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Commissioner’s Decision #1323

Décision du Commissaire #1323

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TOPIC: B20, B22, C00, G00

SUJET : B20, B22, C00, G00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Application No. : 2,308,623

Demande no : 2,308,623

 

                                                                                                                                                           



 

 

 

 

 

 

 

BUREAU DES BREVETS DU CANADA

 

 

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

 

Ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, la demande de brevet numéro 2,308,623 a donc fait l’objet d’une révision par la Commission d’appel des brevets et le commissaire aux brevets, conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets. Voici les conclusions de la Commission et la décision du commissaire :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent pour la demanderesse :

 

Piasetzki & Nenniger LLP

120, rue Adelaide Ouest, bureau 2308

Toronto (Ontario)

M5H 1T1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Introduction

 

[1]   La présente décision porte sur l’examen du refus de la demande de brevet nº  2,308,623.

 

[2]   La demanderesse est le New York Blood Center, Inc., l’inventeur est Marion E. Reid et l’invention est intitulée « PROCÉDÉ D’ÉLABORATION D’ANTICORPS MONOCLONAUX À L’AIDE D’ANIMAUX TRANSGÉNIQUES POLYMORPHES ».

 

Contexte

 

[3]   La demande refusée concerne une méthode de fabrication d’anticorps qui sont spécifiques d’une forme unique d’une protéine polymorphe. La méthode comporte l’utilisation d’animaux transgéniques qui expriment différentes formes d’une protéine humaine appelée protéine « Duffy ». Les différentes formes sont appelées polymorphes « Fya » et « Fyb » et sont présentes naturellement à la surface des globules rouges. Une fois immunisé par le polymorphe Fyb, un animal transgénique exprimant la protéine Duffy Fya devrait produire des anticorps spécifiques de l’épitope particulier au polymorphe Fyb, et vice versa. Une telle chose est possible parce que le système immunitaire de l’animal transgénique a développé une tolérance au polymorphe Fya mais non à l’épitope unique particulier au polymorphe Fyb. Ainsi, seul l’épitope unique est reconnu comme étranger et tout anticorps produit aurait une spécificité prédéfinie et serait capable de distinguer les deux polymorphes. De tels anticorps seraient utiles pour les tests sanguins avant les transfusions.

 

[4]   Avant le dépôt de la présente demande, il était impossible de produire des anticorps monoclonaux capables de distinguer les deux formes polymorphes de la protéine « Duffy » en utilisant les protocoles établis. Il était possible de préparer des antisérums spécifiques de l’un ou l’autre polymorphe, mais seulement en utilisant des sérums humains – ce qui a soulevé des questions relativement au contrôle de la qualité et au confinement des dangers biologiques. Les méthodes divulguées permettent de produire des antisérums très spécifiques chez des animaux et non seulement des humains et de produire des anticorps monoclonaux dirigés contre l’un ou l’autre des polymorphes.

 

Historique du traitement de la demande

 

[5]   La demande d’enregistrement en cause a été déposée le 14 novembre 1997 et a fait l’objet d’une demande d’examen le 2 octobre 2002.  L’examinateur saisi de la demande a rédigé deux rapports et a par la suite rendu une décision finale le 20 décembre 2007.  Dans sa décision finale, l’examinateur a rejeté la demande, concluant que toutes les revendications avaient une portée plus étendue que l’enseignement de la description, en contravention de l’article 84 des Règles sur les brevets et du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[6]   Dans sa réponse du 11 juin 2008 à la décision finale, la demanderesse n’a apporté aucune modification à la demande, et a rejeté avec respect les arguments de l’examinateur. Selon ce dernier, la réponse de la demanderesse ne corrigeait pas les irrégularités signalées dans la décision finale. Le résumé des motifs a donc été transmis à la Commission d’appel des brevets et un exemplaire a été expédié à la demanderesse le 19 février 2009.  La demanderesse a présenté des observations écrites additionnelles dans une lettre datée du 25 mars 2009.

 

[7]   La demanderesse a refusé l’invitation de la Commission qui lui offrait la possibilité de se faire entendre et n’a présenté aucune autre observation. En conséquence, la Commission a procédé à l’examen du refus en se fondant sur le dossier du Bureau.


