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                                                                                                Décision de la Commissaire nº 1294

Commissioner’s Decision #1294

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUJET : A20

TOPIC : A20

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Demande nº : 2,388,770

Application no. : 2,388,770


 

 

 

SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE LA COMMISSAIRE

 

 

 

D.C. 1294       Demande nº 2,388,770

 

La présente demande est une demande complémentaire au brevet canadien nº 2,059,124,concernant des inhibiteurs peptidiques d’agrégation de plaquettes.  Dans la décision finale, l’examinatrice a rejeté la demande parce que ses revendications ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par les revendications de la demande de brevet principale.  La Commission a recommandé que le rejet soit confirmé.

 

La commissaire aux brevets a souscrit au point de vue de la Commission et la demande a été rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

BUREAU CANADIEN DES BREVETS

 

 

DÉCISION DE LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

 

 

 

 

 

La demande de brevet numéro 2,388,770 ayant été rejetée aux termes du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets, elle a été réexaminée.  La Commission d’appel des brevets et la commissaire aux brevets ont examiné le rejet.  Voici leurs conclusions :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agent de la demanderesse

 

Battison Williams Dupuis

C.P. 28006

1795 Henderson Highway

Winnipeg (Manitoba)

R2G 1P0


Introduction

 

1.         La présente décision porte sur la révision, par la commissaire aux brevets, de la décision finale de l’examinatrice concernant la demande de brevet nº 2,388,770 (la « présente demande »), datée du 23 août 2007 et intitulée « inhibiteurs d’agrégation de plaquettes ».  Les inventeurs inscrits au dossier sont Robert M. Scarborough, David L. Wolf et Israel F. Charo, et le propriétaire actuel est Millennium Pharmaceuticals.

 

2.         La présente demande est complémentaire au brevet numéro 2,059,124 (le « brevet principal ») déposé le 15 juin 1990 et délivré le 20 août 2002.  La présente demande a obtenu le statut complémentaire le 16 juillet 2002.

 

3.         L’invention revendiquée concerne des peptides inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire (IAP) qui sont des peptides naturels, ou sont liés à de tels peptides, isolés de venin de serpent et qui agissent en bloquant les récepteurs des protéines d’adhésion qui jouent un rôle dans l’adhésivité et l’agrégation plaquettaires. Les IAP sont utilisés pour le traitement et la prévention de l’agrégation plaquettaire, ce qui les rend utiles dans le traitement des affections ischémiques associées aux plaquettes et d’autres affections apparentées. Les peptides font aussi l’objet de revendications à l’égard de la prévention de la perte et de la consommation des plaquettes durant la circulation extracorporelle du sang grâce à leur capacité à réduire la tendance à l’agrégation des plaquettes; la prévention de l’embolisation attribuable à cette agrégation fait elle aussi l’objet de revendications.

 

Historique de la demande

 


4.         Quand la demande complémentaire a été déposée, elle contenait une seule revendication portant sur un « polypeptide inhibiteur d’agrégation plaquettaire (IAP) ».  Avant l’examen, une modification volontaire datée du 21 août 2003 a été déposée, portant à 42 le nombre de revendications.  Un rapport du Bureau des brevets daté du 4 avril 2006 ne soulevait qu’une seule question : les revendications au dossier ne visaient apparemment pas un élément brevetable distinct de celui visé par les revendications du brevet principal.  Dans la réponse de la demanderesse datée du 10 décembre 2006, les revendications ont été modifiées, faisant ainsi passer le nombre de revendications au dossier à 40, et l’objection a été rejetée.  Un autre rapport du Bureau qui expliquait plus en détail l’objection initiale a été transmis le 23 août 2007 à titre de décision finale.  Dans sa réponse du 19 février 2008 à la décision finale, la demanderesse n’a modifié aucune des revendications, mais a encore une fois nié l’objection dans ses observations écrites.  La réponse n’a pas convaincu l’examinatrice et, par conséquent, un résumé des motifs a été envoyé à la Commission le 1er avril 2008, dont copie a été transmise à la demanderesse.  Le 10 décembre 2008, une audience a été tenue par voie de téléconférence entre les commissaires de la Commission et le représentant de la demanderesse, Michael R. Williams.  Nicholas Ohan, chef de section, représentait le Bureau et l’examinatrice, Christiane Hansen, ne pouvait être présente.

 

 

Résumé des motifs du rejet

 

5.         La seule question à trancher est celle de savoir si les revendications de la présente demande visent un élément brevetable distinct de celui visé par le brevet principal, c.-à-d. si elles définissent une invention distincte de celle qui était revendiquée dans le brevet principal.  L’objection vient du fait que si les revendications de la demande complémentaire ne visent pas une invention différente de celle revendiquée dans le brevet principal, il risque d’y avoir un double brevet si ces revendications sont acceptées. 

 

Aperçu des revendications

 

6.         La demande complémentaire renferme 40 revendications, dont 11 sont indépendantes. Les  revendications indépendantes peuvent être résumées comme visant : un genre d’IAP (revendication 1); des compositions renfermant l’un de ces IAP (revendication 11); des compositions renfermant un IAP spécifique (revendications 14 et 15); les utilisations de cet IAP spécifique (revendications 17, 28 et 29); et les utilisations d’un peptide choisi dans un certain groupe (revendications 16 et 38 à 40).

 

7.         Le brevet principal renferme 70 revendications, qui sont toutes visées par l’objection pour cause de double brevet soulevée par l’examinatrice à l’encontre des revendications de la demande complémentaire. Il renferme un certain nombre de revendications indépendantes qui visent en gros : des méthodes pour déterminer si un IAP est présent dans un liquide biologique (revendication 1); les IAP en soi (revendications 2, 12, 14 et 21); des méthodes de purification des IAP (revendication 6); des compositions renfermant des IAP (revendications 8 à 11, 36 et 37); des systèmes recombinants d’expression des IAP codés par l’ADN et les cellules hôtes contenant ces IAP (revendications 18, 19, 48, 49, 68 et 69); des méthodes de production des IAP (revendications 20, 50 et 70); et des molécules d’ADN déduites des séquences d’acides aminés de certains IAP (revendications 47 et 51 à 67).

 

Résumé de la jurisprudence pertinente

 


8.         L’interdiction du double brevet est une règle jurisprudentielle qui trouve son origine dans les dispositions de la Loi sur les brevets antérieures à 1989 pour répondre à la préoccupation du « renouvellement à perpétuité » et de la prolongation de la durée du brevet dans des circonstances où les parties, comme les inventeurs ou les demandeurs, sont les mêmes.  Malgré les dispositions de la Loi sur les brevets  postérieures à 1989 selon lesquelles le brevet est protégé à partir de la date de dépôt plutôt qu’à partir de la date de délivrance, l’interdiction contre le double brevet demeure (GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc., 2003 CFPI 687, 27 C.P.R. (4th) 114 (GSK), par. 89–91).

