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Décision du Commissaire # 1312

Commissioner’s Decision # 1312

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : K10 (objet des demandes, matières vivantes)

TOPIC: K10 (patentable subject matter, living things)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

         Demande no       : 2,306,317

         Application No. : 2,306,317


 

 

 

 

 

 

 

 

Résumé de la décision de la commissaire

 

La demande en cause a été refusée puisque les produits revendiqués étaient considérés comme des tissus ou des organes ‑ objet qui n’entre pas dans la définition d'« invention » au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets. Après révision, il a été jugé que les produits revendiqués ne pouvait pas vraiment être considérés comme des organes ou des tissus. Il a donc été recommandé que le refus soit infirmé et que la demande soit acceptée. La commissaire a souscrit.

 


 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

 

DÉCISION DE LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

 

La demande de brevet no 2,306,317, ayant été refusée en vertu du paragraphe 30(3) des Règles sur les brevets, a fait l’objet d’une révision par la Commission d’appel des brevets et par la commissaire aux brevets conformément au paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets. Les conclusions de la Commission et la décision de la commissaire sont les suivantes :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent de la demanderesse :

 

Leger Robic Richard

Centre CDP Capital

1001, Square-Victoria

Bloc E, 8e étage

Montréal (Québec)

H2Z 2B7

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Introduction

 

La présente décision porte sur l’examen du refus de la demande de brevet no 2,306,317.

 

La demanderesse est L’Oréal, les inventeurs sont Hervé Pageon, Daniel Asselineau et Pierre Tachon, et l’invention s’intitule « Équivalent de peau âgée ».

 

Historique de la demande

 

La demande en cause a été déposée le 18 avril 2000 et comporte actuellement 47 revendications. L’examinatrice chargée de la demande a rendu une décision finale le 22 août 2007, date à laquelle certaines revendications de produits étaient jugées irrégulières en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets. Les revendications irrégulières visent des équivalents de derme âgé, des équivalents d’épiderme et des équivalents de peau âgée. La décision finale indique que les revendications irrégulières visent des tissus et des organes qui ne sont pas des compositions de matières, aux termes de la définition d’« invention » figurant à l’article 2 de la Loi.

 

Le 22 février 2008, la demanderesse a répondu à la décision finale et a soutenu que les revendications irrégulières visent un objet brevetable. Seules des modifications mineures ont été apportées à la description et aux revendications.

 

Selon l’examinatrice, la réponse de la demanderesse à la décision finale n’a pas surmonté le refus. La demande a donc été transmise à la Commission d’appel des brevets pour révision.

 

La question en litige

 

Nous devons déterminer si les revendications irrégulières visent un objet qui entre dans la définition d’« invention » au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets.

 

Contexte

 

La demande refusée concerne de nouveaux équivalents de peau qui peuvent servir de modèles pour tester des compositions qui pourraient renverser ou ralentir le processus de vieillissement de la peau. On peut également se servir de ces modèles pour étudier les phénomènes liés au vieillissement de la peau, comme l’apparition des rides et le photovieillissement. L’invention permet de ne pas avoir à utiliser de la vraie peau provenant de sources naturelles, ce qui peut constituer une préoccupation sur le plan éthique.

 

L’invention comporte deux composantes de base : un équivalent d’épiderme et un équivalent de derme âgé. La première comprend des kératinocytes alors que la deuxième comprend des fibroblastes et du collagène modifié. Les deux composantes sont décrites comme des produits préparés in vitro qui peuvent être combinés pour former un produit bicouche reproduisant la peau âgée.

 

En ce qui concerne l’équivalent d’épiderme, le mémoire descriptif indique que l’épiderme naturellement âgé comprend une protéine appelée « intégrine β1 » qui est répartie dans la plupart de ses couches. Pour reproduire cette caractéristique, il faut utiliser, selon le mémoire descriptif, un équivalent d’épiderme qui comprend des kératinocytes présentant une expression de l’intégrine β1 modifiée.

 


      En ce qui a trait à l’équivalent de derme âgé de l’invention, le mémoire descriptif indique que les fibroblastes peuvent être incorporés dans une lattice comprenant du collagène artificiellement « glyqué ». La « glycation » est un processus non enzymatique qui se produit naturellement dans de nombreux types de tissus du corps humain. La glycation fait partie du processus de vieillissement qui peut rendre une peau plus rigide et moins souple.

 

Les revendications

 

      Selon la décision finale, les revendications 1 à 14 sont irrégulières. Les revendications indépendantes 1, 8, 9 et 13 sont représentatives des revendications irrégulières.

 

      La revendication 1 porte sur une composante de l’invention : l’équivalent de derme âgé. Elle est rédigée comme suit :

 

1. Équivalent de derme âgé, comprenant au moins du collagène glyqué et des fibroblastes, caractérisé par le fait qu'il présente un taux de glycation compris entre 2 et 30, ledit équivalent de derme âgé étant produit in vitro.