 

Revendications en litige

 

[8]   La demande contient les revendications relatives au produit 5 et 6, ainsi que celles relatives à la méthode 1 à 4 et 7 à 11. Toutes les revendications sont en litige.  Les revendications 1, 5, 6 et 7 sont représentatives :

 

[traduction]

1. Procédé délaboration dun anticorps, comportant : la production dune première souris transgénique dont les cellules somatiques et germinales comprennent une séquence  polynucléotidique codant un polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb et dont les cellules somatiques expriment lun ou lautre des polymorphes Fya ou Fyb codés par le polynucléotide; la production dune seconde souris transgénique dont les cellules somatiques et germinales comprennent une séquence polynucléotidique codant le polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb non contenu dans la première souris transgénique et dont les cellules somatiques expriment le polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb non exprimé dans la première souris transgénique, la deuxième souris transgénique et la première souris transgénique étant syngéniques; limmunisation de la première souris transgénique à laide de cellules de la seconde souris transgénique pour induire une réponse immunitaire chez la première souris transgénique, une cellule lymphoïde de la première souris transgénique produisant un anticorps spécifique dun épitope du polymorphe de la protéine Duffy humaine exprimé par les cellules somatiques de la seconde souris transgénique; et lisolement de cet anticorps.

 

5. Une cellule dhybridome qui produit des anticorps spécifiques dun polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb, préparé au moyen dune méthode comportant : la production dune première souris transgénique dont les cellules somatiques et germinales comprennent une séquence polynucléotidique codant un polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb et dont les cellules somatiques expriment lun ou lautre des polymorphes Fya ou Fyb codés par le polynucléotide; la production dune seconde souris transgénique dont les cellules somatiques et germinales comprennent une séquence polynucléotidique codant le polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb non contenu dans la première souris transgénique et dont les cellules somatiques expriment le polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb non exprimé dans la première souris transgénique, la deuxième souris transgénique et la première souris transgénique étant syngéniques; limmunisation de la première souris transgénique à laide de cellules de la seconde souris transgénique pour induire une réponse immunitaire chez la première souris transgénique, une cellule lymphoïde de la première souris transgénique produisant un anticorps spécifique dun épitope du polymorphe de la protéine Duffy humaine exprimé par les cellules somatiques de la seconde souris transgénique; lisolement chez la première souris transgénique dune cellule lymphoïde qui produit ledit anticorps; et la fusion de la cellule lymphoïde produisant lanticorps avec une cellule immortelle pour obtenir une cellule dhybridome qui produit des anticorps spécifiques dun polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb.

 


6. Un anticorps spécifique dun polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb, préparé au moyen dune méthode comportant : la production dune première souris transgénique dont les cellules somatiques et germinales comprennent une séquence polynucléotidique codant un polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb et dont les cellules somatiques expriment lun ou lautre des polymorphes Fya ou Fyb codés par le polynucléotide; la production dune seconde souris transgénique dont les cellules somatiques et germinales comprennent une séquence polynucléotidique codant le polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb non contenu dans la première souris transgénique et dont les cellules somatiques expriment le polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb non exprimé dans la première souris transgénique, la deuxième souris transgénique et la première souris transgénique étant syngéniques; limmunisation de la première souris transgénique à laide de cellules de la seconde souris transgénique pour induire une réponse immunitaire dans la première souris transgénique, les lymphocytes de la première souris transgénique produisant un anticorps spécifique dun épitope du polymorphe de la protéine Duffy humaine exprimé par les cellules somatiques de la seconde souris transgénique; et lisolement de cet anticorps.

 

7. Procédé délaboration dun anticorps comportant les étapes suivantes : la production dune souris transgénique dont les cellules somatiques et germinales comprennent une séquence polynucléotidique codant un polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb et dont les cellules somatiques expriment le polymorphe Fya ou Fyb codé par le polynucléotide; limmunisation de la souris transgénique à laide du polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb, non exprimé par la souris transgénique pour induire une réponse immunitaire chez cette souris transgénique, une cellule lymphoïde de la première souris transgénique produisant un anticorps spécifique dun épitope du polymorphe de la protéine Duffy humaine non exprimé par la souris transgénique; et lisolement de cet anticorps.

 

Les questions en litige

 

[9]   En ce qui concerne la décision finale, les arguments soulevés en réponse à cette décision, le résumé des motifs et les observations de la demanderesse, reçues le 25 mars 2009, la Commission doit trancher deux questions :

 

(1) Étant donné que l’utilité des méthodes revendiquées n’avait pas encore été démontrée à la date du dépôt de la demande, la méthode visée  par les revendications va-t-elle au-delà de la prédiction valable?

