ou embryon, aux capsules constituées par le gel hydraté en labsence de matériel vivant ainsi quaux méthodes servant à fabriquer les analogues de semences végétales.

 

CONTEXTE :

 

Historique de la poursuite

 


(3)    La demande 2094511 a été déposée le 24 octobre 1991 et comprenait 65 revendications. La requête d'examen a été présentée le 21 mai 1993 et un premier rapport a été rendu le 14 mars 1995. Le premier rapport soulevait une objection relative à l'unité et  limitait la recherche des antériorités aux revendications 1 à 63 et 65 portant sur le produit et la méthode, contestant la portée de la formulation des revendications qui englobent des analogues de semences de l'art antérieur. Dans la réponse de la demanderesse datée du 2 août 1995, les revendications ont été modifiées de manière à éliminer la revendication 64, et 15 nouvelles revendications ont été ajoutées, ce qui a fait passer le nombre total de revendications à 81. La revendication 64 a été poursuivie de façon indépendante dans la demande complémentaire 2161814, qui a été introduite le 21 avril 1998 et qui comporte une revendication à l'égard d'un appareil servant à fournir de l'oxygène aux présents analogues de semences végétales.

 

(4)    Le Bureau a produit quatre rapports d'examen additionnels à l'égard de la présente demande contestant la formulation imprécise de certaines revendications portant sur le produit et la méthode, plus particulièrement, parce que la définition du composé de gel hydraté des analogues de semences n'était pas assez complète. De plus, les objets revendiqués appartenant au domaine des végétaux et des plantules ont été contestés parce que non conformes à la définition d« invention » figurant à larticle 2 de la Loi sur les brevets. Les revendications faisant état de tissus végétaux totipotents, de tissus végétaux embryonnaires et d'embryons végétaux comprenant tige et radicule ont tout d'abord été incluses dans une objection fondée sur l'article 2 figurant dans le cinquième rapport d'examen du Bureau, daté du 7 avril 2005 (le rapport préalable à la décision finale). Une objection quant à l'unité de l'invention a également été soulevée à l'époque, citant trois inventions présumées, à la suite de quoi la demanderesse a choisi de poursuivre le groupe A, les revendications 1 à 40 portant sur le produit et la méthode, et a abandonné toutes les autres revendications.

 

(5)    La décision finale datée du 24 mai 2006 ne comportait qu'une objection. Les revendications 1 à 28 ont été rejetées parce qu'elles visaient des formes de vie supérieures et nétaient donc pas conformes à la définition d« invention » figurant à larticle 2 de la Loi sur les brevets. Dans sa réponse datée du 24 novembre 2006, la demanderesse a réfuté l'objection et a introduit les nouvelles revendications 41 à 68. La réponse n'a pas convaincu l'examinatrice concernant les revendications 1 à 28, et la présente demande a ainsi été transmise à la Commission pour examen le 19 septembre 2007 en application du paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets. L'examinatrice a fourni un résumé des motifs à la commission, qui a été transmis à la demanderesse.


 

(6)    Une audience a été fixée au 8 avril 2009. La demanderesse était représentée par Brian Kingwell, Michael Manson et Jeffery Morton. La demanderesse a également déposé les pièces A à C, des cultures de cals solides et en suspension obtenues d'un laboratoire de l'université Simon Fraser à Burnaby, en Colombie-Britannique, en plus d'un affidavit souscrit par Mark S. Pidkowich. Le Bureau était représenté par l'examinatrice Kalie Pedersen et les responsables de section Linda Brewer et Kathleen Murphy. L'examinatrice Cynthia Bruce-Payne, qui a rendu la décision finale, était en congé prolongé.

 

(7)    À l'audience, la Commission était composée de trois membres. Suivant le retour, après l'audience, de l'examinatrice Cynthia Bruce-Payne au Bureau, nous avons appris que M. Ed MacLaurin, le troisième membre, avait été le superviseur de Cynthia Bruce-Payne au moment où elle a préparé une ébauche de la décision finale. Par conséquent, il a pu être associé dans une certaine mesure à l'affaire avant d'être chargé de réviser la décision finale en tant que membre de la Commission. Par soucis d'équité envers la demanderesse, M. MacLaurin s'est récusé avant que ne soient entreprises les délibérations ou l'analyse des faits de l'affaire par la Commission.

 

Aperçu des semences manufacturées et artificielles

 

(8)    Il est utile de donner un aperçu des éléments revendiqués à l'examen. Cet aperçu est compatible avec la connaissance d'une personne versée dans l'art, la description de l'invention et les observations et les déclarations présentées par la demanderesse à l'audience.

 


(9)    Pour la personne versée dans l'art, la semence typique est une graine dont les trois composantes fondamentales sont le tégument séminal, lalbumen et lembryon (qui est dorigine zygotique et comprend les cotylédons, lépicotyle, lhypocotyle et la radicule). Le tégument séminal fournit à la semence un milieu protecteur, tandis que lalbumen fournit des nutriments à lembryon en développement. Le tégument séminal et lalbumen sont essentiels à une bonne germination et à un bon développement de lembryon, mais ce sont les tissus de lembryon qui finissent par se développer en une plante entière. Dans le cas des analogues de semences végétales visés par la demande en cause, l« unité de tissus végétaux totipotents », l« unité de tissus végétaux embryonnaires » et l« embryon végétal comprenant tige et radicule » sont analogues à lembryon zygotique dune semence végétale classique. Par conséquent, la demanderesse utilise le terme « embryon » au sens large, de manière à inclure les tissus végétaux totipotents (page 12, lignes 3 à 5).

