Décision du commissaire no 1319
Commissioner’s Decision No. 1319
SUJET : B20
TOPIC : B20
Demande no : 2,268,812
Application No. : 2,268,812
BUREAU CANADIEN DES BREVETS
DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS
Le refus de la demande de brevet no 2,268,812 a été révisé par la Commission d’appel des brevets et le commissaire aux brevets conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets. Voici les conclusions de la Commission et la décision du commissaire.
Agent de la demanderesse :
Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.
World Exchange Plaza
100, rue Queen
Bureau 1100
Ottawa (Ontario)
K1P 1J9
Introduction
[1] La présente décision porte sur la révision du refus de la demande de brevet no 2,268,812 qui a été déposée le 15 octobre 1997.
[2] La demanderesse est l’University of South Florida et l’invention est intitulée « Procédé pour produire des modèles animaux transgéniques avec modulation du phénotype, et animaux ainsi obtenus ». Les inventeurs sont Karen Duff et John Harde.
Historique de la procédure d’examen
[3] La demande en cause a été refusée par décision finale datée du 7 octobre 2008, au motif que toutes les revendications alors en suspens avaient une portée plus large que ce qui est dit dans la description, contrairement à l’article 84 des Règles sur les brevets et au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. La demanderesse a répondu le 7 avril 2009 et a présenté des modifications qui convertissaient trois revendications dépendantes de portée restreinte en revendications indépendantes. La demanderesse a fait valoir que les revendications de portée plus large restantes étaient conformes à la Loi et aux Règles. Aucune modification à ces revendications n’a été présentée.
[4] Les trois nouvelles revendications indépendantes de portée plus restreinte (revendications 22 à 24) ont, dans un résumé des motifs, été considérées acceptables. Les autres revendications (revendications 1 à 21) ont tout de même été jugées trop larges et la demande a donc été renvoyée à la Commission d’appel des brevets pour révision.
[5] Une audience a été tenue le 17 août 2011. La demanderesse y était représentée par Mme Chantal Saunders du cabinet Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L., et par M. Steven Kelber, l’avocat de la demanderesse aux États-Unis. Philip Marshall, l’examinateur saisi de la demande et son superviseur, Nicholas Ohan, y ont également assisté.
Contexte
[6] La demande en cause a trait à des modèles animaux transgéniques qui ont été manipulés génétiquement pour présenter un phénotype accéléré de la maladie d’Alzheimer (MA).
[7] La MA est une maladie terminale, incurable qui se caractérise par une démence progressive, une perte de mémoire et une détérioration des fonctions cognitives. L’autopsie de victimes de la MA révèle la présence de plaques caractéristiques dans certaines régions du cerveau. Les plaques sont constituées de dépôts extracellulaires de substance « amyloïde » et de dégénérescences neuro‑fibrillaires. La substance amyloïde est surtout composée de peptide bêta‑amyloïde (peptide Aβ) qui est produit par clivage protéolytique d’une « protéine précurseur amyloïde » (APP) plus grosse. Les dégénérescences neuro‑fibrillaires sont formées en grande partie d’une protéine cytosquelettique appelée « tau ».
[8] Au moment du dépôt de la présente demande, les recherches visant à élucider les fondements génétiques de la MA étaient très nombreuses. Dans le contexte de l’invention, on mentionne qu’on savait que des mutations dans le gène codant l’APP étaient associées à la MA. Certaines souris transgéniques exprimant le gène mutant de l’APP présentaient une pathologie de type MA de même qu’une détérioration des fonctions cognitives, mais d’autres ne manifestaient soit aucune pathologie soit seulement une pathologie légère. Et même alors, les modèles animaux de MA porteurs d’un gène mutant de l’APP ne manifestaient un phénotype de MA que plus tard dans la vie – d’où la nécessité de loger et de nourrir les animaux pendant de longues périodes avant de pouvoir les utiliser.
[9] On savait également qu’un second type de gène mutant était associé à la MA. Les gènes mutants préséniline 1 (PS1) et préséniline 2 (PS2) augmentaient les quantités de peptide bêta‑amyloïde. Le mécanisme précis à l’origine de cette surproduction demeurait obscur et même si les souris transgéniques porteuses d’un gène mutant PS1 présentaient des concentrations élevées de peptide bêta‑amyloïde, elles ne souffraient d’aucune pathologie.