 

(2) La divulgation est-elle suffisante de telle sorte que les revendications de produit n’excèdent pas ce qui a été décrit comme réalisable dans le mémoire descriptif? 

 

Fondements et principes juridiques pertinents

 

[10]     En ce qui concerne la première question, la nature de l’irrégularité reprochée soulève également la question de l’utilité de l’invention, même s’il n’en est pas précisément fait mention dans la décision finale. L’obligation d’utilité de l’invention figure à l’article 2 de la Loi :

 

«  invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de lun deux, présentant le caractère de la nouveauté et de lutilité.

 

[11]     Selon le test établi dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, (Wellcome), une invention fondée sur une prédiction valable d’utilité doit satisfaire à trois exigences :

 

(1) la prédiction doit avoir un fondement factuel;


(2) à la date de demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

(3) il doit y avoir divulgation suffisante.

 

[12]     La date pertinente pour l’examen du caractère valable d’une prédiction est au plus tard la date de dépôt de la demande de brevet (voir Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, 43 C.P.R. (4th) 161, au par. 164; décision confirmée sur ce point par 2006 CAF 64, 46 C.P.R. (4th) 401, au par. 30).

 

[13]     La deuxième question est plus directement liée aux exigences des dispositions de l’article 84 des Règles sur les brevets et du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[14]     L’article 84 des Règles sur les brevets est ainsi rédigé :

 

Les revendications sont claires et concises et se fondent entièrement sur la description, indépendamment des documents mentionnés dans celle‑ci.

 

et le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets est ainsi formulé :

 

Le mémoire descriptif doit :

 

a)  décrire dune façon exacte et complète linvention et son application ou exploitation, telles que les a conçues linventeur;

 

b)  exposer clairement les diverses phases dun procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou dutilisation dune machine, dun objet manufacturé ou dun composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans lart ou la science relève linvention, ou dans lart ou la science qui sen rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser linvention; 

c)  sil sagit dune machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu lapplication;

 

d)  sil sagit dun procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer linvention en cause dautres inventions.

 

 

 

[15]     Le caractère suffisant de la divulgation s’attache principalement à deux questions que font ressortir les dispositions des alinéas 27(3)a) et 27(3)b) de la Loi sur les brevets (voir Consolboard c. MacMillam Bloedel, [1981] 1 R.C.S. 504, p. 526, 56 C.P.R. (2d) 145, p. 157) : En quoi consiste l’invention? Comment fonctionne‑t‑elle? Pour chacune de ces questions, la description doit être exacte et complète de sorte qu’une fois la période de monopole terminée, le public puisse, à partir du seul mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur, à l’époque de la demande, et cela, sans avoir à faire montre d’un esprit inventif ni à procéder à une expérimentation excessive.

 


[16] Les deux questions en litige dans le présent appel (voir le paragraphe [9]) reposent sur les obligations en matière de divulgation. Après que la décision finale eut été rendue, la Cour d’appel fédérale a indiqué que les exigences de divulgation liées à la prédiction valable et celles qui sont par ailleurs prescrites à d’autres égards, devraient être traitées de façon distincte (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, au par. 120).

 

Analyse et conclusions        

 

Prédiction valable en ce qui concerne les méthodes revendiquées

 

[17] La première question qui se pose est de savoir si la prédiction de la demanderesse en ce qui concerne les méthodes revendiquées seulement est valable. Rien dans la décision finale ne remet en question l’utilité prévue des produits revendiqués dans les revendications 5 et 6 (c.‑à‑d. anticorps anti‑Fya ou anti‑Fyb et hybridomes capables de produire des anticorps monoclonaux).

 

[18]     L’extrait suivant de la décision finale décrit, en partie, la position de l’examinateur en ce qui a trait à l’absence de prédiction valable pour les méthodes revendiquées :

 

[traduction]

Comme la demanderesse na produit ni danticorps ni dhybridomes, une personne versée dans lart ne peut sappuyer sur aucun fondement pour prédire que la méthode exposée dans lesdites revendications permettra de produire les anticorps dirigés contre les épitopes qui sont spécifiques des formes polymorphes Fya ou Fyb de la protéine Duffy.