 

(10)   Pour quun analogue de semence végétale fonctionne comme une « semence artificielle », il est essentiel que le matériel vivant de lanalogue conserve sa capacité de produire une plante entière, ce qui constitue la « totipotence ». Le terme « totipotent » vient du mot latin totus, qui signifie « entier » et sert donc à décrire la capacité des cellules ou des œufs fécondés de produire un organisme adulte (voir le document Stem Cell Information des National Institutes of Health, sous longlet K du dossier présenté par la demanderesse lors de laudience). Contrairement aux cellules animales, les cellules végétales sont généralement considérées comme totipotentes. Dans la demande en cause, la totipotence est définie comme étant « la capacité [des tissus végétaux] de croître et de se développer en une plante normale » (page 11, lignes 19 à 24), ce qui concorde avec notre compréhension de la question.

 

(11)   On peut tirer des tissus totipotents de plusieurs parties de la plante et notamment des méristèmes et des embryons. Les tissus méristématiques, par exemple, renferment la fois des cellules différenciées et des cellules indifférenciées; lorsque ces tissus sont cultivés dans certaines conditions de laboratoire, ils se dédifférencient en cellules totipotentes qui peuvent être manipulées et multipliées pour former des embryons complets appelés « embryons somatiques ». Dans le dossier quil a présenté lors de laudience, la demanderesse a fourni un exemple de tel procédé (Vasil et Vasil, Totipotency and Embryogenesis in Plant Cells and Tissue Culture, In Vitro, vol. 8, no. 3, pp. 117-125, 1972); dans cet article, on décrit des méthodes permettant de décomposer un tissu végétal en cellules individuelles et de cultiver les cellules végétales ou les cals (masses de cellules végétales indifférenciées) dans des milieux synthétiques pour obtenir des structures analogues à des embryons.

 


(12)   Les embryons somatiques peuvent eux-mêmes être cultivés en laboratoire ou être revêtus de téguments séminaux artificiels, de manière à pouvoir se développer en plantes entières. Dans la demande en cause, on définit l« unité » de tissus comme étant un morceau de tissus végétaux méristématiques ou embryonnaires qui peut être manipulé individuellement, être déposé sur un gel ou enveloppé dans un gel et ensuite devenir une plantule puis une plante adulte si les conditions sont propices (page 12, lignes 6 à 10).

 

(13)     Dans le domaine, on connaît déjà des méthodes permettant denvelopper les embryons végétaux somatiques ou zygotiques dans des capsules individuelles de gel hydraté et dobtenir ainsi des semences artificielles ou manufacturées. De telles méthodes sont notamment visées par les brevets EP 0107141 et US 4808430, évoqués dans la description en cause. Cependant, les « semences » ainsi obtenues présentent généralement une perméabilité médiocre aux gaz atmosphériques (dont loxygène) ainsi quun faible taux de germination réussie. Par conséquent, au moment du dépôt de la demande en cause, on s'intéressait fortement à améliorer la perméabilité à loxygène des gels hydratés, afin dobtenir des semences artificielles ou manufacturées donnant un nombre accru de plantules normales viables.

 

(14)   Le schéma ci-dessous, tiré de la demande en cause, représente la germination de lembryon dun « analogue de semence végétale » à partir de sa capsule de gel.

 


QUESTION :

 

(15)   La Commission n'a qu'une seule question à trancher. Les revendications 1 à 28 ont été contestées parce quelles visaient des formes de vie supérieures et nétaient donc pas conformes à la définition d« invention » figurant à larticle 2 de la Loi sur les brevets.

 

REVENDICATIONS :

 

(16)   À la suite de la décision finale, la demanderesse a présenté, avant l'audience, les nouvelles revendications 69 et 70 (l'utilisation des revendications 1 à 28) à l'onglet B des observations présentées à l'audience. La Commission n'a pas considéré ces revendications puisque les modifications aux revendications ne sont pas acceptées après que la décision finale a été rendue, à moins que la demanderesse ait été informée que la modification est nécessaire (pour corriger une irrégularité ou une irrégularité nouvellement décelée), conformément à  l'alinéa 31c) des Règles.

 

(17)   Dans sa réponse à la décision finale, datée du 24 novembre 2006, la demanderesse a présenté une nouvelle série de 68 revendications. La nouvelle série incluait les revendications 1 à 40, qui étaient été soumises à l'examinatrice au moment de la décision finale, ainsi que les nouvelles revendications 41 à 68. Selon l'examinatrice, les revendications 29 à 40 (méthodes pour fabriquer un analogue de semence végétale et méthodes pour faire germer ladite semence) demeurent acceptables, tout comme les revendications nouvellement introduites 41 à 68 (une capsule absente de matière vivante). Les revendications 1 à 28 n'ont pas été modifiées et demeurent donc contestables. Elles comprenent les revendications représentatives suivantes :

 

1. Un analogue de semence végétale, comprenant :

a) une unité de tissus végétaux totipotents;


b) une unité de gel hydraté non phytotoxique se trouvant en contact direct ou indirect avec lunité de tissus végétaux totipotents de manière à former avec elle un analogue de semence permettant aux gaz et liquides nécessaires à la germination de ces tissus de passer du gel aux tissus, le gel hydraté renfermant un absorbeur doxygène qui lui permet dabsorber de latmosphère une concentration doxygène moléculaire supérieure à celle que les molécules du gel hydraté pourraient normalement absorber à température et pression normales, labsorbeur doxygène étant choisi parmi un groupe de substances comprenant les perfluorocarbures, les huiles de silicone et les mélanges de composés de ces deux types.