 

9.         L’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067 (Whirlpool), est souvent cité comme l’arrêt clé consacrant le principe de l’interdiction.  Dans Whirlpool, la Cour suprême a souligné qu’il y a deux volets à l’interdiction du double brevet, dont chacun doit être évalué pour décider si un jeu de revendications définit une invention distincte.  Le premier volet, appelé le « double brevet relatif à la même invention », s’applique aux situations où il y a identité des revendications (Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd. (1978), 33 C.P.R. (2d) 24; Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1, p. 22).

 

10.       Le deuxième volet de l’interdiction, décrit au paragraphe 66 de Whirlpool, est appelé le « double brevet relatif à une évidence » et il est plus général :

 

Linterdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence ».  Il sagit dun critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance dune deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur.

 

11.       Bien qu’il y ait des limites en ce qui concerne les éléments dont on peut tenir compte, la question du double brevet relatif à une évidence s’analyse conceptuellement de la même manière que celle de l’évidence en vertu de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, c’est-à-dire du point de vue d’une personne versée dans l’art : Bayer AG c. Novopharm Ltd., 2006 CF 379, 48 C.P.R. (4th) 46, par. 40–63 (Bayer); Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2005 CF 340, 38 C.P.R. (4th) 441, conf. 2006 CAF 229, 53 C.P.R. (4th) 453, par. 63 (Aventis).  L’évaluation est limitée en ce sens que les revendications d’un brevet sont comparées avec celles d’un autre brevet (Whirlpool, par. 63).  Le critère peut tenir compte des connaissances générales communes, mais pas des antériorités particulières. 

 

12.       Dans Bayer et Aventis, c’était le critère traditionnel de l’évidence établi dans Beloit Canada Ltée. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, p. 294 (C.A.F.) (Beloit) qui était examiné.  Récemment, la notion d’évidence a été reformulée dans l’arrêt de la Cour suprême Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, 69 C.P.R. (4th) 251 (Sanofi), lequel s’est éloigné du critère rigoureux énoncé dans Beloit et a établi une démarche à quatre volets pour statuer sur l’évidence.  Cette démarche est la norme actuellement applicable pour établir l’évidence et c’est également celle qu’il faut appliquer lors de l’analyse conceptuelle du double brevet relatif à une évidence.

 


13.       Dans l’analyse de l’évidence, il faut aussi déterminer si les différents types de revendications définissent des inventions différentes ou ne sont que des aspects différents d’une même invention (Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49 (Hoechst); Libbey‑Owens‑Ford Glass Company c. Ford Motor Company of Canada, Ltd., [1970] R.C.S. 833; et Ciba‑Geigy AG c. Commissaire des brevets 65 C.P.R. (2d) 73).  Différentes catégories d’inventions ne traduisent pas nécessairement des idées originales différentes; il faut de l’ingéniosité pour justifier un deuxième brevet (voir GSK, par. 89).  Toutefois, les revendications qui apparemment chevauchent les revendications d’un autre brevet peuvent constituer des éléments brevetables distincts.  Par exemple, les revendications qui définissent un sous-genre ou une espèce ne sont pas considérées comme évidentes par rapport aux revendications qui définissent le genre dans un brevet distinct où les conditions de validité du brevet de sélection sont réunies (Sanofi, par. 113; Aventis, par. 46 et 64).

 

14.       La jurisprudence précitée énonce les conditions qui doivent être remplies pour justifier un deuxième brevet lorsque la demande est complémentaire au brevet principal et lorsque une demande en coinstance est déposée par le même demandeur. Il ressort clairement de la jurisprudence que pour que les revendications de la demande complémentaire soient considérées comme si elles portaient sur une deuxième invention, l’objet ne doit pas être identique à celui du brevet principal ni être « évident » compte tenu des revendications du brevet principal.

 

15.       Le libellé de la décision finale indique que c’est le « second volet » de l’interdiction qui est pertinent selon l’examinatrice : on n’allègue pas qu’il y a identité des revendications, mais plutôt que les revendications ne visent pas un élément brevetable distinct de celui du brevet principal.  Pour cette raison, ce volet de l’interdiction sera au coeur de l’analyse dans la présente décision.

 

La Position de la demanderesse

 

16.       Dans la réponse à la décision finale, la demanderesse a soulevé un certain nombre d’arguments à l’appui des revendications de la demande complémentaire 2,388,770.  Ces arguments ont été répétés à l’audience et se résument comme suit :

 

1.         Les revendications de la demande complémentaire diffèrent de celles du brevet principal :

a.         la revendication 1 de la demande complémentaire porte sur un objet différent de celui de la revendication 2 du brevet principal.

b.         la revendication 12 de la demande complémentaire porte sur des utilisations différentes de celles du brevet principal.           

c.         les revendications 16 à 40 de la demande complémentaire portent sur des utilisations de peptides, lesquelles ne sont pas revendiquées dans le brevet principal.

 


2.         Des revendications relatives aux méthodes de fabrication de médicaments ne figurent pas dans le brevet principal, mais une protection est sollicitée à leur égard dans la demande complémentaire et elle devrait être accordée pour écarter les contrefacteurs éventuels.

 

3.         La différence dans les classifications internationales des brevets (CIB) pour le même objet obligerait l’examinateur à effectuer une recherche différente par rapport aux revendications du brevet principal, ce qui indique qu’il y a de fait deux inventions.

 

4.         Les règles ne sont pas claires quant à la définition qu’il faudrait donner du terme  « invention » en pareils cas puisque l’article 2 de la Loi sur les brevets ne le définit que de manière très générale.

 

17.       Bien qu’aucun nouvel argument n’ait été présenté à l’audience, M. Williams a souligné que les brevets complémentaire et principal expireront en même temps selon les dispositions de la Loi sur les brevets postérieures à 1989.  Autrement dit, accorder la demande complémentaire n’entraînerait pas la prolongation du monopole.  Cette question a été abordée ci-dessus, en passant, lorsqu’il a été souligné que, selon GSK, l’interdiction existe toujours même si monopole ne peut être prolongé.  Chacun des arguments présentés par la demanderesse sera examiné dans l’ordre établi ci-dessus.