 

[19]     La demande a été refusée parce qu’on pense que les animaux transgéniques immunisés conformément aux méthodes revendiquées ne réagiront probablement pas de la manière prévue. Conformément à la pratique du Bureau à la date de la décision finale, l’examinateur jugeait que le problème était strictement lié à l’absence d’exemples à l’appui du procédé (c.‑à‑d. aucun exemple dans la divulgation n’établit qu’un anticorps monoclonal a été efficacement produit à l’aide du procédé revendiqué). Il s’ensuit que dans son évaluation du fondement factuel, l’examinateur se limite à établir l’absence d’une démonstration convaincante des méthodes revendiquées. L’examinateur n’a donc pas fourni de données probantes à l’appui de l’inutilité ni d’argument logique indiquant pourquoi on ne peut prédire de façon valable que la méthode permettrait de produire les anticorps définis. Bien que l’absence de divulgation même d’une seule réalisation de l’invention ayant réellement fonctionné soit un fait pertinent, ce n’est pas cependant le seul point à considérer.

 

[20]     Dans sa réponse à la décision finale et dans ses observations en date du 25 mars 2009, la demanderesse a répondu aux arguments de l’examinateur. En résumé, voici ce que la demanderesse a fait valoir :

 

Selon la décision Re Institut Pasteur (1995), 76 C.P.R. (3d) 206, décision du commissaire no 1206 (Pasteur), il est possible de présenter des éléments de preuve après la date de demande de brevet pour confirmer que l’invention, telle que décrite dans la demande d’enregistrement, était réellement opérationnelle.

 

L’examinateur n’a fourni aucune preuve établissant que la méthode revendiquée de fabrication d’un anticorps n’était pas valable au moment du dépôt de la demande de brevet, cet argument étant étayé par le fait que l’inventeur a par la suite déposé des éléments de preuve démontrant que les méthodes décrites étaient valables, raisonnables et produisaient les résultats promis.

 


Les présentes revendications de la méthode sont fondées sur une prédiction valable et ces revendications ne vont pas au-delà des limites à l’intérieur desquelles la prédiction demeure valable.

 

[24]     Lorsque l’utilité promise n’est pas établie au moyen d’une démonstration au moment de la demande de brevet, la confirmation après le coup de l’utilité de l’invention alléguée ne suffit pas à étayer l’utilité prédite mais non démontrée; l’argument contraire présenté par la demanderesse a précisément été rejeté par la Cour suprême du Canada dans Wellcome, aux paragraphes 46 et 83 :

 

À moins que linventeur ne soit en mesure détablir, au moyen dune démonstration ou dune prédiction valable, lutilité de linvention au moment de la demande de brevet, le commissaire est tenu « en droit » de refuser le brevet.         

 

                   [...]

 

La population a droit à un enseignement exact et utile en contrepartie du monopole que lui impose le brevet.  Les revendications du brevet doivent être étayées par la divulgation. Les spéculations, même si elles savèrent justifiées après coup, ne constituent pas une contrepartie valable. [Nous soulignons]

 

[25]     Ainsi, le fait que la méthode a été efficacement utilisée après la date de dépôt pour produire des anticorps spécifiques du polymorphe Fya n’aide pas à déterminer si la prédiction était valable à la date de dépôt.

 

[26]     Le mémoire descriptif donne à penser que l’immunisation croisée d’animaux transgéniques exprimant la protéine Duffy Fya au moyen de l’antigène Fyb (ou de cellules exprimant Fyb) produira des anticorps spécifiques de la forme Fyb, et vice versa.

 

[27]     Pour que l’objet des revendications 1 à 4 et 7 à 11 satisfasse au critère de la prédiction valable, le mémoire descriptif doit fournir une assez bonne description permettant à la personne versée dans l’art de prédire de façon valable, à partir de cette description,  que les méthodes dont il est question produiront les anticorps souhaités lorsqu’elles seront appliquées.

 

[28]     Les faits pertinents en ce qui concerne la production d’anticorps spécifiques des polymorphes Fya ou Fyb, tels que divulgués dans le mémoire descriptif, sont les suivants :

 

(1)  Toutes les tentatives antérieures en vue de produire des anticorps spécifiques du polymorphe de la protéine Duffy Fya ou Fyb en utilisant comme immunogènes des globules rouges humains, des protéines Duffy ou des peptides enrichis ont échoué.

 

(2)  Le système immunitaire d’une souris transgénique qui exprime un allo‑antigène polymorphe donné tolère cet allo‑antigène.