 

15. Un analogue de semence végétale, comprenant :

a) une unité de tissus végétaux embryonnaires;

b) un gel hydraté non phytotoxique se trouvant en contact avec lunité de tissus végétaux embryonnaires, le gel hydraté renfermant des nutriments végétaux ainsi quun transporteur doxygène qui permet au gel dabsorber de latmosphère une quantité doxygène moléculaire supérieure à celle quil pourrait absorber en labsence de transporteur doxygène à température et pression normales, le transporteur doxygène étant choisi parmi un groupe de substances comprenant les perfluorocarbures, les huiles de silicone et les mélanges de composés de ces deux types.

 

18. Un analogue de semence végétale, comprenant :

a) une unité de tissus végétaux totipotents;

b) un gel hydraté non phytotoxique se trouvant en contact direct ou indirect avec lunité de tissus végétaux totipotents de manière à faciliter laccès des gaz et liquides nécessaires à la germination aux tissus végétaux embryonnaires, le gel hydraté renfermant un transporteur doxygène lui permettant dabsorber de latmosphère une quantité doxygène moléculaire supérieure à celle quil pourrait absorber en labsence de transporteur doxygène à température et pression normales, le transporteur doxygène étant choisi parmi un groupe de substances comprenant les perfluorocarbures, les huiles de silicone et les mélanges de composés de ces deux types;

c) une coque extérieure enveloppant les tissus végétaux embryonnaires et le gel hydraté.

 

21. Un analogue de semence végétale comprenant :

a) une unité de tissus végétaux embryonnaires;


b) un gel hydraté non phytotoxique se trouvant en contact avec lunité de tissus végétaux embryonnaires, ce gel renfermant un absorbeur doxygène lui permettant dacquérir une concentration doxygène moléculaire supérieure à celle que les molécules du gel hydraté pourraient normalement absorber de latmosphère à température et pression normales, labsorbeur doxygène étant choisi parmi un groupe de substances comprenant les perfluorocarbures, les huiles de silicone et les mélanges de composés de ces deux types;

c) une coque enveloppant lunité de tissus végétaux embryonnaires et le gel hydraté.

 

22. Un analogue de semence végétale comprenant :

a) un embryon végétal comprenant tige et radicule;

b) un gel hydraté non phytotoxique formant capsule autour de lembryon végétal, ce gel renfermant en suspension des gouttelettes émulsifiées dun transporteur doxygène permettant au gel dabsorber de latmosphère une quantité doxygène moléculaire supérieure à celle quil pourrait absorber en labsence de transporteur doxygène à température et pression normales, le transporteur doxygène étant choisi parmi un groupe de substances comprenant les perfluorocarbures, les huiles de silicone et les mélanges de composés de ces deux types.

 

(18)   Toutes les conclusions portant sur l'objet brevetable en liaison avec les revendications 1, 15, 18, 21 et 22 peuvent être étendues aux revendications qui en dépendent.

 

OBJET BREVETABLE

 

Définition du mot « invention »

 

(19)   L'article 2 de la Loi sur les brevets définit le mot « invention » de la manière suivante :

 

« Invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de lun deux, présentant le caractère de la nouveauté et de lutilité.

 

Méthode d'appréciation de l'objet

 


(20)  La méthode d'appréciation de l'objet brevetable appliquée est celle employée dans Amazon.com  [DC 1290, « Procédé et système permettant d'effectuer une commande d'achat via un réseau de communication », paragraphes 124 à 162].

 

(21)   Par souci de commodité, les éléments de l'approche présentée dans Amazon.com sont reproduits ci-après.

 

-      Tenir compte à la fois de la forme et de la substance des revendications

L'appréciation de l'objet brevetable exige de tenir compte à la fois de la forme et de la substance des revendications.                 

 

-       Forme des revendications

On entend par « forme » ce que le libellé de la revendication, à sa face même, semble définir à titre d'invention.

 

-       Substance des revendications (la découverte)                                      Il s'agit de comprendre pleinement la nature de l'invention revendiquée et de déterminer ce qui a été ajouté à la connaissance humaine [« la découverte »] par l'invention revendiquée.