[10] Dans ce contexte, il est dit dans la description qu’il [TRADUCTION] « serait donc utile de disposer de modèles transgéniques qui manifestent l’éventail complet des pathologies associées à la MA à un âge plus précoce » (page 6, lignes 24‑25).
L’invention
[11] L’invention est résumée à la page 7 et permet essentiellement de produire des modèles animaux transgéniques améliorés de la MA. Pour ce faire, on fabrique des animaux transgéniques porteurs d’une double mutation, soit un gène APP mutant et un gène PS mutant. Plus précisément, deux types d’animaux transgéniques sont tout d’abord produits : un porteur du gène APP mutant et un autre porteur du gène PS mutant. Puis les animaux de chaque type sont accouplés pour produire des petits; on peut ensuite tester ces derniers pour repérer ceux qui expriment les deux mutations et qui ont une forme accentuée de MA.
[12] Les inventeurs font remarquer que les animaux porteurs d’une double mutation avaient accumulé rapidement le peptide Aβ dans leurs tissus cérébraux et ont développé des symptômes de la MA dès l’âge de trois mois. Ils concluent à l’existence d’un effet synergique lorsque les gènes PS et APP mutants sont combinés et exprimés dans des animaux transgéniques.
L’objet revendiqué
[13] La revendication 1 est représentative des revendications qui comportent des irrégularités :
[TRADUCTION] « Méthode pour préparer un animal transgénique non humain présentant une pathologie amyloïde accentuée en :
a) introduisant un premier transgène expressible codant un polypeptide mutant de la préséniline dans un premier animal parental non humain, ainsi qu’un second transgène expressible codant une protéine précurseur mutante de la protéine amyloïde (APP) dans un second animal parental non humain, afin de produire le premier et le second parent hétérozygote transgénique, de façon que le premier et le second transgène soient intégrés, respectivement, dans le génome du premier et du second animal parental;
b) sélectionnant parmi les descendants d’une génération F1 produite par l’accouplement du premier et du second parent hétérozygote transgénique ceux qui expriment le premier transgène et le second transgène et qui présentent une pathologie amyloïde accentuée,
et chez lesquels l’expression du polypeptide mutant de la préséniline exerce le même effet phénotypique que la préséniline M146L et chez lesquels l’expression de la protéine précurseur mutante de la protéine amyloïde exerce le même effet phénotypique qu’APP695 K670N, M671L.
[14] La revendication mentionne deux mutants particuliers : la préséniline « M146L » et « APP695 K670N, M671L ». Ces mutants sont ceux que les inventeurs ont décrits dans la partie de la description réservée aux exemples.
[15] Il convient de noter que la revendication 1 utilise des termes qui étendent la portée de la revendication de façon à inclure les mutants de la préséniline et de l’APP en plus des deux mutants particuliers décrits dans la partie de la description réservée aux exemples. On utilise ainsi les expressions « un polypeptide mutant de la préséniline [...] chez lesquels l’expression du polypeptide mutant de la préséniline exerce le même effet phénotypique que la préséniline M146L » et « une protéine précurseur mutante de la protéine amyloïde [...] chez lesquels l’expression de la protéine précurseur mutante de la protéine amyloïde exerce le même effet phénotypique qu’APP695 K670N, M671L ». Les revendications rejetées incluent donc non seulement les mutants dans les exemples, mais aussi plus largement les mutants de la préséniline et de l’APP qui produisent les mêmes effets phénotypiques. C’est l’objet du débat entre l’examinateur et la demanderesse.
Les motifs du rejet
[16] L’objet des trois nouvelles revendications indépendantes (revendications 22 à 24) est limité à la combinaison (illustrée dans l’exemple) de la protéine mutante de la préséniline 1 appelée M146L et de la protéine mutante de l’APP appelée APP695 K670N, M671L. Il a été indiqué que ces revendications étaient acceptables.