 

(3)  Le système immunitaire d’un individu exprimant un polymorphe particulier de la protéine Duffy tolère les globules rouges d’un donneur exprimant le même polymorphe, mais il produit une réponse immunitaire indésirable contre les globules rouges du donneur exprimant l’autre polymorphe (autrement dit, le sang d’individus porteurs de Fya et de Fyb n’est pas compatible). Le système immunitaire humain est donc naturellement capable de distinguer les polymorphes de la protéine Duffy Fya et Fyb.


 

(4)  La production efficace d’une souris transgénique qui exprime le polymorphe Fyb est illustrée dans le mémoire descriptif. Une analyse sérologique a également montré que chez la souris transgénique Fyb, le polymorphe Fyb était [traduction] « replié dans la membrane [des globules rouges] de la souris préservant sa structure conformationnelle native (c.‑à‑d. humaine) et ses sites antigéniques » (voir page 15, lignes 24 à 26).

 

(5)  Aucune considération technique ne limite l’utilisation d’une souris transgénique exprimant un allo‑antigène pour produire des hybridomes et des anticorps spécifiques au moyen des techniques bien connues de préparation d’anticorps et d’hybridomes, si ce n’est l’incapacité bien établie du système immunitaire de la souris de produire des anticorps dirigés contre ses auto‑antigènes, y compris contre l’allo‑antigène exprimé de façon transgénique.

 

(6)   Le mémoire descriptif ne divulgue pas, dans son intégralité, l’exécution réussie d’une méthode visée par les revendications. Aucun exemple d’anticorps n’est divulgué qui pourrait indiquer qu’au moins une méthode s’est avérée efficace lorsqu’elle a été mise en pratique.

 

[29]     Selon la demanderesse, un raisonnement est présenté à partir de la ligne 21 de la page 12 jusqu’à la ligne 6 de la page 13 du mémoire descriptif :

 

 

[traduction]

Les gènes qui codent les antigènes Fya et Fyb ont été clonés. Nous avons produit des souris transgéniques dont les GR [globules rouges] expriment le phénotype Fy(a‑b+) humain, en injectant de lADN génomique dans des zygotes de souris. Ces connaissances peuvent être utilisées pour produire des souris transgéniques exprimant le phénotype Fy(a+b‑) humain. La progéniture de ces souris transgéniques devrait être porteuse des antigènes Fya ou Fyb humains sur leurs GR. Des globules rouges isolés dans un groupe de souris transgéniques sont utilisés pour immuniser lautre groupe. Il est ainsi  possible de contourner le problème lié au fait que certains antigènes peuvent uniquement induire une réponse immunitaire chez des proches parents, mais pas chez une espèce inférieure. De plus, cette approche limite beaucoup la contamination des anticorps obtenus par injection de GR humains chez des souris. Ce qui est peut‑être encore plus important, cest que la seule différence entre les GR de la souris transgénique immunisée et les GR des souris transgéniques utilisées comme immunogènes est lantigène Duffy. Il est donc fort probable que la souris produira une réponse immunitaire dirigée contre le polymorphisme Fya ou Fyb. Après limmunisation, des cellules de la rate des souris immunisées sont isolées, puis fusionnées avec des cellules de myélome et traitées par une technique dhybridome classique pour sélectionner les hybrides sécrétant des anticorps anti‑Fya et anti‑Fyb. De tels AcM seront utiles comme réactifs pour remplacer les antisérums humains dans les typages sanguins et létude de la topologie et du fonctionnement de la  glycoprotéine Duffy.

 


[30]     En se fondant sur ce passage, la personne versée dans l’art comprendrait le raisonnement derrière l’invention alléguée : vu que les souris transgéniques Fyb tolèrent Fyb et que les souris transgéniques Fya tolèrent Fya et que l’épitope particulier à l’autre forme polymorphe de la protéine Duffy est la seule cible immunogénique disponible, on peut prédire de façon valable qu’après l’immunisation de ces souris transgéniques au moyen de globules rouges transgéniques exprimant l’autre polymorphe de la protéine Duffy, le système immunitaire de ces souris devrait produire des anticorps dirigés contre les antigènes Fya ou Fyb.

 

[31]     En outre, la personne versée dans l’art comprendrait que l’utilisation de globules rouges transgéniques permettrait d’obtenir une conformation native des épitopes Fya et Fyb et d’éviter les problèmes potentiels associés à l’utilisation comme immunogènes de protéines Duffy ou de peptides enrichis. La description indique que les épitopes Fya et Fyb ne sont correctement présentés que si la protéine Duffy est au milieu de la membrane cellulaire (voir page 10, lignes 14 à 16 et lignes 24 à 25). Ainsi, l’inventeur aborde directement, dans son raisonnement, la question des échecs antérieurs.