 

-       L'objet doit satisfaire à la définition de l'une des catégories d'invention

L'interprétation jurisprudentielle des expressions « réalisation »,   « procédé », « machine », « fabrication » et « composition de        matières » doit être examinée pour déterminer si l'objet des    revendications correspond à l'une de ces catégories         

 

          -   Objet exclu (non prévu par la Loi)


Certains objets ne peuvent être brevetés. Par exemple, les             programmes informatiques, si la découverte est une méthode de          calcul, les méthodes de traitement médical, les formes de vie            supérieures, les systèmes et méthodes de gestion d'entreprise, ainsi que les compétences et les méthodes professionnelles ont été     exclus à la suite de l'interprétation que les tribunaux ont donné des définitions figurant à l'article 2 et au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

 

        -         Objet non technologique, donc non prévu par la Loi

Chacune des cinq catégories d'invention porte essentiellement sur un objet de nature technologique. Il s'ensuit que l'objet qui n'est pas technologique est un objet non visé par la Loi et donc, ne pouvant entrer dans aucune des catégories d'invention.

 

(22)   En résumé, pour qu'une revendication soit brevetable, la forme de la revendication (la revendication à sa face même) doit se rapporter à l'une des cinq catégories d'invention brevetable (réalisation, procédé, machine, fabrication ou composition de matières). De plus, la forme de la revendication ne doit porter ni sur un objet exclu, ni sur un objet non technologique. Dans le même ordre d'idées, la substance de l'invention revendiquée, ou « ce qui a été ajouté à la connaissance humaine », doit relever de l'une des cinq catégories d'invention brevetable, et ne doit porter ni sur un objet exclu, ni sur un objet non technologique.

 

(23)     Une invention revendiquée peut être exclue pour une ou plusieurs des raisons précitées. Il n'est pas nécessaire que l'analyse soit effectuée dans un ordre précis.

 

Brevetabilité des formes de vie                    

 


(24)   En droit canadien, ce n'est pas la « vie » comme telle qui n'est pas brevetable (Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76; 21 C.P.R. (4th), 417 (C.S.C.); Harvard). En l'espèce, la caractérisation des formes de vie est particulièrement pertinente; au vu de la jurisprudence, elles ont été divisées en deux catégories : les formes de vie inférieures (objet prévu par la loi) et les formes de vie supérieures (objet non prévu par la loi ). En général, pour différencier les formes de vie inférieures des formes de vie supérieures, il faut déterminer si la forme de vie est unicellulaire (inférieure) ou pluricellulaire (supérieure). Pour déterminer si une forme de vie particulière constitue une forme de vie supérieure ou inférieure, la Cour suprême a affirmé ce qui suit au paragraphe 151 de Harvard :

 

[...] en raison de lexpertise scientifique du commissaire, les tribunaux devraient faire preuve de retenue à légard de la décision dans laquelle il se dit assuré que la forme de vie en question tombe dans une catégorie dobjets brevetables.

 

Les formes de vie inférieures peuvent être brevetées

 

(25)   Les formes de vie unicellulaire qui peuvent être produites en grande quantité, comme sont produits et formés les composés chimiques, et en si grand nombre que toute quantité mesurable possédera des propriétés et des caractéristiques uniformes, sont réputées être visées par l'article 2 (Re: Abitibi Co., (1982), 62 C.P.R. (2d) 81, décision du commissaire no 933; Abitibi). De plus, les cellules provenant de « formes de vie supérieures » cultivées grâce à la manipulation in vitro des procédés naturels de prolifération cellulaire ou de réplication sont également considérées comme étant des formes de vie inférieures brevetables (Re: Connaught Laboratories, (1982), 82 C.P.R. (2d) 32, décision du commissaire no 962 ; Connaught). Par conséquent, les formes de vie inférieures incluent les algues microscopiques; les champignons unicellulaires (y compris les moisissures et les levures); les bactéries; les protozoaires; les virus; les lignées cellulaires transformées et les hybridomes.


 

Les formes de vie supérieures ne peuvent être brevetées

 

(26)   Les formes de vie supérieures ne peuvent être brevetées, comme l'a établi l'arrêt Harvard. Le brevetage des animaux, des plantes et des semences est également interdit; voir l'arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34; [(2004), 31 C.P.R. (4th), 161 (C.S.C.)], par. 21; Schmeiser.

 

La distinction entre les formes de vie inférieures et supérieures

 

(27)   En ce qui concerne l'établissement d'une distinction entre les formes de vie inférieures et supérieures, la Cour suprême a affirmé ce qui suit au paragraphe 199 de Harvard [non souligné dans l'original] :

 

[...] Seul le législateur a la compétence institutionnelle pour étendre aux plantes et aux animaux les droits conférés par brevet ou une autre forme de protection en matière de propriété intellectuelle et pour assortir de conditions adéquates le droit conféré. Entre‑temps, je ne vois aucune raison de modifier la ligne de démarcation tracée par le Bureau des brevets. Bien quelle ne soit pas explicite dans la Loi, la distinction entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures est néanmoins justifiable en raison des différences qui, daprès le bon sens, existent entre les deux.

 

 

(28)   De plus, il est établi que les formes de vie supérieures ne sont pas brevetables, indépendamment de l'absence d'exclusion explicite dans la Loi sur les brevets (Harvard, par. 205).

 


La brevetabilité des semences enrobées

 

(29)   La demanderesse a attiré notre attention sur l'affaire Re: Pallos (1978), décision du commissaire no 517; Pallos. La demanderesse a souligné que dans Pallos la contribution originale n'était pas la matière vivante (la semence) mais plutôt l'enrobage de la semence. Les semences enrobées étaient réputées être des objets brevetables même si la revendication visait un objet vivant.