 

Analyse

 

premier argument de la demanderesse : différences entre les revendications

 

18.       Le premier argument repose sur une comparaison directe des revendications de la demande complémentaire et de celles de la demande principale afin de montrer que l’objet qui y est revendiqué diffère.

 

19.       Dans la décision finale, l’examinatrice a procédé à une analyse afin de prouver que les revendications de la demande complémentaire ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par la demande principale.  Voici un extrait de la partie descriptive de la décision finale :

 

[Traduction] Comme lindique la précédente décision du Bureau datée du 4 avril 2006, la demande en lespèce et le brevet principal (2,059,124) définissent tous deux des compositions de matière consistant en polypeptides inhibiteurs de lagrégation plaquettaire (IAP) ayant les mêmes limites fonctionnelles. La revendication 1 de la demande en lespèce et la revendication 21 du brevet principal définissent une « composition de matière consistant essentiellement en un inhibiteur de lagrégation plaquettaire (IAP) spécifique pouvant inhiber la liaison du fibrinogène ou du facteur de von Willebrand (FvW) au GP Ilb‑Illa avec beaucoup plus de puissance quil ne peut inhiber la liaison de la vitronectine au récepteur de la vitronectine ou la liaison de la fibronectine au récepteur de la fibronectine », inhibiteur ayant la formule générale définie à la revendication 1 de la demande en lespèce.

 


Alors que la formule figurant à la revendication 1 de la demande en lespèce se limite au cas où n2 = 1 à 3 (modifié dans les revendications présentées dans la correspondance de la demanderesse datée du 4 octobre 2006) et où n3 = 1, dans le brevet principal

(revendication 21),  n2 peut être 0 à 3 et n3 peut être 0 ou 1. Le brevet principal comporte également une clause conditionnelle visant à contourner les antériorités. Cette clause nest pas nécessaire dans la revendication 1 de la demande en lespèce en raison de la restriction apportée à n3 (n3 = 1 au lieu de 0 ou 1). De plus, AA2 est défini dans le brevet principal comme un acide aminé neutre et non polaire de grande taille (aromatique ou non aromatique) ou un acide aminé polaire aromatique, alors que, dans les revendications présentées dans la correspondance de la demanderesse datée du 4 octobre 2006, AA2 se limite aux acides aminés suivants : tryptophane, phénylalanine, leucine, tyrosine ou valine. Ces acides aminés sont toutefois englobés dans la définition dAA2 figurant à la revendication 27 du brevet principal. Les différences susmentionnées entre les revendications de la demande en lespèce et celles du brevet principal représentent donc des variations mineures. Par conséquent, les formules définissent un sous-ensemble de polypeptides et des compositions de matière qui ne sont pas distincts les uns des autres au plan de la brevetabilité.

 

Dans sa réponse à la décision finale, la demanderesse a déclaré ce qui suit : 

 

[Traduction] Nous demandons respectueusement à lexaminatrice de reconsidérer cette position [relativement à lobjection pour cause de double brevet] à la lumière des différences entre les revendications de la demande en lespèce et celles du brevet canadien 2,059,124.

 

Plus précisément, la demanderesse souligne de nouveau que la revendication 1 de la demande en lespèce diffère de la revendication 2 du brevet canadien 2,059,124 en ce que cette dernière concerne la détection dune diminution ou de labsence de diminution de la liaison du fibrinogène ou du facteur de von Willebrand au GP IIb‑IIIa en présence ou en labsence de venin de serpent, alors que la première vise un inhibiteur de lagrégation plaquettaire pouvant mieux inhiber la liaison du fibrinogène ou du facteur de von Willebrand au GP IIb‑IIIa que la liaison de la vitronectine au récepteur de la vitronectine ou la liaison de la fibronectine au récepteur de la fibronectine.

 

Donc, la revendication 2 du brevet 124 compare lefficacité dun échantillon renfermant un IAP par rapport à un témoin non traité, alors que la revendication 1 de la demande en lespèce compare la capacité de lIAP à inhiber la liaison du fibrinogène ou du FvW au GP IIb‑IIIa par rapport à sa capacité dinhiber la liaison de la fibronectine au récepteur de la fibronectine ou la liaison de la vitronectine au récepteur de la vitronectine.

 

20.       Comme la demanderesse l’a souligné, les revendications de la demande complémentaire sont différentes de celles du brevet principal, mais ce fait n’est pertinent que lorsqu’il y a un double brevet relatif à la « même invention », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.  L’examinatrice a expliqué dans la décision finale que l’objection repose sur la conclusion que les revendications de la demande complémentaire ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par le brevet principal puisqu’une seule idée originale est à la base des deux jeux de revendications.  La portée et la forme des revendications sont différentes, mais il faut déterminer si ces différences permettent d’établir que l’invention revendiquée est distincte.  Pour y arriver, il convient de comparer la portée des revendications du brevet principal et de la demande complémentaire.

 


21.       Comme l’objection soulevée porte sur le double brevet relatif à une évidence, il faut déterminer si les revendications de la demande complémentaire visent un objet brevetable distinct de celui visé par le brevet principal.  Pour faciliter l’analyse, chaque revendication indépendante de la demande complémentaire sera comparée à la revendication du brevet principal qui semble s’y apparenter le plus, peu importe le genre de la revendication.  L’analyse revendication par revendication est celle qui était préconisée par Whirlpool pour déterminer s’il y avait double brevet.  Les revendications du brevet principal qui diffèrent fondamentalement de celles de la demande complémentaire (comme celles visant les méthodes de production, d’identification et d’expression des IAP, en plus de l’ADN encodant les IAP) peuvent être examinées au besoin.  Par souci de clarté, le tableau suivant a été produit pour montrer les revendications du brevet principal qui serviront d’éléments de comparaison.

 

 

 

 

Objet

 

Revendications de la demande complémentaire

(2,388,770)

 

Revendications du brevet principal

(2,059,124)

 

Groupe A

 

 

IAP en soi

 

1 à 10

 

21 à 35

 

Groupe B

 

 

Compositions du IAP

 

11 à 15

 

21 à 35

 

Groupe C

 

 

Utilisation d’un IAP

 

16 et 38 à 40

 

21 à 35, 38, 39 et 41 à 46

 

Groupe D

 

 

Utilisation d’un IAP particulier

 

17 à 37

 

32

 

revendications du Groupe A

 

22.       Le groupe A comprend les revendications relatives aux IAP en soi, c’est-à-dire les revendications 1 à 10 de la demande complémentaire.  Les revendications dont il est question dans les extraits tirés de la décision finale et de la réponse de la demanderesse (paragraphe 19) font partie de ce groupe.  La revendication 1 est la seule revendication indépendante du groupe A et elle constitue le fondement de la comparaison initiale avec les revendications du brevet principal.  Elle se lit comme suit :

 

[traduction]

 

1.         Une composition de matière consistant essentiellement en un inhibiteur de lagrégation plaquettaire (IAP) spécifique pouvant inhiber la liaison du fibrinogène ou du FvW au GP IIb‑IIIa avec beaucoup plus de puissance quil ne peut inhiber la liaison de la vitronectine au récepteur de la vitronectine ou la liaison de la fibronectine au récepteur de la fibronectine, cet IAP ayant la formule suivante:

 

 


 

[où les groupes sont tels quils sont définis].