[17] Toutefois, dans sa décision finale, l’examinateur conteste le fait que les revendications restantes (revendications 1 à 21) incluent de façon plus large d’autres mutants de la préséniline ou de l’APP que les deux qui ont été cités expressément en exemple :
[TRADUCTION] Les revendications 1 à 24 [maintenant les revendications 1 à 21] ont une portée plus large que ce qui est dit dans la description et ne sont pas conformes à l’article 84 du Règlement sur les brevets ni au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. La demanderesse a uniquement décrit un modèle murin de dépôts de plaques amyloïdes après croisement d’une souris possédant un transgène humain de la préséniline porteur de la mutation M146L avec une souris possédant un transgène humain du précurseur de la protéine amyloïde qui porte une mutation K760N ou M671L. Dans sa lettre datée du 20 septembre 2007, la demanderesse a modifié les revendications pour indiquer que la préséniline et le précurseur de la protéine amyloïde ont le même phénotype que la préséniline M146L et le précurseur de la protéine amyloïde K760N ou M671L, respectivement. En définissant les gènes par le résultat souhaité, lesdites recommandations englobent cependant des mutations qui n’ont pas été décrites par la demanderesse. De plus, la demanderesse définit un phénotype qui résulte de la combinaison de deux transgènes mutés, la préséniline et le précurseur de la protéine amyloïde, et qui ne contient pas seulement un des deux transgènes. Enfin, le phénotype divulgué par la demanderesse est défini uniquement par une accumulation de dépôts de plaques Aβ dans le cerveau des souris porteuses des deux mutations (préséniline et précurseur de la protéine amyloïde). Une personne versée dans l’art qui lit la présente demande ne dispose pas ainsi du fondement factuel pour prédire les mutations géniques qui présenteront le même phénotype à part la combinaison de la préséniline M146L et du précurseur de la protéine amyloïde K760N ou M671L. De même, la demanderesse ne s’appuie sur aucun fondement factuel pour prédire quelles mutations géniques peuvent moduler le phénotype de la maladie d’Alzheimer et elle ne peut pas non plus prédire lesquels des deux transgènes moduleront un autre phénotype de la maladie d’Alzheimer que le phénotype porteur de la préséniline M146L et du précurseur de la protéine amyloïde K760N ou M671L. L’examinateur maintient donc l’objection.
[18] La portée des revendications est donc jugée trop large, contrairement à l’article 84 des Règles sur les brevets et au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, ce qui signifie que les revendications ne sont pas entièrement appuyées dans toute leur portée et/ou que le mémoire descriptif contient une divulgation insuffisante.
[19] La décision finale contient certains termes – comme [traduction] « ne s’appuie sur aucun fondement factuel pour prédire quelles mutations géniques peuvent moduler le phénotype de la maladie d’Alzheimer » – qui font appel à la doctrine de la « prédiction valable » de l’utilité. Il est allégué que d’autres gènes mutés de la MA que les deux qui ont été cités en exemple ne fonctionneront pas. Dans ces conditions, la question de l’absence d’utilité au sens de l’article 2 de la Loi se pose également.
Les questions en litige
[20] La décision finale soulève deux questions, qui se rapportent toutes les deux à la portée des revendications 1 à 21 :
(1) La divulgation est-elle suffisante pour appuyer la portée des revendications refusées?
(2) Étant donné qu’elles ne se limitent pas aux mutants particuliers utilisés dans l’exemple, les revendications vont-elles au-delà de la prédiction valable?
Question 1: Fondement/principes juridiques
Principes juridiques
[21] L’article 84 des Règles et le paragraphe 27(3) de la Loi sont liés puisqu’ils portent tous les deux sur la relation qui existe entre l’étendue de la divulgation et la portée des revendications.
[22] L’article 84 des Règles sur les brevets dit ceci :
Les revendications sont claires et concises et se fondent entièrement sur la description, indépendamment des documents mentionnés dans celle-ci.
[23] L’article 84 des Règles s’applique de concert avec le paragraphe 27(3) de la Loi, dont les alinéas pertinents disent ceci :
(3) Le mémoire descriptif doit :
(a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;
(b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;. . .
[24] La suffisance de la divulgation s’attache principalement à deux questions qui sont pertinentes aux fins du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne-t-elle? (Consolboard c. MacMillam Bloedel, [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 526, 56 C.P.R. (2d) 145, à la page 157). La description de l’invention doit être exacte et complète et le mémoire descriptif doit permettre la réalisation de l’invention dans toute sa portée revendiquée. La personne versée dans l’art ne doit pas avoir à faire montre d’un esprit inventif ni à procéder à une expérimentation excessive, par opposition à une expérimentation courante.