 

(30)  La Commission doit souligner que la décision Pallos ne lie pas la commissaire, d'autant plus que l'exclusion des formes de vie supérieures par l'arrêt Harvard y est postérieure. De plus, l'approche pour déterminer si un objet est brevetable a été établie tout récemment dans Amazon.com. Bien que la décision Amazon.com ait été rendue à la même période que l'audience et qu'elle n'a donc pas été examinée, comme nous le verrons ci-dessous, notre analyse se fonde à première vue sur la revendication à sa face même (la « forme »), ce qui est bien étayé en droit canadien.

 

POSITION DE LA DEMANDERESSE :

 

i) Degré d'efforts humains

 


(31)   La demanderesse a allégué que chacun des « analogues de semences végétales » visés par les réclamations 1 à 28 constitue une « composition de matières » ou une « fabrication » satisfaisant à la définition d« invention » et peut donc être breveté. De plus, lors de laudience, la demanderesse a allégué que les analogues de semences végétales sont assimilables à des [traduction] « efforts humains visant à reproduire la fonction dune semence », en précisant que « la demanderesse emballe dans une enveloppe artificielle du matériel capable de devenir une plante, lequel emballage, une fois déposé dans la terre, produira une plante », ce qui signifierait que le matériel vivant et l'enrobage sont tous deux artificiels. Les « unités de tissus végétaux totipotents », qui sont des équivalents artificiels de lembryon zygotique dune semence végétale classique, ont fait lobjet des revendications en combinaison avec un gel hydraté de type nouveau. Selon la demanderesse, les analogues seraient donc « encore plus artificiels quune semence enrobée », et le matériel biologique appelé « unité de tissus végétaux totipotents » exigerait plus dintervention humaine que les semences visées par les brevets déjà délivrés, dont celles visées par la décision Pallos.

 

ii) L'objet revendiqué est comparable à des formes de vie inférieures

 

(32)   Dans sa réponse datée du 17 février 2004 à un rapport d'examen antérieur, la demanderesse a contesté la pertinence de l'arrêt Harvard à l'égard de la brevetabilité des végétaux et a associé les plantes, embryons végétaux et plantules à des cultures de microorganismes qui n'ont pas été considérées comme des formes de vie supérieures. La demanderesse a fait valoir ce qui suit [non souligné dans l'original] :

 


... Les unités individuelles [de tissus végétaux totipotents] sont présentes en si grands nombres que toute quantité mesurable de ces unités possédera des qualités et caractéristiques plus ou moins homogènes. De plus, ces unités (particulièrement les embryons et les plantules issues de leur germination) sont des compositions relativement simples de matières. Elles ne possèdent pas les organes sensoriels spécialisés ni la capacité de mouvement volontaire associés aux animaux et particulièrement aux mammifères supérieurs, qui sont le véritable objet de la décision de la Cour concernant la souris de Harvard. Au stade dembryons ou de plantules, ces unités possèdent la capacité de se transformer en plantes adultes beaucoup plus complexes pourvu quon leur fournisse les soins requis, mais elles nont pas encore subi le changement associé à un tel développement. De telles unités de tissus ainsi que les structures semencières artificielles qui les renferment peuvent être produites à léchelle commerciale de la même façon que lon fabrique des produits chimiques et des microorganismes. Tout comme les cultures de microorganismes, on devrait pouvoir les transporter et les vendre en vrac, à condition que les unités individuelles aient des caractéristiques uniformes.

 

iii) Un tissu végétal ou un embryon végétal est semblable à un oeuf fécondé, qui est brevetable comme l'a établi l'arrêt Harvard

 

(33)   Dans sa réponse au rapport préalable à la décision finale datée du 7 octobre 2005, la demanderesse souligne l'absence de jurisprudence canadienne à l'appui de la proposition voulant que quelque chose ayant le potentiel de croître et de devenir une forme de vie (c'est-à-dire un embryon ou une semence) soit non brevetable en vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevets. De plus, en réponse à la décision finale, la demanderesse a fait valoir ce qui suit en s'appuyant sur l'arrêt Harvard :

 

[traduction] [...]  la Cour suprême du Canada a reconnu que même si une souris transgénique ne constitue pas un objet prévu par la loi, l'oeuf fécondé à partir duquel la souris se développe peut être protégé par un brevet.

 

[...] si un oeuf fécondé, qui possède le potentiel de se développer en un mammifère adulte intact, constitue une composition de matières brevetable, par conséquent, une unité de tissus végétaux totipotents, une unité de tissus végétaux embryonnaires ou des embryons végétaux doivent également constituer des compositions de matières brevetables.

 

iv) Un tissu végétal est brevetable puisque les cellules végétales, qui peuvent devenir des plantes, sont brevetables selon l'arrêt Schmeiser

 


(34)     De plus, dans la réponse à la décision finale, la demanderesse a fait valoir que les revendications contestées ne visaient pas une semence en soi, mais des analogues de semences contenant des tissus végétaux ayant le potentiel de devenir une plante. En s'appuyant sur Schmeiser, la demanderesse a fait valoir ce qui suit :

 

[traduction] [...] les cellules végétales du brevet [1313830], qui constituaient un objet brevetable selon la Cour suprême, avaient le potentiel de devenir, et sont devenues, des plantes complètement différenciées. Cela n'empêche pas la brevetabilité.