 

[32]     Étant donné que le système immunitaire humain est naturellement capable de distinguer les polymorphes Fya et Fyb de la protéine Duffy conformément aux mêmes mécanismes immunologiques fondamentaux qui interviennent dans la méthode décrite, la personne versée dans l’art s’attendrait, en l’absence d’indications contraires, qu’un anticorps produit par un autre système immunitaire de mammifère agisse de la même façon si l’hôte exprime une forme polymorphe de la protéine Duffy humaine différente de celle exprimée par les cellules immunisantes de donneur.

 

[33]     Compte tenu des faits énumérés au paragraphe [25] et du raisonnement exposé aux paragraphes [27] à [29], ainsi que de l’absence de justification scientifique qui réfuterait ce raisonnement, la Commission juge que la divulgation présentée dans le mémoire descriptif est adéquate : la personne versée dans l’art ayant lu cette divulgation pourrait avoir prédit de façon valable que les méthodes décrites dans les revendications 1 à 4 auraient produit un anticorps spécifique du polymorphe Fya ou Fyb de la protéine Duffy humaine.

 

[34]     Les revendications 7 à 9 et 11 englobent toutefois des méthodes où la souris transgénique est immunisée au moyen d’une forme polymorphe de la protéine Duffy qui n’a pas nécessairement été exprimée à la surface d’une cellule. Or, il est dit dans la description que le maintien d’une conformation native de la protéine Duffy sur la membrane cellulaire est une condition probablement nécessaire pour produire correctement les épitopes Fya et Fyb, ce qui pourrait expliquer, en partie, l’échec des tentatives précédentes.

 

[35]     La revendication dépendante 10, qui comprend le passage suivant [traduction] « la forme polymorphe de la protéine Duffy humaine Fya ou Fyb non exprimée par cette souris transgénique étant exprimée sur une membrane cellulaire », englobe une méthode où la souris transgénique est immunisée au moyen d’une forme polymorphe de la protéine Duffy exprimée à la surface d’une cellule de n’importe quelle origine, pas nécessairement une cellule murine. La description montre cependant clairement qu’il est essentiel de réduire au minimum les cibles immunogènes pour que la méthode décrite ait l’utilité prédite. Le mémoire descriptif ne présente donc pas de fondement factuel ni de raisonnement valable à l’appui de l’utilisation d’une autre membrane de cellule immunisante de donneur qu’une membrane de cellule murine.

 


[36]     Le raisonnement ci‑dessus demeure par conséquent valable tant et aussi longtemps que la méthode revendiquée se limite à l’utilisation de cellules murines exprimant la forme polymorphe de la protéine Duffy humaine pour l’immunisation. La Commission juge donc que la personne versée dans l’art qui prendrait connaissance de la présente divulgation n’aurait pas pu prédire de façon valable que les méthodes des revendications 7 à 11 produiraient un anticorps spécifique du polymorphe Fya ou Fyb de la protéine Duffy humaine vu que, selon ces revendications, l’antigène Fy peut être présenté dans une conformation non native (revendications 7 à 9 et 11) ou sur une membrane de cellule non murine (revendication 10).

 

Caractère suffisant de la divulgation relative aux  anticorps et aux  hybridomes

 

[37]     Se fondant sur la décision Pasteur, l’examinateur affirme principalement qu’il est nécessaire de citer des exemples à l’appui des revendications relatives aux lignées cellulaires d’hybridomes et aux anticorps monoclonaux comme nouveaux produits.

 

[38]     La demanderesse a indiqué que la décision Pasteur n’impose pas de façon générale que les produits soient étayés par des exemples spécifiques dans la demande, mais indique plutôt que le mémoire descriptif donne uniquement des instructions claires permettant aux personnes versées dans l’art de fabriquer et d’utiliser l’invention sans expérimentation excessive. De plus, la demanderesse a déclaré qu’à la date de dépôt de la présente demande, soit le 14 novembre 1997, la méthodologie pour la préparation d’anticorps et d’hybridomes était bien connue et qu’une personne versée dans l’art aurait été en mesure à cette époque de prédire que les méthodes décrites dans la présente demande permettraient de produire les anticorps et les hybridomes revendiqués.