Analyse
L’invention est-elle décrite d’une façon exacte et complète?
[25] Pour ce qui est de la fourniture d’une description exacte et complète de l’invention, il est dit dans la décision finale que les [TRADUCTION] « revendications englobent des mutations qui n’ont pas été décrites par la demanderesse » et définissent plutôt les transgènes par leur « résultat souhaité ».
[26] En réponse à la décision finale, la demanderesse a renvoyé à des renseignements qui sont devenus accessibles après la date de dépôt de la présente demande :
[TRADUCTION] [L]a littérature et la pratique commerciale regorgent maintenant d’exemples de souris phénotypiques revendiquées [. . .] qui présentent le phénotype des mutants APP x PS1 mentionnés, mais utilisent d’autres mutations que les mutations particulières du mémoire descriptif.
[27] Ce qui est pertinent, cependant, c’est ce qui était déjà connu et ce que la demanderesse a décrit dans le mémoire descriptif à la date du dépôt, et non ce que les autres ont décrit par la suite. À l’audience et dans les observations écrites qu’elle a présentées à la Commission, la demanderesse a fait valoir des arguments que l’examinateur n’avait pas pleinement considérés au moment de la rédaction de la décision finale. La demanderesse a mis l’accent sur ce que la description dit au sujet des protéines mutantes associées à la MA :
[TRADUCTION] Il existe de nombreuses [protéines mutantes] connues et bon nombre d’entre elles étaient connues lorsque la demande a été déposée. On se reportera à la page 13 de la demande, lignes 13 à 30, où l’on identifie pas moins de seize (16) sources autorisées différentes traitant de ces transgènes mutants qui sont expressibles et qui entraînent un dépôt accru d’Aß 42/43 mais pas le phénotype de la MA. D’après la revendication 1, le parent doit également être accouplé avec un autre parent qui est porteur d’un transgène mutant expressible différent – soit le gène PS1, qui est encore une fois mentionné dans les sources citées dans le mémoire descriptif (voir page 13). Toute l’argumentation dans l’introduction du mémoire descriptif porte sur le fait que les mutations de ce type sont connues – mais ne permettent pas à elles seules de produire des modèles animaux à partir desquels on peut élaborer des traitements visant à traiter ou à prévenir la MA.
[28] À la page 13, la description indique en termes généraux que divers gènes mutants de la préséniline et de l’APP peuvent être insérés dans le génome de lignées parentales transgéniques. Si une personne versée dans l’art passait en revue les références mentionnées à la page 13, comme l’y invite le mémoire descriptif, cette personne comprendrait ce qui suit :
• les séquences d’acides aminés de l’APP et de la préséniline étaient connues
• on savait que les mutations dans chaque type de protéine étaient associées à la MA et influaient sur la quantité, la longueur et le caractère fibrillogène de l’Aβ
• les peptides Aβ produits à l’intérieur de la protéine APP étaient connus
• les mutations de l’APP qui sont associées à la MA se situent soit à l’intérieur ou à proximité de la région codant l’Aβ
• on savait qu’au moins sept mutations particulières de l’APP étaient associées à la MA
• on savait qu’au moins trente et une mutations particulières de la préséniline 1 étaient associées à la MA
• on savait que deux mutations particulières de la préséniline 2 étaient associées à la MA
• la préséniline 1 et 2 présentent un degré élevé d’homologie structurale
• des mutations de la préséniline ont été découvertes dans des sites communs à la préséniline 1 et 2
[29] Ces éléments montrent qu’on savait beaucoup de choses au sujet des deux types de protéines associées à la MA et qu’il existait un certain nombre de gènes mutés particuliers de la MA représentatifs du type APP et du type préséniline. On savait également beaucoup de choses au sujet des propriétés et des effets des gènes mutants associés à la MA. La personne versée dans l’art comprendrait donc qu’à l’intérieur des classes de gènes mutants responsables de la MA qui existaient alors, il y avait d’autres gènes mutés candidats associés à la MA qui pouvaient être sélectionnés et pourraient remplacer les gènes particuliers utilisés dans l’exemple de la demanderesse.