 

[...] en soi, une cellule est brevetable même si elle se développe ultimement en un organisme intact.

 

v) La brevetabilité du caractère totipotent est compatible avec les arrêts Harvard et Schmeiser

 

(35)   La demanderesse a joint des arguments additionnels à ses observations écrites à l'audience. Commençant au paragraphe 35 de son plaidoyer, la demanderesse fait valoir ce qui suit :

 

[traduction] [...] L'arrêt Harvard College est totalement compatible avec la brevetabilité des tissus végétaux totipotents. Plus particulièrement, la remarque de la Cour voulant qu'un oeuf d'oncosouris fécondé et génétiquement modifié soit un objet brevetable en dépit de son développement final anticipé en souris est un obiter dicta faisant autorité sur ce point particulier. C'est en fait un rejet explicite du principe voulant que le caractère totipotent peut, en soi, servir à exclure une matière vivante de la portée de l'article 2 de la Loi.

 


[...] Le consensus de l'ensemble de la Cour [dans Harvard] sur la question de la brevetabilité d'un oeuf fécondé appuie manifestement l'argument selon lequel les tissus végétaux totipotents sont des objets brevetables.

 

[...] Les arrêts Harvard College et Schmeiser appuient manifestement l'argument selon lequel les cellules totipotentes peuvent être brevetées. Plus précisément, la demanderesse fait valoir que selon la bonne compréhension des arrêts Harvard College et Schmeiser, une cellule totipotente est une « composition de matière » et qu'elle est de ce fait visée par l'article 2 de la Loi.

 

(36)   De plus, la demanderesse a souligné que bien que le terme totipotent ne figure pas comme tel dans Schmeiser, la question du caractère totipotent a été abordée au paragraphe 19, où la Cour a considéré que les revendications visaient des cellules qui étaient totipotentes. La demanderesse estime donc que Schmeiser établit que les tissus végétaux totipotents constituent des objets brevetables. Le paragraphe 19 se lit comme suit [non souligné dans l'original] :

 

Linterprétation téléologique reconnaît donc que linvention sappliquera aux plantes régénérées à partir des cellules brevetées, indépendamment de la question de savoir si ces plantes se trouvent à lintérieur ou à lextérieur dun laboratoire.

 

vi) Un élément inventif similaire a déjà été breveté

 


(37)   La demanderesse a fait valoir qu'une matière vivante peut constituer un élément inventif et former la base d'une revendication de produit acceptable et a fourni plusieurs exemples de brevets canadiens visant des semences enrobées et des cellules végétales totipotentes (selon l'inférence voulant que les cellules revendiquées puissent générer une plante entière). En ce qui concerne plus particulièrement les semences enrobées, la demanderesse a indiqué que [traduction] « dans les revendications pour les semences enrobées, le matériau végétal totipotent est un élément essentiel de la semence enrobée » et a ajouté que la présente invention [traduction] « correspond exactement au champ d'objets [précédemment brevetés] », y compris l'objet en cause dans Pallos.

 

ANALYSE :

 

(38)   Rappelons que l'approche qui sera appliquée pour déterminer si un objet est brevetable est celle énoncée dans Amazon.com.  Cependant, comme nous le verrons ci-dessous, notre analyse et notre recommandation se fondent sur la « forme » des revendications, ou la revendication à sa face même. La Commission s'efforcera maintenant d'analyser les arguments fournis par la demanderesse aux points i) à vi) ci‑dessus. 

 

Forme des revendications

La forme des revendications vise-t-elle l'objet exclu? (Entre-t-elle dans une catégorie d'« invention » au sens de l'article 2 ?)

(39)     La demanderesse a fait valoir que la question des semences enrobées en l'espèce est similaire à celle de l'affaire Pallos et comme les semences de l'affaire Pallos, il s'agit d'un objet brevetable. Dans Pallos, la Commission a conclu qu'il « convient de tenir pour recevables les revendications portant sur les graines traitées lorsque l'invention s'applique à [l'enduit] avec lequel on a traité les graines. Dans le cas présent, le traitement ne modifie pas le processus de vie de la graine et il n'y a pas de nouvelle matière vivante ». Cependant, comme l'a souligné précédemment la Commission dans la présente affaire, Pallos ne lie pas le Bureau, surtout compte tenu des arrêts plus récents de la Cour suprême Harvard et Schmeiser.

 

Les tissus végétaux, les tissus embryonnaires végétaux et les embryons végétaux sont-ils brevetables?


(40)     Dans Schmeiser, aux paragraphes 129 à 130, la Cour suprême a conclu que les revendications du brevet relatives au gène et à la cellule végétale ne devraient pas être interprétées de manière à accorder des droits exclusifs sur la plante et toute sa descendance. La juge Arbour (dissidente) a fixé le point où les revendications pourraient protéger des formes de vie supérieures de la manière suivante [non souligné dans l'original] :

 

130     Il ressort clairement du mémoire descriptif que les revendications du brevet de Monsanto ne visent pas les plantes, les semences et les récoltes. Il est également clair que la revendication relative au gène nétend pas à la plante la protection conférée par le brevet. La revendication concernant la cellule végétale cesse de sappliquer au moment où la cellule végétale isolée qui contient le gène chimère est placée dans le milieu nutritif pour quelle se régénère. Dès que la cellule commence à se multiplier et à se différencier en tissu végétal, pour ensuite aboutir à la croissance dune plante, la plante entière devrait faire lobjet dune revendication. Toutefois, une plante entière nest pas brevetable. De même, la revendication relative à la méthode cesse de sappliquer au moment de la régénération de la plante transgénique fondatrice, mais elle ne vise pas les méthodes de reproduction de la plante et sûrement pas non plus la descendance de la plante régénérée.