 

[39]    Il n’est pas nécessaire de divulguer des exemples pratiques spécifiques de chaque réalisation d’une invention visée par les revendications pour satisfaire aux exigences de l’article 84 des Règles sur les brevets et du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. L’objet revendiqué doit cependant être suffisamment divulgué. Autrement dit, le mémoire descriptif doit décrire adéquatement l’objet revendiqué et lui conférer un caractère réalisable.

 

i) Description écrite : Quelle est votre invention?

 

[40]     Pour ce qui est de l’exigence relative à la description écrite, le commissaire a jugé  que, dans les cas où un nouveau polypeptide cible a été bien caractérisé, le demandeur pouvait validement revendiquer des anticorps monoclonaux spécifiques du polypeptide même si le mémoire descriptif ne fournit pas d’exemples à l’appui, pourvu que le mémoire descriptif satisfasse également aux autres dispositions de la Loi (p. ex., l’exigence relative au caractère réalisable).

 

[41]    Le mémoire descriptif fournit une description écrite adéquate des polymorphes Fya et Fyb cibles de la protéine Duffy. Les structures de ces formes polymorphes particulières sont connues dans le domaine et sont entièrement caractérisées. La demanderesse a donc décrit de façon correcte et complète le genre des anticorps correspondants qui sont spécifiques des polymorphes Fya et Fyb.

 

ii) Exigence relative au caractère réalisable : Comment fonctionne linvention?

 

[42]    Alors que le principe de la prédiction valable veut que la personne versée dans l’art puisse prédire que l’invention revendiquée fonctionnera en pratique, la deuxième exigence précisée à l’alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets vise à s’assurer que le mémoire descriptif fournit suffisamment d’information pour réaliser l’invention revendiquée de sorte que la personne versée dans l’art puisse mettre en pratique l’invention sans avoir à faire montre d’un esprit inventif ni à procéder à une expérimentation excessive.

 


[43] Bien que nous ayons conclu que la personne versée dans l’art aurait pu avoir prédit de façon valable que les méthodes décrites dans les revendications 1 à 4 auraient produit un anticorps spécifique des antigènes polymorphes Fya ou Fyb de la protéine Duffy humaine, il reste à déterminer si l’invention présumée nécessite une expérimentation excessive ou une adaptation indue des principales étapes connues de la préparation des anticorps ou des hybridomes.

 

[44]     À la lumière de la décision Pasteur et de la décision finale à l’égard de la présente demande, le commissaire a examiné plusieurs cas où les renseignements relatifs aux anticorps posaient des problèmes, notamment la décision de la commissaire no 1283, Affaire intéressant la demande de Central Sydney Area Health Service (2008), la décision de la commissaire no 1302, Affaire intéressant la demande de Immunex (2010), et la décision du  commissaire no 1307, Affaire intéressant la demande de Genentech Inc. (2010). Dans tous les cas, aucun exemple pratique des anticorps ou des hybridomes revendiqués n’a été fourni dans la description, mais les commissaires ont décidé que les revendications relatives à ces produits étaient suffisamment étayées.

 

[45]     En ce qui concerne l’exigence relative au caractère réalisable énoncée à l’alinéa 27(3)b), il a été jugé en fait dans ces affaires, dès 1998, date antérieure à la date de mise à la disposition du public de la présente demande, que les principales étapes de la production d’un anticorps monoclonal murin étaient bien connues et fiables de sorte qu’une expérimentation longue et importante ne serait pas en général nécessaire pour que la personne versée dans l’art fabrique un anticorps monoclonal capable de se lier à un antigène donné. Dans toute situation, il est utile d’examiner les points suivants :

 

(i) Existe-t-il une description du polypeptide et connaît‑on son immunogénicité réelle ou prévue?

(ii) Est-ce que la portée d’une revendication d’anticorps concernant le polypeptide est appropriée?

(iii) Quelle est la disponibilité et/ou la facilité de production du polypeptide?

(iv) Est-ce qu’un anticorps monoclonal a vraiment été préparé?

(v) Est-ce que des cas de succès ou d’échec ont été inscrits au dossier?

(vi) Existe-t-il au dossier des indications de nécessité d’une expérimentation excessive ou d’une adaptation indue des étapes de base connues de la préparation d’anticorps monoclonaux?

(vii) Existe-t-il au dossier des indications d’une non‑reproductivité d’une méthode réelle ou proposée de préparation d’anticorps monoclonaux?