[30] Par exemple, un mutant candidat logique est décrit dans l’une des références mentionnées à la page 13 : voir Duff et al., Nature, vol. 383, pp. 710‑713, 1996. Le mutant de la préséniline 1 appelé « M146V » décrit par Duff et al. diffère par un seul acide aminé de la protéine mutante de la préséniline citée dans l’exemple. Néanmoins, l’article de Duff montre que les deux mutants produisent le même effet phénotypique – à savoir la production de quantités accrues d’un peptide Aβ. Le mutant M146V remplit donc les conditions requises dans le libellé des revendications vu qu’il s’agit d’un « polypeptide mutant de la préséniline [. . .] chez lesquels l’expression du polypeptide mutant de la préséniline exerce le même effet phénotypique que la préséniline M146L ».
[31] Quant aux mutants candidats de l’APP, il appert qu’eux aussi ont été décrits et auraient pu être sélectionnés. Un examen des documents mentionnés à la page 13 de la description montre que le mutant K670N, M671L cité en exemple entraîne une hyperaccumulation du peptide Aβ. Les mêmes études publiées indiquent que d’autres mutations de l’APP produisent le même effet phénotypique (voir par exemple Andrä et al., Neurobiol. Ag., vol. 17, pp. 183‑190, 1996).
[32] Dans sa décision finale, l’examinateur affirme qu’« en définissant les gènes par leur résultat souhaité, lesdites revendications englobent cependant des mutations qui n’ont pas été décrites par la demanderesse ». Ce problème est lié à l’utilisation des expressions « chez lesquels l’expression de la protéine précurseur mutante de la protéine amyloïde exerce le même effet phénotypique qu’APP695 K670N, M671L » et « chez lesquels l’expression du polypeptide mutant de la préséniline exerce le même effet phénotypique que la préséniline M146L ». Ces expressions étendent la portée des revendications au point où elles englobent non seulement les mutants M146L et K670N, M671L mais aussi ceux qui agiraient de façon similaire. Or, si ces expressions ne figuraient pas dans les revendications rejetées, celles‑ci auraient été jugées acceptables.
[33] Ces expressions caractérisent le phénotype de chacun des transgènes lorsqu’il est exprimé. Elles ne définissent pas le résultat souhaité de l’invention elle‑même ni le phénotype des modèles animaux transgéniques qui sont produits conformément aux méthodes revendiquées. Le résultat souhaité de l’invention est la production de modèles animaux transgéniques qui possèdent le phénotype d’une pathologie accélérée de la MA. Pour obtenir ce résultat, les inventeurs ont eu l’idée de combiner deux types de gènes mutants qu’on savait être associés à la MA afin qu’ils soient tous les deux exprimés dans un animal transgénique.
[34] Cela fait penser au passage suivant de l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, au paragraphe 32 :
[L]’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet.
[35] L’ingéniosité réside dans l’identification d’une combinaison de transgènes qui agissent de façon synergique pour produire un résultat souhaitable. La demande ne se rapporte pas à des transgènes mutants comme tels. Les revendications n’englobent ni un type de méthode de production du résultat souhaité ni un transgène associé à la MA. Après examen des références citées à l’appui des revendications dans le mémoire descriptif, il semblerait également à la personne versée dans l’art que l’effet phénotypique souhaité de chaque type de transgène pourrait être obtenu à l’aide d’autres mutants de l’APP et/ou de la préséniline que ceux mentionnés expressément dans l’exemple.
[36] Il semble donc que la formulation utilisée pour définir les transgènes soit appropriée eu égard à ce qui a été décrit dans le reste du mémoire descriptif.
L’invention peut-elle être réalisée dans toute sa portée?
[37] En ce qui concerne la question du caractère réalisable, la demanderesse a soutenu dans ses observations que la personne versée dans l’art n’aurait pas à faire montre d’un esprit inventif ni à procéder à une expérimentation non courante pour mettre en pratique l’invention dans toute sa portée revendiquée. Les parties qui traitent de cet aspect se lisent, en partie, ainsi :
[traduction] Rien dans cette revendication ne dépasse les compétences d’une personne versée dans l’art. Dans le mémoire descriptif, les inventeurs renseignent les personnes versées dans l’art sur les mutants exprimables, et d’autres mutants peuvent être facilement identifiés. Il n’est pas difficile de fabriquer des parents porteurs de ces mutations exprimables. En cas de doute, une personne versée dans l’art pourrait lire la demande initialement déposée, de la page 10, ligne 7, à la page 11, ligne 14, et apprendre comment faire. Elle pourrait aussi consulter la page 12, de la ligne 15 à la page 13, ligne 17, et les vingt‑sept (27) documents différents faisant autorité auxquels les inventeurs renvoient.