 

      Les revendications 8 et 9 portent sur la deuxième composante de l’invention : l’équivalent d’épiderme. Ces revendications sont rédigées comme suit :

 

8. Équivalent d'épiderme comprenant au moins des kératinocytes, caractérisé par le fait qu'il est obtenu par ensemencement d'au moins des kératinocytes sur un équivalent de derme tel que défini dans l'une quelconque des revendications 1 à 7, ledit équivalent d'épiderme étant produit in vitro.

 

9. Équivalent d'épiderme comprenant au moins des kératinocytes, caractérisé par le fait qu'il présente une expression de l'intégrine β1 modifiée, ledit équivalent d'épiderme étant produit in vitro.

 

      La revendication 13 concerne un équivalent de peau âgée comprenant un équivalent d’épiderme et un équivalent de derme âgé :

 

13. Équivalent de peau âgée, caractérisé par le fait qu'il comprend au moins un equivalent d'épiderme tel que décrit dans l'une quelconque des revendications 8 à 12 et un équivalent de derme âgé tel que décrit dans l'une quelconque des revendications 1 à 7, ledit équivalent de peau étant produit in vitro.

 

La décision finale

 

      Dans sa décision finale, l’examinatrice explique pourquoi elle considère que l’objet revendiqué n’entre pas dans la définition d’invention au sens de l’article 2 de la Loi :

 

•   Les revendications ne sont pas limitatives et peuvent englober, ou ne peuvent être différenciées, de la peau, du derme et de l’épiderme naturels entre autres choses.

 

•   Les revendications visent des tissus et des organes même si ces revendications indiquent que les produits sont fabriqués in vitro.

 

•   La Cour suprême a établi que les formes de vie, comme les micro‑organismes, produits en grande quantité et de façon à posséder des caractéristiques uniformes, sont des objets brevetables. Toutefois, on ne peut en dire autant des plantes, des animaux, des organes et des tissus. Les organes et les tissus sont beaucoup plus complexes que les micro‑organismes puisqu’ils comprennent plusieurs types de cellules différenciées formant un réseau cellulaire hautement spécialisé.

 


•   Selon l’avis de pratique daté du 20 juin 2006 (l’avis de pratique), les tissus et les organes sont issus de processus complexes, dont certains éléments ne nécessitent aucune intervention humaine et ne sont pas constitués d’ingrédients ou de substances qui ont été combinés ou mélangés par une personne.

 

La réponse à la décision finale

 

      En réponse à la décision finale, la demanderesse a soumis en bref ce qui suit :

 

•   La décision finale repose sur l’avis de pratique du 20 juin 2006, qui indique que les tissus et les organes ne sont pas des objets brevetables. Toutefois, l’avis de pratique est fondé sur une interprétation erronée de l’arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, [Harvard] – un arrêt qui porte sur la brevetabilité des formes de vie supérieures. Un tissu ou un organe n’entre pas dans la définition de forme de vie supérieure. De plus, dans les arrêts Harvard et Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, la Cour suprême a indiqué qu’un oeuf fécondé est une composition de matières brevetable.

 

•   Les équivalents de peau, de derme et d’épiderme revendiqués sont manifestement issus d’un mélange d’ingrédients et de substances, et ce mélange nécessite une intervention humaine.

 

• Selon le dictionnaire, l’expression « in vitro » se rapporte à quelque chose qui survient dans un milieu « artificiel », en laboratoire, et le terme « artificiel » se rapporte à quelque chose qui est produit par une technique humaine, et non par la nature.

 

•   Il est indiqué que l’objet revendiqué est « équivalent » à des organes ou à des tissus et, par l’utilisation de ce terme, la personne versée dans l’art comprendrait que les tissus ou les organes naturels sont exclus de la portée des revendications.

 

•   Bien que des termes non limitatifs soient employés dans les revendications, ces dernières visent néanmoins des « équivalents » et, par définition, leur portée ne peut être élargie pour englober des tissus ou des organes naturels.

 

•   La demande s’adresse à une personne versée dans l’art, et cette personne estimerait que les revendications, au vu de la description, visent des produits qui ont les caractéristiques d’une peau âgée, qui miment la peau âgée ou qui servent de modèles de peau âgée.

 

Analyse

 

      La décision finale est fondée sur l’avis de pratique du 20 juin 2006, qui prévoit que les tissus et les organes ne sont pas des objets brevetables. Le libellé et le raisonnement de l’avis de pratique reprennent le raisonnement de l’arrêt Harvard. Par exemple, comparons le libellé de l’avis de pratique :

 

Le Bureau est également d'avis que les organes et les tissus ne sont pas des compositions de matières, aux termes de la définition d' « invention » figurant à l'article 2 de la Loi sur les brevets et, par conséquent, ne constituent pas de la matière susceptible d'être brevetée. Les organes et les tissus sont issus de processus complexes, dont certains éléments ne nécessitent aucune intervention humaine et ne sont pas constitués d'ingrédients ou de substances qui ont été combinés ou mélangés par une personne.