 

 

En résumé, au paragraphe 138 [non souligné dans l'original] :

 


138    Bref, correctement interprétées, les revendications de Monsanto relatives aux produits et aux procédés sont valides dans les deux cas. Aucune delles nétend la protection par brevet à la plante elle‑même, qui est une forme de vie supérieure qui ne peut pas bénéficier de cette forme de protection. Pour éviter que la revendication vise la plante entière, la revendication relative à la cellule végétale doit cesser de sappliquer au moment où la cellule génétiquement modifiée commence à se multiplier et à se différencier en tissus végétal, sinon la revendication viserait chaque cellule de la plante, cest‑à‑dire la plante elle‑même.

 

 

(41)   Concernant la présente affaire, il est entendu que la revendication ne porte pas sur une cellule végétale enveloppée ou une plante entière. On peut donc affirmer que les « unités » de tissus végétaux totipotents, les tissus embryonnaires et les embryons végétaux se trouvent quelque part entre les deux dans le continuum du développement. Comme cela a été souligné plus tôt, la Cour suprême a indiqué dans Harvard (paragraphe 151) qu'en raison de son expertise scientifique, la décision du commissaire sur la question de savoir si une forme de vie donnée constitue une forme supérieure (ou inférieure) et si elle tombe dans une catégorie dobjets brevetables commandait vraisemblablement une certaine retenue.

 

(42)     Même si les revendications 1 à 28 au dossier visent les tissus végétaux, la majorité des arguments présentés par la demanderesse à l'audience mettaient l'accent sur la brevetabilité des cellules totipotentes, plus particulièrement des cellules totipotentes végétales. Pressée d'expliquer ce manque de cohérence, la demanderesse a reconnu qu'il y avait une différence entre les cellules végétales et les tissus végétaux.

 

(43)   Néanmoins, la demanderesse a associé un embryon végétal à un oeuf fécondé en raison du potentiel qu'il a de devenir un organisme complet, c'est-à-dire en raison de sa « totipotence ». La demanderesse a également fait valoir que bien que les plantes soient considérées comme des formes de vie supérieures, les embryons végétaux ne le sont pas et a expliqué que la « ligne est facile à tracer », c'est-à-dire que la [traduction] « capacité de devenir une plante ne fait pas de quelque chose une plante en soi ».

 


(44)   Cependant, comme nous l'avons vu au paragraphe 41, les tissus végétaux et les embryons végétaux revendiqués se situent quelque part entre les cellules végétales et les plantes entières, comme c'est le cas pour la ligne de démarcation entre les formes de vie inférieures et supérieures. Pour élucider la question de la brevetabilité des tissus végétaux et des embryons végétaux revendiqués, il est nécessaire d'établir une comparaison avec les cellules végétales et les plantes. Tout comme les plantes entières, les tissus et les embryons végétaux sont des organismes pluricellulaires créés par des processus complexes incluant la division cellulaire, l'expansion cellulaire et la différenciation cellulaire - éléments qui ne requièrent aucune intervention humaine. Plus particulièrement, les cellules végétales comprises dans le tissu ou l'embryon sont des cellules différenciées qui sont organisées morphologiquement et fonctionnellement et qui sont donc différentes des cellules ou des cultures originales, malgré qu'elles contiennent les mêmes informations génétiques. Compte tenu de la complexité de l'organisation cellulaire au sein du tissu et des embryons végétaux, en l'espèce, une « unité de tissus végétaux totipotents », une « unité de tissus végétaux embryonnaires » ou un « embryon végétal comprenant tige et radicule » ne sont pas similaires à l'oeuf fécondé de l'arrêt Harvard, ou aux cellules végétales de l'arrêt Schmeiser. Cela ne signifie pas que l'oeuf fécondé de l'arrêt Harvard et les cellules végétales de l'arrêt Schmeiser sont équivalents. De plus, l'embryon de plante fait partie intégrale de la semence de la plante : une forme de vie, qui, en soi, est explicitement exclue de la brevetabilité (Schmeiser). De plus, la Commission souligne que la revendication ne porte pas sur la « capacité » ou le potentiel de se développer en un organisme entier, mais plutôt sur la forme de vie supérieure elle‑même. Puisqu'il est déjà établi que les formes de vie supérieures ne sont pas brevetables, un examen plus approfondi de la totipotence n'est pas nécessaire en l'espèce.