[. . .]
Il n’est pas nécessaire d’utiliser un test ni une méthode inconnus pour déterminer si le descendant est porteur des deux mutations. Prière de se reporter à la demande initialement déposée, page 16, lignes 11 à 17. Et il n’y a pas d’élément de mystère ni de technique inconnue pour déterminer si chacune des mutations portées par le descendant de la génération F1 est de fait exprimée. Ces méthodes immunohistochimiques sont bien connues des personnes versées dans l’art et il en est question à la page 17 de la demande initialement déposée, de la ligne 18 à la page 18, ligne 9, avec renvoi encore une fois aux documents pertinents faisant autorité.
Le mémoire descriptif montre que d’autres modèles à croisement double de la MA peuvent être obtenus en suivant cette méthodologie et en utilisant différentes mutations exprimables – une dans la PS1 qui influe sur la production de la substance amyloïde et un autre dans l’APP qui influe sur la production de la substance amyloïde.
[38] Après avoir examiné le mémoire descriptif, nous reconnaissons que la personne versée dans l’art n’aurait besoin que des compétences usuelles pour mettre en pratique les réalisations de l’invention qui n’ont pas été mentionnées dans l’exemple. La personne versée dans l’art suivrait les mêmes étapes et procédures décrites dans l’exemple, mais les modifierait en conséquence lorsqu’elle voudrait utiliser d’autres transgènes mutants de l’APP et/ou de la préséniline que ceux cités dans l’exemple. Pour ce faire, elle devrait effectuer un choix parmi d’autres transgènes possibles, les insérer à la place des gènes existants dans des construits génétiques, générer des lignées parentales transgéniques, sélectionner parmi ces lignées parentales celles qui expriment les gènes voulus en utilisant les méthodes décrites, croiser les lignées parentales, puis sélectionner le descendant résultant. Toutes ces étapes sont dépeintes dans le mémoire descriptif et/ou sont connues en général par les personnes versées dans l’art.
[39] Faute de motifs justifiant le contraire, nous devons conclure que les revendications sont réalisables dans toute leur portée.
[40] Compte tenu de nos conclusions au sujet de la description de l’invention et du caractère réalisable, nous concluons que les revendications refusées sont entièrement appuyées et que le mémoire descriptif est suffisant.
Question 2 : Prédiction valable
Principes juridiques
[41] L’article 2 de la Loi exige qu’une invention soit « utile ». De ceci découle la notion d’utilité.
[42] À la date de dépôt de la demande, il doit y avoir soit démonstration de l’utilité de l’invention, soit prédiction valable de l’utilité : voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 – « AZT ». En l’espèce, les revendications englobent des transgènes autres que les deux qui ont été cités expressément en exemple, c.-à-d. des modes de réalisation qui n’ont été ni préparés ni testés. Il y a donc absence de démonstration de l’utilité de ces modes de réalisation et la demanderesse doit se fonder sur une prédiction valable pour établir l’utilité dans toute la portée des revendications.
[43] La deuxième question est donc liée à la première en ce que la portée des revendications est encore une fois remise en cause. Il faut toutefois se rappeler que l’exigence d’une prédiction valable de l’utilité et l’exigence d’une divulgation suffisante sont séparées et distinctes : voir Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, au paragraphe 120.
[44] L’invention fondée sur une prédiction valable de l’utilité doit satisfaire à trois critères (AZT) :
(1) la prédiction doit avoir un fondement factuel;
(2) à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;
(3) il doit y avoir divulgation suffisante.
[45] Ces critères doivent être évalués en regard de l’utilité prévue :
[TRADUCTION] La présente invention concerne une méthode de préparation d’un modèle animal transgénique de pathologie accentuée et accélérée de la maladie d’Alzheimer (MA) et l’animal transgénique fabriqué à l’aide de cette méthode [page 7, lignes 2‑5].
[. . .]