 

Parmi les revendications du brevet principal visant les IAP (revendications 2, 12, 14 et 21), c’est la revendication indépendante 21 qui sera comparée à la revendication 1 de la demande complémentaire, car c’est elle qui s’y apparente le plus. Dans sa réponse, la demanderesse avait plutôt comparé la revendication 1 à la revendication 2 du brevet principal. Cette dernière revendication a une forme et une portée qui diffèrent substantiellement de celles de la revendication 1 de la demande complémentaire, étant donné qu’elle vise un IAP purifié et isolé qui est caractérisé par sa fonction et par la source d’où il a été obtenu (mais sans limites structurales définies) ainsi que par la façon dont son activité peut être déterminée. Vu les différences majeures entre la revendication 1 de la demande complémentaire et la revendication 2 du brevet principal, la Commission a déterminé que c’est la revendication 21 qui se prête le mieux à la comparaison initiale.

 

23.       Comme l’a montré l’examinatrice dans sa décision finale, la revendication 21 du brevet principal est identique à la revendication 1 de la demande complémentaire avec certaines exceptions. Dans la définition des groupes radicaux, AA2 est défini dans le brevet principal comme « [Traduction] un acide aminé neutre et non polaire de grande taille (aromatique ou non aromatique) ou un acide aminé polaire aromatique et n2 est un entier de 0 à 3 ». Dans la revendication 1 de la demande complémentaire, AA2 est défini comme étant « le tryptophane (W), la phénylalanine (F), la leucine (L), la tyrosine (Y) ou la valine (V) et n2 est un entier de 1 à 3 ». La deuxième différence repose dans la définition de n3, qui dicte le nombre de groupes AA3; la revendication 21 du brevet principal le définit comme un « entier de 0 à 1 », alors que la revendication 1 de la demande complémentaire indique que n3 est restreint à 1. Par suite de cette restriction, la clause conditionnelle présente dans le brevet principal ne s’applique plus et n’est donc pas incluse dans les revendications de la demande complémentaire.

 

24.       Selon les pages 30 et 31 de la description de la demande de brevet initiale, le tryptophane et la phénylalanine sont des exemples d’acides aminés neutres et non polaires de grande taille; la tyrosine est un acide aminé neutre et polaire de grande taille; et la valine et la leucine sont quant à elles des acides aminés neutres et non polaires de grande taille. Les acides aminés définis dans la revendication 1 de la demande complémentaire représentent donc une restriction par rapport à ceux permis dans la revendication 21 du brevet principal. Selon l’examinatrice, cette restriction serait l’objet de la revendication 27 du brevet principal, ce qui réduit encore plus les différences entre la revendication 1 de la demande complémentaire et les revendications du brevet principal.

 


25.       La Commission note que les peptides des revendications 1 à 10 et ceux de la revendication indépendante 21 et des revendications dépendantes 22 à 35 du brevet principal semblent avoir une fonction identique (comme l’indique le libellé identique des revendications avant la définition du peptide), qu’aucune utilisation en soi n’est définie dans ces revendications et que la description ne renferme aucune distinction au sujet de l’utilité de ces peptides. Plus précisément, rien n’indique qu’aucune des restrictions figurant dans la revendication 1, ni dans les revendications dépendantes 2 à 10, n’a été reconnue comme une invention distincte par rapport au genre plus large défini dans les revendications du brevet principal, aucune utilité distincte de ces peptides n’étant mentionnée.

 

26.       Exception faite de la possibilité que le sous-genre défini dans les revendications soit distinct de celui visé par les revendications du brevet principal du fait qu’il a une utilité unique, les restrictions pourraient être considérées comme représentant une invention brevetable distincte de celle visée par les revendications du brevet principal lorsque l’objet défini remplit les conditions de validité du brevet de sélection.  Les tribunaux ont conclu qu’une sélection ne sera pas jugée évidente à la lumière des revendications à l’origine de la sélection; les revendications seront considérées comme comportant un élément brevetable distinct (Sanofi).  Par conséquent, pour déterminer si les revendications du groupe A définissent vraiment une invention distincte, il faut examiner cette question.

 

27.       Les conditions essentielles à la sélection ont été reprises dans Sanofi, citant In re I.G. Farbenindustrie A.G.s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.) (Farbenindustrie), où les principes ont été énoncés initialement.  Elles sont citées au paragraphe 10 de Sanofi :

 

1.  Lutilisation des éléments sélectionnés permet dobtenir un avantage important ou déviter un inconvénient important. 

 

2.  Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

 

3.  La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause.

 

En plus de ces trois conditions, « le mémoire descriptif du brevet de sélection doit définir clairement la nature de la caractéristique du composé sélectionné pour lequel le breveté revendique un monopole » (Sanofi, par. 114).  La Commission souligne que la demande de brevet principal déposée initialement ne divulgue aucune de ces caractéristiques.

 


28.       Outre cette absence de divulgation, rien n’indique qu’un avantage important a été obtenu (ou qu’un inconvénient important a été évité) grâce à l’utilisation de ces éléments et, par conséquent, on ne peut affirmer que tous les éléments sélectionnés présentent un tel avantage. Les avantages pouvant résulter du fait que l’on peut s’attendre à ce que les espèces sélectionnées  démontrent un genre plus large sont énoncés dans la description originale de la page 7, ligne 34, à la page 8, ligne 12, et comprennent une augmentation de la puissance, une meilleure spécificité, une diminution de l’immunogénicité, une stabilité accrue et une plus grande facilité d’administration.  Cependant, rien ne permet de penser qu’un tel avantage était reconnu au moment du dépôt.  Il convient également de souligner qu’aucune des revendications ne visait le sous-genre de la revendication 1 du brevet principal.  Par conséquent, dans l’application de ces conditions, la Commission a conclu que les revendications du groupe A ne représentent pas une sélection valide du brevet principal.

 

29.       En résumé, les revendications visant les peptides IAP des revendications 1 à 10 (groupe A) ne peuvent être considérées comme étant distinctes de celles du brevet principal (revendications 21 à 35 en particulier).