 

avec le paragraphe 162 de l’arrêt Harvard :

 


[l]e processus par lequel l'œuf fécondé devient une souris adulte est un processus complexe qui ne requiert, à aucun moment, une intervention humaine.  Le corps d'une souris est formé de divers ingrédients ou substances, mais il ne comporte pas des ingrédients ou des substances qui ont été combinés ou mélangés ensemble par une personne.

 

      Dans l’arrêt Harvard, la « nature de l’invention en cause » n’était pas contestée, contrairement au cas présent, puisqu’il était entendu que l’oncosouris était une forme de vie supérieure (voir le par. 150). La Cour devait trancher la question, qui requérait une simple décision sur un point de droit, de savoir si une forme de vie supérieure pouvait être considérée comme une « composition de matières » ou une « fabrication ».

 

      Dans le cas présent, la question dont nous sommes saisis soulève davantage une question de fait qu’une question de droit, et l’issue dépend largement de la détermination quant à la nature de l’invention. En ce qui concerne des conclusions de fait, la Cour suprême a indiqué au par. 151 de l’arrêt Harvard que le commissaire est bien placé pour décider si une forme de vie particulière doit être considérée comme une forme de vie supérieure ou inférieure.

 

      Ainsi, la même prérogative s’applique ici pour décider si l’objet revendiqué devrait être considéré comme un tissu ou un organe. En effet, l’avis de pratique indique qu’une certaine latitude existe lors de telles déterminations:

 

Si, par exemple, la question à trancher était de savoir si une forme de vie particulière comme un champignon doit être considérée comme une forme de vie supérieure ou inférieure, la décision du commissaire ferait probablement l'objet de retenue.  Comme nous l'avons vu, l'art. 40 de la Loi prévoit que c'est le commissaire qui doit s'être « assuré » qu'il n'y a pas lieu de délivrer un brevet.  Le cas échéant, en raison de l'expertise scientifique du commissaire, les tribunaux devraient faire preuve de retenue à l'égard de la décision dans laquelle il se dit assuré que la forme de vie en question tombe dans une catégorie d'objets brevetables.

 

      La question dont nous sommes saisis peut donc se restreindre à celle de savoir si l’objet revendiqué peut être considéré comme un organe artificiel et/ou un tissu artificiel issu principalement d’une intervention humaine.

 

      Les produits les plus complexes de la demanderesse sont ceux définis aux revendications 13 et 14. Ces revendications visent des équivalents de peau âgée et comprennent les deux composantes de l’invention : un équivalent d’épiderme tel que décrit dans l’une quelconque des revendications 8 à 12 et un équivalent de derme âgé tel que décrit dans l’une quelconque des revendications 1 à 7. Les composantes elles‑mêmes et la combinaison des deux sont toutes revendiquées comme étant des produits fabriqués in vitro. Le fait que tous les produits revendiqués sont issus de manipulations in vitro ressort clairement de la description qui indique que le derme âgé est fabriqué en générant d’abord une lattice comportant du collagène glyqué qui a lui‑même été préparé par une réaction chimique. Des fibroblastes sont ensuite mélangés au collagène et incubés. Le produit final est ensuite préparé en ensemençant des kératinocytes sur l’équivalent de derme âgé, suivi d’une période d’incubation pour permettre la prolifération des cellules. Toutes les étapes menant aux produits revendiqués sont effectuées in vitro, en laboratoire, par des scientifiques ou des techniciens.

 

      Bien que la nature in vitro de l'invention informe notre analyse, ce n'est pas nécessairement

le facteur clé. Les facteurs clés sont énoncés dans l’arrêt Harvard et exigent que la         complexité du processus et le degré d'intervention de l'homme soient examinés.

 


       Tous les ingrédients des produits revendiqués – que ce soit des fibroblastes, des kératinocytes ou du collagène – sont eux‑mêmes brevetables en soi et ont été combinés ou mélangés ensemble par une personne. Par conséquent, les produits les plus complexes de la demanderesse, les équivalents de peau âgée revendiqués, n’équivalent pas vraiment à un tissu ou à un organe au sens de l’avis de pratique ou de l’arrêt Harvard. La personne versée dans l’art comprendrait que les équivalents de peau âgée de la demanderesse ne pourraient se développer davantage – par un “processus complexe qui ne requiert, à aucun moment, une intervention humaine” – en des produits qui pourraient plus étroitement ressembler à de la vraie peau ou à de vrais tissus. Par conséquent, le cas présent se distingue de l’affaire Harvard.

 

      Pour visualiser le niveau élevé de complexité et d’organisation de la peau naturelle, on renvoie à l’illustration suivante (tirée de Gray’s Anatomy, droits d’auteur prescrits) :

 


 

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