Grâce au développement rapide du phénotype de la MA chez ces souris, on pourra étudier les questions mécanistes de la toxicité amyloïde et mesurer l’efficacité d’agents pouvant interagir avec certains aspects du phénotype de la MA [page 15, lignes 17‑22].
Analyse
Fondement factuel
[46] Il est dit dans la décision finale qu’« une personne versée dans l’art qui lit la présente demande ne dispose d’aucun fondement factuel pour prédire les mutations géniques qui posséderont le même phénotype à part la combinaison de la préséniline M146L et du précurseur de la protéine amyloïde K760N ou M671L ».
[47] Le fondement factuel présenté dans le mémoire descriptif à l’appui de l’utilité prévue inclurait, dans l’esprit de la personne versée dans l’art, les éléments suivants :
• connaissance de l’existence des gènes de l’APP et de la préséniline qu’on savait être associés à la MA
• connaissance de l’existence d’un certain nombre de mutations représentatives dans ces gènes, connaissance de leurs caractéristiques structurales et connaissance de leur propriétés phénotypiques résultantes
• divulgation d’un exemple de la préparation de souris transgéniques porteuses des gènes mutés APP695 K670N, M671L et préséniline M146L
• divulgation d’un effet synergique auparavant inconnu entre des transgènes mutants de l’APP et de la préséniline se traduisant par une pathologie complète et accélérée de la MA
• compréhension que le mode d’interaction entre les protéines APP et préséniline et que la façon précise dont elles interagissent pour entraîner la MA n’étaient pas connus
• conscience que le fondement moléculaire de la MA n’avait pas été complètement élucidé au moment du dépôt de la demande et que la maladie demeure encore aujourd’hui mystérieuse
Raisonnement clair et valable
[48] L’exemple divulgué dans le mémoire descriptif joue un rôle clé dans la prédiction des inventeurs. Il inclut des données statistiquement valides provenant d’expériences génétiques, histochimiques et comportementales menées sur des souris transgéniques porteuses d’une double mutation de même que sur des groupes témoins comprenant des souris non transgéniques porteuses d’une seule mutation. La personne versée dans l’art accepterait la revendication des inventeurs selon laquelle il existait un effet synergique entre les deux transgènes chez les souris porteuses de la double mutation.
[49] Combinant ces renseignements avec les autres faits pertinents, la personne versée dans l’art reconnaîtrait également que l’extrapolation de ces résultats à des classes plus larges de mutants de l’APP et de la présélinine serait logique et raisonnable. Il est vrai que l’exemple décrit l’utilisation d’un seul mutant de l’APP combiné à un seul mutant de la préséniline, mais le fait que d’autres mutants cadrant bien avec ceux décrits dans la revendication existaient déjà indique que les prédictions des inventeurs n’ont pas une portée si grande qu’elles en deviennent déraisonnables.
[50] S’il est vrai que beaucoup de choses étaient inconnues et imprévisibles dans le domaine de la recherche sur la MA au moment où les inventeurs ont fait leur découverte, il ne faut pas oublier que la prédiction valable n’implique pas une certitude et qu’elle autorise une certaine indulgence si l’absence d’utilité est subséquemment établie dans le domaine en cause.
Divulgation suffisante
[51] Il ne semble pas y avoir divulgation insuffisante ni du fondement factuel ni du raisonnement des inventeurs – ils seraient tous les deux évidents pour la personne versée dans l’art à la lecture du mémoire descriptif.
[52] Les trois critères étant remplis, nous concluons donc que la prédiction que les inventeurs ont faite de l’utilité est valable dans toute la portée des revendications.
Conclusions et recommandation
[53] Nous donnons raison à la demanderesse sur les deux questions et concluons que les revendications refusées sont conformes à l’article 84 des Règles, au paragraphe 27(3) de la Loi et à l’article 2 de la Loi. Nous recommandons que le commissaire informe la demanderesse que les questions soulevées dans la décision finale ont été tranchées en sa faveur.
Ed MacLaurin Marcel Brisebois Paul Sabharwal
Membre Membre Membre
Décision du commissaire
[54] J’accepte la recommandation de la Commission et déclare que les questions soulevées dans la décision finale ont été réglées.
Sylvain Laporte
Commissaire aux brevets
Fait à Gatineau (Québec)
Le 3 novembre 2011