 

 

Revendications du Groupe B

 

30.       Passons maintenant à l’examen des revendications relatives à une composition de la demande complémentaire, soit le groupe B formé des revendications 11 à 15.  Ce groupe comprend les revendications indépendantes 11,14 et 15.  La revendication 11 se lit comme suit :

 

[traduction]

11.   Une composition pharmaceutique qui comprend un polypeptide inhibiteur dagrégation plaquettaire selon les revendications 1 à 10 avec un véhicule pharmaceutiquement acceptable.

 

La revendication vise donc les compositions de peptides dont il est question dans les revendications 1 à 10, lesquelles ont elles-mêmes été jugées non distinctes de celles revendiquées dans le brevet principal (voir l’analyse du groupe A).  Le fait que la simple dilution d’un composé pour donner une composition, sans aucune activité inventive, ne crée pas une invention distincte du composé est bien établi dans la jurisprudence.  Le passage suivant a initialement été souligné dans Hoechst à la page 53 et continue d’être cité par les tribunaux :

 

[traduction] Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicinaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention.  La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention.  En lespèce, laddition dun véhicule inerte, qui constitue un moyen courant daugmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et ladministration, nest rien dautre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. 

 

La revendication 12 dépend de la revendication 11, ne précisant que la quantité de peptide, c.-à-d. une quantité [traduction] « efficace pour éviter l’agrégation plaquettaire ».  Comme l’a souligné la demanderesse, cela n’est pas revendiqué dans le brevet principal :

 


[traduction] En ce qui concerne la revendication 12 dans la demande en cause, il convient de souligner encore une fois que cette revendication mentionne que la quantité efficace est suffisante pour éviter lagrégation plaquettaire.  Cela contraste avec les revendications 8, 10 et 36 du brevet 124, lesquelles visent à prévenir la formation de thrombus et avec les revendications 9, 11 et 37 du brevet 124, lesquelles visent à traiter ou prévenir le syndrome dischémie associé aux plaquettes.

 

Bien que les revendications du brevet principal n’englobent pas cet objet, aucune utilisation n’est revendiquée de sorte qu’une « quantité efficace » est considérée comme étant simplement la concentration de peptide dans la composition en précisant la quantité présente; c.-à-d. la composition contient une quantité d’IAP qui aurait cet effet.  Comme cette restriction n’est que le résultat d’une dilution non inventive, elle ne constitue pas une deuxième invention.

 

31.     La revendication 13 dépend aussi de la revendication 11, mais elle limite le peptide de sorte qu’elle vise le même objet que les revendications 14 et 15, c.-à-d. qu’elle vise les compositions comprenant le peptide décrit dans le brevet principal comme le peptide IAP 60.  La revendication 32 du brevet principal est celle qui s’approche le plus des revendications 13 à 15 de la demande complémentaire parce que le peptide IAP 60 en soi est revendiqué.  Pour les mêmes raisons, les revendications visant les compositions comprenant ce peptide ne sont pas considérées comme étant distinctes des revendications visant la molécule en soi.

 

32.     Compte tenu de ce qui précède, les revendications 11 à 15 relatives à la composition (groupe B) ne sont pas considérées comme étant distinctes de celles du brevet principal.

 

Revendications du Groupe C

 

33.     L’autre groupe de revendications à comparer aux revendications du brevet principal est identifié dans le tableau comme le groupe C. Il renferme les revendications indépendantes 16 et  38 à 40 de la présente demande, qui visent les utilisations des peptides IAP choisis dans un groupe défini. Les revendications sont reproduites ci-après :

 

[Traduction]

16.   Lutilisation dun polypeptide inhibiteur de lagrégation plaquettaire conformément à lune des revendications 1 à 10 pour la fabrication dun médicament adapté à linhibition de lagrégation plaquettaire ou au traitement ou à la prévention des affections ischémiques associées aux plaquettes.

 

38.   Lutilisation dun polypeptide comportant une séquence choisie dans le groupe suivant :

 

[liste de peptides]

 

ou dun sel pharmaceutiquement acceptable de ce peptide pour la fabrication dun médicament adapté au traitement ou à la prévention de lagrégation plaquettaire ou dune affection ischémique associée aux plaquettes, où le polypeptide a une forme cyclique par suite de la formation de liens disulfures.

 

39.   Lutilisation dun polypeptide comportant un séquence choisie dans le groupe suivant :

 

[liste de peptides]

 


ou dun sel pharmaceutiquement acceptable de ce peptide pour la fabrication dun médicament adapté à la prévention de la perte de plaquettes durant la circulation extracorporelle du sang lorsque le sang est en contact avec une quantité efficace de ce polypeptide, où le polypeptide a une forme cyclique par suite de la formation de liens disulfures.

 

40.   L’utilisation d’un polypeptide comportant une séquence choisie dans le groupe suivant :

 

[liste de peptides]

 

ou dun sel pharmaceutiquement acceptable de ce peptide pour la fabrication dun médicament adapté à la prévention de lagrégation plaquettaire, lembolisation ou la consommation des plaquettes dans la circulation extracorporelle, où le polypeptide a une forme cyclique par suite de la formation de liens disulfures.

 

Au départ, il convient de souligner que les peptides énumérés dans les revendications 38 à 40 sont aussi mentionnés dans une ou plusieurs des revendications 30 à 35, 38, 39 et 41 à 46 du brevet principal, alors que ceux de la revendication 16 ont été mentionnés en relation avec le groupe A. Dans le brevet principal, les revendications visent cependant les peptides en soi, et aucune revendication ne vise l’utilisation de ces peptides.

 

34.     Cette absence de revendications relatives à l’utilisation dans le brevet principal n’a pas été prise en compte dans la décision finale, les revendications y étant considérées comme visant le même concept inventif :

 

[Traduction] La présente demande comporte des revendications visant lutilisation des polypeptides IAP pour la fabrication dun médicament adapté à linhibition de lagrégation plaquettaire ou au traitement ou à la prévention des affections ischémiques associées aux plaquettes. Bien que les utilisations des polypeptides IAP constituant la composition de matière selon la revendication 21 du brevet principal naient pas été revendiqués dans ce brevet, lutilisation de ces polypeptides IAP pour la fabrication dun médicament ou pour le traitement daffections liées à lagrégation plaquettaire ou pour le traitement ou la prévention daffections ischémiques liées aux plaquettes telle quelle est revendiquée dans la présente demande concerne le même concept inventif général [...] Par ailleurs, le polypeptide de la composition de matière revendiqué dans la revendication 21 du brevet 2,059,124 est expressément défini comme étant « un inhibiteur de lagrégation plaquettaire (IAP) spécifique », ce qui indique son utilité en ce qui a trait à linhibition de lagrégation plaquettaire ou au traitement ou à la prévention des affections ischémiques associées aux plaquettes.   