 


(45)   Pour les motifs précités, le Conseil nest pas en mesure dadmettre les allégations de la demanderesse [voir points ii) à v) de la position de la demanderesse] selon lesquelles lobjet visé par les revendications serait comparable à une forme de vie inférieure; les tissus et embryons végétaux seraient assimilables à un œuf fécondé; les tissus végétaux totipotents, les tissus végétaux embryonnaires et les embryons végétaux, ayant la capacité de se transformer en plantes, seraient brevetables suivant la décision Schmeiser. Enfin, ni l'arrêt Harvard ni l'arrêt Schmeiser ne viennent appuyer quelque règle générale selon laquelle la « totipotence » dun objet signifierait que celui-ci est brevetable.

 

Pertinence du degré d'efforts humains et brevetage d'un élément inventif similaire.

 

(46)   Comme il est mentionné au point i) ci-haut, la demanderesse estime que leffort humain requis pour reproduire la fonction dune semence est un facteur déterminant, parce que le matériel vivant et son revêtement sont tous deux artificiels. Bien que la demanderesse ne prétende pas avoir découvert un nouveau type de tissu végétal ou dembryon végétal, on peut faire valoir que les cellules et tissus végétaux doivent être manipulés pour quon puisse en tirer des « unités» de tissus pouvant être mises en capsules dans le gel hydraté non phytotoxique. En labsence dintervention humaine, ces « unités » ne renfermeraient pas de cellules totipotentes ou issues de cellules totipotentes et ne pourraient donc pas se régénérer en plantes entières.

 

(47)     En ce qui concerne le degré d'efforts humains nécessaire pour répliquer la fonction d'une semence, la Commission note que ce facteur a été appliqué de façon similaire à la brevetabilité d'une oncosourie génétiquement modifiée dans Harvard (paragraphe 162). Selon Harvard, tant et aussi longtemps que l'invention revendiquée vise une forme de vie supérieure, elle ne peut être brevetée. Un plus haut degré d'efforts humains dans l'invention revendiquée n'a aucune incidence sur cette décision.

 


(48) Concernant la remarque de la demanderesse voulant que des semences enrobées inventives aient déjà été brevetées vi), comme le souligne la décision Amazon.com (paragraphe 182), si cette pratique est incompatible avec l'interprétation appropriée de la Loi sur les brevets, elle doit être corrigée. La politique et la pratique ne relèvent pas du principe du stare decisis et elles devraient être modifiées si elles se révèlent inadéquates.                                                                                             

(49)   La Commission conclut donc que les revendications visant « une unité de tissus végétaux totipotents »; « une unité de tissus végétaux embryonnaires », ou « un embryon végétal comprenant tige et radicule » portent sur des formes de vie supérieures. Par conséquent, les revendications 1 à 28 ne sont pas brevetables en vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 

(50)  Règle générale, il est possible de corriger une revendication contestée en raison de la forme en retirant les références à l'objet exclu, en particulier lorsqu'il a été conclu que la substance de cette revendication concerne un objet brevetable. Cependant, comme la demanderesse a plaidé que les revendications 41 à 68 ont la portée voulue pour protéger cette invention, mais sans faire état de la matière exclue, la modification n'est pas nécessaire et la Commission n'est pas tenue de trancher ou d'examiner la question de la substance de l'invention pour les revendications 1 à 28.

 

(51)   La Commission n'a pas à trancher la question de savoir si les revendications 1 à 28 sont technologiques ou non (comme il est établi dans Amazon.com) parce que ces revendications, de par leur forme, ne sont pas conformes à l'article 2.

RÉSUMÉ :

 

(52)   Les revendications 1 à 28 visant « une unité de tissus végétaux totipotents », « une unité de tissus végétaux embryonnaires » ou « un embryon végétal comprenant tige et radicule » portent sur des formes de vie supérieures. Par conséquent, les revendications 1 à 28, à première vue, concernent des formes de vie supérieures et elles ne sont donc pas brevetables en vertu de l'article 2 de la Loi sur les brevets.

 


RECOMMANDATION DE LA COMMISSION :         

 

(53)   La Commission a conclu que les revendications 1 à 28 ne sont pas conformes à la définition du mot « invention » figurant à l'article 2 de la Loi sur les brevets.   

 

Par conséquent, la Commission recommande que la commissaire :

 

1) informe la demanderesse que le rejet des revendications 1 à 28 par l'examinatrice est maintenu;

                                                    

2) informe la demanderesse que les revendications 29 à 68 demeurent en une forme acceptable;

 

3)  informe la demanderesse, en application de l'alinéa 31c) des Règles sur  les brevets, que les modifications suivantes, et seulement ces modifications, doivent être apportées à la demande pour qu'elle soit conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets :

 

a) retirer les revendications 1 à 28;

b) établir une nouvelle numérotation pour les revendications 29 à 68 et les revendications dépendantes, s'il y a lieu.

 

 

Nicole Harris                         Paul Sabharwal     

Membre                              Membre                                             


 

DÉCISION DE LA COMMISSAIRE

 

(54)   Je suis d'accord avec Ies conclusions et la recommandation de la Commission d'appel des brevets. Comme il a été répondu à toutes les questions en suspens, la présente demande est conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets et une fois modifiée comme exigée, elle devrait être accueillie. Par conséquent, j'invite la demanderesse à apporter les modifications ci-dessus, et seulement ces modifications, dans un délai de trois (3) mois à partir de la date de la présente décision, faute de quoi je refuserai la demande.

 

Mary Carman

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec),

le 16 juillet 2010                                                    

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