 

[46]     Voici ce qui ressort de façon bien évidente de ces considérations : la description à la page 2, lignes 9 à 18, à la page 10, lignes 16 à 25, et à la page 18, lignes 2 à 5, montre clairement que les tentatives précédentes en vue de produire les anticorps et les hybridomes revendiqués à l’aide des techniques connues ont échoué. Il s’ensuit directement que si l’on utilise les méthodes ordinaires de production d’anticorps et d’hybridomes, l’immunogénicité prévue de l’épitope cible de chaque polymorphe sera faible.

 


[47]     Le mémoire descriptif divulgue comment modifier la méthode généralement utilisée pour préparer les hybridomes et les anticorps afin d’éviter les échecs antérieurs et d’obtenir des anticorps spécifiques des polymorphes Fya et Fyb de la protéine Duffy. Ces modifications concernent essentiellement la nature de l’hôte qui est immunisé et la façon dont l’antigène est présenté à l’hôte. La méthode modifiée comporte l’utilisation d’animaux transgéniques exprimant le polymorphe Fya ou Fyb de la protéine Duffy pour une immunisation croisée à l’aide de globules rouges transgéniques exprimant le polymorphe pertinent. Les deux polymorphes Fya et Fyb de la protéine Duffy sont connus dans le domaine, et la personne versée dans l’art s’attendrait, en l’absence d’indications contraires, à obtenir ou à produire de façon systématique les acides nucléiques requis qui codent les polypeptides cibles.

 

[48]     Un exemple pratique de la production d’animaux transgéniques exprimant l’antigène Fyb de la protéine Duffy est divulgué dans la description. Cette dernière indique que la production d’animaux transgéniques exprimant l’antigène Fya de la protéine Duffy peut être adaptée directement de la méthode décrite pour produire des animaux transgéniques exprimant l’antigène Fyb de la protéine Duffy et montre de plus comment le faire. Rien dans le mémoire descriptif ni dans l’état de la technique n’évoque des difficultés techniques associées à la méthode proposée qui nécessiteraient une expérimentation excessive ou une adaptation indue.

 

[49]    Compte tenu des arguments ci‑dessus et des observations antérieures concernant la prédiction valable selon lesquels la méthode décrite permettrait de produire les hybridomes et anticorps souhaités, nous concluons que pour appliquer la méthode décrite, la personne versée dans l’art n’aurait pas à se livrer à une expérimentation inventive ou indue en vue d’obtenir l’anticorps et l’hybridome revendiqués qui sont envisagés par l’inventeur.

 

Conclusions

 

[50]     Nous concluons que les revendications 1 à 6 ne dépassent pas les limites d’une prédiction valable ni n’excèdent ce qui a été divulgué et réalisé. Les revendications 1 à 6 sont donc conformes à l’article 2 de la Loi sur les brevets et à l’article 84 des Règles sur les brevets, et le mémoire descriptif est conforme au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[51]     Nous concluons également que la personne versée dans l’art, qui aurait pris connaissance de la présente divulgation, n’aurait pas pu valablement prédire que les méthodes des revendications 7 à 11 permettraient de produire un anticorps spécifique du polymorphe Fya ou Fyb de la protéine Duffy humaine. Les revendications 7 à 11 ne sont donc pas conformes à la Loi sur les brevets. On peut cependant assurer leur conformité en incorporant l’objet de la revendication 10 dans la revendication 7 et en spécifiant que la membrane cellulaire est une membrane de cellule murine.

 


Recommandations

 

[52] Nous recommandons que la demanderesse soit informée, conformément à l’alinéa 31c) des Règles sur les brevets, que l’une des modifications suivantes, et seulement l’une d’elles, est nécessaire pour que la demande soit conforme à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets :

 

a) supprimer les revendications 7 à 11, ou

b) modifier la revendication 7 pour y inclure l’objet de la revendication 10 et spécifier que la membrane cellulaire est une membrane cellule murine, et rajuster la numérotation des revendications et des revendications dépendantes en conséquence.

 

 

 

 

 

 

Marcel Brisebois                Ed MacLaurin               Serge Meunier

Membre                               Membre                       Membre

 

 

Décision du commissaire

 

[53]     Je suis d’accord avec les conclusions et la recommandation de la Commission d’appel des brevets.  Par conséquent, j’invite la demanderesse à apporter l’une des modifications ci-dessus, et seulement l’une de ces modifications, dans les trois mois suivant la date de la présente décision, à défaut de quoi j’entends refuser la demande.

 

 

 

Sylvain Laporte

 

 

 

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec)

Le 8 mars 2012     

 

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