 

 

35.     Bien que les utilisations ne soient pas revendiquées dans le brevet principal, il doit y avoir une certaine utilité pour qu’il y ait brevetabilité des peptides.  Cette utilité n’est pas considérée comme une invention distincte des peptides en soi ou des compositions comprenant les peptides et, par conséquent, elle ne peut être brevetée séparément.

 

36.     Ce concept a été appliqué dans Demande nº 207,229, décision du commissaire nº 332 (1976), à une situation factuelle semblable, où le brevet principal revendiquait un produit (antibiotique) et la demande complémentaire demandait la protection de l’utilisation projetée du produit.  Dans cette décision, la Commission a conclu ce qui suit :

 


À notre avis, quoique indépendantes lune de lautre, les revendications ne peuvent être dissociées de la description de linvention.  Le demandeur na en aucune façon précisé que les présentes revendications concernait une invention distincte des revendications de produit (antibiotique).  Il est clair que les présentes revendications se rapportent à lutilisation de lantibiotique accepté en 1974 dans la demande initiale et la présente invention divulgue les mêmes caractéristiques que celles qui ont rendu brevetable lantibiotique. Par conséquent, nous sommes convaincus que la présente demande ne constitue pas un progrès brevetable étant donné que les revendications « concernent lutilisation proposée de lantibiotique » et quelles sont déjà protégées par le brevet portant sur lantibiotique. En fait, les présentes revendications font tout simplement état dun autre aspect de la même invention.

 

37.     Plus récemment, une conclusion semblable a été tirée dans Merck & Co. c. Apotex Inc., 59 C.P.R. (3d) 133.  Cette conclusion a été invoquée dans le cadre de l’appel dans Apotex Inc. c. Merck & Co., [1995] 2 CF 723, 60 C.P.R. (3d) 356 (Merck); toutefois, la Cour d’appel fédérale était d’accord avec le juge de première instance sur ce point.  Voici un extrait du paragraphe 37 de cette décision :

 

À mon avis, lappelante a eu tort de prétendre que linvention était simplement les molécules chimiques de lénalapril.  Dun point de vue chimique, tel nétait pas le cas.  Lorsquon linterprète correctement, le mémoire descriptif du brevet revendique plus que cela.  À cet égard, le juge de première instance a eu tout à fait raison de dire (à la page 156) :

 

[. . .] le brevet [. . .] revendique plus quune molécule assortie dune formule chimique.  Les revendications décrivent plutôt plusieurs composés et plusieurs compositions, ainsi que les usages précis auxquels ils sont destinés, tous des aspects de la même invention.  Lénalapril est peut-être lélément essentiel de chaque revendication, mais la portée des revendications et du brevet dinvention dépasse la molécule chimique de lénalapril ou du maléate dénalapril.

 

Lobjet et lutilité du composé dénalapril sont inhérents au composé et, en fait, au brevet. [Je souligne.]

 

Suivant ce raisonnement, l’utilité des peptides n’est qu’un aspect de la même invention, tout comme les peptides en soi et les compositions qui les comportent.

 

38.     Pour ce qui est de l’utilité, la demanderesse déclare dans sa réponse à la décision finale :

 

[traduction] En ce qui concerne les revendications 16 à 40, il convient de souligner encore une fois quaucune des revendications du brevet principal ne vise lutilisation de polypeptides IAP. [...]

 

Plus particulièrement, la demanderesse note que la méthode de fabrication dun médicament nest pas lobjet des revendications de la demande principale [...] 

 

Il semble que la demanderesse réfère aux revendications suisses 16 à 40 lorsqu’elle parle des revendications portant sur des méthodes de fabrication de médicaments.

 


39.     Le type de revendications dit « revendications suisses » a été adopté par l’Office européen des brevets en 1984 afin de contourner les restrictions imposées par la Convention sur le brevet européen pour les revendications d’une deuxième utilisation médicale, ou d’une utilisation médicale subséquente, d’une substance ou d’une composition connue.  Il n’existe aucune restriction comparable en droit canadien.  Les revendications telles que « Utilisation d’une substance [ou composition] pour la fabrication d’un médicament pour [une application thérapeutique précise] » étaient permises pour revendiquer de telles utilisations.  Les revendications suisses ont depuis été interprétées par les tribunaux canadiens et elles sont considérées comme une autre façon de revendiquer les utilisations d’un médicament, plutôt que des méthodes de fabrication, comme l’a affirmé la demanderesse (voir GD Searle & Co.  c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 437, 65 C.P.R. (4th) 451, conf. 2009 CAF 35, par. 46; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 C.P.R. (4th) 406, (par. 20-23) et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, conf. 2009 CAF 8, par. 32–35.)  Vu la façon dont ces revendications sont interprétées par les tribunaux, et par souci de simplicité, elles seront appelées les utilisations.

 

40.     Une légère différence a été relevée dans le libellé des revendications 16 et 38 à 40 du groupe C lorsqu’il a été comparé au libellé typique d’une revendication suisse, c.-à-d. l’inclusion du terme « adapté » dans « [L]’utilisation de [...] dans la fabrication d’un médicament adapté à [...] ».  La Commission est d’avis que les revendications devraient néanmoins être considérées comme des utilisations médicales selon l’interprétation faite par les tribunaux des revendications suisses, et non comme des méthodes de fabrication comme l’a affirmé la demanderesse.  Et cela malgré le fait que l’on s’éloigne quelque peu de la forme que prendraient normalement les revendications.  Le fait que les peptides, ou le médicament fabriqué, soient adaptés au traitement médical est implicite puisqu’ils doivent être adaptés pour pouvoir être utilisés dans le cadre des traitements médicaux décrits.  La présence du terme « adapté » dans ces revendications est donc vu comme étant redondant et les revendications sont considérées comme des revendications suisses équivalant à des revendications d’utilisations médicales.

 


41.     Même si les revendications étaient interprétées comme visant des méthodes de fabrication de médicaments comme le suggère la demanderesse, les revendications 16 et 38 à 40 ne viseraient pas une invention distincte de celle qui a été revendiquée dans le brevet principal. Les méthodes visées par les revendications ne sont pas définies dans les revendications; les étapes nécessaires de la fabrication du médicament doivent faire partie des connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art.  Les revendications seraient donc considérées comme des méthodes courantes visant à fabriquer des compositions d’IAP, pouvant être utilisées (c.-à-d. adaptés à l’utilisation) dans le cadre du traitement thérapeutique.  Si les compositions ne sont pas considérées comme des revendications distinctes des revendications relatives aux peptides (composés) qu’elles contiennent, sans contribution inventive (voir Hoechst), les méthodes courantes pour fabriquer ces compositions ne sont pas non plus distinctes des composés ou des compositions pertinents puisque l’invention ne réside pas dans la méthode, mais dans les peptides.  Ce point de vue est étayé par Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2006 CAF 323, 55 C.P.R. (4th) 1, par. 32 et Ciba-Geigy Ag. c. Commissaire des brevets, [1982] 65 C.P.R. (2d) 73, p. 79.  Il a déjà été établi que les peptides décrits dans ces revendications du groupe C ont été revendiqués dans le brevet principal (voir l’analyse du groupe A).  Par conséquent, la Commission ne considère pas les revendications relatives aux méthodes de fabrication de médicaments contenant des peptides comme visant une invention distincte.

 

42.     Comme il a déjà été mentionné, la Commission a toutefois interprété les revendications comme étant de type suisse. L’analyse se poursuivra en fonction de cette interprétation, c’est‑à‑dire que ces revendications seront traitées comme des revendications d’utilisations médicales.

 

43.     Si l’on revient au groupe C, la revendication 16 vise des utilisations des peptides qui, selon l’analyse du groupe A, ne sont pas distinctes de celles du brevet au plan de la brevetabilité, et on peut donc en conclure que les utilisations définies dans cette revendication ne sont pas elles non plus distinctes des peptides au plan de la brevetabilité, conformément à l’arrêt Merck (par. 36, précité). De même, comme les peptides énumérés à la revendication 38 sont tous présents dans une ou plusieurs autres revendications du brevet principal (c.‑à‑d. dans le groupe A), il faut donc tirer la même conclusion.

 

44.     En ce qui concerne les revendications 39 et 40, qui définissent des utilisations extracorporelles : selon les pages 46 et 47 de la description originale, deux différentes utilités sont ostensiblement définies. Elles concernent la prévention de la formation de thrombus ainsi que l’utilisation des peptides pour prévenir l’agrégation plaquettaire de sorte qu’ils soient utiles dans les traitements extracorporels.

 

45.     Il est évident que l’utilisation de peptides IAP in vivo de même qu’ex vivo pour prévenir l’agrégation plaquettaire était connue dans l’art. En témoigne le document 89/07609 du Traité de coopération en matière de brevets (le PCT), publié le 24 août 1989 et cité à la ligne 9 de la page 4 de la section sur la technique antérieure de la description du brevet original. La date de publication de ce document est antérieure à la date de revendication du brevet (2,059,124), et il faut donc en déduire qu’il faisait partie des antériorités, ce qu’a tacitement reconnu la demanderesse. Cette technique antérieure décrit des peptides IAP formés d’homoarginine et montre que ces peptides sont utiles pour prévenir la formation de thrombus ainsi que dans des applications extracorporelles. Voici un extrait de la page 9 de ce document :

 

[Traduction] Ces composés sont utiles lorsquon souhaite inhiber lagrégation plaquettaire, réduire ladhésivité des plaquettes et éliminer les thrombus chez les mammifères, dont lhomme, le lapin, le chien et le rat, ou en prévenir la formation. Par exemple, ces composés sont utiles pour le traitement et la prévention de linfarctus du myocarde, de la thrombose post‑opératoire . . . .

 


Ces composés sont également utiles en tant quadditifs dans le sang, les produits sanguins, les substituts du sang ou dautres liquides utilisés dans la circulation extracorporelle artificielle ou pour la perfusion de parties du corps isolées, par exemple les membres et les organes, quils soient reliés au corps original, quils en soient détachés et conservés, ou quils soient préparés en vue dune greffe ou reliés à un nouveau corps. Durant ces types de circulation et de perfusion, les plaquettes agrégées ont tendance à bloquer les vaisseaux sanguins et des parties des appareils de circulation.

 

Le point commun entre ces utilisations est l’agrégation plaquettaire, et leur différence réside dans le milieu où se produit l’agrégation : in vivo ou ex vivo. L’utilité est donc liée à l’agrégation plaquettaire, et les termes in vivo et ex vivo indiquent seulement où cette agrégation a lieu. Comme il n’existe aucun motif de croire que les IAP en l’espèce agiraient différemment de ceux mentionnés dans ce document, les mêmes conclusions s’imposent : les utilisations apparemment différentes concernent en fait la même utilité.

 

46.     Il a déjà été déterminé que les peptides revendiqués ne sont pas distincts au plan de la brevetabilité de ceux revendiqués dans le brevet principal. Comme il a aussi été établi qu’une seule utilité est révélée, elle-même un aspect de la même invention, comme les peptides eux-mêmes, il s’ensuit qu’aucune des revendications 16 et 38 à 40, qui visent des utilisations des peptides IAP choisis dans le groupe présenté (groupe C), n’est distincte au plan de la brevetabilité des revendications du brevet principal.

 

Revendications du groupe D

 

47.     Les revendications 17 à 37 (groupe D) visent des utilisations du peptide identifié dans le brevet principal comme l’IAP 60. Cela mis à part, les revendications indépendantes de ce groupe (revendications 17, 28 et 29) définissent des utilisations identiques à celles du groupe C (revendications 38, 39 et 40, respectivement). Si l’on applique un raisonnement analogue à celui utilisé dans l’analyse du groupe C, tout en gardant à l’esprit que l’IAP 60 lui‑même n’est pas distinct au plan de la brevetabilité étant donné qu’il était expressément revendiqué dans la revendication 32 du brevet principal (voir l’analyse du groupe B, précitée), les utilisations sont considérées comme un aspect de la même invention que le peptide et que les compositions qui le renferment. Pour la même raison, les revendications 17 à 37 ne peuvent donc pas être considérées comme distinctes au plan de la brevetabilité de celles du brevet principal.

 

deuxième argument de la demanderesse : les revendications sont différentes pour éviter la contrefaçon

 

48.     Pour ce qui est du deuxième argument, la demanderesse affirme ce qui suit en réponse à la décision finale :

 


[traduction] La demanderesse souligne que la méthode de fabrication dun médicament nest pas lobjet des revendications de la demande principale.  Par conséquent, un tiers ayant obtenu le matériel purifié dune compagnie et les médicaments fabriqués dune autre éviterait la contrefaçon des revendications du brevet principal.

 

La référence aux « méthodes de fabrication d’un médicament » a déjà été analysée dans la présente décision (par.39), relativement à l’interprétation des revendications suisses comme étant des utilisations.

 

49.   Bien qu’il soit reconnu que la protection contre les contrefacteurs éventuels constitue un élément important de la stratégie d’entreprise en matière de brevet, de tels facteurs ne pèsent pas dans l’appréciation de la légitimité d’une demande complémentaire.  Le fondement juridique de la division volontaire de l’objet se trouve au paragraphe 36(2) de la Loi sur les brevets, reproduit ci-dessous :

 

36. (2)  Si une demande décrit plus dune invention, le demandeur peut restreindre ses revendications à une seule invention, toute autre invention divulguée pouvant faire lobjet dune demande complémentaire, si celle-ci est déposée avant la délivrance dun brevet sur la demande originale.

 

50.   La Loi sur les brevets prévoit donc la division volontaire de l’objet d’une demande originale (principale) lorsque cette demande décrit plus d’une invention.  Aucune disposition de la Loi sur les brevets ne prévoit le dépôt de demandes complémentaires pour la même invention revendiquée dans la demande principale, simplement dans le but de présenter des revendications qui ne se trouvaient pas dans la demande principale, mais auraient dû l’être.

 

troisième argument de la demanderesse : des cib différentes égalent des inventions différentes

 

51.   Le troisième argument vise à distinguer les revendications de la demande complémentaire de celles du brevet principal au motif que l’objet revendiqué dans la demande complémentaire aurait dû se voir accorder un symbole de la CIB différent de celui du brevet principal. Voici un extrait de la réponse de la demanderesse à la décision finale :

 

[traduction] Précisons une fois de plus que les méthodes de fabrication dun médicament devraient se trouver dans la sous-classe A61P, et non C07K, en utilisant le système de classification du PCT.  Comme ces revendications seraient regroupées dans différentes classes, il faudrait effectuer des recherches différentes.

 

Cela signifie qu’étant donné que l’objet appartient à différentes classes, il faut effectuer une recherche distincte, ce qui donne à penser qu’une invention distincte est revendiquée.  Il convient de noter que le raisonnement exposé par la demanderesse ne semble pas s’appliquer à toutes les revendications de la demande complémentaire, mais plutôt aux revendications suisses comme le suggèrent les « méthodes de fabrication d’un médicament ».

 


52.   Selon la Commission, cet argument n’est pas convaincant puisque les considérations portant sur la classification ne déterminent pas si deux inventions sont effectivement revendiquées.  La CIB ne vise pas à désigner les différentes inventions revendiquées dans une demande, mas plutôt à trier les demandes et à faciliter la recherche et la récupération.  L’extrait suivant est tiré d’un ouvrage intitulé WIPO Intellectual Property Handbook: Policy, Law and Use, deuxième édition, Genève : WIPO publication No. 489(E), 2004, par. 5.427 sur le sujet de l’objectif recherché par la classification des brevets :

 

[traduction] En revanche, les demandes de brevet doivent aussi se voir attribuer des symboles spéciaux se rapportant aux domaines techniques visés. Ces symboles sont nécessaires pour guider le public visé, par exemple lindustrie, et aussi pour faciliter lorganisation des documents liés aux brevets afin de permettre la recherche et, par conséquent, la récupération de documents se rapportant à un objet technique distinct.

 

 La CIB attribuée à un objet particulier n’est donc pas nécessairement un facteur lorsque vient le temps de décider s’il y a deux inventions ou plus, puisque ce n’est pas là directement son objectif.  Par exemple, les revendications relatives à un peptide peuvent être regroupées dans la sous-classe C07K et les revendications relatives aux compositions comprenant ce peptide et les utilisations qui en découlent peuvent se trouver dans la sous-classe A61; or, il a été établi qu’il s’agit d’aspects de la même invention (voir par. 30 et 37).  Le système de classification permet de trier, chercher et récupérer l’information, mais il ne précise pas s’il y a une ou plusieurs inventions.  Bien que le fait qu’un symbole CIB différent soit attribué à un objet particulier puisse refléter l’existence d’une invention distincte, il ne devrait pas à lui seul servir à tirer cette conclusion.

 

quatrième argument de la demanderesse : aucune définition claire du terme « invention »

 

53.   Le dernier point soulevé par le demanderesse portait sur la définition du terme « invention » dans la Loi sur les brevets.  Plus précisément, voici un extrait de la réponse de la demanderesse à la décision finale :

 

[traduction] La notion d« invention » est définie de manière large en trois lignes à larticle 2 de la Loi sur les brevets.  En fait, il ny a aucune définition claire du terme « invention » et, par conséquent, les demandeurs canadiens peuvent difficilement contester une décision rendue par un examinateur de brevets canadien. 

 


La jurisprudence citée aux paragraphes 8 à 13 ci-dessus établit ce qu’il faut considérer comme une invention distincte lorsque les dispositions portant sur le double brevet s’appliquent.  Bien que le libellé de l’article 2 de la Loi sur les brevets n’apporte pas de précisions sur ce qui constitue une invention, le double brevet est une interdiction d’origine jurisprudentielle; il faut donc consulter la jurisprudence pour en apprendre davantage.  En ce qui concerne le double brevet, la question n’est pas de savoir s’il y a une invention qui est revendiquée dans la demande complémentaire, mais plutôt de savoir si cette invention est différente de celle qui est revendiquée dans le brevet principal.  Cette question a été abordée dans la présente décision.

 

Recommandations de la Commission

 

54.   La Commission a conclu qu’aucune des revendications 1–40 contenues dans la demande complémentaire numéro 2,388,770 ne vise un élément brevetable qui soit distinct de celui visé par les revendications du brevet principal numéro 2,059,124. Il est donc recommandé que l’objection de l’examinatrice aux revendications soit maintenue et que la décision finale de rejeter la demande soit confirmée. 

 

 

 

Ryan Jaecques                                     Nicole Harris                                       Ed MacLaurin

Commissaire                                        Commissaire                                        Commissaire               

 

 

 

Décision de la commissaire

 

55.   Je suis d’accord avec les conclusions et la recommandation de la Commission d’appel des brevets.  Par conséquent, je refuse d’accorder un brevet dans le cadre de la présente demande.  En vertu de l’article 41 de la Loi sur les brevets, le demandeur peut interjeter appel de ma décision à la Cour fédérale du Canada dans les six mois.

 

 

 

 

Mary Carman

Commissaire aux brevets

 

Fait à Gatineau (Québec)

ce 25e jour de juin 2009

 

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